Présentation
p. 7-25
Texte intégral
… j’ai parcouru l’Europe de Naples à Moscou…
Stendhal1
1La relation de Stendhal au « romantisme », terme à la sémantique instable, est prise en compte2 depuis longtemps par la critique, même si cette relation est problématique, voire controversée. L’identité d’un Stendhal « européen » est indéniable3. Par ailleurs, la conception du romantisme comme « mouvement européen » s’est peu à peu imposée4. En même temps, l’« idée d’Europe5 », déjà présente dans la pensée des Lumières6, a connu les développements et les réalisations sociopolitiques que l’on sait. Au moment où l’évolution historique de l’Europe permet de solliciter les collaborations scientifiques de toute l’Europe7 de Stendhal, de « Naples à Moscou », il a paru opportun d’interroger la triade Stendhal-romantisme-Europe. « Excitateur d’idées », selon Sainte-Beuve, Stendhal est un compagnon de route incisif et désinvolte, toujours critique, de ce qui va constituer la nébuleuse des romantismes européens. L’objet de cette réflexion collective est donc de situer Stendhal dans la constitution d’un espace intellectuel et artistique européen, à la lecture du/des romantismes qui, au-delà des particularités nationales et des différends idéologiques, vont tisser une toile de fond commune intelligible, celle qui permet de parler d’une « Europe romantique8 », au bénéfice d’inventaire. « Europe romantique » tributaire de la prise en compte d’une « civilisation européenne », selon le programme des célèbres cours de Guizot en 18239.
2Qu’est-ce que l’Europe pour Stendhal ? À la fois le grand corps vivant et balafré des campagnes napoléoniennes et le creuset de confrontations idéologiques et esthétiques, « une internationale des nationalités », selon l’expression de Mazzini10, lorsque les nouvelles dispositions du Congrès de Vienne ou de la Sainte-Alliance succèdent à l’épique vision napoléonienne. Son itinéraire chaotique en fait un agent de premier plan des « transferts culturels », un « passeur » d’idées et d’expériences, passeur entre deux siècles à un moindre degré que Chateaubriand, mais tout autant que lui témoin des liens qui se tissent entre divers pays européens et modélisent peu à peu l’« usage du monde11 ». Il a aussi l’expérience très diversifiée d’une « certaine idée de l’Europe12 », héritée elle aussi des Lumières, celles des cafés et salons littéraires des capitales parcourues par lui, telles que Vienne, Londres ou Rome. Dans un contexte beaucoup plus conflictuel et convulsif devant l’émergence des nations et des nationalismes, comme dans la remise en question des goûts esthétiques : si le cosmopolitisme affirmait une continuité dans les affinités électives européennes13, le romantisme cultive tout autant les ruptures14.
3L’expérience de Stendhal se forge sur les chemins de l’Empire dans un premier temps, s’enrichit d’un tenace goût d’Ailleurs conjugué à un tropisme solaire devenu impérieux après la campagne de Russie : quels que soient les paradoxes de son romantisme, paradoxes dont plusieurs contributions rendent compte ici, Stendhal est indéniablement venu au romantisme par l’Europe15. C’est son immersion dans le libéralisme romantique italien qui contribue à lui faire sauter le pas et à défendre le romantisme français, lorsque celui-ci se sépare de l’allégeance au trône et à l’autel16.
4La problématique est donc à contextualiser dans le cadre historique, littéraire, artistique et idéologique de l’Europe que Stendhal a connue, traversée par les courants complexes de romantismes hétérogènes17 et par « le terrible esprit de nouveauté » que Napoléon a fustigé. Quel(s) romantisme(s) ? Le « libéralisme dans l’art » (Hugo) est sans doute un clivage important, mais il ne s’impose pas d’emblée en France où les premiers romantiques sont plutôt des conservateurs. Stendhal est étranger au courant spiritualiste né de l’immigration, cette première vision européenne qui fonctionne en miroir déformant pour la réalité française18 et à laquelle Chateaubriand attribue la paternité du romantisme français19. Romantisme « double » (Brix) ? Des « nations » (Crouzet) ? Pour la « modernité » ? Ou à « contre-courant de la modernité » ? (Loewy).
5On peut formuler l’hypothèse d’une « conscience romantique » telle que l’a définie Georges Gusdorf : « La conscience romantique est la configuration mentale correspondant au remembrement du domaine européen sous l’effet de la Révolution française20. »
6Stendhal l’a affirmé précocement : « la Révolution entre en littérature21 ». On pourra trouver ici des échos de cette problématique cruciale jusque dans la poésie polonaise ou le regard critique de Pouchkine. L’homme n’a pas été « régénéré22 », comme le souhaitait l’idéologie des Lumières, mais il a été « révolutionné » ; Saint Just a emporté avec lui l’énigme de la culture révolutionnaire.
7La « matière italienne23 » offre à Beyle-Stendhal le premier territoire qui conjugue le champ du possible de l’épopée napoléonienne avec les archaïques fantasmes d’une généalogie inspirée : le premier séjour de Beyle en 1800 en Lombardie, futur et éphémère royaume d’Italie, ancre définitivement l’« Ailleurs24 », thème romantique s’il en est, dans cette terre de l’origine et du mythe. La précoce exterritorialité de Stendhal va caractériser la genèse et la nature de son « romantisme », celui d’un être en mouvement, sur les « chemins de la guerre et de la paix25 », et construisant sa vision d’une Europe romantique aussi bien dans le fracas des armées que dans les incomparables épiphanies des scènes d’opéra européennes. On peut reprendre un des aperçus synthétiques :
Déraciné, […] qui établit les « lieux » de son écriture aux quatre coins de l’Europe, Stendhal s’est installé par prédilection dans le rôle du « bon européen », intermédiaire, inclassable, intercesseur ubiquiste entre les nations26.
Généalogies
8La formation intellectuelle de Stendhal ne le prédisposait pas aux mises en scène de la subjectivité27 à laquelle une certaine image d’Épinal du romantisme est accolée. Mais les lectures fondatrices28, Cervantès, Shakespeare, le Tasse, entre autres, puis bien sûr Rousseau, seront des références disponibles lorsque son évolution personnelle le confrontera aussi bien aux crises de l’Histoire qu’à l’évolution des mœurs et des goûts des « enfants de la Révolution ». Par bien des aspects, le « romantisme » de Stendhal le « déraciné » a toujours été un romantisme autre29 ; plusieurs des contributions du présent recueil le montrent amplement.
9Avant de « tomber avec Napoléon », comme il le dira lui-même dans Vie de Henry Brulard, Stendhal parcourt l’Europe à la suite de celui-ci : c’est sans doute l’une de ses caractéristiques comme l’un de ses sujets de gratitude à l’égard de l’Empereur30. Aucun autre écrivain de sa génération n’aura une expérience concrète de l’histoire d’une telle amplitude et d’une telle variété. On le sait, Beyle-Stendhal veut d’abord être un comic bard, et l’essentiel de ses lectures et de ses réflexions, son Journal et sa correspondance en témoignent, est tourné vers les problématiques du théâtre31. Mais ses longs séjours dans l’aire culturelle germanique, Allemagne et Autriche, le mettent en contact avec de multiples « ferments d’ailleurs32 » : la riche bibliothèque de Wolfenbüttel, lors de son séjour à Brunswick, l’opera buffa ou le « drame romantique » selon Schlegel lors du séjour à Vienne. Ses jugements très critiques pour une partie de la pensée germanique, relevant plus de la provocation ou du billet d’humeur que de la critique33, ne peuvent masquer l’importance de ces séjours si efficaces pour s’imprégner de l’air du temps. Jusqu’à l’expérience extrême de la campagne de Russie, feu et glace, « expérience romantique » en elle-même. Comme on a pu le dire, pour Stendhal, le « classicisme est mort à la Moskova34 »35. Mais non sans avoir traversé aussi, à l’occasion, les complexités du néoclassicisme « comme un des paradigmes de (re)définition et de (re)fondation de l’Europe36 ».
Le « romanticisme » : l’« anglo-Italie » de Stendhal
10« Je suis un romantique furieux, c’est-à-dire que je suis pour Shakespeare contre Racine et pour lord Byron contre Boileau37. » Née du choc de la campagne de Russie, « conflit esthétique » essentiel, nourrie des discussions milanaises, éclairée et confortée dans ses choix par la lecture à Milan de l’Edinburgh Review, l’allégeance progressive de Stendhal à un certain romantisme est marquée dès le départ du sceau de la pluralité européenne. Mais que l’on ne s’y trompe pas : le « romanticisme » est dès l’abord un problème national. Le débat national est au fondement des débats milanais avec, notamment, les controverses autour du problème de la langue italienne, débats auxquels Stendhal participe assidûment. Cependant, Stendhal, français en Italie, a d’abord un point de vue plus « local » que « national » (François Vanoosthuyse). En 1823, Stendhal dédiera son « pamphlet romantique38 », D’un nouveau complot contre les industriels, à Silvio Pellico, alors en prison au Spielberg. De même, la réflexion stendhalienne au sujet du romantisme ne peut se comprendre hors du cadre de la Restauration, la France du « deuil et des larmes39 », comme celle de l’« oubli » imposé40.
11Dans ces années de réflexions plurielles et de formation cosmopolite, deux lectures essentielles : l’éphémère Conciliatore, organe de la pensée libérale milanaise, acquis aux idées de Mme de Staël41 et à l’opposition et confrontation d’une « littérature du Nord et du Midi » ; et l’Edinburg Review, découvert à Milan mais qui l’initie à la vision britannique d’un romantisme qui se construit, et se définit, à l’échelle européenne42. Lectures qui seront suivies, à quelques années de distance, par des voyages très importants en Grande-Bretagne : le « romanticisme » de Stendhal est un mixte d’influences italiennes et anglaises pour les propositions théoriques et les lignes de force ; il ne fera qu’adapter, dans un premier temps, les formulations qui confortent sa propre intuition pour l’évolution de l’expression littéraire et artistique.
12Les pamphlets milanais (1818-1819) sont les témoignages les plus éloquents de l’implication personnelle de Stendhal dans les controverses du « romanticisme » : le premier en date, Des périls de la langue italienne (26 février 1818), en écho au texte de Berchet « Lettera semiseria di Grisostomo » prend place dans le grand débat italien sur la langue, débat toujours au premier plan43 ; puis Qu’est-ce que le romanticisme ? dit M. Londonio (10 mars 1818). Au même moment, Stendhal défend Monti dont il parlera dans son article du New Monthly Magazine. L’année 1818, année de rédaction de L’Italie en 1818, projet d’une nouvelle édition de Rome, Naples et Florence, est vraiment l’année climatérique du « romanticisme » italien. Stendhal peut porter alors un regard critique sur la situation de la France : « L’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne sont entièrement et pleinement romantiques. Il en est autrement en France44. »
13À cette date, Stendhal a déjà publié Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase et Histoire de la peinture en Italie ; le versant esthétique, contrepoint au tragique de l’Histoire perçu en Russie, sera désormais le discours étroitement mêlé aux ellipses que la censure impose au discours de l’Histoire. Le « romanticisme » suscite forcément une réflexion sur « Du romanticisme dans les beaux-arts45 », en écho à Ermes Visconti dans le Conciliatore du 11 décembre 181846. Au demeurant, le texte le plus riche, quoique composite, sur le « romanticisme » est, à cette date, Rome, Naples et Florence en 1817 ; sans doute en partie issu de A Tour Through Italy de 1811 et 181347, mais totalement détourné de sa première vocation de récit de voyage pour devenir lui aussi un pamphlet politique en partie déguisé48. Le récit de voyage, pratiqué par la plupart des écrivains de cette époque, reste pourtant un des modes – et modèles – de diffusion de l’esthétique romantique49.
14Le premier « romantisme » de Stendhal tourne autour d’une figure emblématique, image palimpseste parfois : le « tombeau » de Napoléon ; l’omniprésence de Napoléon, la vision napoléonienne de l’Italie et, plus largement, de l’Europe est la toile de fond sur laquelle se détachent les autres options, au fur et à mesure que le temps réel impose ce changement d’historicité qui caractérise la perception du temps historique dans ce début du xixe siècle50 et auquel la « geste » de Napoléon a tant contribué51. Stendhal a trouvé son tempo : peinture et musique viendront recouvrir la toile de fond politique, mais le premier germe « romantique » est totalement historicisé52 et politisé, conformément à une « des époques les plus politisées de notre histoire53 ». Deuxième « romantisme » : le romantisme critique et polémique. Le premier Racine et Shakespeare54, reprise de l’article du Paris Monthly Review, exprime une adaptation à l’air du temps, au relativisme, à la prise en compte du public55 et non au splendide isolement stéréotypé d’une certaine image du « héros » romantique. C’est ce texte qui contient la définition du « romanticisme » de Stendhal la plus connue :
Le romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible56.
15La plus connue mais sans doute pas la plus originale : Berchet disant que « Dante, Pétrarque, le Tasse avaient été romantiques » disait-il autre chose ? L’hédonisme romantique de Stendhal est aussi un réalisme.
16Armance, le premier roman verra sa gestation à l’ombre de René comme de Byron, subtil règlement de comptes avec un certain romantisme sentimental par rapport auquel Stendhal aura toujours une position ambiguë. Entre les deux, le sibyllin De l’amour57 : de la « cristallisation » comme prisme romantique ou les pouvoirs de l’imagination romantique, manifeste d’une esthétique romantique prenant racine en profondeur dans une pensée mélancolique qui œuvre aussi en sourdine.
« Du romanticisme dans les beaux-arts58 »
17L’époque est sans doute éminemment politique, et les débats des romantismes européens étroitement dépendants de l’évolution du panorama historique européen, mais les questions esthétiques, au sens le plus large, tiennent tout autant le devant de la scène. C’est également parce que le « romanticisme » propose aussi une nouvelle conception de la sensibilité et du goût artistique que Stendhal se passionne pour tous les débats qui s’y réfèrent59.
18L’« œil de Platon60 » (Paolo Tortonese) éclaire une partie de l’esthétique romantique, mais ce regard ne va pas sans distorsions. On peut choisir l’« erreur » pour décrire les procédés de Raphaël, cette erreur est significative des mutations que l’idéologue Beyle fait subir aux prestigieux modèles : la peinture n’est pas, du moins pas toujours, « cosa mentale », comme Léonard de Vinci l’avait affirmé. Il y a donc bien de la part de Stendhal s’initiant aux arts de la mémoire, un refus d’un intellectualisme qui détournerait le « sublime » de sa vocation première : le « beau idéal61 » ne transcende pas le sensible, il ne fait qu’idéaliser l’aesthésis. Pour Baudelaire, héritier en partie du « romanticisme » de Stendhal (Michel Guérin), le romantisme est aussi une vision du présent et de son impérieuse nécessité : le « triangle » qui va de Stendhal à Baudelaire » inscrit Delacroix en théoricien du romantisme pictural, couvre le demi-siècle qui voit l’expansion et l’assèchement du romantisme, ou sa métamorphose.
19De la musique avant toute chose62 : le romantisme aura largement contribué au retour en force de la musique dans l’échelle des valeurs, rétablissant la très ancienne suprématie platonicienne de celle-ci ; Chateaubriand63 définissait l’âme romantique comme « une lyre où il manque des cordes ». La musique fournit à Stendhal des exemples originaux de romantisme (Béatrice Didier) qui contribuent à élargir ses centres d’intérêt jusqu’à devenir un objet de prédilection. En cela, comme en tant d’autres domaines, Stendhal « passeur » est en continuité avec le siècle précédent. La Vie de Rossini est probablement un des textes où s’exprime le mieux la synthèse stendhalienne entre les deux écoles musicales ennemies tout en mettant en valeur un romantisme musical dont le lieu est avant tout l’opéra : la musique, mode d’expression majeur de la mélancolie, réintroduit celle-ci au cœur d’un certain rapport romantique au monde.
De la Nation à l’Europe
20Le romantisme européen, terme toujours sous bénéfice d’inventaire, est tributaire de figures de « passeurs64 », européens convaincus eux-mêmes, pour Stendhal, c’est aussi « la faute à Rousseau ». Comme le souligne Francesco Spandri, un fil rouge relie Dominique et Jean-Jacques à la recherche d’une subjectivité possible qui est d’abord « un espace de doute ». Peut-on interroger des figures tutélaires ? Xavier Bourdenet rappelle que pour Stendhal, « Walter Scott » est « notre maître à tous » : la « stratégie romanticiste » lui doit beaucoup dans la prise en compte du romanesque de l’Histoire et la constitution d’un « roman de mœurs » qui place les conflits historiques au cœur du dispositif romanesque ; on ne peut oublier que « romantique » a souvent été associé à « roman »65 dans les années de sa genèse.
21Le romantisme prend donc appui sur un sol instable quoique fécond en métaphores et en mythes. Mais sur quels fondements ? Le romantisme est la possibilité de s’adapter, de tenir compte de l’opinion, voire de sa future tyrannie comme l’évoquera Stendhal dans son pamphlet injustement méconnu, le D’un nouveau complot contre les industriels, pamphlet déjà cité, que l’on associe peu à la problématique du romantisme stendhalien et qui en est pourtant une pierre angulaire : la rupture de Stendhal avec l’équipe du Globe et plus largement avec le saint-simonisme après la publication de ce pamphlet détermine une ligne de fuite politique et conforte le futur consul dans une position critique hypertrophiée et parfois douloureuse. Le goût de Stendhal n’est pas une donnée stable. Yves Ansel met judicieusement l’accent sur le désir de Stendhal de se conformer justement aux changements des goûts, à la recherche d’un lectorat en pleine mutation idéologique et sociologique. Le romantisme de Stendhal est donc, dans sa substance, une perception du goût du présent : face à la complexité de la réception moderne, à ses écueils, Stendhal s’invente une « stratégie de l’avenir », parfois un bricolage pour se confronter à la modernité par rapport à laquelle sa position a été toujours ambivalente. Des prises de position théoriques de Racine et Shakespeare à la subversion de l’histoire dans La Chartreuse de Parme, un parcours complexe vers la mise en question du réel en arrière-plan de la vision romantique du monde.
22Stendhal, on vient de le rappeler, a d’abord été « romanticiste » en Italie. Aurait-il eu une conscience si aiguë du romantisme sans les débats interminables dans les cercles milanais ? Matteo Palumbo l’a montré, ce « romanticisme » milanais naît dans les cercles de « conversation » proches de ceux du xviiie siècle66 mais il se cherche de nouveaux repères : Ludovico di Breme, Borsieri, Pellico, Foscolo surtout, prototype pour Stendhal de « l’homme de génie » dont Les Dernières Lettres de Jacopo Ortis sont une pierre de touche, un des textes autour duquel Stendhal ancre des points d’appui et construit des lignes de fuite. Cette Italie est néanmoins terre du « malentendu » (François Vanoosthuyse), vision avec Napoléon comme « tâche dans le télescope » : la première vision de l’Italie, justement, reste française et bonapartiste, Stendhal raisonnant plus en termes de « lois et non de droits ». Si la Lombardie en est le terreau vivant, il y a aussi les parcours vénitiens, moins connus, dont Claudio Chiancone souligne la richesse67. Le pseudonyme « Mocenigo » apparaît à cette époque-là, après « Dominique », mais toujours les noms propres européens (jusqu’au germanique « Stendhal ») s’inscrivent dans le territoire de l’œuvre en train de se constituer comme autant de signatures68. L’Europe est aussi un corps de signatures, un corps travaillé par les signatures. Le choix de « stendhal », au moment de la rédaction de Rome, Naples et Florence en 1817 – « stendhal » a longtemps désigné le texte lui-même –, est aussi à verser au dossier, complexe sans doute, d’une identité beyliste se forgeant dans l’aire européenne. Identité plurilingue surtout : l’Europe cosmopolite des Lumières parlait français ; l’Europe « romantique » est polyglotte : comme beaucoup de sa génération, Stendhal parle en européen et se façonne une identité européenne ; sa posture sera, pour toujours, celle d’un traducteur. Ainsi, l’Allemagne cosmopolite de Goethe, l’« Archieuropéen » selon la formule de Thomas Mann, Werther ou Affinités électives, est en arrière-plan de bien des textes stendhaliens (Suzanne Mildner)69.
23L’Italie est le point de départ et le point d’arrivée pour le futur consul de Civitavecchia, mais le rôle intellectuel de l’Angleterre est essentiel dans la problématique du romantisme : il est significatif que Stendhal devienne un journaliste collaborant aux deux grands journaux anglais, le New Monthly Magazine et le Paris Monthly Magazine, après son retour en France. Preuve si nécessaire de ce que Stendhal leur doit dans la constitution d’une prise de conscience européenne et des mécanismes complexes d’identification qui lui préexistent. Christopher W. Thompson montre la richesse du réseau de figures et de lectures britanniques sur lequel Stendhal puise des idées dans ces années-là ; George M. Rosa, corroborant les synthèses de Thompson à ce sujet, met Byron, l’« ange déchu » selon Stendhal, en figure de proue, même si l’admiration de Stendhal pour celui-ci subit des éclipses.
24Entre Platon et Byron, la Grèce est un angle aveugle ; elle n’apparaît pas ici70 dans l’évocation du territoire européen alors qu’elle est en force dans la géographie symbolique. Pour le romantisme, les géographies imaginaires informent les géographies réelles et parfois les légitiment. L’Europe est « aux frontières » (Laure Lévêque) dans une dynamique d’« aller-retour » ; dynamique essentielle inhérente à cette difficile genèse d’un espace européen composite. Mais pour tous, un autre territoire, non européen, jadis territoire des tempêtes, fera venir de l’ouest un fascinant Nouveau Monde, une modélisation inattendue de la pensée de la Révolution. Octave de Malivert, Julien Sorel, Fabrice del Dongo, poseront à tour de rôle la question lancinante du départ en Amérique et rendront sensible l’aporie de sa représentation71. L’Ancien Monde ne se définira plus sans le Nouveau Monde, et les États-Unis d’Amérique deviennent la matrice, sinon le modèle, d’une expansive rêverie sur de futurs États-Unis d’Europe.
25La Révolution française est bien un « opérateur » (Laure Lévêque) pour penser la France, une « polarité » désormais incontournable : la France est promue à l’avant-garde d’une vision européenne à la suite des Lumières et de la Russie de Catherine II, mais l’attirance/répulsion de Stendhal pour l’Amérique inscrit celle-ci en contrepoint, comme un miroir déformant.
26Le romantisme est aussi une vision lucide du champ du possible : comme l’a rappelé Laure Lévêque, Stendhal écrivant les Lettres de Méry-sur-Seine sur la Constitution pense le possible mais dans le cadre de l’imaginaire. Le romantisme européen se pense aux frontières et pense la frontière. Fabrice del Dongo aura un souci lancinant de passeports et sauf-conduits
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27Au fond, ne serait romantique que ce qui est vivant, c’est-à-dire capable de se transformer ; ou plutôt serait romantique le processus de transformation qui se reconnaît comme tel : Michel Crouzet montre que l’idée de « nation », fondamentale pour l’évolution du panorama européen tout au long du xixe siècle, est une création ; la Nation romantique n’est ni un objet politique ni une représentation historique ; elle n’existe que dans sa réalisation, à partir d’un kaléidoscope d’enracinements dans le passé, une « unité dans la diversité72 ». La nation devient ainsi un exemple privilégié du conflit entre l’universalité des Lumières et l’individualité du romantisme, lequel prend conscience que cette universalité peut être contingente. Pour la Hongrie, exemple européen d’identité nationale problématique comme la Pologne, Aniko Adam parlera de « blocage idéologique » des nationalismes réfractaires aux influences extérieures.
28Si la pensée européenne se forge en « allers-retours », elle suscite des réseaux, s’est consolidée avec eux73 ; la diffusion des idées a accéléré les transferts d’idées : le développement de la presse, des périodiques, mais surtout des revues, est sans doute une modalité fondamentale du romantisme. Les idées s’exportent, surmontent et contournent les frontières, dynamisent l’espace ; cette place capitale dans une anthropologie du romantisme, l’existence du cabinet Vieusseux à Florence en est l’éclatante démonstration (Sara Mori)74.
29La révolution a les mains sales : en annexe du présent ouvrage, Barbara Sosien75 montre les images de la violence et du sang qui caractérisent aussi la révolution polonaise de 1830, comme une sorte de circulation dans un imaginaire européen captivé, parfois rendu captif, par les lointains échos de la Révolution de 1789, référent auquel le romantisme européen revient sans cesse. L’image du régicide hante l’arrière-plan historique de la France, comme en témoigne, entre autres, L’Homme sans nom de Ballanche ; mais elle hante aussi les poètes polonais : la « soif du sang » en arrière-plan des Dieux ont soif, dont Anatole France fera l’ironique évocation.
30Mais le romantisme, c’est aussi des « affinités électives », celles que Stendhal a célébrées dans l’allégeance au grand texte de Goethe déjà évoqué, mais en élargissant le spectre historique : les ressemblances peuvent aider à forger une identité plurielle. Aniko Adam analyse les points de contact entre Stendhal et le Hongrois Eötvös, dont l’étonnant Chartreux éveille pour nous tant d’échos ; la nation hongroise, à l’imaginaire privé de mer, modélise un romantisme pour lequel le libéralisme français a une grande place : « allers-retours », on l’a déjà dit, mais aussi transfusions d’un imaginaire à l’autre, étonnante et significative parenté de problématiques européennes.
31L’Europe, donc, de « Naples à Moscou » ? La Russie a été pour Stendhal l’épreuve majeure de la « neige piétinée », expression qu’il utilise dans l’Histoire de la peinture en Italie ; elle n’est pas l’extrême du territoire de la souffrance puisque la débâcle de Moscou le conduit jusqu’à Vilnius, là où les cadavres gelés bouchant les murs de l’hôpital hypostasient l’horreur de l’Histoire en déroute. L’Europe est une histoire infinie d’amour et de désamour ; la « nation est éros » (M. Crouzet), l’Europe sans doute aussi.
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32Devant la mer gelée, Caspar David Friedrich avait dressé l’énigmatique silhouette de l’homme romantique tournant le dos au « désert d’hommes ». Si cette image a mérité de devenir emblématique d’une certaine sensibilité de la solitude de l’individu perdu dans la modernité, celui de L’Homme sans postérité (A. Stifter) du romantisme allemand comme de L’Homme de désir de Louis-Claude de Saint-Martin, l’autre romantisme, plus familier à Stendhal, celui qui se définit dans un corps à corps permanent avec les épreuves du présent, est bien plus représentatif d’une ligne de force, un fil rouge dont le romantisme pluriel de celui-ci témoigne. Celui qui, aux dires de Nietzsche, a « parcouru son Europe à une allure napoléonienne », s’est fait l’écho contrasté du kaléidoscope de sensations, sentiments, actions et réactions qui ont tissé et irrigué la chaotique trame des romantismes européens ; déplorant que l’homme déchu de la Révolution soit une « monnaie effacée », comme il l’avait lu dans Sterne, Stendhal n’a jamais démenti son intérêt pour le présent comme une version d’un romantisme intrinsèquement lié à l’idée problématique de modernité. Baudelaire, qui doit tant à Stendhal sur ce point, parlera du romantisme comme de « mortelles stigmates ». Romantisme(s) de Stendhal76 ? À l’image de l’Europe du xixe siècle qu’il a vu se constituer en partie dans le sang et les larmes, le romantisme atypique de Stendhal relève toujours d’un combat douteux.
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Note sur la Russie
33La Russie est sans doute liée au souvenir traumatique de la campagne de 1812 et des horreurs de la retraite, nous l’avons déjà signalé. Mais il y a aussi un intérêt historique constant pour ce grand pays dont la complexité relève de la dualité constante de l’attirance et de la répulsion. Les traces sont très nombreuses ; citons, entre autres, l’intérêt historique, dans le New Monthly Magazine (18 août 1816) :
L’empereur Alexandre, source de toute leur puissance (les ultras), fut assez niais pour se laisser mourir par manque de remèdes appropriés. Le rapport du comité nommé par Nicolas et les récits de quelques Français qui sont de retour à Moscou donnent lieu de craindre que la Russie n’ait été inoculée du poison du libéralisme.
34Dans la Vie de Napoléon :
La Russie a toujours cru, depuis Pierre le Grand, qu’elle serait en 1819 la maîtresse de l’Europe si elle avait le courage de vouloir, et l’Amérique est désormais la seule puissance qui puisse lui résister.
35Vision lucide des équilibres européens.
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36Je remercie Vera Miltchina (Institut de littérature mondiale, Moscou) de m’avoir transmis les lignes inédites, ci-dessous, qui établissent un parallèle typologique entre Stendhal et un texte de Pouchkine :
Dans Le Rouge et le Noir, le prince Korasoffdit à Julien : « Les Russes copient les mœurs françaises, mais toujours à cinquante ans de distance. Ils en sont maintenant au siècle de Louis XV. » Cette phrase est répétée presque littéralement dans la nouvelle inachevée de Pouchkine, Roslavlev : « L’imitation du ton français du temps de Louis XV était à la mode. L’amour de la patrie paraissait pédant77. » Pouchkine a lu le premier volume du roman en mai 1831, le second en juin 1831, et a écrit la nouvelle en juin 1831. Une reprise polémique, donc, qui contredit une idée reçue véhiculée par Stendhal.
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37Voir aussi :
- Vera Milchina, « Stendhal et Alexandre Tourgueniev », dans Campagnes en Russie : sur les traces d’Henri Beyle, dit Stendhal, ouvr. cité, p. 168-171.
- Larissa Volpert, « Stendhal et Pouchkine », ibid., p. 210-220.
- Tatiana Müller-Kotchekova, Stendhal. Rencontres d’hier et d’aujourd’hui, traduction en français de Yves Gauthier, s. l., T & V Media, 2014 [1re édition en langue originale : 1989].
38Et pour une confrontation des « romantismes » de Stendhal et Pouchkine, voir Wladimir Troubetskoy (« Folie et bonheur. Quelques réflexions sur Stendhal et Pouchkine », dans Campagnes en Russie, ouvr. cité, p. 148) :
À l’égard des classiques et romantiques, leur position est semblable. Tous deux n’acceptent pas le monisme subjectif des romantiques. Ils introduisent, indépendamment l’un et l’autre, la notion nouvelle de « vrai romantisme ».
39Ainsi que Larissa Volpert : « L’ironie romantique dans Eugène Onéguine et Le Rouge et le Noir », dans Universalité de Pouchkine, Moscou, Institut d’études slaves, 2000, p. 49-59.
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40Je remercie Mariella Di Maio pour ses conseils et suggestions dans l’élaboration de cette réflexion.
Notes de bas de page
1 Histoire de la peinture en Italie, édition de V. Del Litto, Gallimard, coll. « Folio essais », 1996, livre II, chap. xxxiv, « Un artiste », p. 163.
2 La dernière synthèse collective date toutefois de 1982 : V. Del Litto et K. Ringger (dir.), Stendhal et le romantisme (actes du XVe Congrès international stendhalien, Mayence, 1982), Aran, Éditions du Grand-Chêne, coll. « Collection stendhalienne », no 25, 1984.
3 Voir R. Ghigo Bezzola (dir.), Stendhal Europeo (actes du colloque international, Milan, mai 1992), Fasano et Paris, Schena Editore et Nizet, coll. « Cultura straniera », no 69, 1992.
4 Depuis l’ouvrage déjà classique d’A. Biedermann, Le Romantisme européen, Paris, Larousse, 1972, aux analyses récentes de C. Millet, Le Romantisme, Paris, Le Livre de Poche, 2007. Voir aussi dans A. Vaillant (dir.), Dictionnaire du romantisme, Paris, CNRS Éditions, 2012.
5 Voir J.-M. Ferry (dir.), L’Idée d’Europe, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2012.
6 Et dans leur archéologie : le Projet de paix universelle entre les nations (1725) de l’abbé de Saint-Pierre, qui s’adresse « aux souverains d’Europe », inspirant Rousseau puis Kant, est déjà une première vision d’unification européenne. Rappelons que Napoléon soutient aussi un projet de « confédération européenne » inspiré de celui de l’abbé de Saint-Pierre ; sur ce point, voir T. Lentz et B. Yvert (dir.), Napoléon et l’Europe. Regards d’historiens (actes du colloque ministère des Affaires étrangères et Fondation Napoléon, 18-19 nov. 2004), Paris, Fayard, 2005.
7 Il est significatif que le premier colloque international sur Stendhal n’ait pu avoir lieu en Russie qu’en 1994 : Campagnes en Russie : sur les traces d’Henri Beyle, dit Stendhal (Rencontres stendhaliennes franco-russes de Moscou et Saint-Pétersbourg, 4-20 oct. 1994), Paris, Solibel, 1995.
8 Voir le numéro de la revue Critique consacrée à ce thème : no 745-746, juin-juill. 2009, « L’Europe romantique » ; et aussi P. Brunel (dir.), Romantismes européens et romantisme français, Les Matelles, Éditions espaces 34, 2000.
9 Voir F. Laurent, « Penser l’Europe avec l’histoire. La notion de civilisation européenne sous la Restauration et la monarchie de Juillet », Romantisme, no 104, 1999, p. 53-68.
10 Voir P. Lombardo et P. Roger, « Une internationale des nationalités », Critique, no 745-746, juin-juill. 2009, « L’Europe romantique », p. 5-17.
11 Stendhal utilise souvent cette expression.
12 Voir G. Steiner, Une certaine idée de l’Europe, Arles, Actes Sud, 2005.
13 Pour l’arrière-plan, dans le sillage duquel se situe Stendhal, voir P. Griener, La République de l’œil. L’expérience de l’art au siècle des Lumières, Paris, Odile Jacob, 2010.
14 Voir W. Hofmann, Une époque en rupture (1750-1830), traduction en français de M. Couffon, Gallimard, coll. « L’univers des formes », 1999.
15 José Ortega y Gasset qualifie Stendhal de « représentant de l’idéalisme européen », dans Études sur l’amour (1926), traduction en français de C. Pierre, Paris, Rivages, coll. « Rivages poche/Petite Bibliothèque », 2004. C’est aussi, entre autres, le jugement d’André Suarès : « Stendhal le premier, depuis Montaigne, fut un Européen de France. » (« D’après Stendhal », NRF, no 65, mai-juin 1914, p. 1033)
16 On sait que le manifeste-pamphlet de Stendhal, Racine et Shakespeare, saisit l’occasion du discours d’Auger à l’Académie pour prendre parti pour le mouvement libéral auquel le romantisme vient peu à peu se rallier. Voir déjà H. Martineau : « Le discours d’Auger changea tout à coup la position des adversaires. Le romantisme devenu tout à coup suspect au trône et à l’autel, tendait comme en Italie et en Allemagne à se fondre avec le libéralisme. » (L’Œuvre de Stendhal, Paris, Albin Michel, 1951, p. 250)
17 Voir E. Boehler, « La conception de l’Europe dans la théorie du premier romantisme et la relation franco-allemande », Revue germanique internationale, traduction en français de D. Heitsch, vol. 1, 1994, p. 25-43.
18 Voir É. Décultot, « Les pérégrinations européennes du mot “romantique” », Critique, no 745-746, 2009, « L’Europe romantique », p. 456-466.
19 F. R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, édition de J.-C. Berchet, Paris, Le Livre de Poche, coll. « La Pochothèque », 4 vol., 2004, t. I, livre XIII, chap. xi, p. 647 : « Le changement de littérature dont le dix-neuvième siècle se vante, lui est arrivé de l’émigration et de l’exil […]. » Voir aussi B. Aureau, Chateaubriand penseur de la Révolution, Paris, Champion, 2001.
20 G. Gusdorf, Le Romantisme, t. I, Le Savoir romantique, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque philosophique Payot », 1993, p. 12. Voir également S. Bernard-Griffith et A. Gargano (dir.), Un lieu de mémoire romantique : la Révolution de 1789, Naples, Vivarium, coll. « Biblioteca europea », no 3, 1993, et aussi J.-C. Martin, « La révolution française, une révolution romantique ? », dans D. Couty et R. Kopp (dir.), Romantisme et Révolution(s). Les entretiens de la Fondation des Treilles, Paris, Gallimard, coll. « Les cahiers de la NRF », 2008, p. 77-91.
21 Voir « Racine ou Shakespeare ? », Paris-Londres, chroniques, édition et traduction en français de R. Dénier, Paris, Stock, 1997, p. 61-69.
22 Voir M. Ozouf, L’Homme régénéré, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1989.
23 L’expression « matière italienne » est consacrée dans la critique stendhalienne, notamment par Michel Crouzet (Stendhal et l’italianité) et Mariella Di Maio (Stendhal. Intérieurs).
24 Voir D. Lançon et P. Née (dir.), L’Ailleurs depuis le romantisme. Essais sur les littératures en français, Paris, Hermann, coll. « Savoir lettres », 2009.
25 Voir F. Knopper, Les Voyageurs européens sur les chemins de la guerre et de la paix du temps des Lumières au début du xixe siècle, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2006.
26 M. Crouzet, « Stendhal “bon européen”, romantisme et nations », dans Stendhal et le romantisme, ouvr. cité, p. 65.
27 Voir C. Larmore, The Romantic Legacy, New York, Columbia University Press, 1996, qui présente le romantisme comme un « occasionnalisme subjectivé ».
28 Pour l’historique de ces lectures, voir V. Del Litto, La Vie intellectuelle de Stendhal. Genèse et évolution de ses idées (1802-1821), Genève, Slatkine reprints, 1997, chapitres « Stendhal adepte du “genre romantique” », p. 429-455, et « Le “romanticisme” (1818-1821) », p. 583-656.
29 Voir W. Lepenies, Qu’est-ce qu’un intellectuel européen ?, Paris, Seuil, coll. « Traces écrites », 2007.
30 Voir la lettre du 30 août 1819 à Pierre Daru, son cousin et bienfaiteur tout au long de l’Empire : « Je dois aux dignités dont vous avez été revêtu de n’être pas un petit bourgeois plus ou moins ridicule, et d’avoir vu l’Europe et apprécié les avantage des places. »
31 La lecture des manuscrits montre clairement que le premier projet théâtral un peu élaboré est une réécriture de Hamlet, réécriture revue et corrigée par des lectures annexes. En 1802, le projet est encore celui d’une tragédie « en vers » : le choix de Stendhal pour le théâtre en prose sera donc bien plus tardif et sous haute influence. Voir ms. R. 5896 (vol. 24), fos 89 à 116, dans Stendhal, Journaux et papiers, t. I, 1797-1804, édition de C. Meynard, H. de Jacquelot et M.-R. Corredor, Grenoble, Ellug, 2013, p. 121-140.
32 D. Bonnecase et F. Genton (dir.), Ferments d’Ailleurs. Transferts culturels entre Lumières et romantismes, Grenoble, Ellug, 2010.
33 Voir, par exemple, la « note romantique » inscrite dans la lettre à Louis Crozet du 1er oct. 1816 : « La supériorité logique des Anglais, produite par la discussion d’intérêts chers, les met à cent piques au-dessus de ces pauvres gobe-mouches d’Allemands qui croient tout. Le système romantique, gâté par le mystique Schlegel, triomphe tel qu’il est expliqué dans les 25 volumes de l’Edinburgh Review et tel qu’il est pratiqué par lord Bai-r-ronne. » Ainsi que la longue digression déjà présente dans l’Histoire de la peinture en Italie, livre V, chap. xcvi, ouvr. cité, p. 277-278.
34 M. Crouzet, « La Russie comme expérience romantique », dans Campagnes en Russie, ouvr. cité, p. 272-277. Voir aussi : P. Berthier, « Le beylisme à l’épreuve du feu », Recherches & Travaux, no 42, 1988 ; N. Boussard, Stendhal. Campagne de Russie 1812 : le blanc, le gris et le rouge, Paris, Éditions Kimé, 1997 ; l’article d’Yves Ansel dans le présent ouvrage.
35 Voir, à la fin de cette présentation, « Note sur la Russie », p. XX.
36 É. Saliceto, Dans l’atelier néoclassique. Écrire l’Italie, de Chateaubriand à Stendhal, Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2013, p. 497.
37 Lettre à A. de Mareste du 14 avril 1818, dans Correspondance générale, édition de V. Del Litto et al., Paris, Champion, t. III, 1999, p. 234.
38 Voir l’introduction de M. Crouzet à D’un nouveau complot contre les industriels, Jaignes, Éditions La Chasse au snark, 2001.
39 Voir E. Fureix, La France des larmes. Deuils politiques à l’époque romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », 2009.
40 Voir J.-M. Rey, L’Oubli dans les temps troublés, Paris, Éditions de l’Olivier, coll. « Penser/Rêver », 2010.
41 Stendhal, malgré ses réserves, considère bien Coppet comme un centre névralgique de la culture européenne : « On me raconte qu’il y a eu, cet automne, sur les bords du lac [le Léman] la réunion la plus étonnante ; c’étaient les états généraux de l’opinion européenne. » (« Genève, 6 août 1817 », dans Rome, Naples et Florence, dans Voyages en Italie, édition de V. Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1973, p. 153)
42 Voir A. Poli et E. Kanceff (dir.), Reflets européens sur l’Italie romantique, Moncalieri, Cirvi, 2000.
43 Pour les débats sur la langue, voir Stendhal à Cosmopolis. Stendhal et ses langues, textes réunis et présentés par M.-R. Corredor, Grenoble, Ellug, coll. « Bibliothèque stendhalienne et romantique », 2007.
44 Qu’est-ce que le romanticisme ? dit M. Londonio, dans Journal littéraire, t. III, dans Œuvres complètes, édition de V. Del Litto et E. Abravanel, Genève, Cercle du bibliophile, 50 vol., 1967-1973, p. 106. On peut remarquer que Stendhal cite l’Espagne où il a à peine pu mettre les pieds : là aussi le « romantisme », à un moindre degré que pour l’Allemagne ou l’Italie, est entré notamment par l’idée d’« Europe » ; le journal El Europeo (L’Européen) publié à Barcelone en 1823 était rédigé par deux Italiens, un Anglais et deux Catalans. Rappelons que la revue de Schlegel, quand Stendhal séjourne à Vienne, a pour nom Europa.
45 Texte publié dans Journal littéraire, ouvr. cité.
46 Ibid., p. 144.
47 Voir déjà les notes de Daniel Muller à l’édition Champion.
48 Et censuré. Voir la lettre au directeur de l’Edinburgh Review, le 10 avril 1818 : « La crainte de la police a fait tronquer le quart de mon livre. »
49 Voir Voyager en France au temps du romantisme, textes réunis et présentés par A. Guyot et C. Massol, Grenoble, Ellug, coll. « Bibliothèque stendhalienne et romantique », 2003.
50 Voir F. Hartog et G. Lenclud, « Régimes d’historicité », dans A. Dutu et N. Dodille (dir.), L’État des lieux des sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 18-38.
51 Voir F. Hartog, Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003.
52 Voir lettre à Adolphe de Mareste du 30 août 1820 : « All Europe shall have the liberty en 1850, mais pas avant. Voilà mon calmant. » Sa réflexion politique a toujours une dimension européenne.
53 H.-F. Imbert, « Le romantisme de Stendhal », dans Variétés beylistes, Genève, Slatkine reprints, 1999, p. 233-245.
54 Pour ce texte qui demeure essentiel, les présentations de Stendhal lui-même sont très éclairantes. Voir, outre l’article « Racine ou Shakespeare ? » déjà cité : « Racine et Shakespeare », ibid., p. 127 ; « Racine et Shakespeare par Monsieur de Stendal [sic] », ibid. ; « Racine et Shakespeare no 2 », ibid., p. 474.
55 Voir lettre à Adolphe de Mareste du 21 déc. 1816 : « Voilà le romanticisme que vous ne sentez pas assez. Le mérite est d’administrer à un public la drogue juste qui lui fera plaisir. »
56 Œuvres complètes, ouvr. cité, vol. Racine et Shakespeare, préface de P. Martino, 1973, p. i-cxxxiv, et M. Crouzet, Racine et Shakespeare (1828-1825) et autres textes de théorie romantique, Paris, Champion, 2007. Pour une récente mise au point, voir le no 13 de L’Année stendhalienne consacré à Racine et Shakespeare, textes réunis par M. Parmentier, Paris, Champion, 2014. Notamment : G. Loisel, « Stendhal au carrefour des débats romantiques européens : généalogie de Racine et Shakespeare » ; F. Vanoosthuyse, « Situation de Racine et Shakespeare ».
57 Voir X. Bourdenet, « Divergences génériques et complémentarité génétique : De l’Amour et Racine et Shakespeare (1821-1823) », dans L’Année stendhalienne, no 13, Paris, Champion, 2014.
58 Voir M. Colesanti, Stendhal e il romanticismo, dans Stendhal e Milano, Florence, Olschki, 1982, et F. Claudon, article « Romanticisme », dans Y. Ansel, P. Berthier et M. Nerlich (dir.), Dictionnaire de Stendhal, Paris, Champion, 2004, p. 620-622.
59 « Car voici la théorie romantique : il faut que chaque peuple ait une littérature et modelée sur son caractère particulier comme chacun de nous porte un habit modelé pour sa taille particulière. » (Qu’est-ce que le romanticisme ?, ouvr. cité, p. 122)
60 P. Tortonese, L’Œil de Platon et le regard romantique, Paris, Éditions Kimé, 2006.
61 Rappelons que Stendhal consacre un chapitre au « Beau idéal antique » et un chapitre au « Beau idéal moderne » dans l’Histoire de la peinture en Italie, ouvr. cité, respectivement p. 237-249 et p. 311-352.
62 Voir P. Berthier, Stendhal, Paris, Éditions de Fallois, 2010.
63 Voir Y. Hersant, « Une lyre où il manque des cordes », dans Chateaubriand. Le tremblement du temps (colloque de Cerisy), textes réunis et présentés par J.-C. Berchet, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. « Cribles », 1994.
64 Voir G. Bertrand et A. Guyot (dir.), Des « passeurs » entre science, histoire et littérature. Contribution à l’étude de la construction des savoirs (1750-1840), Grenoble, Ellug, coll. « Savoirs littéraires et imaginaires scientifiques », 2011.
65 Voir C. U. Arcuri (dir.), « Europe du roman. Romans de l’Europe », numéro hors-série de la revue Romanesques [Classiques Garnier], 2013.
66 Voir W. Berelowitch et M. Porret (dir.), Réseaux de l’esprit en Europe, des Lumières au xixe siècle (actes du colloque international de Coppet), Genève, Droz, 2003.
67 Voir en annexe du présent ouvrage.
68 Voir G. Agamben, Signatura rerum, Paris, Vrin, 2008.
69 Il faudrait sans doute parler d’« aire germanique » puisque le séjour à Vienne a été encore plus fructueux que le séjour à Brunswick ; sur l’importance de ce séjour dans l’œuvre de Stendhal, voir R. Baehr, « 1809, l’année autrichienne de Stendhal », Stendhal Club, 1989, et plus récemment, Recherches & Travaux, no 79, 2011, « Stendhal, Vienne, l’Autriche », textes réunis et présentés par M.-R. Corredor.
70 Sur la Grèce : la Grèce est pourtant un sujet constant d’intérêt. Voir la réflexion (17 sept. 1816), après la lecture de l’Histoire de Grèce par Mitford : « c’est l’histoire de deux partis, l’aristocratique et le démocratique, comme en Italie et peut-être en Amérique aujourd’hui ». Aussi la question : « La Grèce renaîtra-t-elle de nos jours pour la civilisation ? » (Œuvres complètes, ouvr. cité, vol. Mélanges, t. III, Peinture, p. 185-199) Le tableau lucide de la politique européenne à cette date (avec des emprunts importants à la Quaterly Review, vol. 10, no 20, janv. 1814, p. 442-463) donne une importance de premier plan à la question grecque. Pour l’aspect philologique étroitement lié, voir G. Kliebenstein, « Stendhal face au Grec », dans Stendhal à Cosmopolis, ouvr. cité, p. 25-59.
71 Voir M. Crouzet, Stendhal et l’Amérique, Paris, Éditions de Fallois, 2008.
72 Voir A.-M. Thiesse, La Création des identités nationales : Europe, xviiie-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999.
73 Voir M.-C. Hoock-Demarle, L’Europe des lettres : réseaux épistolaires et construction de l’espace européen, Paris, Albin Michel, 2008, en particulier chap. i, « La mise en réseau de l’Europe ».
74 Voir l’article de Stendhal sur l’Antologia, da Vieusseux, dans Paris-Londres, chroniques, ouvr. cité, p. 149.
75 Voir en annexe du présent ouvrage, « “La révolution entre dans la littérature” : l’exemple de la Pologne ».
76 Voir M. Di Maio, « “L’égotisme, mais sincère…” » : Stendhal romantique », dans L’Europe romantique, ouvr. cité, p. 571-583.
77 Respectivement dans Œuvres complètes, ouvr. cité, t. II, p. 152, et Œuvres complètes, Lausanne, L’Âge d’homme, 1973, t. I, p. 409.
Auteur
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Voyager en France au temps du romantisme
Poétique, esthétique, idéologie
Alain Guyot et Chantal Massol (dir.)
2003
Enquêtes sur les Promenades dans Rome
« Façons de voir »
Xavier Bourdenet et François Vanoosthuyse (dir.)
2011
Écriture, performance et théâtralité dans l'œuvre de Georges Sand
Catherine Nesci et Olivier Bara (dir.)
2014