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V

p. 197-206


Texte intégral

1Vache (Vaca). C’est un animal béni parce qu'il facilita l’accouchement de Marie, cacha Jésus dans l’étable alors qu’il était poursuivi et le nourrit. Une jeune vache est un cadeau apprécié lors d'un baptême ou d'une noce. Elle porte parfois des bougies allumées sur ses cornes. Dans l'au-delà, elle profitera au donateur. Même Dieu offre à son filleul une vache aux propriétés magiques. On ne doit pas vendre au boucher une jeune vache avant qu’elle ait eut un veau et donné du lait. Si cela arrive, le récipiendaire du don connaîtra dans l’au-delà le sort de Sisyphe car là-bas les vaches sont les sources dont il est obligé de ramener l’eau dans une citrouille au donateur qui se tient sur une montagne. Il n’atteint jamais son but car il renverse l’eau et doit recommencer pour l’éternité.
On dit, par ailleurs, que les vaches offertes de bon cœur deviennent belles et grasse dans l’au-delà, avec peu de nourriture, alors que les autres restent maigres et faibles en mangeant beaucoup.
On attribue des vertus magiques aux vaches. L’une d’elles peut prendre le soleil* sur ses cornes et le rejeter en arrière, du coucher au réveil, afin que le héros ait suffisamment de temps pour achever sa tâche. Une autre accouche d’un fils très vaillant. La vache noire qui fut une femme et dont la métamorphose est due à un serment de sa fille, aide l’héroïne du conte à venir à bout des tâches devant la perdre – ramener une vache ou un veau d’or par exemple en un clin d’œil elle file à sa place bien des quenouillées, collecte les grains de blé dans les chaumes, compte les poils d’une jeune vache, etc. Elle l’aide aussi à tuer le monstre ou lui offre sa vie.

2Vallées (Văile). Il n’y avait pas de vallées sur terre à l’aube des temps : elles apparurent grâce au hérisson* ou au diable* qui tenta d’anéantir l’œuvre divine avec un marteau, ou encore parce que la terre fut fouettée. Sous les coups, elle tressaillit et des hauteurs et des dépressions se formèrent alors, ce qui permit au ciel* trop petit de la recouvrir. Deux vallées sont importantes en mythologie, celle de la désolation et celle du sommeil. Elles sont frappées d'un interdit que transgresse le héros des contes qui est pris alors d’un désir irrépressible de revoir ses parents ou ne peut plus rester éveillé.

3Vampire (Vampir). Voir Revenants.

4Vasilca. Ce nom, dérivé de Vasile (Basile), désigne le rite suivant. Un groupe de jeune gens passe de maison en maison, accompagné de musiciens, la veille ou tôt le matin du 1er janvier (Basile*), ou, selon les lieux, entre Noël et le Nouvel An, le 1er et le 8 janvier, ou encore pendant la première semaine de carnaval. Leur attribut est une tête de porc (ou de truie) posée sur un plateau et décorée de boucles d’oreilles, de colliers de monnaies et de rubans – ou bien c’est une poupée ainsi ornée. Ils chantent une chanson dans laquelle le porc ou la truie répond à Dieu, à saint Jean, à Marie ou à la maîtresse de maison, qui demande comment il s’est nourri pour être si beau et si gras. Le porc a mangé des glands de chêne et de hêtre et bu de l’eau froide. Les Roumains, les Tziganes, les musiciens, les cuisiniers et les enfants affamés l'ont poursuivi et abattu. Les Roumains prirent son lard, les Boyards, ses fibres, et il ne resta que sa tête pour les Tziganes ; ils l’ont ornée et apportée afin d’obtenir des présents (pain, viande, argent). Comme les Colindes*, le chant s’achève par des souhaits de bonheur adressés à toute la famille pour le Nouvel An.
Ce rite se rencontre uniquement dans les Carpates méridionales (Olténie, Munténie, Dobroudja) et les acteurs sont presque tous des Tziganes, ce qui suggère que le rite est né au sein des populations tziganes assujetties par les boyards. La fonction des Vasilca est la même que celle des Colindes : obtenir bonheur et prospérité pour l'année qui s'ouvre.

5Vavila. Ce saint, fêté le 4 septembre, passa toute sa vie dans les bois en compagnie des bêtes sauvages et son corps était aussi velu que le leur.

6Veillée mortuaire (Priveghiul). La veillée se tient dans la maison du défunt où se rassemblent parents, voisins et amis. Elle commence après le coucher du soleil et s’achève à l’aube, c’est-à-dire le temps que le mort reste chez lui. Chaque participant allume un cierge, embrasse la croix et l’icône posées sur la poitrine du gisant, la plupart y déposent une pièce de monnaie destinée à payer le passage dans l'autre monde. On nourrit les participants qui rappellent les bienfaits et la conduite du mort. Pendant la veillée, on sonne de temps en temps du cor alpin afin que la communauté ait connaissance du décès, peut-être aussi afin d’éloigner les esprits malins. À minuit, on chante la Chanson de Veillée (Cântecul priveghiului) qui possède certainement une fonction apotropaïque. Avant et après, on raconte des histoires et on joue à des jeux parfois indécents, même aux cartes. Le but de la veillée est de faire plaisir au mort qui peut encore voir et entendre, et de le protéger des revenants*. En outre, cela passe pour une bonne action dont on sera récompensé après son trépas.

7Veiller (Vegherea). Dans les récits et les rites, veiller est une épreuve initiatique qui joue souvent un rôle important. Parfois on doit veiller trois nuits de suite, en lisant un livre (de prières) jusqu’au premier chant du coq. Grâce à la veille, on peut empêcher que les revenants vous transforment en cheval, annihiler une malédiction ou la magie d’un enchanteur, comme par exemple, ramener à la vie les habitants d’une ville, ou d’un pays, qui ont été pétrifiés. Il faut, certes, veiller, mais aussi se taire et ne ressentir aucune peur, même quand on assiste à des manifestations étranges, à des membres humains séparés du corps, qui tombent du toit et courent autour de vous. La veille est parfois liée au combat contre le monstre qui dérobe les fruits du verger et dévore les champs de froment. Une veille particulière est celle que l’on mène auprès des trésors : elle dure plus longtemps et le veilleur est parfois pétrifié sans perdre pour autant ses facultés humaines.
Dans les rites, la veille a lieu à des dates précises : Noël, le Nouvel An et, surtout, Pâques. La veille pascale rappelle celle des juifs près du tombeau du Christ, qui voulaient empêcher les apôtres de s’emparer de son corps (Marie*). Le Vendredi saint, on expose au milieu de l’église l’icône représentant l’inhumation du Christ, et on la veille jusqu’au matin du dimanche de Pâques. S’il fait très froid, les garçons allument un feu dans le cimetière et les veilleurs vont s’y réchauffer. Le bois du brasier est collecté dans les fermes proches, et si quelqu’un refuse d’en donner, il risque de voir son portail dérobé et brûlé. Durant la veille, on raconte la poursuite, la crucifixion et la résurrection du Christ. Cette veille pascale compte parmi les mérites religieux majeurs. En Bessarabie, tout le monde reste éveillé. Cette nuit-là, les cieux s’ouvrent et celui qui en est témoin voit tous les souhaits qu’il formule exaucés.

8Vendredi, sainte (Sf. Vineri). Une tradition écrite connue depuis le xvie siècle et possédant des équivalents grecs et slaves, narre la vie de cette sainte qui est plus importante que toutes les autres, à l’exception de Marie* et de Dimanche*. Un couple âgé eut, après maintes prières, une fille que l’on baptisa du nom de Vendredi, jour où elle naquit. Ses parents la consacrèrent à l’Église et, à cinq ans, elle partit dans le vaste monde pour répandre la parole de Dieu. Bien des habitants d’Antioche se convertirent après avoir entendu ses prêches, mais l’empereur du pays lui demanda de l’épouser et d’adorer son dieu. Elle refusa, l’empereur voulut la crucifier mais un miracle la sauva. Il la fit alors bouillir sept jours et autant de nuits dans un chaudron rempli de plomb et de goudron (Parascève*). Lorsqu’il ouvrit celui-ci, la sainte était encore vivante et éclaboussa son visage, si bien qu’il perdit la vue. Quand il eut promis de se convertir, elle le guérit de ses larmes, au nom de la Sainte-Trinité. La même mésaventure lui advint dans une autre contrée : là, elle fut jetée en pâture à un dragon qui l’avala, mais elle se sortit d’affaire sans dommages et toute la population et l’empereur adorèrent alors le vrai Dieu. Dans un troisième pays, elle fut encore une fois cuite trois jours et trois nuits, en vain, et l’empereur la fit décapiter un 26 juin. Avant de mourir, elle pria Dieu de protéger les demeures, les fermes, les bêtes et les champs de ceux qui honoreraient cette date. Qui ne le fait pas est maudit et doit être puni.
De nombreux motifs de ces récit se retrouvent dans la tradition orale (Colindes* et littérature de colportage) qui l’enrichit de motifs païens : la sainte apparaît aux femmes qui filent dans la nuit du vendredi ; elle les aide tout en voulant les punir et tente de les faire brûler. Les fileuses lui échappent en lui disant que ses demeures sont en flammes, et elle les quitte. Elle revient et tente d’entrer dans la maison dont on a tiré le verrou, demande aux pots, aux plats, etc. de lui ouvrir, mais ceux-ci ne peuvent se mouvoir car on les a retournés. Seule la lampe de suif, qui est droite, tente de l’aider, mais comme elle est en céramique, elle se rompt en gagnant l’huis, et la sainte reste dehors (Joimăriţa*, Mardi soir*).
Les contes présentent Vendredi comme une femme âgée de deux cents ans, vêtue de blanc, très propre et très pieuse. Une prière populaire dit qu’elle a un fils ; les autres jours de la semaine sont ses sœurs (Mercredi*, Samedi*, Dimanche*). Une chienne aux dents de fer garde son palais où se rassemblent tous les animaux du monde sur lesquels elle règne.
La brave fille qui arrive chez elle reçoit pour son travail une caisse contenant tous les vêtements requis pour un mariage et, en récompense, un fuseau, un dévidoir et un rouet d’or travaillant tout seuls. Mais la mauvaise fille reçoit une caisse de vermine. Vendredi donne aux garçons arc et flèches, ceinture, bride, porcelet et poule couveuse en or. Elle change les paresseuses en belettes* et donne aux femmes mûres le don de guérison.
Dans les coutumes, elle intercède pour les hommes en priant à genoux pour la remise de leurs péchés, mais elle est en même temps d’une grande sévérité pour qui accomplit certaines tâches le jour de sa fête. Le vendredi est marqué de nombreux tabous : les femmes et les cordonniers ne doivent pas travailler ; il est interdit aux hommes de percer, de sarcler leur vigne, et à tous de faire la lessive et de préparer des repas, de cuire pain et viande – on appelle ainsi canicule et tempête –, de se laver les cheveux, de baptiser ou baigner des enfants, de se couper les ongles ou de trancher quoi que ce soit, de filer, de tisser, de semer et de balayer les demeures. Transgresser ces interdits amène la cécité, la perte de mémoire, des maladies, dans l’ici-bas et l’au-delà, amène grêle et vents qui dévastent les récoltes. Le vendredi, il faut entamer certains travaux, les filles jeûnent pour se marier ou être aimées plus tôt et mettre au monde de beaux enfants.
Les deux vendredis précédant Noël, les douze avant Pâques, et surtout le Vendredi saint, sont importants. Le jour de la crucifixion, on jeûne totalement pour être épargné par les maladies et recevoir l’aide dont on a besoin de son vivant. Le seul travail autorisé est de colorier des œufs. Pour se protéger des insectes et des bêtes, on fait, de bon matin, trois fois le tour de la maison, de la ferme et même des arbres fruitiers, et on les encense. Il faut faire le premier pas sur un morceau de fer pour rester sain. La première eau tirée du puits guérit goitres et scrofules. Se baigner dans le fleuve est bon pour certains maux. Une étoffe, sur laquelle est représentée la mise au tombeau du Christ, est prise sur l’autel et placée dans l’église entre l’espace réservé pour les hommes et celui pour les femmes, où elle reste jusqu’au dimanche pascal, et si l’on passe et repasse trois fois dessous, on est préservé des maladies, de la foudre et du feu. Les femmes décorent l’étoffe de fleurs qui sont ensuite utilisées comme remèdes.
Le vendredi est également une fête des morts : les femmes allument des bougies sur les tombes et pleurent les disparus. Le Vendredi saint, les cloches doivent se taire, mais les filles les sonnent pour favoriser la croissance du chanvre.

9Vent (Vânt). Dieu créa le vent parce que l’araignée avait tissé sa toile entre les arbres, empêchant ainsi les hommes de profiter de la chaleur et de la lumière du soleil. Le vent a une importance comparable à celle du soleil* et de la lune*. Il détruit les toiles d’araignée et favorise la croissance des céréales qui, sans lui, ne poussent pas ou sont amères. Parfois, le vent est compris comme l’esprit ou la pensée de Dieu, ou bien c’est saint Jean Baptiste* ou encore un ange puni pour sa désobéissance à errer par le monde et à se heurter à tout ce qu’il rencontre. Plus rarement, on dit qu’une fois que Dieu eut achevé de créer les astres, le diable voulut avoir sa part ; il réclama le soleil et le reçut, c’est-à-dire qu’il en fut toujours proche et en fut presque brûlé. Suivant le conseil de Dieu, le diable confectionna quatre ailes qu’il fixa aux quatre coins de la terre : leurs mouvements soulèvent le vent. Une autre tradition dit que le vent est le fils d’une vierge, fille d’un empereur, et qu’elle le conçut en rêve. Dieu baptisa l’enfant puis l’enferma dans un arbre creux à cause de sa force monstrueuse. Il ne peut souffler que par un petit trou, ce qui diminue le danger de voir le monde soufflé. Partout on raconte qu’à l’origine le vent pouvait souffler aussi souvent et aussi longtemps qu’il voulait, ce qui eut des conséquences désastreuses pour les hommes ; Dieu réduisit sa force et le condamna à ne plus souffler que de temps en temps.
On représente le vent comme un enfant très vif ou comme un adolescent magnifique et robuste. Ceux qui n’ont pas mangé d’oignons et d’aulx ou qui n’ont pas conté leurs rêves jusqu’à l’âge de sept ans, l’ont vu comme un jeune homme aux pieds nus et sanglants qui parcourt le monde ; on lui a enlevé Ileana Cosânzeana* et il la cherche pour l’éternité ; parfois, il tombe de fatigue. On se le représente aussi comme un père de douze enfants que Dieu enleva. Il cessa alors de souffler pendant trois ans et le Seigneur ne put le convaincre de reprendre son activité et le pain fut amer. Seul le coq* réussit à le faire souffler en lui disant qu’il avait perdu bien plus de fils mais continuait à chanter. Il se montre aussi parfois comme un aveugle, ou gardé par un aveugle, ou encore en géant avec neuf narines qu’il peut utiliser toutes à la fois. Il est enchaîné et tenu dans une caverne, dans une maison au sommet d’une montagne, dans un château, au ciel, dans la terre ou dans un tonneau, et n’a que de temps en temps la possibilité de souffler. Il obéit à un vieillard ou à Simon-sur-le-Poteau*.
Il existe plusieurs vents (quatre, sept, douze – en ce cas se sont les fils de Dimanche* – ou vingt-quatre) ; certains soufflent haut dans le ciel, d’autres plus bas, certains sont bons, d’autres mauvais. On redoute le vent du Nord (Crivăţ) dont le corps est de glace, la chevelure de neige et la barbe de givre. Pernicieux sont aussi Trăistarul et Sârâcilâ : ils amènent la sécheresse et obligent bien des gens à partir mendier. On craint aussi le tourbillon* qui naît quand les diables dansent avec la fille d’Hérode (Hérodiade*) : il indique qu’un homme s’est noyé ou pendu, que les âmes des défunts se battent ou que les moulins célestes se sont mis en route. Le vent des hauteurs est mauvais : il indique qu’un homme en route pour le ciel se bat avec le diable. Il souffle si haut que seuls l’alouette* et l’aigle* peuvent l’atteindre, mais ils sont aussitôt pris de rage et s’abattent morts sur la terre. Le tourbillon* aussi est dangereux : pour s’en protéger, il ne faut pas dévider après Pâques car le mouvement du dévidoir l’attire.
Le vent se querelle avec le soleil* et le gel car il peut aussi bien réchauffer le monde que le refroidir alors que les deux autres ne sont capables que de l'un ou de l’autre. Il lutte contre le soleil*, la lune* et le feu*.

10Ver (Vierme). L’origine des vers qui se développent sur les cadavres et dont le nom scientifique est Vivipara remonte au déluge. Un géant se retint par les mains à l’anse du ciel et appuya ses pieds sur deux sommets ; Dieu envoya deux grands vers sous la plante de ses pieds et deux mouches dans ses yeux afin de le déranger et de provoquer sa chute dans l’eau. Le géant tomba, se noya et, depuis, les mouches et les vers ont le privilège de dévorer les cadavres. Ils apparaissent près du lit de l’agonisant, juste avant son trépas.
Saint Gherman* préserve les hommes d’autres vers et chenilles. On le fête le 1er ou le 12 mai.

11Ver à soie (Viermele de mătase). Les Macédo-Roumains racontent que sainte Marie* demanda à une tortue de distribuer des aumônes pour l’âme du Christ à tous les enfants des villages. L’animal prit des petits pains, les distribua aux enfants à l’école, mais conserva le plus beau pour son propre petit. Marie lui en demanda la raison et la tortue répondit qu’elle voulait le donner au plus beau des enfants et qu’aucun n’était aussi beau que le sien. Cela fit rire Marie, mais pour que ce rire ne soit pas néfaste pour l’enfant, elle cracha (mauvais œil*, salive*) et ainsi naquit le ver qui mange des feuilles et fait de la soie. Selon un autre récit, Marie rencontra Jésus se rendant au Golgotha et aperçut une tortue* parmi ceux qui l’accompagnaient. Elle en rit, le regretta aussitôt et se dit : « Bouche, tu n’es bonne que pour les vers ! » Elle cracha et c’est ainsi que le ver à soie vint au monde.
Dans l’année qui suit les noces, les nouveaux mariés ne doivent pas élever de vers à soie, cela pourrait être mortel.

12Vieillard de la forêt, le (Moşul Codrului). C’est le pendant masculin de la Mère de la Forêt*. Il ressemble à Faunus ou à Silvanus, habite les profondeurs de la forêt où ne pénètrent ni soleil ni lune. Il est âgé, hideux, sa tête semblable à une ruche, ses yeux, à des passoires, ses dents, à des faucilles, ses jambes, à des dévidoirs. Il est très méchant, tue, mutile et mange ceux qu’il rencontre dans les bois, mais il est aussi d’une sottise telle que même un enfant peut le berner.

13Vieille, la (Baba). « La Vieille » est le terme générique s’appliquant aux femmes qui sont veuves ou n’ont plus de relations sexuelles. La solitude et l'isolement dans lesquels elles vivent leur valent les qualificatifs de « sainte » et de « sorcière ». Elles peuvent guérir du mauvais œil* et des maladies psychiques, prévenir les épidémies et les tempêtes, annuler les sortilèges et aider lors des accouchements. Elles connaissent le déroulement exact des rituels et cérémonies ainsi que leurs conséquences, et elles cuisent le pain consacré pour la messe. Neuf Vieilles filent, tissent, coupent et cousent en une seule nuit la chemise-de-la-peste grâce à laquelle cette maladie est écartée du village (Choléra et Peste*).
Les représentations négatives de la Vieille en font un croquemitaine, une sorcière, un être diabolique. On raconte qu’une Vieille se prit un jour de querelle avec le diable ; saint Pierre* leur trancha la tête, regretta son acte et tenta de le réparer : par mégarde, il replaça la tête du diable sur le corps de la Vieille. Depuis ce temps-là, elle surpasse le démon en méchanceté et peut même lui donner des cheveux blancs. Dans tous les cas, elle est sa complice, maligne et cannibale. Elle dérobe le soleil, la lune, les étoiles et les cache dans ses marmites ; elle dispose de l’eau de vie, ne peut être tuée car, derrière sa porte, elle possède un pot rempli d’âmes, d’où elle en tire une en cas de besoin.
La Vieille intrigue, sépare les époux, les frères ou les amis (Dokia*) et peut se métamorphoser, par exemple, en mouche. Les contes évoquent une Vieille qui a la fonction de dispensatrice : elle donne aux protagonistes le bon conseil qui assure le succès de leur quête.

14Vigne, vin (Via, Vinul). Alors que Noé* construisait l’Arche, le diable lui offrit une vigne couverte de raisins. Noé en apporta à Dieu, il les apprécia et demanda qui avait inventé cette plante : « La main de l’homme », répondit Noé qui croyait que le diable en était un. « Emmène-la dans l’Arche », déclara Dieu, et c’est ainsi que le diable fut épargné par le déluge*. Après le déluge, le démon apprit à Noé à faire du vin et de l’alcool et réalisa son vœu : semer la discorde et le meurtre parmi les hommes. Une autre tradition rapporte que l'eau potable manqua après le déluge ; Noé et ses fils prièrent Dieu d’apaiser leur soif, et Il fit pousser une vigne avec de grandes grappes, ce qui réjouit les hommes qui, malheureusement, eurent l’idée de faire du vin et d’en avoir toujours chez eux. Mais ils oublièrent de remercier Dieu qui les punit en faisant en sorte que le vin les enivre. On dit, enfin, que Noé planta de la vigne mais dut partager son vignoble avec le diable. Pour reconnaître sa part, ce dernier abattit d’abord un agneau, puis un lion, un porc et un singe, et il arrosa ses ceps de leur sang. Lorsque Noé mourut, sa vigne disparut et il ne resta que celle du diable. C’est pour cette raison que l’homme qui boit est d’abord doux comme un agneau, puis se prend pour un lion avant de se conduire comme un porc ou comme un singe. Pour les chrétiens, le vin est le sang que le Christ versa lors de la crucifixion.
La culture de la vigne, à laquelle les Gètes renoncèrent un beau jour (Decenaeus*. Zalmoxis*), est accompagnée de rites magiques christianisés. Avec les prêtres et les pauvres, les vignerons font, plusieurs fois par an, le 1er février notamment (Trifon*), la fête dans leur vigne : ils coupent jusqu'à trois ceps, arrosent leurs racines de vin et d’eau bénite, récitent des prières pour protéger le vignoble des orages et des insectes. Cela se fait aussi à la Saint-Georges*, à l’Ascension*, à la Pentecôte* et à la Saint-Jean*. D’autres saints (Barthélemy*, Basile*, Élie*, Opârlia*) protègent aussi les vignes où l’on ne travaille pas certains jours de l’année. À la mi-août, on les protège des voleurs, des oiseaux, des insectes et des intempéries par un rituel peu connu : on les exorcise avec la terre d’une tombe récente.
Le vin est utilisé par les chrétiens et les païens. Avec lui, les parents du nouveau-né tentent d’obtenir les faveurs des Fées du destin* et de découvrir la mandragore*. On arrose de vin le corps des revenants putatifs afin qu’ils trouvent le repos éternel. Les saints se baignent dans du vin à Noël. Le vin dispute la préséance au blé* et à l’huile sainte parce qu'on l’utilise pour les mariages. À l’origine, le vin coulait dans tous les fleuves et sources à la place de l’eau, mais les hommes étant devenus mauvais, cela ne se produit plus que la nuit de la Saint-Basile*, lorsque les cieux s’ouvrent pour un court instant. Qui n’insulte pas la vigne où il travaille pendant sept ans, est accueilli au ciel car le vin est le sang du Christ. Lors des enterrements, on asperge le cercueil et la tombe de vin en traçant une croix.

15Violette (Vioreaua). À l’origine, ce fut la splendide fille d’un empereur et elle aimait fort les fleurs. Elle souhaitait instamment en être une et Dieu l’exauça, la changeant en une violette qui a la couleur de ses yeux et la faculté d’annoncer le printemps. Selon une autre tradition, les Fées du destin* décidèrent qu’à l’âge de douze ans, la fille de l’empereur serait ravie par la Fée des Fleurs. Malgré toutes les mesures prises par les parents, elle fut enlevée et changée en violette.

16Violon (Vioara). Il fut inventé par le diable mais n’émit aucun son jusqu'à ce que Dieu l’améliorât. On peut embellir sa sonorité en y introduisant une tête de coucou. C’est l’instrument des méchantes fées*, il peut apaiser la douleur et ressusciter les morts. Il faut le protéger du mauvais œil* et ses cordes servent d’amulettes.

17Voie lactée, voie des esclaves (Calea laptelui, Calea robilor). Elle occupe une place importante dans les constellations, ce qui ressort de la variété des noms qu’on lui attribue : ceinture du ciel, de la terre, des anges, de la Vierge Marie, chemin des justes, des rois mages, des anges, du filleul, chemin du paradis à l’enfer, bois du ciel ou de Trajan*... Le nom le plus courant reste la « Voie lactée ». Elle représente le lait de la vache offerte par Dieu ou le pot de lait qu’une femme ou un Tzigane lancèrent au ciel. Selon une autre étiologie, un adolescent déroba du lait à son parrain qui possédait de nombreux moutons ; il remplit des outres qu’il chargea sur son âne, mais, sur le chemin du retour, un ange fit deux trous dans celles-ci et le lait s'écoula lentement sur le sol. En guise d’avertissement pour les voleurs, les gouttes de lait ne séchèrent jamais et tout le monde peut les voir. Selon un autre récit encore, ces gouttes coulèrent des seins d’une mère désespérée parce qu’un aigle lui avait ravi son enfant, et qui le cherche dans le ciel.
La Voie lactée s’appelle aussi Voie des Tziganes parce qu’un jeune Tzigane vola un jour une botte de paille à son parrain, en perdit en route et laissa donc trace de son méfait. Le rôle du Tzigane est parfois joué par un prêtre ou par un filleul, sans autre précision ; la Voie lactée est alors appelée Voie du Parrain. Quand elle sert à l’orientation nocturne, on la nomme Voie des Aveugles puisqu’elle aide ceux qui ne voient pas.
Ce thème apparaît aussi dans l’histoire. La Voie lactée aida Charlemagne à atteindre Saint-Jacques-de-Compostelle, et Trajan* et ses soldats à parvenir en Dacie. Elle profite aussi aux prisonniers d’Alexandre le Grand*, de Trajan, l’empereur romain, de Arghir, empereur légendaire, des Cynocéphales*, des Turcs ou des Tatares : ils purent s’échapper et rentrer chez eux grâce à elle car ils ne se déplaçaient que de nuit. C’est pourquoi la Voie lactée s’appelle Voie des Esclaves ou Voie de Trajan. Elle permit aussi aux juifs de s’orienter, lorsqu'ils eurent besoin de trois jours et trois nuits d’obscurité pour s’enfuir d'Égypte. On dit encore, plus rarement, que la Voie lactée représente la route que parcourut de nuit un riche éleveur de porcs entre les Carpates et la Thrace, au sud du Danube, pour rendre visite à celle qu’il aimait ; une nuit, il se noya dans le Danube et son chemin le conduisit au ciel.
Pour les chrétiens, la Voie lactée est le chemin du ciel, la route qu’empruntent les bonnes âmes pour gagner le paradis ; Alexandre le Grand* et Élie* firent de même. Là s’ouvrent les cieux à la Saint-Basile* et aux Petites Pâques*.

18Voler (A fura). Pouvoir voler sans être puni relevait des libertés accordées aux jeunes pendant leur initiation, ce qu’atteste le conte narré par Hérodote à propos du trésor de Rhampsinite, dont il existe des variantes roumaines : un voleur reçut en récompense de son adresse la main de la fille de l’empereur et la moitié du royaume. Dans les chants populaires, le voleur de chevaux jouit de sympathie et son acte est tenu pour héroïque. Pour ne pas être pris, les voleurs mirent au point des stratégies dont attestent la Roumanie et les autres cultures populaires. Les yeux fermés, ils se rendaient dans les cimetières, prenaient de la terre des tombes et la jetaient sur les maisons où ils voulaient voler, afin que les habitants ne puissent les entendre. Ceux qui avaient peur d’être volés faisaient de même : ils prenaient de la terre d’une tombe fraîche où gisait un homme, en disant : « Le mort ne bouge pas, ne voit pas, n’étend pas la main : les voleurs ne doivent pas voir ma maison et ni y entrer. » Dans un autre rite, le voleur faisait le tour de la maison visée en tenant la main ou au moins le doigt d’un mort, afin que les habitants et leurs chiens dorment profondément.
Le voleur joue parfois un rôle important dans la magie. L’exorcisme, secret de quelques femmes, ne peut être appris que si on le « vole sur leurs lèvres ». Les objets servant aux pratiques magiques – couteau, farine, etc. – doivent être dérobés pour produire l’effet souhaité. Pour mettre fin à la sécheresse, on jette dans le puits des tuiles, des brocs, des cuillers volés. Très efficace est une cloche à cuire le pain dérobée par une femme enceinte et jetée au même endroit. On vole le claquoir (toacă) et la cloche de l’église, la croix d’une tombe, l’icône de la Vierge ou une herse, et on la jette dans la rivière pour appeler la pluie. On obtient le même résultat avec le cercueil d’une sorcière récemment inhumée, ou avec celui d’un ivrogne.
Au nombre des motifs repris par le christianisme, on citera le berger* et l’écrevisse* qui volèrent le plus grand des clous forgés pour la crucifixion du Christ, et le forgeron, qui déroba une partie du fer destiné à fabriquer ces mêmes clous ; Jésus ou Marie les en récompensèrent.

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