Z
p. 207-208
Texte intégral
1Zalmoxis, zamolxis. Les sources antiques et médiévales attestent les deux formes de ce nom sur lesquelles reposent deux étymologies. D’une part, Zalmoxis vient du thrace zalmos, « fourrure, peau ». Liée à un récit disant que l’on jeta une peau d’ours sur Zalmoxis quand il vint au monde, cette interprétation permet de considérer ce personnage comme un dieu-ours. D’autre part, Zamolxis est tiré du thrace zamol, « terre », ce qui en fait un dieu chthonien, un roi ou un souverain des hommes. Maints chercheurs pensent donc que Zalmoxis est le dieu des morts et de la terre, qu’il personnifie la source de la vie et le sein maternel vers lesquels tous les hommes retournent. Pour Mircea Éliade, ce dieu qu’adoraient les Gètes « n’est pas un dieu de la terre, ni de la fertilité agricole, ni un dieu des morts », mais une divinité initiatique.
Il est difficile de trancher car Zalmoxis n’existe que dans la tradition écrite qui remonte toutefois à une opinion transmise oralement dès le ve siècle avant notre ère. Hérodote entendit les Grecs vivant parmi les Gètes du Pont et de l’Hellespont dire de lui qu’il était leur dieu et plus précisément celui des Thraces les plus vaillants et les plus justes. Selon Socrate, ce fut un roi des Thraces, Platon en fait un roi, un dieu et un thérapeute alors que Mnasès de Patare, un disciple d’Ératosthènes, affirme que les Gètes adoraient Chronos sous le nom de Zalmoxis ; quant à Strabon, il en fait un grand prêtre.
Alors que la tradition orale s’éteignit au 11e siècle de notre ère, une confusion des Gètes et des Goths, et de la Dacie avec la Gothie (le Danemark) assura sa survivance dans l’historiographie médiévale. Quoi qu’il en soit, c’est Hérodote qui fournit l'explication la plus cohérente et la plus détaillée de Zalmoxis. Ses informateurs lui déclarèrent que c’était un homme à l’origine qui vécut un temps à Samos, comme esclave de Pythagore qui lui transmit ses connaissances sur la façon d’interpréter les signes célestes. Plus tard, il séjourna en Égypte et développa ses connaissances sur le sujet, puis rentra chez lui où sa science le rendit célèbre. Peu après, il devint « le bras droit du roi, grand prêtre et, encore en vie, finit par être divinisé » (Mircea Éliade). Hérodote refuse de dire s’il fut un homme ou un dieu, pensant simplement qu’il avait vécu bien avant Pythagore. Il apprit aussi que Zalmoxis fit construire une salle de réception (andreon) où il accueillit l’élite de son pays et lui présenta sa doctrine. Elle comportait, par exemple, la pensée de l’immortalité : les personnes présentes et leurs successeurs ne mourraient pas mais gagneraient simplement un lieu « où ils survivraient toujours et jouiraient d’une complète félicité ». Hérodote dit aussi des Gètes : « Ils pensent qu’ils ne meurent point et que celui qui périt va rejoindre Zalmoxis, un être divin (daimôn). »
Zalmoxis convainquit ses compatriotes de sa doctrine en se retirant dans une demeure souterraine. Les Gètes crurent qu’il était mort et le pleurèrent, mais après trois ans d’absence il leur réapparut et ils crurent à sa résurrection. Sa doctrine a dû être bien connue puisque Socrate rapporte avoir rencontré un Thrace, « un de ces médecins du roi Zalmoxis qui sont réputés capable de conférer l’immortalité ». Zalmoxis n’est pas le seul dont on dit qu’il descendit aux enfers et en revint : on rapporte la même chose de Pythagore, Dionysos, Mithra... Il est célèbre pour avoir conseillé aux Gètes de renoncer à la viande et au vin.
Hérodote rapporte deux rituels afférents à son culte. Le premier est « le sacrifice sanglant d’un messager ». Tous les quatre ans, les Gètes envoyaient un messager à leur dieu pour l’informer de leurs besoins. Cet homme était tiré au sort, puis « les hommes postés pour cela tiennent trois javelines ; d’autres prennent celui qu’on députe auprès de Zalmoxis par les mains et les pieds, le balancent et le lancent en l’air sur les pointes des javelines. Si, transpercé, il en meurt, ils estiment que le dieu leur est propice ; s’il n’en meurt pas, c’est lui, le messager, qu’ils incriminent, déclarant qu’il est un méchant homme ; et après avoir incriminé celui-là, ils en députent un autre ». Il va de soi que cette personne devait être initiée aux mystères de Zalmoxis. Le second est « le tir à l’arc pendant les orages » (Gebeleïzis*) que le Père de l’Histoire n’a sans doute pas compris.
Même si aucune tradition orale sur un culte de Zalmoxis ne subsiste chez les Roumains, on se demande s’il n’en reste pas des traces dans le folklore parce qu’il s’agit là d’un culte citadin et non paysan et que la population daco-romaine fut christianisée très tôt. Les éléments de la religion zalmoxienne (eschatologie, initiation, ascétisme, pythagoréisme) se laissaient christianiser assez facilement. Zalmoxis resta cependant bien plus connu en Europe, du Danemark à l’Espagne, en partie à cause de la confusion entre Gètes et Goths ; en Roumanie, il a pris de l’importance au xxe siècle en raison du développement rapide de l’archéologie et de l’histoire ancienne du pays.
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