9. Le secret de Salvador Dali
p. 197-222
Texte intégral
1En 1981, peu de temps après la publication de mon livre sur Vincenzo Bellini aux Éditions Fayard, dans la série consacrée aux grands compositeurs de musique, je recevais à la maison un appel téléphonique de quelqu’un qui se présentait comme le secrétaire particulier de Salvador Dali. J’ai compris plus tard qu’il devait être Robert Descharnes, celui qui, jeune photographe et journaliste d’avant-garde français, avait rencontré l’artiste à Paris en 19 51 avant de lui rendre visite à Port-Lligat en 1952, d’entrer dans le cercle de ses collaborateurs, de recueillir de sa bouche de nombreuses explications sur ses œuvres et de lui consacrer, avec Gilles Néret, deux superbes volumes contenant tout son œuvre peint.1 Cette année-là, Dali s’est séparé de son secrétaire particulier Enrique Sabater pour faire de Descharnes le responsable officiel de ses affaires, mais son rôle auprès de lui est beaucoup plus complet. Il est à la fois son confident et son gardien, homme de confiance dans tous les sens du terme.2
2Salvador Dali, après avoir joui d’une bonne santé, connaissait dans ce domaine des épreuves. En 1978, il a été opéré de la prostate par le Docteur Puigvert dans sa clinique de Barcelone. En février 1980, il a été durement frappé par la grippe, peu de temps après être arrivé à New York, et il a fallu le ramener en avion en Espagne, pour une période de convalescence à la clinique Incosol, à Marbella. « À partir de ce moment-là », écrit sa biographe anglaise, Meredith Etherington-Smith, « Dali ne sera plus jamais en bonne santé ».3 On parle d’artériosclérose, de maladie de Parkinson, de toxémie aussi (c’est le diagnostic du Docteur Puigvert, consulté à nouveau), car la femme de Dali, Gala, lui a administré à tort et à travers des médicaments pris dans sa propre pharmacopée. Il faut le protéger contre elle, contre lui-même, car ils manifestent l’un et l’autre des troubles psychiques, et se crée pour cela l’association « Les amis de Dali », tandis que Descharnes s’emploie à franchir les multiples barrages construits par Gala.
3Dali a donc lu mon livre, ce qui m’émeut beaucoup aujourd’hui, quand je vois ces photos qui nous restent de lui en 1981, et dont deux sont reproduites dans le livre de Meredith Etherington-Smith : no 47, la dernière visite de Dali à Paris en 1981, où il est vêtu d’un grand manteau ocellé et tient encore d’une main ferme sa canne, sans s’appuyer sur elle ; no 48, Dali baisant la main de la reine Sofia, quand elle est venue avec Juan Carlos rendre visite à l’illustre malade.
4Paris, c’était au printemps. Dali et Gala sont descendus à l’hôtel Meurice, et ils sont venus consulter le médecin-chef du service de neuropsychiatrie à l’hôpital de la Salpêtrière, le Professeur François Lermitte. La visite du roi et de la reine d’Espagne à Port-Lligat porte la date du 15 août 1981 : Dali a dû garder le bonnet phrygien qu’on voit déjà sur sa tête à Paris. Mais il s’agit cette fois, non de se protéger du froid, mais de cacher la blessure que lui a faite Gala au cours d’une de leurs innombrables et violentes querelles. Celle-ci a été plus rude encore que d’habitude puisqu’il a fallu conduire Dali à l’hôpital américain de Neuilly, et que les traces en sont encore visibles quelques mois après.
5Robert Descharnes ne me téléphonait pas de Paris, je m’en souviens, mais de Cadaqués. Dali, en Usant le récit que je faisais de la mort mystérieuse de Bellini à Puteaux le 23 septembre 1835, pouvait se demander s’il souffrait de maladie véritable ou si, comme on l’a parfois suggéré au sujet de l’auteur de Norma, il était empoisonné par un membre de son entourage, par une amante jalouse.4 Le maître, en tout cas, reconnaissait dans ma description celle de ses propres souffrances et les symptômes de son mal.
6Je crus devoir décliner l’invitation qui m’était faite de me rendre à Cadaqués, par timidité sans doute, par la crainte qu’inspirait encore à un Français l’excentricité de Dali. Je ne savais pas qu’à peu près au même moment il était, selon ses proches, devenu méconnaissable, qu’il tentait de se cacher sous le canapé pour ne pas être vu quand entrait son amie Nanita Kalachnikoff et qu’il pensait sans cesse tout bas ce qu’en 1978 il avait, si l’on en croit son psychiatre, le Docteur Roumeguère, dit à Amanda Lear : « Je me laisse mourir ».5
7Le secret de la mort de Bellini pouvait-il être celui d’une agonie qui dura près de dix ans ? J’en doute plus que jamais aujourd’hui, et d’ailleurs la disparition de Gala en 1982 suffirait à faire disparaître tout soupçon sur un rôle analogue à celui autrefois de Mme Levys à Puteaux.
8Dali mourait sans doute le lundi 23 janvier 1989 d’épuisement, de vieillesse et de maladie. Peut-être mourait-il aussi de son propre secret, de celui, comme on dit, qu’il emportait dans sa tombe, dans la crypte du Museo-Teatro de Figueras.
9Car, pour qui essaie de réfléchir sur l’imaginaire du secret, le cas Dali a une valeur singulière, et à bien des égards exemplaire. Comme dans le petit, l’innocent poème d’Armand Silvestre mis en musique par Gabriel Fauré, le secret est clamé et pourtant il est enfoui. Dans le cas de Dali, il est même d’autant plus enseveli qu’il est révélé avec plus de fracas. Robert Descharnes l’a fort bien dit dans la préface, « Gestes et silences de Salvador Dali », qu’il a écrite pour le livre de Meredith Etherington-Smith :
Secret, silence et confusion ont été pratiqués par Dali et Gala comme une muraille de protection, avec des bribes de vérité, très minces dans certains cas, diffusées consciemment au début, éparpillées par réflexe ensuite, alternant avec une apparente profusion de détails complémentaires jetés aux quatre vents.6
10On n’en finirait pas de donner des exemples. La curiosité la plus immédiate se portant sur la vie sexuelle de l’individu considéré, et étant avivée par ce qu’on croit savoir sur les relations de Dali avec Federico Garcia Lorca, avec Edward James ou, bien sûr, avec Gala elle-même, on suggère volontiers la clef de la masturbation, moins solitaire qu’exigeant la présence du pseudo-partenaire.
11Cette clef, Dali est le premier à l’avoir brandie avec son tableau de 1929, Le Grand Masturbateur (pl. 315). Le bas d’un corps masculin debout, avec un sexe mou et presque gris, le visage tendu d’une femme émergeant d’une enveloppe, masse jaune agrémentée d’ingrédients divers : nulle pénétration, nul contact, à peine l’esquisse d’une improbable fellation... On pourrait penser plutôt à une impuissance conjurée. Dali a lui-même commenté cette toile en invitant à y voir « l’expression de [s]on angoisse hétérosexuelle».7
12Meredith Etherington-Smith est tentée de rapprocher du Grand Masturbateur la scène de la plage, dont elle donne d’après lui le compte rendu suivant :
Dali part pour la plage, laissant, comme d’habitude, Gala faire les bagages. C’est la fin du jour, et les gitans qui campent dans les grottes se hèlent d’une colline à l’autre pendant que leur dîner cuit. La vision des femmes allaitant leurs enfants dans la douceur du soi met Dali dans un état d’excitation considérable, et il s’isole pour se satisfaire.
13Mais Dali a fait lui-même un tel récit, en rejetant toute pudeur, dans son livre publié en anglais et à New York en 1942, sous le titre The Secret Life of Salvador Dali.8 II y explique que dans une période où il souffre du manque d’argent, alors qu’il veut aménager le logis pour Gala et pour lui, il va un jour, débordant de crainte et d’impatience, sur la plage :
Je sortis de la maison, plein de remords d’y laisser Gala faire ses bagages, et descendis à la mer par le champ d’œillets. Avec rage, armé d’un bâton, je mutilai les fleurs sanglantes comme ces cous de décapités dans les tableaux de Carpaccio. Au bord de la mer, un éperon rocheux était creusé de grottes où vivaient des gitans au teint olivâtre. Ils cuisaient leurs poissons dans de grandes poêles où l’huile crépitait et sifflait comme les vipères de ma colère. Pendant quelques secondes, j’eus l’envie absurde de faire descendre la malle Innovation de Gala et de venir vivre parmi ces gitanes qui, le sein nu, allaitaient les enfants dans une atmosphère érotique de crasse indécrottable. Je m’enfuis dans un coin désolé et, aidé du souvenir de ces seins et de la croupe énorme d’une femme en train de cuisiner sur son feu, je me livrai avec une rage frénétique au plaisir solitaire de mon adolescence. Toute la folie de mon âme passa dans ce geste désespéré. Mes jambes fléchirent et je tombai à genoux sur les rochers coupants, semblable à l’un de ces anachorètes en extase que peignit Ribera. De ma main libre, je caressais et je griffais mon corps comme pour l’étreindre. Une fureur saccadée faisait trembler ma chair. Mes poches étaient vides, mais je pouvais encore dépenser cela ! Et je fis tomber par terre la chaude petite monnaie de ma vie précieuse qui me semblait surgir du plus profond de moi-même, de la moelle de mes os.
Cette nouvelle et inutile dépense consommée, mon découragement s’en accrut. Ma situation monétaire me parut d’autant plus intolérable. Toute ma colère se retourna contre moi-même et je me frappai à coups de poings si violemment que je cassai enfin ma petite dent branlante. Je la crachai et la ramassai. C’était écrit : dent pour dent.
14Il est trop simple d’établir ainsi un lien entre cet épisode de la plage et la création du Grand Masturbateur. Robert Descharnes et Gilles Néret proposent une tout autre chronologie, puisqu’ils placent Le Grand Masturbateur avant même la première rencontre avec Gala en 1929, avant le voyage de Paul Eluard, de Gala sa femme, et de Cécile, la fille de Gala, en juillet de cette année-là à Cadaqués, et le moment, qui ne peut être antérieur à 1930, où Dali cherche à aménager pour Mme Grindel devenue sa compagne une maison de pêcheur de Port-Lligat.
15Gala est-elle bien le secret de Dali, comme l’affirme Meredith Etherington-Smith dans une page de son livre ? N’était-elle pas plutôt, comme il le disait lui-même, « le secret de son secret » ?9 Et cela moins parce que Gala était mystérieuse, avant même de devenir, comme l’écrit Meredith Etherington-Smith, « une sorte de sorcière sibylline, énigmatique et redoutable, qui rôdait en silence autour d’un Dali loquace dans une pénombre de menaces et de secrets »,10 qu’en raison même de ce qui ne peut être que le secret de Dali lui-même. Car quelle femme n’est sibylline ? Et Gala, avec sa nymphomanie, sa cupidité bien connues, est-elle si énigmatique ?
16« Secret du secret » : il faut prendre garde à ce redoublement. Il renforce le secret de Dali. Il le redouble aussi, comme le fera le titre prévu pour La Vie secrète, « Ma Vie re-secrète », qui est devenue le Journal d’un génie.11 C’est moins pour moi une question de profondeur qu’une question de répétition, parfois même de ressassement. En effet, pour une Plage du Llané (1923, pl. 142), apparemment sans grand mystère, pour une Femme allaitant son fils (Mujer amamantando a su hijo, gouache de 1923, pl. 156), beaucoup plus fortement stylisée, ou même pour ces Femmes couchées sur la plage (Figures ajagudes a la sorra, 1926, pl. 241), où les chairs se font lourdes et offertes malgré les tissus qui les couvrent partiellement, chez le premier Dali, que d’énigmes plus tardives, que les tableaux portent ce titre (L’Énigme sans fin, 1938, pl. 687 ; L’Énigme d’Hitler, vers 1939, pl. 706 ; Le Chemin de l’énigme, deux versions, 1981, pl. 15 37 et 1538), que leur titre contienne la notion du mystère ou des figures s’y rapportant (Les Sources mystérieuses de l’harmonie, 1932-193 3, pl. 427 ; Le Sphynx de sucre, 1933, pl. 444 ; Les Trois Sphinx de Bikini, 1947, pl. 912), que le titre soit surprenant (Girafe en feu, 1937, pl. 652 ; L’Œil du temps, 1949, pl. 762), ou que l’œuvre reste sans titre (c’est fréquent) !
17L’un des secrets assurément de Salvador Dali est qu’il peint le secret, et qu’il le voile encore plus quand il cherche à le dévoiler. Qu’il se soit peint lui-même en enfant soulevant une toile bleue à l’image de la mer en est la représentation faussement naïve (Moi-même à l’âge de six ans, quand je croyais être petite fille, en train de soulever avec une extrême précaution la peau de la mer pour observer un chien dormant à l’ombre de l’eau, 1950, pl. 954, et l’étude correspondante pl. 955). Car il sait bien que la mer reste là, avec ses insondables secrets.
18Il en va de même de sa représentation du prétendu secret sexuel. Il peint sa peur de la sexualité féminine dans Les Roses sanglantes, où des roses rouges jaillissent d’un sexe féminin (1930, pl. 351) ; il figure les femmes en fleurs, mais peut-être pour mieux les piétiner, les détruire, les tuer, comme Michael Fischer, l’assassin de la renoncule dans la nouvelle d’Alfred Döblin, Die Ermordung einer Butterblume.12 L’extrait cité plus haut de La Vie secrète de Salvador Dali le fait apparaître clairement. D’une manière insistante, il oriente l’attention vers sa mère trop tôt disparue, et vers un complexe d’Œdipe clairement identifié par ce lecteur de Freud (qu’il a même rencontré), une énigme du désir à laquelle il donne lui-même ce nom, prolongé dans le titre comme l’étrange objet troué, clitoridien, stèle multipliée aux épitaphes présentes ou absentes (L’Énigme du désir, ma mère, ma mère, ma mère, 1929, l’année même du Grand Masturbateur et de la première rencontre de Gala, pl. 311). Le Jeu lugubre (1929, pl. 312,) où Georges Bataille a cru reconnaître « la genèse de l’émasculation et les réactions contradictoires qu’elle entraîne»,13 ne peut représenter que le châtiment de l’enfant par sa mère avec le personnage au caleçon embrené.
19Dans un pareil ensemble, il n’est sans doute pas impossible d’isoler un souvenir d’enfance dominateur, comme Freud l’a fait pour Léonard de Vinci ou pour Goethe, Michel Philippon pour Paul Valéry et Georges Perec pour lui-même.14 Point de fantasme de vautour ici, mais, il est vrai, une mort du petit frère.15 Point de découverte de poils sous les bras des femmes,16 point d’écrit W conçu vers la douzième année, mais bien la disparition de la mère, comme pour Perec, morte du cancer le 6 février 1921, quand Dali est déjà un adolescent, le laissant désemparé dans cette terre catalane devenue pour lui la terre des cyprès.
20Dali pourra, au grand scandale de son notaire de père, cracher avec plaisir sur le portrait de sa mère, comme la fille de Vinteuil sur le compositeur de musique disparu dans À la recherche du temps perdu, et on pourra en rendre responsable Gala, récemment entrée dans sa vie : Le Jeu lugubre est une manière de prolonger, malgré l’absence, la main qui châtie et qu’on aime. Comme le notent Robert Descharnes et Gilles Néret, « dans l’appendice baroque qui prolonge le visage de Ma Mère, on reconnaît les structures géologiques des rochers de la région du cap Creus érodés par le vent, mêlés à l’influence de l’architecture fantastique d’Antonio Gaudi, "ce gothique méditerranéen", vue par Dali enfant à Barcelone ».17 Le souvenir de la mère est indissociable de la terre-mère de l’Ampurdan. De même Le Grand Masturbateur, dans l’attente peut-être de Gala, dit le vide après la mort de la mère, et à la suite des désirs inassouvis qui dès l’enfance se sont dirigés vers elle : absence dont celle des femmes inaccessibles rencontrées à Paris dans les rues, autres passantes de Baudelaire, n’est que la conséquence.18
21La fin du chapitre VI de La Vie secrète de Salvador Dali, avec le rappel de cette rupture douloureuse que fut la mort de la mère, pourrait tromper par ce qu’elle a d’emphatique et de spiritualisant :
La mort de ma mère, cette dernière année, fut le plus grand de tous mes désespoirs. Je l’idolâtrais. Son image était unique pour moi. Je connaissais les valeurs morales de sa sainte âme si au-dessus de tout ce qu’il y a d’humain que je ne pouvais me résigner à la perte d’un être sur lequel je comptais pour rendre invisibles les tares inavouables de mon âme. Elle était si bonne que je pensais : « Cela suffit aussi pour moi ». Elle m’adorait d’un amour si absolu et si fier qu’elle ne pouvait pas se tromper. Ma méchanceté devait être aussi quelque chose de merveilleux ! Cette mort me parut un affront du Destin. On ne pouvait faire une chose pareille ni à elle, ni à moi. Des idées de vengeance hantèrent mon cœur. Les dents serrées, je me jurai que j’arracherais ma mère de la mort et du destin, dussé-je employer ces épées de lumière qui, un jour, brilleraient sauvagement autour de mon nom glorieux19
22La vengeance contre le Destin, et en tout cas contre les autres femmes, – et vraisemblablement aussi, plus tard, avec Gala – sera celle du grand Masturbateur. Dès 1922, l’année qui suit la mort de sa mère, Dali représente le Bordel (pl. 128), où le bas du corps, cette fois habillé, qui descend l’escalier, est sans doute plus important que les autres personnages : solitaire déçu dans une prétendue maison d’amour où au rez-de-chaussée l’homme récalcitrant est entraîné par l’une et lui résiste, où l’autre est la proie de deux harpyes et où, à l’étage, il reste distant de la prostituée nue qui lui fait face, se contentant de porter lui-même sur sa braguette une main masturbatrice. Le témoignage de La Vie secrète de Salvador Dali le confirme :
J’arrivai à Paris (en 1929) en me rappelant le titre d’un roman lu en Espagne : « Ou César, ou Rien ». Je pris un taxi et demandai au chauffeur :
– Connaissez-vous de bons bordels ?
Légèrement piqué, il me répondit cependant avec une inflexion paternelle dans la voix :
– Montez, montez monsieur, et ne craignez rien, je les connais tous. Je ne les vis pas tous, mais j’en visitai un nombre assez impressionnant dont certains me plurent outre mesure. [...]
Si la décoration intérieure des bordels m’enchanta, les filles, en revanche, me parurent indignes. Leur prosaïsme et leur vulgarité étaient le contraire de ce que je demandais pour mes libidineuses fantaisies. Je n’y toucherai pas, me promis-je en les voyant apparaître les unes après les autres, mal réveillées et hagardes comme si on venait de les surprendre en plein repos. L’unique possibilité consisterait à se servir du décor et de l’atmosphère, et peut-être à prendre l’une de ces « Créoles » imposées par le règlement en qualité d’« aide ». Mais les femmes, il faudrait les trouver ailleurs et les amener avec moi. De toute façon, cette visite ne fut pas inutile : toute ma vie je pourrai nourrir mes rêveries érotiques des invraisemblables accessoires que j’avais aperçus.20
23Le bain de foule dans Paris, la vue de femmes élégantes ou souillons, belles ou laides, aboutit au même résultat :
De retour dans ma prosaïque chambre d’hôtel, les jambes rompues, une tristesse amère m’emplissait le cœur. Toutes ces femmes inaccessibles que je brûlais des yeux occupaient mon imagination. Devant l’armoire à glace, j’accomplissais le sacrifice solitaire que j’essayais de prolonger le plus longtemps possible, pour rappeler une à une les images entrevues dans la journée, et les forcer à venir me montrer ce que j’avais tant désiré de chacune d’elles. Au bout d’un long quart d’heure épuisant et mortel, j’arrachais enfin de toute la force animale de ma main crispée, l’ultime plaisir mêlé de larmes brûlantes et aigres.21
24Je ne me poserai pas la question de savoir si l’entrée de Gala dans l’existence de Dali et leur longue vie à deux parvinrent à surmonter l’onanisme de l’adolescence meurtrie par le deuil. À dire vrai, j’en doute. Et surtout pour moi la question n’est pas là. Car les structures profondes de l’imaginaire ne peuvent être ainsi bouleversées par une rencontre accidentelle. Si des modifications interviennent, si elles créent de nouvelles images (à commencer par le portrait toujours recommencé de Gala elle-même), les modèles restent présents. Et ils sont indiscutablement forts dans l’imagination de Salvador Dali. Là encore, toute énumération serait fastidieuse, et je m’en tiendrai à quelques exemples.
25Il est d’ailleurs difficile de choisir, car avec Dali on est très vite entraîné dans le vertige de l’identification. De même que malade, il s’est identifié en 1981 avec Bellini mourant, il a cru se reconnaître en Raymond Roussel, « grand névrosé », qui « s’est suicidé à Palerme au moment même où », dit-il dans le Journal d’un génie (4 septembre 1956), « m’étant donné corps et âme à lui, je souffrais de telles angoisses que j’avais cru devenir fou ».22 Ou, au moment du suicide de René Crevel en 1935, et de sa lente agonie dont il fut averti en même temps que Gala, Dali souffre, moins de la crainte d’un mal contagieux éprouvée par sa compagne, que du même sentiment d’autodestruction.23 Il suffit, pour s’en persuader, de lire la préface que Dali a écrite pour La Mort difficile, quand le livre de celui des surréalistes pour lequel il eut sans doute le plus d’estime, et dont il a fait le portrait, le seul chevaleresque en tout cas au moment du grand Congrès international de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, fut publié par Jean-Jacques Pauvert en 1974. Ce « crevé », qui est « re-né » si souvent à chaque fois qu’il sortait du sanatorium, ce suicidé qui sur son lit de moribond suçait de l’oxygène « avec la gloutonnerie d’un nourrisson », ce candidat à la mort pourtant si attaché à l’existence, n’est-il pas à ses yeux lui-même ? « Après s’être crevé au gaz de Paris », note Dali, « il essayait de renaître à l’oxygène de Port-Lligat ».24 Sans doute Crevel y est-il venu, y a-t-il écrit Les Pieds dans le plat, Le Clavecin de Diderot et Dali et 1’antiobscurantiste. Mais Dali est le premier à avoir eu besoin, au retour de France, ou au retour des États-Unis, de retrouver la terre et la mer de Catalogne, comme si elles étaient vivifiantes pour lui.
26Bien d’autres modèles l’obsèdent, il le sait, ou d’autres images de lui, dans le mythe, dans la littérature ou dans l’histoire, même la plus récente. Le mythe de Castor et Pollux correspond pour lui au rappel de la mort du frère (même s’il n’est pas jumeau, il est ici homonyme), à l’espoir de l’immortalité secrète, celle que Pollux, le fils de Zeus et de Léda, voulut, si l’on suit la version de Pindare, partager avec son frère Castor, le fils de Tyndare et de Léda, né pourtant du même œuf que lui.25
27Dali a transposé sur Gala ce qui appartenait à sa mère quand il a imaginé sa Léda atomica (1949, pl. 937)-Commencée aux États-Unis, à Monterey (Californie), dès 1945, vers la fin du séjour de l’artiste aux États-Unis, la toile porte dans son titre la marque du traumatisme créé en Dali, mais aussi dans l’humanité entière, par le bombardement d’Hiroshima. Sans doute reste-t-il quelque chose de l’avion mortifère, autre vautour de Léonard de Vinci, dans ce cygne aux pattes prédatrices. Sans doute aussi Dali veut-il croire qu’il forme avec Gala un couple dioscurique. Mais Léda, même si elle a les traits de Gala, représente la mère porteuse des deux Salvador, le double éliminé et le génie éclos. Il est frappant aussi de constater que le bec de l’oiseau-amant reste un peu distant du visage de Gala-Léda, comme le corps masculin l’est de la bouche de la femme dans Le Grand Masturbateur. En cela, la toile pourrait bien représenter, sinon l’amour sublimé, du moins l’amour « non consommé », comme l’a suggéré Jean-Louis Ferrier dans un long commentaire qui semble avoir recueilli l’assentiment de Dali, de Gala et de Robert Descharnes.26
28On sait comment l’hostilité au père s’incarne dans la représentation que Dali a donnée de Guillaume Tell, avec ce portrait, maintes fois recommencé, comme il le note lui-même dans La Vie secrète de Salvador Dali, de lui-même enfant « avec une côtelette crue sur la tête, essayant symboliquement de tenter mon père pour qu’il mangeât la côtelette plutôt que son fils ».27 Il en résulte par exemple cette autre énigme, L’Énigme de Guillaume Tell (1933, pl. 449 et l’étude correspondante pl. 450) et, comme si elle était menacée elle-même par le père terrible qui rejeta son fils et encore au moment de mourir, le Portrait de Gala avec deux côtelettes d’agneau en équilibre sur l’épaule (1933).
29Je laisserai de côté la fâcheuse fascination exercée un temps du moins sur Dali par Hitler, cause de son violent différend avec André Breton en 1934 et de sa comparution – un thermomètre dans la bouche – devant le tribunal surréaliste réuni au 42 rue Fontaine, dans l’appartement du « pape ». Il y répondait aussi d’ailleurs d’un crime de lèse-Lénine, puisque le chef soviétique, mort en 1924, idole des surréalistes alors gagnés au communisme, aurait prêté des traits au Guillaume Tell du tableau.28
30Je suis frappé par le fait que, ce jour de janvier 1934, se trouvait derrière André Breton, président de ce tribunal d’exception, le tableau qu’il avait acheté à Dali peu de temps auparavant, Gradiva. Plusieurs œuvres du peintre catalan portent ce titre : la Gradiva de 1931, huile (pl. 383), Gradiva retrouve les ruines anthropomorphes (fantaisie rétrospective), huile sur toile de la même année (pl. 387), la Gradiva de 1932, plume et encre sur papier (pl. 384), la Gradiva de 1933 (pl. 382), encre de Chine sur papier de verre sur carton, et avec un effet d’amalgame, Guillaume Tell, Gradiva et bureaucrate moyen (encre de Chine sur carton, 1932, pl. 389). Cette liste n’est sans doute pas exhaustive, et il faut au moins y ajouter un tableau sans titre, connu comme Guillaume Tell et Gradiva (1931, pl. 379), où le membre viril se fait, contrairement au Grand Masturbateur, gigantesquement turgescent. Je tiens toutes ces représentations de la femme parmi les plus déconcertantes et les moins favorables qu’ait laissées Dali. Fessier protubérant d’une Gradiva tenant le crâne comme Hamlet, Gradiva au pubis en forme de bouquet de fleurs, Gradiva ravalée à n’être qu’un instrument mécanique de plaisir, Gradiva réduite à une chevelure parmi des ruines anthropomorphes...
31Le nom s’insère dans une série onomastique inaugurée par Gala (dont Dali peint le portrait avec obstination au même moment). On y trouve aussi Gala Placida (d’après la Galla Placida que saluera Yves Bonnefoy dans « Les Tombeaux de Ravenne » et dans « Dévotion ») (voir pl. 1013), la Dullita des années de collège, « Dullita ! Dullita ! Galutchka ! Galutchka rediviva ! »29, d’autres encore. Journal d’un génie est dédié « À mon génie Gala Gradiva, Hélène de Troie, sainte Hélène, Gala Galatéa Placida ». Il faudrait gloser tout cela : le fait qu’Hélène soit une Tyndaride, une fille de Léda, une sœur de Castor plus que de Pollux ; le renvoi à Napoléon30, une figure qui a fasciné Dali comme elle avait fasciné Nerval (et c’est bien une suite nervalienne que constitue à son tour Dali) ; la référence à la Galatée du Cyclope Polyphème, tête entrevue dans un décor marin sur la Galatée 1954-1956 (pl. 1055). Mais plus frappante que toutes les autres, la figure de la Gradiva rediviva de Wilhelm Jensen, revisitée par Sigmund Freud dans son célèbre commentaire psychanalytique de 1907.31
32Dali est teinté plus que nourri de psychanalyse, et il sait garder à son égard une distance qui lui est nécessaire avant qu’affaibli il ne risque d’en devenir la proie. Le chapitre II de La Vie secrète de Salvador Dali, « Souvenirs intra-utérins », est significatif à cet égard. Il y rend hommage au livre d’Otto Rank sur Le Traumatisme de la naissance et s’accorde avec lui pour rattacher la période intra-utérine à une manière de Paradis perdu.32 Se situer du côté de Rank est déjà se tenir sur ses gardes pour Freud, qui lui a reproché d’espérer guérir toutes les névroses « en liquidant plus tard, par une analyse, ce traumatisme primitif ».33 De Freud, Dali connaît visiblement Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, et il s’y réfère dans La Vie secrète pour parler de la signification érotique de tout ce qui a trait à l’aviation, de tous les rêves de vol, – et on a vu qu’il en restait quelque chose dans le cygne de Léda atomica. Le vautour est-il le père (Salvador Dali junior, le terrible notaire), celui que, selon Freud, comme l’indique le Journal d’un génie, le héros doit vaincre (p. 215) ? Est-il la mère, comme le suggérait Freud, rappelant que les anciens Égyptiens vénéraient une divinité maternelle qui fut représentée avec une tête de vautour (geierköpfig) ou avec plusieurs têtes dont l’une au moins était celle d’un vautour ?34
33Dali a été sensible à la figure de Gradiva, qu’il superpose à celle de Gala. Le Journal d’un génie en apporte encore la preuve quand, le 16 août 1953, il découvre « la couleur noisette sous-marine des yeux de Gala » et ajoute :
J’ai tout le temps envie de contempler ces yeux qui après Gradiva, Galarina, Leda, Gala Placida, sont, de façon éminente, ceux de la tête grosse d’un mètre carré de mon prochain tableau intitulé « Septembrenel ». Ce sera le tableau le plus gai du monde. À un tel point que j’ai l’intention de réussir totalement, sûrement à peindre des tableaux qui, par leurs vertus ironiques, provoqueront carrément l’éclat bruyant et physique du rire. (p. 113)
34La nouvelle de Jensen avait un dénouement heureux quand la Pompéienne Gradiva se révélait au jeune archéologue hambourgeois, Norbert Hanold, une jeune fille rieuse, sa voisine et ancienne camarade d’enfance Zoé Bertgang, et les dernières lignes alliaient sa démarche si particulière à « un sourire gai et entendu ».35 Le rire recherché par Dali quand il reprend la figure de Gradiva est plus bruyant, plus proche de ceux qu’on devait entendre lors d’une fête du rire analogue à celle qui est racontée dans les Métamorphoses d’Apulée. Mais il doit bien correspondre aussi à la libération qu’il ne cesse d’attendre d’une Gala qui pourtant l’emprisonne. D’où cette autre variation dalinienne sur Léda quand, comme il le rappelle dans une note de La Vie secrète (p. 28), il dessine des attitudes fœtales recroquevillées, et se montre lui-même dans l’œuf. L’étonnante photographie représentant Dali dans l’œuf, réalisée par Philippe Halsman d’après une idée de Dali lui-même (pl. 827), fournit d’une telle attitude un exemple pur.
35Cette représentation n’est pas propre, comme il l’écrit, à l’année 1939. Elle ne s’explique pas seulement par les alertes dans Paris, par la peur éprouvée par les autres. Mais elle correspond à une angoisse propre à Dali, quand le paradis intra-utérin se transforme en une prison dont la gardienne est Gala-Léda. D’où le rêve de L’Œuf brisé (1943, pl. 711). Gradiva n’est pas alors seulement « celle qui avance » (1939, pl. 730). Elle n’est pas non plus seulement la nourricière, Gradiva devenant fruits, légumes, charcuterie, pain et sardine grillée (1939, pl. 733), fantaisie pseudo-arcimboldesque où tout tend à prendre des formes phalliques. Elle devient, de Gala Placida (1952, pl. 1013), Gala avec symptôme rhinocérontique (1954, pl. 1042), avec ces cornes que Dali finit par plaquer sur 1M Dentellière de Vermeer (pl. 1074, 1084), ce qu’il a commenté longuement dans sa conférence au grand amphithéâtre de la Sorbonne, le 17 décembre 1955.36
36D’autres figures mythiques de femmes, d’autres mères phalliques terrifiantes peuplent l’univers de Dali. La reine Salomé et Hérodiade, par exemple (Pl. 653, 654, fusain et huile de 1937), ou, plus remarquable encore, la tête de Méduse. Elle hante le tableau de 1941, Ruine avec tête de Méduse et paysage (pl. 781). Meredith Etherington-Smith signale qu’à l’Exposition Dali inaugurée le 22 avril 1941 chez Julien Levy à New York figurait un portrait de Lady Louis Mountbatten, « représentée dans la meilleure veine surréaliste, avec des serpents verts en guise de cheveux ».37 Il s’agit du portrait de 1940 (pl. 742), où des résidus ophidiens viennent donner une touche plus méduséenne à ces chevelures dangereusement séduisantes dans leur abondance et leur mouvement, dont Le Grand Masturbateur donnait un excellent exemple. Là encore, il semble que la guerre ait ranimé un phantasme de terreur, saisissant dans le tableau Visage de la guerre (1940-1941, pl. 755) et les études qui s’y rapportent : duvet serpentin, mais nullement anodin, pour ce crâne dont les orbites et la bouche sont remplies, en abyme, par des têtes de morts. L’aquarelle de 1962, Tête de Méduse (pl. 1198) montre, au-delà de la guerre, la permanence pour Dali de ce phantasme que corrigent mal les Madones des années 50, quand le peintre catalan opère une conversion vers le catholicisme plus que, comme son père aux approches de la mort, une conversion au catholicisme. La tête de Méduse se trouve ici au centre de l’animal marin, et dès 1945, d’une manière hautement significative, Dali peignait une telle tête de Méduse sur le front de Gala (photographie pl. 1197).
37Méduser, tel fut, on le sait, le mot d’ordre de Dali. Son génie, à défaut d’être un art de prendre, devait être un art de surprendre : la méthode paranoïaque-critique, qu’André Breton allait accepter comme une démarche surréaliste à part entière et dont il ne conteste pas le bien-fondé quand il présente et cite Dali dans son Anthologie de l’humour noir (1940), malgré leur différend.38 Breton y cite la définition que Dali avait donnée dans La Femme visible, texte publié en 1931 aux Éditions surréalistes :
méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’association interprétative-critique des phénomènes délirants.
Plusieurs commentaires déjà s’imposent.
38Tout d’abord, le fait que cette méthode est une méthode de connaissance, donc de connaissance de soi. Un mode d’exploration, de connaissance des gouffres, pour reprendre le titre d’Henri Michaux. Il s’agit donc bien de pénétrer et de faire pénétrer, là encore, dans la vie secrète, dans la vie re-secrète, de Salvador Dali. Dali, au fur et à mesure de son évolution, se proposera aussi d’explorer, non seulement son propre inconscient, mais l’inconscient collectif de son époque. Des fameuses « montres molles » qui apparaissent pour la première fois en 1931 dans Persistance de la mémoire (pl. 360) – « images fondamentales », selon Meredith Etherington-Smith, « dans le subsconscient collectif du xxe siècle »39 et qui accompagneront son œuvre (par exemple La Montre molle, 1950, pl. 964, Montre molle blessée, 1974, pl. 1414), jusque dans ses sculptures,40 à Léda atomica ou à Dali atomicus, l’entreprise de Dali a quelque chose de proche de ce que Gilbert Durand a appelé une « mythanalyse », – analyse d’un temps, d’une société, par ses mythes dominants.41
39L’entreprise de Dali reste donc inséparable de la psychanalyse, et en cela encore elle se rapproche de ce qu’a pu être le Surréalisme surtout à ses débuts. Au-delà d’Otto Rank (1884-1939) et de Sigmund Freud, dont il a fait trois portraits en 1937 et 1938 (pl. 663, 664 et 665), Dali a lu et fréquenté Jacques Lacan. Dès 1932, donc peu de temps après la constitution de la méthode, Dali s’abrite, dans une lettre au critique catalan Joan Sacs (pseudonyme de Feliu Elias), derrière la thèse de Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité.42 À la suite de Dali, qui l’a indiscutablement marqué, Lacan considère la paranoïa comme créatrice. Elle a, selon lui, « valeur d’imagination créative dans les psychoses et dans la relation entre psychose et génie ».43 Cela n’empêchera pas Dali de prendre plus tard ses distances à l’égard de Lacan comme il les a prises à l’égard de Freud, et de plaisanter sur le Docteur Alcan dans son roman Hidden Faces, publié à New York (Dial Press) en 1944, à Paris sous le titre Visages cachés (La Table ronde) en 1970, récit à clefs des aventures de millionnaires américaines et d’aristocrates français décadents autour de 1936.
40On aurait tort de croire pourtant, d’après ce seul roman et la notion de « clédalisme » qu’il y a introduite, que le secret de Dali se réduise à « l’art de l’orgasme du voyeur », donc à un raffinement de la grande masturbation. Cette définition est celle qu’en donne Meredith Etherington-Smith dans sa biographie (p. 273). Mais il convient de faire deux remarques qui obligent à prendre un certain recul. La première est que le nom même inventé par Dali vient d’un de ses personnages féminins, Solange de Cléda, non d’un homme ni de lui-même. La seconde est que cette acception trop purement sexuelle se révèle vite insuffisante. Certes, Jean-Louis Ferrier, à un certain moment de son analyse de Léda atomica, y a recours. Il cite un épisode de Visages cachés où Solange ne fait que passer dans le lit du comte, lui laissant le constat de son absence et « plongeant son désir dans un profond désespoir, au cœur duquel les sentiments les plus contradictoires commencèrent à se livrer un combat sans merci ».44 Ce type d’amour intense et pourtant sans contact physique se trouve encore illustré par l’épisode du strip-tease inversé, où deux jeunes gens apparaissent nus l’un à l’autre sans qu’un seul mot soit prononcé et sans qu’aucune étreinte ait lieu.
41Mais très vite Jean-Louis Ferrier dépasse, et le sens immédiat de clédalisme, et sa situation de troisième terme entre sadisme et masochisme. Il y voit le point de départ d’un rêve de lévitation, d’une apesanteur qui, dans Léda atomica, « n’est pas autre chose que l’expression picturale du clédalisme qui correspond à la nature intime de l’artiste, malgré un certain nombre de fantasmes auxquels il se plaît à donner une publicité tapageuse ».45
42Une nouvelle définition du clédalisme se révèle pertinente pour mon propos. Celle qui affirme qu’il n’est autre que « le plaisir et la souffrance sublimés dans une identification toute transcendante avec l’objet ».46 Car l’état d’apesanteur qui semble devenir pour Dali celui de la jouissance esthétique et pour lui-même et pour celui qui regarde ses tableaux passe par l’identification. Qu’il l’obtienne de son spectateur, cela n’engage que son vœu (il n’est pas évident d’adhérer à son Tristan fou de 1944, pl. 830 ou à son Eléphant spatial de 1961, pl. 1103, même s’ils illustrent deux modes différents de la lévitation, Tristan christique dans un cas, éléphant sur pattes-échasses dans l’autre). En revanche, que l’expérience de la création passe pour lui par l’identification, telle est certainement l’une des données fondamentales de son art, l’un des secrets de sa poétique picturale (et tout aussi bien sculpturale).
43L’autoportrait de 1921, ou celui de 1922 (pl. 5 et 6), largement antérieurs à l’invention de la méthode paranoïaque-critique, ne témoignent de rien d’autre que d’une certaine pause, fréquente chez l’artiste jeune. En revanche Le Chevalier à la tour (1932, Pl. 401,) Le Chevalier de la mort (1934, pl. 499), Le Cavalier de la mort (1936, pl. 604) illustrent une veine quichottesque de Dali, dont il existe des exemples quasi directs (Don Quichotte, 1935, pl. 543), et introduisent donc entre lui-même et l’autoportrait une troisième figure. Le Grand Paranoïaque (1936, pl. 600) est plus inquiétant encore quand on pense à la fascination exercée sur Dali à cette époque par le Fuhrer à la triste figure.
44Cette structure triangulaire resterait simple et presque banale si elle ne se compliquait, dans le cas de Dali, de la multiplication et la surimposition des modèles. L’Apparition d’un visage et d’un compotier sur une plage (1938, pl. 691) donne un bon exemple d’un tel cumul (le compotier plus le visage) et de métamorphose à la fois (le visage devient compotier).
45Métamorphose de Narcisse (1937) passe pour le premier tableau obtenu entièrement d’après l’application intégrale de la méthode paranoïaque-critique.47 Dali a lui-même commenté cette œuvre, et sa glose est prolongée par Robert Descharnes et Gilles Néret :
Si l’on regarde pendant quelque temps avec un léger recul et une certaine « fixité abstraite » la figure hypnotiquement immobile de Narcisse, celle-ci disparaît progressivement, jusqu’à devenir absolument invisible. La métamorphose du mythe a lieu à ce moment précis, car l’image de Narcisse est transformée subitement en l’image d’une main qui surgit de son propre reflet. Cette main tient au bout de ses doigts un œuf, une semence, l’oignon duquel naît le nouveau Narcisse – la fleur. À côté, on peut observer la sculpture calcaire de la main, main fossile de l’eau tenant la fleur éclose. Pour la première fois, un tableau et un poème surréalistes comportent objectivement l’interprétation cohérente d’un sujet irrationnel développé. La méthode paranoïaque-critique commence à constituer le congloméré indestructible des « détails exacts » que Stendhal réclamait pour la description de l’architecture de Saint-Pierre de Rome, et ceci dans le domaine de la plus paralysante poésie surréaliste.48
46La conjonction, la collusion même de l’œuf de Léda et de la fleur de Narcisse éclaire suffisamment la mise en œuvre de ce processus accumulatif, et la présence sur la toile de plusieurs foyers d’images.
47On pourrait s’étonner dans ces conditions du slogan de Dali « Raymond Roussel contre Rimbaud ».49 En effet « Alchimie du verbe », dans Une saison en enfer, propose un principe, d’ailleurs très vite dépassé par le poète, de superposition et même de substitution, qui est celui-là même de ce que Rimbaud appelle « l’hallucination simple » :
Je voyais très-franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d’un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.50
48On peut s’étonner de la réserve de Dali à l’égard de Rimbaud, dont « H », dans les Illuminations, pourrait permettre de retrouver le secret du (grand) masturbateur. Mais on comprend bien qu’il veuille avoir à la fois sur la toile la mosquée et l’usine, la fleur et l’œuf, le homard et le téléphone (1936, pl. 618), exemple cher à Breton, qui avait vu Le Téléphone-homard à New York et l’a considéré comme une illustration exemplaire de l’humour dalinien :
L’objet extérieur, considéré par Dali tel qu’on l’a vu arrêté au stade du surmoi et se complaisant à cet arrêt, est doué d’une vie symbolique qui prime toutes les autres et tend à en faire le véhicule concret de l’humour. Cet objet est, en effet, distrait de sa signification convenue, utilitaire ou autre, pour être rapporté étroitement au moi, par rapport auquel il garde une valeur constitutive. « Soyez persuadés que les fameuses montres molles de Salvador Dali ne sont autre chose que le camembert paranoïaque-critique tendre, extravagant, solitaire du temps et de l’espace ». Dali a exposé à New York un téléphone peint en rouge dont le récepteur était formé par un homard vivant.51
49Dali a réalisé en 1966, sous le titre de Lilith, un hommage à Raymond Roussel (pl. 1417), fondé sur la fausse symétrie. Il a donné le titre du livre de Roussel, Impressions d’Afrique, à plusieurs de ses œuvres. Le principe d’association s’y trouvait pleinement appliqué, par exemple quand la « Fable », dit-il, « se composait d’un feuillet de livre appuyé debout contre un immense gâteau de Savoie ».52 On peut penser que Lautréamont aussi a guidé Dali vers de tels assemblages, avec l’homme à la figure de crapaud, l’Éternel à la figure de vipère, l’énigme du scarabée grand comme une vache, « une lampe et un ange qui forment un même corps » (II, 11), le portrait de Maldoror en Polyphème (VI, 4, « Je me suis aperçu que je n’avais qu’un œil au milieu du front ! »). Il me semble même possible que l’image du rhinocéros, si importante dans Les Chants de Maldoror, ait marqué Dali, illustrateur du livre pour les Éditions Skira en 1932, et l’ait suivi jusque dans ses Figures rhinocérontiques (1955, pl. 1078). Les deux piliers, « qu’il n’était pas difficile et encore moins de prendre pour des baobabs » et qui « s’apercevaient dans la vallée, plus grands que deux épingles »,53 sont comme préparatoires à l’étonnant tableau de 1947, Les Trois Sphinx de Bikini (pl. 912), trois arbres-têtes posés sur un paysage fortement stylisé, la reprise d’ailleurs des Trois pins de 1919 (pl. 48).
50Pourtant Dali ne s’est pas laissé enfermer dans Lautréamont plus que dans Rimbaud. Il s’est moqué de ses amis les surréalistes français qui « se masturbent au nom de Lautréamont autour d’une table de café place Blanche ».54 Bien plus, il s’est montré défiant à l’égard des parangons de la modernité. Nul texte de Dali plus virulent à cet égard que Les Cocus du vieil art moderne (paru chez Bernard Grasset en 19 56,) où il revient à sa « célébrissime conférence à la Sorbonne » du 16 décembre 1955 (il semble que la date ait varié d’un jour). C’est l’occasion de s’en prendre à « l’adolescente naïveté romantique d’Arthur Rimbaud » (p. 21). Il y a dit son fait à Picasso, à Le Corbusier, « architecte masochiste et protestant » (p. 35,) à Piet Mondrian, au Modem Style, à la sculpture hystérique qui ne bouge pas et en laquelle, reprenant une de ses images familières, il voit un « onanisme très lent, accompagné d’un énorme sentiment de culpabilité» (p. 57,) comme s’il retournait vers elle une de ses obsessions.
51On a pu s’étonner de voir Dali accabler Henri Matisse et réhabiliter le « grand Meissonier » (p. 106), Ernest Meissonier (1815-1896), le peintre de la bataille de Solférino et du Siège de Paris, qui n’échappe pas tout à fait à la réputation d’académisme. Il faut faire, là encore, la part de la provocation, la volonté de réaction contre un surréalisme dont pourtant Dali prétend être le seul et le vrai représentant.
52Des valeurs traditionnelles, Dali fait un usage très particulier. Lilith. Hommage à Raymond Roussel (1966, pl. 1417) place deux statuettes en bronze par Meissonier devant des masses de plâtre aux allures de Victoire de Samothrace. Pour l’Hommage à Meissonier lui-même, il semble avoir hésité entre une stylisation forte, presque abstraite (1965, pl. 1262) et le retour à la peinture à sujet, au figuratif le plus intempérant dans La Pêche aux thons (1966-1967). L’artiste, comme le notent Robert Descharnes et Gilles Néret, « y a réuni toutes ses tendances : Surréalisme, “pompiérisme quintessencié”, pointillisme, action-painting, abstraction géométrique, pop art ou art psychédélique », et ils jugent l’œuvre aussi importante que Persistance de la mémoire avec ses montres molles.
53Dans tous les cas, et même quand Dali entonne l’hymne du pompiérisme, il faut tenir compte de cet humour décapant que Breton avait su reconnaître en cette Avida Dollars qui devenait pourtant à ses yeux l’Adversaire. Cette Avida était d’ailleurs beaucoup plus Gala que Salvador. Le principe de Dali, le secret de son art devient de plus en plus la modification interne qui, sous prétexte d’embellissement, est secrètement ou farouchement rongeuse.
54Le Grand Masturbateur a un point de départ deux fois insignifiant en apparence. Dali avait acheté sur la rambla un chromo représentant une femme respirant l’odeur d’un lys. La fleur est bien présente encore sur le tableau, mais le nez de la femme s’est tourné vers le sexe masculin. La fleur royale et virginale est moquée comme elle l’était par Rimbaud dans « Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs » ou dans l’Album zutique. La substitution n’est pas exclusive, dans la représentation, de l’accumulation, sans que soit pourtant suggérée la constitution d’un sexe-lys.
55Le plus bel exemple en est sans nul doute le travail qu’il a accompli sur L’Angélus de Jean-François Millet (1814-1875), autre peintre du Second Empire, contemporain de Meissonier. Ce tableau célèbre passe pour un modèle de la géorgique paisible. « Deux silhouettes se détachent sur l’étendue des plaines de la Brie », écrit Robert L. Herbert ; « leur monumentalité s’exprime dans la noble simplicité presque primitive de leur présentation, dont l’essentiel réside dans l’archétype sculptural qu’elles constituent ; leur éloquence tient à la grande tradition française, qui évite toute trivialité au bénéfice d’une vision aux formes constitutives solides ».55 En en faisant Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet, Dali lui impose, dans son texte de 1963, une « interprétation paranoïaque et critique » (c’est le sous-titre de l’ouvrage publié chez Jean-Jacques Pauvert). Saturne, Abraham, ce Père éternel qui peut devenir rhinocéros chez Lautréamont viennent en surcharge sur la figure du paysan. Loin d’être pieuse, la paysanne apparemment en prières « fait penser à l’érotisme exhibitionniste de la vierge en attente, la possession qu’elle prend en annonçant l’agression imminente comme une mante religieuse prête à s’accoupler au mâle et à le mener à la mort ».
56Depuis trente ans, Dali faisait cet obstiné travail de perversion, de sape. Dès 1933 il associait Gala à l’entreprise en intitulant une de ses toiles Gala et l’Angélus de Millet précédant l’arrivée imminente des anamorphoses coniques. Là, comme le notent Robert Descharnes et Gilles Néret, elle « préside, souriante, habillée d’une veste richement brodée et coiffée d’une casquette blanche à visière transparente jaune-verte, alors à la mode », en même temps que L’Angélus de Millet suspendu, une scène où le personnage assis en face d’elle serait Lénine, et l’indiscret coiffé d’une langouste Maxime Gorki.56 Mais il y aura bientôt un Portrait de Gala au homard (1934, pl. 465), et en 1935 L’Angélus de Gala durcit en figures de fer, presque de robot, pour une terre de Martiens, le couple des paysans de Millet (pl. 555). La variante érotique de l’Hommage à Millet. Étude pour la gare de Perpignan (1965, pl. 557), esquisse de copulation au-dessus d’une brouette, est moins significative que le glissement qui fait passer de Gala Placida (195 2, pl. 1013) à une Gala plus mante qu’amante. Dali lui-même, hanté par de telles visions quand il regarde New York et que les gratte-ciel évoquent pour lui « les formes anthropomorphiques d’innombrables Angélus de Millet gigantesques, de la troisième période », les voit « immobiles, prêts à passer à l’acte sexuel et à s’entredévorer, comme des essaims de mantes religieuses avant de copuler ».57 Le travail technique accompli par Dali ne fait que raviver la hantise de la mère ou de la femme phallique. Cette immense production de Dali, avec plus de mille numéros pour la seule peinture, est celle d’un grand artiste, très tôt reconnu, très tôt contesté. Il fut en définitive bien plus artisan que fumiste, cet homme qui s’acharna par exemple à défendre les vertus d’un dessin impeccable.
57En 1948, le livre qu’il a publié sous le titre Fifty Secrets of Magic Craftmanship (New York, Dial Press), et qui est traduit en français en 1974 sous le titre 50 Secrets magiques (Lausanne, Édita) ne renvoie à nulle doctrine occulte, à nulle pratique du cryptogramme. Dali cherche à y livrer les secrets d’une technique de la peinture réfléchie et concertée.
58Mais ce serait réduire l’art de Dali à peu de chose s’il ne s’agissait que de technique. Les secrets de l’artisan sont au service du secret de l’homme. Le peintre catalan, hanté par le thème de l’énigme, a eu conscience du poids qu’il portait. « Mon idée fixe dans ce livre est de décortiquer les secrets, et de les mer de mes propres mains », écrivait-il pour présenter La Vie secrète de Salvador Dali.
59Une des manières de les tuer était de les cacher. D’où la tendance inverse à avancer masqué : Dali empruntait à Descartes (et pour faire la nique au prétendu rationalisme français) l’épigraphe Larvatus prodeo – je m’avance masqué –, placée en tête de ses Visages cachés. Sa peinture aussi joue sur la multiplicité des masques, des tiers, des modèles obsédants et démontés.
60Une autre manière de crier, pour le peintre, est d’exploser. C’est le Dali atomicus. L’amollissement du solide, et du temps, était dès 1931 une forme de protestation. La hantise d’Hiroshima a introduit d’autres modes de destruction radicale dans l’imaginaire dalinien. À cet égard l’œuvre de Dali est d’une remarquable continuité, de Persistance de la mémoire (1931), où le travail de désintégration est accompli dans une œuvre qui se cherche et se trouve une autre forme à La Montre molle (1950, pl. 964), au Rhinocéros en désintégration (même année, pl. 965) ou à la Fleur explosive (1951, pl. 970). Mais on trouve tout aussi bien La Madone explosive (1951, pl. 987), au début d’une période où l’on veut bien souvent voir Dali revenir vers des sujets à caractère religieux. Il les traite avec la même liberté et avec la même tension.
61Il serait excessif de vouloir rassembler tout cela autour d’une structure simplifiée de sa vie sexuelle, même si la masturbation y a visiblement une grande importance. La glorification de la superwoman va de pair avec la crainte qu’elle inspire. Et Dali n’hésitait pas à dire lui-même que son tableau La Naissance des désirs liquides était le meilleur exposé qu’il eût jamais fait contre l’acte sexuel.
62Il est tentant sans doute, au moment où on le voit, au début de La Vie secrète, près de prendre la relève de Freud, de mettre en valeur un souvenir d’enfance autour duquel s’organiseraient son univers mental et son œuvre. Celui, par exemple, qu’il rappelle dans le Journal d’un génie, sa vie re-secrète, d’une première composition littéraire, à l’âge de sept ans, où il racontait une promenade avec sa mère sous une pluie d’étoiles filantes :
L’enfant en ramasse une et l’emporte dans le creux de sa main. Arrivé chez lui il la pose sur sa table de nuit et l’emprisonne dans un verre renversé. Le matin, au réveil, il pousse un cri d’horreur : un ver a, pendant la nuit, rongé son étoile ! (p. 40)
63Dans le premier de ses récits autobiographiques, il fait une plus large place à sa peur enfantine des sauterelles : « cauchemar, martyre et folie hallucinante de la vie de Salvador Dali ! »58 Or un tableau remarquable de 1931, Moi-même à dix ans, lorsque j’étais l’enfant-sauterelle (pl. 451,) annonce une métamorphose en l’animal détesté, que l’image ne laisse guère paraître. Dali lui-même a sous-titré le tableau « complexe de castration ». J’y vois plutôt une poussée longiligne. La tête de l’enfant, monstrueuse tête d’insecte si l’on veut, la table où il se trouve assis (si c’en est une) sont emportés par un mouvement puissant vers un lointain passablement désert. Le bec – dirai-je de sauterelle ? –, le prolongement de la table pointent vers l’horizon, vers le ciel bleu, comme un canon pointe vers ce qu’il veut atteindre.
64Il n’est rien d’autre à atteindre ici que le vide, que le ciel. Masqué sans doute déjà, l’enfant Dali, mais s’avançant vers où ?
Notes de bas de page
1 Robert Descharnes et Gilles Néret, Salvador Dali 1904-1989. Les références aux reproductions d’œuvres de Dali dans cet ouvrage seront appelées in-texte par l’abréviation pl. suivi d’un numéro en chiffre arabe.
2 Voir sur ce point la biographie de Meredith Etherington-Smith, Dali, a Biography, Londres, Sinclair-Stevenson, 1992, traduction française, Paris, L’Archipel, 1994, p. 389-390.
3 Ibid., p. 385.
4 Plutôt que de citer mon propre livre, je me réfère à celui, d’une remarquable précision, de Herbert Weinstock, Vincenzo Bellini, his Life and his Operas, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1972, p. 204 : « Immediatly, rumors drifted across Paris : Bellini had been poisoned ; he had been murdered by Mme Levys, who had been his mistress and had become lethally jealous of another woman to whom Bellini had been paying attention ».
5 Témoignage cité par M. Etherington-Smith, p. 379.
6 Ibid., p. 12-13.
7 Cité ibid., p. 137.
8 Dial Press, 1942. Adaptation française par Michel Déon, La Vie secrète de Salvador Dali, p. 217-218.
9 Cité par M. Etherington-Smith, p. 111.
10 Ibid., p. 111 et voir p. 115 (Max Ernst), – qui formait avec Eluard et Gala un ménage à trois, « fut soulagé d’être débarrassé de la sibylline Gala ».
11 Voir l’introduction de Michel Déon pour ce livre, Paris, La Table ronde, I964, rééd. Gallimard (L’Imaginaire), n 311, 1994, p. 9.
12 Première nouvelle du recueil Die Ermordung einer Butterblume und andere Erzählungen, 1913, édition bilingue chez Aubier-Montaigne, 1974, traduction de Philippe Ivernel, L’Assassinat d’une renoncule.
13 Son commentaire du Jeu lugubre est lui-même de 1929, cité avec le graphique correspondant par R. Deschames et Gilles Néret, op. cit., tome I, p. 143.
14 Sigmund Freud, Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1910, Ein Kinderheitserinnerung aus « Dichtung und Wahreit », Un souvenir d’enfance de « Poésie et vérité » de Goethe, 1917, Michel Philippon, Un souvenir d’enfance de Paul Valéry, Éditions Interuniversitaires, 1997, Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Paris, Denoël, 1975, rééd. Gallimard (L’Imaginaire), n 293, 1995.
15 Voir le début de la biographie de M. Etherington-Smith, p. 21 : « Salvador Dali est né deux fois. Salvador Dali père avait vingt-neuf ans lorsque vint au monde son premier fils, Salvador Dali, le 21 octobre 1901 à onze heures du matin. Ce premier Salvador mourut le 1er août 1903, à vingt et un mois. Le second Salvadaor naquit neuf mois six jours après la mort de son frère ». Et voir la note du docteur Hitschmann rapportée par Freud : « Le petit Goethe, lui aussi, n’a pas vu sans satisfaction mourir son petit frère » (dans Essais de psychologie appliquée, trad. Marie Bonaparte et Mme E. Marty, Paris, Gallimard, 1935, rééd. Gallimard (Idées), p. 155.
16 Michel Philippon, op. cit., p. 26, citant les Cahiers, Paris, Gallimard (Pléiade), tome I, 1935, p. 44. Ce troisième souvenir éclipse les deux autres signalés par M. Philippon : la chute de l’enfant dans le bassin aux cygnes, la robinsonnade dans la petite maison, qui pourrait figurer l’île qu’est pour Valéry son propre cerveau.
17 Salvador Dali 1904-1989, op. cit., p. 145.
18 Voir le texte de Dali cité ibid. à propos du Grand Masturbateur, p. 148.
19 Éd. citée, p. 117-118. J’ai fait deux corrections dans ce texte dont la publication a été malheureusement peu soignée.
20 Ibid., p. 159.
21 Ibid., p. 167.
22 Paris, Gallimard (L’Imaginaire), p. 168.
23 Voir M. Etherington-Smith, op. cit., p. 184-185.
24 Nouveau tirage du volume, 1978, p. 18-19.
25 Pindare, Néméennes, X, v. 103-113 : « Ils changent de résidence chaque jour, et vivent alternativement chez Zeus, leur père chéri, puis, sous les profondeurs de la terre, aux vallons de Thérapnes ; ainsi accomplissent-ils le même destin (potmon omoion), car Pollux l’a choisi, plutôt que d’être toujours un Dieu et d’habiter au ciel, après que Castor fut mort dans un combat. Irrité du rapt de ses bœufs, Idas l’avait blessé de sa lance d’airain » (édition bilingue d’Aimé Puech, Paris, Belles Lettres (CUF), 1923, rééd. 1967, p. 137-138).
26 Dali, « Léda atomica », anatomie d’un chef-d’œuvre, Denoël-Gonthier, Médiations n 166, 1980.
27 La Vie secrète de Salvador Dali, p. 248.
28 Pour plus de détails, voir M. Etherington-Smith, op. cit., p. 164 et suiv.
29 La Vie secrète de Salvador Dali, p. 61-62.
30 M. Etherington-Smith note le désir qu’il eut enfant d’être Napoléon, p. 29.
31 Der Wahn und die Träume in W. Jensens « Gradiva », 1907, traduction de Marie Bonaparte, Délire et rêves dans la « Gradiva » de Jensen, Paris, Gallimard, 1940, rééd. Gallimard (Idées). Une nouvelle traduction a paru chez Gallimard en 1986 sous le titre Le Délire et les rêves dans la « Gradiva » de Jensen.
32 Éd. citée, p. 25. Il convient de corriger la coquille « Ranck ».
33 Analyse terminée, analyse interminable, cité dans Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie. L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit (Critique), 1972, p. 152.
34 Edition bilingue de Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, Paris, Gallimard (Folio bilingue), n 16, 1991, p. 127.
35 Paris, Gallimard (Idées), p. 122.
36 Voir Journal d’un génie, p. 143-151.
37 Biographie citée, p. 258.
38 On trouvera ce texte sur Dali dans le tome II des Œuvres complètes d’André Breton, Paris, Gallimard (Pléiade), 1992, éd. de Marguerite Bonnet et alii, p. 1149-1155. L’histoire de la première édition, très compliquée, a abouti à un volume publié à Lyon par le Sagittaire, achevé d’imprimer du 10 juin 1940. Deux nouvelles éditions ont paru en 1950 et 1966.
39 Biographie citée, p. 139-140.
40 La très belle exposition Dali qui eut lieu à Venise à la fin de l’année 1996 le faisait apparaître clairement.
41 Voir « Méthode archétypologique : de la mythocritique à la mythanalyse », dans Gilbert Durand, Champs de l’Imaginaire, Grenoble, Ellug, 1996, p. 133-156, et voir l’orientation vers la mythanalyse du grand livre du même auteur, Figures mythiques et visages de l’œuvre, Paris, Berg International, 1979.
42 Lettre citée dans M. Etherington-Smith, op. cit., p. 158. Joan Sacs avait attaqué Dali dans le mensuel Mirador, le décrivant comme « souffrant des mêmes incohérences et des mêmes contradictions que les surréalistes, avec des réminiscences de lectures mal assimilée, une bonne dose de pédanterie et une méchanceté estudiantine ».
43 D’une question préliminaire de tout traitement possible de la psychose, 1955, rééd. Seuil, 1966, cité par M. Etherington-Smith, p. 170.
44 Visages cachés, éd. citée, p. 202.
45 Léda atomica, anatomic d’un chef-d’œuvre, p. 33-34.
46 Visages cachés, cité par M. Etherington-Smith, p. 273.
47 R. Descharnes et Gilles Néret, op. cit., tome I, p. 288.
48 Ibid., p. 288-299.
49 Cité par M. Etherington-Smith, p. 130.
50 Une saison en enfer, Bruxelles, imprimerie Poot, 1873 ; édition critique de Pierre Brunel, Paris, José Corti, 1987, p. 273.
51 Anthologie de l’humour noir, dans Œuvres complètes, éd. citée, tome II, p. 1151.
52 Raymond Roussel, Impressions d’Afrique, 1910, rééd. Jean-Jacques Pauvert, 1963, p. 104.
53 Les Chants de Maldoror, p. 159, Chant IV, strophe 2. Le passage était le premier des deux que retenait Breton dans son Anthologie de l’humour noir, p. 989-992, et le motif du rhinocéros y apparaît.
54 Cité par M. Etherington-Smith, op. cit., p. 182-183.
55 Dans le Dictionnaire des grands peintres dirigé par Michel Laclotte, Paris, Larousse, deux volumes, tome II, p. 567.
56 Op. cit., p. 197-198.
57 Préface de 1934 pour le catalogue à une exposition de la Galerie des Quatre Chemins, cité par M. Etherington-Smith, p. 247-248.
58 La Vie secrète de Salvador Dali, p. 99.
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