E
p. 78-83
Texte intégral
1Eau (Apa). À l'origine, il n’y avait que Dieu et l’eau ; elle possède donc une valeur supérieure au feu. Lorsque le monde a été créé, l’eau des sources et des fleuves se transformait en vin au Nouvel An, mais cela n’arrive plus du fait de la malignité des hommes. De nombreux rites de naissance, d’épousailles, d’enterrement et de fertilité font appel à l’eau. Grâce à elle, on obtient la pureté rituelle, le mal est éloigné, les morts étanchent leur soif, etc. L’eau la plus efficace est celle tirée d’une fontaine (ou de neuf puits, d’une fontaine située à un carrefour, etc.) à l’aube par une vierge, ou par une autre personne rituellement purifiée, ou encore puisée au confluent de fleuves. La rosée et les gouttes d’eau tombant de la roue d’un moulin à eau sont tout aussi efficaces. L’eau vivante et l’eau morte permettent de réajuster les corps démembrés et de les ramener à la vie.
2Éclipses (Eclipsele). Les éclipses de soleil et de lune sont provoquées par des fantômes ou des dragons qui dévorent les astres. Elles annoncent malheur (guerre, mort de l’empereur, peste, famine, etc.). Lors des éclipses, les fontaines et les fleuves sont sanglants. Les hommes font le plus grand vacarme possible et tirent des coups de feu afin d’effrayer les fantômes et de les éloigner du soleil et de la lune.
3Écrevisse (Racul). Quand Dieu donna des yeux aux animaux, l’écrevisse vint en dernier. Ses yeux furent donc déposés sur sa queue, et elle doit, depuis, marcher à reculons. Elle est sacrée car elle déroba les grands clous forgés pour crucifier le Christ.
4Élie, saint (Sf. Ilie). Élie était un mortel très courageux, excellent chasseur ou pasteur. Le diable lui révéla un jour que son épouse le trompait ; il rentra chez lui et tua tous ceux qui dormait sur sa couche, mais il s’agissait de sa femme et de ses parents. Il regretta son acte et pleura tant sur un morceau de charbon de bois que celui-ci donna un pommier portant deux fruits. On dit aussi qu’il resta enfermé quarante ans dans une église, à lire des livres, ne se nourrissant que de pain et d’eau. Puis il voulut se jeter dans le feu, mais des anges le sauvèrent et Dieu l’enleva au ciel avec son char.
Désormais, Élie parcourt le ciel, suivant la Voie lactée ou traversant les nuées. Il porte arc et flèches, une arme à feu ou des éclairs. On le représente parfois comme cocher de Dieu ou de saint Pierre. Les anges le précèdent et fendent les nuages de leurs glaives afin qu’ils n’entravent pas le voyage d’Élie.
Élie règne sur les vents et les nuages, décidant quand il doit pleuvoir et en quelle quantité, enfermant ou libérant la pluie. Ses armes sont le tonnerre et l’éclair, mais il n'utilise celui-ci que contre le diable. L’éclair jaillit lorsque le saint jette vers le diable une épée à triple tranchant de la taille d’un doigt ; elle se plante dans le sol et en ressort neuf ans plus tard. Qui la trouve peut, grâce à elle, guérir les maladies. Les démons se cachent dans ou sous les arbres, derrière les animaux (chiens, chats) ou les hommes, dans les maisons et les églises. Si Élie frappe un homme par mégarde, celui-ci gagne directement le paradis, sans être jugé.
À l’origine, le fracas du tonnerre était si violent que le trône de Dieu vacillait et qu’un tiers des êtres vivant sur terre mourait. Le ciel menaçait de s’effondrer et la création d’être anéantie. Dieu paralysa donc le côté droit d’Élie afin de diminuer sa force.
Élie poursuivra le diable de sa colère jusqu’à la fin des temps, alors, il livrera combat à l’Antéchrist qui le vaincra. Son sang tombera sur la terre et l’embrasera. Élie apparaît comme le successeur des grands dieux du tonnerre : Helios, Jupiter tonans et Perun. Les pâtres et les pelletiers fêtent la Saint-Élie (le 20 juillet) avec des danses et du feu.
5Élisée, saint (Sf. Elisei). Élisée fut l’apprenti de saint Élie et, quand Dieu enleva celui-ci au ciel, il garda sa peau de mouton. On le célèbre le 14 juillet afin d’être protégé de la grêle.
6Enfer (Iadul). Selon une opinion très répandue, l’enfer se trouve au plus profond de la terre. Un trou d’aération le relie à la surface du sol, mais la distance est si grande qu’une pierre jetée dans ce trou met trente-trois ans à gagner l’enfer. D’autres croyances localisent l’enfer aux confins du monde ou même dans le ciel, en face du paradis. Dans les contes et ballades populaires, ceux qui ont été en enfer disent y avoir vu des enfants morts sans baptême sous la forme d’oiseaux noirs pleurant pour l’éternité, des pécheurs sous forme d’arbres secs, les mauvaises brus sous celle de chiennes aboyantes. Celui qui n’a jamais fait l’aumône est transi sous quatre vingt dix-neuf couvertures de laine. Les trompeurs tentent de sortir d’un lac, mais un bouc les y repousse. Qui n'honora point ses parents, gît, malade, sur un lit et personne ne le soigne. Celui qui a juré est pendu par la langue. On rencontre des images plus terribles encore dans un livre populaire intitulé Le Voyage de la mère de Dieu en enfer. Accompagnée de l’archange Michel et de quatre cents anges, la Vierge aperçoit des hommes cuisant dans du goudron ; ils brûlent dans le fleuve igné, sur des nuages ou des sièges de feu, ils sont pendus par la langue, les ongles, etc. Sur la demande de la Vierge, les damnés peuvent quitter l’enfer du Vendredi saint à l’Ascension et entrer au paradis, mais ils retournent ensuite en enfer. Pensant à la fin du monde, Marie* confectionne un filet gigantesque afin d’attraper le plus grand nombre d’âmes possible et les sauver du démon.
7Ensemencement (Semănatul). Selon ce rite, le 1er janvier, des enfants, ou des garçons, passent dans les maisons et jettent des grains de froment ou de maïs sur les gens et dans les demeures. Le rite est courant dans la partie orientale du pays et vient peut-être d’Ukraine.
8Entend-bien (Aude-Bine). C’est le chien de la sainte mère Vendredi. Avec Voit-bien (Vede-Bine), le chien de la sainte mère Mercredi, et Léger-comme-le-vent (Uşor ca vântul), celui de la sainte mère Dimanche, il ramena indemne un jeune homme de l’enfer.
9Entrée de la terre (Gârliciul Pământului). C’est le passage qui relie l'ici-bas et l’au-delà. En l’empruntant, les héros gagnent le Monde Noir des dragons où sont enfermées des princesses. Selon d’autres croyances, ce passage relie la terre à l’enfer ; les diables l'empruntent pour venir sur terre.
10Épiphanie (Boboteaza). Le 6 janvier, jour du baptême du Christ, les femmes cuisent un pain dans lequel elles font passer le poil d’un animal domestique afin que leurs bêtes prospèrent autant que la pâte au levain. De jeunes gens déposent un peu de basilic sous leur oreiller pour que le futur leur apparaisse en rêve. Les hommes tirent des coups de feu en souvenir de l’annulation du contrat d’Adam avec le diable*, pacte gravé sur une tuile et rompu par le baptême du Christ. Les loups sont aux aguets, chassant les démons et les dévorant. Tous les ans, les gens, les bêtes, les oiseaux, les demeures, les fermes et les champs sont « baptisés » par des prêtres. Les fleuves sont consacrés et les hommes se baignent dans l’eau glacée afin de ne pas être malades au cours de l’année qui s’ouvre. Les jeunes gens gagnent l’église à cheval où ils sont « baptisés » avec leur monture, et une course équestre a lieu. Ce jour-là, les deux s’ouvrent, on peut voir Dieu et les animaux parlent.
11Esprit amant (Zburătorul, Zburătoarea). C’est un esprit aérien de l’amour. Il apparaît la plupart du temps sous la forme d’un démon masculin, parfois sous celle d’une femme. On le confond souvent à tort avec le Zmeu (Drac*). Généralement, il ressemble à un jeune homme grand et mince, quelquefois il est pisciforme. On le dit fou d’amour. En tant qu’homme ou femme, il rend visite à la personne aimée, et représente l’amour immense ou le désir et même la maladie d’amour de ceux qui ne peuvent s’unir, ou encore une terreur provoquée par la peine et la mélancolie. Certains le voient comme comète, tourbillon, flamme, oiseau ou diable.
Quelle que soit son apparence, ce démon se glisse la nuit dans les maisons par la cheminée et rejoint ceux qui se consument d’amour ; il passe la nuit avec eux. On dit que les marques de cet amour nocturne – bleus, traces de baisers, etc. – sont visibles le lendemain. Ce sont des nuits d’amour avec l’être désiré mais absent, et elles ont des conséquences néfastes : la personne ainsi torturée tombe malade, s’enfonce dans la mélancolie ou la folie, puis meurt. À l’aube, le démon quitte son (sa) partenaire, le jour, il se cache dans les arbres creux, les fentes des rocs ou dans des maisons abandonnées parce qu’il ne doit pas voir le soleil. À de nombreux égards, il évoque le cauchemar. Pour s’en protéger, il faut barricader toutes les issues de sa demeure et disposer en croix quatre couteaux à l’entrée de la cheminée.
12Étienne le grand (Ştefan cel Mare). Dans la mythologie roumaine, Étienne le Grand (1457-1504) ressemble à Charlemagne : tous deux sont de grands héros, combattent les païens avec l’aide divine et font construire des églises quand ils sont victorieux. Les déesses du destin prédisent à Étienne vaillance, gloire et bonté, et dès son jeune âge, il prouva sa valeur. À quinze ans, il tua un ours de ses mains nues – comme Daniel le lion – et vainquit trente adversaires d’un coup. Lors des nombreuses guerres qu’il mena, un ange l’accompagnait, armé d’un glaive de feu. Le pape appela Étienne « le glaive de la chrétienté » et le canonisa. Étienne accomplit des miracles avec l’ermite Daniel, tua un fantôme, fit revivre un poisson à partir de ses arêtes, comprit le signe divin lui indiquant où édifier une église, etc. Avant chaque guerre, il célébrait le mariage de vingt-quatre jeunes gens avec vingt-quatre jeunes filles ; après chaque conflit, il construisait une église.
Étienne, qui avait le don de prophétie, dressa une carte où étaient dessinés tous les pays d’Europe avec leur destin. Il l’enferma dans un coffre qu’il enterra à Suceava et dont il jeta la clé. Personne n’ose déterrer et ouvrir le coffre car chaque peuple redoute de connaître son sort.
Sur son lit de mort, Étienne ficha – comme Roland à Roncevaux – son épée si profondément dans un rocher que nul ne put l’en retirer. Quand il fut inhumé, un cierge apparut sur sa tombe et brûla trois jours sans qu’on puisse l’éteindre. Lors de la guerre d'indépendance de 1877, Étienne sortit de son tombeau et battit les Turcs. On s’attend à le voir réapparaître encore à cheval et l’épée à la main.
13Étoiles (Stelele). Dieu fit les étoiles qui, à l’origine, étaient des anges ou bien des petites lueurs célestes ou des bougies qui montrent la route aux hommes. Chacun possède son étoile au ciel, et quand elle tombe, on meurt. Les comètes annoncent des catastrophes. Une fois l’an, les étoiles dansent dans les cieux et celui qui les observe aura beaucoup de bonheur cette année-là. Il existe des individus qui peuvent lire les étoiles. Une étoile sur le front ou sur une autre partie du corps est une distinction particulière. L’étoile du soir et l’étoile du matin sont deux frères métamorphosés (Aurore, Crépuscule et Minuit*).
14Ève, la vieille (Moaşa Eva). Lorsqu’Adam fut endormi, Dieu prit une de ses côtes pour créer Ève, mais un chien, ou un chat, s’en empara. Il poursuivit l’animal et l’attrapa par la queue qui lui resta entre les mains. Furieux, Il la jeta au sol en disant : « Qu’elle soit femme ! » Selon d’autres traditions, le diable a créé Ève. L'iconographie la représente avec une quenouille. On dit aussi qu’elle fit traverser l’enfer à son futur beau-frère afin qu’il en ait peur.
15Exorcisme, exorciste (Descântat, Descântătoare). Comme les sorcières* possèdent des pouvoirs diaboliques et nuisent aux hommes, les exorcistes tentent d’obtenir l’aide divine. Ce sont essentiellement des femmes qui guérissent et désenchantent leurs patients, les hommes sont l’exception.
D’une certaine façon, elles reprennent la fonction des prêtres et des mires et sont en concurrence avec eux. Elles invoquent Dieu, la Vierge, Jésus ou les saints (Augustin, Trifon le Fou*, Toader*, Cosmandin*) pour qu’ils viennent en aide à leurs patients. Leur exorcisme se clôt par la formule : « Cette incantation est de moi, Dieu guérit. » Le traitement magique suit le principe bien connu en ethnomédecine, similia similibus curantur, et : post hoc, propter hoc. Certaines femmes disent avoir acquis cette science de la Vierge Marie, en songe, ou bien des Fées méchantes*, après une maladie grave, ou encore après avoir volé dans les airs. En fait, les grands-mères et mères la transmettent à leurs filles et petites-filles lorsqu’elles sont en âge de participer aux danses villageoises. Il existe toutefois un autre moyen d’apprendre cette science : si la femme assiste à un traitement magique, elle doit tenter de voler sur les lèvres de l’exorciste la formule de conjuration qui est tout juste murmurée, puis ne pas cesser de la répéter dans la hutte du métier*. Les formules apprises autrement n’ont aucun effet.
Le jour de l’exorcisme, la femme doit être magiquement pure, c’est-à-dire ne pas avoir eu de relations sexuelles auparavant et ne pas avoir ses règles ; elle doit jeûner et prier Dieu pour que son exorcisme réussisse. Il est recommandé d’exorciser le lundi, mercredi et vendredi, jours de jeûne, exceptionnellement les autres jours, mais en aucun cas il ne faut choisir le jeudi, le dimanche des Rameaux ou d’autres fêtes mineures. L’exorciste est seule avec son patient, mais il arrive qu’elle ait des assistantes. Le traitement n’est efficace que si le patient paye. Une étude statistique montre que l’exorcisme peut guérir plus de soixante maladies. Selon une croyance très anciennes, les maladies sont des démons qui assaillent une personne ; elles peuvent aussi être une punition divine pour des péchés, ou avoir été envoyées par des sorcières. L’exorciste doit donc expulser le démon de la maladie du corps du patient. Elle a besoin de la formule appropriée (incantation), de certains ustensiles et doit faire des gestes (signe de croix par exemple) qui soutiennent son action. Les conjurations sont de diverses longueurs, de trois à quatre cents vers ; leur vocabulaire est archaïque et truffé de mots déformés, consciemment ou non. Les textes présentent des dialogues avec les démons que l’on prie ou à qui l’on ordonne de quitter le corps du patient. Parfois, l’exorciste cherche à connaître le nom du démon afin de mieux pouvoir formuler son ordre. D’autres formules, des malédictions par exemple, visent à effrayer le démon, d’autres narrent comment il s’empara du corps du patient et l’abandonna, comme si ce dernier était déjà guéri. Certaines assimilent Dieu ou Marie à des thérapeutes, ou bien ceux-ci envoient le patient chez l’exorciste. Quelques textes décrivent le traitement se déroulant dans un autre monde peuplé de géants, d’hommes rouges, noirs ou jaunes, ou encore d’êtres et objets merveilleux. L’imagination est sans limites dès qu’il s’agit d’impressionner le démon de la maladie. Ces poèmes parlent donc d’oiseaux qui volent sans ailes, d’hommes qui mordent sans dents, mangent sans bouche ou tirent sans balles... On menace le démon avec des objets tranchants (couteau, clou, etc.) ou avec des choses possédant des vertus magiques, noisetier*, ail*, balai, croix, eau bénite, icône, etc. On accroît la force de ces objets si on les a dérobés ou s'ils sont neufs. On retourne les maladies, représentées comme des êtres, à ceux qui les ont envoyées, on les transmet à d'autres personnes, à des morts, des bêtes, des plantes, à la terre, au fleuve, à la lune, aux étoiles, à l’arc-en-ciel, mais le plus souvent, on les expulse vers les solitudes. Un enfant malade est baptisé une seconde fois du nom d’Ours* (Horea*), redouté par le démon.
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