6. Rimbaud et la poétique de l’énigme
p. 127-152
Texte intégral
1Paul Zumthor, se proposant d’étudier la pratique de la composition abécédaire au Moyen Age, n’hésitait pas à écrire que « Les (belles-) lettres émanent de la lettre et techniquement tendent à s’y réduire ».1
2À deux moments bien différents de sa vie, Arthur Rimbaud a sollicité l’alphabet : dans le sonnet « Voyelles », révélé par Verlaine, qui l’avait recopié, quand il faisait place à son ancien compagnon dans la série Les poètes maudits en 1884 ; dans « H », la plus volontairement hermétique des Illuminations, poèmes en prose sauvés ainsi à la suite d’un étrange circuit, et publiés, avec des vers, en 1886 dans la revue La Vogue, puis en plaquette aux éditions de cette même revue.
3Je placerai entre ces deux textes la poétique rimbaldienne de l’énigme. Elle passe par une forme simple, celle de la devinette. Elle procède par rétention et par déploiement du sens. Elle s’incarne dans les figures allégoriques qui sont même parfois des figures mythiques.
Une devinette : « H »
4Parmi les « passantes mystérieuses » qu’on rencontre dans les Illuminations, – Henrika, Louise Vanaen de Voringhem, Léonie Aubois d’Ashby, Lulu, Hélène –, Hortense occupe une place à part. Non seulement l’identité que recouvre son nom nous échappe, mais encore l’initiale de ce nom, « H », est présentée par Rimbaud comme la clef d’une énigme, une clef qu’il ne nous livre pas. Car le bonimenteur ne se propose pas ici de « dévoiler tous les mystères » (« Nuit de l’enfer »), mais bien plutôt de voiler les réalités, de les transcrire en langage cryptique et d’en garder pour lui « seul la clef » (« Parade »).
5Rimbaud nous lance un défi : « trouvez Hortense ». Il était légitime que les exégètes y répondissent. Marcel-A. Ruff prétend qu’ils ont perdu leur temps à « proposer des explications incontrôlables » : « pourquoi ne pas avouer tout simplement que cette énigme et quelques autres restent, dans l’état actuel de nos connaissances, insolubles ? »2 Mais le poète ne voulait certainement pas nous inciter à élever un autel à ces mystérieuses passantes, comme le disait André Breton, et le plaisir de la lecture ne se confond pas avec la résignation, avec l’émotion éprouvée devant un « impénétrable mystère », comme le suggère Marcel-A. Ruff. La devinette, une fois posée, continue de nous tarauder.
6Je me proposerai moins ici de « trouve[r] Hortense » (encore que, je le répète, on ne puisse oublier le défi qui nous a été lancé) que d’analyser la devinette elle-même. Si mystère il y a, ce sera moins le mystère d’Hortense ou le mystère de la lettre H, que le mystère du texte intitulé « H », titre énigmatique pour un poème-énigme.
7Transmis dans les conditions mystérieuses que l’on sait, figurant dans le dossier que possédait Charles de Sivry et publié dès juin 1886 dans la revue La Vogue, le texte de « H » vient à la suite de « Bottom » sur l’un des feuillets appartenant actuellement à Pierre Bérès. Un fac-similé de ce feuillet a été placé par Henry de Bouillane de Lacoste en tête de son étude graphologique Rimbaud et le problème des Illuminations (Mercure de France, 1949). Si l’on reconnaît aisément l’écriture de Rimbaud dans « Bottom », il n’en va pas de même pour « H » : on pourrait opposer aux similitudes indiquées par Bouillane de Lacoste (les d à hampe droite, les f et les z bouclés) des différences qui ne sont pas moins frappantes (les S majuscules, en particulier). Une chose est certaine : la plume, sinon la main, a changé ; elle est plus fine ; les deux séparations avant et après « H » (un trait plusieurs fois barré) sont de la même plume. Associés sur la page, « Bottom » et « H » n’ont certainement pas été copiés au même moment.
8Le texte publié dans les différentes éditions est correct. Les points qui manquent après « amoureuse » et « action » peuvent être rétablis. Une seule surcharge (des sur pl) montre que le poète (ou le copiste) a failli écrire « à plusieurs époques ». « Novice » est au singulier ; mais c’est peut-être une négligence.
9Les commentateurs ont souvent interrogé le nom dont « H » est l’initiale : Hortense. Les résultats sont minces. Au xixe siècle, on songe évidemment d’abord à la reine Hortense de Beauharnais 1783-1837) : (fille d’Alexandre et de Joséphine de Beauharnais, donc belle-fille de Napoléon Ier, épouse de Louis Bonaparte et reine de Hollande, elle est la mère de Napoléon III et par là son souvenir a pu rester vivace. Mais cette identification ne conduit à aucune explication satisfaisante : tout au plus peut-on noter qu’une sorte de destin masturbatoire semble peser sur la famille impériale, à condition qu’on admette cette interprétation pour « H », et qu’on l’admette aussi pour le faux coppée « L’Enfant qui ramassa des balles », évocation satirique du prince impérial.
10Qu’Hortense (Hortensius), l’orateur romain rival de Cicéron, ait écrit des vers licencieux ; qu’Hortense Lepaute, l’épouse d’un célèbre horloger parisien du xviiie siècle, ait reçu l’hommage de l’hortensia, à elle dédié par Commerson, tout ceci ne nous avance guère, et même pas du tout.
11Voici en revanche une piste plus sérieuse ouverte par Jean-Luc Steinmetz3 : dans les Illuminations, on trouve une « série de femmes (dispersées-rapprochables) dont le prénom commence par un H – comme maints personnages commençant par M chez Lautréamont. Henrika dans Ouvriers, Hortense dans H, Léonie Aubois d’Ashby dans Dévotion, Hélène dans Fairy ». Toutes ces femmes ont pour caractéristique commune d’être mystérieuses et quasi mythiques : « il n’y a de bonheur promis avec une femme que si elle rejoint la place dévolue aux entités métaphysiques, aux Génies. La possession peut avoir lieu, être mentionnée. Dans ce cas, elle sera plus ou moins mythologique, impensable, fabuleuse (digne d’un conte) ». Elle sera la « Dame », la « Reine », et pourquoi pas la « Sorcière», ou la « Vampire ».
12Jean-Luc Steinmetz fait un rapprochement judicieux entre le statut de la lettre H et le statut de la lettre L dans les Illuminations. On peut même aller plus loin dans ce sens. Initiale graphique de Léonie, de Louise, de Lulu, L est encore l’initiale sonore d’Hélène (LN). Mieux : c’est l’équivalent d’« Elle », autre désignation de l’étrange créature féminine qui passe et repasse dans les Illuminations (« Angoisse », « Métropolitain »),
13H peut aussi être considéré comme l’indice de la féminité. On peut retenir la remarque qu’a faite Jean Richer4 – sans d’ailleurs l’appliquer à ce texte-ci : H n’existe pas en grec. Son équivalent est l’esprit rude, qui signale une aspiration. Mais le signe existe : c’est le bêta majuscule (« n, H), c’est l’article féminin (n).
14Initiale d’un nom de femme, H est aussi l’initiale de mots qui figurent dans le texte : « hygiène », « hydrogène », – sans parler de ceux qui n’y figurent pas (« harmonie », « habitude »). Steinmetz, qui fait encore cette remarque, note que « le texte même semble être plus ou moins inséminé par la lettre ». Il est donc légitime de l’envisager, non plus comme signifiant, mais comme signe graphique (rapport établi entre deux droites parallèles faites pour ne jamais se rencontrer) et comme base pulsionnelle d’une phonation : « l’une des caractéristiques de la consonne H est qu’elle est purement scripturale – imprononçable en soi. Pourtant, à mettre en rapport avec le rythme respiratoire, le souffle. Le souffle, la voix dans la chaîne des objets partiels sont également des substituts, des valences de l’objet a ». Et c’est bien comme voix (« la voix féminine arrivée au fond des volcans et des grottes arctiques ») que se manifeste la présence féminine dans « Barbare ».
15Jouant sur une lettre, « H » est dans le sillage d’un projet ancien : celui que Rimbaud exposait à Paul Demeny dans la seconde lettre du Voyant, le 15 mai 1871, (« Trouver une langue. [...] Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! »), celui dont la réalisation ouvrait l’histoire d’une de ses folies, « Alchimie du verbe » (« J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne [...] »). Le sonnet « Voyelles » ne conduit plus seulement vers un emblème de la femme mystérieuse (« Ô l’Oméga, rayon violet de Ses yeux ! ») ; il engage le poète vers la folie, vers sa folie, – comme les faibles, comme nous si, répondant à son défi, nous nous employons à chercher Hortense à partir de la lettre H. Folie partagée. Ou mieux : folie transférée.
16H correspond, comme nous le rappelle Jean Richer, au chiffre VIII, à l’arcane VIII du tarot et à la Balance. « Vision de la justice », comme dans l’« Adieu »d’Une saison en enfer. Vision peut-être surtout de la Création. On songe à la cosmogonie du Sefer Jetzirah et du Zohar :
... quand les lettres commencèrent d’apparaître, le monde fut créé et quand elles s’assemblèrent à l’intérieur du monde, le monde fut établi. Cet aspect du monde, qui suppose l’équilibre, est représenté par la Balance.5
17Si l’ensemble des Illuminations nous présente une reprise (peut-être à rebours, peut-être ironique) du mythe cosmologique, « H » s’inscrit dans cette vision (ou dans cette révision).
18H n’est-il pas et l’initiale et le symbole chimique d’un élément qui se trouve nommé à la fin du texte : l’hydrogène ? Jean Richer croit pouvoir traduire « l’hydrogène clarteux » par l’eau. « Il s’agit », dit-il, « d’une référence facétieuse au fait que l’eau est une combinaison d’hydrogène et d’oxygène ».6
19Le chiffre rejoint alors la lettre. L’inconvénient est qu’un des mots en « h » du texte se trouve privilégié. Il paraît pourtant second par rapport à « Hortense », qui bénéficie et de la capitale, et de la répétition, et de la mise en valeur finale, ou par rapport à « hygiène », mot placé dans la seule phrase où tende à s’établir une équivalence. La seule explication satisfaisante serait celle qui rendrait compte de la présence dans le même texte de trois mots pourvus de cette initiale. Or apparemment « Hortense », « hygiène » et « hydrogène » n’ont d’autre point commun que cette première lettre.
20La relation dans laquelle se trouvent ces mots doit moins à la série alphabétique du dictionnaire qu’au texte qui les réunit et donc à son auteur. L’initiative, qu’on pourrait être tenté d’abandonner aux mots, a appartenu au poète, ce chiffreur. Le lecteur est placé en situation de devineur. Le critique, qui veut découvrir la raison d’être du texte, cherche à quitter momentanément la situation de lecteur pour se placer du côté de l’auteur. Le chiffreur est celui qui sait, comme l’a fait justement observer André Jolies quand il a analysé la « forme simple » de la devinette.7
21Du côté du lecteur, « trouvez Hortense » est ressenti comme irritant et doit faire prendre conscience d’un non-savoir humiliant. Du côté de l’auteur, c’est l’affirmation d’une supériorité, celle-là même qui éclate à la fin de « Parade ». Est-ce à dire que Rimbaud cherche seulement à créer un état de malaise et d’insatisfaction pour lui opposer son aisance de danseur (voir « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse », deuxième texte du feuillet 12 des Illuminations), son orgueil de savant (voir «Enfance [IV] », « Vies [II] ») ?
22André Jolies fait observer que le chiffreur n’est pas nécessairement solitaire comme le démiurge ou comme la Sphinx. « Dans la devinette», écrit-il, « on pose [...] une question afin d’examiner si le questionné possède une certaine dignité et, une fois la réponse donnée, la question prouve que le questionné a cette dignité »8 Le questionneur appartient à un groupe. Le questionné aura le droit de rejoindre ce groupe, s’il trouve la solution. La devinette a la vertu d’une énigme initiatrice.
23Cette constatation pourrait permettre de récupérer une explication qui a été avancée plusieurs fois, en particulier par Yves Bonnefoy dans l’essai intitulé Rimbaud par lui-même.9 « H » désignerait le haschisch. Le groupe auquel la réponse juste à la devinette permettrait de s’agréger serait ce que Théophile Gautier appelait « le club des haschischins ». Trouver Hortense autoriserait l’initié à entrer dans « le temps des Assassins, c’est-à-dire des Haschischins, annoncé à la fin de « Matinée d’ivresse », autre illumination que Jean-Pierre Richard ou Yves Bonnefoy interprètent par la drogue. Le « poison », qui n’ose pas dire son nom dans « Matinée d’ivresse », ne serait même plus désigné comme tel dans « H ». À une désignation métaphorique se substituerait, plus mystérieuse encore, une désignation elliptique. Utilisé dans un passé lointain (le Vieux de la Montagne), à des époques nombreuses », et de nouveau à l’époque moderne (Rimbaud peut connaître le Poème du haschisch de Baudelaire), le haschisch a passé pour porteur de vertus thérapeutiques, hygiéniques, – si l’on veut bien prendre ici « hygiène » dans cette acception. L’inconvénient est que la désignation cavalière à laquelle nous recourons instinctivement aujourd’hui (le « hasch ») constitue un anachronisme, ce qui affaiblit considérablement une semblable hypothèse.
24Cette hypothèse, Albert Py, dans son édition critique des Illuminations,10 l’a présentée conjointement avec celle qui semble avoir la préférence des exégètes. Pour lui, en effet, la pratique du haschisch pourrait être, dans l’expérience de Rimbaud, étroitement associée à celle de l’homosexualité. Antoine Adam, en ne gardant que le second terme, a insisté sur l’alternative de la « passion » et de l’« action » dans la cinquième phrase et sur le possible rapprochement avec un poème de Verlaine, publié en 1889 dans Parallèlement (« Ces passions qu’eux seuls nomment encore amour »). Il suffit de relire les pièces connues du dossier réuni pour instruire le procès de Verlaine : la distinction était alors bien connue. A la désignation elliptique du haschisch il conviendrait donc d’ajouter ou de substituer une désignation pudique de l’Homosexualité par sa lettre initiale. Il faudrait aussi supposer l’existence dans les faits ou du moins dans la conscience de l’époque d’un autre club, ou d’une autre secte d’initiés à la sodomie.
25Dès 1936 Etiemble et Yassu Gauclère proposaient une autre clef de l’énigme : la masturbation.11 Cette solution paraissait tout à fait satisfaisante pour la seconde phrase :
Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse.
26Elle semblait confirmée par le fait historique que cette pratique a été considérée comme hygiénique en Inde, par exemple. André Guyaux a ajouté un argument fondé sur la comparaison de « H » avec le coppée inscrit en 1872 dans l’album de Félix Régamey, « L’Enfant qui ramassa les balles ».12 La « solitude », qui appelle la « lassitude » dans « H », rime avec l’« Habitude » dans le di2ain. De là à identifier Hortense avec cette Habitude-là, il n’y a qu’un pas, et André Guyaux n’a pas hésité à le franchir. Des difficultés demeurent cependant : l’image du « sol sanglant », par exemple, qu’expliqueraient bien mieux des « amours novices » avec une des « alertes fillettes » évoquées en 1870 dans « A la musique». L’idée d’un club des solitaires étant évidemment absurde, il faudrait se rallier à celle d’une société non constituée, d’une communion dans la marginalité.
27Ces explications par la sexualité mettent en avant le masculin quand le mot de l’énigme est féminin (« Hortense »). La transposition – celle d’Albert en Albertine – est d’un usage trop fréquent pour que ce travesti onomastique soit tout à fait impossible.
28On comprend toutefois que certains commentateurs, comme André Rolland de Renéville, aient songé à la prostitution, et en particulier à la prostitution sacrée telle qu’elle était encore évoquée par Baudelaire dans « Un voyage à Cythère ». S’il faut revenir à la reine Hortense, Victor Hugo la présentait dans Les Châtiments comme « une mère publique » qui d’un « père inconnu » a fait un « fils apocryphe », – le futur Napoléon III.
29Plus généralement, je rappellerai que la femme est considérée comme une énigme. Ernestine von Fricken, la jeune fille aimée, devient « Sphinx » dans le Carnaval opus 9 de Robert Schumann. La femme-Beauté est dans Les Fleurs du Mal un « sphinx incompris ». Et Kierkegaard écrit dans le Journal d’un séducteur :
Elle était une énigme qui énigmatiquement possédait sa propre résolution, un secret, et que comptent bien tous les secrets des diplomates contre celui-ci ? contre cette énigme ? et quel mot est aussi beau que celui qui la résout ?13
30Qu’on se rassure ! Je n’ai pas l’intention d’ouvrir, à propos de « H », un débat analogue à celui que suscita jadis l’explication par Robert Faurisson du sonnet des « Voyelles ». Je voudrais plutôt faire observer des faits qui introduisent à une « poétique de l’énigme». « Hortense » ne saurait être la clef de l’énigme. Au même titre que « H », elle est chargée de présenter l’énigme, de poser la question implicite dans l’énoncé de la devinette. Le « geste verbal » est le même. Seule diffère la « langue spéciale »14 : dans le cas de « H », c’est une cryptophasie qui se contente de l’indice de l’initiale15 ; dans le cas de « Hortense », c’est une langue métaphorique où le nom propre désigne quelqu’un d’autre ou autre chose, comme l’oiseau peut désigner le Soleil dans les devinettes du Rig-Veda étudiées par Porzig ou comme Ilo désigne la peau du chien dans les énigmes d’Ilo recueillies par Wossidlo.16
31Or il semble remarquable que ces deux modes de la présentation énigmatique soient requis, non seulement dans « H », mais dans d’autres poèmes en prose des Illuminations. Aux remarques de Jean-Luc Steinmetz sur « L », citées plus haut, il faut ajouter des désignations vagues : « Madame *** établit un piano dans les Alpes » (« Après le Déluge »), « ma dame » (« Bottom »), « A madame *** » (« Dévotion »). Il convient de rappeler aussi ces prénoms féminins : Henrika (« Ouvriers »), Amélie (« Veillées[II] »), Hélène (« Fairy »), sans compter les « mystérieuses passantes » de « Dévotion », Louise Vanaen de Voringhem, Léonie Aubois d’Ashby, Lulu et Circeto. Nadja pour André Breton, Nana dans Le Paysan de Paris de Louis Aragon auront d’abord à suggérer le mystère de la femme. Pour eux comme pour Rimbaud, la femme par laquelle est présentée l’énigme est déjà par elle-même énigmatique. En d’autres termes, trouver la solution constituée par Hortense, ce serait d’abord trouver la solution constituée par Hortense en tant que figure de la féminité.
32Or cette énigme est presque constamment présente dans les Illuminations : c’est « la Reine, la Sorcière » d’« Après le Déluge », « l’idole », « la fille à lèvre d’orange » d’« Enfance [I] », la « mère de beauté » de « Being Beauteous », la femme superbe de « Royauté », la « camarade, mendiante, enfant monstre » de la troisième des « Phrases », la déesse d’« Aube », la Vampire d’« Angoisse », « Elle » dans « Métropolitain », la « voix féminine » dans « Barbare ». Si l’énigme prend forme de baleine dans le Moby Dick de Hermann Melville, elle prend forme de femme dans les Illuminations. Je ne chercherai pas à aller au-delà de cette constatation, qui peut évidemment servir de point de départ à des interprétations psychanalytiques. Trouver Hortense reviendrait à tenter de découvrir la relation secrète de Rimbaud et de l’imago féminine. Placée à la suite de « Bottom » sur un feuillet du manuscrit, « H » en serait bien le complément.
33Dans Le Paysan de Paris, Nana ne représente pas seulement le mystère de la femme. Elle se définit elle-même comme « l’idée de temps », « le goût même du jour ».17 Elle est inséparable des notions énigmatiques chez les Surréalistes de « mystère moderne », de « mystérieux sens moderne », de « merveilleux moderne ». Ces considérations sont indispensables pour comprendre la conception surréaliste d’une modernité de Rimbaud et les commentaires que « Dévotion » a inspirés à André Breton.
34Je me méfie un peu de ce qu’on a appelé la modernité de Rimbaud. Quand, dans l’« Adieu » d’Une saison en enfer, il proclame : « Il faut être absolument moderne », c’est dans le contexte d’un rejet des évangiles et des cantiques. Dans « H » Rimbaud va bien d’un passé (« elle a été ») à un présent (« la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action »). Mais cette actualité semble ne devoir être qu’une actualité morale assez peu clairement définie. De toute façon, Rimbaud ne s’est nullement proposé de découvrir la poésie du monde moderne, et la déesse d’« Aube » n’est pas – je cite encore Aragon – « une divinité nouvelle qui se précipite dans ces modernes Éphèse comme, au fond d’un verre, le métal déplacé par un acide ». La poésie des Illuminations est bien plutôt celle d’une nouvelle Création spasmodique dont l’imagination est le principe et dont le langage est l’instrument.
35Je me défie aussi d’une interprétation allégorique qui serait réductrice et abolirait tout mystère dans cette page qui doit en rester pleine. Hortense ne sera donc pas pour moi la poésie plus que la masturbation ou que la prostitution. Du moins peut-on faire quelques suggestions qui invitent à dépasser les traductions précédentes sans nécessairement les exclure.
36Hortense se présente comme une passante, dans « H », telle la passante de Baudelaire dans « A une passante » ou dans « Le Désir de peindre ». Pour Rimbaud comme pour Baudelaire, l’artiste connaît une souffrance heureuse, celle du « désir » qui « déchire ». Ce désir suscite en Baudelaire une troublante rêverie. En Rimbaud il déchaîne un orchestre intérieur, une « fanfare atroce » (« Matinée d’ivresse »). L’adjectif reparaît dans la première phrase de « H » et dans une séquence métaphorique qui n’est plus musicale, mais théâtrale, ou du moins spectaculaire : « Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d’Hortense ».
37Curieusement le geste, qu’on attendrait comme agent, est passif, mû par des forces énormes qui le rendent atroce. Ces monstruosités sont celles du désir – au sens le plus large du terme – qui brise la norme, qui impose sa violence. Le poème s’ouvre donc sur une éruption, mais sur une éruption forcée. Le rapprochement s’impose avec « Being Beauteous », mais l’expression est contenue dans une seule phrase beaucoup plus serrée, tendue par un fil consonantique fortement allitéré.
38Je veux bien qu’Hortense laisse à deviner un acte sexuel, et peut-être le pénis lui-même, que la langue argotique ou familière désigne plus volontiers par des substantifs féminins. Mais les mouvements, les transformations du sexe, tributaires de la mobilité du désir, peuvent entretenir un rapport d’analogie avec l’invention poétique, avec le désir de peindre ou d’écrire. Ce désir n’est autre que « la dynamique amoureuse », et il n’est pas besoin qu’elle se déploie pour qu’on la perçoive. Elle est virtuelle dans une attente, une « lassitude » qui peut être conçue comme fin, mais aussi comme prélude à un recommencement. La deuxième phrase de « H » joue avec l’alliance des contraires, avec les parallèles sonores (les deux premiers) ou sémantiques (le dernier) :
Sa solitude est la mécanique érotique,
sa lassitude la dynamique amoureuse.
39Le glissement des termes fait apparaître la première définition (« la mécanique érotique ») comme péjorative par rapport à la seconde (« la dynamique amoureuse »). Comme l’amour, l’expression poétique passe par la présence de l’autre au lieu de rester confinée « dans une âme et un corps » (« Adieu » d’Une saison en enfer).
40L’« enfance » sera rapprochée de la pédérastie par les commentateurs qui choisissent cette solution pour la devinette. Elle peut être considérée sinon comme le temps d’une sexualité absente (Freud a bien montré qu’il existât une sexualité infantile), du moins comme un âge d’innocence sexuelle. L’enfant est surveillé ; il ne surveille pas. Comme la première phrase, la troisième opère donc un renversement :
Sous la surveillance d’une enfance elle a été, à des époques nombreuses, l’ardente hygiène des races.
41Un tel renversement est fréquent dans les représentations de l’âge d’or, et Rimbaud nous renvoie bien ici à un passé d’Hortense. Dans les Illuminations les enfants (le « rire des enfants » dans «Matinée d’ivresse ») ou l’enfance (« l’enfance étrange » dans « Guerre ») ont une fonction de témoins. Mais l’enfance est aussi l’absence de parole (infantia), le degré zéro de la parole d’où l’on peut assister au déploiement de la parole poétique, connue des plus anciennes civilisations à des fins propitiatoires (l’invocation sumérienne aux dieux de la nuit) ou cathartiques (les textes des pyramides). La devinette, dans ces anciennes littératures (le Rig-Véda), est le genre privilégié pour l’alliance du dit (l’énoncé de la devinette) et du non-dit (la solution absente). Utilisée à des fins euphémistiques (en particulier quand il s’agit d’exprimer sans le dire le nom de Dieu), elle est une parole surveillée par une « enfance » qui connaît les limites de la parole. Une telle contrainte, loin de l’étouffer, attise le désir de parler, augmente son ardeur.
42Pas plus que le plaisir érotique, le plaisir de la parole n’est réservé à une élite. Le Râmâyana a été diffusé jusque dans les milieux les plus humbles. Et la tradition bucolique confie à de simples bergers la joute poétique, le chant amébée. Ce divertissement est une manière de « porte [...] ouverte à la misère ».
43Du temps des commencements, qui est le temps mythique par excellence, comme l’a montré Mircea Eliade, Rimbaud vient au temps actuel. Une sorte de bégaiement du texte, ici peu mélodieux (« Là, la moralité »), rend sensible la difficulté du passage. On est en droit de parler de décadence même si le mot, déjà utilisé par Baudelaire, n’est pas encore en vogue. À la métaphore de la décadence Rimbaud préfère celle, plus rare, de la décorporation : affaiblissement de la chair par la distinction de la passion et de l’action ; affaiblissement de la parole poétique tiraillée entre ce qu’il appelait en mai 1871 la « poésie subjective » et la « poésie objective ».
44La littérature ne serait-elle plus soutenue par le même désir et, à cause de cela, s’affaiblirait-elle comme l’érotique moderne ?
45La ponctuation (point/tiret) marque, comme cela arrive souvent dans les Illuminations, à la fois une rupture et une continuité. Après l’évocation de la décadence, l’invocation « Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux ! » est moins le rappel d’une image nostalgique qu’un appel à se ressaisir. Je vois moins dans ce « frisson des amours novices » les émois vaguement impudiques de la communiante (« Les Premières Communions ») que les frissons qui parcourent le monde entier pour la naissance et l’enfance d’Hélène (« Fairy »). Réunissant cette fois le passé et le présent, le mythe (les Érinyes naissant du sol sanglant) et la science (« l’hydrogène clarteux » ; voir « la lumière qu’on a créée », à la fin de « Villes » – « L’acropole officielle »), le texte ranime la force mystérieuse du désir et promeut son nouvel accomplissement.
46La fonction de la devinette n’est-elle pas précisément de ranimer ce désir ? Une sexualité affaiblie a trouvé dans la solution scabreuse je ne sais quel aiguillon. Mais surtout, en laissant le sens à deviner, en ne donnant au lecteur, au devineur, d’autre satisfaction que son insatisfaction même, le poète-chiffreur maintient cet état de désir. Hortense, cette passante, repasse. « Trouvez Hortense », question durcie en un ordre, impose la tension d’une recherche non seulement pour « H », mais pour l’ensemble des Illuminations.
47La formule finale clôt le texte. Elle contribue à l’organiser en un système fermé par le rappel d’Hortense (la première phrase s’achevait sur ce nom) et, au-delà d’Hortense, de son initiale H (le titre). L’interprétation allégorique accentue encore cette clôture. Énigmatique, le texte n’aurait d’autre fonction que de dire son énigme même. André Jolies a défini la devinette comme « la forme qui montre la question ». « H » nous exhibe l’énigme et nous dit sa nécessité. Illustration d’une poétique de l’énigme, le poème en prose prend l’aspect d’un art : poétique.
48Mais « trouvez Hortense » continue d’ouvrir sur des possibles. L’erreur des commentateurs est certainement de ne retenir qu’un de ces possibles, de considérer que la réponse est présente dans la devinette et par la devinette. André Jolles réaffirme qu’une devinette insoluble n’est pas une devinette. Mais en cela « H » dépasse la forme simple qu’il a analysée. Que pourrait être une semblable devinette pour celui qui invitait à entendre ses textes « littéralement et dans tous les sens » ? Attribuée, fabuleuse peut-être, cette parole de Rimbaud trouve dans les Illuminations une constante confirmation.
49Si « H » doit n’être qu’une devinette scabreuse, comme l’ont cm à peu près tous les commentateurs, on est obligé de reconnaître, si l’on en juge par la multiplicité des réponses, que c’est une devinette scabreuse à plusieurs solutions. Le recueil des Rätsel de Richard Wossidlo montre d’ailleurs combien les devinettes de ce genre sont nombreuses. Elles ont une solution anodine quand la compagnie est féminine, et moins anodine quand la compagnie est masculine. Elles mettent en œuvre la « langue spéciale » de la sexualité, ancienne et universelle.18
50Si « H » n’est pas seulement une devinette scabreuse, une autre interprétation peut venir s’ajouter aux autres, qui ne l’excluent pas. Hortense est la parole poétique comme lieu d’un mystère. Elle est le sens absent-présent du poème, celui qui toujours « manque à notre désir ».
Le sens retenu, le sens déployé
51Vouloir réduire la poésie de Rimbaud à une poésie du non-sens, c’est en quelque sorte perpétuer l’erreur des premiers éditeurs de la lettre à Izambard du 13 mai 1871 qui imprimèrent « Ça ne veut rien dire » à la place de « Ça ne veut pas rien dire ». Cette remarque de Rimbaud suit le seul poème de lui qu’il donne dans cette lettre, le seul échantillon de son art poétique nouveau, « Le Cœur supplicié». Assurément il refuse le non-sens et assure qu’il y a du sens, sans nous dire pour autant quel est ce sens.
52Dans les premiers poèmes de Rimbaud, ce sens reste dans le cadre d’un discours poétique, progressivement libéré. Mais 1871 n’est qu’une étape, décisive, dans cette libération, dont « À une Raison» ou « Génie » dans les Illuminations sont le terme avant l’entrée dans le silence. Le discours veut céder la place à la « décharge », au « dégagement »...
53Le lettré chinois Wang Fuzhi, au xviie siècle, donnait une belle définition du sens comme Vent :
Introduire un discours raisonné au sein d’un poème va à l’encontre de la nature de la poésie. C’est seulement en instaurant du sens comme Vent que le poème peut susciter un discours raisonné.19
54Rimbaud, comme il a proposé un nouvel amour et une nouvelle harmonie, pourrait inaugurer le temps d’une nouvelle raison, – d’une nouvelle raison poétique.
55« Ça ne veut pas rien dire », mais « ça veut dire quoi ? ». En éludant la réponse à la question qui demeure implicite dans son affirmation même, Rimbaud retient le sens. Il attise la curiosité, il se dérobe à l’interrogation. Cette attitude est nouvelle chez lui en mai 1871. Les premiers poèmes qu’il avait présentés à Théodore de Banville, le 24 mai 1870, devaient être « du printemps ». Ils en avaient la fraîcheur. Ils en avaient aussi l’évidence. Les poèmes du Recueil Demeny, réunis à l’automne 1870, n’ont rien non plus d’énigmatique. Tout au plus arrive-t-il qu’ils fassent apparaître une énigme dans la parole ou le comportement d’un tiers personnage, tel Napoléon III dans « Rages de Césars » :
Il est pris. – Oh ! quel nom sur ses lèvres muettes
Travaille ? Quel regret implacable le mord ?
On ne le saura pas. L’Empereur a l’œil mort.
56Mais Napoléon III n’est en rien, on s’en doute, une figure allégorique du poète.
57Rimbaud se refuse à chercher le mot de l’énigme. Il ne nous invite pas davantage à chercher le mot de ses énigmes. La lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871 montre clairement qu’il n’a pas le pouvoir de maîtriser son propre sphinx. La formule « Je travaille à me rendre voyant », énigmatique pour les autres, est déjà énigmatique pour lui-même. « Vous ne comprendrez pas du tout », dit-il à son ancien professeur, « et je ne saurais presque vous expliquer ». Comment pourrait-il en être autrement quand la poésie n’est pas le produit d’un « je pense », mais le lieu d’un « on me pense ». Inconscients sont ceux qui se croient conscients, et ils ne méritent que le mépris, pour « ergot[er] sur ce qu’ils ignorent tout à fait ». La lettre à Demeny du 15 mai confirme la naissance du verbe dans un lieu de ténèbres et le refus d’une poésie qui se réduirait à « la pensée chantée et comprise du chanteur ».
58Izambard ne se trompait sans doute pas quand il croyait se rappeler un rapport entre « Le Cœur supplicié » et la page célèbre de Montaigne sur la Pythie vomissant les oracles d’Apollon. L’oracle est bien ce qu’on ne comprend pas et ce qui pourtant ne veut pas rien dire. C’est le « parler par énigmes » que les Grecs révéraient et redoutaient à la fois. Œdipe s’y est trouvé confronté, et avant de rencontrer la Sphinx, et bien longtemps après avoir répondu à sa question ou à ses questions. Rimbaud en reprend très nettement le paradigme d’une manière beaucoup plus nette au début de «Mauvais Sang » dans Une saison en enfer :
C’est très certain, c’est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire.
59Très exactement, il se met à la place de la Pythie. Il comprend, non pas l’oracle, mais qu’il parle lui-même par oracle. Cette parole oraculaire est aussi certaine qu’elle est obscure.
60Est-ce à dire qu’il n’est qu’un truchement de l’autre, du on ? Rimbaud hésite à cet égard entre un obscurantisme poétique et un hermétisme qui en serait exactement le contraire. Obscurantisme poétique, c’est-à-dire état d’un poète qui se débat avec la parole obscure dont il est chargé : il craint de la trahir (« ne sachant m’expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire »), il peut craindre aussi de ne plus savoir parler (Une saison en enfer, « Matin »). Hermétisme poétique, au contraire : l’assurance de qui se croit le maître du secret. Cette attitude nouvelle apparaît à plusieurs reprises dans les Illuminations, en particulier dans deux textes qui méritent assurément d’être mis en parallèle : « Parade » qui s’achève par « J’ai seul la clef de cette parade sauvage » ; et, bien sûr, « H », conduisant à « trouvez Hortense ». Qu’il s’agisse dans un cas de la revendication orgueilleuse d’un privilège, dans l’autre cas d’un défi lancé à l’autre, Rimbaud continue de retenir du sens dont il n’est sans doute plus seulement le détenteur, mais l’inventeur. Être voyant, c’était « rapport[er] de là-bas » quelque chose, on ne sait quoi, on ne doit savoir quoi. Mais le poète des Illuminations veut être un inventeur. Le mot apparaît dans « Vies [II] », accompagné à nouveau de la métaphore de la clef :
Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé ; un musicien même, qui a trouvé quelque chose comme la clef de l’amour.
61Il y a certainement dans les formules précédentes quelque chose de ce détachement dont parle Julien Gracq : « Le besoin d’être à la fois acteur et spectateur, de prendre du recul, de se détacher constamment de ce qu’on fait, en même temps qu’on le fait ».20 Mais je ne vois rien de triomphal, ou du moins de définitivement triomphal dans cette attitude. Rimbaud est dans l’attente du «dégagement rêvé », et l’« illumination » se produit quand il croit, très fugitivement, que ce dégagement a lieu. Le lecteur se trouve alors pris dans un étrange dilemme : doit-il épouser l’obscurité d’où sort et où rentre le poème, ou doit-il s’efforcer de prolonger le dégagement pour atteindre la clarté du vers ? Dans ce cas il serait tenté par une lecture des ténèbres. Dans l’autre cas, il aurait l’ambition d’atteindre à la vérité. En d’autres termes il se trouve pris entre la gnose et la glose. Mais la vérité de la lecture de Rimbaud se trouve sans doute ailleurs.
62Je définirai la gnose comme le recours à l’obscur pour rendre compte de l’obscur. J’en trouve un exemple net dans ce commentaire que Jacques Gengoux a proposé de « Voyelles » en s’aidant de la symbolique des couleurs chez Eliphas Lévi. Du noir au rouge, donc de A à I, on aurait la « vie ascendante ». Du rouge au noir, – qui serait alors le bleu-violet, le O, l’oméga, la vie absorbée redescendrait. Gengoux n’a eu recours à la gnose que pour proposer une glose. C’est bien une « explication » qu’il veut donner, une clef, la clarté par l’obscur.
63Or, le poème ne se présentait pas comme une énigme. La majuscule de « Ses Yeux » indique clairement qu’il ne s’agit pas des yeux d’une femme, mais du regard de Dieu. Le problème n’est donc pas ici l’identification, mais l’utilisation de la référence à l’Apocalypse de saint Jean. Rimbaud a été le premier commentateur de ce poème, et le plus sûr, dans « Alchimie du verbe ».
64« J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert ». Le changement intervenu dans l’ordre des voyelles rend plus fragile encore le commentaire de Gengoux. Rimbaud se présente déjà comme l’inventeur de quelque chose qu’il ne comprend pas. Il renvoie à plus tard une explication que, pour l’instant, il se sent incapable de donner :
... voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
65« Voyelles » est un poème de 1871, postérieur on ne sait de combien, mais d’assez peu aux deux lettres de mai. Et dans la lettre du 15 mai à Paul Demeny, Rimbaud restait cohérent avec lui-même dans son refus de penser la lettre, la voyelle, la première voyelle A comme il refuse de penser la chanson, le poème : « Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite mer dans la folie ! » Sans doute l’important est-il d’insister, de « trouver une langue », mais l’invention passe par le déjà-là, par le mystère de l’invention précédente du langage, de la naissance des voyelles.
66Ce qui est retenu, dans « Voyelles », c’est moins le sens qu’une connaissance qui le fonde, que le poète n’a pas et pour laquelle il demande un délai.
67La glose sera plus précisément définie comme la réduction du texte énigmatique à un sens, et à un seul. L’interprétation érotique de « Voyelles » (Robert Faurisson), le commentaire du « Cœur supplicié » par le viol qu’aurait subi Rimbaud à la caserne de Babylone (colonel Godchot), celui de « Parade » comme parodie du culte catholique (Antoine Adam), celui de « H » par la masturbation présentent tous cette même caractéristique. Négligeant la parole prêtée à Rimbaud au sujet d’Une saison en enfer, « ça veut dire ce que ça veut dire, littéralement et dans tous les sens », on ne se soucie en général ni de la lettre ni des autres sens possibles.
68Je pense à la réplique de Julien Gracq. « Que dire à ces gens qui, croyant posséder une clef, n’ont de cesse qu’ils n’aient disposé votre œuvre en forme de serrure ? » Certes Rimbaud lui-même a été le premier à utiliser la métaphore de la clef. Mais en affirmant qu’il a seul cette clef, il décourage à l’avance tous ceux qui arrivent avec la leur. Mario Matucci a fait observer à juste titre que les diverses hypothèses interprétatives pour « Parade », loin de rendre plus claire la dernière phrase, « J’ai seul la clef de cette parade sauvage », la privent complètement de sens. Je dirai plus nettement encore : le sens retenu des deux premiers alinéas de « Parade » (c’est-à-dire de la description de cette parade proprement dite) fonde la nécessité du dernier alinéa, donc le poème en prose tout entier, la parade pouvant être celle de l’inventeur qui fait parade de ses inventions. Si le sens des figures est retenu, le poème veut dire que l’invention est le domaine réservé de l’inventeur.
69Il n’en va pas différemment dans « H » dont la formule finale, « trouvez Hortense », est un défi lancé au lecteur. Le gloseur cherche à quitter momentanément la vibration du lecteur ignorant pour se placer du côté de l’auteur savant, du chiffreur (le chiffreur étant celui qui sait, comme l’a justement fait observer André Jolies quand il a analysé la « forme simple » de la devinette).
70Mais Rimbaud se considérait-il comme chiffreur ? Le poète-voyant vient de l’Inconnu. Il est voleur d’un feu qu’il n’a pas allumé, qu’il n’a pas inventé. Le gloseur aurait donc la prétention d’être plus savant que lui. Dans Une saison en enfer Rimbaud, qui croit avoir trouvé une clef (*****, « La charité est cette clef ») en vient à douter de cette clef-même (« Adieu » : « Suis-je trompé ? La charité serait-elle sœur de la mort pour moi ? »). À vouloir placer Une saison en enfer sous le signe de l’« entreprise de charité », on fige le texte dans une interprétation que l’auteur lui-même a présentée comme flottante. Dans les Illuminations, Rimbaud se donne volontiers ce rôle du chiffreur. Il met en garde contre l’impossible (« Parade ») ou la difficulté (« H ») du déchiffrement. Mais n’est-ce pas un masque qu’il prend parfois parmi tant d’« élan[s] insensé[s] » (« Solde ») ? Viol d’un secret, la glose aurait encore le tort de ne considérer que comme énigme une poésie qui déborde l’énigme de toute part.
71Comment lire Rimbaud sinon en suivant cet « élan insensé » ? « Génie », célébration du texte quasi testamentaire, célébration du « dégagement rêvé », le suggère avec une telle force qu’il est difficile d’y résister.
72Mais suivre l’élan insensé n’est pas nécessairement nier l’existence d’un sens. Si je puis dire, cet élan est à lui-même sens. Il est dans les Illuminations surgissement, perpétuellement brisé, d’une nouvelle création dont le poète veut être l’inventeur tout en sachant fort bien qu’il n’en est pas le pur inventeur.
73Cet élan, il est contenu dans les gestes d’Hortense (« H »), il est la « dynamique amoureuse » qui ne s’oppose dans ce texte à la «mécanique érotique » que parce qu’elle en est le complément indispensable. Il est désir au sens baudelairien du terme (« Le Désir de peindre » dans les Petits Poèmes en prose). Le texte poétique a pour fonction de ranimer la force mystérieuse du désir et de promouvoir son nouvel accomplissement.
Figures mythiques de l’énigme
74Dans « Alchimie du verbe », au cœur d’Une saison en enfer, Rimbaud a mis de côté – je serais tenté de dire : a laissé tomber – les consonnes : « Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne » : cette confession n’est suivie ni d’illustration ni d’effet. « H », en dehors de la plaquette de 1873, constitue le seul exemple, dans l’ensemble de l’œuvre, d’une poétique de la consonne. H muet ou h aspiré ? On dit « d’Hortense », mais on ne prononce pas « trouvez z’Hortense ». H peut donc être emblématique aussi bien de la continuité que de l’aspiration, de l’élan. Rimbaud se veut à l’écoute de la naissance, et en particulier de la naissance du langage. « Voyelles » le montre bien : la couleur peut y naître du son (A noar), l’image du clairon de la bouche ouverte du O, sans que les différences soient affectées arbitrairement, comme on l’a cru.
75« Départ », « À une Raison », dans les Illuminations, sont d’admirables illustrations d’une thématique de l’initial. Cette thématique ne serait rien si elle n’était soutenue par une poétique de l’initial. Il suffit que le départ s’affirme (« Départ dans l’affection et le bruit neufs »), qu’à partir d’un signal les signes se multiplient (« Un coup de ton doigt sur tambour », « Un pas de toi », et le numen « Ta tête se détourne » / « Ta tête se retourne »). La politique de l’initial enfante des poèmes du signal donné. Ces poèmes d’instauration éclatent en exclamations : « Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! », dans « Matinée d’ivresse », « Ce sont des villes ! », dans l’un des deux poèmes en prose intitulé « Villes ».
76Ainsi trouve-t-on souvent à l’initiale un vocatif, appel lancé vers quelqu’un ou quelque chose d’encore inconnu : « Gracieux fils de Pan ! », dans « Antique ». Ce vocatif peut être final (« je vous vois, mes filles ! mes reines », dans le dernier fragment du feuillet 12). Il arrive qu’il soit retardé, comme dans « H » (« Ô terrible frisson des amours novices, sur le sol sanglant et par l’hydrogène clarteux ! »), où il prend plutôt la valeur d’une constatation exclamative.
77La plus vocative des Illuminations, « Génie », est le poème épiphanique par excellence – épiphanie d’un être qui n’est jamais nommé, qui n’est désigné que par ses qualités, et des qualités contradictoires (« le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle») ou elles-mêmes à venir : son corps est le dégagement rêvé.
78« À une Raison », – mais laquelle ? Dans « H », « l’ardente hygiène des races est placée sous la surveillance d’une enfance », – mais de quelle enfance s’agit-il ? Le mystère de la poésie de Rimbaud tient en partie à un tel usage de l’indéfini. Les Illuminations permettent d’en multiplier les exemples. Dans les titres, où l’article défini n’apparaît que pour « Les Ponts » (il a été biffé pour « Ouvriers »), Dans les textes : « Un prince » (« Conte »), « Des drôles très solides » (« Pa(«Parade»), « Devant une neige un Être de Beauté de haute taille » (« Being Beauteous »), « Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes » (« Royauté »), « Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres [...] – une odeur de bois » (textes du feuillet 12).
79Pourtant déjà, dans cette phrase, si on la déroule complètement, le défini naît de l’indéfini, pour aboutir à une interrogation, comme à la mise en question de la réalité évoquée ou suscitée :
Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres vole dans l’air ; – une odeur de bois suant dans l’âtre, – les fleurs rouies – le saccage des promenades – la bruine des canaux par les champs – pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens ?
80« Enfance [III] » (l’indéfini) et « Enfance [IV] » (le défini) permettent encore de retrouver une séquence qui conduit à l’entrée dans l’énigme : la fin du monde dans « Enfance [IV] », le tombeau souterrain d’« Enfance [V] », havre de blancheur, de simplicité, loin du labyrinthe de la « ville monstrueuse », de la « nuit sans fin ».
81L’un de ces indéfinis me sollicite plus que les autres. Il ouvre, et il ferme tout aussi bien, l’une des Illuminations, dont le titre «Nocturne vulgaire » donne aussi peu que possible accès au « puits des magies », – titre terne, presque glauque, volontairement dévalué à l’avance :
Un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons – brouille le pivotement des toits rongés, – disperse les limites des foyers, – éclipse les croisées [...]
[...]
– Un souffle disperse les limites du foyer.
82Avant d’instaurer le sens comme vent, ainsi que le recommandait Wang Fuzhi, le poème en prose obéit au sens du vent, au sens d’un souffle en tout cas. Ce souffle ennemi de toute fermeture, de toute cloison, efface le point d’équilibre, pivotal, de toute construction ; et ne supporte pas la limite du foyer chanté par les poètes intimistes et emblématiques de la famille (comment, dès lors, supposer avec Louis Forestier que la rêverie soit ici « alimentée par la flamme d’un foyer » ?21) ; il rend superflue toute autre forme d’ouverture domestique, porte ou fenêtre, lucarne ou croisée.
83En raison même de cette ouverture, de cette brèche, – et nous devinons qu’elle est aussi ouverture de sens –, une certaine magie peut déjà s’installer. Pour la première phrase, elle est tout entière contenue dans l’épithète « opéradiques », forme rare attestée chez les Goncourt, plus fluide que le calque de l’anglais « opératiques », qui est utilisé plus souvent. La magie sera celle d’un spectacle, celui où peut paraître Bottom, la « fairy » où Hélène fascine par « Ses yeux et sa danse supérieurs », la « fête d’hiver » où « la cascade sonne derrière des huttes d’opéra-comique », l’enfilade infinie d’idylles sur les « boulevards de tréteaux » de l’« ancienne Comédie » ou la lente pénétration de « scènes lyriques » dans des réduits secrets « ménagés sous les plafonds ».
84Car cet opéradique-là n’appelle pas le grand spectacle. Il correspond plutôt à une élection du mystère, que Rimbaud joue sur le sens théâtral du mot (« les monstres, les mystères », dans « Alchimie du verbe ») ou qu’il se plaise à voir « des oiseaux des mystères » qui « s’abattent sur un ponton de maçonnerie mû par l’archipel couvert des embarcations des spectateurs » (« Scènes », dans les Illuminations). Ce ne sont plus les pontons, spectateurs malveillants de l’odyssée piteuse en sa fin du « Bateau ivre », mais le seul point demeuré stable dans une salle de spectacle soulevée par les vagues du théâtre. Ce ne sont plus les « oiseaux clabaudeurs aux yeux ronds », mais des oiseaux que j’imagine plutôt les yeux fermés ou les yeux pleins de mystère.
85Dans « Nocturne vulgaire », l’échappée ne se fait pas sur le mode marin. Elle emprunte plutôt les subterfuges de l’enlèvement ou de la fuite romanesques, où le temps se trouve dévoré ainsi que l’espace : le pied sur une gargouille médiévale permet d’entrer dans un carrosse très grand siècle qui se transforme en « maison de berger » à la manière d’Alfred de Vigny ou même en corbillard moderne. Le mystère n’est pas dans la forme du véhicule, pas même dans ses transformations. Il est bien plutôt dans le spectacle opéradique ou fantasmagorique auquel contribuent des « glaces convexes » : la ligne courbe se substitue à la ligne droite, les panneaux deviennent bombés, les sophas contournés, la route tourne, s’efface même ; tournoient de « blêmes figures lunaires, feuilles, seins » dans un ballet vertigineux. Le théâtre secret reste dans l’attente d’un dénouement incertain ; – fléau catastrophique, invasion ou immersion, abandon à la cruauté et à la barbarie. L’évadé « roul[e] sur l’aboi des dogues », comme le poète d’« Angoisse » redoute de
Rouler aux blessures, par l’air lassant et la mer ; aux supplices, par le silence des eaux et de l’air meurtriers ; aux tortures qui rient dans leur silence atrocement houleux.
86L’hermétisme rimbaldien est sans doute inséparable d’une alchimie du verbe, plus que de l’alchimie ou de l’occultisme auxquels ont eu recours certains commentateurs. Je ne crois pas que Rimbaud ait lu les divers tomes du Monde primitif de Court de Gibelin, La langue hébraïque restituée de Fabre d’Olivet, les livres de Frédéric Portai, les Essais sur la philosophie des hindous de H.T. Colebrooke traduits par G. Pauthier. L’analogie entre la poétique des voyelles et l’alchimie est d’un autre ordre. L’acte de l’invention est complexe dans les deux cas : c’est une transmutation (la substitution d’une couleur à un son, et, dans le texte, d’un mot à une lettre), mais aussi la découverte d’une naissance ou d’un terme (les « naissance latentes » des voyelles, l’oméga), peut-être, au-delà, d’une genèse et d’une apocalypse. En outre, s’il est vrai, comme l’a dit Henry Corbin, que l’univers alchimique est un « monde imaginai », le poème permet d’assister à un déploiement d’images qui naissent de la lettre et produisent le texte.
87I contient le « rire des lèvres belles », O un regard de femme qui peut être aussi – je l’ai suggéré plus haut – le regard de Dieu. « H » conduit à « Hortense » ou plutôt au mystère d’Hortense. L’insistance mise par les commentateurs sur l’homosexualité de Rimbaud, – ce qui fut sans doute plutôt un passage par l’homosexualité – a fait négliger l’importance des figures féminines. Il faut alors revenir aux « mystérieuses passantes » dont a parlé André Breton. Elles ne se trouvent pas que dans « Dévotion », mais leur multiplicité amplifie le processus de l’appel et même de l’apparition dans ce poème en prose. Louise Vanaen de Voringhem, Léonie Aubois d’Ashby, Lulu elle-même et les Amies préparent l’invocation « à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge ». Cette Circeto ne se laisse confondre ni avec la Circé de l’Odyssée ni avec la Dirceto phénicienne. Elle est moins maîtresse en métamorphoses que presque métamorphosée elle-même. Elle introduit aux Enfers, sinon même à l’Enfer : la « nuit rouge » a quelque chose de la Dite de l’Inferno de Dante, les hautes glaces renforcent l’image qu’avaient les Grecs d’un Hadès situé au Septentrion, dans cette Cimmérie où Ulysse allait évoquer les âmes des morts.
88Le cheminement odysséen est présent dans l’imaginaire de Rimbaud. Dans « Alchimie du verbe », les « Délires II » d’Une saison en enfer, on passait d’une fonction de Circé à l’autre : de celle qui transforma les compagnons d’Ulysse en pourceaux (« Ainsi, j’ai aimé un porc ») à celle qui lui conseilla d’aller « aux confins du monde et de la Cimmérie ». Circeto trône dans le « chaos polaire » comme une Circé des glaces, peut-être aussi comme cette Gorgo pétrifiante dont on redoute l’apparition à la fin de la nekuia homérique. Point de chevelure de serpents, point de masque, mais, plus mystérieux encore jusque dans les mots impénétrables qui sont utilisés, son cœur « ambre et spunk », – je dirai émettant de la lumière, comme l’ambre, et opaque comme ce spunk que nul ne parvient à traduire, bibelot d’opacité sonore.
89On peut difficilement douter que cette Circeto des hautes glaces soit, dans les Illuminations, un avatar de la Reine, la Sorcière d’« Après le Déluge ». Pour cette figure aussi, le secret est bien gardé, sous d’autres déguisements. L’isotopie du fer et de la glace dans l’imagerie traditionnelle de l’enfer (chez Dante, chez Milton) permet de passer aisément de la figure de la gardienne du feu souterrain à l’idole polaire, à ce qu’on pourrait déjà appeler avec Jules Verne Le Sphinx des glaces.22
90Le lecteur d’« Après le Déluge », celui de « Dévotion », et tout aussi bien celui de « Génie » entre dans un monde de plus en plus énigmatique. La dixième dédicace, dans « Dévotion », étend le mystère de la figure invoquée (« Circeto ») à ses attributs (« son cœur ambre et spunk ») et à l’objet de la prière, qui devient curieusement, circulairement, la prière elle-même (« pour ma seule prière muette ») : une prière en voie d’extinction, une retombée de la parole dans le silence.
91La première lettre de l’alphabet, départ du poème dans «Dévotion» «Dévotion» comme dans « Voyelles » (« À Louise Vanaen de Voringhem»), condition de la dévotion, instrument de la prière et de la dédicace, est à la fin du texte comme une matrice épuisée :
À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques. – Mais plus alors.
92Un tel vertige de A peut faire penser à ce que sera l’infini de l’aleph borgésien, « le heu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers, vus de tous les angles ».23 Mais il contient la menace d’une entropie, d’un épuisement du langage et du plus élémentaire de ses éléments, la lettre, la première lettre de l’alphabet. Le souffle n’est plus le sens comme vent, mais celui de l’« air lassant», de « l’air meurtrier » d’« Angoisse » qui dévastent la parole même.
Notes de bas de page
1 Langue, texte, énigme, p. 25.
2 Rimbaud, l’homme et l’œuvre, Paris, Hatier (Connaissance des lettres), 1968, p. 230-231.
3 « Ici, maintenant, les Illuminations », dans Littérature no 11, octobre 1973, p. 40-41.
4 L’Alchimie du verbe de Rimbaud, Paris, Didier, 1972, p. 233.
5 H. Serouya, La Kabbale, Paris, PUF, 1964, p. 78.
6 « Quelques gloses pour les Illuminations », dans Rimbaud vivant, no 1, p. 52.
7 André Jolies, Einfache Formen, Tübingen, p. 102-119.
8 Formes simples, p. 109.
9 Paris, Seuil (Écrivains de toujours), 1961, p. 157.
10 Genève, Droz-Minard, 1967, 2e éd., 1969.
11 Rimbaud., Paris, Gallimard (Les Essais), 1936, rééd. 1966, p. 119-121.
12 Voir le complément ajouté p. 534 dans l’édition précédemment établie par Suzanne Bernard des Œuvres de Rimbaud, Garnier, 1981 et deux articles publiés dans la revue italienne Berenice, « Rimbaud et le prince impérial », no 2, mars 1981 ; « Rimbaud et le prince impérial – Post-scriptum à la mémoire de François Coppée », no 5, avril-août 1982
13 Sören Kierkegaard, Le Journal d’un séducteur, trad. Paris, Gallimard (Idées), p. 55.
14 J’emprunte ces notions de « geste verbal » et de « langue spéciale » au livre de Jolies, p. 115 : « Le geste verbal de la devinette vient toujours de sa langue spéciale ».
15 La notion de « cryptophasie » vient du roman de Michel Tournier, Les Météores. Voir supra.
16 La première étude a paru dans Germanica en 1925 ; les Rätsel de Richard Wossidlo ont été publiés en 1897. Ces deux séries d’exemples sont présentes dans le livre cité de Jolles.
17 Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Paris, Gallimard, 1926, renouvelé en 1953, Folio, no 782, p. 54.
18 Voir sur ce point André Jolies, Formes simples, p. 117.
19 Traduction de François Jullien, à qui j’emprunte cette belle citation.
20 Les yeux bien ouverts, Paris, José Corti, 1960, p. 62-63.
21 Bouquins, 1992, p. 516 (notice pour « Nocturne vulgaire »).
22 Le roman a été publié en 1897. Mais il a été préparé tant par l’œuvre antérieure de Verne que par ses prédécesseurs, Théophile Gautier en particulier.
23 El Aleph, 1949-1952, rééd. Buenos Aires, Emecé, 1971-1994, p. 166 : « El lugar donde estάn, sin confundirse, todos los lugares del orbe, vistos desde todos los άngulos » ; Œuvres complètes, tome I, édition de Jean-Pierre Bernès, Paris, Gallimard (Pléiade), 1993, p. 660.
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