Le Japon : territoire insulaire ou montagnard ?
Une réflexion anthropo-géographique autour des termes kuni , shima et yama
p. 81-99
Texte intégral
1Il est difficile de parler de la montagne au Japon sans évoquer l’autre élément majeur du milieu japonais qui lui fait contrepoint : l’insularité. Etudier celle-ci permet de mieux comprendre celle-là, notamment sous l’angle du territoire. On peut comprendre le territoire japonais comme un espace géopolitique à la fois externe, défini vis-à-vis des pays environnants, et interne, défini politiquement, socialement, culturellement par la norme japonaise dominante. C’est sous ce second aspect-là que je tenterai d’aborder la question, sachant que, comme le relève Marcel Roncayolo,
la territorialité ne se constitue que partiellement, par fragments, si l’on fait appel aux données immédiates. Sa cohésion, au contraire, dans sa forme élaborée de la diffusion d’images mentales, de récits, de représentations plus ou moins abstraites, dessins ou cartes, de représentations symboliques, elle est mythologique.1
2Dans la comparaison montagne et île, le territoire japonais reflète de ce point de vue une contradiction. L’espace japonais est, en effet, d’abord perçu comme insulaire. Il est rare qu’un ouvrage, et pas seulement de géographie, ne s’ouvre pas sur ce constat (« le Japon est composé de quatre grandes îles... »). Mais la démarcation de la périphérie insulaire, que je nomme « surinsularité », est plus ou moins floue dans l’espace et dans le temps. Même au temps de la « fermeture du pays » (sakoku ), en réalité un néologisme récent qui fut anachroniquement attribué à une politique que les Tokugawa dénommaient eux-même kaikin (interdictions maritimes) ou go-kinsei (« interdictions »), ce qui n’est pas la même chose, l’enclosure japonaise était loin d’être étanche. Outre l’îlot officiel de Dejima ouvert aux Hollandais et aux Chinois, un grand nombre de contacts officiels ou clandestins transitaient par la périphérie surinsulaire d’Ezo , de Tsushima et des Ryûkyû avec la Chine, la Corée et l’Occident. C’est en définitive le « bloc centralinsulaire », autre néologisme qui désigne les îles de Honshû , Kyûshû et Shikoku , autrement dit Hondo , qui constitue le point d’ancrage territorial majeur. Le coeur de ce « bloc centralinsulaire » est lui-même constitué par un espace montagnard profond, âpre, désertifié mais essentiel.
Île et pays
3On sait que d’après la mythologie japonaise, notamment retranscrite dans les annales antiques du Kojiki et du Nihonshoki (viiie siècle), le couple divin Izanagi-Izanami a donné naissance à des îles, c’est-à-dire les îles japonaises, énumérées en plusieurs séries et regroupées sous le nom d’Oo-ya-shimakuni (« Pays des huit grandes îles » ou encore les « Nombreuses grandes îles » – le terme de ya « huit » pouvant aussi signifier « nombreux »). Curieusement, la tradition japonaise n’évoque pas cet acte comme étant le « Mythe de la naissance des îles » (Shimaumi shimva ) mais comme le « Mythe de la naissance du pays » (Kuni umi shinwa ). Il faut s’arrêter un instant sur la signification du mot kuni tel qu’il est employé dans cette expression pour comprendre l’importance de cette nuance. Kuni revêt bien ici le sens originel de « terre » – de « pays » comme il est parfaitement rendu dans toute son acception en langue française – et il n’a pas encore pris celui de « région administrative » puis d’« État » (kuni / kokka ) qu’on connaît de nos jours.
4On peut donc supposer que, dans la conception antique et traditionnelle, shima (l’île) précède en fait le kuni (le pays). La mythologie des Ryûkyû est encore plus explicite à ce propos puisque, d’après la chronique Omoro sôshi du xviie siècle, la déesse Amami-kyo crée d’abord des îles (shimatsukure ), puis ensuite des pays (kunitsukure ).2 Shima et kuni sont bel et bien différents. Mais que désignent-ils alors précisément l’un et l’autre ?
5Pour l’anthropologue Sugata Masaaki ,
le fait que l’« île » (shima) ait précédé le « pays » (kuni) comme création des divinités ancestrales Izanagi-Izanami montre que l’île est bien le lieu terrestre qui est situé entre les dieux et les hommes, que telle est la « vérité » (shinjitsü).3
6Pour étayer son propos, Sugata fait appel au célèbre anthropologue Orikuchi Shinobu (1887-1953). Ce collaborateur de Yanagita Kunio , qui a voyagé dans de nombreuses îles de l’archipel japonais pour y découvrir les « traits fondamentaux de la psyché japonaise », écrit dans ses « Etudes de l’Antiquité » (Kodai Kenkyû, 1929-1930) :
... Le terme de kuni était autrefois clairement opposé à celui de shima [...]. Shima signifiait pays, à l’origine, pays que l’on possède soi-même, mais il a peu à peu pris le sens qu’on lui connaît actuellement. D’un autre côté, kuni désigne ce qui est à moitié contrôlé par l’empereur, à moitié indépendant. [...] La région (chiho) qui dépend de la Cour, pays de tous, devient peu à peu le pays (kuni). Ce qu’il nous reste de cet ancien sens de shima, c’est le sentiment étrange, quand on parle d’un quelconque pays, qu’il est entouré d’eau.4
7D’après les conceptions antiques, l'île est l’espace sacré originel, synonyme de pays dans les premiers temps. « En simplifiant, on peut dire que shima est le principe territorial des kami et que kuni est la terre qui n’est pas encore sanctifiée par ces kami » (Sugata)5 Shima, qui indique de façon sybilline dans le Man’yôshû des îles qui n’existent pas dans la réalité, peut, de ce point de vue, désigner la pointe d’un cap, un lieu sacré assimilable à une île sacrée. Et sans parler du fait qu’il est difficile de distinguer d’un coup d’œil îles et presqu’îles dans un paysage d’échancrures terrestres et maritimes où tout se mélange...
8Encore de nos jours, en Amami , et à Okinawa , lorsqu’on parle de shima, on se réfère d’abord non pas à l'île mais à la communauté située dans un espace particulier et bien défini – pour désigner l'île au sens strict, les habitants d’Okinawa préfèrent le terme local de hanari ou panari qui signifie « éloigné ». Ce shima (ou shina à Kikai-jima dans l’archipel Amami ), un peu comme le mura de Hondo ,désigne deux choses dans les Ryûkyû : « l’agglomération » (shûraku ) des maisons (yashiki et la sphère de vie quotidienne de ses habitants (seikatsu no kyôdôtai ). Les champs qui entourent le village sont ainsi appelés shimanparu enclitique génitive ; paru = « champ » dans la langue des Ryûkyû). Cette sphère ressortit à la fois au monde matériel et au monde spirituel, avec ses lieux sacrés, ses sanctuaires, ses tombes.
9Dans l’expression Oo-ya-shima (« Les huit grandes îles ») des annales antiques, la prononciation de shima n’est pas transcrite par l’idéogramme habituel d’île (un oiseau posé sur une montagne) mais par un autre, celui de shû . Les trois sens successifs de shû, d’origine chinoise, sont les suivants : le pays (su ou shû ) ; il a le même sens qu’un autre idéogramme qui se prononce pareil, le shû que l’on trouve dans Kyûshû ou dans Honshû ; il s’agit d’ailleurs du même idéogramme – une terre entourée de rivières – auquel est ajouté en clé l’idéogramme eau, pour désigner la mer ; à noter que le second shû , sans la clé de l’eau, peut aussi être prononcé shima ; deuxième sens : la plage (nagisa ), ce qui conforte la tonalité maritime ; et enfin, troisième sens : l'île elle-même (shima ). Dans le code Yôrô l’idéogramme de shû qui suit oo-ya (grand et huit) n’était pas seulement lu shima mais directement lu shimakuni c’est-à-dire « pays insulaire » ooya-shima-kuni , ce qui confirme le sens de « pays » qu’avait alors le terme de shima.
Le Yamato : île, montagne ou pays ?
10L’île principale engendrée par le couple divin Izanagi-Izanami, l’actuelle Honshû, portait le nom de Oo-Yamato-Toyo-Akizu-shima , la « Grande île de Yamato aux moissons luxuriantes ». Cette appellation, que livrent aussi bien le Kojiki que le Nihonshoki, est décisive puisque c’est l’une des premières apparitions écrites de l’important toponyme que constitue Yamato . On sait qu’elle donna lieu à de nombreuses exégèses. À quel espace correspondait le Yamato ? Il est encore difficile de déterminer avec précision la nature, sinon l’ordre, des désignations dans l’espace et le temps anciens. Une certitude : Yamato ou encore Yamato no Kuni (le pays de Yamato) est l’ancien nom du département de Nara avant Meiji ... Stricto sensu, il désignait, et désigne encore, plus spécifiquement le Bassin de Nara .
11Celui-ci constitue l’un des berceaux terrestres de la civilisation japonaise, ayant abrité l’une de ses premières grandes capitales fixes, la splendide Heijô-kyô (future Nara), bâtie par le clan impérial qui prit progressivement le contrôle non seulement du bassin mais aussi de la région, puis de l’archipel japonais tout entier. Par succession d’hypallages spatiaux, Yamato a donc fini par désigner le Japon dans les temps anciens, même après l’apparition de la prononciation Nihon ou Nippon qui proposa une autre lecture des deux idéogrammes composant Yamato. C’est d’ailleurs un sens qu’on retrouve encore de nos jours dans certaines expressions plus ou moins désuètes (par exemple Yamato damashii : « esprit japonais »).
12Les auteurs de l’époque Tokugawa qui se sont penchés sur l’histoire du Japon ont proposé diverses étymologies pour Yamato : la « Porte de la montagne » (Yama-to ) selon Kamo no Mabuchi (1697-1769), interprétation que reprendra Orikuchi Shinobu, « l’Arrêt de la montagne » (Yama-ato, déformation de Yama-todomi ) selon Moribe « Le lieu de la montagne », « La montagne renfermée (Yama-tsubo ) ou encore « A l’intérieur de la montagne » (Yama-utsu – Yama-uchi ) selon Motoori Norinaga (1730-1801). Mais, quelles que soient les variantes, le toponyme de Yamato renvoie très clairement à un environnement montagneux, terrestre, intérieur, qui se distingue de l’environnement insulaire.
13Dans l’appellation Oo-Yamato-Toyo-Akizu-shima du Kojiki et du Nihonshoki, Yamato désigne-t-il l’ensemble de l’île de Honshû , une partie de celle-ci, ou déjà l’ensemble du Japon ? On retrouve le terme d’akizu (« automne », métonymie de « moissons »), de « riche automne » (toyo akizu ), d’« île du port d’automne » (akitsushima ) ou simplement d’« automne » (aki ) dans d’autres expressions du Kojiki ou du Nihonshoki pour désigner l’archipel japonais, souvent en liaison avec le terme d’ashihara (« plaine des roseaux »). Selon certaines interprétations, akizu peut aussi signifier « dragon volant ». L’« île du dragon flottant » est d’ailleurs une appellation courante du Japon dans le langage des poètes japonais.
14La transition historico-géographique et politique du passage de l'île au pays est bien traduite par l’expression d’Akitsushima-Yamato , qui combine à la fois la notion d’insularité japonaise, comprise dans Akitsu-shima, et celle de construction d’un pays dans la montagne, le Yamato. Elle désigne, d’après le Nihonshoki, le nom du lieu où le mythique premier empereur japonais, Jimmu aurait fondé sa capitale (probablement dans le sud du Bassin de Nara). Toujours d’après les annales antiques, on retrouve également le toponyme d’Akitsushima pour désigner la capitale de l’empereur Kôan puis le toponyme de Shikishima pour celle de l’empereur Kimmei .
15Mais, peu à peu, l’expression la plus courante pour désigner le Yamato devient celle de Yamato no kuni, ou « Pays de Yamato », et non plus Yamato no shima (Île de Yamato).6 C’est notamment le cas des divers poèmes, dont les vers fameux du Kojiki à propos du bassin de Nara qui relient nettement Yamato et kuni : « Yamato, bassin du pays, entouré par une barrière bleue, caché dans les montagnes » (Yamato wa kuni no mahoroba / tatanazuku aogaki / yama gomoreru yamato shiuruhashi).7 L’expression d'aogaki-yama (« montagnes de barrière bleue ») apporte d’ailleurs un éclairage complémentaire puisque, selon Higuchi Tadahiko , elle sert en fait à désigner « les frontières qui séparent le pays du monde extérieur et à créer un domaine paisible à l’intérieur ».8 Le Yamato est même appelé Kunnaka (le « Milieu du pays ») à l’époque des annales antiques. Ce « Milieu du pays », qui se différencie de façon agoraphobe du « Pays du milieu » chinois, est donc bien un pays, physiquement et humainement circonscrit à l’intérieur des terres, distinct des autres.
16La signification du terme de kuni permet de comprendre l’évolution des processus et des perceptions. Pour Wakamori Tarô, l’étymologie de kuni renvoie aux mots kigune, kune , c’est-à-dire les forêts qui entourent les habitations et qui font office d’enceinte (kakine .). Pour Motoori Norinaga, la « barrière » (gaki ) est faite de « boue solidifiée » (kune ), et kune est l’étymologie de kuni, le pays. Pour Kamo no Mabuchi, kuni implique une région délimitée par une barrière de montagnes bleues, et pour Higuchi, la morphologie désignée par Akitsushima-Yamato symbolise de toute façon le pays. Le pays (kuni) est donc assimilé aux montagnes, ou bien à la forêt, ce qui est pratiquement la même chose puisque yama désigne aussi bien l’une que l’autre. Il est ainsi dissocié de l'île (shima).
L’enclosure japonaise
17Cette enclosure du pays pour déterminer un territoire est une étape cruciale de la spatialisation japonaise. Les perceptions géographiques dominantes passent de l’infini de la mer-insularité au fini-clos du bassin intérieur, de l’immense incertitude à la sécurité confinée, du cercle au carré. Perceptions vues de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur, des ritô Dans plusieurs îles éloignées, Hondo est d’ailleurs nommé kuni. L’accompagnent des expressions proches, comme celles de kuniji (terre du pays), de Kunishû ou de Kunnu pour nommer les gens de Hondo. À Miyake-jima , dans l’archipel Izu , les natifs de l'île étaient nommés jinomon et ceux d’ailleurs (hors de l’archipel Izu) kunimon . Dans l’archipel Ryûkyû, avant l’invasion de Satsuma au xviie siècle, les sens de kuni et de shima étaient nettement distincts. Pour les surinsulaires de la petite île de Kumejima , c’est la grande île voisine d’Okinawa qui était appelée taikuni (grand pays). De nombreux noms de lieux sur Honshû sont composés avec kuni lorsqu’une masse terrestre apparaît nettement de la mer, comme le toponyme de kunisaki (« cap du pays ») sous ses différentes écritures.
18Ce processus de territorialisation au sens strict – terrestre – du terme est particulièrement perceptible dans les Ryûkyû. La Cour de Shuri ., dans Die d’Okinawa, qui va prendre sous son contrôle, au cours du xive siècle, l’ensemble des petites îles des Ryûkyû jusque-là plus ou moins autonomes, s’appelle significativement « Montagne du milieu » (Chûzan). Tandis que sur Hondo le culte shintô des montagnes sacrées va s’accompagner de l’oribasie bouddhiste du Shugendô à partir du viiie-ixe siècle, qui culminera au Moyen Âge avec le soutien des puissantes sectes bouddhistes Tendai et Shingon , la Cour de Shuri impose dans les îles des Ryûkyû une religion plus hiérarchisée, centrée sur la montagne, et non plus sur la mer. Elle privilégie le culte d’Obotsu qui établit un lien entre le pouvoir politique et les dieux. Le roi Shô Shin (1477-1526), en particulier, va centraliser le contrôle de la hiérarchie religieuse en privant les seigneurs locaux de leur privilège d’appointer leurs sœurs comme prêtresses, les fameuses nuru. Ces prêtresses sont les seules habilitées à pénétrer sur les utaki et à célébrer les cérémonies religieuses. Désormais, toutes les nuru sont appointées par le roi et mises sous le contrôle de la sœur de celui-ci, proclamée prêtresse en chef (chiifijin).
19Parallèlement, sur Hondo, la montagne profonde domine l'île reculée dans les conceptions japonaises de la nature. Le yamazato , le « village de montagne », devient le lieu rêvé pour fuir les turbulences du monde. « L’idéal de la retraite dans les montagnes, même partiellement remodelé par des motifs et des concepts bouddhistes ou chinois, reste finalement enraciné dans l’amour antique des Japonais pour la nature ».9 Le sato-yama , ou « montagne du village » devient un espace-clé de l’interface entre le monde anthropisé des plaines et le monde reculé des montagnes.10
20Simultanément, l’organisation socio-spatiale du mura , de la communauté villageoise japonaise, se propage. Le concept de mura évolue en se distinguant de celui de sato, bien qu’en français on puisse tous les deux les traduire par village. Sato est d’abord le lieu (sa-to, to provenant de tokoro qui signifie « lieu »). Mura a la même étymologie que deux termes coréens, maul qui signifie « hameau », campagne » et muri qui signifie « groupe, troupe, troupeau ». Il existe d’ailleurs deux idéogrammes en japonais pour transcrire mura, l’un plus ancien et maintenant inusité désignant une agglomération assez large entourée de murs, et l’autre, désormais le plus courant, un village sans murs d’enceinte.11 Mura désigne davantage l’organisation sociale des campagnes, solidaire mais hiérarchisée.
21Ainsi, quand on fondait un nouveau village dans les Ryûkyû, lors d’une opération de défrichement liée à la communauté villageoise (shima), par exemple, on parlait de « créer une île » shimatate (tate = soit tateru tachi , bâtir ; soit mitatete , choisir), expression que l’on ne trouve plus que de façon résiduelle, comme à Kikai-jima.12 Désormais, aux Ryûkyû comme dans le Naichi on parle de « créer un pays » (kunitachi ). En effet, en ouvrant de nouveaux espaces, on étend la sphère du shima, on absorbe les contrées environnantes, on construit un pays : kuni.
22Si l’on comprend pourquoi kuni a fini par déposséder shima de son attribut de pays, il reste à éclaircir pourquoi shima en est arrivé à ne plus désigner que le fait insulaire. Les hypothèses qui y répondent sont assez simples, et se fondent sur des évidences d’orientation géographique. Sur la mer, les marins et les pêcheurs ont en effet besoin de points de repère pour se guider. Le « jalon de la montagne » (yama-ate ), qui est le plus visible, va prendre de plus en plus de place dans la vision socio-spatiale des terriens comme des marins, tout en se combinant, bien entendu, avec les conceptions religieuses. Mais cette explication seule ne suffit pas.
23En fait, les navigateurs ne disposent pas toujours de montagnes pour s’orienter. Contrairement à l’idée reçue, la petite île japonaise éloignée n’est pas forcément montagneuse. Certes, les plus symboliques et parmi les plus connues d’entre elles sont, un peu à l’image de la Corse, de véritables montagnes dans la mer : soit des îles-volcans, à la forme conique chérie des Japonais, à l’image du Fuji-san , comme Rebun-tô , Izu-Ôshima Miyakejima Hachijô-shima , Ôsumi-Iô-jima , soit des montagnes non volcaniques mais escarpées, comme Sado avec le Kimpokusan (1172 m), Yaku-shima avec le Miyanoura-dake (1935 m) ou encore Tsushima . Mais beaucoup d’îles ne sont guère montagneuses et se détachent difficilement de l’horizon. C’est le cas, notamment, des îles qui sont situées dans l’arc externe des Ryûkyû : elles sont composées soit de collines plus ou moins basses (Okinawa-hontô Ishigaki-jima , Iriomote-jima ), soit de récifs coralliens plats (Kikai-jima , Okierabu-jima , Yoron-tô ...).13 Elles s’opposent aux îles de l’arc interne, volcanique, plus montagneux (Iô-jima , Kuchinoerabu-jima , Tokara-rettô , Tori-shima ...)14, ou encore à certaines îles, plus élevées de l’arc externe (Yaku-shima, Amami-Ôshima, Tokuno-shima , etc.).15
24Qu’ont donc alors fait les navigateurs pour s’orienter avec les îles basses ? Ils ont tout simplement pris les maisons comme point de repère, quand ils les voyaient ou quand ils les devinaient. Autrement dit, ils ont choisi le village : et c’est très certainement de cette façon-là, aussi, que shima, qui désignait à l’origine l’agglomération villageoise, finit par prendre le sens global d'île.
Ma entre shi et ya (le ma de yama et de shima)
25Toutes les conceptions spatiales et les trajets s’organisent à partir de là. L’agglomération villageoise est en général et traditionnellement située au bord de la mer, au fond d’une crique, adossée à des montagnes qui l’encerclent comme une enceinte naturelle. La mer et le rivage tiennent un rôle primordial évident : lieu d’entrée et de sortie sur l’île, sphère d’activité halieutique et marchande... C’est donc logique si le domaine maritime fut d’abord, dans les Ryûkyû, assimilé au paradis, ou Niraikanai .
26Niraikanai peut désigner plusieurs choses.16 Mais le sens qui l’emporte, c’est celui d’une sorte de « paradis » situé par-delà les mers. Il correspond au tokoyo (« le pays éternel ») des Japonais ou à leur ne-no-kuni (« le pays des racines »), dont il est étymologiquement proche (nirai/ nirê/ nîru-ne), notions clefs du monde sacré spatio-temporel,17 Dans un premier temps, Niraikanai structure horizontalement l’espace sacré et profane de deux façons : par le plan des flots, sur lesquels naviguent naturellement les pêcheurs et les marins de la communauté, et par la ligne qui court le long du rivage. Cette ligne est close, à chacune des deux extrémités de la crique, par une avancée de la montagne dans la mer, qui abrite souvent des cimetières, comme dans les shima d’Amami où elles portent le nom de in ou de en (« bordure »). Au cœur de ce shima d’Amami, une place (hiroba ) accueille le miya , le sanctuaire. Du miya part un chemin qui se dirige vers la montagne, et qu’emprunte saisonnièrement la divinité. Ce chemin, qui est donc sacré, est appelé kamimichi (« le chemin des dieux »), et la divinité qui descend sur terre transite par la montagne appelée kamiyama (« montagne divine »).18 Cette terminologie de kamimichi existe aussi ailleurs, comme dans l’île de Miyake-jima (archipel Izu), entre le village de Tsubota et « La Montagne » (O-yama ), nom du volcan de l’île.19
27On constate sans peine dans cette organisation de l’espace l’archétype du culte des montagnes sacrées, ou shintaizan .20 D’ailleurs, le mot d’utaki, qui désigne dans les Ryûkyû les lieux de cultes, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, signifie étymologiquement le « pic sacré » (mi-take en japonais). Dans la petite île de Kohama-jima, dans la partie méridionale des Ryûkyû (située dans l’archipel Yaeyama entre Ishigaki-jima et Iriomote-jima ), yama signifie même directement utaki ; on y trouve également l’appelation de wan (ce qui renverrait aussi à la mer car en japonais et en chinois wan égale baie).
28De fait, l’espace que peut recouvrir yama est vaste, plus ou moins indifférencié s’il est situé à l’intérieur des terres. A Kikaijima, yama s’applique indistinctement aux pentes escarpées (yama au sens strict) et aux plateaux (hira au sens strict). Il peut aussi, à l’image de toutes les Ryûkyû et du Naichi japonais, désigner la forêt (moi au sens strict dans la langue des Ryûkyû ; voir le japonais actuel mori ; en coréen, moi désigne la montagne, de même que mon en vieux japonais). L’homologie et l’homochorologie de la montagne et de la forêt sont si fortes, si prégnantes dans l’espace comme dans les mentalités japonaises, que pour la traduire j’ai proposé le terme de « milieu montisylve ».21 À l’origine, c’est la forêt qui est dédiée à un kami qui est appelée mori, au sens strict du terme.22
29Pour autant, les « dieux de la montagne » (yama no kami ) ne sont pas vraiment des dieux forestiers, ce sont surtout des dieux de l’agriculture. Conception logique au demeurant : c’est de la montagne que provient essentiellement l’eau, par les précipitations et les cours d’eau, si précieuse pour la riziculture irriguée. Le culte des montagnes sacrées est indéniablement un culte agricole avec, notamment, la transmigration saisonnière de la divinité qui, au printemps, descend de sa montagne pour aller dans la plaine protéger la croissance du riz et qui y remonte en automne après la récolte. Le yama no kami devient alors le ta no kami, la divinité des rizières. Les sanctuaires du « débouché de la montagne », le yama-guchi, se confondent symptomatiquement avec le sommet des cônes de déjection et l’endroit où la rivière quitte la montagne-forêt pour gagner la plaine-rizière.
30Dans les conceptions primitives, l’espace sacré de la montagne et de l'île ne s’opposent pas. Ils sont d’ailleurs désignés par le même terme de ma avec des suffixes différents. Concept de « l’entre-deux », le ma l’un des paradigmes esthético-religieux fondamentaux du Japon, qui ne dissocie pas la perception de l’espace de celle du temps.
Bien que le ma déconstruise finalement toutes les frontières (comme constructions et ordres de l’esprit imposés au chaos de l’expérience) et qu’il opère expérimentalement dans les interstices de l’être, certains éléments de ses significations et expressions peuvent être situés à l’intérieur de ces constructions et de ces ordres.23
31Le shintô est riche d’éléments en ma, notamment ces espaces préparés, nettoyés et purifiés en prévision de la venue d’un kami, soigneusement délimités par des « frontières » (kekkai ), matérialisées par exemple par des cordes, au point que le mot même de kekkai a fini par désigner l’espace en question (et par être synonyme de « tabou »). Sachant que kekkai pourrait à l’origine signifier vallée, crevasse, interstice naturel, délimitant le monde des hommes de celui des kami qui habitent les montagnes ou la mer, cet espace de no-man’s land ne serait-il pas un ma sacré, ne pourrait-il pas être symbolisé par l'île, shi-ma, intermédiaire entre des mondes duels ? Le shima originel n’est-il pas situé au bord de la plage (hama ), zone amphibie et ambivalente par excellence qui délimite les deux espaces marins et terrestres ? Ha-ma, dont le deuxième morphème renvoie explicitement au concept de ma, signifie étymologiquement « espace fini » (ha autres lectures : hashi, hata, tsuma, tan – fin, bordure, frontière, extrémité, côté). Hama est parfois synonyme de « village de pêcheurs » (gyoson ) (voir infra).24
32Shi dans shima signifie shûshuku (« contraction »), semai (« étroit »), chiisai (« petit »). Par extension, et par hypothèse, il pourrait aussi renvoyer à « la mort » (shi ). Cela correspondrait au thème d’« île de la mort » (shi no shima ) qui est évoqué par l’anthropologue Orikuchi Shinobu pour nommer le pays des âmes ancestrales, à moins que shi ne corresponde au chiffre « quatre » pour désigner les quatre côtés de la mer. Ya de yama signifie inversement kakudai (« étendu »), hiroi (« large »), okii (« grand »), c’est le même ya que l’on retrouve dans oo-ya-shima.
33Quant à ce morphème d’ô (ou oo/ oho ), qui est maintenant traduit par « grand », il signifiait à l’origine « saint ». Or la prononciation ô peut être transformée de multiples manières en japonais moderne ou ancien : ou, o-, oo, wô, yo, ofu, ofu, ufu, u, afu, aa, â, au, aha, awa, ai, ao. Pour les oreilles japonaises, il s’agit de sons très proches. Ils peuvent donc correspondre à beaucoup d’autres mots, être transcrits par d’autres idéogrammes et véhiculer d’autres significations qui, éventuellement, peuvent évoluer à leur tour. Il n’est pas rare que le son ao, qui signifie bleu, soit lu ô (voir par exemple, le nom de la ville d’Ôme dans la banlieue de Tōkyō , qu’on lit Aome si l’on ne sait pas).
34Dans le folklore, l'île sacrée flotte dans le « bleu » (ao) ou dans le « lointain » (oku ), à la frontière indécise de l'ama ., un terme qui désigne aussi bien l'ama du ciel ou l'ama de la mer – ce second ama étant lui-même une déformation de umi, la « mer » en japonais, également prononcé una. On a souligné à maintes reprises l’étymologie commune et la similitude sémantique qui existe entre les profondeurs marines du large, le lointain, appelées oki et les profondeurs terrestres de la montagne reculée, appelées oku, notamment désignées par oku-yama ou oku-yama-jinja (« sanctuaire de la montagne des profondeurs ») et structurant la conception spatio-territoriale de la « profondité » (okusei ). La mer et la montagne se rejoignent donc en quelque sorte, confondue à l’horizon, comme étant le refuge de l’âmes des ancêtres. Si le Niraikanai maritime est traditionnellement l’archétype de ce refuge, il faut souligner que les yama no kami du culte des montagnes sacrées incarnent également l’esprit des ancêtres.25 La boucle est bouclée. L'île shima, étape intermédiaire vers l'ama de la mer, et la montagne yama, étape intermédiaire vers l'ama du ciel, condensent les caractères sacrés. Cette tendance à l’immanentisme fait contraste avec la transcendance des grandes religions mono-théistes, lorsque Abraham grimpe sur la montagne pour sacrifier son fils, non pas pour la montagne elle-même, mais pour le Dieu unique et tout-puissant, ou même païennes de l’Occident, avec l’Olympe de la Grèce antique.
La territorialisation spatio-religieuse du Japon
35Progressivement, les liens de consubstantialité entre les kami agricoles et les « esprits ancestraux » (sorei se distandent, les dieux perdent leur caractère initial d’ancêtres pour acquérir celui de protecteurs locaux (ubusuna-gami, chinju-gami ), reflet, d’après Yanagita Kunio d’un passage d’une société fondée sur les « liens du sang » (ketsu-en ) à une société fondée sur les « liens du sol » (chi-en ).26 Et le sol, c’est d’abord la terre, la plaine ou la montagne plus que l'île.
36A mesure de l’évolution même du shintô, les montagnes sacrées sont de moins en moins des îles-montagnes, formes archétypiques de la croyance dont il reste quelques traces, comme la plus célèbre et symbolique de toute, « L'île-sanctuaire » (Miyajima ) de la mer Intérieure avec son célèbre portique vermillon les pieds dans l’eau, et de plus en plus des montagnes de l’intérieur, notamment la plus célèbre d’entre elles : Miwa-yama , dans le bassin de Nara. En fait, cette évolution correspond à une mutation socioéconomique, liée au développement de la riziculture irriguée qui est marginalisée dans les îles mais qui prospère dans les plaines ou les vallées du bloc centralinsulaire.
37La part des rizières dans l’ensemble des îles éloignées du Japon est en effet réduite. En 1955 elle n’est que de 27,8 % en 1955 par rapport au total des surfaces cultivées de ces îles (Amami et Okinawa inclus), contre 56,7 % pour tout le Japon. Et cette part ne cesse de diminuer : 21,6 % contre 54,2 % en 1992. La comparaison entre les îles éloignées et l’ensemble du Japon n’est pas faussée puisque la part des surfaces cultivées par rapport à la surface totale est pratiquement la même, et que l’évolution est de surcroît similaire d’une époque à l’autre : respectivement 13,2 % et 14,2 % en 1992, 13,8 % et 14,4 % en 1955. La riziculture irriguée est donc « centralinsulaire », elle caractérise essentiellement Hondo (= Honshû + Kyûshû + Shikoku) et, partant, la société centrale, l’organisation centrale et centralisatrice.
38Inversement, la culture sur champ occupe une place plus importante dans les îles éloignées. On peut y voir trois principales raisons pour cette prépondérance de la culture sèche : une meilleure adaptation à l’environnement physique, les îles éloignées étant souvent montueuses, petites, parfois pauvres en eau ou difficiles à irriguer ; une meilleure insertion dans le milieu socio-économique traditionnel composé de petits villages d’agriculteurs-pêcheurs (l’un ou l’autre, l’un et l’autre) qui n’ont pas le temps de se consacrer à tous les soins minutieux que réclame la riziculture irriguée ; la persistance de traditions culturales particulières. Cette persistance n’est pas forcément symbole d’arriération culturelle ou technologique, même si, de toute évidence, l’isolement insulaire est un facteur qui joue en faveur d’une inertie dans ce domaine, car l’île éloignée n’en est pas moins reliée à l’extérieur et placée dans une situation et des courants d’échange. La riziculture y était de toute façon connue. La riziculture en terrasses, au demeurant de moindre ampleur au Japon qu’aux Philippines ou en Indonésie, l’était également. Tous ces éléments plaident en faveur de la thèse de la « civilisation laurisylvaine » (shôyô jurin bunka ), antérieures à la civilisation rizicole et originaire des montagnes du Sud-est asiatique.27
39Pour toutes ces raisons, le milieu montagnard, qui refuse l’élevage, et son corollaire, la plaine rizicole puis urbaine, vont devenir le cœur réel et perceptif du Japon centralinsulaire.
En définitive, ce n’est pas dans la montagne qu’il faut chercher les facteurs de sa sous-utilisation, mais dans la plaine, c’est-à-dire dans le complexe que la rizière et la ville ont formé au cours de l’histoire – complexe apte et enclin aux fortes densités, et qui a détourné la société japonaise d’agrandir son terroir.28
40Inversement, le domaine maritime et, surtout, surinsulaire, fut largement marginalisé, malgré les apparences contraires, dans les deux sens du terme : mis à l’écart et utilisé comme marge-frontière. Sociologiquement, le monde des pêcheurs forme un véritable domaine à part, auquel fut souvent adjoint, autrefois, le monde des parias burakumin . Politiquement et économiquement, les îles éloignées serviront de bagne, de garde-frontières ambiguës, de refuges pour les différentes minorités opprimées (ama , amabe kakure-kirishitan opposants politiques, lépreux...).
41On comprend alors l’importance que revêt le contrôle du bloc centralinsulaire, avec ses montagnes, ses rizières et ses villes. C’est le clan impérial, avec ses revers et ses succès, qui gagna très tôt la lutte et qui sut, malgré toutes les vicissitudes, se maintenir au pouvoir religieux et par conséquent à l’autorité politique. Le processus opère bien évidemment de façon réciproque, en déteignant l’un sur l’autre. D’un point de vue strictement religieux, les fonctions sacrées de l’empereur sont plus tournées vers la terre, le riz et la montagne que vers la mer et les îles. La transformation du shintô primitif en shintô plus ou moins institutionnalisé et l’appropriation du culte des ancêtres, si important dans la civilisation asiatique, en sont deux étapes-clés.
42Le miya, le sanctuaire initialement placé au cœur du shima village-o-communautaire, lui, en est au cœur.
Aujourd’hui encore, en japonais, miya est un mot vivant qui comme chacun sait a deux acceptions principales : celle de temple shintô, et celle de personne de la famille impériale. Etymologiquement, cependant, miya est la maison (ya ) sacrée (mi , celle où réside le roi-prêtre de la communauté primitive.29
43Dans les sociétés antiques, lointains prolégomènes de la société-spectacle du monde postmoderne, la gestion des festivités initialement religieuses est en effet quelque chose d’important : c’est une affaire de gouvernement, d’Etat, comme l’indique si bien l’ancien terme japonais de matsurigoto (la direction des fêtes) qui servait à nommer le gouvernement. Le miya, chef-lieu de ce gouvernement des fêtes puis de l’Etat, deviendra très logiquement le palais impérial qui articule la capitale impériale (miyako ).
44Dans ce double processus de hiérarchisation de l’espace profane ou religieux, et de rédéfinition de l’espace politique, le pays (kuni) (Gesellschaft) finit par l’emporter sur la communauté (Gemeinschaft), c’est-à-dire sur l'île dans le sens primitif (shima), et la montagne sur la mer. Selon l’ethnologue Tanigawa Ken’ichi ,
de longue expérience pour les Japonais, kuni provoque un sentiment de sécurité (anshin ) et shima un sentiment de délaissement (kokorobososa ), ancrés dans leur corps.30
45La distinction shima-kuni, qui correspond à une distinction communauté-Etat peut aussi, selon les lieux, les moments et les tensions, jouer sur un mode d’opposition sinon d’antagonisme.
46L’implication géopolitique de cette évolution semble évidente. Une fois que le pouvoir impérial s’est solidement affirmé dans le bloc centralinsulaire et que l’occupation japonaise de l’espace progresse lentement vers le Nord-Est et Hokkaidō, une fois, encore, qu’après les menaces de colonisations occidentales et les tentatives japonaises de conquête de la Corée sinon de la Chine au xvie siècle, un repli s’opère sur le cœur de l’archipel grâce à la couronne surinsulaire, qui joue le rôle de sas et de barrière, l’Empire japonais put se déployer en direction d’autres montagnes et d’autres îles.
Notes de bas de page
1 Marcel Roncayolo, Territoires, no 1, 1983.
2 Mitsugu Sakihara, A Brief History of Early Okinawa Based on the Omoro Sôshi, Tōkyō, Honpo Shoseki Press, 1987, 250 pages.
3 Masaaki Sugata, « Shima no hassei – Kamigami to sumeramikoto no Nihon bunka », (La Création des îles – La culture japonaise des dieux et de sumeramikoto), Shima, n° 137, 1989, p. 12-17., 1989 :, no 137, p. 12-17.
6 Ce sens de Yamato no shima n’est pas, comme on peut le déduire des explications précédentes, à prendre au pied de la lettre contemporaine, comme étant une île, mais dans le sens premier du terme de shima, c’est-à-dire pays. C’est d’ailleurs seulement comme cela que se comprennent certains poèmes du Man’yôshû (viie – viiie siècles) évoquant shima à propos du Yamato, qui avaient été soumis à de moult exégèses cherchant à dénicher, malgré la géographie, l’existence d’une quelconque insularité. Ainsi les trois poèmes suivants. Celui qui est attribué tantôt à l’impératrice Jitô, (645-703), tantôt à l’empereur Jomei, (règne de 629 à 641) : « Dans le Yamato / si l’on grimpe le mont Mura / ou le mont Ama no Kakuga / et si l’on regarde le pays / on voit la fumée s’élever de la plaine / les mouettes s’élever de la mer / et ce pays semble magnifique / comme une île d’automne : / c’est le pays de Yamato » (1-2) (Yamato ni wa / Murayama aredo / toriyorofu Ama no Kakuga yama noboritachi / Kunimi wo sureba / Kunihara wa / kemuritachitatsu / unahara wa kamometachitatsu / umashi kuni zo / akitsu shima / Yamato no kuni wa). . Un poème de Kakinomoto no Hitomaro, (ca 685-705) : « [...] Passé le détroit d’Akashi, on voit l’île de Yamato » (« [...] Akashi no to yori Yamato-shima miyu ») (3 : 255) . Un poème de Kenshiragi Shijin, : « Brille, brille les feux des eaux au large de la plaine marine, et l’on voit l’île de Yamato » {« Unahara no okihe ni tomoshiizaru hi wa, akashite tomose Yamato-shima mimu », 15 : 3648)
7 . Voir Philippe Pelletier, Un paysage traditionnel confronté à la Haute-Croissance : impacts et recherche d'équilibre dans le bassin de Nara (japon). Saint-Étienne, thèse de 3e cycle, 1983, 382 pages, inédit.
8 Tadahiko Higuchi, Keikan no kôzô (Les structures du paysage). Tōkyō, Gihôdô, 1975, 168 pages. .
9 William R. Lafleur, « Buddhist value of Nature. Nature in Asian traditions of thought – Essays in environmental philosophy », J. Baird Callicott et Roger T. Ames éd., New York, State University of New York Press, 1989, 340 pages, p. 205-207.
10 Yoshinori Yasuda, Kankyô kôkogaku kotohajime – Nikon rettô ni man nen (Introduction à la paléographie de l’environnement – Vingt mille ans de l’archipel japonais). Tōkyō, NHK Books, 1980, 276 pages. .
11 Yumio Tomatsuri, « On the formation of Japanese words referring to fundamental units of life space in Ancient Japan », Geographical languages in different times and places (Japanese contributions to the histoty of geographical thoughts). Kyōto, 1980.
12 Yuzuru Takeuchi, Kikaijima no minzoku (Anthropologie de Kikaijima), Kuroshio Bunkakai, 1969, 270 pages, p. 1.
13 Naoki Oshiro, « Anettai tôsho no shûraku ritchi to seikatsu yôshiki – Yaeyama guntô / Kohama-shima » (Implantations villageoises et personnalité géographique d’une île subtropicale – Kohama-shima, archipel Yaeyama), Jimbun chiri, 1990, 42-3, p. 26-44. .
14 Koshirô Kizaki éd., Ryûkyû-tô no chishitsu-shi (Géologie des îles Ryûkyû). Naha, Okinawa Times-sha.
15 Si les îles japonaises échappent, à cause de leur position, à l’opposition entre îles au vent et îles sous le vent propre à bien des archipels, elles intègrent néanmoins un autre classique du genre géographique : l’opposition entre « île haute » (takai shima) et « île basse » (hikui shima) qui, elle-même, se dédouble en opposition « grande île » (okii shima) et « petite île » (chiisai shima) mais sans se confondre, une île pouvant être petite et haute. Ces critères sont bien entendu relatifs. Dans l’archipel Yaeyama (sud des Ryûkyû), que l’on peut prendre comme exemple significatif, on évalue à 100 m le seuil d’altitude pour qu’une île devienne haute (Ishigaki-jima, Iriomote-shima, Yonaguni-jima), non pas tant à cause de l’altitude en elle-même que par la forme collinéenne du relief (exemple de Kohama-jima). Cette géomorphologie a une incidence fondamentale sur le régime pluviométrique et hydrographique, et, par conséquent, sur les possibilités de culture, auxquelles s’ajoutent les conditions de place et de relief. Une île comme Kuro-shima, toujours dans l’archipel Yaeyama, basse, plate, mais corallienne et pauvre en eau douce, n’est guère disposée à la culture, encore moins à la riziculture irriguée, et elle est davantage propice à l’élevage.
16 Jean Herbert, La Religion d'Okinawa, Paris, Dervy-Livres, 1981, 106 pages.
17 Patrick Beillevaire, « Dieux et ancêtres dans l’espace villageois japonais », L’Homme, 117, xxxi (i), 1991, p. 34-65.
18 Kin’ichi Yamashita, « Amami no shima to shinjo – Noro to yuta wo chûshin » (Iles Amami et déesses – Noro et yuta). Ryûkyû-to no sekai – Umi to rettô bunka (Le Monde des îles Ryûkyû – Civilisation de la mer et des îles), vol. 6, Tōkyō, Shogakkan, 1992, 610 pages, p. 327-362. .
19 Nobuyuki Hori, « Kûkan soshiki no gensho-keitai ni kansuru ikkôsatsu – Ningen, shizen, kami » (Une réflexion sur les prototypes d’organisation spatiale – Homme, nature et dieu), Chiiki – sono bunka to shizen (La région – sa culture et sa nature), Okayama, Fukutake-shoten, 1982, p. 569-612.
20 Philippe Pelletier, « Prototypes et archétypes paysagers au Japon- l’exemple du Bassin de Nara », L'Espace géographique, no 2, t. xvi, 1987, p. 81-93.
21 Philippe Pelletier, « Paysages sans paysans – le cas du Japon », Annales de Géographie, n° 553, 1990, p. 305-327, d’après une communication présentée au 5e colloque franco-japonais de géographie (Tsukuba, 3-7 octobre 1988) sur le « Rural non-agricole ».
22 Keiji Iwata, « The évolution of the Kami cult », Acta Asiatica, The Tôhô gakkai, 37,1951, p. 47-67.
23 Richard B. Pilgrim, « Intervals (ma) in space and time : foundations for a religioaesthetic paradigm in Japan », Japan in Traditional and Postmodem Perspectives, Charles Wei-Hsun Fu et Steven Heine, State University of New York Press, 199 ;, 336 pages, p. 55-80.
24 Kenjirô Fujioka éd., Nihon rekishi chiri yôgô jiten (Glossaire de géographique historique du Japon), Tōkyō, Kashiwa shôbo, 1981, p. 451, entrée « bama ».
25 Ichirô Hori, « Mountains and their importance for the idea of the other world », Folk Religion in Japan : Countinuity and Change, University of Chicago Press, Chicago, 1968, p. 141-179.
26 Patrick Beillevaire, op. cit., 1991.
27 Kômei Sasaki, « The Wa people and their culture in Ancient Japan : the cultures of swidden cultivation and padi-rice cultivation », Acta Asiatica, The Tôhô gakkai, 37, 1991, p. 24-46.
28 Augustin Berque, « La montagne et l’œcoumène au Japon », L'Espace géographique, 2, 1980, p. 151-162. Yoshihisa Fujita, Nihon no sanson (Les Villages de montagne au Japon), Tōkyō, Chijin shobô, 1981, 292 pages. .
29 Augustin Berque, « Une impression d’urbanité », Mélanges offerts à René Sieffert, Cipango hors-série, 1994, p. 123-126.
30 Ken’ichi Tanigawa, « Kuni to shima no Nihon-zo » (Pays et île, images du Japon), (Milieu et culture), Nikon minzoku bunka taikei (Les Grandes Lignes de la culture folklorique du Japon), vol. 1, Tōkyō, Shogakkan, 1995. 612 pages, p. 7-44.
Auteur
Université Jean Moulin, Lyon
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