F
p. 84-93
Texte intégral
1Faim (Foametea, Flămânzilă). C’est un géant insatiable, même lorsqu’on lui donne à manger les sillons tracés par vingt-quatre charrues.
2Fantôme i (Stafia). Lorsque des maçons mesurent secrètement l’ombre d’un homme ou d’un animal tombant sur un bâtiment et qu’ils enterrent la mesure dans les fondations de l’édifice, ces êtres meurent une fois le bâtiment achevé ou peu après avoir perdu leur ombre. Ils deviennent des fantômes et, contrairement aux revenants*, ils ne possèdent pas de corps, pas de queue et sont liés à ce lieu, apparaissant uniquement là où leur ombre est emmurée. Les hommes assassinés ou les suicidés deviennent aussi des fantômes. Le fantôme ressemble à une femme dont les cheveux touchent le sol et qui possède une poitrine de fer longue et large. La femme, nue ou vêtue de blanc, très maigre, est aussi blême qu’un cierge et très laide : ses yeux évoquent des oignons, sa bouche un plat, sa tête un seau, ses oreilles des éponges et ses dents un carde. Le fantôme prend aussi parfois la forme d’un animal (porc, chien, chat, bélier, bouc, chèvre, cheval, etc.). Il surgit la nuit dans les demeures, les caves, les églises, sur les ponts, dans les fontaines abandonnées ainsi que dans les lieux déserts, aux carrefours et dans les forêts. Il disparaît au premier cri du coq ou lorsqu’on se signe. En général, il n’est pas méchant, mais ceux qui le sont vous battent avec leur poitrine, égratignent, étranglent, oppressent les dormeurs ou les mutilent. Ils soufflent les bougies et cherchent de la nourriture dans les maisons. Les hommes disposent des offrandes propiatoires, à boire et à manger dans leur maison, en des lieux facilement accessibles.
3Fantôme ii (Moroiul). À l’origine, c’est un esprit pesant. Il naît d’un enfant mort non baptisé ou mort-né. Beaucoup de fantômes sont des enfants illégitimes que leur mère a tués et enterrés hors du cimetière. Sept ans après la naissance, l’âme d’un tel enfant crie de la tombe : « Baptême ! Baptême ! » Si quelqu’un l’entend et prononce la formule baptismale, lui donne un nom et jette un morceau d’étoffe en guise de cadeau de baptême vers le lieu d’où vient le cri, l’enfant est baptisé, dit-on, et n’est plus un fantôme. Si son cri n’est point entendu ou que le rite précédent n’a pas été accompli, l'enfant se transforme en une flamme de deux mètres de haut volant à la surface du sol. Si elle touche un être vivant, elle le tue, et si elle heurte un bâtiment, elle l’incendie.
On arrose d’eau bénite les tombes de ces enfants, sept années de suite, à l’Épiphanie* : les enfants sont symboliquement baptisés afin qu’ils trouvent le repos éternel. Un fantôme est pire qu’un démon car il ne disparaît pas devant le signe de la croix. Il peut se montrer à minuit sous la forme d'une femme portant une étoffe de lin blanc sur la poitrine, et il défigure la personne qu’il rencontre. Les Roumains du Sud-Ouest ne font pas la distinction entre le fantôme et le revenant. Selon quelques histoires de cette région, les morts devenus fantômes sont déterrés, on leur arrache le cœur qui est jeté aux chiens. Quand il s’agit d’animaux-fantômes, on les exhume, on leur coupe la tête et on la brûle.
4Faucheux (Cosaşul). Lorsque Joseph et Jésus se cachèrent dans les hautes herbes pour échapper à leurs poursuivants, un faucheux vint pour couper l’herbe. Jésus lui demanda en vain d’arrêter et même Dieu ne put le retenir. Alors Jésus maudit le faucheux qui se transforma en insecte condamné à vivre parmi les faucheurs qui lui coupent les pattes.
Selon d’autres témoignages, la faim torturait les animaux d’un paysan dans l’étable alors que Marie* y accouchait. Elle pria le propriétaire de nourrir ses bêtes, mais il avoua avoir fait trop peu de foin pendant l’été par paresse et ne plus disposer de fourrage. Marie le condamna à être un faucheux malheureux sa vie durant.
5Faucon (Şoimul). Les Roumains tiennent le faucon pour un oiseau très intelligent, et une de leurs expressions dit : « Être aussi avisé qu'un faucon. » Il y avait de nombreuses fauconneries en Roumanie, à Ponoarele (district de Mehedinţi) par exemple, où beaucoup de faucons nichaient dans une grotte, mais en capturer un était une tâche très difficile et dangereuse.
Le faucon est l’attribut du jeune homme en âge de convoler. Il entre en concurrence avec le cheval, autre attribut de celui-ci : tous deux prétendirent parcourir le plus rapidement une certaine distance ; le perdant du pari devait être mutilé. On couperait une aile au faucon et un sabot au cheval. Le brouillard ralentit le vol de l'autour et le cheval fut vainqueur, mais il se montra magnanime et pria son propriétaire de pardonner à l’oiseau, disant qu'il aurait meilleure allure s’il chevauchait accompagné du faucon.
On raconte aussi que le faucon vole un fil d’or à la Vierge Marie, qu’il accompagne le jeune homme en quête d’une fiancée ou rapporte l’eau du Jourdain nécessaire aux noces de son possesseur.
6Fée de la mine d’or (Vâlva băii). C’est une sorte de déesse de la mine, qui a l'apparence d'une ombre ou d’un animal, porte des habits et une lampe de mineur. Elle montre aux mineurs les veines aurifères, mais ne supporte pas que quelqu’un siffle dans la mine, tout comme le Bergmann des contes allemands, et tue celui qui le fait. Sous l’aspect d’une poule d’or, on dit qu’elle a apporté l’or des monts Bihor dans d’autres régions.
7Fée des eaux (Ştima apei). C’est une femme blanche, grande et robuste. Certains affirment qu’elle est mi-femme, mi-poisson, ou encore mi-femme et mi-homme. Ses cheveux touchent le sol et ses seins sont si volumineux qu’elle les porte sur son dos. Elle habite les fleuves assez grands et exige une victime chaque jour, surtout en période d’inondation. La nuit, elle sort du fleuve et dit : « C’est l’heure, mais l’homme n’est pas là. » Le diable s’arrange alors pour qu’apparaisse soudain un jeune homme à cheval qui s’avance jusque dans l’eau, ou bien pour qu'il mouille ses pieds dans l’eau du fleuve. Dans les deux cas, la fée des eaux le noie. Vers 1210, Gervais de Tilbury rapporte une légende semblable à propos du Rhône, à proximité de Lyon, sans préciser de qui vient la voix.
8Fée des nuages (Vâlva norilor). Chaque village en possède une, qui le protège de la tempête et de la grêle. Quand le temps est mauvais, des conflits s’installent entre les fées des nuages des différents villages. Elles prennent alors la forme d'un crabe, d’un cheval, d’un bœuf, d’un loup, etc., qui s’affrontent, chacun cherchant à éloigner le nuage de grêle de son village.
9Fées, les bonnes (Zânele). Il en existe plusieurs catégories. Les bonnes fées sont trois ou douze jeunes femmes surnaturelles, parfois sœurs, nées des fleurs et possédant la faculté de se rendre invisibles. Elles sont sacrées et d’une merveilleuse beauté, ne font que du bien aux hommes et n’attendent aucune récompense pour leurs bienfaits, sauf que l’on dise aux hommes que la mère de Dieu a les yeux enflammés parce qu’ils arrosent le froment et la vigne d’eau de chaux. Le mercredi soir et le jeudi matin, les enfants de moins de quinze ans allument un feu d’érable, de noisetier ou de ronces dans les fermes, près duquel ils déposent de l’encens, de l’eau et du pain afin que les bonnes fées se réchauffent, mangent et boivent.
Ces fées règnent sur les fleurs, les eaux, les montagnes et l’aube. Elles possèdent leurs jardins, leurs lacs et leurs îles. L’une d’entre elles, Ileana Cosânzeana*, est la reine des bonnes fées. Elles ont leurs propres chemins dans les Carpates et le long de « l’eau blanche », elles passent leur temps à chanter et à danser dans les clairières où poussent le lierre et d’autres plantes magiques. On ne doit pas les observer ni s’éprendre d’elles. Celui qui réussit à se tremper dans leur bain aura des cheveux d’or.
10Fées du destin (Ursitorile). Elles sont trois, sept ou neuf, parfois sœurs, et portent les noms de Bălaşa. Ana, Dumitra, etc. Elles habitent une forêt aux confins de la terre, au bord de la mer, dans les airs ou même au ciel. Elles fixent les destinées du nouveau-né la troisième nuit de sa naissance. Les parents du nouveau-né leur préparent donc un bon accueil : on nettoie la demeure et la cour, on enchaîne les chiens, on laisse entrouverts portes et fenêtres, on dispose sur une table des bougies, les meilleurs plats et boissons, des objets d’or et de l’argent afin que ces fées prédisent un bel avenir.
Elles apparaissent toujours ensemble et vêtues de blanc. La plupart d’entre elles sont bienfaisantes, mais l’une d’elles a une jambe plus courte que l’autre et est méchante. Quand elle a le dernier mot et transforme en tragédie le bon destin prédit par les autres, c’est un malheur. On songe ici aussi au conte de La Belle au Bois Dormant. Les fées du destin décident quelles qualités possédera le nouveau-né, s’il sera riche ou pauvre, heureux ou malheureux, qui il épousera et quand et comment il mourra. Leur verdict est définitif, ni Dieu ni ses saints ne peuvent le changer. La plus âgée, appelée Destinée, tient la quenouille, la seconde (Destin) file, la troisième (Mort) coupe le fil de ses ciseaux. Personne ne doit épier leur conversation. Parfois, la sage-femme, un homme hébergé par la famille et, plus rarement, les parents l’entendent. Comme la boiteuse a toujours le dernier mot, de nombreux destins s’achèvent par la mort précoce de l’enfant : il se noie à l’âge de dix-huit ans, tombe dans un puits, succombe à la morsure d'un serpent, en tondant ses moutons, ou bien il est foudroyé ou tué le jour de ses noces. Le pire destin est celui qui en fait un Œdipe tuant son père et épousant sa mère.
Les fées du destin sont connues dans toute l’Europe. En Roumanie, elles présentent une étonnante parenté avec les Moires grecques et les Parques romaines, ce qui parle en faveur de leur haute antiquité.
11Fées méchantes (Ielele). Elles sont parfois confondues avec les bonnes fées, mais, en général, elles sont cruelles. Rarement nommées ielele, on les appelle plutôt les Belles, les Vierges, les Secourables, les Reines de l’Air, par euphémisme, ou encore elles portent des noms courants de femme (Trandafira, Ana, Ruxanda). On les redoute parce qu’elles aiment les jeunes gens qu’elles veulent posséder, mais leur passion rend ceux-ci malades.
Selon certaines traditions, elles furent au service d’Alexandre le Grand* et burent l'eau d'immortalité que lui remit le roi Ivantie. D’autres sources affirment qu’elles devinrent immortelles parce qu’elles mangèrent des serpents blancs cuits par Alexandre ou bien parce qu’elles prirent une certaine médecine destinée à saint Nicolas. On les représente aussi comme trois sœurs orphelines que Dieu métamorphosa en méchantes fées, ou bien comme les cinq folles qui voulurent rencontrer le Fiancé mais oublièrent de prendre de l’huile et dont les lampes s’éteignirent donc prématurément (voir Mathieu 25,1-13).
En général, elles se montrent à deux ou à trois, rarement plus, ressemblent à des jeunes filles, des fantômes ou des diablesses. Souvent, on les dépeint belles à ravir et séduisantes. Elles sont vêtues de blanc, mais leur taille est nue ; elles portent des clochettes aux pieds et des fleurs dans les cheveux. Le jour, elles sont invisibles. Elles résident dans l'air, au ciel, dans les nuages, au bord des fleuves, aux carrefours, dans les arbres, etc., se nourrissent de fleurs et boivent l’eau des sources. Elles dressent leur table sur les montagnes, aux carrefours, sous un érable ou un noyer, dansent, chantent et font de la musique (avec une musette, un violon, un chalumeau...). Cela a lieu au printemps, à l’aube, surtout la nuit de la Pentecôte* ou le jeudi qui suit. Là où elles ont dansé, l’herbe est brûlée, ou bien les vaches n’en mangent plus et les champignons poussent. Il arrive souvent qu’elles oublient certains objets (perles, marteau de pierre, hache, ciseaux) en ces lieux, mais il ne faut pas les toucher sous peine de tomber malade.
Les méchantes fées amènent la grêle, boutent le feu aux maisons, dérobent le lin mis à blanchir au printemps et le déchirent. Le pire est qu’elles volent, mutilent ou paralysent les hommes qui ont entendu leurs mélodies ou qui les ont jouées. Ils souffrent alors de rhumatismes, de furoncles, de toux et d’épilepsie, deviennent muets, sourds, aveugles ou fous. On peut toutefois guérir ces maladies en se baignant dans leur source, en entrant dans le groupe des Calouchari* ou à l’aide de chants magiques. À la Pentecôte, on porte certaines plantes – absinthe, valériane, etc. – en guise d’amulette. On notera que les Ielele présentent de grandes ressemblances avec la Vila serbe et la Samodiva bulgare.
12Feu et fumée, feu vivant (Focul şi fumul, focul viu). Au commencement du monde, un feu cosmique lit rage, et Dieu l’éteignit en crachant dessus. Ses étincelles donnèrent les étoiles. D’autres prétendent que Dieu créa le feu et le diable la fumée. Voulant consacrer une église, Dieu disposa du bois autour d'elle et y mit le feu, mais le démon tenta de l’éteindre en y jetant des feuilles et du sureau, et c’est ainsi que naquit la fumée. D’autres mythes disent que le diable créa le feu. On raconte aussi que Dieu joua avec un bâton dans le feu jusqu’à ce qu’il s'enflammât ; il en frappa alors une pierre où il dissimula le feu d’où celui-ci peut jaillir n’importe quand.
En Moldavie septentrionale, on redoute le feu et son nom est tabou : on le nomme donc « lumière ».
Le feu est sacré ; c’est le Christ lui-même ou un cousin de saint Élie et du vent – aussi ne doit-il pas manquer dans les maisons. Il faut le traiter avec respect, ne pas cracher dedans ou l’injurier, ce que l’on peut faire pour la fumée. Avant de se coucher, il faut prendre poliment congé des braises et les couvrir de cendres. Dans une société où peu de gens possédaient des d’allumettes, on empruntait fréquemment des braises à son voisin pour allumer son propre poêle, mais il ne faut pas en prêter certains jours car c’est dangereux. L’Italie médiévale connaît la même croyance : donner du feu aux calendes de janvier équivalait à donner son bonheur, aussi évitait-on de le faire. La veille de certaines fêtes, on fait du feu à proximité de la maison afin d’en éloigner les mauvais esprits. Le « feu de bois » allumé par deux hommes jeunes, des cousins, le 21 ou le 22 avril en frottant deux morceaux de bois possède une grande importance magique. Les jeunes gens bondissent par-dessus ce feu afin que les maladies les épargnent, puis il ramènent chez eux quelques braises, allument une poignée de verges et enfument la maison et la cour afin d’éloigner les esprits malins.
Le « feu vivant » des bergers a la même fonction. Jean Cuisenier nous donne la description suivante d’un berger du Nord de la Moldavie : « Chaque année quand on montait avec les moutons à la montagne, la première chose qu’on faisait dès qu’on arrivait était un feu. On prenait un peu de iască, de l’amadou, et un bâton fendu en quatre aux deux extrémités. On passe ce bâton fendu entre deux planches de bois, et deux bergers le frottent jusqu’à ce que l’amadou prenne feu. Ce feu, nous l’appelons le foc viu, le feu vivant. Et ce feu, on le gardait jusqu’à l’automne, jusqu’au răscol, la dispersion des troupeaux, on ne le laissait pas s’éteindre [...]. Nous prenions une buruiană, une herbe sauvage (mot générique, sans précision d’origine), ou bien une branche de sapin, et nous prenions de l’eau de source. Et l’on éteignait des charbons ardents tirés de ce feu-là (le feu vivant) dans cette eau-là. Et les braises qui restaient du feu, on les mettait dans la strungă, là où passaient les brebis, et elles passaient par-dessus ce feu. On aspergeait ces brebis de cette eau-là, qui avait éteint les charbons pris du feu vivant. Pour que personne ne puisse parvenir à leur prendre leur lait (par sorcellerie). » Le feu vivant « communique son ardeur au bétail des troupeaux et a une vertu prophylactique, si on irradie les brebis de sa force en les faisant sauter sur ses braises et en les aspergeant d’une eau rendue active parce qu’on y a plongé des branches tirées de ses flammes ».
Le « feu de bois » rappelle une coutume païenne du haut Moyen Âge, celle du nodfyr, bien attestée dans les pays germaniques.
13Fille de la forêt (Fata Pădurii). Elle habite au plus profond des forêts. Ses cheveux sont noirs et tombent jusqu’au sol. Elle aspire à l’amour et échange ses enfants contre ceux des hommes (croyance au changelin : lat. cambio, all. Wechselbalg, attestée dans toute l’Europe).
14Filma. C’est la plus jeune et la pire des fées. Elle possède la faculté de s’emparer de l’âme de l’agonisant alors qu’elle torture son corps. Le mourant dit : « Filma, ne m’afflige pas autant et pardonne-moi ! » Filma n’est connue qu’au Banat et on pense qu’elle vient des Gépides de la Tisza (roum. Tisa).
15Filofteia, sainte (Sf. Filofteia). Ses restes qui sont conservés au célèbre monastère Curtea de Argeş accomplissent des miracles, guérissent certaines maladies et provoquent la pluie.
16Fin du monde (Sfârşitul lumii). Principalement décrite selon des éléments préchrétiens, ses représentations empruntent peu de motifs à l’Apocalypse apocryphe de saint Jean. La fin du monde sera précédée d’une période d’inversion des valeurs : les enfants frapperont leurs parents, des meurtres se commettront au sein des familles, les jeunes gens épouseront des vieilles femmes, et les vieillards des jeunes filles ; il n'y aura plus de justice, la famine régnera, les étoiles tomberont sur terre et la lune flottera dans le sang. Le sapin perdra ses épines, des tremblements de terre agiteront la planète, des guerres éclateront au cours desquelles le passage des cavaleries dénudera les racines des arbres, et les chevaux nageront dans le sang. Des oiseaux au bec d’acier surgiront et tueront les hommes, et la terre se recouvrira d'une croûte d’or ou d'argent empêchant toute végétation de pousser. Sept années durant, nul homme ne naîtra.
Conformément à un pacte entre Dieu et le démon, l’Antéchrist régnera sur terre les trente dernières années – chacune dure un jour – précédant l’Apocalypse. La sécheresse sera totale, et l’Antéchrist parcourra le monde avec une tonne d’eau ou d’urine : celui qui en boira lui appartiendra. Jésus et ses saints arpenteront le monde simultanément avec un verre de vin et un morceau de pain : qui y goûtera ne ressentira plus ni faim ni soif.
La fin du monde sera déclenchée par une goutte de sang de saint Élie* : un duel opposera saint Jean, saint Élie ou Enoch à l’Antéchrist. Il se déroulera sur une gigantesque peau de bœuf afin que le sang du saint ne touche point la terre. Mais la peau possède un trou minuscule et le sang touche alors la terre qui s’embrase.
Selon un autre mythe, un seau se trouve sur la lune à l’endroit où Caïn tua Abel*, et son sang y goutte éternellement. Lorsque le seau sera plein et que trois gouttes de ce sang tomberont sur terre, elle s’embrasera.
Dans les deux cas, la terre brûlera jusqu’à une profondeur de sept toises, puis un vent violent et ses deux frères balayeront les cendres et en feront une grande montagne. Sept jours plus tard, saint Élie descendra sur terre et sonnera de sa trompette. Toutes les bonnes âmes paraîtront sur la montagne sous la forme de moutons, et les âmes malignes sous celle de chèvres. Dieu conduira les moutons au ciel, et le diable emmènera les chèvres en enfer.
Il existe d'autres traditions concernant la fin du monde. Dieu permettra à Judas de ronger le pilier sur lequel s’appuie la terre, et celle-ci s’enfoncera dans les eaux. On dit aussi que saint Georges libérera les dragons qu’il a enfermés, et qu’ils boiront toutes les eaux. Des oiseaux au bec d’acier et de feu tourmenteront les hommes.
Après la grande conflagration, notre planète redeviendra aussi pure qu’à son commencement ; elle se couvrira d’une nouvelle végétation et une nouvelle population naîtra, mais les hommes auront la taille et la force d’insectes, si bien qu’ils devront se mettre à douze et utiliser un levier pour mouvoir un œuf de poule. Leur monde sera, comme celui des Bénins*, vierge de tout péché, les hommes seront heureux, ne travailleront pas car il n’y aura plus de boyards ni d’exploiteurs. Un autre mythe qui présente la terre comme une galette, raconte que Dieu la retourne lorsqu’il veut la détruire. Elle est alors peuplée des hommes qui l’habitaient à sa création.
Le monde possède aussi un « finistère » géographique : le bord de la terre, aussi mou qu'une gelée, où se trouve une fontaine par laquelle, dit-on, on peut gagner l’au-delà.
17Foca, saint (Sf. Foca). On le fête le//juillet pour l’empêcher d’incendier les demeures, les meules de paille et même les hommes. Les Turcs et les Saxons de Transylvanie célèbrent aussi cette journée.
18Forgeron de la terre (Faurul Pământului). Ce personnage aux capacités surnaturelles a pour frère électif (fraternisation*) le héros des contes. Il forge pour lui une épée merveilleuse, une croix, un char, des chevaux et le portrait du héros en fer. Il peut donner vie au portrait et aux chevaux, et tous ses ouvrages sont utilisés contre les ennemis de son frère électif.
19Fortune (Norocul, Destinul). De même que chaque homme possède un ange, il a aussi une Fortune personnifiée. Elle naît en même temps que lui, est bonne ou mauvaise, zélée ou paresseuse, et contribue à son bonheur ou à son malheur. Si l’homme est mauvais, la Fortune l'abandonne, tout comme elle abandonne ceux qui injurient ou maudissent d’autres personnes. En revanche, elle accompagne l’homme serein qui aime chanter, et le buveur car ce dernier est toujours de bonne humeur.
Il existe un pays où vivent les Fortunes de chaque homme : il ressemble au nôtre. Des enfants y naissent, des personnes y meurent, tantôt y règne la joie, tantôt la tristesse. Des foires y ont lieu tous les ans, où les Fortunes attachées à deux hommes s’affrontent et se tuent. L'homme se rend donc au pays des Fortunes afin d’y rencontrer la sienne et lui demander conseil concernant ses affaires. La Fortune personnelle rend aussi visite à celui auquel elle est attachée, le soir du Carême ou à Pâques. La porte de la demeure de l’homme s’ouvre alors d’elle-même, mais la Fortune reste invisible. Certains signes indiquent qu’on est fortuné : un nid d’hirondelle sous le porche de la maison, un nid de cigogne sur le toit ou un grisonnement précoce des cheveux. Les hommes fortunés naissent le dimanche ou le lundi, ou bien ils ont vu les deux s’ouvrir (Ciel*).
20Fougère (Feriga). Cette plante pousse surtout dans les forêts couvrant les montagnes et elle se distingue des autres par son absence de fleurs et de graines, ce que Pline l’Ancien notait déjà. Pourtant, la croyance populaire veut qu’elle fleurit durant deux heures la nuit du 24 juin : ses fleurs blanches ont la forme d’étoiles et disparaissent au premier chant du coq. Seuls deux frères, ou deux cousins, vierges de tous péchés, habillés de blanc et montant la garde la nuit de la Saint Jean, sans parler, ni dormir, ni s’asseoir, peuvent voir ses fleurs qui brillent comme le soleil. Ils les enveloppent dans un linge et les déposent près de leurs icônes. La fougère apporte le bonheur à celui qui la possède, qu’il soit aubergiste, marchand ou paysan.
21Fourmi (Furnica). À l’origine, la fourmi était la splendide fille d’une veuve. Elle gardait les moutons mais portait des vêtements masculins afin de ne pas être agressée par les hommes. Elle plut à un jeune pâtre qui devina qu’elle était femme et l’invita chez sa mère. Suivant ses conseils, il plaça un œillet sous le coussin de son invitée. Si l’hôte est de sexe féminin, la fleur se flétrit ce qui se produisit. Il voulut l’épouser, mais la jeune fille s’enfuit. Alors il lui lança son couteau : le corps de la belle fut entaillé et se transforma en fourmi.
Selon d’autres traditions, la fourmi était la cuisinière de saint Élie au désert, ou encore la petite-fille de Dieu. Elle servait chez la Vierge Marie, ou encore elle naquit des larmes que celle-ci versa sur la tombe de son fils. Il ne faut pas tuer la fourmi car sa mort fait pousser un profond soupir à la Vierge.
La fourmi passe pour une météorologue car elle indique aux hommes s’il fera sec ou s’il pleuvra. Elle sert par ailleurs, de remède contre les maladies, y compris contre celles qu’envoient les méchantes fées, et les maux de dents. Dans les contes, la fourmi est un précieux auxiliaire du héros.
22Fraternisation (Înfrăṭirea, Însurăṭirea). Cette cérémonie, lors de laquelle des jeunes gens et des jeunes filles se déclarent frères et sœurs, a lieu lors des grandes fêtes de l’année, mais elle est possible en tout temps. Elle se déroule en secret mais peut avoir un caractère public. Parfois, un prêtre y participe et un festin est organisé. Le but de la cérémonie est d’obtenir de l’aide dans n’importe quelle situation ; la parenté ainsi établie est plus prisée que celle du sang, et elle interdit tout mariage entre ces « parents » et les membres de leur famille. Le rituel consiste à échanger des objets – œufs peints, pipes, couteaux, mouchoirs, bretzels, couronnes de branchages –, à se tendre les mains et à se jurer mutuellement de s’aimer comme frère et sœur. Les garçons et les filles se piquent le doigt, frottent mutuellement leurs blessures et scellent leur fraternisation en mêlant leur sang. La cérémonie se déroule sous un pommier, au bord de la rivière ou à l’église. On ne peut s’empêcher de songer ici à un rite analogue bien connu chez les anciens Scandinaves, celui de la fraternité jurée (fóstbroeÃralag).
23Frères du même mois (Fraṭii lunatici). On appelle ainsi des frères ou des sœurs nés le même mois de l’année ou qui sont jumeaux*. Si l’un d’eux meurt, l’autre doit être délivré de lui et donné pour frère à un autre enfant de l’autre sexe, afin que le mort ne l’appelle pas à lui. Pour se faire, on enchaîne la jambe droite du vivant et du défunt et on y fixe un cadenas. Un enfant étranger est présent et il demande au vivant : « Es-tu mon frère jusqu’à la mort ? » et l’autre doit répondre : « Oui, je le suis, délivre-moi ! » L’étranger ouvre le cadenas. Les liens unissant les frères du même mois sont alors rompus et un vivant occupe maintenant la place du trépassé, dont la puissance ne s’exerce plus sur le survivant.
Si un jumeau décède, on tient l’autre caché trois jours durant afin que le mort ne l’aperçoive pas. Le survivant ne réapparaît qu’au cimetière, au moment où l’on descend le cercueil dans la tombe. Il descend alors sur le cercueil au fond du tombeau, d’où le tire un autre enfant. On considère dès lors qu’il n’a plus de lien avec son jumeau et que cet autre enfant est désormais son véritable frère (ou sa sœur), avec tout ce que cela comporte.
24Frileux (Gerilă). Ce personnage est un géant qui accompagne le héros des contes parti en quête d’une fiancée. Grâce à son haleine glaciale, il le sauve lorsqu’il est enfermé dans un poêle de cuivre, ou bien il se réchauffe près d’un feu formé du bois de sept charrettes, se plaignant toujours de mourir de froid. Le Frileux rejette parfois le gel par une narine et le feu par l'autre.
25Frotte-pierre (Sfarmă-Piatră). C’est un géant qui tient dans chaque main un rocher. Il les frappe l’un contre l’autre et les éclats qui en jaillissent retombent trois lieues plus loin.
26Fusil (Puşca). Alors qu’ils labouraient, les célèbres héros Novac* et Iorgovan* entendirent le premier coup de feu qui fut jamais tiré, et déclarèrent : « Voilà que la putain est descendue sur terre. » Ils se firent alors enterrer vivants car cela signifiait la fin du temps des héros : désormais, ce n’est plus le fort qui vaincrait mais l’arme. On raconte aussi que le premier coup de fusil effraya même les géants qui prirent la fuite.
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1997
Montagnes imaginées, montagnes représentées
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