Biographie et autobiographie dans Feux de Marguerite Yourcenar
p. 175-182
Texte intégral
1Dans le volume de la Bibliothèque de la Pléiade qui rassemble en 1982 ses Œuvres romanesques, Marguerite Yourcenar est son propre préfacier et même son propre biographe. Elle n’abandonne à un autre, Yvon Bernier, que la bibliographie. La chronologie est la sienne, ou du moins elle a été soigneusement contrôlée par elle. Tous les éléments biographiques que contient cette chronologie ou que rassemblent préfaces ou postfaces tardives ressortissent donc à l’autobiographie, si l’on veut bien prendre le mot au sens le plus strict du terme. L’auteur n’écrit pas le récit de sa propre vie ; il se réserve le privilège d’en parler. C’est une manière d’autobiographie de droit.
2La Préface écrite en 1967 pour Feux constitue à cet égard un cas exemplaire. Marguerite Yourcenar y présente le livre comme le « produit d’une crise passionnelle », d’un « amour vécu », d’un « amour total pour un être en particulier, avec ce qu’il comporte de risque pour soi et pour l’autre, d’inévitable duperie, d’abnégation et d’humilité authentiques, mais aussi de violence latente et d’exigence égoïste ». Quel était cet « être en particulier », la Préface se garde bien de nous le dire. La chronologie respecte le même principe de réserve dans la confidence :
En 1935, elle commence Feux à Constantinople, au cours d’un voyage en mer Noire, entrepris avec un ami grec, le poète et psychanalyste André Embiricos, à qui elle dédicacera Nouvelles orientales. Elle termine ensuite le livre à Athènes.
3Dans leur sobriété, les deux textes que je viens de citer doivent permettre de caractériser la manière autobiographique de Marguerite Yourcenar. Dans la Chronologie, elle impose la distance du fait brut. Historienne, elle rappelle des dates, elle suit la ligne d’une continuité qui conduit de Feux aux Nouvelles orientales. Géographe, elle indique des lieux, elle dessine une aventure qui reproduit les grandes entreprises des Achéens, à commencer par la guerre de Troie — le voyage par mer en Asie Mineure, le retour en Athènes. Biographe, elle se contente de signaler un voisinage, un compagnonnage et d’indiquer deux traits caractéristiques du compagnon. Dans la Préface de 1967, elle adopte presque immédiatement le point de vue du moraliste. Très vite son amour d’autrefois s’efface devant l’« amour fou » dans sa vérité la plus générale — amour « scandaleux parfois, mais imbu néanmoins d’une sorte de vertu mystique ». Il se fond avec ce qu’elle appelle elle-même une « notion ». Entre la sécheresse de la chronique et l’austérité de la traduction abstraite, il n’y a pas de place, apparemment, pour la confidence personnelle. Tantôt Marguerite Yourcenar parle d’elle-même comme d’une autre, à la troisième personne. Tantôt elle se confond avec les autres, dans la grisaille d’une vérité commune.
4Le titre même du livre publié en 1935, Feux, attestait cette double discrétion. C’étaient les feux du Bosphore, ceux que l’Agamemnon d’Eschyle rallumait pour l’imagination des auditeurs de la tragédie grecque, le système de relais qui permit à la Grèce d’apprendre la chute de Troie, les « feux de joie des sentinelles », qui s’allumèrent sur les cimes. Phèdre, Achille, Patrocle, Antigone, Léna, Marie-Madeleine, Phédon, Clytemnestre, Sappho, seront les feux tour à tour allumés pour signifier quelle chute dans l’incendie de l’amour ?
Brûlé de plus de feux… Bête fatiguée, un fouet de flammes me cingle les reins. J’ai retrouvé le vrai sens des métaphores de poètes. Je m’éveille chaque nuit dans l’incendie de mon propre sang.
5L’incipit, avec son masculin, laisse deviner l’autre réserve, que la Préface de 1967 exprimera en clair. Feux, « Brûlé de plus de feux », toutes ces citations tronquées aboutissent enfin à la citation complète du vers, « Brûlé de plus de feux que je n’en allumai », amère constatation de Pyrrhus amoureux d’Andromaque dans la tragédie de Racine. « Pyrrhus, je pense à vous », ce pourrait être le point de naissance du recueil de Marguerite Yourcenar comme « Andromaque, je pense à vous » lance le célèbre poème de Baudelaire, Le Cygne.
6Andromaque, le cygne, la négresse phtisique étaient pour Baudelaire des allégories, lui permettant de se dire lui-même à travers les autres. Il en ira ainsi, pour Marguerite Yourcenar, de Pyrrhus, et des neuf figures auxquelles correspondent dans Feux les « narrations empruntées à la légende ou à l’histoire ». Mais ces narrations sont précédées et suivies de notations personnelles, comme détachées d’un journal intime sans dates, d’un carnet de damné[e] brûlée des feux de l’amour. Le texte du livre se tisse à la faveur d’un entrelacs du direct et de l’indirect (j’emprunte cette opposition à Marguerite Yourcenar dans la Préface de 1967 : « Dans Feux, ces sentiments et ces circonstances s’expriment tantôt directement, mais assez cryptiquement, par des “pensées” détachées, qui furent d’abord pour la plupart des notations de journal intime, tantôt au contraire indirectement, par des narrations empruntées à la légende ou à l’histoire et destinées à servir au poète de supports à travers le temps »).
7Marguerite Yourcenar le dit elle-même : la biographie reste « cryptique ». Les notes du journal n’apporteront pas de nom, pas de fait brut. Elles nous laissent à deviner ce qui fut une aventure passionnée, douloureuse, mais acceptée comme telle. On peut la présenter comme une tragédie, avec ses actes successifs. On est d’abord introduit in medias res, dans un amour d’une plénitude absolue. « Il y a entre nous mieux qu’un amour : une complicité. » Cet amour n’a à pâtir ni de l’absence (« Absent, ta figure se dilate au point d’emplir l’univers »), ni bien sûr de la présence (l’amant atteint alors « aux concentrations des métaux les plus lourds, de l’iridium, du mercure »). Il n’est ni malheureux ni heureux (« Il n’y a pas d’amour malheureux : on ne possède que ce qu’on ne possède pas. Il n’y a pas d’amour heureux : ce qu’on possède, on le possède plus »). Cet amour ne cache pas ses attaches charnelles. Il ne veut pas seulement faire intervenir le « cœur », mais le « corps », qui est même préféré au cœur. Les partenaires ne se voilent pas les faiblesses de l’autre, ses défauts. C’est ce que l’amante appelle « aimer les yeux ouverts ». Et c’est un amour plus fou encore qu’aimer les yeux fermés. Mais une rupture intervient. L’amour-propre semble l’avoir emporté sur l’amour. L’amante a le sentiment que l’amant ne l’aime plus. C’est l’acte II, celui de la chute de l’amant. L’absence est désormais ressentie comme telle, et elle n’est plus la chance d’une plénitude plus grande. Il en résulte — et ce pourrait être le troisième acte — une chute de l’amante. Sans doute a-t-elle déjà vécu une chute (« J’ai touché le fond. Je ne puis tomber plus bas que ton cœur »). Mais la chute nouvelle est bien plus sévère. Elle s’affaisse, comme un fusillé. Elle gémit de ne pas, de ne plus servir. Elle éprouve au fond d’elle-même une douleur, « comme une espèce d’horrible enfant ». Elle vit l’amour comme un châtiment. Mais elle se résigne — et ce pourrait être le quatrième acte. Ce n’est plus des défauts qu’il s’agit, mais de défaut — du manque : « Je supporte ton défaut. On se résigne au défaut de Dieu. » Ne plus se donner, c’est se donner encore. « J’accepte de souffrir. » Bien plus, elle veut se relever, elle refuse la chute. Cette résistance, au sens fort du terme, constitue le cinquième acte :
Je ne tomberai pas. J’ai atteint le centre. J’écoute le battement d’on ne sait quelle divine horloge à travers la mince cloison charnelle de la vie pleine de sang, de tressaillement et de souffles. Je suis près du noyau mystérieux des choses comme la nuit on est quelquefois près d’un cœur.
8Le cœur retrouvé : mais c’est le cœur du monde ou le cœur de Dieu. L’épreuve de l’amour fou a permis l’accès à une transcendance. La tragédie tend à s’achever en Divine Comédie…
9Je ne propose pas sans hésiter cette division en cinq actes. Elle pourrait laisser penser qu’ils correspondent aux différentes séquences de notations intimes. Or ce ne serait pas juste. D’abord parce que ces séquences sont au nombre de dix (c’est, il est vrai, deux fois cinq). Mais surtout parce que les notations sont souvent mêlées, surtout dans les premières séquences. C’est peu à peu qu’émerge la force de résignation et de résistance, qui triomphe dans la conclusion du livre.
10Le fait que cette division en cinq actes soit possible indique pourtant assez clairement que ces séquences intimes ne sont pas aussi libres qu’on aurait pu le penser. Je vais encore réduire cette marge d’indépendance et d’invention. En effet, il m’a semblé que, déjà dans ces séquences directes, s’infiltrait l’expression indirecte. Ou, en d’autres termes, l’autographie y est cernée, réduite par l’hétérographie. Dès la troisième série de notations intimes, l’expression aphoristique s’enrichit de notations mythologiques, volontiers familières et ironiques, même si elles sont chargées de gravité :
Le Destin est gai. Celui qui prête à la Fatalité on ne sait quel beau masque tragique ne connaît d’elle que ses déguisements de théâtre. Un mauvais plaisant inconnu répète la même scie grossière jusqu’aux nausées de l’agonie. Il flotte autour du Sort une vague odeur de chambre d’enfant, de boîte vernissée d’où sortent les diables de l’Habitude, de placards d’où nos bonnes, grotesquement affublées, s’élançaient tout à coup dans l’espoir de nous faire crier. Les personnages des Tragiques sursautent, dérangés brutalement par le gros rire du tonnerre. Avant d’être aveugle, Œdipe n’a fait toute sa vie que jouer à colin-maillard avec le Sort.
11Ou bien encore
Un enfant, c’est un otage. La vie nous a.
12Il en va de même d’un chien, d’une panthère ou d’une cigale. Léda disait : « Je ne suis plus libre de me suicider depuis que j’ai acheté un cygne. »
13Parfois cette expression mythologique reste implicite. C’est ce qui se passe avec l’incipit de la sixième séquence « Brûlé de plus de feux », où Marguerite Yourcenar n’utilise pas les guillemets de la citation et où seul l’emploi du masculin met le lecteur en état d’alerte. Dès la troisième notation de la première séquence, le procédé bat son plein :
Absent, ta figure se dilate au point d’emplir l’univers.
14C’est un rappel de la célèbre évocation d’Antoine par Cléopâtre dans la tragédie de Shakespeare.
15L’hétérographie est reine dans les neuf narrations qui rompent le fil des pensées intimes et qui, en fait, le continuent puisque ce fil était déjà teinté de mythologie. Ce n’est pas un hasard si la première de ces narrations est consacrée à Phèdre, la fille de Minos et de Pasiphaé. Dans les dédales du labyrinthe crétois, Marguerite Yourcenar dévide, non le fil d’Ariane, mais le fil de Phèdre. Et ce fil n’est autre que le labyrinthe lui-même, les méandres de son Destin qu’elle ne connaissait que sous forme d’inscriptions sur la muraille et qu’elle a emporté avec elle. Raconter sa fuite avec Ariane, la préférence que lui accorda Thésée, la feinte de Naxos, ses relations avec son beau-fils Hippolyte, le retour du roi volage, la mort d’Hippolyte et le suicide de Phèdre, c’est retrouver ce signe labyrinthique, pas plus « cryptique » peut-être que celui qui était déposé par Marguerite Yourcenar dans les séquences intimes de Feux. Cette première narration s’intitule Phèdre ou le désespoir. Mais peut-on parler de désespoir quand tout finit sur un merci ? Je dirais plutôt : « Phèdre, ou l’acceptation d’un destin. » La tragédie s’achève, là encore, en comédie, au sens dantesque du terme.
16Avec Achille ou le mensonge et Patrocle ou le destin, l’hétérographie va en s’éloignant davantage encore vers l’autre. Apparemment, du moins. Même si Achille à Scyros est déguisé en femme parmi des femmes qui ne s’y trompent point, même si la figure de Penthésilée, la reine des Amazones, vient se confondre presque aux yeux d’Achille en deuil avec les traits de Patrocle abattu par Hector, la fascination exercée par l’un des jeunes guerriers sur l’autre l’emporte sur toute relation entre l’homme et la femme. Mais Marguerite Yourcenar sait bien que les feux brûlent d’un feu plus vif que jamais dans les passions homosexuelles. Elle semble prête à leur laisser la place quand elle imagine Misandre libérant Achille après avoir hésité. Mais, comme la rivale de Déidamie, elle est convaincue qu’on ne lutte pas contre une passion adverse qui a la force d’un destin. Et si le combat entre Achille et Penthésilée s’achève sur un hommage rendu à la femme, elle a été une adversaire acharnée, mais vaincue.
17Antigone ou le choix permet une sorte de revanche de la femme. Elle a ici le beau rôle, la fière jeune fille qui décide sans hésiter de quitter le havre de Colone, d’arracher aux vautours le corps de Polynice et de le soulever comme une croix, et de renoncer au lit nuptial pour la froide couche du tombeau. La fidèle s’oppose à l’infidèle amant de Feux. Quand Hémon rejoint volontairement Antigone dans la mort, on a l’impression que le choix d’Antigone a entraîné le sien. Peut-être, comme un des sortilèges mis en œuvre par les magiciennes de Théocrite, le récit aurait-il le pouvoir magique de ramener l’absent. Mais l’important est que le cœur d’Antigone soit devenu « le pendule du monde », imitant « l’horloge de Dieu » — pendule dont le balancier n’est autre que la corde où se balancent les cadavres des deux pendus, du couple une fois de plus réuni dans la mort.
18Antigone se balance. Madeleine tombe, « les bras en croix, entraînée par le poids de [s]on cœur ». Deux fois, elle a découvert ce qu’elle a pris pour une trahison, et n’était qu’une fausse absence : quand son fiancé, Jean, l’a quittée en pleine nuit pour rejoindre le Christ ; quand Jésus, à son tour, a déserté le tombeau où, embaumé, elle avait pris soin de le déposer. Dépossédée de tout par Dieu, elle a été sauvée par lui. Comme on dit vulgairement, elle a été « refaite ». Mais elle a été aussi « refaite par les mains du Seigneur ». En cela, elle dépasse la silencieuse Léna, la servante d’Aristogiton, qui s’était coupé la langue pour ne pas trahir son maître et son amant, coupable pourtant de s’être enfui avec le bel Harmodios.
19Conformément au mouvement d’ensemble des séquences intimes et du livre tout entier, Phédon ou le vertige raconte la découverte de la liberté. Ébloui par la Beauté d’Alcibiade, ce presque-dieu qui l’a acheté à prix d’or dans un bordel athénien, Phédon s’attendait à devenir son giton. Mais Alcibiade ne l’a acheté que pour le donner à son compagnon, Socrate, et le voici qui, appelé par la guerre de Sicile, disparaît déjà dans le tonnerre de son char. Grâce à Socrate, Phédon va comprendre que « le destin n’est qu’un moule creux où nous versons notre âme, et que la vie et la mort nous acceptent pour sculpteurs ». Socrate est venu enseigner aux jeunes hommes qu’il ne faut se fier qu’à son âme, et à Phédon que la Mort peut avoir plus de charmes qu’Alcibiade. Mais il ne l’a lui-même appris qu’en allant au-delà du doux charme du sourire d’Alcibiade ou des cheveux de Phédon. La beauté, l’amour n’ont de vertus qu’initiatiques. C’est la valeur que Marguerite Yourcenar veut conférer à l’épreuve passionnelle qu’elle achève de traverser, comme un acrobate dansant au-dessus de l’abîme.
20Le crime de Clytemnestre est, au sens fort du terme, un crime d’amour. Et n’allez pas croire que la reine de Mycènes ait trompé Agamemnon en couchant avec le jeune Égisthe : « L’adultère n’est souvent qu’une forme désespérée de la fidélité. Si j’ai trompé quelqu’un, c’est sûrement ce pauvre Égisthe. J’avais besoin de lui pour savoir jusqu’à quel point celui que j’aimais était irremplaçable. » Le couteau était même destiné au jeune amant, et devait le tuer. Mais Clytemnestre, en passant devant un miroir, a brusquement pris conscience de ses cheveux gris. À l’arrivée d’Agamemnon, elle découvre que lui aussi a changé. Et il est accompagné de Cassandre, cette « espèce de sorcière turque » qu’il a choisie pour sa part de butin et qui porte un enfant de lui. C’est donc lui qu’elle a tué, en définitive, oh ! non pas par vengeance, mais pour l’obliger en mourant à la regarder en face, « pour le forcer à se rendre compte qu’[elle n’était] pas une chose sans importance qu’on peut laisser tomber, ou céder au premier venu ». Mais cela ne suffit pas, et le fantôme d’Égisthe revient la tourmenter.
21À partir de Marie-Madeleine ou le Salut, Marguerite Yourcenar a préféré la première personne à la troisième personne, le récit engagé au récit objectif. Entre le monologue des séquences intimes, la série des narrations a donc tendu à prendre la forme d’un polylogue invectif (puisque l’amant infidèle en est la cible), mais surtout d’un polylogue inventif où les mythes, apparemment mis au service de l’expression personnelle, se modifient au gré de cette expression.
22Le dernier récit du polylogue, Sappho ou le suicidé, va apporter un ultime raffinement. En effet, il est encore à la première personne. Mais ce n’est plus l’héroïne qui parle, comme Marie-Madeleine ou Clytemnestre, ou comme parlait Phédon, c’est un témoin (mais à dire vrai, qu’étaient Phédon, Marie-Madeleine, et peut-être même Clytemnestre, sinon des témoins ?).
23Ce n’est donc pas Sappho qui parle, mais quelqu’un qui a vu Sappho :
Je viens de voir au fond des miroirs d’une loge une femme qui s’appelle Sappho. Elle est pâle comme la neige, la mort, ou le visage clair des lépreuses. Et comme elle se farde pour cacher cette pâleur, elle a l’air du cadavre d’une femme assassinée, avec sur ses joues un peu de son propre sang.
24C’est une Sappho vieillie, de poétesse devenue acrobate. Ici l’autobiographie rejoint la biographie : Marguerite Yourcenar révélera dans la Préface de 1967 que ce récit est issu d’un spectacle de variétés à Péra, et qu’il a été écrit sur le pont d’un cargo amarré sur le Bosphore, tandis que le gramophone d’un ami grec tournait inlassablement une rengaine américaine sur le trapéziste volant. Comme Achille a cru retrouver Patrocle en Penthésilée, Sappho a cru retrouver dans le jeune Phaon l’infidèle Attys, la disparue. Elle renonce à elle au profit de lui, qui l’observe ironiquement, qui se travestit en Attys, un peu pour lui faire plaisir et un peu pour se moquer d’elle. Mais elle sait que ses baisers, ses étreintes ne seront pas les mêmes. Phaon n’est là que pour mieux lui faire comprendre qu’elle est désespérément hantée, lugubrement cernée par le spectre de l’absente. La seule issue est le suicide. Sappho l’acrobate se jette du haut de son trapèze…
25Le monologue vient alors rompre le polylogue, comme un mauvais cauchemar : « Je ne me tuerai pas. On oublie si vite les morts. » La fin du conte est écrite, comme si le regard de Phaon l’emportait. « Il ne s’agit pas d’un suicide. Il ne s’agit que de battre un record. » Le désespoir est conjuré au profit de la volonté de construire. « On ne bâtit un bonheur que sur un fondement de désespoir. Je crois que je vais pouvoir me mettre à construire. » C’est une autre manière d’écrire sa vie que d’inscrire le projet. La biographie n’appartient qu’à moi (« Qu’on n’accuse personne de ma vie »). Car j’ai voulu ma vie telle qu’elle a été. Désormais aussi, elle sera telle que je la veux — autobiographie au sens le plus fort du terme.
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Mythocritique
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