3. Georges Limbour, spectateur des arts
p. 77-104
Texte intégral
1Comme l’indique le titre de la première monographie que Limbour a consacrée à Dubuffet, Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, selon ce dernier, c’est au spectateur d’achever l’œuvre d’art : l’œuvre constitue une amorce pour l’imagination de qui la regarde. Pour Limbour également, le tableau est avant tout une machine à imaginer dont ses textes critiques montrent le bon usage. Le tableau est le lieu du passage de l’imagination du créateur à celle du spectateur : si le réel passé au filtre de l’imagination du créateur retrouve ses rythmes originels dans le tableau, ces rythmes ne peuvent prendre valeur efficace que si l’imagination du spectateur met à son tour en branle le microcosme du tableau. Par cette nouvelle mise en mouvement dans l’imaginaire, le rythme inclus dans le tableau devient rythme vécu, gagnant le macrocosme et trouvant ainsi force opératoire. Il s’agit donc ici de mettre en avant l’usage de l’œuvre d’art en montrant que le tableau est un carrefour où se rencontrent le créateur, le spectateur et le monde, et qu’il constitue une porte permettant la communication d’un rythme et donnant accès au monde de l’origine, par la modification du rapport au monde du spectateur.
La place du spectateur
2Aux trois pôles – le Peintre, le Monde et la Palette – qu’évoquait le « préambule » de Tableau bon levain, Limbour en ajoute un quatrième dans la conclusion de l’ouvrage :
J’y paraissais supposer que le peintre ne peignait que pour son propre plaisir et je passais sous silence, comme avec dédain, un quatrième pôle pourtant aussi évident et respecté, voire exalté de nos jours : qu’on appelle public ou spectateur.1
3Mais plutôt qu’un simple ajout, l’insertion du spectateur produit une reconduction du triangle créateur du côté de la réception :
[…] Je me sens donc, lecteur, chargé par le peintre de te mettre pour ainsi dire en main le pinceau et la truelle, car je n’ai plus rien à dire et il te reste à faire la moitié de l’ouvrage.
Sans doute les tableaux achevés des maîtres illustres exigent d’être recréés par l’imagination du spectateur. Néanmoins ils imposent avec autorité un ordre précis de pensées et de sentiments.
Bien différemment la plupart des œuvres présentées ici n’imposent au spectateur rien de clairement défini. Il paraît même que le peintre garde son propre secret pour ne pas gêner la naissance du nôtre. Il se retire pour laisser le champ libre à nos intentions et nous donner la satisfaction de paraître mettre dans le tableau plus qu’il n’y a mis lui-même, de le dépasser infiniment et d’en devenir ainsi le second et le plus fécond auteur.
Par conséquent que les personnes à l’imagination paresseuse s’écartent : un bon levain nous est donné, c’est à nous de cuire la pâte.2
4Le spectateur est substitué au peintre, le tableau au monde, et il ne manque pas même une translation de la palette (« le pinceau et la truelle ») qui achève la construction de ce second triangle. L’exigence formulée par Dubuffet que le spectateur refasse le geste créateur est reprise par Limbour et étendue à d’autres tableaux que ceux de son ami, par exemple à ceux de Fontana :
Lecteur, fais un effort imaginatif, non de l’œil, mais de l’oreille. Entends la plainte de la toile tendue, la déchirure, le déchirement, refais le geste musical et songe comme il doit être agréable à exécuter.3
5Une peinture telle que celle de Dubuffet, en nous plaçant dans la position du créateur, constitue une activation de notre faculté créatrice, l’imagination :
L’objet est représenté d’une manière sommaire et un tantinet absurde. Il se refuse à une véritable présence, pleine et stable, et par là même il nous provoque. C’est à notre imagination décidément de le faire totalement apparaître […].4
6En jouant sur l’intentionalité de la visée imaginative5, la peinture de Dubuffet permet une éducation de l’imagination, c’est-à-dire une éducation de la capacité à créer des images :
Mais maintenant notre imagination est éduquée, nous avons acquis le sens, le sens multiple du réel. Nous savons forcer à l’apparition ce qui cherchait à s’évanouir, comme nous savons réduire à l’effacement ce qui tentait à trop se montrer, nous cachant ce qu’il y avait encore à voir.6
7Le tableau n’est plus l’aboutissement de la création du peintre, mais le point de départ de celle du spectateur. Il est une « machine à imaginer7 ». La contemplation du tableau provoque en effet une rêverie où surgissent les mêmes processus de métamorphose que dans le face-à-face du peintre avec le réel. De même que le monde, en passant à travers l’imagination du créateur, révélait ses rythmes qui étaient projetés sur la toile, le tableau à son tour communique au spectateur un rythme :
La direction de ces traces est d’une aussi grande importance que les formes elles-mêmes. Non seulement elles créent parfois ainsi un nouvel objet surnaturel, mais elles communiquent directement au spectateur le mouvement créateur du peintre, le rythme et le frémissement du tableau.8
8Le geste du peintre inscrit dans la pâte est une marque des rythmes perçus, que la réeffectuation imaginaire du geste transmet au spectateur. Le tableau constitue par là un équivalent de la natura naturata : sous les apparences immobiles se dissimule le dynamisme de la natura naturans qui s’identifie ici avec le peintre.
9Si Limbour ironise sur la réflexion des peintres à propos de la « quatrième dimension » – le temps –, c’est que celui-ci ne peut s’inscrire dans le tableau par le trait, mais uniquement par le tracé :
[…] d’autres inventeurs, avec qui les cubistes étaient volontiers confondus, moins riches d’avenir, mais généreux en explications, ratiocinaient sur la quatrième dimension et la notion de Temps, comme si celui-ci pouvait se traduire en angles et en courbes, ou était un breuvage étrange dont le peintre emplissait ses verres ou ses bouteilles. Pourtant le tableau ne semble pas être une médecine qui ne se peut absorber sans lecture préalable d’une notice ou posologie ; très directement il doit faire sur l’esprit son effet.9
10Dans cette opposition du tracé au trait on retrouve l’une des caractéristiques de la peinture des années cinquante, et plus particulièrement de l’abstraction lyrique où se joue en effet un nouveau rapport au temps10. L’originalité de Dubuffet et à travers lui de Limbour est de reporter cette dynamisation de la surface peinte dans le processus de la réception, ou plus exactement de comprendre que cette dynamisation ne peut être que le fait du spectateur : seul ce dernier, en reprenant imaginairement le geste du peintre, peut réaliser l’insertion du temps dans l’espace. Il s’agit donc non pas tant de créer une nouvelle manière de peindre que d’établir un nouveau rapport au tableau, ressaisi par une imagination dynamique.
11Le spectateur étant partie prenante du processus créateur, le critique acquiert un rôle débordant ses fonctions traditionnelles de description et d’évaluation – qui sont également présentes chez Limbour, comme le montre par exemple sa critique de l’art abstrait. Il doit en effet rendre compte du fonctionnement de cette machine à imaginer qu’est le tableau et expliquer en acte son bon usage au lecteur : le texte critique devient le lieu du déploiement de l’imaginaire de ce spectateur privilégié qui fait jouer sous les yeux du lecteur les virtualités du tableau. Faisant l’éloge de l’ouvrage de Patrick Waldberg dans une lettre à ce dernier, Limbour exprime ainsi ce que doit être pour lui la critique d’art :
Mais je réserve le bon morceau pour la fin, qui est la lecture de ton Magritte, que j’ai lu avec le plus grand enthousiasme et réelle admiration : car tu sais par les formules les plus heureuses conduire au cœur des choses inexplicables. Puisque expliquer est impossible ou n’a pas de sens, tu provoques une nouvelle naissance des images dans l’esprit, tu les prends à leur source et leur permets de se développer dans la pensée de ton lecteur qui se trouve ainsi entraîné dans le mouvement créateur. Et ainsi il ne contemple pas l’œuvre du dehors, mais est mêlé au jaillissement interne.11
12La critique assume de la sorte autant une fonction d’exemplification qu’une fonction de prescription. Ces deux fonctions sont liées en réalité, puisque le critérium du grand art est la possibilité de ce déploiement de l’imaginaire, de cette reprise du tableau par le spectateur :
À l’inverse de beaucoup de tableaux contemporains très admirés parce qu’ils séduisent et emportent, dès le premier abord, le spectateur par la violence des couleurs et du mouvement, le jaillissement romantique et expressionniste des formes ou des taches, enfin par ce qu’ils révèlent d’énergie et d’explosion de l’inconscient dans l’action de les peindre, les tableaux de Dubuffet, tout en touchant, au premier abord aussi, le spectateur par une certaine singularité, parfois agressive, de forme […], gardent cependant un aspect secret ; ils ne jettent pas du premier coup tout leur contenu dans notre regard […]. Mais dans la mesure où ils sont d’un accès difficile, ils deviennent inépuisables. Et c’est pourquoi, je pense, […] le Temps sur Dubuffet n’aura pas cette prise facile, et il sera le peintre de demain.12
13À l’explosion qui caractérise l’abstraction lyrique, la peinture de Dubuffet oppose la rétention, qu’il appartient au spectateur de forcer peu à peu. Le processus de la réception s’inscrit dans une temporalité longue, qui garantit à l’œuvre sa survie. La nécessité du déploiement du tableau par l’imagination est la marque de sa profondeur, l’œuvre qui, toute physique, s’offre comme pure surface s’annulant à l’inverse dans sa perception.
14Le modèle de cette critique d’imagination est la critique de poète13 que Limbour défend dans « Hommage aux poètes » :
Il est aussi arrivé que l’écrivain me montre dans le tableau des choses que je n’avais pas vues. Car un beau tableau en contient beaucoup, et, soyons modestes, il faut parfois se mettre à plusieurs pour les voir toutes.14
15La description du tableau est en cela supérieure à la reproduction de celui-ci. En effet, la reproduction reconduit le face-à-face visuel, tandis que la description a le pouvoir de nous faire pénétrer dans l’œuvre. Georges Limbour le démontre de façon ludique, en substituant au compte rendu de l’exposition des sculptures de Henry Moore une description de reproductions de ses œuvres. La photographie, en interdisant la déambulation autour de la sculpture, aggrave la difficulté de l’accès à l’œuvre, et va donc servir de preuve a fortiori de l’efficacité de la description produite par un esprit imaginatif :
[…] il n’y a pas besoin de tellement d’imagination si l’on a soin de bien prendre mesure de l’œuvre en pouces et en pieds, et de connaître en quelle matière est fait l’objet […] pour la voir se dresser devant soi dans ses réelles dimensions et en pleine lumière. Puis nous commençons notre petite déambulation tout autour, allant jusqu’à nous prendre les pieds dans cette échelle couchée sur le sol de l’atelier et que le photographe, on ne sait pourquoi, n’avait pas pris soin de faire ôter.15
16L’imagination transforme la surface de la photographie en espace habitable, autorisant l’accès à la concrétude de l’œuvre, qu’elle pénètre et anime à son tour :
[…] des cordes parallèles tendues nous suggèrent aussitôt un frémissement, une vibration, le passage et la musique d’un vent, bref le contraire d’une immobilité silencieuse : le contraire donc de la sculpture !16
17Cette dernière expression pose la question des limites de la recréation imaginaire de l’œuvre, qu’« Hommage aux poètes » aborde de front : « Mais une fois l’imagination du poète allumée, jusqu’où ne peut-il aller ? Il rajoute des intentions, et même s’il transformait tout le tableau17 ? » La réponse vient immédiatement : « C’est que le tableau contenait aussi, (cela est arrivé), toutes ces possibilités18. » Pour Limbour, toutes les œuvres sont ouvertes, et il ne peut y avoir d’utilisation du tableau au sens où l’entend Umberto Eco :
Nous devons donc faire une distinction entre l’utilisation libre d’un texte conçu comme stimulus de l’imagination et l’interprétation d’un texte ouvert. […] Et un texte n’est pas autre chose que la stratégie qui constitue l’univers de ses interprétations – sinon légitimes – du moins légitimables. Tout autre décision d’utiliser librement un texte correspond à la décision d’élargir l’univers de discours.19
18Cependant, à d’autres moments, Limbour semble revendiquer l’écart entre le tableau et sa recréation imaginaire et par là reconnaître la possibilité d’une utilisation du tableau :
[…] peu importe qu[e le spectateur] recompose la même histoire que celle racontée par le peintre. Et peut-être celui-ci ne fait-il que nous inviter à donner notre propre sens à un conte plastique, à un divertissement, comédie ou drame, joué par des objets.20
19On le voit, cette utilisation du tableau redevient immédiatement une interprétation par son inscription dans les intentions – supposées – du peintre. Les intentions en question ne concernent pas ce qui est exprimé dans le tableau, mais un projet global : la mise en mouvement de l’imagination. Puisque le but premier de l’art est cette dynamisation de l’imagination, peu importe les images qu’elle produit, l’essentiel de ce que le tableau a à transmettre réside dans cette production elle-même. La critique de Limbour opère ainsi un détournement du mur de Léonard de Vinci :
Je ne saurais manquer de mentionner parmi ces préceptes un nouveau mode de spéculation qui peut sembler mesquin et presque ridicule, mais n’est pourtant pas sans efficacité pour exciter l’esprit à diverses inventions. Le voici : si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches, ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras l’analogie de paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toute sorte. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses, que tu pourras ramener à une forme nette et compléter.21
20Ce n’est plus le mur qui pousse à la rêverie, et donc à la création, mais le tableau lui-même :
Léonard de Vinci propose comme excellent exercice de contempler longuement les plaques de fermentation produites par l’humidité sur les vieux murs : dans leurs dessins confus, l’œil arrive à deviner des formes qu’on dirait organisées et où l’imagination voit des combats de chimères, des visages de madones, etc. Quoique cette leçon soit généralement connue et citée, elle peut être rappelée ici, car certaines œuvres de Klee – qui peint sur cartons – semblent une plaque de métal corrodée savamment par de multiples acides successifs, jusqu’à faire éclore grâce à cette subtile alchimie, cieux, fleurs, forêts, étangs […].22
21Le texte de critique s’inscrit dans ce processus de relance de l’imagination et accumule les images. « Pierres d’exercice philosophique23 » en constitue une réalisation exemplaire, d’autant que l’équivoque suscitée par l’attribution, dans un premier temps, de l’effet produit par les Pierres de Dubuffet à une pierre réelle souligne la superposition des pôles du peintre et du spectateur. Limbour enchaîne ainsi les images que suscite la pierre en une longue énumération :
J’ai besoin d’une pierre, d’une très grosse pierre dans ma maison, pour élancer ma pensée, pour m’abriter contre le vent, ou le faire souffler, pour me chauffer, pour manger dessus du soleil, pour voir s’enfuir des lézards ; pour y trouver visage de femme, yeux de chouette, épaule de hibou, contempler envol de chimère ; une pierre griffée par l’aigle et d’où s’échappent des bisons ; […] une pierre à cacher mes secrets dessous, mes butins, mes rapines, bagues, colliers, monnaies ; une pierre sous laquelle poussent des animaux, d’abord petits vers, des cloportes qui se colorent en scarabées, et volent déjà des coccinelles, et toutes sortes de papillons, et ce sont des petits lions.24
22La pierre rassemble en elle et engendre l’ensemble des êtres : elle est l’analogon de la natura naturans, ou le devient sous le regard de son spectateur. Cette productivité est cependant conditionnelle. Il est en effet impossible de posséder une telle pierre, puisque celles-ci « meurent en captivité25 ». Seul l’art peut remettre la pierre en contact avec le « flux cosmique26 » : « Rien ne saurait rendre à la pierre sa vie profonde et transfigurée, qu’un art à la fois réaliste et magique27. » Le peintre rend les pierres « à leur état sauvage », c’est-à-dire leur redonne leur potentialité imaginaire qu’il appartient au spectateur d’actualiser, « de sorte qu’il reste beaucoup à faire à leur possesseur, ou à leur spectateur, s’il veut entrer en profond dialogue avec elles28. » La critique pratiquée par Limbour s’apparente étroitement à celle de Bachelard, dont La Poétique de la rêverie constitue un autocommentaire :
« Objet inépuisable », c’est bien le signe de l’objet que la rêverie du poète fait sortir de son inertie objective ! La rêverie poétique est toujours neuve devant l’objet auquel elle s’attache. D’une rêverie à une autre, l’objet n’est plus le même, il se renouvelle et ce renouvellement est un renouveau du rêveur.29
23La critique d’art de Limbour, qui se place résolument du côté de la réception, de l’effet produit par le tableau sur le spectateur, décrit cependant le processus créateur, qui peut être indifféremment réel ou imaginaire : « Ce qui est très important pour nous, est [d’]imaginer [François Fiedler] rôder dans les bois, sur les feuilles mortes, les sens en éveil30. » Cette déclaration serait énigmatique si l’on ne comprenait pas que le processus créateur est pour Limbour réversible, allant du créateur au spectateur ou du spectateur au créateur et que le tableau, plutôt qu’une simple surface, constitue une machine à transformer le monde en images – une voie d’accès vers un monde transfiguré par l’imagination qui englobe un créateur lui-même transfiguré par l’imagination du spectateur.
Le poète à l’école du peintre
24Si Limbour n’explicite son esthétique qu’après la Seconde Guerre mondiale, au contact, notamment, de l’œuvre de ses amis Masson et Dubuffet, il faut se demander si celle-ci est spécifique à la peinture ou rend compte de sa production littéraire contemporaine, voire antérieure, s’il s’agit d’une pensée ad hoc, au seul usage de la critique d’art, ou de l’émergence d’une idée de l’art jusque-là tacite. Or, les peintres, avec lesquels Limbour entretient des rapports de grande familiarité, apparaissent dans son œuvre comme des initiateurs et des rivaux. Le concept de poésie, quant à lui, permet de réunir l’esthétique picturale à l’esthétique littéraire : le peintre est avant tout poète, tandis que la poésie, « don de la présence et de l’apparition31 », est un regard émerveillé porté sur le monde, bien commun de l’écrivain et du peintre.
25C’est en 1922 que Jean Dubuffet amène Limbour dans l’atelier de Masson, rue Blomet32. Limbour y rencontre Miró, André Beaudin, Suzanne Roger, puis, participant à partir de la fin de la même année aux « dimanches de Boulogne » chez Kahnweiler qui est devenu le marchand de Masson, il y fréquente, entre autres, Élie Lascaux, Juan Gris, Henri Laurens, Gaston-Louis Roux. Il passe une partie de l’été 1924 à Nemours dans la maison de Leiris avec les Masson. En 1925, il séjourne avec Picasso dans une maison que Doucet a louée pour André Masson entre Cap-d’Antibes et Juan-les-Pins. Il passe de nouveau l’été 1926 chez les Masson à Sanary, puis fréquente en 1928 la villa de Masson, Le Lavandou. Entre 1934 et 1936, il fait plusieurs séjours chez André Masson à Tossa del Mar sur la Costa Brava. Son intimité avec Dubuffet est tout aussi grande, comme en témoignent Tableau bon levain à vous de cuire la pâte et l’abondante correspondance qu’ils échangent33. Il se rend par exemple très régulièrement chez Dubuffet à Vence, à partir de 1956, et accompagne le peintre à Londres à l’occasion de l’exposition rétrospective qui lui est consacrée à la galerie Arthur Tooth en 1958. Professeur de philosophie au collège Jehan Ango de Dieppe à partir de la fin de 1948, Limbour partage son temps entre Dieppe et Paris, où il vit dans un appartement que lui a laissé Dubuffet, 35, rue Lhomond. Durant cette période, il fait de nombreuses visites à Braque à Varengeville. Limbour apparaît ainsi comme un ami ou du moins un familier de nombreux peintres, mais également comme le témoin de leur entreprise créatrice.
26Limbour se rend en effet fréquemment dans les ateliers des peintres et met en scène son regard privilégié sur l’œuvre en train de se faire dans ses articles critiques : le titre du recueil, Dans le secret des ateliers34, convient particulièrement bien à son entreprise critique. Il y s’agit toujours de déceler le secret de la création du peintre et, dans ce cadre, les nombreuses anecdotes que rapporte Limbour prennent une fonction esthétique : puisque l’art est une transfiguration du réel, le réel qui entoure le peintre importe et témoigne indirectement du caractère de son œuvre. Le rôle des éléments biographiques est d’éclairer le mystère de la création, comme le montre ce passage d’André Beaudin :
Un très petit tableau de 1928 représente une main tendant une clef dessinée au trait noir de manière assez réaliste et provoquant ainsi un effet tant soit peu hallucinant par rapport à la main et au fond assez irréel. Comme certaines images de Beaudin, en dépit de ses tendances rationalistes, ont leur mystère, nous en sommes maintenant persuadés, mais d’une autre nature que celui surréaliste, je rappellerai qu’il habitait alors place d’Italie : sixième étage et sans ascenseur. Je ne crois pas qu’il rentrait jamais chez lui bien tard, au retour des parties d’échecs. Mais le fait de monter chaque soir à pied six étages mal éclairés (locataires et anciens visiteurs ne se souviennent plus aujourd’hui si c’était encore au gaz) et où peut-être il était parfois obligé de gratter une allumette, cela n’est pas sans importance dans la vie.35
27Le caractère vécu de l’image peinte est ce qui constitue son « mystère », et seule la familiarité du critique avec le peintre rendrait donc possible le dévoilement des sources de la création. Limbour passe ensuite de cette description à la reconstitution des sentiments du peintre : « Il y avait donc, pour le troubler, cet escalier solitaire, cette clef froide qu’il tenait déjà tendue vers une serrure lointaine et imaginée, dans une main encore sensible à la forme du cheval d’échecs […]36. » Le critique reproduit l’assimilation du réel par l’imagination du peintre grâce à sa propre imagination, grâce à une fiction, puisque, comme le souligne Käte Hamburger, le récit de pensée en est la marque même37. C’est ainsi autant son statut de créateur que de témoin qui permet à Limbour d’atteindre le secret de la peinture.
28Or c’est ce secret que chasse Limbour, d’une façon presque obsessionnelle. La critique de Limbour témoigne d’une fascination pour l’origine du tableau, que celle-ci réside dans la biographie du peintre, la technique ou les matériaux utilisés. Il s’agit toujours de savoir ce qu’il y a derrière l’œuvre qui, de ce point de vue, constitue et doit constituer une « figure de proue38 » :
Les gens imaginatifs se représentent par derrière les animaux puissants qui portaient ces trophées, et leur mort dramatique. Certains reliefs abstraits sont assez comme ces andouillers. Mais on cherche en vain à imaginer par derrière la bête ou la machine, et le cor dans la forêt.39
29La pénétration du critique dans l’intimité du peintre permet au spectateur du tableau de voir ce qu’il y a « par derrière » : il s’agit non seulement de surprendre le peintre au travail, mais surtout de lui emprunter ses méthodes pour pouvoir, à son tour, percevoir les secrets du monde et les transmettre.
30Le peintre occupe ainsi dans l’œuvre de Limbour le rôle d’un modèle. Dans « La saison des insectes », la longue citation de Masson40 et l’injonction – « Eh ! bien ! qu’on écoute Masson raconter tout ce qui peut se passer dans ces sous-champs merveilleux41 ! » – placent Masson dans une posture de maître, confortée par l’attention passionnée portée par Limbour à ses gestes : « Je le vois encore, André Masson, agenouillé sur les herbes desséchées des petits bois qui dominent la mer sur la Côte d’Azur42. » L’article n’est pas exceptionnel dans l’œuvre critique de Limbour où Masson est désigné comme un « héros de l’imagination43 », un « magnifique poète44 », un « grand poète45 » et un « grand peintre46 ». En général, les peintres les plus admirés par Limbour – Masson, Dubuffet, mais aussi Picasso ou Braque – tendent à être représentés comme des guides, des incarnations de l’essence de l’artiste, le processus de modélisation trouvant son aboutissement dans les textes de fiction.
31« Visiteurs et chantiers47 » présente en effet la figure anonyme d’un peintre qui occupe explicitement le rôle d’un initiateur. Ce peintre est d’abord introduit dans le récit d’une manière allusive et mystérieuse : « J’ai eu encore, mais un seul, un visiteur secret et privilégié48. » Très vite, ce visiteur devient le « Visiteur » à qui l’absence confère un caractère fantomatique : « Lui parti, n’était ce que mon imagination faisait vivre encore de lui (mais c’était immense et immensément plus que lui), c’était, quant à l’aspect des lieux, comme s’il ne fût jamais venu […]49. » Le récit s’organise alors autour d’un vide, la troisième pièce de l’appartement dans laquelle le Visiteur n’a jamais pénétré. L’acmé du récit consiste dans la soudaine apparition fantasmatique du Visiteur dans cette pièce :
Alors, ces lieux ravagés furent traversés par une lumière fulgurante : naissance du jour primitif dont j’avais eu le pressentiment. Toutes choses de l’univers m’apparaissaient par leurs couleurs révélées, et bien que ce fussent des apparences insignifiantes, je leur donnais pouvoir et signification en les évoquant l’une de l’autre ; je battais l’univers comme un jeu de cartes, composant les plus ensorcelantes et suggestives figures, selon des principes que mon hôte m’avait obscurément légués ; mais qui devenaient de plus en plus clairs. Car maintenant, de la troisième pièce, celle où il n’avait jamais pénétré […], mon visiteur apparaissait […]50
32Cette acmé survient après un jeu complexe d’échange de papier peint entre les deux appartements occupés par Limbour et le récit de la réfection de l’appartement parisien, et précède la rencontre du représentant en papiers peints qui clôt le récit. Il s’agit ici d’un apprentissage de la manipulation des couleurs comme moyen de mise en communication des éléments du monde – en l’occurrence des deux appartements. Or la maîtrise de la couleur est le propre du Visiteur qui, par là, est identifié à un peintre : « il était à la fois le démon et le génie de la couleur51 ». Cette qualité avait d’ailleurs déterminé Limbour à peindre ses murs en blanc pur afin de capter l’ombre colorée que le Visiteur projetait sur eux. L’entreprise réussit au point que le Visiteur – le Peintre – est happé dans la troisième pièce qui contient les récits de Limbour : les pouvoirs du peintre légués par le Visiteur à Limbour sont ainsi transférés aux récits. « Visiteurs et chantiers » symbolise le transfert des pouvoirs du peintre au poète par le biais des tableaux, représentés par les murs, le morceau de papier peint, la stèle et le linoléum. Or ce linoléum évoque un tableau de Dubuffet : « Épongé, essuyé, frotté, le linoléum survécut, rose pâle et mat comme un maillot trop souvent lavé, où se diluaient des traînées de suie et de plâtre52. » De plus, l’appartement parisien dont il est question est l’appartement de la rue Lhomond prêté par Dubuffet à Limbour, comme le confirme l’évocation de Ponge53, à qui Dubuffet avait prêté également un appartement, situé en face de celui occupé par Limbour. Pourtant, ce Visiteur est censé être mort54. Un certain mystère entoure cependant cette disparition : « Il a péri, sans nul doute, en un voyage lointain55. » Il est difficile de savoir si la locution adverbiale porte sur la mort elle-même, alors douteuse, ou sur les circonstances de la mort. En tout cas, Dubuffet est bien vivant à l’époque de la rédaction du récit, et la mort du Visiteur apparaît comme une mort – un meurtre – symbolique permettant au poète de faire siens ses pouvoirs et de devenir à son tour créateur.
33L’absorption des pouvoirs du peintre par le poète est rendue nécessaire par la décadence de la poésie : « J’ai d’abord été poète. Mais le langage exsangue vidait les choses que je sentais pleines. J’arrivais au monde au temps des dépouilles et de la pénurie, quand de la poésie il ne restait que le cadavre56. » Ce discours, prononcé par le beatnik que le personnage principal de La Chasse au mérou, Enrico, rencontre sur la route, est le discours d’un peintre adressé à un poète57. La position symétrique des deux hommes sur la route prend alors une valeur symbolique : placés face à face sous les deux seuls peupliers qui ombragent la route, les deux hommes semblent les reflets l’un de l’autre. Ici, l’opposition du poète et du peintre prend un caractère belliqueux : « Ne t’occupe pas du rationnel, bâtard idiot de la Méthode, fils de putain de Salamanque58. » Pourtant, le discours du peintre n’est pas révoqué en doute et correspond au contraire à l’esthétique mise en place par Limbour dans ses textes de critique d’art. Le peintre a accès aux rythmes du monde originel que le langage n’est pas capable d’exprimer :
Les rythmes sont apparus avec la lumière quand la matière fut projetée dans l’espace tourbillonnant, puis d’autres plus subtils, quand la Vie s’élança dans ses métamorphoses. Les premiers hommes les recueillirent en même temps que le feu […]. Si les rythmes du vers au cœur et à l’oreille de l’homme se sont usés, c’est que les commencements sont si loin que l’élan s’est amorti. […] Les grands monstres sont morts ; de nouveaux oiseaux n’apparaîtront plus […] : la nature est stérile […].59
34On retrouve très nettement dans ce passage la cosmogonie des romantiques et leur mythe d’un langage originel et motivé exprimant directement la nature et se confondant avec le langage poétique. Cependant, Limbour infléchit la théorie romantique du langage en substituant à l’opposition du langage référentiel au langage poétique celle du langage poétique exsangue au langage pictural qui permet la récupération des rythmes : « J’ai dansé. J’ai retrouvé les rythmes célestes et primordiaux, en libérant ce qu’il en reste au fond du sang60. » Cette récupération est permise par le rôle joué par le corps dans la peinture :
[…] mes poumons réapprirent à souffler ; ma bouche cracha des couleurs. Dès le matin, la tête creuse, je me jetais sur mes bouteilles et mes seaux : l’atelier sentait plus fort qu’une forêt qui monte à la tête. Accroupi, je déroulais sur le sol mes tapis que le dieu du jour enchanterait. […] J’ai coloré les absences, mastiqué le vide ; j’ai goudronné le silence ; j’ai cautérisé de sable et de céruse les blessures de ma langue […].61
35La mention du sable et la technique de la peinture soufflée renvoient à Masson, respectivement aux tableaux de sable des années vingt et à la période asiatique des années cinquante, tandis que l’allusion conjointe au goudron, au sable et à la céruse évoque Dubuffet. L’essentiel est la mise en avant des matières et l’évocation de l’automatisme, à travers la description des poils du torse du beatnik : « Je remarquais que les poils sur sa poitrine mouillée par la sueur formaient des réseaux irrationnellement organisés en champs magnétiques, semblables aux dessins des gens qui ont pris de la mescaline […]62. » On a vu cependant que l’automatisme pur, et notamment celui que permet d’atteindre la prise de drogue, n’était pas considéré par Limbour comme relevant de l’art63. L’évocation en contraste des poils de la poitrine de José semble appeler à une synthèse entre l’automatisme de la pulsion et le geste contrôlé propre à la tradition : « […] ah ! si différents de la barbe finement peignée par un ancien portraitiste entre les pectoraux de José, qui semblait porter en médaillon le double ancestral de son visage64. » La prise en compte du corps paraît ainsi pouvoir renouveler la poésie moribonde qu’incarne Salamanque :
Entre la gentillesse et l’arrogance, ils n’ont pas une idée, pas une audace, pas un caprice : même pas une invention de fleurs pour un papier mural, même pas un dessin pour un corsage, pas une forme nouvelle pour une chaussure, pas un motif neuf pour leurs éventails.65
36La matière picturale et l’engagement du corps du peintre dans la création font retrouver à l’artiste le contact avec le monde, contact qu’Enrico renoue pour sa part par l’intermédiaire du corps de Nisé.
37Il reste à comprendre l’hostilité entre Enrico et le beatnik qui se substitue à l’admiration que Limbour éprouvait pour le Visiteur. La raison en est double. D’une part, l’agressivité du beatnik est dirigée contre les dernières illusions d’Enrico sur la valeur de la capture du mérou. Si Enrico a déjà compris que la mort du mérou ne lui a pas donné accès à la poésie, il faut qu’il comprenne qu’il est lui-même le mérou et que, par conséquent, ce n’est que par son propre sacrifice qu’il peut accéder au monde, en se fondant en lui. Le cauchemar qui suit, puis le délire d’Enrico dans la voiture de Cyprien et Laura sont la conséquence de la rencontre du beatnik, Enrico s’écriant finalement : « […] pourquoi m’as-tu lancé cette flèche qui me traverse les entrailles66 ? » Mais l’hostilité, indépendamment de la diégèse, semble sourdre du refus, de la part d’Enrico et à travers lui de Limbour, d’un rapport de domination. Le beatnik proclame en effet : « La poésie s’est rendue à la peinture, c’est une légitime soumission […]67. » Or, certains critiques ont estimé que cette soumission était celle-là même de Limbour vis-à-vis de la peinture, expliquant la baisse de sa production fictionnelle au profit de la critique d’art. Pour Charles Pol, La Chasse au mérou est un enregistrement de la faillite littéraire de Limbour, et, de ce fait, le choix de la critique d’art serait une nécessité, « [s]auf à continuer d’écrire des romans, des poèmes, quand on ne croit plus ni au roman, ni au poème68 ». Mais au contraire, l’agressivité et la position symétrique des deux hommes induisent plutôt un rapport de rivalité, et à l’assertion du beatnik, Enrico répond : « Barbu de l’Arizona, tu n’es qu’un charlatan69. » Commentant cet épisode dans une lettre à Geneviève Picon, Limbour critique la peinture de Dubuffet et à travers elle la peinture contemporaine :
Bref ce Charlatan – complexe, antipathique mais qui a aussi son côté véridique attirant – n’a pas été du goût du Satrape […] qui y a vu justement d’ailleurs une remise à sa place de la peinture contemporaine, la poésie art solitaire replacée au 1er rang, sans compter que les ingrédients du Charlatan (goudron pour le silence, sable et céruse pour les blessures de la langue) sont ceux innovés par le Géant de l’Art Brut, qui met aussi comme titre à ses tableaux des poèmes.70
38Le rapport de force entre poésie et peinture dans le roman n’est pas celui-là que cherche à installer le beatnik, et si l’on considère, comme il est probable, que Limbour s’identifie à Enrico, il faut tout à la fois prendre acte du désaveu de la poésie qu’il pratiquait à Salamanque et du refus de la supériorité de la peinture. La dévoration du mérou, identifié à Dubuffet71, par Enrico, rejoint en cela le meurtre symbolique du Visiteur.
39Il s’agit ainsi, par l’assimilation des pouvoirs du peintre, de renouveler la poésie. La critique d’art constitue un laboratoire pour la fiction, qui va permettre à Limbour de comprendre la réussite du peintre dans l’accès au monde originel et de mettre au point les outils littéraires lui assurant la même réussite. Le peintre occupe en somme la fonction du médiateur que Schlegel attribue à l’artiste :
Est artiste celui qui a son centre en soi-même. Celui à qui cela fait défaut doit se choisir hors de lui un certain guide et médiateur, naturellement pas pour toujours, mais seulement pour commencer.72
40« Pour commencer », Limbour, face à la perte du pouvoir de la poésie, se tourne vers la peinture. Ce rôle privilégié de la critique d’art est confirmé par la rareté, dans la production critique de Limbour, de la critique littéraire73. Il va s’agir pour Limbour de construire un ut pictura poesis permettant de faire passer dans la poésie les moyens mis en œuvre par le tableau.
41Cette reprise textuelle du tableau est menée à bien par divers procédés. Tout d’abord, Limbour peut reprendre à son compte le sujet du tableau. Ainsi, puisque « [s] on pinceau n’a représenté que des fleurs74 », Limbour ouvre l’article consacré à Séraphine de Senlis par une longue méditation sur celles-ci :
L’homme est un prisonnier surveillé par les fleurs, qui sont des gardiennes charitables. […] Celui qui ne les aime pas, tant pis ! Il les rencontrera partout, comme un antimilitariste de jadis croisait partout des pioupious. Précisément je parle de cette époque : aux environs de 1900. À Senlis, il y avait des fleurs et de la troupe.75
42Limbour se reporte à l’origine même de l’œuvre, en se glissant à l’intérieur de la subjectivité de l’artiste76. En substituant son œil à celui du peintre, le critique réalise non pas une description du tableau, mais son équivalent :
Donc que vois-je ? Des lignes verticales et peu nettes qui séparent les maisons, des fenêtres, beaucoup de fenêtres, c’est-à-dire des rectangles peu réguliers […] et des bonshommes et des bonnes femmes dans la rue et aux fenêtres.77
43La vision de Limbour remplace celle de Dubuffet et sa description le tableau : Limbour s’approprie le processus créateur à l’origine de l’œuvre du peintre. Ainsi, puisque les toiles de Braque sont le fruit d’une longue méditation78, Limbour, à l’exemple du peintre, prend son temps : « Une digression ne serait pas mauvaise, si nous avions soin, nous aussi, de prendre notre temps79. » La digression paraît ne pas en être une, puisque le paragraphe qui suit est une description de quelques tableaux de Braque, mais le terme semble se justifier par le fait que ceux-ci sont inspirés par le paysage de Normandie, soit par le lieu où se situe l’autre atelier de Braque, à Varengeville. Mais par ce déplacement, Limbour rend compte très exactement du processus créateur de Braque, puisque celui-ci achève à Paris des toiles commencées en Normandie80. Limbour transporte son texte comme Braque transporte ses toiles, et la digression est une acclimatation littéraire de l’habitus du peintre.
44Limbour peut également recréer textuellement le style du peintre. L’article consacré à Élie Lascaux, « paysagiste de ville et de campagne81 », artiste minutieux et populaire, met l’accent sur le lieu où vit le peintre et multiplie les anecdotes, Limbour assurant en tant qu’écrivain la fonction qu’il attribue à Lascaux : « Or je crois que Lascaux est un peintre d’histoire, non pas de la grande histoire, naturellement, mais de la petite, de l’histoire sentimentale du groupe dont il fait partie82. » Les correspondances établies par Rouvre entre l’homme et le paysage sont rendues textuellement par des comparaisons : « Et il était fort surprenant […] d’entendre ce grand diable aux sourcils plus broussailleux que les fourrés habités par maintes bêtes à fourrures rousses, parler avec cette humilité d’enfant, je veux dire de saint83. » L’utilisation des images pour mettre en contact les différents règnes est un procédé bien représenté dans l’œuvre fictionnelle de Limbour, permettant la remise en mouvement de l’univers que réalise Rouvre dans ses tableaux. Des procédés plus spécifiquement picturaux exigent de la part de Limbour un plus grand travail d’adaptation. La transcription du « fendillement des surfaces84 » dans la peinture de Dado, par exemple, rend nécessaire un détour. Celui-ci est préparé par le fait que ce fendillement n’est pas un fendillement réel, mais un fendillement feint et donc, en quelque sorte, métaphorique. Limbour peut s’autoriser de cette « perversité » pour rendre à son tour le fendillement par une voie détournée, c’est-à-dire par l’omniprésence de l’image de la sécheresse qui s’appuie sur l’idée de dessiccation, elle-même évoquée métaphoriquement par le peintre :
D’ailleurs, maintes créatures […] paraissent faites de terre cuite ou d’argile sèche, donc susceptibles de se fendiller ou d’éclater. Elles souffrent d’une soif mortelle dans un pays déserté par l’eau, ravagé par la dessiccation.85
45La juxtaposition des deux participes passés permet d’établir le lien entre le point de départ de la métaphore – la dessiccation, qui constitue ici le comparé – et le comparant, la sécheresse, autour duquel se développent l’image d’un pays désertique et un embryon de récit : « La pluie […], la pluie, si elle arrivait, certes bénie, ne faudrait-il craindre, cependant, qu’elle n’amène d’autres maux imprévisibles86 ? »
46L’équivalent littéraire du tableau est créé à partir de la rêverie qu’il provoque : ce sont les images suscitées par le mot dessication qui engendrent le texte critique, et la description des toiles de Dado s’y intègre de manière à les faire apparaître comme les éléments d’un tableau plus vaste, qui serait celui de ce pays ravagé par la sécheresse qu’imagine Limbour. L’écrivain tend à se substituer au peintre, comme le montre avec une netteté particulière le texte consacré par Limbour à l’exposition « Les Miauletous et leurs amis87 ». Ce texte évoque en effet trois tableaux que n’ont pas peints Suzanne Roger, André Beaudin et Élie Lascaux :
Quant à Suzanne Roger, j’ai toujours regretté qu’elle ne fût pas là à ce moment, car j’étais venu à bicyclette, et elle m’aurait sûrement peint avec ma bicyclette. Lascaux a bien peint un sentier par lequel j’étais passé à vélo, mais pas le vélo lui-même. Quant à Beaudin, je crois qu’il n’y avait aucun espoir de ce côté-là : ce n’était pas un homme à me peindre dans le Limousin avec ma bicyclette.88
47Limbour fait de la transcription picturale de la bicyclette un moyen de différencier le style de ces trois peintres : « mon vélo posé sur le nez comme un bésicle va me permettre de mieux lire les caractères de ces trois peintres89 ». La bicyclette est ainsi métamorphosée par la plume de Limbour se substituant au pinceau de Beaudin :
S’il eût entrepris d’harmoniser mon humble vélo, chargé du péché originel de l’anecdote, à son univers purifié, élégant et équitable, il m’aurait rendu non ma poussiéreuse bicyclette en duralumin dont certaines parties ont rouillé depuis, mais une machine délivrée du temps et des chemins harassants, posée peut-être contre un arbre essentiel, dans la sereine lumière de l’esprit, une machine avec laquelle nous nous serions promenés dans les espaces spéculatifs imaginaires […].90
48Cette description est la seule des trois tableaux imaginaires évoqués au début du texte puisque Limbour ne décrit pas celui de Lascaux et que Suzanne Roger a fini par peindre la bicyclette de Limbour. Que la description se réfère à un tableau imaginaire ou à celui effectivement peint par Suzanne Roger, elle s’articule avec la réception de ce tableau, c’est-à-dire l’usage imaginaire de la bicyclette transfigurée : « Aussi cette bicyclette légendaire est-elle la seule que je saurai cueillir, non pour me rendre en Limousin où j’irai par le train, mais au rendez-vous du jugement dernier, à l’appel de la grande trompette91. » Puisque cette reprise en charge de l’œuvre d’art par l’imagination du spectateur est la marque de la réussite de l’œuvre et de son action sur le monde, le fait que Limbour assigne un tel prolongement à sa description imaginaire est le signe que le poète a égalé le peintre.
49En cela, c’est bien l’œuvre de Dubuffet qui constitue le lieu privilégié de l’initiation du poète. On a vu que l’esthétique de Dubuffet impliquait l’ouverture du tableau à l’imagination du spectateur et cherchait à provoquer le surgissement des images par une utilisation concertée de l’ambiguïté :
Il m’est apparu que les faits – les purs et simples faits – que présentent les formes et textures de ces grosses pierres pourraient faire de ces tableaux, au moins à la longue, des compagnons auxquels il serait possible de s’attacher fortement. Qu’ils pourraient être aptes à fonctionner, au moins dans certains cas, comme des supports à une cristallisation de la pensée, à la manière du grain de sable sur lequel l’huître fait sa perle.92
50Ce passage montre que « Pierres d’exercice philosophique93 » est un texte émanant directement des Pierres de Dubuffet et prolongeant leur action. Mais d’un autre côté, l’effacement du tableau-source auquel se livre Limbour en substituant dans un premier temps au tableau une pierre réelle fait du texte non plus une prolongation du tableau, mais un équivalent de celui-ci. Ce n’est pas à la suite mais à la place du peintre-Orphée que l’écrivain réveille le monde :
Rien ne saurait rendre à la pierre sa vie profonde et transfigurée qu’un art à la fois réaliste et magique. L’Orphée nous donne des pierres non apprivoisées mais tout à leur état sauvage, de sorte qu’il reste beaucoup à faire à leur possesseur […].94
51Cet art réaliste et magique devient celui de Limbour, que lui a transmis le Visiteur. La difficulté de la production d’un discours critique à partir des Pierres presque abstraites de Dubuffet a ainsi permis à Limbour une transmutation de ce discours critique en discours poétique tissé d’images et de métaphores, créant les correspondances que le tableau faisait voir95. Mais si, en général, l’art informel provoque la multiplication des images dans le discours critique96, la particularité de Limbour est la reprise dans sa production fictionnelle des modalités d’écriture et de vision apprises dans la contemplation du tableau.
52Le primat de la peinture sur la poésie est en effet tout à fait transitoire : la contemplation du tableau permet une conversion du regard qui est reporté sur le monde. Le poète au regard émerveillé est alors à même de faire apparaître le réel dans la fraîcheur de son origine. Si c’est à travers la peinture que Limbour cherche le secret de la poésie, poésie ne renvoie pas tant à l’art littéraire qu’au point commun qui réunit les arts. La poésie est « l’art par excellence97 », mais Limbour souligne que « tous les arts – poésie comprise – sont solidaires98 ». Le « grand peintre99 » est donc en même temps un « grand poète100 ». C’est dans un article consacré à la peinture chinoise101 que Limbour définit le plus clairement les rapports qu’entretiennent pour lui la peinture et la poésie. Ces peintures sont accompagnées d’une légende calligraphiée, et Limbour admire la fusion sur le papier de la peinture et des caractères « qui forment tout un vol d’insectes merveilleux gracieusement rangés en lignes comme la pluie du printemps et qui vont tomber dans les corolles des fleurs102 ». Le signe, qui est opaque pour les « illettrés d’Europe103 », prend une valeur uniquement plastique, et cependant, malgré cette opacité, c’est lui qui donne à la peinture sa signification :
En vérité, nous le sentons bien, il faut renverser l’ordre des significations : ce n’est pas un poème qui a pris forme de dessin et de bêtes, c’est au contraire la pluie, et le vol délicieux de ces insectes sombres qui s’est offert le luxe – privilège de la Chine – de prendre une signification poétique verbale. Retirons ces inscriptions, le rouleau se vide, perd sa couleur.104
53Puisque les idéogrammes ne sont pas compris, la signification dont il est ici question n’est pas le signifié du triangle sémiotique, mais se rapproche de la signifiance telle qu’elle est définie par Barthes. La signifiance ou « sens obtus » ou encore le « troisième sens » est « une émotion-valeur, une évaluation105 » qui porte sur le signifiant et s’enracine dans le manque de la signification :
[…] le signifiant (le troisième sens) ne se remplit pas ; il est dans un état permanent de déplétion […] ; on pourrait dire aussi, à l’opposé – et ce serait tout aussi juste –, que ce même signifiant ne se vide pas (n’arrive pas à se vider) ; il se maintient en état d’éréthisme perpétuel ; en lui le désir n’aboutit pas à ce spasme du signifié, qui, d’ordinaire, fait retomber voluptueusement le sujet dans la paix des nominations. Enfin le sens obtus peut être vu comme un accent, la forme même d’une émergence, d’un pli (voire d’un faux pli), dont est marquée la lourde nappe des informations et des significations.106
54La signifiance, forçant à une « saisie “poétique”107 », est un phénomène de réception, et chez Limbour elle semble bien se confondre avec la poésie, qui se place dès lors non du côté de la création, mais de celui de l’effet. L’infinition de la saisie du tableau relève de la « poésie de la peinture » et la production d’images qu’elle génère est le fruit de la signifiance poétique : le signifiant – le tableau – est d’une part un vide qui appelle les images, et de l’autre un plein qu’aucune contemplation ne peut épuiser. L’idéogramme dans la peinture chinoise est l’exemple même de ce signifiant paradoxal et, par là, de la poésie : il est vide pour le spectateur occidental qui a dans le même temps conscience de sa plénitude significative qu’il ne peut par définition épuiser. C’est à partir de ce signe opaque que se dévoile l’union de la littérature et de la peinture dans la poésie, qui se signale, comme chez Barthes, par l’émotion ressentie108 et définit tout à la fois un rapport au monde et un critérium de l’art. Cette émotion se combine, voire s’identifie, avec l’émerveillement. Ce regard émerveillé de Limbour sur la peinture a frappé ses proches :
Critique d’art ? le mot convient mal. […] Amoureux de la peinture. Soucieux de faire partager ses amours. […]
De cet amour, une certaine année, j’ai eu la révélation physique quand, au Prado, me tenant par l’épaule, il m’entraîne devant les toiles de Velázquez. Il ne se contient plus, il se met à pousser des cris, il exécute une gigue à se demander s’il n’est pas devenu fou. Nous ne sommes pas seuls. Les touristes, mine compassée, se détournent.109
55La peinture produit une modification du regard et constitue une « école de l’enchantement110 » ; le choix de reprendre comme titre d’article celui d’une toile d’Ernst, Mundus est fabula, fait de cette métaphore une clé de la vision de Limbour : le monde est une fable, le monde doit être vu dans l’enchantement de la fable. La peinture ramène à la fraîcheur de la vision de l’enfance, et si la peinture de Picasso évoque la boule de verre argenté de l’enfance de Limbour111, c’est que la peinture est ce monde de l’enfance, et qu’à l’inverse l’enfant est le prototype du peintre. Malgré les réticences de Limbour envers la valeur de l’art enfantin, l’enfant fournit en effet le modèle d’un regard sur le monde :
L’enfant ne voit pas l’univers à travers les cadres tout faits fournis par l’éducation. Il le peuple de ses génies préférés ; il anime l’inanimé. Peu enclin au raisonnement abstrait et ne retenant des choses que ce qui a frappé sa sensibilité, il est artiste. Il ignore la nécessité ; les lois du réel qu’il n’a pas encore découvertes ne viennent pas contredire la totale liberté du monde où il se complaît. Son imagination lui tient lieu d’expérience.112
56Le regard de l’enfant est le regard de la première fois, un regard qui retrouve naturellement la fraîcheur du monde originel : « L’Enfance voit le Monde illustré, le Monde avec ses couleurs premières, ses couleurs vraies. Le grand autrefois que nous revivons en rêvant à nos souvenirs d’enfance est bien le monde de la première fois113. » Il s’agit alors de retrouver par la rêverie ce regard enchanteur : « Seul, l’enfant permanent, peut nous rendre le monde fabuleux114. » Cette valorisation de l’enfance rattache une nouvelle fois Limbour au romantisme allemand, et ce de façon explicite :
Au cours du xixe siècle, les romantiques et en particulier les romantiques allemands découvraient un monde encore inexploré : le rêve. Depuis lors, les psychologues ont étudié les lois de ce domaine étrange, tandis que les poètes y trouvaient une riche source d’inspiration.
L’attirance des mystérieuses et suggestives images issues de l’inconscient, leur spontanéité, leur fraîcheur, leur éloignement de la pensée logique, engagea l’écrivain à se pencher avec une curiosité toute nouvelle sur un état d’une extrême fragilité et qui n’est pas sans présenter quelques rapports avec le rêve : l’enfance.115
57Par la peinture, Limbour cherche à retrouver le regard de l’enfance, l’expérience de la contemplation de la boule de verre. Dans l’œuvre de Limbour, le début du récit « Le calligraphe » témoigne de la réussite de cette conversion du regard :
J’ai employé, trop souvent sans doute […] les mots les plus faciles, les épithètes convenues. Je les ai même répétés au risque qu’ils te lassent. Ils m’enchantaient. Pourquoi chercher d’autres mots que ceux qui ont été roulés dans la joie séculaire des hommes, lorsque nous-mêmes, fugitifs moments, sommes emportés par la même splendide vague anonyme soulevée du fond des âges, d’autres mots que : merveilleux, magnifique, féerique même […] ?116
58L’enchantement du regard se traduit par les mots les plus simples, qui expriment la joie immémoriale, la joie de l’homme du premier jour, la joie de l’enfance du monde. Limbour apparaît ainsi retrouver dans la simplicité de l’enfance le langage originel recherché par les romantiques allemands.
59L’émerveillement du peintre fait que le tableau n’est pas une représentation, mais une présentation d’un monde en surgissement : la « poésie » du tableau est « un don de la présence et de l’apparition117 ». Le terme apparition, sous la plume de Limbour, doit être pris au sens étymologique d’« épiphanie » :
[…] il y a dans toute l’instrumentation picturale du Satrape un certain désaccord volontaire, subtil et savant, d’où vient sa très particulière musique : désaccord entre la façon de représenter et la réalité évoquée […]. Il y a même une opposition au premier abord absurde entre ces deux contenus du tableau, qui produisent dans notre esprit une sorte de conflagration, propice à une apparition plus puissante et plus étreignante du réel.118
60Cette conception de l’art comme apparition tend à assimiler le tableau à une scène : « ces êtres errent dans un monde irréel, évoluent sur une scène de rêve où ils nous offrent une comédie119 ». Limbour reporte sur le monde le regard émerveillé qu’il porte sur le tableau et transforme celui-ci en une scène où survient l’épiphanie du réel. C’est tout l’enjeu d’Élocoquente120, l’unique pièce de théâtre écrite par Limbour : la scène de théâtre est ce lieu où le langage devient visible et où s’expose l’articulation de la peinture et de la poésie121. Les deux premières scènes d’Élocoquente montrent un orateur bègue, Pataclès, qui travaille son élocution face à la mer en mettant dans sa bouche des galets de différentes couleurs, sous l’œil de Polydore. Or, le résultat de cet exercice n’est pas de résoudre le bégaiement de Pataclès, mais de faire apparaître sur la surface de la mer le stade évoqué par son discours : « Voilà qu’il fait flotter un stade comme une île pleine de jeunes gens ! Voilà qu’il fait chanter la mer122 ! » La méthode employée par Pataclès puis Polydore pour susciter ces apparitions combine le pouvoir des mots à celui de la peinture :
À moi le marbre blanc et le noir éthiopien. Pataclès voulait se limiter au gris ? Il voyait avant tout dans cette mastication un procédé mécanique qui pût éclaircir la bouillie de ses phrases ? Pour moi ce sera magique et sans restriction ! Le bleu, le violet, le rose ibis ! Tiens, suce goulûment ! Le vert, le jaune et la pourpre sanglante !123
61La mastication des galets multicolores redonne au langage son pouvoir évocateur et la nature de l’apparition est déterminée autant par la signification des mots que par la couleur des galets. Les galets noirs engendrent un discours funèbre, et le mélange des couleurs effectué par Polydore fait surgir les dieux de l’imaginaire, c’est-à-dire les êtres polymorphes par excellence. Cette méthode de régénération du langage par la matérialité de son vecteur renvoie à l’entreprise du beatnik, le poète devenu peintre. Polydore proclame en effet : « Je concasse le Chaos, je mâche les Origines, je mastique la Légende, je broie les Symboles, je malaxe le Mythe, j’engouffre la Lumière124. » Le beatnik, de son côté, déclare : « Mes poumons réapprirent à souffler ; ma bouche cracha des couleurs. […] J’ai coloré des absences, mastiqué le vide […]125. » La peinture du beatnik vient de la bouche, et la production du discours renvoie au broyage des pigments. Dans les deux cas, la réussite de l’art est le fruit d’une mastication des origines, d’une absorption par l’artiste d’un monde originel, ensuite projeté sur la surface de la mer ou de la toile. Pour reprendre la métaphore employée par Limbour dans Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, le monde est transformé en pâte que le spectateur doit cuire. L’art réaliste et magique de Georges Limbour trouve à la fois sa théorie et ses moyens dans la peinture et l’importance prise par les textes de critique d’art après la Seconde Guerre mondiale ne signifie pas un renoncement à la création poétique : elle est la marque d’une réflexion sur la signification de l’acte créateur qui est prolongée et accompagnée par une pratique poétique. Cette réflexion éclaire en outre la production antérieure en mettant en valeur la valeur formatrice de l’époque de la rue Blomet et la cohérence de l’œuvre où poétique et esthétique sont indissociables : à la façon d’À la recherche du temps perdu, c’est dans une large mesure la réflexion esthétique qui nourrit la création poétique et détermine la structure globale de l’œuvre.
Notes de bas de page
1 Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, op. cit., p. 89.
2 Ibid., p. 89-90.
3 « Tout autre », Les Lettres nouvelles, art. cité, p. 31.
4 « Aperçus sur la vie d’un Satrape & sur divers modes de Gouvernement du réel », Viridis Candela, art. cité, p. 28.
5 Sartre montre en effet que c’est l’intention – au sens husserlien – qui constitue l’image à partir d’un dessin schématique : « […] ce qui constitue l’image et supplée à toutes les défaillances de la perception, c’est l’intention. » J.-P. Sartre, L’Imaginaire (1940), Paris, Gallimard, « Folio essais », 2000, p. 64-65.
6 « Aperçus sur la vie d’un Satrape & sur divers modes de Gouvernement du réel », Viridis Candela, art. cité, p. 28.
7 « Ce sont des édifices […] totalement dénués de “fonctions” comme ils disent […], et pour employer un terme du Suisse qui disait que les constructions étaient des machines à habiter, (et ici le mot machine n’a pas de sens) ce sont des machines à imaginer […]. » Lettre de G. Limbour à J. Dubuffet (1968), publiée par M. Colin‑Picon, Georges Limbour : le songe autobiographique (Pleine Marge), op. cit., p. 125.
8 « Autour d’une cafetière et d’un miroir », Action, no 43, 29 juin 1945, p. 8. Il s’agit des traces laissées par le pinceau ou le couteau de Picasso dans la pâte.
9 « Le cubisme », Action, no 39, 1er juin 1945, p. 8. L’attaque est dirigée contre le futurisme.
10 Jean Laude voit dans l’automatisme pratiqué par Masson dès 1924 l’origine de cette évolution : voir J. Laude, « Problèmes de la peinture en Europe et aux États-Unis (1944-1951) », Art et idéologies. L’Art en Occident. 1945-1949. Actes du troisième colloque d’Histoire de l’art contemporain (musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 18-20 novembre 1976), Saint-Étienne, Centre interdisciplinaire d’étude et de recherche sur l’expression contemporaine (Ciérec), « Travaux », 1978, p. 69.
11 Lettre de G. Limbour à P. Waldberg, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, ms. no 41 922.
12 « Jean Dubuffet », Retrospective exhibition 1943-1959, postface du catalogue de l’exposition, New-York, galerie Pierre Matisse, 10 novembre au 12 décembre 1959 [non paginé].
13 C’est d’ailleurs cette critique de poète que Dubuffet lui-même appelle de ses vœux : « Il faut que les auteurs se souviennent d’être poètes avant toutes choses […]. Pas experts, pas savants, mais : poètes. Et se souviennent qu’un morceau de critique d’art doit être d’abord lui-même une œuvre d’art. » Lettre de J. Dubuffet à J. Paulhan (25 avril 1944), Correspondance 1944-1968, J. Dubuffet et J. Paulhan, op. cit., p. 83.
14 « Hommage aux poètes », L’Arc, no 10, printemps 1960, p. 2.
15 « Deux sculpteurs : Henry Moore, Adam », Les Temps modernes, no 51, janvier 1950, p. 1325.
16 Ibid., p. 1327.
17 « Hommage aux poètes », L’Arc, art. cité, p. 2.
18 Ibid.
19 U. Eco, Lector in fabula. Le Rôle du lecteur ou la Coopération interprétative dans les textes narratifs (1979), traduit de l’italien par M. Bouzaher, Paris, Le Livre de Poche, « Biblio essais », 2004, p. 73-74.
20 Suzanne Roger. Peintures et dessins 1958-1969, Paris, galerie Louise Leiris, 25 avril-30 mai 1969, p. 6. p. 216. Le Traité de la peinture fait partie des lectures du cercle de la rue Blomet, voir M. Leiris, « Éléments pour une biographie », André Masson, textes de J.-L. Barrault, G. Bataille, R. Desnos, P. Éluard, A. Guerne, P. Jean-Jouve, M. Landsberg, M. Leiris, G. Limbour, B. Péret, Rouen, Armand Salacrou, 1940, p. 10.
21 Léonard de Vinci, Traité de la peinture, textes traduits et commentés par A. Chastel, nouvelle édition revue, corrigée et augmentée par C. Lorgues, Paris, Calmann-Lévy, 2003,
22 « Paul Klee », Documents, art. cité, p. 53-54.
23 « Pierres d’exercice philosophique », Les Temps modernes, no 91, juin 1953, p. 1991-2001.
24 Ibid., p. 1992-1993.
25 Ibid., p. 1993.
26 Ibid.
27 Ibid., p. 1994.
28 Ibid.
29 G. Bachelard, La Poétique de la rêverie (1960), Paris, PUF, « Quadrige », 1999, p. 34-35.
30 « François Fiedler sort de ses bois », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 30, 18 novembre 1959, p. 29.
31 « Le cubisme », Les Temps modernes, art. cité, p. 1648.
32 Les éléments biographiques qui suivent sont essentiellement tirés de la thèse de M. Colin-Picon, Georges Limbour : le songe autobiographique, op. cit.
33 Quelques lettres ont été publiées par Martine Colin-Picon dans Georges Limbour : le songe autobiographique (Pleine Marge), op. cit., p. 107-129. Cette correspondance est conservée à la bibliothèque municipale du Havre et à la Fondation Dubuffet.
34 Ce titre est emprunté à un article consacré à Laurens qui n’y est pas repris : « Sculptures d’Henri Laurens », Action, art. cité.
35 André Beaudin, op. cit., p. 13.
36 Ibid.
37 « La fiction épique est le seul espace cognitif où le Je-Origine (la subjectivité) d’une tierce personne peut être représenté comme tel. » K. Hamburger, Logique des genres littéraires (1957), traduit de l’allemand par P. Cadiot, préface de G. Genette, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1986, p. 88.
38 « Figures de proue » (Action, no 152, 29 août 1947, p. 12), Le Carnaval et les civilisés, Paris, L’Élocoquent, 1986, p. 39-40.
39 Ibid., p. 40.
40 « La saison des insectes », André Masson (1940), op. cit., p. 101-102.
41 Ibid., p. 102.
42 Ibid., p. 101.
43 « André Masson, dans le feu de l’inspiration », Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 18.
44 « Une mythologie des insectes », Action, no 53, 7 septembre 1945, p. 8.
45 « André Masson », Action, no 69, 28 décembre 1945, p. 17.
46 Ibid.
47 « Visiteurs et chantiers » (Botteghe Oscure, no 9, 1952, p. 369-384, texte de 1951), Contes et récits, op. cit., p. 131-156.
48 Ibid., p. 136.
49 Ibid., p. 141.
50 Ibid., p. 153.
51 Ibid., p. 142.
52 Ibid., p. 153.
53 « […] je vais voir Francis Ponge qui habitait en face. » Ibid., p. 140.
54 « […] je ne pouvais plus penser qu’à la mort de mon visiteur. » Ibid., p. 152.
55 Ibid., p. 140.
56 La Chasse au mérou, Paris, Gallimard, 1963, p. 122.
57 En effet, Enrico est présenté comme poète dans la première phrase du roman : « Pauvre étudiant de Salamanque, j’ai laissé pour un mois d’été ma vieille université grâce à un prix, assez chiche, reçu pour un poème savant à l’imitation de nos anciens poètes d’or […]. » Ibid., p. 7. Le beatnik, lui, après l’échec de son expérience poétique, s’est fait peintre : « Ma vie ne fut pas perdue, mais retrouvée : je me suis fait peintre. » Ibid., p. 125.
58 Ibid., p. 119.
59 Ibid., p. 123-124.
60 Ibid., p. 126.
61 Ibid.
62 Ibid., p. 127.
63 Voir « Kabouki et mescaline », France-Observateur, art. cité.
64 . La Chasse au mérou, op. cit., p. 127.
65 Ibid., p. 21.
66 Ibid., p. 143
67 Ibid., p. 127.
68 C. Pol, Georges Limbour jongleur surréaliste, op. cit., p. 48.
69 La Chasse au mérou, op. cit., p. 127.
70 Lettre à Geneviève Picon [1962], fonds Limbour-Picon, bibliothèque municipale du Havre, no 208. Cette lettre est reproduite intégralement par M. Colin-Picon, Georges Limbour : le songe autobiographique (Pleine Marge), op. cit., p. 139-141. L’esthétique exprimée par le beatnik est pourtant celle que développe Limbour dans ses textes de critique d’art : on perçoit ici toute la complexité de ce dernier roman de Limbour et peut-être également la complexité du rapport de Limbour à Dubuffet.
71 « […] c’est au centre de cette cérémonie qu’apparaît un “satrape fessu” dans lequel Dubuffet reconnaît son image confondue à celle tyrannique de Franco […]. » M. Colin-Picon, Georges Limbour : le songe autobiographique (Pleine Marge), op. cit., p. 138. Jean Dubuffet occupe le rang de Satrape au sein du Collège de ‘Pataphysique et Limbour donne souvent ce titre à Dubuffet dans les lettres qu’il lui adresse, mais rien ne dit que cette assimilation aille au-delà de la « facétie » selon le terme employé par Limbour dans la lettre adressée en 1962 à Geneviève Picon, mais aussi dans une lettre à Michel Leiris (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, ms. no 43 777).
72 . F. Schlegel, « Idées », L’Absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand, présenté par P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy avec la collaboration d’A.-M. Lang, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1978, p. 210.
73 Voir la rubrique « Critique littéraire » de la bibliographie de Georges Limbour.
74 « Séraphine de Senlis », Action, no 60, 26 octobre 1945, p. 12.
75 Ibid.
76 « J’imagine les maintes prairies, les divers jardins, chacun monotone comme un immense champ d’orangers, qui devinrent, sur les murailles de ces dames, sa promenade quotidienne. (Peut‑être, après tout, que cette mystique ne les vit même pas, mais je peux néanmoins l’imaginer.) » Ibid.
77 « Révélation d’un peintre : Jean Dubuffet », Critique, art. cité, p. 877.
78 « Nous savons que chaque toile a été longuement méditée, imprégnée d’une longue expérience de sensations et d’idées. » « L’atelier parisien de Georges Braque » (Derrière le miroir, no 85-86, avril-mai 1956), Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 30.
79 Ibid., p. 31.
80 Ibid., p. 30.
81 « Un peintre sans atelier » (Action, no 106, 13 septembre 1946, p. 14), Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 35.
82 « Suzanne Roger, André Beaudin, Élie Lascault [sic] » (Les Miauletous et leurs amis, Limoges, 14 juin-14 septembre 1958), Critique, no 351-352, août-septembre 1976, p. 881. Je corrigerai à partir d’ici « Lascault » en « Lascaux ». Les Miauletous sont les habitants de Saint-Léonard-de-Noblat où Kahnweiler s’est réfugié durant la Seconde Guerre mondiale. Voir P. Assouline, L’Homme de l’art. D.-H. Kahnweiler, 1884-1979, op. cit., en particulier « L’exil intérieur », p. 495-541.
83 « La chasse fabuleuse d’Yves Rouvre », Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 81.
84 Dado, Francfort-sur-le-Main, galerie Daniel Cordier, novembre 1960 [non paginé].
85 Ibid.
86 Ibid.
87 « Suzanne Roger, André Beaudin, Élie Lascaux », Critique, art. cité, p. 880-882.
88 Ibid., p. 880.
89 Ibid.
90 Ibid., p. 882.
91 Ibid. Limbour évoque ici le tableau de Suzanne Roger.
92 J. Dubuffet, « Tables paysagées, paysages du mental, pierres philosophiques » (1952), Prospectus et tous écrits suivants, vol. II, op. cit., p. 82.
93 « Pierres d’exercice philosophique », Les Temps modernes, art. cité.
94 Ibid., p. 1994.
95 « L’intérêt passionné que les écrivains ont pu porter à la nouvelle peinture a peut-être trouvé sa source, ou du moins un aliment substantiel, dans cette remise en question du langage impliquée par le travail des peintres. » B. Vouilloux, La Peinture dans le texte, xviiie-xxe siècles, Paris, CNRS Éditions, « CNRS Langages », 2000, p. 93.
96 Voir, par exemple, J. Audiberti et C. Bryen, L’Ouvre-boîte, Paris, Gallimard, 1952.
97 « L’art et la machine », Derrière le miroir, no 87-88-89, juin-juillet-août 1956 [non paginé].
98 Ibid.
99 « André Masson », Action, art. cité, p. 17.
100 Ibid.
101 « En images comme en paroles », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 35, 23 décembre 1959, p. 26-28.
102 Ibid., p. 27.
103 Ibid., p. 28.
104 . Ibid., p. 27-28.
105 R. Barthes, « Le troisième sens » (1970), Œuvres complètes, nouvelle édition revue, corrigée et présentée par É. Marty, 5 vol., Paris, Le Seuil, vol. III, 2002, p. 493.
106 Ibid., p. 501.
107 Ibid., p. 487.
108 Voir Suzanne Roger, Peintures, 1923-1958, Paris, galerie Louise Leiris, 18 avril-17 mai 1958, [non paginé].
109 M. Nadeau, Grâces leur soient rendues, Paris, Albin Michel, 1990, p. 402.
110 « Mundus est fabula », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 31, 25 novembre 1959, p. 27.
111 « Sa galerie de portraits nous emmène dans un monde à la fois diabolique et féerique qui me rappelle, toutes proportions gardées, ce pays de rêve, d’une intense poésie et non dénué souvent de méchanceté, qui nous ravissait, enfants, lorsque nous le découvrions dans une énorme boule de verre argenté posée au milieu d’une pelouse […]. » « Picasso au Salon d’automne », Le Spectateur des arts, no 1, décembre 1944, p. 5.
112 « Peintures d’enfants », Action, no 49, 10 août 1945, p. 8.
113 G. Bachelard, La Poétique de la rêverie, op. cit., p. 101.
114 Ibid., p. 101-102.
115 « Peintures d’enfants », Action, art. cité, p. 8. L’association de l’inconscient, du rêve et de l’enfance évoque le Manifeste du surréalisme : « L’esprit qui plonge dans le surréalisme revit avec exaltation la meilleure part de son enfance. […] C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la “vraie vie” […]. » A. Breton, Manifeste du surréalisme, dans Œuvres complètes, op. cit., t. 1, p. 340. L’absence de la référence au surréalisme dans l’article de Limbour correspond à une tendance générale à l’effacement de son passage par le mouvement.
116 « Le calligraphe » (Paris, galerie Louise Leiris, 1959, lithographies originales d’André Beaudin), Soleils bas (1972), Paris, Gallimard, « Poésie/Gallimard », 1992, p. 88.
117 « Le cubisme », Les Temps modernes, art. cité, p. 1648.
118 « Aperçus sur la vie d’un Satrape & sur divers modes de Gouvernement du réel », Viridis Candela, art. cité, p. 17.
119 « Jean Dubuffet : l’Hourloupe ou l’envoûtement », XXe siècle, no 24, décembre 1964, p. 33.
120 Élocoquente (1949-1950), Paris, Gallimard, « Le manteau d’Arlequin », 1967.
121 Cette articulation est d’ailleurs concrète, puisque c’est André Masson qui a réalisé les décors et les costumes de la pièce.
122 Ibid., acte I, sc. ii, p. 14-15.
123 Ibid., acte I, sc. iii, p. 16.
124 Ibid., p. 17.
125 La Chasse au mérou, op. cit., p. 126.
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