J’ai gravi la montagne.... La représentation musicale de la montagne
p. 137-153
Texte intégral
1« J’ai gravi la montagne pour venir jusqu’à toi », dit à Dalila le Grand-Prêtre de Dagon venu sceller avec elle le destin de Samson. C’est donc sur la montagne que le héros de Saint-Saëns perdra sa force et subira sa castration capillaire. C’est sur le mont Chauve que se déroule, la nuit, le sabbat des sorcières qu’a orchestré Moussorgsky. C’est aussi sur le Blockberg que se déchaînent celles de la Nuit de Walpurgis. Quand Carmen, tentatrice et fatale, entraînera Don José « là-bas, là-bas dans la montagne », le brave brigadier, devenu contrebandier avant de devenir meurtrier, signera lui-même son arrêt de mort. Dans La Wally de Catalani, Wally et Hagenbach ne trouveront pas dans la montagne un refuge, mais une tombe : ils mourront emportés par une avalanche.
2La montagne serait ainsi un espace hostile, redoutable ou vengeur, voué parfois aux puissances du mal et aux messes noires. D’Indy et Strauss, pourtant, ne craignent pas d’y passer bourgeoisement une journée. Pour Messiaen, les immenses canyons de l’Utah touchent aux étoiles. Il est vrai que la montagne n’est plus ici le cadre d’une fiction, mais l’objet d’une représentation musicale relevant de l’imaginaire et de cette musique à programme sur laquelle Hanslick jetait le soupçon. Mais il ne sert à rien d’oublier le paratexte et de prétendre transformer cette musique en musique « pure ». Les titres, les préfaces sont là, précieux, comme les indications diverses qui émaillent les partitions, dont ils sont partie intégrante.1 On ne séparera pas Ce qu’on entend sur la montagne de Liszt du poème de Hugo ; on lira, avant d’écouter sa Cinquième Symphonie, le commentaire de Tournemire ; on ne négligera pas les présentations enthousiastes – au sens étymologique du terme – qui servent d’exergue à l’immense partition des Canyons aux étoiles.
3Il ne s’agira donc pas ici de prendre prétexte de la représentation musicale de la montagne pour poser la question de la légitimité de la musique à programme. Nous chercherons plutôt à accompagner sur les hauteurs les musiciens de la montagne, à participer à leur ascension, à partir avec eux de la vallée pour contempler les sommets. Pour redescendre ou pour monter encore plus haut et nous élever vers le ciel. Car l’excursion pourra parfois se muer en contemplation extasiée et joyeuse, l’espace référentiel, une fois conquis, en espace symbolique. L’appel des sommets ne sera alors rien d’autre que l’appel de l’éternité.
À chacun sa montagne
4Chez les musiciens, la montagne n’est jamais abstraite, comme la mer de Rimbaud ou l’Espagne de Debussy. Pour être source d’inspiration, elle doit d’abord, avant de se muer en espace symbolique, être un espace référentiel, familier ou lointain. Bref, la montagne est soit celle du pays natal soit celle que révèle le voyage. L’œuvre est un hommage, écho sonore d’un attachement aux racines ou d’un éblouissement. Jour d’été à la montagne, de Vincent d’Indy, prolonge, vingt ans après, la Symphonie cévenole « sur un chant montagnard français2 » : d’Indy veut une fois de plus célébrer ce Vivarais d’où sa famille est originaire, à travers la fête du 15 août à « Boffres-en-Vivarais, le village voisin de Chabret et des Faugs3 » Le programme l’annonce clairement : nous entendons « trois impressions de [s]a montagne ». Quand Strauss le bavarois compose sa Symphonie des Alpes, le propos est tout aussi clair : c’est à Garmisch qu’il nous emmène, après avoir revêtu sa tenue de montagne. Les sommets des Tatras n’effraient pas les alpinistes que sont le Tchèque Viteslav Novak ou le Polonais Mieczyslaw Karlowicz4 ; si ce dernier n’a pas laissé de musique de la montagne à proprement parler, Novak nous invite à une excursion Dans les Tatras.
5Delius, Tournemire ou Messiaen ont pris un autre parti : nous confier leur émotion devant un paysage qui n’appartient pas à leur quotidien. La Scandinavie fascine tellement Delius qu’il s’y rend très souvent ; les hauteurs de Over the Hills and Far Away sont moins celles du Yorkshire, où il naquit, que celles de la Norvège. Aucun doute, en tout cas, pour le Chant des hautes collines, que Philip Heseltine trouve « semblable au profil anguleux d’une grande chaîne de montagnes dont les sommets sont cachés dans les nuages »5, hommage à la Norvège, mais aussi à Grieg, que Delius admirait tant. La Cinquième Symphonie du Bordelais Tournemire est aussi une symphonie de la montagne, même si ce titre, comme le précise Joël-Marie Fauquet6, est apocryphe. Au bas de son manuscrit, le compositeur précise d’ailleurs : « Goschenen-Hospenthal-St Gothard (Suisse) 22 août 1913 ! Thônes (Hte Savoie) 31 juillet 1914 !7 » Six ans plus tard, le souvenir de l’épouse perdue est associé aux Alpes dans la Huitième Symphonie, sous-titrée « la Symphonie du Triomphe de la mort » ; le « programme » de l’œuvre est écrit à la Grande Chartreuse en août 1920. « La Méditation de Purun Baghat », du Livre de la jungle, vit le jour lors d’un séjour de Koechlin à Chamonix, en 1936. Messiaen, lui, franchit les frontières et les espaces pour visiter l’Utah, quand miss Alice Tully lui commande ce qui deviendra Des canyons aux étoiles : « [...] c’était encore plus beau que sur les photos [...] je notais tout, pas seulement les chants d’oiseaux, mais les couleurs des falaises, les jeunes pousses, le parfum des armoises [...]. Et puis il y avait les oiseaux de Bryce Canyon, des oiseaux qu’on ne trouve nulle part ailleurs [...]. Je les ai tous mis dans ma musique, ensemble avec les couleurs.8 »
6La musique de la montagne n’échappera donc pas souvent à l’intention descriptive. Si le musicien se promène, il nous indique précisément les étapes de son itinéraire. Léon Vallas voit dans Jour d’été à la montagne un respect scrupuleux du programme, chaque mot trouvant à ses yeux son strict équivalent dans la musique : « Nul détail n’est dépourvu de sens descriptif. Le jeu tonal et symphonique reste en étroite dépendance du programme littéraire, fruit d’une longue méditation poursuivie chaque jour pendant les vacances cévenoles.9 » Tout commence avec le lever de soleil d’« Aurore », continue sous les pins avec « Jour », s’achève avec « Nuit » et le retour au village. Messiaen parcourt les canyons de l’Utah l’œil et l’oreille aux aguets, attentif aux couleurs et aux chants des oiseaux : sur les douze numéros de sa partition, cinq ont pour titre des noms d’oiseaux soigneusement répertoriés par lui. Chaque partie s’achève sur l’évocation d’un site : Cedar Breaks, Bryce Canyon et Zion Park. Bryce Canyon, par exemple, est décrit comme « la plus grande merveille de l’Utah [...] un cirque gigantesque de roches rouges, oranges, violettes, aux formes fantastiques : châteaux, tours carrées, tours ventrues, fenêtres naturelles, ponts, statues, colonnes, des villes entières, avec de temps à autre un trou noir et profond10 Mais personne plus que Strauss ne détaillera la journée en montagne : pas moins de vingt-deux moments s’enchaînent dans sa Symphonie des Alpes, allant, comme chez d’Indy, de la nuit à la nuit.
7Rien d’étonnant à ce qu’on entende dans toutes ces partitions un écho des bruits de la nature. La symbolique que nous étudierons plus bas s’accommode du pittoresque descriptif et imitatif. Le rare éoliphone n’appartient pas seulement à l’orchestre pléthorique de Strauss, il produit le vent qui traverse, chez Messiaen, les espaces américains : on l’entend ainsi dans « le Désert », au début de l’œuvre11, comme on l’entendait dans le désert de glace de la Sinfonia antartica de Vaughan Williams. Point n’est besoin, d’ailleurs, d’utiliser des instruments inhabituels. D’Indy n’est pas un ornithologue comme Messiaen, mais les pépiements des bois, au début du triptyque, nous indiquent clairement la présence d’oiseaux.12 Tournemire, dans la « Pastorale » de sa Cinquième Symphonie, parle bel et bien des « bruits de la nature ».13 Les figures en ostinato des cors et des flûtes, dans le Chant des hautes collines de Delius14, évoquent aussi ces « bruits de nature » que percevait Tournemire. Il faut bien que Liszt trouve un équivalent sonore de cet océan dont Hugo perçoit le murmure : Ce qu’on entend sur la montagne commence par une imitation aux cordes, sur un grondement continu du tam-tam, de l’ondulation des vagues marines. Strauss est le plus prodigue d’effets : le « Wasserfall » déchaîne de vraies cascades d’arpèges et de glissandos (aux violons, à la harpe)15, tandis que la tempête éclate sur des gammes chromatiques descendantes que doublent parfois les flûtes en Flattergunge.16 C’est également un orage que peint, si l’on peut dire, Novak dans son poème symphonique, avec la disparition puis la réapparition du soleil.17
De l’ascension à l’extase
8C’est sur les sommets que Strauss assiste à ce fameux orage qui le contraint à redescendre. Car il est le seul à évoquer clairement l’ascension et la descente, à relier ainsi les différentes étapes de l’excursion, à travers un flot musical continu. Pas question pour Messiaen, naturellement, d’escalader les canyons. Liszt n’a pas à le faire non plus : l’ascension, dans le poème de Hugo, n’est pas l’essentiel ; le poète est, d’emblée, sur la montagne.18 La journée en montagne de d’Indy est faite d’étapes plus que de trajets, sans affrontement avec un élément minéral qu’il faudrait apprivoiser, s’approprier. Rien de commun, dira-t-on, entre les sommets du Vivarais et ceux des Alpes bavaroises. La musique de Strauss nous révèle que l’ascension a quelque chose d’héroïque : la tonalité de mi bémol majeur, le thème ascendant, très accentué, « très animé et énergique ».19 Ce qui plaide également pour l’héroïsme de ce thème, c’est sa parenté avec celui du héros dans Une vie de héros20 ; si on retrouve, sous diverses présentations, ce thème tout au long de l’œuvre, cela ne signifie-t-il pas qu’une vie de héros est une série d’ascensions successives, ou, plutôt, une ascension continue ? Zarathoustra, un autre héros straussien, n’invite-t-il pas, chez Nietzsche, à « vivre sur la montagne » ?21 Rien n’est précisé dans le Chant des hautes collines de Delius ; mais le passage très tendu qui suit le début22, le grand crescendo qui précède l’arrivée sur les sommets23 pourraient bien suggérer les difficultés et les joies de l’ascension, de ce corps-à-corps avec la montagne qui s’achève « avec exultation ».24 Cette exultation, qui est aussi exaltation, ne serait alors rien d’autre que celle du héros récompensé après le plus exaltant de ses travaux.
9Mais une fois en haut, que voit-on, qu’entend-on ? Car la montagne n’est pas muette. Liszt, comme Hugo, y entend les voix de la Nature et de l’Humanité, celle de l’action de grâces et celle de la révolte. Les deux voix montent d’en bas : Hugo, une fois de plus, se penche au bord du gouffre ; l’ascension n’avait d’autre but que de parvenir en haut pour mieux scruter l’en-bas.25 C’est pourquoi le premier poème symphonique de Liszt s’ouvre sur le grondement des vagues et non pas sur une ascension que, nous l’avons vu, Hugo élude. Mais on entend bientôt les deux voix, à travers deux thèmes bien différenciés : pour la nature, passant successivement au hautbois, à la flûte, à la clarinette et au basson, une mélodie ondulante comme « la voix joyeuse et pacifique »26 de l’océan, puis « l’auguste fanfare »27 de tout l’orchestre ; pour l’homme, deux motifs plaintifs exhalés par les bois, très brefs, un triton ascendant suivi d’une seconde mineure descendante d’abord, une quarte diminuée descendante précédant une seconde mineure et une tierce mineure ascendantes, que l’allongement des valeurs rend moins convulsifs et plus plaintifs encore.28 À d’Indy rêvant sous les pins parviennent également des bruits d’en bas ; mais ils ne montent pas de l’abîme, comme chez Hugo et Liszt, ils viennent de la terre. Qu’entendra-t-on donc dans « Jour » ? Des danses folkloriques du Vivarais. La méditation des cordes en 6/4 y alterne avec les 3/8 ou les 6/8 carrés des rythmes populaires, tout cela étant un moment troublé par l’orage et le grondement d’un tonnerre lointaine29 ; quand la musique s’éteint dans le silence, à la fin, des bribes de ces rythmes, étouffés, sont encore perceptibles à la clarinette, au basson ou au cor.30 D’Indy ne quitte pas la terre et le monde des humains.
10Tous ne baissent pas ainsi les yeux, mais contemplent le spectacle que la montagne leur offre. L’arrivée au sommet, d’abord, semble suspendre le temps comme elle immobilise le promeneur fasciné. Cela n’est pas d’ailleurs propre à la seule musique de la montagne ; dans sa Sixième Symphonie, qui relève, formellement du moins, de la musique pure, Mahler, quand il suggère, à travers notamment les tintements des cloches de vaches, des paysages de montagne, interrompt pour quelques mesures la marche fatale du destin, en ralentissant le tempo, en raréfiant la sonorité, en élargissant l’espace sonore.31 Le tempo se ralentit aussi quand Strauss parvient « au sommet » : les trombones proclament la majesté de la montagne32 avant que le hautbois ne chante une mélodie agreste, pour dire les deux aspects du paysage. Suit alors un grandiose crescendo menant à une « vision » extatique, qui s’ouvre par le motif de majesté33 qu’interrompra l’apparition menaçante des nuages. Car les musiques de la montagne peuvent être des poèmes de l’extase, comme dans le Chant des hautes collines de Delius. Chez lui, d’ailleurs, la montagne n’est pas un réceptacle de voix contraires, comme chez Hugo, c’est elle-même qui parle, à travers les vocalises du chœur, du ténor ou de la soprano, une fois qu’on a gagné « l’horizon lointain – la grande solitude34 » : dix mesures immobiles où l’on n’entend que le chœur et les cordes, très divisés tous les deux, s’achevant sur un grand point d’orgue pppp. Le thème entendu est très modal, sur lequel débutera l’immense crescendo-decrescendo inauguré très chromatiquement par le chœur seul35 équivalent de la « vision » de la Symphonie des Alpes, mais quasi dionysiaque, comme si se célébraient ici les noces de l’homme et de la montagne, qui a cessé de résister pour se donner à son conquérant : le temps cesse d’être suspendu, on entre dans un temps hors du temps, celui de l’extase36.
11Les sommets gravis, la contemplation achevée, que faire, sinon redescendre, purifié et régénéré ? Pas de descente chez ceux qui n’ont pas évoqué la montée. On retrouve d’Indy en bas comme on l’avait trouvé en haut. L’orage pousse Strauss à regagner la vallée. Rien, répétons-le, n’est expressément indiqué dans la partition de Delius, mais la musique suffit à nous indiquer que l’itinéraire est terminé. Car la fin, chez les trois musiciens, nous ramène au début. Michel Fleury note que, dans la Symphonie des Alpes comme dans Jour d’été à la montagne ou A Song of the High Hills, la forme adoptée est une forme « en soufflet ».37 Dans les trois œuvres, les dernières mesures reprennent les premières, la nuit recouvre de nouveau la montagne, la journée s’achève sur la terre qu’on avait quittée à la naissance du jour. Chez d’Indy, les cordes retrouvent leurs valeurs longues à peine troublées par le cri de la chouette et le si majeur cède à l’ut mineur exactement comme il l’avait précédé au début.38 Mais ce si majeur était celui de l’aurore ; cette fin ne serait-elle pas la promesse d’un recommencement, une invitation à passer un autre jour d’été à la montagne ? Quand les cordes de la Symphonie des Alpes amorcent leur dernière descente, suivies du choral entendu au début, signe de la nuit tombante, le thème de l’ascension émerge une dernière fois, piano, à peine perceptible, de la nuit sonore, en si bémol mineur et non plus en mi bémol majeur39, à la dominante donc et non plus à la tonique : le héros s’endort mais ne meurt pas, la musique pourrait recommencer de la même façon, pour une nouvelle Symphonie des Alpes. Delius adopte le même plan : on retrouve le 6/4 du thème dépressif initial quand s’amorce la descente, puis, curieusement, le passage tendu de l’ascension40 ; enfin, les ultimes mesures sont jouées « très lentement », des longues tenues des cordes, là encore, s’abîment dans le néant « en se mourant »41, ponctuées par des trilles étouffés des timbales, tandis qu’on vient de deviner des échos, à la clarinette, au hautbois ou au cor, de telle ou telle figure de la musique de la montagne.
Du réel au symbolique
12Mais cette nuit à la fois originelle et ultime n’est-elle pas le symbole d’une autre nuit ? N’est-ce pas la vie humaine qui en vient et y retourne ? C’est le dernier poème symphonique de Liszt, Du berceau à la tombe, composé plus de vingt ans après les douze autres, au moment où lui-même s’approche de son terme, qui pourrait bien nous éclairer ici, notamment grâce au titre de ses trois parties : « Le Berceau », « Le Combat pour l’existence », « Vers la tombe, berceau de la vie future ». Car voilà encore une forme « en soufflet », jouant sur l’antithèse entre l’ombre et la lumière. Ou, plutôt, entre l’être et le néant. Gravir la montagne, c’est accéder à l’être. Il n’y a donc rien à craindre de ces sonorités raréfiées dans lesquels baigne le testament symphonique lisztien : le néant ne retournera pas au néant. La montagne n’était peut-être qu’une pure métaphore, un espace hautement symbolique, à travers lequel s’exorcise l’angoisse du néant. Quand on a atteint le sommet, la descente n’est pas une chute. Mais il fallait, précisément, monter pour le comprendre : la nuit originelle n’est pas vraiment la nuit. Tournemire et Messiaen en sont bien conscients. Le programme du premier mouvement de la Cinquième Symphonie, réactivant une conception très romantique de la nature, annonce explicitement ce passage du référentiel au symbolique : « Dans les Alpes. D’impressionnantes gorges où les fleurs se comptent et où le soleil ne pénètre que très faiblement. Çà et là, quelques ouvertures sur le ciel. C’est dans un pareil cadre que l’angoisse humaine trouve un écho puissant. »42 Ce ciel rare n’est pas seulement le ciel que cachent les gorges. Des canyons aux étoiles commence par une phrase confiée au cor et ce « thème de cor évoque la paix du désert », mais Messiaen précise : « Le désert est le symbole de ce vide de l’âme qui lui permet d’entendre la conversation intérieure de l’Esprit.43 » C’est pour cette raison que Strauss convoquait, pour gravir la montagne, un thème si proche de celui de son Heldenleben : il fallait bien cela pour cette ascension métaphysique. Une fois de plus, le compositeur rejoint Nietzsche : « Tu ne grimperas jamais en vain dans les montagnes de la vérité : soit qu’aujourd’hui déjà tu parviennes à monter plus haut, soit que tu exerces tes forces pour pouvoir monter plus haut demain.44 »
13On ne s’étonnera donc pas que la montagne soit un espace fortement sacralisé. N’oublions pas que Moïse reçut les Tables de la loi sur le mont Horeb, qu’il aperçut la Terre promise depuis le mont Nebo, que le Christ se transfigura sur le mont Thabor. Pour les musiciens aussi, la montagne peut être un espace où s’accomplit une révélation, lieu de prédilection des mystiques. Là où l’agnostique Delius entrait « en communion avec les forces élémentaires »45 de la nature, Liszt, qui n’imagine jamais que le mal puisse triomphe46, trouve un aliment à sa foi. On sait qu’il a ainsi modifié de façon significative, dans Ce qu’on entend sur la montagne, le sens du poème de Hugo : dans la partition, la lutte entre les voix de la Nature et de l’Humanité se résout en un choral.47 Voilà pourquoi, peut-être, plus que pour faire montre de ses talents de prétendant à la succession de Beethoven, il tenait tant à inscrire son poème symphonique dans le moule d’une forme sonate, quitte à s’y épuiser quelque peu48 ; pour lui, en effet, les deux voix s’affrontent seulement « jusqu’à ce que la contemplation émue du poète touche silencieusement aux confins de la prière ». C’est donc sur le choral que s’achève tout naturellement la réexposition, avant que la brève coda ne fasse entendre une dernière fois, aux cordes jouant pizzicato et pianissimo, entrecoupé d’arpèges éthérés de la harpe, l’hymne de la Nature à son Créateur. Tout conflit s’est résolu, on ne percevra plus qu’un simple mi bémol, répercuté à la fin par les seules timbales.49 Le choral est la forme idéale pour faire de la montagne un espace mystique ; Tournemire inaugure sa Cinquième Symphonie par un « Choral varié », que suivra une « Pastorale » en forme de lied « affectant un caractère mystique »50 Dans Jour d’été à la montagne, un des thèmes de « Soir » est issu d’une antienne grégorienne du quinze août, alternant avec celui du jour naissant d’« Aurore » : ce dernier était en si majeur, c’est en si majeur qu’on entendra pour la dernière fois ce chant grégorien51, comme s’il s’agissait de réunir l’élément référentiel et l’élément symbolique.
14Certains, d’ailleurs, ne quittent pas les sommets. Chez eux, pas de descente, pas de retour à la nuit. Ceux-là, qui sont les plus authentiquement mystiques, ne cherchent pas seulement à s’approprier l’espace, mais le temps, dont ils ont une conception non pas cyclique, mais linéaire ; le temps, pour eux, ne recommence pas. Quand Tournemire intitule la dernière partie de sa Cinquième Symphonie « Vers la Lumière », il prend bien soin de commencer le mot par une majuscule. Son commentaire associe immédiatement cette lumière à la joie : « Tout est joie, et l’âme s’associe au concert précurseur des fêtes d’En-Haut. »52 Messiaen effectue le même trajet, en partant du désert. Avant d’être une « œuvre [...] géologique et astronomique » (et donc, d’un certain point de vue, référentielle), ses Canyons aux étoiles sont une « œuvre religieuse [...] de louange et de contemplation ». Voici comment il définit lui-même le titre : « [...] en s’élevant des canyons jusqu’aux étoiles – et plus haut, jusqu’aux ressuscités du Paradis – pour glorifier Dieu dans toute sa création : les beautés de la terre (ses rochers, ses chants d’oiseaux), les beautés du ciel matériel, les beautés du ciel spirituel. »53 La plupart des textes de présentation de chaque partie intègrent des citations, le plus souvent de la Bible, visant à souligner cette perspective. Le finale de la Cinquième Symphonie de Tournemire, qui s’enchaîne directement à la « Pastorale » (l’ascension est continue54) ! est une « ronde joyeuse » (« dans le sens profond du mot », précise le compositeur), sorte de mouvement perpétuel sur un refrain dansant, s’achevant dans l’allégresse d’une fanfare. Tournemire est un musicien de la joie, comme Messiaen.55 Dans « Bryce Canyon et les Rochers rouge-orange », la montagne chante et danse : on entend un choral solennel56, mais aussi une danse joyeuse.57 L’ascension, chez Tournemire et Messiaen, s’achève au-delà même de la montagne, dans l’éternité. Ils ne vont pas du berceau à la tombe, mais, comme Liszt, du berceau à la Vie. Avant la Huitième Symphonie, dédiée à la mémoire de l’épouse défunte « à jamais dans les Hauteurs », la Cinquième est donc déjà, peut-être, un « triomphe de la mort » ; cette Huitième sera aussi une œuvre joyeuse, à la fin en tout cas, où on entendra une sorte de musique des sphères.58 Des canyons aux étoiles ne pouvait qu’être une ascension vers la Cité céleste : « Ceux qui découvrirent les murailles roses, blanches mauves, rouges, noires, les arbres verts, et la rivière limpide de Zion Park, y virent un symbole du Paradis. Me souvenant que la montagne de Sion est un synonyme de la Jérusalem céleste, j’ai fait comme eux. » Le grand choral, coupé de chants d’oiseaux, « tournant autour du ton de la majeur », semble prolongé à l’infini par un point d’orgue « extrêmement long » : « Sur un accord de la majeur aux cordes (immuable comme l’éternité), les cloches du carillon apportent leur résonance avec la joie finale.59 » Nous sommes loin du pittoresque cinématographiquement descriptif de la Grand Canyon Suite de Ferde Grofé ; pas d’ascension d’ailleurs ici, même symbolique, on se promène à cheval, sur une musique trottinante qui ressemble fort à l’Apprenti sorcier.60 Cette dimension de l’éternité échappait aussi à d’Indy : le cantique du quinze août, entendu à la fin de Jour d’été à la montagne, nous ramenait aux fêtes carillonnées, au calendrier des offices religieux. D’Indy ignore les ravissements de la contemplation extatique, celle qui était : il entend les cantiques comme il entendait encore, sous les pins, les échos des bourrées et des chants folkloriques.
Le désir d’éternité
15Les musiciens de la montagne sont donc parfois ceux de l’éternité. La montagne peut disparaître, mais l’ascension demeure. Ce n’est plus le corps qui tente de parvenir à un quelconque sommet, c’est l’âme qui aspire à assouvir sa soif d’absolu. La Troisième Symphonie « Moscou » de Tournemire, qui n’est pas une symphonie de la montagne mais des « plaines immenses », n’en est pas moins une symphonie de l’ascension. Les cloches carillonnantes de Moscou en fête annoncent aux âmes égarées dans les sacrifices aux idoles la lumière et la joie de la Croix : « [...] ils se lèvent, et plus haut, entendant les cloches du Royaume des deux, ils gravissent les routes, aux sommets desquelles ils savent trouver le bonheur absolu dans la Paix du Seigneur. »61 Ces cloches-là ne sont plus celles du couronnement de Boris Godounov et, comme la Cinquième, cette Troisième Symphonie triomphe déjà de la mort. Décidément, les finales de Tournemire, comme ceux de Messiaen, sont souvent des alléluias parachevant une ascension spirituelle.
16L’ascension n’est pas réservée aux seuls alpinistes. Mais il arrive que ces derniers, justement, métaphorisent une montagne qu’ils n’éprouvent plus le besoin de décrire et ne chantent plus, comme Novak, que « l’éternel désir ». Tel est le titre d’un de ses poèmes symphoniques, qui n’est plus une musique de la montagne62 ; un cygne, étrangement proche de celui de Mallarmé, tente de s’élever de la mer vers le ciel et finit, lui, par y arriver. Le programme, tiré du Livre d’images sans images d’Andersen, se présente ainsi : « La mer était calme – dit la lune – l’eau était aussi transparente que l’air limpide dans lequel je nageais [...]. Dans la hauteur, au-dessus de la mer, une bande de cygnes sauvages volait ; l’un d’eux, les ailes fatiguées, s’abaissait de plus en plus, suivant des yeux la troupe aérienne qui s’éloignait. Il tomba, effleura la surface et vint s’y poser doucement comme une fleur blanche de nénuphar sur un lac. Une brise légère se leva et fit frissonner la surface lumineuse de la mer qui brilla comme traversée d’éther. L’aurore éclaira les nuages roses. Le cygne prit son essor et vola au-devant du soleil levant, au-devant des rivages bleuâtres où se rendaient ses compagnons, mais il vola seul, le cœur plein de désir, seul au-dessus de l’onde bleue. » Dans ce poème « en soufflet »63 (au début et à la fin, le calme des eaux est exprimé par des arpèges ondulants de la harpe sur lesquels se détache le chant des bois), le thème ascensionnel, chant de l’éternel désir, est d’abord exprimé par l’alto solo, en mi mineur64 ; il passe ensuite à la flûte65, avant de gagner l’aigu du violon solo, en la mineur.66 On remarquera que l’ascension est liée, comme dans les musiques de la montagne, au soleil levant et à la naissance du jour, qui métaphorisent la renaissance de l’âme.
17Car l’éternel désir est désir d’éternel. Les trois Chants éternels sont à Karlowicz ce que De l’éternel désir est à Novak. Chez Karlowicz, pas de programme67, aucun autre espace que celui de l’âme ; les titres suffisent : « Chant de l’éternelle nostalgie », « Chant de l’amour et de la mort », aux accents tristaniens, « Chant de l’éternité ».68 L’évolution tonale est la même que dans la Cinquième Symphonie de Tournemire : le fa mineur initial devient majeur à la fin, lorsque l’éternelle nostalgie touche enfin à l’éternité. Au terme de l’ascension spirituelle, une fanfare éclate là aussi, aux cadences parfaites. Le thème cyclique de l’éternité, qu’on avait rencontré dans chaque partie et qu’on avait parfois entendu tourmenté et tendu69, se dilate, s’éclaircit et célèbre ce qui pourrait bien être, chez cet admirateur de Strauss, une transfiguration. Jamais ce thème n’a paru aussi lumineusement ascensionnel que dans cet éclatant fa majeur, avec sa quinte et ses quartes ascendantes70 ; la quinte et quarte du début sont d’ailleurs exactement celles du Zarathoustra straussien71 ; si c’était d’abord un thème de mort72 une telle mort, loin d’être redoutable, paraît même désirable, ascension dans la lumière et non pas chute ou rechute dans les ténèbres du début ; c’est la mort d’Isolde transfigurée. La nostalgie du premier Chant était moins nostalgie de quelque chose que nostalgie des origines, que désir d’éternité.73 Karlowicz célèbre lui aussi « les fêtes d’En-Haut ».
18Comme l’écrivait Bachelard au début de sa Psychanalyse du feu, il ne suffit pas, pour être objectif, de parler d’un objet, qui « nous désigne plus que nous ne le désignons ».74 L’écriture musicale de la montagne nous a, en effet, plus appris sur les musiciens eux-mêmes que sur la montagne qu’ils évoquent ou qui les inspire : c’est qu’elle relève, en dernière instance, de l’écriture de soi. La montagne des musiciens n’est pas celle des guides touristiques et des livres de géographie. « J’ai gravi la montagne pour venir jusqu’à moi » : voilà ce que chantent les musiciens de la montagne. L’éclat des sommets est l’éblouissement d’une révélation, qui peut parfois propulser plus haut encore, dans l’éternité : l’ascension est alors assomption. Ce ne sont pas ces montagnes-là que gravissait, à la nuit tombante, le noir Grand-Prêtre de Dagon.
Notes de bas de page
1 Voir à ce sujet Michel Chion, Le Poème symphonique et la musique à programme, Paris, Fayard, 1993, p. 22-28.
2 En 18 81, cinq ans avant la Symphonie cévenole, d’Indy avait déjà composé un Poème des montagnes, pour piano.
3 Léon Vallas, Vincent d’Indy, t. II, Paris, Albin Michel, 1950, p. 25 3.
4 Il mourra d’ailleurs victime d’une avalanche, à trente-trois ans, en 1909.
5 Frederick Delius, Londres, The Bodley Head, 1923, rééd. 1952, p. 114.
6 Catalogue de l’œuvre de Charles Tournemire, Genève, Minkoff, 1979, p. 69.
7 Nous tenons ici à remercier particulièrement M. Gérald Hugon, des Éditions Max Eschig, qui nous a facilité l’accès aux partitions de Tournemire.
8 Texte d’une interview cité par Harry Halbreich dans son Messiaen, Paris, Fayard, 1980, p. 451-452.
9 Op. cit., p. 255.
10 Texte de présentation de Des canyons aux étoiles, Paris, Leduc, 1978, p. 16.
11 Pages 26 et 36.
12 Pages 8-12 de la partition publiée en 1952 aux Éditions Durand.
13 Joël-Marie Fauquet, op. cit., p. 70.
14 Chiffres 9 et 10 de la partition publiée par Universal Édition.
15 Pages 43-53 de la partition publiée aux Éditions FEC Leuckart, Munich.
16 Ibid., p. 113-128.
17 Voir p. 17-50 de la partition publiée en 1966 à Prague. Le programme de l’œuvre est simple : les Tatras sont dans les nuages, que perce le soleil ; ils apparaissent alors dans toute leur majesté. Mais un orage éclate, auquel ils résistent victorieusement ; ils disparaissent alors dans la nuit.
18 Dès le vers 3.
19 Pages 17 et suiv.
20 On peut naturellement associer cela à la volonté de puissance. Voir à ce sujet l’article de Frédéric Monneyron sur l’écriture nietzschéenne de la montagne, dans ce même recueil.
21 Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, « Le Retour », Paris, Laffont (Bouquins), t. II, 1993, p. 429.
22 Chiffre 7 : « avec vigueur ».
23 À partir du chiffre 14, où Delius précise : « devenant peu à peu de plus en plus animé ».
24 Page 20.
25 Ce Hugo-là n’est pas encore celui de « Plein ciel ». « Ce qu’on entend sur la montagne » fait partie des Feuilles d’automne.
26 Vers 44 du poème de Hugo. Pour Liszt, voir p. 10 et suiv. de la partition publiée aux Éditions Eulenburg.
27 Vers 55 du poème de Hugo ; p. 21 et suiv. (maestoso assai) du poème symphonique.
28 Pages 27-29. On remarquera que les courbes de ces deux motifs sont exactement inverses. Liszt est ici scrupuleusement fidèle au poème de Hugo ; voir à ce sujet Serge Gut, Liszt, Paris, de Fallois/L’Âge d’homme, 1989, p. 353.
29 Ce grondement de tonnerre, émis par un unisson du piano dans le grave et de la timbale solo, doublés ensuite par la grosse caisse (p. 60), rappelle naturellement la fin de la « Scène aux champs » de la Symphonie fantastique. Il n’a échappé à personne que Jour d’été à la montagne est à d’Indy ce que la Symphonie pastorale est à Beethoven.
30 Page 79.
31 Pages 33-38 de la partition éditée aux Éditions Eulenburg.
32 Page 80. Ce motif ascendant, axé sur la dominante et la tonique, rappelle de très près le début d'Ainsi parlait Zarathoustra.
33 Page 89. Là encore, le tempo est « retenu ».
34 Chiffre 18.
35 Chiffre 30 de la partition. On peut évidemment penser à l’utilisation que Ravel fait du chœur dans son Daphnis et Chloé, partition contemporaine de celle de Delius. Les deux compositeurs se connaissaient.
36 Philip Heseltine (op. cit., p. 114-115) a raison de voir ici une manifestation de l’extase et de l’oubli de soi, en aucun cas l’expression d’une lutte entre l’homme et la nature. Cette lutte, en revanche, nous semblait suggérée par le passage auquel nous faisions allusion plus haut à propos de l’ascension.
37 L’Impressionnisme et la musique, Paris, Fayard, 1996, p. 280.
38 Pages 108-111. Avec les premières mesures, la symétrie est parfaite.
39 Pages 158-159.
40 On notera que cette reprise élimine les bruits de nature entendus entre les chiffres 9 et 14. En revanche, comment interpréter le passage « avec exultation » alors qu’il s’agit visiblement de la descente ? Nous touchons ici aux limites de la musique à programme, le programme se limitant d’ailleurs ici au titre et contraignant d’autant moins le compositeur, qu’on sent donc, au-delà de l’impressionnisme, très soucieux de cohérence formelle.
41 « Dying away to the end ».
42 Op. cit., p. 69.
43 Op. cit., p. 13.
44 Humain, trop humain, II, « Opinions et sentences mêlées », Paris, Laffont (Bouquins), t. I, 1993, p. 817.
45 Michel Fleury, op. cit., p. 280.
46 Qu’on pense à la fin de ses deux Symphonies ou à la transformation du triton dans la Dante Sonate (voir, à ce sujet, l’analyse de S. Gut, op. cit., p. 316-319).
47 Liszt l’entendit à la Chartreuse : le référentiel et le symbolique, là encore, se rejoignent.
48 C’est l’avis de S. Gut, qui trouve la réexposition inutile (op. cit., p. 352). Pour M. Chion, l’œuvre « riche en superbes moments [...] souffre cependant d’une sorte de prolixité qui affecte en particulier sa réexposition [et] pâtit aussi de l’emploi des clichés de “développement” qui en dénaturent le sens », Le Poème symphonique et la musique à programme, Paris, Fayard (Les Chemins de la musique), 1993, p. 127-128.
49 Pages 164-166 (allegro moderato).
50 Op. cit., p. 70. Rappelons que la grande œuvre pour orgue de Tournemire est intitulée L'Orgue mystique.
51 Page 105 (lento), partie de cor solo.
52 Op. cit., p. 70.
53 Op.cit., p. 13.
54 « Le thème du Choral et celui de la Pastorale s’unissent et montent vers les hauteurs », commente Tournemire (op. cit., p. 70).
55 Faut-il redire que tous deux sont des organistes ?
56 « Modéré, lourd », p. 167.
57 « Modéré, un peu vif », p. 172.
58 On lit sur la page de garde de la partition : « Aujourd’hui, c’est le grand silence... La solennelle minute qui nous fait comprendre la “Beauté de la mort”... C’est l’acheminement vers la compréhension merveilleuse du “Concert des Anges” auquel ta belle âme, pure comme l’eau des hautes montagnes, parfumée comme la plus parfumée des fleurs des hauts sommets, assiste et prend part, dans un élan immense de reconnaissance envers Dieu ! C’est aussi mon âme émerveillée qui veut sa part du Concert... en attendant la totalité des Jours ineffables qui baignent d’une éternelle lumière l’âme de mon âme : ton âme... » Cette Symphonie est donc bel et bien une symphonie de l’ascension.
59 Op. cit., p. 18-19 pour le texte, p. 447-515 pour « Zion Park et la Cité céleste ». On sait que Messiaen, avant et après Des canyons aux étoiles, est le musicien des Couleurs de la cité céleste et de La Ville d’en haut. Quant à Et exspecto resurrectionem mortuorum, il aurait voulu l’entendre à La Grave : « Là, par les jeux du soleil sur la blancheur de la glace, j’obtiendrais visuellement le deuxième symbole qui circule dans ma musique, la principale qualité des Corps glorieux, le “don de clarté” » (Entretiens avec Claude Samuel, Paris, Pierre Belfond, 1967, p. 171).
60 « On the Trail », troisième morceau de la suite. On a aussi un lever et un coucher de soleil, un orage...
61 Joël-Marie Fauquet, op. cit., p. 67.
62 Dans les Tairas était d’ailleurs une musique purement descriptive, dans la mesure où il s’agissait d’une peinture musicale de la montagne et non pas de la relation entre l’homme et la montagne. Notons que De l'éternel désir forme un diptyque avec Toman et la fée des bois qui est cette fois, comme l’indique son titre, un poème de la forêt.
63 Dans les Tatras l’était aussi.
64 Voir p. 56-59 (appassionato, doloroso) de la partition publiée en 1973 à Prague. La courbe du thème exprime parfaitement les efforts du cygne pour s’élever dans le ciel.
65 Pages 65-70.
66 Pages 80-81.
67 Certains textes de Karlowicz, expliquant l’émotion qu’il éprouve lorsqu’il se trouve sur les sommets montagneux, passent souvent pour le programme des Chants éternels. Le compositeur souligne en particulier l’impression de dissolution de la conscience individuelle dans une éternité parfois étroitement associée au néant (voir par exemple la contribution d’Elzbieta Dziebowska à La Vie et l'œuvre de Mieczyslaw Karlomcz, Cracovie, Éditions polonaises de musique, 1970, p. 24-25). Maciej Pinkwart, en revanche, se refuse à voir dans l’œuvre une partition directement inspirée par les Tatras, ne retenant que sa portée métaphysique (Sur les traces de Mieczyslaw Karlowicz à Zakopane, Varsovie-Cracovie, Éditions PTTK, 1985, p. 79-81).
68 Mot à mot, il faudrait traduire par « Chant de l’universelle présence » (« Piesn o wiekuistej wszecbbycie »).
69 Dans le « Chant de l’éternelle nostalgie », p. 16-17 (allegro moderato) et dans le « Chant de l’amour et de la mort », p. 40 (meno mosso), partition publiée aux Éditions polonaises de musique de Cracovie (Musica viva), 1981. Pour une synthèse, on pourra se reporter à Alistair Wightman, Karlowicz : la Jeune Pologne et la fin de siècle musicale, Cracovie, Éditions polonaises de musique, 1996, p. 71-80.
70 Page 77.
71 Nous ne sommes pas très loin non plus du thème de L’Or du Rhin, qui est aussi le thème d’une origine, d’un élément primordial, d’un Ur-Element.
72 C’est l’avis de Leszek Polony (La Poétique musicale de Mieczyslaw Karlowicz, Cracovie, Éditions polonaises de musique, 1986, p. 114-116). Cela était déjà annoncé dans le « Chant de l’amour et de la mort », lorsque le thème réapparaissait en ré bémol majeur (p. 50, poco meno mosso).
73 Le mot tesknota signifie aussi aspiration profonde, comme Sehnsucht en allemand.
74 Paris, Gallimard (Idées), 1967, p. 9.
Auteur
Université Stendhal, Grenoble
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