L
p. 112-119
Texte intégral
1Laboureur (Plugarul). Il s’agit d’un rite célébré le lundi de Pâques dans de nombreux villages. Le laboureur est un jeune homme qui, au printemps, part labourer le premier. Après la messe, les jeunes du village se rendent chez lui. Le laboureur cache sa herse dans le fumier et se dissimule lui-même dans le coin le plus sombre de sa ferme. On le découvre ainsi que sa herse, on les orne de branches vertes et on les porte au fleuve ; parfois ce sont quatre jeunes gens sous le joug qui accomplissent ce transport. Là, le laboureur plonge dans l’eau, ou bien on l’y jette avec la herse. Plus profond est son plongeon, plus purs seront les champs. Après ce bain forcé, le laboureur est ramené chez lui par la jeunesse villageoise et des musiciens, et l’on fait la fête en mangeant, buvant et dansant.
2Lazare. On en connaît trois. Tout d’abord le pauvre Lazare qui souffrait de la lèpre et que tout le monde abandonna, y compris son riche frère et son épouse. À sa mort, son âme entra au paradis, celle de son frère, en enfer où elle ne cesse depuis de réclamer son aide. Puis Lazare de Vitania, frère de Marthe et Marie, que Jésus ressuscita ; il vécut encore trente ans mais ne raconta à personne ce qu’il vit dans l’au-delà. Enfin le jeune Lazare qui, la veille de ses noces, tomba d’un arbre et se tua. Ses trois sœurs découvrirent son corps, le baignèrent de lait doux puis l’enveloppèrent de feuilles de noyer. C’est le thème d’une chanson qu’entonnent une ou trois jeunes filles qui passent dans les maisons, l'une habillée en fiancée. Ce rite est connu en Roumanie méridionale et chez les Roumains des Balkans.
Selon d’autres traditions, Lazare était un enfant qui demanda à sa mère de lui faire des gâteaux de feuilles ; comme elle refusait, il se jeta sur son fuseau.
La mort violente, le bain rituel ainsi que la métamorphose, selon les régions, des protagonistes en végétation luxuriante sont les raisons pour lesquelles ou pense que Lazare est un héros, ou dieu de la végétation, peut-être un vestige du culte de Dionysos auquel se mêlent des éléments chrétiens, le nom des acteurs par exemple.
3Lénore (Voichiţa). C’est le nom d’une ballade bien connue de l’Europe du Sud-Est, qui narre l’histoire d’une femme mère de neuf fils et une fille. Sur les conseils de son aîné qui lui promet de ramener sa sœur une fois l’an, la mère la laisse se marier dans un pays lointain. Une pestilence tue les neufs fils et la mère prononce une terrible malédiction sur son aîné : son corps ne pourrira pas tant qu’il n’aura pas tenu sa promesse. Le fils sort du tombeau, son cercueil se change en cheval, il ramène sa sœur puis s’en retourne dans sa tombe. La mère et la fille trépassent alors. En Allemagne, une célèbre ballade de Bürger puise à la même source.
4Lièvre (Iepurele). Il annonce malheur ou mort, et l’homme qui le suit trépasse. On le redoute parce que le diable peut prendre sa forme. Le pire lièvre est celui qui possède une patte plus courte que les autres et dont la force surpasse celle d’un bœuf.
Au début du monde, le lièvre exigea de se nourrir d’hommes, mais il fut condamné à être mangé par ceux-ci. Certaines parties de son corps rendent la fécondité à ceux qui l’ont perdue, sont utilisées contre diverses maladies ou en magie. Le lièvre sert aussi de cachette : l’âme du géant se trouve dans un sanglier, où se trouve un lièvre, où se trouve un oiseau, où se trouve un œuf dont la destruction amène la mort du géant (thème de l’âme externe). Chaque cordeau avec lequel on a mesuré un Calouchari*, et qui représente donc son énergie vitale, est conservé dans un lièvre mort.
5Lion (Leul). Sa présence dans les cultures orales d’Europe est rare et limitée aux contes populaires. La Roumanie et l’Espagne font ici exception. En Transylvanie occidentale et méridionale, dans la Dobroudja, la Moldavie du Sud et la Bessarabie, une célèbre colindã* raconte comment un jeune homme armé d’une massue et d’un arc entreprend de mesurer ses forces à celles du lion de la forêt. Il le cherche tout le jour et finit par le trouver assoupi sous un roncier ou sous un rosier en fleurs. Le lion s’éveille et lui demande s’il est las de vivre et veut mettre fin à sa vie, lui laissant le choix de sa défense – fusil, épée ou lutte – ou de sa mort. Le jeune homme choisit la lutte car c’est la technique de combat la plus noble, et tous deux s’affrontent tout le jour. Le soir venu, le héros réussit à passer un collier au lion et descend avec lui au pays plat. Tous le félicitent à commencer par sa mère qui a baigné et langé un enfant qui a réussi, adolescent, à capturer et ramener le lion. Dans quelques textes, le héros tue l’animal et ramène à la cour royale sa tête plantée à la pointe de son épée.
On retrouve ce chant dans les romances espagnoles. Il évoque Samson, David et surtout Hercule*, qui tous vainquirent un lion. L’examen attentif de cette tradition exclut l’emprunt à la Bible ou à des bestiaires médiévaux. Chez les Daces du Ier siècle avant notre ère, le lion était connu et les derniers furent observés à la fin du Ier siècle après Jésus-Christ en Europe du Sud-Est. Son extermination coïncide à peu près avec la conquête romaine de la Dacie, événement qui entraîna une restructuration de la culture populaire dace et peut-être la réémergence du mythe du lion plus ancien. Cela favorisa la naissance d’un court récit, puis d’un chant dans la nouvelle langue romane, narrant la lutte victorieuse d’un adolescent et d’un lion. Alors que l’animal est tué dans les récits bibliques, la geste d’Hercule et dans les romances espagnoles, la colindă roumaine présente sa capture sans blessures et en fait le symbole de l'héroïsme. Il s’agit d'un très ancien rite d’initiation qui trouva le chemin de la littérature dans les premiers siècles de notre ère.
6Loriot (Grangurul). C’est l’empereur des oiseaux et il est sacré. On le connaît surtout pour la façon dont il construit son nid et parce qu’il y glisse une pièce de monnaie. On l’a donc assimilé, dans la région de Haţeg, à Maître Manole*, le célèbre architecte de l’église de Curtea de Argeş, qui se transforma en oiseau lorsque sa femme eut été emmurée vivante. Dans d’autres régions, il passe pour le frère qui cherche sa sœur enlevée par les Turcs.
7Loup (Lupul). Il fut créé par le diable, mais Dieu lui donna une âme. Il poursuivit le diable et le mordit au talon, enlevant un peu de chair. Cette poursuite se répète tous les ans, du 1er au 6 janvier. Il est interdit d’utiliser le mot « loup », aussi l’appelle-t-on « Seigneur » et la louve est nommée « Dame ». Les hommes l’admirent en raison de sa force extraordinaire et donnent son nom à leurs enfants lors de leur premier baptême, ou lors du second qui a lieu après une maladie, afin que les maux ne s’attaquent plus à l'enfant. Pour la cérémonie du baptême, trois adolescents tracent trois cercles concentriques avec la griffe du loup, puis chacun « danse » avec l’enfant dans celui qu’il a tracé. Les maladies restent ainsi à l’écart du petit. Pendant leur initiation, les adolescents se déguisent en loups (Daces*). On conseille au mort de se lier d’amitié avec le loup qu’il rencontre sur le chemin de l’au-delà afin que celui-ci lui montre le chemin du paradis.
Selon une croyance très répandue, si on le rencontre tôt le matin, surtout à Noël ou au Jour de l’An, c’est un bon présage, mais si on est vu par un loup qu’on n’aperçoit pas, on est enroué – Pline l’Ancien dit la même chose. Celui qui réussit à avoir un poil de sa queue est aimé de toutes les femmes. De nombreuses parties de son corps servent d’amulettes, de remèdes ou de charmes/sortilèges.
Pourtant, l’homme redoute le loup. Le calendrier populaire ne comporte pas moins de trente-cinq fêtes qui lui sont consacrées. Elles visent à empêcher la bête de nuire aux animaux domestiques. Il est alors interdit de se peigner, de jeter dehors les ordures et surtout des cendres, de prêter des objets de la maison, de filer, coudre, moudre, tresser, percer, piquer, etc. Ces tabous sont accompagnés d’autres rites qui visent à empêcher le loup d’ouvrir la gueule : on lie ciseaux et cardes, on fait des nœuds, ferme les serrures, enduit le four de glaise, etc. Seule la lessive est autorisée (Philippes*).
Deux fois par an, les nuits du 16 janvier et du 30 novembre, les loups se rassemblent pour recevoir leur nourriture de leurs saints patrons Pierre*, Andrée* et Trifon le Fou*, dont ils sont les chiens. Ceux-ci leur donnent des tranches d’une miche qui ne diminue jamais. Les loups ne peuvent attaquer les hommes, les bêtes, qu’avec une permission spéciale de leurs patrons, sinon ils doivent se contenter de manger de la terre. Les animaux qu’on a arrachés à leur gueule ne doivent plus être consommés. Pour empêcher que les loups ne se multiplient, on évite de sortir les ordures la veille de la Chandeleur* car il pourrait s’y trouver un morceau de charbon de bois rendant féconde la louve qui en est avide.
8Loups-garous i (Vârcolacii). Ils mangent la lune et les étoiles, naissent d’enfants morts ou tués avant le baptême, d’enfants incestueux ou de faux morts dont les âmes se sont élevées quelque temps jusqu’au soleil et à la lune et n’ont plus retrouvé leur corps parce que celui-ci a changé de place. Ils naissent aussi de la transgression de certains interdits : quand l’homme frappe le feu avec son couteau, sa cuillère ou la pelle à feu, quand il tamise la farine le dimanche ou quand les femmes travaillent à leur rouet dans l’obscurité et dans un but magique, car le fil ainsi produit permet aux loups garous d’atteindre le soleil et la lune.
Très souvent, les loups-garous sont assimilés à des animaux fantastiques – dragon, drac, serpent polycéphale, etc. – et sylvicoles – loup, lièvres, etc., et même à des animaux domestiques – chat, chien... On les représente aussi comme chiens de Dieu, comme bêtes du ciel ou comme insectes.
9loups-garous ii (Pricolicii). Un second type de garous est parfois confondu avec le diable ou le fantôme appelé Stafia ou encore l’esprit-amant* (Zburătorul). Ce sont en fait des démons métamorphosés en chien ou en chat, ou des hommes possédés. Ils travaillent le plus souvent la nuit et gênent les autres le jour dans leurs tâches.
Les loups-garous sont des individus prédestinés à se changer en loup par moment. Ils ont une queue et sont les âmes des malfaisants refusés dans l’au-delà. Ils quittent leur sépulture à la nuit tombée, prennent la forme d’un porc et ne regagnent le tombeau qu’au premier chant du coq. Ils naissent de bâtards dont les parents et grands-parents étaient eux-mêmes des bâtards, d'enfants morts sans baptême ou incestueux, ou du neuvième enfant né le même mois de l’année que son aîné. Ceux qui passent sous la civière sur laquelle repose un mort sont varoués. Si un chat passe sur un cadavre, celui-ci devient un loup-garou. Qui boit sa propre urine ou celle d’un loup, son propre sang ou celui d’un autre, ou encore, alors qu’il est adulte, boit le lait d’une femme devient un loup-garou. Le deviennent aussi les suicidés et ceux qui ignorent les principales prières, notamment le rêve de la Vierge Marie.
Quand de tels hommes éprouvent la nécessité de se métamorphoser, ils se retirent à l’écart et font les pieds-en-l’air ; ils prennent ainsi la forme d’un chien ou d’un être mi-chien, mi-homme, ou celle d’un porc, d’un ours, d’un âne, d’une souris, d’un chat... Selon quelques sources, cette métamorphose peut se produire n’importe quand ou seulement à des moments précis. La transformation à rebours s’effectue de la même façon.
Le loup-garou a l’apparence d’un hybride mi-bête, mi-homme, dont les pattes antérieures sont plus courtes que les pattes arrières. Ils hantent les forêts avec d’autres loups, sont même leurs meneurs, tuent bêtes et êtres humains ou leur arrachent nez, oreilles, bouche ou gueule et aspirent leur sang. Ils enlèvent les enfants à leurs mères, les éventrent et abandonnent leurs cadavres. Ils peuvent se glisser dans les maisons par le trou de la serrure et peser sur la poitrine des dormeurs, ce qui les apparentent au cauchemar.
Quand un loup-garou est blessé à un endroit qu’il ne peut lécher, il perd à tout jamais la faculté de se métamorphoser et redevient donc un homme normal, mais la cicatrice révèle son passé de garou. Il doit le reconnaître et nommer celui qui l’a blessé sinon, à sa mort, son âme ne pourra quitter son corps.
De nombreux récits narrent comment une femme remarque que son mari est un garou : un jour qu’elle gagnait les champs pour y travailler, un loup l’attaqua et déchira son tablier ; plus tard, elle remarqua des lambeaux du tablier entre les dents de son époux alors qu'il riait. Une autre femme creva les yeux d’un loup avec sa fourche, et la cécité fut le prix que paya l’homme pour ne plus être un garou. D’autres femmes auraient reconnu qu’un certain loup était un homme parce qu’il possédait une dent en or. Certains récits indiquent que l’on peut mettre fin à l’existence d’un loup-garou en lui donnant un morceau de pain. Parfois on lui lance le pain avec un sac, un couteau ou d’autres objets que l’on reconnaît plus tard quand l’homme a été libéré de cette malédiction.
10Loutre (Vidra). Aussi nommée chien des eaux, elle passe pour la souveraine de la mer profonde et secrète formant la frontière entre l’ici-bas et l’au-delà. On dit parfois qu’elle réside près des racines du sapin mythique au sommet duquel perche le faucon et au milieu duquel se tient le serpent, une image qui rappelle Yggdrasill, l’arbre cosmique des anciens Scandinaves. Quand il gagne l’autre monde, le mort doit prendre la loutre pour sœur car il a besoin de son aide. Dans un chant épique, la loutre punit le jeune homme qui a pêché son fils et l’a battu (Antofitã*).
11Luciole (Licuricii). Les anges* qui accompagnèrent Dieu quand ils visita la terre, furent changés en étoiles pour ne pas narrer aux autres anges combien la vie sur terre était belle. Tous étaient heureux puisqu’ils pouvaient ainsi observer la terre de tout temps. Toutefois, l’un d’entre eux fut mécontent car il s’était épris d’une gardienne de moutons et aurait volontiers échangé son existence d’étoile contre une vie terrestre. Dieu l’ôta donc du ciel et le jeta si violemment sur terre que jaillirent des myriades d’étincelles qui ne s’éteignirent point et devinrent des lucioles. Pour cette raison, elles s’appellent « Feu de Dieu, Feux des Bois, Fils du Diable » ou « Yeux du Diable », etc. Selon d'autres traditions, un mauvais ange se glissa parmi les bons et gagna la porte du ciel où Pierre le démasqua puis le rejeta sur terre. Les morceaux de son corps ressemblèrent à des lucioles. Ces insectes sont aussi nés du corps de Satan broyé par ses enfants. Les étincelles qui se prétendirent plus lumineuses que la lune se transformèrent en lucioles. On dit aussi que Dieu mit les lucioles à la disposition de saint Pierre* afin qu’il puisse poursuivre, même la nuit, le coucou* qui lui avait volé son cheval.
Qui trouve de nombreuses lucioles est l’ami du diable, mais quand un aveugle en découvre neuf, il retrouve la vue. Les lucioles procurent un esprit clair à l'enfant dans le bain duquel elles sont plongées. Elles annoncent le beau temps et sont utilisées dans la médecine populaire.
12Lune, nouvelle lune (Luna, Crai Nou). Chez tous les peuples romans, cet astre est féminin. En Roumanie, un seul témoignage (provenant de Botoşani) en fait un être mâle. Dieu créa la lune à partir de l’argent et du silex apportés par le diable*, et sept démons l’élevèrent au ciel. On croit aussi qu’elle est l’œil gauche arraché à une femme qui, à l’aube des temps, accoucha de deux diablotins. L’œil crût rapidement, s’envola vers le ciel et devint la lune. On considère que lune et soleil sont les yeux de Dieu, mais on représente aussi l’astre des nuits comme la fille d’un pauvre pécheur, qui, sous forme de poisson, aurait épousé le Soleil ; mais elle se comporta si mal envers sa belle-mère que celle-ci mourut, alors son époux la condamna à être lune.
Le mythe le plus répandu présente le soleil et la lune comme frère et sœur. Ayant cherché en vain une fiancée de par le monde, le soleil s’éprit de sa sœur assise à son rouet et voulut l’épouser. Elle tenta de l’en empêcher par tous les moyens et lui conseilla de demander au ciel si un tel mariage était autorisé. Le vieil Adam conduisit le jeune homme en enfer et au paradis, lui montrant ce qui l’attendait : l’enfer, s’il épousait sa sœur, le paradis, s’il y renonçait. Le frère n’en fut point effrayé et il surmonta d’autres épreuves imposées par sa sœur : il procura pour la fiancée des vêtements de mariée de la couleur du ciel, construisit un pont d’or sur la mer et une église à sa tête où le mariage devait avoir lieu. Sur le chemin de l’église, la fiancée sauta dans la mer et se transforma en barbeau*. Le fiancé la suivit pour l'attraper, mais Dieu lança le barbeau à l’occident du ciel et en fit la lune. Il propulsa le frère à l’orient, et en fit le soleil. Ainsi fut évité l’inceste.
Selon un mythe rare, il y eut deux lunes aux temps anciens : l’une accompagnait le jour le Soleil dans son parcours de la voûte céleste, l’autre gardait, seule dans la nuit, le champ des étoiles, et elles se relayaient tous les mois. Un jour, la femme-lune diurne se mit en retard et l’autre en fut courrouçée, la saisit par les cheveux et la lança dans la mer d’où elle ne put plus ressortir. Une variante de ce mythe indique que la vierge-lune fut mise en pièces par sa sœur armée d’une faucille et que les morceaux de son corps furent répandus dans le ciel où ils donnèrent les étoiles. On trouve des parallèles à ce mythe chez les Mayas, au Mexique.
La lune et le soleil courent sans cesse le danger d’être dévorés par les loups-garous*, ce qui provoque des éclipses*, ou d’être capturés par des dracs ou des démons, ce qui rappelle le mythe germanique du loup Managarmr.
On explique les taches lunaires de diverses façons : ce sont la tête de Moïse ou de deux frères, l’un riche, l’autre pauvre. Le riche tua le pauvre parce qu’il lui avait dérobé du foin. Parfois, ces frères sont Caïn et Abel, et Caïn porte le corps de son frère sur son dos ; chaque année, une goutte de sang tombe du cadavre dans un seau et, quand celui-ci sera plein et que trois gouttes de sang tomberont sur la Terre, elle s’embrasera et ce sera la fin du monde*.
Selon d’autres traditions, les taches sont des pâtres : l’un fut puni pour avoir insulté la froide lumière lunaire qui n’avait pas séché ses bas mouillés ; un autre fut insolent : alors que Dieu lui demandait Sa route, il la lui montra avec sa jambe. Les taches lunaires représentent aussi un homme et une femme qui puisent de l’eau dans un puits, ou un pâtre qui attira de nombreux moutons grâce à son chalumeau merveilleux, si bien que ses congénères voulurent le tuer, mais Dieu le sauva en le plaçant dans la lune. On prétend enfin que les taches représentent deux pâtres qui organisèrent le meurtre d’un troisième, et un mouton qui entendit leur plan et en fit part à son maître. D’autres mythes mettent en scène deux frères : Dieu jeta sur la lune celui que voulait occire l’autre ; deux frères possédaient un chaudron où ils versaient le sang des morts, ou en avaient un rempli de naphte. Les taches viendraient aussi d'un bohémien qui, une nuit, vola de la paille pour sa vache, en espérant que personne ne le verrait ; Dieu le jeta sur la lune afin que tous pussent voir le voleur. Saint Pierre* aurait eu un sort semblable : il poussa son cheval si longtemps qu’il atteignit la lune, et Dieu l’y laissa.
Finalement, les taches lunaires sont une mesure préventive contre les incestes entre frère et sœur : la lune est aveugle afin de ne pas voir la beauté de son frère et de ne pas s’éprendre de lui ; Dieu barbouilla la lune afin qu’elle ne puisse plus plaire ; le Soleil la couvrit de fumier de vache afin qu’elle fût moins belle que lui.
Partout, la lune est sacrée, c’est un don de Dieu et la nouvelle lune (Crai nou) est attendue avec joie et de l’argent en poche afin de rester en bonne santé et d’avoir toutes sortes de succès. Celle de mars symbolise un nouveau commencement, c’est pourquoi les hommes jettent leurs bonnets en l’air, bondissent, offrent du pain, de la polenta ou de l’argent, se signent trois fois l’argent dans la main, applaudissent, dansent et disent : « Nouvelle lune, tu m’as rencontré en bonne santé (ou malade), laisse-moi en bonne santé ! » Ou bien : « Petite mère nouvelle lune, coupe le pain en deux, prends ta part et donne-nous la santé en contrepartie ! » On lève les enfants en l’air en disant : « Qu'ils grandissent de même que la lune ! » Les petits malades sont remis à la lune : « Je fus ta mère jusqu’ici, maintenant la lune est ta mère et moi ta belle-mère. » Il existe d’autres rites : les demoiselles prient pour être bientôt mariées ; les hommes touchent leur tête avec des métaux (surtout avec des pièces d’or ou d’argent, des anneaux...) ou avec des pierres afin de rester aussi sains et forts qu’eux. La nouvelle lune donne la possibilité de se débarrasser des punaises et des vers du bois, il faut dire : « Que les vers restent dehors ! » ou bien : « Nous mangeons pain et sel, que les vers s’entre-dévorent ! » Toutes ces actions se déroulent hors de la maison car, si on prononce « nouvelle lune » à l’intérieur, les plats se brisent et les punaises envahissent les lieux.
La nouvelle lune est le moment propice pour semer, planter des arbres et faire éclore les œufs ; ses diverses positions dans le ciel sont révélatrices du temps qu’il fera. Elle peut avoir une influence négative sur les humains. Pour les Macédo-Roumains, elle peut avoir le mauvais œil, elle ne doit donc pas voir un nouveau-né, ne pas éclairer le berceau, sinon l'enfant devient lunatique, ce qui arrive aussi lorsque la future mère boit l’eau d’une fontaine où se reflète la lune.
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