2. L’imagination créatrice
p. 51-75
Texte intégral
1Si son opposition à l’abstraction attire l’esthétique de Limbour du côté du réalisme, ce réalisme ne peut en aucun cas être assimilé au « nouveau réalisme » tel qu’il est défini à la fin des années quarante : il entretient un rapport étroit avec l’imagination qui produit une transfiguration du réel révélant les secrets du monde. La recréation de la réalité originelle par l’imagination, nœud de l’esthétique de Limbour comme de l’esthétique du romantisme allemand, fait du tableau, plutôt qu’un aboutissement, une voie d’accès à cette réalité. Le romantisme allemand sera ici essentiellement représenté par Schelling qui, en tant que maître de la philosophie de la nature, offre une version particulièrement développée de la vision romantique du cosmos, en grande partie partagée par Friedrich Schlegel et Novalis.
La reine des facultés
2Si l’étude de la position de Limbour face à l’abstraction a montré qu’imaginaire tendait à être opposé à réel et devenir le synonyme d’abstrait, il n’en va pas de même lorsque Limbour renvoie par ce terme à la faculté imaginative :
Klee peint le monde sensible et visible (car on ne peut pas peindre l’invisible !) mélangé d’imaginaire, car comment représenter le monde autrement que par l’imaginaire ? Il peint des spectacles assez secrets, les fleurs la nuit, le fond de la mer, et même, oui, de l’invisible, car il possède un réactif qui rend toute réalité visible : c’est là un de ses secrets, et l’on voit bien que c’est tout l’opposé du magicien banal, le pouvoir inverse à celui de l’anneau de Gygès : Klee sait rendre, quand il en a besoin, visible l’invisible.1
3La répétition du terme imaginaire fait apparaître un changement de son sens. La première occurrence l’inscrit dans une opposition avec le « monde sensible et visible », soit avec le réel concret. La deuxième occurrence fait de lui une faculté, et même la faculté essentielle pour le peintre, puisqu’elle seule peut permettre de « représenter le monde ». La suite du texte précise de manière implicite le rôle de cette faculté : rendre « visible l’invisible », rendre l’abstrait, l’imaginaire « sensible et visible ». À l’inverse, la faculté imaginative permet de faire passer le réel concret dans l’espace du tableau : « Cela n’était possible qu’en dématérialisant en partie la nature, en lui faisant subir une transsubstantiation2. » La faculté imaginative se conçoit ainsi en rapport avec le réel et comme le lieu d’un passage. L’emploi du terme imaginaire pour renvoyer à la faculté imaginative est peu fréquent chez Limbour et, conformément à l’usage, il emploie généralement dans ce cas le terme imagination qui est la faculté essentielle du peintre, puisque c’est elle qui autorise le processus même de la représentation :
La peinture exigeant une difficile transposition (et c’est là que se révèle l’imagination du créateur), l’artiste ne peut trouver instantanément le signe par lequel il exprimera le réel et le fera entrer dans sa manière.3
4La qualité esthétique renvoie à la qualité d’imagination, et le talent d’un peintre se mesurera à l’aune de sa puissance d’imagination. L’admiration de Limbour pour André Masson, « le héros de l’imagination4 », se traduit par la mise en avant incessante de cette faculté qui caractérise le grand artiste.
5Le primat de l’imagination, qui est, pour Limbour comme pour les romantiques, la faculté créatrice par excellence, la « reine des facultés5 », a pour conséquence la mise au second plan de la technique picturale dont Limbour est pourtant un excellent connaisseur. Il condamne l’innovation technique lorsque celle-ci fait tout le sujet du tableau6 et loue à l’inverse Beaudin de s’en tenir à la peinture à l’huile, le traditionalisme de la technique permettant au spectateur de percevoir l’essentiel, la qualité de l’imagination7. Il conclut : « Pour un esprit riche, de la matière pauvre8. » La pique une nouvelle fois adressée aux tenants de la « matière » en peinture pose la question de la prise en compte de la technique de Dubuffet, considéré par Limbour lui-même comme l’initiateur de ce « matiérisme9 ». Or, si Limbour, notamment dans Tableau bon levain et Le Recensement universel10, décrit avec minutie les différentes techniques inventées par Dubuffet, il refuse à maintes reprises d’évoquer en premier lieu ces techniques auxquelles la critique n’a que trop tendance à consacrer toute son attention :
Il y a des gens qui aiment entrer dans les théâtres par la porte de derrière et voir le spectacle des coulisses : ce qu’ils aiment c’est la machinerie. Comment fonctionnent les marionnettes ? Ah ! que de fils, de pièces de bois ! Ces gens sont des ingénieurs. Voilà pour eux le secret des arts ! La technique ! Pouah ! Quelle époque ! […]
Pour ce nouveau spectacle de Jean Dubuffet, je veux tout de suite m’installer dans un fauteuil. J’irai plus tard dans les coulisses.11
6Limbour porte pourtant intérêt aux innovations techniques des peintres, mais celles-ci doivent toujours être subordonnées à l’imagination : « Les différentes inventions techniques sont pour Max Ernst des moyens d’exalter son pouvoir visionnaire12 ». La technique est ainsi prise en compte par Limbour en tant qu’elle peut constituer un tremplin pour l’imagination, soit par les possibilités qu’elle ouvre, soit par les contraintes qu’elle crée13.
7Pour Limbour donc, comme pour Delacroix selon Baudelaire, « toutes les parties de l’art, dont l’un prend celle-ci et l’autre celle-là pour la principale […] ne sont […] que les très humbles servantes d’une faculté unique et supérieure14 », l’imagination. Or, l’imagination, qui est pour Baudelaire la source du « monde nouveau15 » qu’est l’œuvre d’art, se confond avec la puissance créatrice de la nature elle-même, avec la natura naturans16. Plus qu’une faculté créatrice, l’imagination est une faculté démiurgique par l’exercice de laquelle l’artiste recrée le monde à neuf :
Dubuffet nous fait assister à la genèse du monde, se plaçant successivement, puis simultanément à trois niveaux d’être différents : plongé d’abord dans le flux de la matière continue, indifférenciée et informe, condition générale de l’apparition des êtres, il fait ensuite surgir, au cœur de ce magma primitif, l’objet en général qui ne prend pas encore de configuration bien définie, enfin apparaître des objets, archétypes d’êtres déterminés, portant en eux la possibilité d’une individuation future.17
8Le travail de la matière par Dubuffet fait de lui le démiurge par excellence. Mais si l’artiste doit « recréer le monde par une autre démiurgie18 », cette démiurgie ne consiste pas en une création ex nihilo :
Mais comme toutes nos émotions nous viennent du dehors et que l’homme n’a jamais été capable d’inventer une émotion ou un sentiment qui lui serait venu de rien, de son intérieur, de ce néant absolu qu’il est sans les choses et les sensations, je ne crois pas qu’en peinture nous puissions tirer de notre seule imagination des formes véritablement nouvelles, ni surtout riches de contenu affectif.19
9Ainsi, entre les « deux lectures possibles de la théorie de l’imagination productive20 » que distingue Schaeffer au sein du romantisme allemand, Limbour choisit de privilégier sa position d’intermédiaire entre la sensibilité et l’intellect, reprise du schématisme kantien, plutôt que son autonomie vis-à-vis du monde extérieur : l’imagination pour Limbour est une puissance modelante, figuratrice, plutôt qu’une force de créativité absolue.
10La représentation passe par le filtre de l’imagination, qui, étant ce pouvoir de se désengluer de la saisie immédiate des choses, permet d’intensifier la perception du réel, de lui rendre ce que Leiris appelle la « présence » :
Au point, du moins, où en est arrivée la peinture, ne faut-il pas qu’il y ait dans la figuration un écart – une divergence – tel que le substitut proposé d’une réalité soit soustrait à la masse des perceptions usuelles qui font que, dans l’existence courante, on cesse presque de la voir ?21
11Cet éloignement du réel est un éloignement des apparences des choses qui, métamorphosées, révèlent leur réalité profonde. Limbour note, à propos d’un des paysagistes abstraits qu’il aime le mieux, Tal Coat :
Il serait paradoxal de présenter Tal Coat comme un paysagiste ; le paysage moderne n’est plus un spectacle, même plus une recréation ; à peine une allusion à l’objet, ce qui est peint, c’est la manière qu’à l’esprit de le digérer, de le dissoudre, de l’assimiler.22
12Pourtant, malgré cette disparition apparente de l’objet, « la terre du labour est bien présente23 » : le réel n’est pas dissous, mais transfiguré. L’imaginaire est le terme d’un processus dont l’agent est l’imagination. Le titre d’une série de tableaux de Peverelli, Chrysalides, permet à Limbour d’assimiler le processus créateur à la métamorphose de la larve : « Les objets, de leur réalité ne conservent que les contours, leur substance est métamorphosée ; ils changent de corps et de leur être ancien ne gardent que le concept et le nom24. » Mais si la transfiguration est le fruit de l’action de l’imagination, elle est contrainte par la nature de la représentation picturale :
On fait passer les objets de l’espace quotidien à trois dimensions à l’espace pictural à deux dimensions. Et si la poésie consiste à opérer ce singulier transfert avec tout ce qu’il comporte de déformations et de nouvelles couleurs, à quoi bon chercher des objets rares ?25
13Cependant, la métamorphose du réel, induite par le passage de celui-ci dans l’espace à deux dimensions de la peinture, n’en prend pas moins son sens seulement dans le cadre de l’esthétique de l’imaginaire : les lois de cette déformation ne sont pas données par l’espace pictural, mais par l’imagination. Dans son article intitulé « La vérité dans l’imagination26 », Limbour oppose de la sorte deux formes de transposition du réel. La transposition qu’effectue Pignon est nécessaire :
Ce qui nous touche chez Pignon, c’est qu’il atteint, par des moyens simples et non truqués, une vérité d’une grande intensité dramatique. Si ses couleurs ne sont pas réelles, elles sont vraies. L’émotion naît de cette transposition qui, là, a un sens profond, une évidente nécessité.27
14À l’inverse, la transposition que propose Marchand est artificielle et décrite par un vocabulaire de l’excès :
André Marchand a-t-il une luxurieuse imagination ? ou un tempérament violent, exacerbé par des ardeurs provençales ? ou un goût déclamatoire et des manières forcenées ? Sa peinture est d’une extrême violence, où les couleurs hurlent comme des pythonisses en désaccord qui se prennent souvent aux cheveux.28
15La substitution du tempérament à l’imagination est liée par Limbour à l’expressionnisme qui constitue la face négative du renforcement de la signification du réel : « Que peut signifier ce terme, car tout art n’est-il pas une forme d’expression ? On pensera donc que l’expressionnisme est une façon de surenchérir sur l’expressif, un renforcement de la sensation29. » C’est donc au seul expressionnisme qu’on se doit de réserver le terme déformation30. L’expressionnisme, qui ne peut être que médiocre, est un « réalisme outrancier31 », qualifié encore par Limbour dans ce même article de grotesque, vulgaire, grossier ou idiot et que l’emploi du terme éléphantiasis tire vers le monstrueux :
Citons […] Bernard Lorjou qui est jeune et aura le temps de se désexpressionniser dans la mesure où il le jugera bon. Sa récente exposition nous a montré un peintre bien doué, mais porté à insister sur le caractère massif des choses et à forcer les meubles à exprimer un éléphantiasis des objets.32
16Le terme déformation est ainsi synonyme de défiguration :
Ce n’est pas un art de faire, mais de défaire, une tentative (assez réussie) de défiguration, de camouflage et d’escamotage. Un monde méconnaissable – et dont on n’a pas trouvé le signe – n’est ni recréé, ni transfiguré, ni poétisé.33
17Déformation et défiguration s’opposent à transfiguration, qui est équivalent à recréation et à poétisation. Le terme transfiguration est également opposé à transposition :
Et n’est-il pas très admirable que le cubisme qui bouleverse à ce point les formes naturelles et apparaît à certains une transposition toute intellectuelle, ramasse au contraire dans sa transfiguration toutes les émotions et les puissances de la vie, mieux que ne le saurait faire un réalisme très soumis ?34
18Cette transposition, de même que la déformation expressionniste, propose une traduction artificielle du réel :
[…] certains peintres, dits cubistes […] se bornent à traduire – approximativement – une réalité donnée dans le langage du cubisme. Et l’on sent l’effort de cette transposition, effort intellectuel et trop volontaire qui risque de momifier la vie […].35
19Celle-ci est encore une fois le fait de peintres médiocres : la transfiguration, comme l’imagination qui l’autorise, est la marque de fabrique du grand peintre. La définition de la transposition par le rapport avec l’intellect la désigne en outre comme ce qui manque à la déformation expressionniste : « La dévotion à l’expressionnisme engage à rejeter tout élément intellectuel qui pourrait adoucir en le purifiant le choc émotionnel : la construction méditée, l’équilibre raisonné, toutes rigueurs36. » Le propre de la transfiguration serait donc de joindre l’élément émotionnel ou sensuel – l’expressionnisme étant un sensualisme outrancier – à l’élément intellectuel et cette conjonction définit en effet l’imagination, entendue par Kant comme un intermédiaire entre les sens et l’entendement.
20Cette esthétique de l’imaginaire est bien à la fois un réalisme, comme le montre le compte rendu de La Semaine sainte d’Aragon37, qui articule dès l’abord les deux questions :
Avant d’examiner les diverses significations de cette grandiose reconstitution, j’en reviens à cette accumulation de précisions et de détails (d’abord un peu écrasants) car ce me semble ici un problème fondamental : leur utilité et leur rôle, et le rapport qu’ils établissent entre le réel et l’imaginaire, le vrai et le fabuleux.38
21Limbour relance cette interrogation après un détour par le café Richelieu où il rencontra jadis Aragon et le rappel d’un épisode du roman, puis y répond après une nouvelle digression :
[…] ces phrases un tantinet ennuyeuses jouent le rôle de suspense, et de tremplin pour l’imagination. […] Peut-être, pendant qu’il se livrait à ce travail non inspiré, ne savait-il pas très bien ce qui le surprendrait par la suite. Ces mots, ou plutôt ce plan qu’il consultait à la bouche du métro Botzaris et qu’il transcrivait sur son carnet, c’était son marc de café, et pendant qu’il le transcrivait, quelque chose au fond de lui-même s’organisait. Et ainsi pour le lecteur.39
22Le réel constitue une source d’inspiration, et le « marc de café » rappelle la « boule de verre » de l’article portant sur Bazaine40. Cette réflexion porte sur deux phrases, l’une extraite de La Semaine sainte, et la deuxième extraite du Paysan de Paris, la mention du métro Botzaris renvoyant directement à ce deuxième ouvrage. L’intérêt du rapprochement est de démontrer que la méthode surréaliste et la méthode réaliste d’Aragon sont identiques et qu’imagination et réalité se rejoignent. L’écrivain d’imagination comme l’écrivain du réel ont besoin de la réalité pour donner de « l’intensité à notre vision41 », et cette réalité, à l’inverse, a besoin de l’imagination pour apparaître : « […] jamais la caméra ne se déplacera avec assez d’agilité […] pour rivaliser avec le regard mobile d’un romancier à l’imagination puissante et provocatrice42. » Limbour conclut ainsi son article en affirmant l’équivalence entre œuvre réaliste et œuvre d’imagination : « Ce roman historique, réaliste, et si solidement documenté, enfin voilà bien une œuvre qu’on dirait toute d’imagination43. »
23Si elle est véritablement une œuvre d’art, une œuvre, qu’elle soit dite réaliste ou d’imagination, comporte la même part d’imaginaire et de réel. Limbour recourt de ce fait à l’œuvre de Courbet, le maître du réalisme, pour démontrer a fortiori la présence de l’imagination dans toute œuvre. Il commence par dénier la possibilité même du réalisme44 avant d’affirmer la prééminence de l’imagination dans l’œuvre du peintre :
[…] je demanderais bien, de son réalisme, comme il disait des déesses, qu’on me le montre. Car il peint à sa manière des dieux comme le grand chêne d’Ornans, dont les branches envahissent toute la partie supérieure de la toile et qui est un monstre dévorateur et effrayant. Il dit qu’il ne déplace pas d’un pouce les choses qu’il voit dans la nature, mais c’est qu’il déplace tout l’ensemble et le fait glisser dans son propre univers […].45
24À l’inverse, Limbour recourt à l’exemple de Redon, ce « précurseur du surréalisme » qui « exprime l’imaginaire46 », pour démontrer la présence du réel dans les œuvres d’imagination :
Ce que je trouve de très admirable chez ce peintre est le souci et même l’amour qu’il a du réel. Il nous montre que la création imaginaire n’est pas une création arbitraire reposant sur un idéal vague et luxueux, mais au contraire sur une connaissance approfondie et une expérience dramatique du vrai.47
25Limbour cite à l’appui de sa thèse une déclaration de Redon où celui-ci évoque sa pratique du dessin sur nature, et ainsi s’éclaire l’insistance de Limbour sur la pratique du dessin sur le motif par les peintres les plus éloignés de l’imitation photographique du réel, tels Masson ou Bazaine. En effet, l’assimilation des « déformations » avant-gardistes, la permanence du surréalisme et l’émergence de l’abstraction dans les années cinquante rendent évident le rôle joué par l’imagination dans la peinture. L’enjeu pour Limbour est donc de réaffirmer la part du réel : l’accent mis sur l’activité de paysagiste de Masson est révélatrice. Si Masson, ancien surréaliste, est bien le maître de l’imaginaire, Limbour n’a justement de cesse, de façon provocatrice, de mettre en avant la phase d’observation qui précède la création :
J’ai vu là Masson, dans une attitude qui semblera malséante à quelques-uns parce qu’ils prétendront que c’est mendier la réalité, – c’est-à-dire prenant quelques croquis. Il se tenait là, comme on dit en langage cézannien, devant le motif ! Eh bien ! si l’on veut, oui, j’ai vu Masson mendier, tenant son carnet comme une sébile, à la porte de ces grands temples. D’aucuns, à cette nouvelle, souriront, et lesquels ? Les nouveaux riches de l’imagination.48
26« L’imagination la plus libre repose toujours sur le réel49 » est ainsi la maxime définissant le réalisme de Limbour, celle-ci impliquant cependant son corollaire : le réalisme le plus fidèle repose toujours sur l’imagination.
Les secrets du monde
27Si l’artiste-démiurge transfigure le monde, c’est qu’il est celui qui connaît ses secrets et qui, par l’activité de son imagination créatrice, les révèle dans le tableau. Mais ce réel révélé est aussi un réel transformé : pour Limbour, comme pour les romantiques allemands, l’imagination remet en mouvement le monde et lui redonne la fraîcheur de l’origine. L’imagination est non seulement un moyen de connaissance, mais un moyen de transformation du monde.
28André Masson est pour Limbour la figure par excellence de l’artiste en communication avec le réel profond : « Son œuvre est une anxieuse interrogation, exaltant toutes les puissances cosmiques, visibles ou invisibles […]50. » Dans ses « Notes sur la rétrospective d’André Masson » parues en 1965, Limbour met particulièrement l’accent sur ce point et en fait la clé de l’œuvre de Masson, dans des termes qui évoquent directement le romantisme allemand :
Car ce qui caractérise Masson, c’est l’ambition démesurée, insatiable, d’appréhender dans sa totalité un univers – qui se refuse à la conquête – de saisir ses secrets, de se perdre dans ses rythmes, et d’atteindre l’invisible par-delà le visible ; forcer les sphinx à répondre, traquer « l’Être » dans sa tanière de mystère, soulever tous les voiles. […] Révéler le grand spectacle cosmique, non dans ses apparences, mais dans ses significations ; et présenter aussi dans ses actes multiples le drame de l’homme, héros déchiré de cet univers qu’il contient et par lequel il est contenu.51
29L’emploi du terme Être avec une majuscule, le fait que cet Être soit caché et la discrimination du réel en deux couches de valeur ontologique inégale – les « apparences » et les « significations » – renvoient à la métaphysique romantique et globalement à l’ensemble de la théorie spéculative de l’Art52. L’inclusion de l’univers en l’homme évoque en outre la conception romantique de l’homme microcosme. La peinture de Jean Dubuffet se confond de même avec une entreprise de révélation des énigmes de l’univers, qui passe également par une observation attentive du réel53 et par un travail sur le motif54. La connaissance des secrets de l’univers caractérise pour Limbour le grand peintre :
Comment le plus grand peintre ne serait-il pas celui qui entretient avec le Monde, et lui-même, le plus de rapports possibles et originaux, et en a pris une certaine conscience ? Le peintre a son savoir universel. […] Seigneur du Pinceau est Prince de l’Esprit.55
30Il est donc logique que les deux peintres les plus admirés par Limbour soient ceux qui, par excellence, possèdent ce savoir, que Limbour attribue par ailleurs aux peintres les plus divers, dès le moment qu’il les apprécie.
31La familiarité de l’artiste avec l’univers se traduit de façon métonymique par sa familiarité avec « son » lieu, qu’il soit lieu de naissance ou lieu d’habitation :
La sculpture n’est pas un monde idéal et clos : si un homme se fait sculpteur, il aime quelque chose avant elle, mais qu’il éprouve le besoin de traduire en sculpture. Claude Viseux est un petit Breton, agile et musclé, un brin violent […]. Il aime les bateaux et les coquillages et tout ce que l’on trouve abandonné sur les rivages, bois et os, que jadis il employa.56
32La maxime : « Tout homme, il est vrai, vit avec le paysage de sa fenêtre57 » est une spécification de la maxime générale : « L’imagination la plus libre repose toujours sur le réel58. » Le rapport du peintre au paysage qui l’entoure prend deux formes privilégiées, celle de l’ingestion et celle du dialogue. L’ingestion concrétise la métamorphose du réel par l’imagination59 tandis que le dialogue met l’accent sur la collaboration active du réel lui-même :
Pardon ! je parle d’un paysagiste, et sans doute le monde extérieur est-il pour lui un peu plus qu’un simple décor ? Ces collines sont mieux que ses secrétaires, déjà des collaboratrices, personnel que l’on choisit généralement avec un grand discernement […].60
33Tout le sujet d’« Esclavage et grandeur du paysagiste » est d’ailleurs de montrer la dépendance du peintre vis-à-vis du paysage et leur ensorcellement réciproque. Le dialogue du peintre avec la nature se poursuit par un dialogue avec le matériau. Le matériau, issu de la nature, représente en effet celle-ci dans un double sens iconique et indiciel61 : moyen de figuration, il est aussi trace et correspond dès lors à une présence active de la nature à l’intérieur même de l’œuvre. L’imprégnation de l’imaginaire d’Ubac par son lieu natal l’a ainsi conduit à travailler l’ardoise avec laquelle le dialogue se poursuit, la nature de l’ardoise conduisant Ubac à un certain type de représentations, images évoquant le lieu d’origine de l’ardoise et partant, celui d’Ubac lui-même :
À cette pierre élémentaire ne conviennent cependant que des représentations élémentaires, et qui soient liées à son histoire, à sa nature. C’est ainsi qu’en couchant sur elle l’empreinte d’un arbre, ou d’un bûcheron, Ubac la restitue à son monde mythologique de forêt et nous impose les Ardennes mêmes.62
34Le tableau est le fruit de la collaboration du réel et du peintre, qui permet de faire du tableau un équivalent du monde, mais un équivalent retrempé aux sources de l’imaginaire.
35La peinture apparaît en effet non pas tant représenter une portion du réel que rassembler en elle l’ensemble de l’univers :
Ainsi, tel que l’a traité Masson le paysage perd son caractère régional : il ne parle plus patois, mais un langage universel. La circonstance se fane sur les pentes de la Sainte-Victoire, et après elle il n’est plus nécessaire de peindre par exemple un iceberg.63
36Cette expression de l’universel sous une forme concrète renvoie à la définition du symbole romantique :
La présentation selon laquelle l’universel signifie le particulier ou selon laquelle le particulier est intuitionné à travers l’universel, est le schématisme. La présentation selon laquelle, au contraire, le particulier signifie l’universel ou dans laquelle l’universel est intuitionné à travers le particulier est allégorique.
La synthèse des deux, où ni l’universel ne signifie le particulier, ni le particulier l’universel, mais où ils ne font qu’un, absolument, est le symbolique. Ces trois modes de présentation ont ceci de commun qu’ils ne sont possibles que grâce à l’imagination et qu’ils en sont les formes, sauf que la troisième seule est la forme absolue.64
37La prise en compte du schématisme désigne explicitement l’origine kantienne de ces définitions : Schelling emprunte à la Critique de la faculté de juger l’opposition du schématisme et du symbolisme, à laquelle il superpose l’opposition goethéenne du symbole et de l’allégorie65. Le symbole s’identifie à l’art dans son entier : « […] la pensée est simple schématisation, alors que tout agir est allégorique […] et que l’art est symbolique66. » L’œuvre d’art en tant que symbole, présentation concrète où se mêlent le réel et l’idéal – le particulier et le général, ou encore le fini et l’infini – constitue une présentation du vrai visage de l’univers :
Les formes de l’art, puisqu’elles sont les formes des choses belles, sont donc également les formes des choses telles qu’elles sont en Dieu ou telles qu’elles sont en elles-mêmes, et puisque toute construction est présentation des choses dans l’Absolu, la construction de l’art en particulier est alors présentation de ses formes comme formes des choses telles qu’elles sont dans l’Absolu, ainsi que de l’univers lui-même comme œuvre d’art absolue […].67
38L’assimilation de l’œuvre d’art à un microcosme s’accompagne chez Limbour d’une analyse des pouvoirs du « signe » – du symbole :
Mais comme ce mot Signe prête à de lourdes confusions ! Comme on l’emploie, au sujet de la peinture, à tort et à travers, et avec quelle trivialité. Car un signe ordinaire n’a pas de valeur propre, il n’est créé que pour faire apparaître à notre esprit quelque réalité, pour faire penser à quelque chose d’autre que lui-même. […] Les signes qu’emploie Klee sont donc d’une nature tout à fait particulière. Il y ramène le réel et l’y enferme. Mais attention, il ne faut plus que le réel en sorte et nous n’avons pas le droit de parcourir le chemin inverse de celui de Klee, de remonter du signe à la chose, car ces soi-disants [sic] signes sont maintenant toute la réalité désirable et nous devons bien penser qu’il serait absolument anti-artistiques [sic] de les considérer comme de simples moyens de suggestion.68
39La définition que Limbour donne du signe correspond à celle du signe linguistique ou du « symbole » dans la terminologie de Peirce69. Cette définition ne peut être appliquée à la peinture, formée de signes d’une « nature particulière », qui sont en réalité des symboles, cette fois au sens romantique du terme. En effet, le signe pictural enferme en lui le réel – c’est ici la définition de l’œuvre comme microcosme – et ne permet pas « de remonter du signe à la chose ». Le symbole romantique ne constitue effectivement pas un système de renvoi :
Car l’exigence de la présentation artistique absolue est : présentation avec une complète indifférence70, de sorte que l’universel est entièrement le particulier et le particulier entièrement l’universel, non pas le signifie. […] La signification est ici en même temps l’Être-même, elle est passée dans l’objet, ne fait qu’un avec lui.71
40Le tableau pour Limbour est un symbole que sa nature rend apte à effectuer une condensation du monde qui met au jour ses véritables structures et montre que la diversité des apparences renvoie à l’unité de l’Être révélée par l’œuvre d’art.
41Plus précisément, l’œuvre picturale renvoie à l’Être tel qu’il s’exprime dans la nature sous le mode de la natura naturans : la Nature se confond avec l’absolu, l’Un et Tout, en tant qu’elle est une force de production infinie que reflète la natura naturata. Le rôle de l’art, dans le cadre de la théorie romantique, est de montrer à l’œuvre sous la natura naturata la puissance de métamorphose de la natura naturans. Masson, pour qui « le drame de l’univers est uniquement un changement de formes72 », est le peintre par excellence de ces métamorphoses de la nature : « Les grands rythmes de l’univers, l’exaltation des formes en mouvement, les métamorphoses, et surtout l’humain, voilà ce que Masson peint et jamais l’inanimé, ni quelque objet séparé du monde, semblable à un cœur arraché73. » Ce faisant, Masson délivre les objets74, au sens où il les rend au continuum du monde, aux forces qui sous-tendent la natura naturata : « Mais si Masson fait un coquillage, ce n’est pas seulement pour ses belles couleurs et heureuses spirales, mais c’est surtout à cause de la bête, de la mer et de sa rumeur75. » La révélation par la peinture du continuum vital et celle de la natura naturans sont en effet liées et c’est parce que les choses sont le fruit d’une nature créatrice une qu’elles sont en relation les unes avec les autres. En dévoilant la natura naturans, l’œuvre d’art constitue non seulement une présentification, mais une résurrection du monde : « Ces paysages apparaissent comme les premiers pas triomphants vers une connaissance nouvelle de la nature, sa réhabilitation et en même temps sa résurrection76. » Le réel ici présenté est le monde des origines, tel qu’il était avant que le passage du temps n’obscurcisse l’Être qui transparaissait à travers lui.
42Le tableau, parce qu’il réalise un retour à la nature originelle, rétablit l’union de l’homme et de la nature : l’insertion de l’homme dans le cosmos est la marque de l’âge d’or, tel qu’il était pensé notamment par les philosophes de la nature77. Elle va être réalisée par l’établissement de correspondances entre les êtres. L’art de Rouvre est ainsi orienté par une unique recherche : « La recherche qui dirige l’évolution de cette peinture est sans doute une célébration de la nature, mais par l’intermédiaire d’une confrontation entre la nature et l’homme78. » Cette recherche conduit Rouvre à faire voir des hommes dans les arbres qu’il représente tandis qu’inversement ses personnages s’intègrent au paysage. La peinture de Rouvre est un art des correspondances, qui ne consiste pas à établir des ressemblances entre les êtres, mais à percevoir une communauté de rythme :
Ce n’est pas que nous trouvions quelque ressemblance directe dans les formes : coteau et torse, soleil et tête, etc. ; c’est plutôt que le paysage est composé selon les lignes de force d’un corps en mouvement ou au repos : non-ressemblance de formes, mais analogie de rythmes.79
43Ces rythmes, version dynamique des « figures » qui constituent pour Novalis la « grammaire80 » du monde, ne peuvent être décelés que par une contemplation elle-même dynamique, une contemplation en action. La chasse est dès lors le moyen par excellence de pénétrer le secret de la nature : « […] comme l’action ouvre spontanément la voie de la contemplation, il participa à plusieurs chasses au tigre, tuant le sien. Par ce cruel moyen se pénètrent le secret de la forêt et le mystère de la nuit81. » La chasse apparaît comme l’analogon de l’art, comme le montre l’ouverture du texte consacré par Limbour à Rouvre :
C’est, il y a trois ans, dans sa maison du Plan-du-Castellet où je passais quelques jours, que je fis vraiment connaissance avec la peinture de Rouvre. Mais peu pressé de me la montrer, il m’emmena d’abord à Sanary acheter les appareils nécessaires afin de m’initier sur-le-champ à la pêche sous-marine, que nous appelions ambitieusement la chasse au mérou. […] Nous n’avons jamais rapporté de butin honorable. C’est dans un autre domaine qu’il fait ses captures, car la peinture est aussi une fabuleuse chasse au mérou.82
44La mention de la chasse en tête du texte en fait une introduction nécessaire à la peinture de Rouvre, une clé permettant de la comprendre comme issue d’un rapport au monde particulier, d’une insertion du peintre dans le réel rendant compte de la fusion entre l’homme et le monde que la toile représente83.
45De là provient l’accent mis sur la dimension physique de la peinture. Le peintre est présenté fréquemment comme un sportif : « Ses mollets de fantassin sont gonflés et tendus, il a des cuisses d’alpiniste entraîné à ces fougueuses escalades84. » L’agilité du corps est nécessaire à l’exercice de la peinture85. La prise en compte du corps conduit naturellement à s’interroger sur la place du geste du peintre et sur le rapport entretenu par l’esthétique de Limbour avec la peinture gestuelle. Alors qu’on a vu la condamnation par Limbour de cette peinture qui lui paraît toute pulsionnelle et par là dénuée de signification, Limbour affirme cependant : « Cela nous le savons : peindre est un geste, une série de gestes. Dubuffet nous l’a appris, Serpan expliqué, Tapié répété86. » La mention de Dubuffet interdit d’interpréter cet énoncé comme ironique et l’esthétique de Limbour semble alors intégrer un trait majeur de l’art dit informel. Limbour paraît se contredire, mais en réalité, le geste n’est pas pour lui le geste spontané, imprimant sur la toile la pulsion, l’inconscient de l’artiste. La maîtrise du geste technique est en effet le moyen de spiritualiser la matière :
De ses expériences assidûment renouvelées et réflexions, Hayter tira non pas sans doute une théorie du trait, mais ce que j’appelle une physiologie et une psychologie du trait, bref une poétique du trait, parce que, vécue, elle nous révèle comment du geste et du tracé, de ce qui apparaît d’abord physique et matériel se délivrent des émotions et des sens qui sont de qualité métaphysique.87
46Le trait est lui-même un composé où se rencontrent déjà le corps et l’imagination de l’artiste. De plus, le corps n’est pas projeté dans la toile pour lui-même, mais comme médiateur entre la nature et l’esprit. C’est par son corps, par son action dans le monde que le peintre-chasseur perçoit les rythmes du monde, et c’est de nouveau le corps qui peut les transmettre à la toile, une fois que ceux-ci ont été spiritualisés par l’imagination du peintre en un complexe de « sensation » et d’« imagination ». Matière et esprit, corps et âme, l’œuvre d’art devient par là un être vivant, un organisme, analogon du grand organisme qu’est l’univers, lui-même matière animée par une âme – la natura naturans ou l’absolu. La transmission du rythme par l’artiste est assimilée explicitement par Limbour à l’action formatrice de la nature :
Ainsi, la force créatrice de l’artiste, dominée par un rythme unique, s’empare-t-elle du corps anonyme comme d’une quelconque matière première, le roule, le plie, le déforme, l’enferme dans une forme géométrique tout comme la mer s’empare d’un rocher, le polit selon le rythme unique de son mouvement, et lui communique l’expression et la vie de sa cadence.88
47L’imagination créatrice de l’artiste se confond avec l’imagination de la nature, et produit un microcosme où l’homme et les choses, l’esprit et la matière retrouvent leur union première : l’homme est redevenu le médiateur de la nature89. Conformément à la révolution romantique que décrit Todorov, l’analogie faite entre l’œuvre d’art et la nature – qui constitue la raison profonde du réalisme de Georges Limbour – n’est donc pas fondée sur une mimésis, mais sur une poïésis90.
Confrontations : André Masson et Jean Dubuffet
48Le nombre des textes consacrés à Masson et Dubuffet peut certes se justifier par les liens d’amitié qui unissent les deux artistes à Limbour : Dubuffet était le camarade de classe de Limbour au Havre et les deux amis sont montés ensemble à Paris en 1918, tandis que Limbour rencontre Masson en 1922, par l’intermédiaire de Dubuffet, et devient par la suite un des habitués de l’atelier du peintre rue Blomet. Mais ces deux peintres, dans leurs écrits, ont élaboré une réflexion sur leur œuvre et sur l’art en général, qui conduit à poser la question de l’influence de leur pensée sur celle de Limbour. En effet, dès lors que l’esthétique de Limbour tend à s’exprimer de manière privilégiée à propos de leurs œuvres, il devient nécessaire de comprendre dans quelle mesure celle-ci constitue une reprise ou un infléchissement des esthétiques réciproques de Masson et de Dubuffet et en quoi ces dernières peuvent être combinées par l’écrivain.
49L’esthétique de Masson et celle de Limbour sont particulièrement proches et en cela, le dialogue avec Masson, que Leiris désigne comme « un peintre que nous écoutions un peu comme un oracle91 », pourrait bien constituer, dans les années vingt, un facteur de cristallisation de la pensée de Limbour. Or, Masson, qui indexe de façon explicite son système artistique à la philosophie de Nietzsche, est un tenant de la théorie spéculative de l’Art. André Masson découvre Nietzsche, le « Grand Éveilleur92 », à l’âge de seize ans. Il le cite par exemple dans la section III d’Anatomie de mon univers93, puis il nomme Héraclite que Nietzsche lui a fait connaître. Cependant, comme le relève Françoise Will-Levaillant94, l’ensemble de la section, centrée autour du rêve et faisant allusion à un dialogue philosophique, évoque Les Disciples à Saïs qu’André Masson a lu dans la traduction d’Armel Guerne et qu’il commente dans une lettre adressée à Kahnweiler : « Guerne m’a envoyé une traduction qu’il vient de faire des Disciples à Saïs de Novalis. Je crois que je n’ai jamais rien lu qui me semble plus proche de mes pensées les plus profondes95. » Novalis, avec Jean-Paul, Kleist et Hölderlin, fait partie des figures romantiques les plus citées par Masson96.
50L’imagination, première pour Masson, est indissociable du réel, et la réaffirmation du réel dans les œuvres qui en paraissent les plus éloignées, telles que les « 22 dessins sur le thème du désir », s’accompagne de la réaffirmation de l’imagination dans les œuvres qui semblent être des copies du réel, telles que celle de Monet97 qui occupe la place qu’occupait Courbet chez Limbour. La prééminence accordée à l’imagination va de pair avec une conception de la nature issue du romantisme, qui se montre de façon particulièrement claire dans « Anatomie de mon univers ». Le texte, qui s’ouvre sur une affirmation des pouvoirs de l’imaginaire, développe dans un premier temps une vision de la création qui apparaît toute surréaliste ; la création, qui est comparée au rêve, est un surgissement des formes appelées par le désir. Mais ce désir n’est pas la pulsion freudienne, il prend une dimension cosmique : « C’est l’attente originelle elle-même […]98. » La mention de Nietzsche suit immédiatement, et la pensée de la création de Masson se développe sous le signe du dionysiaque :
Là, prisonnier échappé de la grotte de Platon, je ne serai plus assujetti à sa condamnation de la réalité imitée. Je voudrais n’être qu’un point d’intersection, une aiguille aimantée, un médium.99
51La section suivante d’« Anatomie de mon univers » développe alors une théorie des correspondances, la contemplation de la nature devenant révélation :
Adolescent, j’ai vu parmi les débris d’un combat un crâne fracassé ; une grenade mûre et du sang sur la neige dessinent le blason de la guerre. Plus tard dans la solitude des Alpes, je découvris le vol de l’aigle traçant sa géométrie parfaite en filigrane dans l’arène du ciel. Le monde secret de l’Analogie, la magie du Signe, la transcendance du Nombre me furent ainsi révélés.100
52Pour Masson, l’artiste, médiateur de la nature, met au jour les correspondances que sa contemplation lui a révélées et il restaure par son œuvre l’Un et Tout caché dans les apparences :
Je suis le miroir où se reflètent les règnes fraternels et les quatre éléments. Point cardinal fixé sur les membranes de la liberté, j’ouvre mes yeux bien vivants sur la fenêtre de l’art où s’imprime l’image de mon univers – floraison mentale de givre – du squelette du sable à la chair de l’étoile.101
53La problématique de l’Unité perdue qui se trouve à la source du romantisme est ainsi réactualisée par Masson :
Diverses calamités semblent frapper l’art de ce temps. À la réflexion, elles se résument en un seul malaise que l’on serait tenté d’appeler « l’Unité perdue ». Mais ceci caractérise le déchirement de ce moment de l’histoire. À l’encontre de la civilisation grecque, rayonnante d’un vouloir esthétique et philosophique, la structure de la civilisation contemporaine a pour base la science qui est la dispersion même.102
54Tout l’article de Masson, à travers l’examen des trois formes de l’art moderne, le cubisme, le surréalisme et l’abstraction, vise à démontrer le moyen de ce retour à l’Unité, qui est la conjonction dans l’œuvre de l’inconscient et de la nature, c’est-à-dire du moi et du monde. Cette nouvelle union n’est pas une replongée de l’homme dans la nature, mais l’élévation à une sur-conscience : « L’inconscient et le conscient, l’intuition et l’entendement devront opérer leur transmutation dans la sur-conscience, dans la rayonnante unité103. » La théorie de l’art de Masson est ainsi tout entière orientée par une visée métaphysique – retrouver l’Unité, découvrir l’Être – et la référence à Nietzsche et aux romantiques allemands est bien le signe de l’inscription de Masson dans la théorie spéculative de l’Art104. Or Limbour partage la même conception de l’art comme révélation dans et par l’imaginaire de la nature originelle : on peut alors considérer que la rencontre de Masson joue tout au moins un rôle déclencheur dans l’élaboration de la théorie esthétique de Limbour, et que la période où Limbour fréquente la rue Blomet constitue pour lui la période formatrice par excellence. L’application de cette théorie à des œuvres autres que celle de Masson, et notamment aux œuvres des paysagistes abstraits, montre par ailleurs que celle-ci n’est pas un simple emprunt visant à l’explication des œuvres de Masson par référence à la théorie du peintre, mais possède aux yeux de Limbour une portée générale.
55Le rapport de Limbour à la réflexion de Dubuffet est plus complexe à déterminer. D’une part, c’est l’œuvre de Dubuffet qui fait de Limbour un critique d’art : l’article de Limbour sur Dubuffet « Révélation d’un peintre : Jean Dubuffet » publié dans le numéro du 8 juillet 1944 de Comœdia (p. 1 et 6) est un élément fondateur dans la carrière de critique d’art de Limbour. Le peintre retarde d’ailleurs en 1944 la publication des monographies de Seghers et Parrot afin que Limbour et Paulhan apparaissent bien comme ses découvreurs, à travers, respectivement, l’article de Comœdia annonçant sa première exposition et la préface de cette exposition105. C’est dans le sillage de Dubuffet que Limbour commence ensuite à publier régulièrement sur l’art : il devient à l’instigation de Paulhan le directeur du Spectateur des arts, organe de la galerie Drouin qui doit, entre autres, assurer la promotion de Dubuffet, et c’est par Ponge, rencontré chez Dubuffet, que Limbour entre à Action. Sa familiarité avec le peintre lui assure ensuite de nombreuses commandes d’articles. Dubuffet est ainsi l’artiste sur lequel Limbour écrit le plus, et de loin. D’autre part, la camaraderie précoce des deux hommes, leur égalité d’âge et surtout le développement tardif de l’art de Dubuffet ne permettent pas de lui donner un rôle important dans la formation artistique de Limbour. En outre, alors que l’art et la pensée de Masson servent à Limbour de médiation pour appréhender certaines problématiques de l’art de son temps, Limbour ne cesse de souligner la singularité de Dubuffet : « C’est un événement sensationnel dans notre vie lorsque nous est révélée une œuvre nouvelle, dont les moyens ne sont empruntés à aucune école précédente106. » Limbour contribue en cela, conformément au vœu du peintre, à abstraire son œuvre de la peinture contemporaine. Cependant, on peut voir dans cet isolement de Dubuffet le symptôme de son statut d’exception dans la production de Limbour lui-même : s’il donne une exégèse fidèle et fine des travaux du peintre, celui-ci représente en même temps une modernité picturale dans une large mesure absente des écrits de Limbour, concentrés, en dehors des grands maîtres que sont les animateurs historiques du cubisme et du surréalisme, sur le post-cubisme et un certain « paysagisme abstrait » qu’il inscrit dans la lignée de Masson. La position de Limbour par rapport à Dubuffet est enfin tout à fait exceptionnelle par rapport à celle qu’il tient vis-à-vis des autres peintres. Les liens anciens des deux hommes et les deux monographies107 que Limbour a consacrées à Dubuffet, en collaboration étroite avec le peintre108, font en effet de lui son « exégète attitré et historique109 » : celles-ci détaillent chronologiquement les périodes successives de l’œuvre du peintre, dont Limbour donne une vue exhaustive – jusqu’à ce que la mort de l’écrivain interrompe ce travail. Dans ces ouvrages, ainsi que dans les autres textes consacrés à Dubuffet, Limbour reste particulièrement proche de la pensée de Dubuffet110, au point qu’il en délivre parfois une paraphrase111. Le « préambule » de Tableau bon levain à vous de cuire la pâte offre par exemple une manière de résumé des vues de Dubuffet exposées dans « Notes pour les fins lettrés112 » :
L’activité de l’artiste est échange, collaboration et conflit avec le monde extérieur, et tout autant – et même parfois faudrait-il dire par-dessus tout – avec le matériau : toiles, papiers, pierres, bois ou métaux ; couleurs, huiles, essences ou vernis, encres, mines et charbons, sans oublier les outils intermédiaires entre la main et l’enduit, pinceaux, plumes, couteaux, brosses, grattoirs.
C’est donc une entreprise à trois partenaires où chacun apporte ce qui est de sa nature, et où les rapports actifs sont parfois tendus à l’extrême, à cause de quelque rivalité, aucune de ces trois réalités ne restant absolument passive, chacune au contraire opposant aux autres plus ou moins grande résistance, ou cherchant même positivement à imposer sa manière d’être. Ce trio, uni par des rapports aussi bien amoureux qu’hostiles, c’est donc le Peintre, le Monde et la Palette.113
56On retrouve ici non seulement les idées, mais les métaphores employées par Dubuffet pour évoquer son rapport avec le matériau, le dialogue et le combat114. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Dubuffet ait communiqué à son biographe ses propres notes afin de l’aider à rédiger son texte.
57Il est de la sorte difficile de déterminer dans les textes de Limbour ce qui est une traduction des intentions de Dubuffet et ce que Limbour assimile de cette pensée pour en faire une partie de sa propre esthétique. On peut toutefois constater des effets de gommage qui tendent à permettre la conciliation chez Limbour de l’esthétique de Dubuffet et de celle de Masson. Si son rôle de biographe fait que Limbour rend compte avec une grande précision des techniques inventées par Dubuffet, il ne leur donne cependant qu’une importance secondaire par rapport à l’effet provoqué par le tableau : la dimension expérimentale de l’art de Dubuffet est mise en retrait, au profit d’un soulignement de la révélation des secrets de l’univers que ces techniques permettent. La divergence principale se joue sur le terrain de l’art brut, auquel Limbour préfère les arts culturels115. Si Limbour reconnaît le talent, par exemple, de Séraphine de Senlis, il refuse en principe toute valeur à l’art des fous :
Depuis que la psychiatrie a fait de si grands progrès et, d’autre part, depuis que certains artistes ont cherché dans le rêve et les processus inconscients une nouvelle source d’inspiration, on s’est beaucoup intéressé à l’art morbide. Il donne à la psychologie de précieuses indications, mais je pense qu’on ne peut le considérer autrement qu’au point de vue clinique et qu’il ne peut procurer aucune jouissance d’ordre véritablement artistique.116
58Le refus de Limbour d’inclure l’art brut dans le champ de l’art repose sur une définition de l’art liant sa qualité à sa capacité d’invention :
Ces ouvrages sont très déprimants et d’une grande pauvreté d’imagination. (En particulier, l’obsession chez les érotomanes ne semble produire que des images plus ou moins obscènes et répugnantes : l’obsession se satisfait d’images assez pauvres. L’art ne laisse pas couler les sources : il les capte et les détourne.)117
59On retrouve ici la définition par Masson de l’œuvre d’imagination, qui repose sur la conjonction de l’inconscient et du conscient. Parce qu’il provient d’un seul des deux pôles, l’art des fous rejoint l’art culturel honni par Dubuffet : « Les malheureux qui ont reçu un diplôme de folie sont aussi perdus que ceux qui, ayant reçu le prix de Rome, entrent à la villa Borghèse118. » L’exclusion de ce pan de la pensée de Dubuffet démontre a contrario que la reprise par Limbour de ses idées est le signe d’une adhésion tacite et permet la conciliation de la réflexion de Dubuffet avec celle, hautement culturelle, de Masson. Mais l’élément essentiel que Limbour retire de l’œuvre de Dubuffet, et qui fait que l’esthétique de Limbour n’est pas un simple double de celle de Masson, est l’importance extrême qu’y prend le spectateur :
Le tableau ne sera pas regardé passivement, embrassé simultanément d’un regard instantané par son usager, mais bien revécu dans son élaboration et si j’ose dire réagi. […] Toute une mécanique interne doit se mettre en marche chez le regardeur, il gratte où le peintre a gratté, frotte, creuse, mastique, appuie, où le peintre l’a fait. Tous les gestes faits par le peintre il les sent se reproduire en lui.119
60Si c’est sous l’égide de Masson que se développe la théorie de l’imagination créatrice, l’autre versant de l’imagination selon Limbour, l’imagination médiatrice, va se placer sous l’égide de Dubuffet.
Notes de bas de page
1 « Paul Klee » (préface à la plaquette de l’exposition rétrospective au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, publiée en mars 1948 dans Les Temps modernes, no 30, p. 1721-1725), Critique, no 351-352, août-septembre 1976, p. 909. Je souligne.
2 Ibid.
3 « Peinture et libération », Action, art. cité, p. 9.
4 « André Masson, dans le feu de l’inspiration » (Action, no 105, 6 septembre 1946, p. 14-15), Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 18.
5 C. Baudelaire, « Salon de 1859 », Œuvres complètes, texte établi, présenté et annoté par C. Pichois, 2 tomes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1990, t. 2, p. 619.
6 « […] “les matières” ne sont qu’un palliatif trop matériel à l’indigence de l’idée picturale. » « Faut-il faire l’éloge de la matière ? », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 27, 28 octobre 1959, p. 18.
7 . André Beaudin, op. cit., p. 11.
8 Ibid.
9 Voir « La nouvelle École de Paris », L’Œil, art. cité, p. 69.
10 Les épreuves de cette monographie inédite sont conservées à la Fondation Dubuffet.
11 « Au lieu de bottes de sept lieues, ces jardins », préface au catalogue de l’exposition « Jean Dubuffet. Tableaux d’assemblages », galerie Rive Droite, 30 avril-23 mai 1957 [non paginé]. Ce passage est le début du texte.
12 « Le Max Ernst de Patrick Waldberg », Les Lettres nouvelles, art. cité, p. 31.
13 Voir « Un peintre homéopathe », Paysage, no 65, 5 septembre 1946, p. 5.
14 C. Baudelaire, « Salon de 1859 », Œuvres complètes, op. cit., t. 2, p. 625.
15 « Elle décompose toute la création, et, avec les matériaux amassés et disposés suivant des règles dont on ne peut trouver l’origine que dans le plus profond de l’âme, elle crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf. » Ibid., p. 621.
16 « Comme elle a créé le monde (on peut bien dire cela, je crois, même dans un sens religieux), il est juste qu’elle le gouverne. » Ibid. Cette théorie de l’imagination de Baudelaire renvoie, par le biais de Poe et de Coleridge, à la théorie des romantiques allemands qui, tel Herder, pensent que « notre imagination est une obscure réplique de la grande force créatrice qui a formé le monde. » A. Béguin, L’Âme romantique et le rêve, op. cit., p. 158. Voir J.-M. Schaeffer, L’Art de l’âge moderne, op. cit., p. 345-346.
17 « Dubuffet et son philosophe », Critique, no 239, avril 1967, p. 473.
18 « Faut-il faire l’éloge de la matière ? », Les Lettres nouvelles, art. cité, p. 18.
19 « Peinture et réalité », Action, no 136, 9 mai 1947, p. 12.
20 J.-M. Schaeffer, L’Art de l’âge moderne, op. cit., p. 112.
21 M. Leiris, « Bacon, le hors-la-loi » (1981), Francis Bacon, face et profil, Paris, Albin Michel, « Bibliothèque Idées », 2004, p. 32.
22 « Différentes manières de rêver au sol », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 11, 13 mai 1959, p. 35.
23 Ibid.
24 « Cesare Peverelli », Les Lettres nouvelles, no 3/71, mai 1971, p. 54-55.
25 « La révolution des objets », Action, no 81, 22 mars 1946, p. 12.
26 « La vérité dans l’imagination », Action, no 92, 7 juin 1946, p. 12.
27 Ibid.
28 Ibid.
29 « L’expressionnisme est l’esprit de lourdeur », Action, no 75, 8 février 1946, p. 13.
30 « La déformation expressionniste conduit volontiers à l’exagération caricaturale ; elle accentue le comique ou le ridicule, le caractère hallucinatoire, tragique, horrible, ou macabre. » Ibid. Je souligne.
31 Ibid.
32 Ibid.
33 « Une peinture humiliante », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 2, 11 mars 1959, p. 31. Je souligne.
34 « Le cubisme », Les Temps modernes, art. cité, p. 1648.
35 Ibid., p. 1651.
36 « L’expressionnisme est l’esprit de lourdeur », Action, art. cité.
37 « Du Paysan de Paris à La Semaine sainte », Critique, no 145, juin 1959, p. 483-490.
38 Ibid., p. 484.
39 Ibid., p. 487.
40 « Jean Bazaine », XXe siècle, art. cité, p. 30.
41 « Du Paysan de Paris à La Semaine sainte », Critique, art. cité, p. 488.
42 Ibid. L’adjectif « provocateur » est ici à comprendre comme « provoquant des visions », « évocateur ».
43 Ibid., p. 490.
44 « [Courbet] voulait être “réaliste”, ce qui est impossible et marque plutôt une intention, et il le fut quelquefois, par exception. », « Réflexions sur Gustave Courbet », France Observateur, no 246, 27 janvier 1955, p. 26.
45 Ibid.
46 « L’exposition Odilon Redon », France Observateur, no 340, 15 novembre 1956, p. 20.
47 Ibid.
48 « Esclavage et grandeur du paysagiste », Les Temps modernes, no 39, décembre 1948-janvier 1949, p. 157. Les « temples » sont les falaises des carrières Bibemus.
49 « Visite à Germaine Richier » (Arts de France, no 17-18, 1947, p. 51-58), Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 46.
50 « Les quatre éléments », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 8, 22 avril 1959, p. 32.
51 « Notes sur la rétrospective d’André Masson », Mercure de France, tome CCCLIV, no 1219, mai 1965, p. 88.
52 « [cette thèse] présuppose aussi une théorie de l’être : si l’art est un savoir extatique, c’est qu’il existe deux sortes de réalité, celle, apparente, à laquelle l’homme a accès à l’aide de ses sens et de son intellect raisonneur, et celle, cachée, qui ne s’ouvre qu’à l’art. » J. -M. Schaeffer, L’Art de l’âge moderne, op. cit., p. 16.
53 « À ce peintre dont le travail devient de plus en plus une enquête sur la nature, un procédé de connaissance, les papillons vont révéler l’existence de lois secrètes régissant les rythmes naturels, lois énigmatiques et inconnues qui ne cesseront plus de l’intriguer. » « Histoire de Jean Dubuffet », Les Lettres nouvelles, juin-juillet-août 1964, p. 84-85.
54 « Nous surprenons ici Jean Dubuffet travaillant sur le motif. » Ibid., p. 84.
55 « Aperçus sur la vie d’un Satrape & sur divers modes de Gouvernement du réel », Viridis Candela (cahiers du Collège de ‘ Pataphysique), no 10-11, février 1960, Quelques introductions au cosmorama de Jean Dubuffet satrape, p. 19-20.
56 « Jeux internes », Claude Viseux, Paris, Centre national d’art contemporain, 3 juin-17 juillet 1969, p. 13-14.
57 « L’ombre de Kandinsky à Neuilly », Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 57. La phrase appliquée ici à Kandinsky entre dans l’entreprise de disqualification de l’abstraction par Limbour : puisque tout homme est influencé par le paysage dans lequel il vit, la peinture de Kandinsky ne relève pas tant du monde intérieur que du monde extérieur inconsciemment assimilé par le peintre.
58 « Visite à Germaine Richier », Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 46.
59 Voir « Différentes manières de rêver au sol », Les Lettres nouvelles, art. cité, p. 35.
60 « Esclavage et grandeur du paysagiste », Les Temps modernes, art. cité, p. 155.
61 J’utilise ici la classification de Peirce, qui distingue icône, indice et symbole en fonction du lien entretenu par le signe avec le référent : « L’indice est un signe qui renvoie à l’objet dénoté, parce qu’il est réellement affecté par cet objet […]. Enfin, une icône est un signe qui renvoie à l’objet qu’il dénote simplement en vertu des caractères qu’il possède. […] C’est le cas par exemple des échantillons, des onomatopées, des images, etc. » O. Ducrot et J.-M. Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage (1995), Paris, Le Seuil, « Points essais », 2002, p. 262.
62 « Raoul Ubac », L’Œil, no 29, mai 1957, p. 48.
63 « Esclavage et grandeur du paysagiste », Les Temps modernes, art. cité, p. 161.
64 F. W. J. von Schelling, Philosophie de l’art (1802-1803), traduction de C. Sulzer et A. Pernet, présentation et notes de C. Sulzer, Grenoble, Éditions Jérôme Millon, « Krisis », 1999, p. 98-99. On retrouve cette définition du symbole sous la plume de Goethe, Novalis et Friedrich Schlegel notamment, le nom pouvant varier : image chez Novalis, allégorie chez Schlegel. Voir J. -M. Schaeffer, La Naissance de la littérature, op. cit., p. 26-31.
65 Voir T. Todorov, Théories du symbole, op. cit., p. 244.
66 F. W. J. von Schelling, Philosophie de l’art, op. cit., p. 103.
67 Ibid., p. 77.
68 « Paul Klee », Critique, art. cité, p. 910.
69 « Le symbole renvoie à l’objet qu’il dénote par la force d’une loi qui détermine l’interprétation du symbole par référence à l’objet en question ; c’est le cas, par exemple, des mots de la langue. », O. Ducrot et J.-M. Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, op. cit., p. 261-262.
70 Indifférence signifie « identité ».
71 F. W. J. von Schelling, Philosophie de l’art, op. cit., p. 103.
72 . « André Masson », Arts de France, art. cité, p. 54.
73 « À propos d’une exposition » dans André Masson et son univers, op. cit., p. 73.
74 Ibid., p. 74.
75 Ibid., p. 75.
76 « Esclavage et grandeur du paysagiste », Les Temps modernes, art. cité, p. 161.
77 A. Béguin, L’Âme romantique et le rêve, op. cit., p. 50.
78 « La chasse fabuleuse d’Yves Rouvre » (Rouvre. Peintures 1951-1961, Paris, galerie Louise Leiris, 3 novembre - 2 décembre 1961), Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 83.
79 Ibid., p. 84.
80 F. Novalis, Les Disciples à Saïs, dans Fragments précédé de Les Disciples à Saïs, traduit de l’allemand par M. Maeterlinck, Paris, Corti, « En lisant en écrivant », 1992, p. 69.
81 « La chasse fabuleuse d’Yves Rouvre », Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 79-80.
82 Ibid., p. 79. C’est le premier paragraphe du texte.
83 Limbour représente Masson en chasseur dès 1930 dans « André Masson : le dépeceur universel », Documents, op. cit.
84 « André Masson, dans le feu de l’inspiration », Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 19.
85 « C’est à cette échelle qu’il va falloir grimper pour accéder à l’atelier : il conviendra de se glisser d’une manière reptilienne à travers la trappe. […] Avec un tel atelier […], Ubac n’a pas la possibilité de grossir, pas le droit de s’ankyloser. Le jour où il prend du poids, de l’âge, bref qu’il n’est plus le même Ubac, plus de peinture. » « Ubac sur la Butte » (Derrière le miroir, no 74-75-76, avril-mai-juin 1955), Dans le secret des ateliers, op. cit., p. 62-63.
86 « Tout autre », Les Lettres nouvelles, 7e année, nouvelle série, no 6, 8 avril 1959, p. 31. Iaroslav Serpan est un peintre d’origine tchécoslovaque, surréaliste entre 1946 et 1948, puis informel et enfin figuratif. Voir E. Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays par un groupe d’écrivains spécialistes français et étrangers, nouvelle édition entièrement refondue sous la direction de J. Busse, Paris, Gründ, vol. XII, 1999, p. 687.
87 William Hayter, Château-Musée de Dieppe, 6 juillet - 15 septembre 1968, p. 10-11.
88 « Sculptures d’Henri Laurens », Action, no 61, 2 novembre 1945, p. 12.
89 « L’homme était prédestiné à être médiateur pour la nature, et ce médiateur lui avait manqué (au sens de “faillir”). Maintenant, c’était bien plutôt l’homme lui-même qui avait besoin d’un médiateur. » F. W. J. von Schelling, « Conférences de Stuttgart » (1810), Œuvres métaphysiques (1805-1821), traduit de l’allemand et annoté par J.-F. Courtine et E. Martineau, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de philosophie », 1980, p. 240.
90 « S’il y a imitation dans les arts, elle est dans l’activité du créateur : ce n’est pas l’œuvre qui copie la nature, c’est l’artiste, et il le fait en produisant des œuvres. » T. Todorov, Théories du symbole, op. cit., p. 185.
91 M. Leiris, Fourbis (1955), dans La Règle du jeu, édition publiée sous la direction de D. Hollier, avec la collaboration de N. Barberger, J. Jamin, C. Maubon, P. Vilar et L. Yvert, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 484.
92 A. Masson, Entretiens avec Georges Charbonnier, op. cit., p. 48.
93 A. Masson, « Anatomie de mon univers », Le Rebelle du surréalisme, op. cit., p. 219. Le texte a été publié dans Anatomy of my universe, New York, Curt Valentin, 1943. Il est retraduit de l’anglais par F. Will-Levaillant.
94 A. Masson, Le Rebelle du surréalisme, op. cit., note 13, p. 241.
95 Ibid. Françoise Will-Levaillant date la lettre de 1938. La traduction des Disciples à Saïs est parue en 1939 chez GLM avec un frontispice d’A. Masson.
96 J.-P. Clébert, Mythologie d’André Masson, Genève, Pierre Cailler éditeur, « Peintres et sculpteurs d’hier et d’aujourd’hui. Les grandes monographies », 1971, p. 56. Masson cite également Schelling et Schlegel, voir A. Masson, « Du point où je suis », Le Plaisir de peindre, op. cit., p. 136, et « Peindre est une gageure » (1941), Le Rebelle du surréalisme, op. cit., p. 16.
97 A. Masson, « Monet le fondateur », Le Rebelle du surréalisme, op. cit., p. 130-131.
98 A. Masson, « Anatomie de mon univers », Le Rebelle du surréalisme, op. cit., p. 219.
99 Ibid., p. 220.
100 Ibid.
101 Ibid., p. 221-222.
102 A. Masson, « Peindre est une gageure », Le Rebelle du surréalisme, op. cit., p. 13. L’opposition à la science, commune à l’ensemble de la théorie romantique de l’Art, se combine à la référence au modèle grec tel qu’il est mis en place par les romantiques d’Iéna et notamment par Friedrich Schlegel.
103 Ibid., p. 18. Il en va de même pour les romantiques, pour qui il s’agit d’élever l’inconscient – présence de la nature dans l’homme – à la conscience pour retrouver, à l’intérieur même de l’homme, l’unité originelle de l’homme et du monde.
104 Je laisse ici de côté l’importance de la pensée chinoise dans la réflexion d’André Masson, qui a été étudiée par Françoise Will-Levaillant dans « La Chine d’André Masson », Revue de l’art, no 12, 1971, p. 64-74.
105 Voir J. Dieudonné et M. Jakobi, Dubuffet, Paris, Perrin, 2007, p. 126-127 et 132.
106 « Révélation d’un peintre : Jean Dubuffet », Critique, art. cité, p. 875.
107 Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, op. cit. et Le Recensement universel.
108 « La semaine a été marquée – outre de grandes pluies après les soleils constants – par la reprise de ton livre et du mien, de notre livre. » Lettre de G. Limbour à Jean Dubuffet (1966), publiée par M. Colin-Picon, Georges Limbour : le songe autobiographique (Pleine Marge), op. cit., p. 118. Je souligne.
109 J. Dieudonné et M. Jakobi, Dubuffet, op. cit., p. 360.
110 Dubuffet souligne cette proximité de Limbour vis-à-vis de son œuvre dans une lettre à Paulhan : « Limbour y a pris du plaisir, mais avec lui ça ne compte pas, nous sommes trop copains, il entre dans le jeu avant d’y être, il est comme ces ivrognes saouls seulement de regarder le flacon. » Lettre de J. Dubuffet à J. Paulhan (mars 1944), Correspondance 1944-1968, J. Dubuffet et J. Paulhan, édition établie, annotée et présentée par J. Dieudonné et M. Jakobi, Paris, Gallimard, « Les cahiers de la NRF », 2003, p. 56.
111 Cette dimension paraphrastique n’est pas le propre du seul Limbour et elle est recherchée par Dubuffet qui fournit à ses exégètes des textes, tels son Mémoire sur le développement de mes travaux à partir de 1952, destinés à inspirer leurs écrits. Voir J. Dieudonné et M. Jakobi, Dubuffet, op. cit., p. 337.
112 J. Dubuffet, « Notes pour les fins lettrés » (1946), Prospectus et tous écrits suivants, réunis et présentés par H. Damisch avec une mise en garde de l’auteur, 4 vol., Paris, Gallimard, vol. I, 1967, p. 54-88.
113 « Préambule », Tableau bon levain à vous de cuire la pâte, op. cit., p. 5.
114 « L’art doit naître du matériau et de l’outil et doit garder la trace de l’outil et de la lutte de l’outil avec le matériau. L’homme doit parler mais l’outil aussi et le matériau aussi. » J. Dubuffet, « Notes pour les fins lettrés », Prospectus et tous écrits suivants, op. cit., vol. I, p. 56.
115 C’est ainsi que Dubuffet interprète le silence de Limbour suite à la publication d’Asphyxiante culture en 1968. Voir J. Dieudonné et M. Jakobi, Dubuffet, op. cit., p. 545, note 38. Mais, par amitié sans doute, Limbour est cependant l’un des adhérents de la Compagnie de l’art brut.
116 « Des hommes comme vous », Action, no 78, 1er mars 1946, p. 8.
117 Ibid.
118 Ibid.
119 J. Dubuffet, « Notes pour les fins lettrés », Prospectus et tous écrits suivants, op. cit., vol. I, p. 72.
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