La Mare au diable ou l’impossible opéra-comique
p. 285-304
Texte intégral
1Telle est l’ouverture de rideau d’un opéra qui n’a jamais été donné. Le livret fut ébauché : les lignes citées sont de la main même de George Sand. La musique fut envisagée : en marge de la scène première figurait l’indication « Introduction et chœur des laveuses ». Plusieurs morceaux furent composés, mais la partie musicale ne fut jamais achevée par celle à laquelle elle avait été confiée : Pauline Viardot.
2En 1944, Thérèse Marix-Spire a publié un article qui retrace « les vicissitudes » de cet opéra-comique et expose les causes de son inachèvement. Porté pendant près de dix-sept années, le projet n’a pas abouti car Pauline Viardot, trop occupée, à cette époque-là, par sa propre carrière, n’a pas pu donner suite. S’il est vrai qu’il est intéressant de comprendre pourquoi cet opéra n’a jamais vu le jour, toutefois, notre interrogation est autre et elle porte principalement sur ce passage exceptionnel dans la vie artistique de Sand du statut de romancière à celui de librettiste.
3Dans son article, Thérèse Marix-Spire rappelle que Sand a souvent été courtisée par des musiciens pour tirer un opéra de ses œuvres2 : « Auber songe au Piccinino, Halévy aux Maîtres Sonneurs3 », Victor Massé a commencé la musique du Drac, Meyerbeer surtout, comme nous l’apprend la correspondance de Sand et Viardot, a « la tête tournée » par Consuelo. La cantatrice indique dans sa lettre : « Il en parle continuellement, il en rêve, et veut absolument vous en parler dès que vous reviendrez à Paris. Il rêve un opéra avec la partie qui a lieu en Bohême dans le château des Géants4 ». Mais malgré toutes ces avances flatteuses émanant de musiciens de renom, c’est à la seule Pauline Viardot que Sand cède pour tenir le rôle de librettiste.
4Et pourtant ce rôle l’effraie, elle ne s’en croit pas apte : en juillet 1850, elle écrit à un correspondant qui lui a demandé une entrevue pour Lacombe, musicien désireux de faire un opéra avec un livret de George Sand :
Je n’entends rien à la littérature d’opéra. Je ne serais pas libre d’ailleurs de travailler dans ce sens en collaboration de qui que ce soit. J’ai refusé de faire des opéras pour Meyerbeer et pour des amis intimes, sachant bien que ce n’était pas ma partie, et je ne voudrais même pas qu’on pût penser que j’ai promis à quelqu’un, car ce serait me brouiller avec plusieurs. (Corr., t. IX, p. 625)
5Or, en dépit de ses dénégations sur sa capacité à rédiger un livret, Sand donne à Pauline Viardot son accord pour tirer un opéra d’une de ses œuvres champêtres.
6Au départ, dans l’esprit des deux femmes, il s’agit de porter sur la scène ce qu’elles nomment un « petit acte berrichon », puis le projet se précise dans l’esprit de Pauline qui écrit : « Avez-vous jamais pensé à mon petit acte ? Une vraie paysannerie. Ne pourrait-on pas faire quelque chose avec La Petite Fadette5 ? ». Mais George Sand, quoiqu’elle se présente comme inhabile au métier de librettiste, est formelle. Elle lui répond le 21 mai 1859, par retour de courrier, qu’elle ne « voit » pas La Petite Fadette en un acte, mais qu’elle verrait plutôt La Mare au diable, « dont l’unité de lieu peut s’arranger » (Corr., t. XV, p. 429), et elle ajoute dans sa lettre que l’artiste pourrait placer dans sa composition musicale « des souvenirs dans la couleur des mélodies berrichonnes ».
7Grâce au génie de Pauline Viardot, l’âme poétique et musicienne des paysans pourrait irradier au-delà du Berry, franchir les frontières, survivre. Mais si, pour Sand, Pauline Viardot est un génie, encore faut-il faire partager cette opinion aux directeurs de la scène musicale parisienne, ces promoteurs d’un genre qui magnifie les femmes autant qu’il les met à mort6.
Nohant et la musique populaire
8À Nohant, les arts règnent, mais l’un prédomine : la musique. La musique y existe depuis toujours et l’on sait par Histoire de ma vie le plaisir qu’avait la jeune Aurore à se faufiler sous le piano du salon pour écouter sa grand-mère chanter. Cet art s’impose d’abord, dans ce lieu reculé du Centre de la France, par la présence des pianistes parmi lesquels on compte Liszt, Chopin et Pauline Viardot. En effet, l’inspiratrice de Consuelo reçut une formation telle de la part de son père Manuel Garcia qu’elle put choisir entre une carrière lyrique ou une carrière instrumentale ; Joaquina Sitches, sa mère, trancha en reconnaissant la qualité exceptionnelle de la voix de sa deuxième fille.
9Au début du mois d’août 1841, les époux Viardot se rendent pour la première fois à Nohant puis ils y reviennent les deux étés suivants. Au fil des années, Pauline s’imprègne de plus en plus des mœurs et coutumes berrichonnes. Présente lors des noces de Françoise Meillant, elle participe aux trois jours et trois nuits de fêtes et de réjouissances que décrit Sand dans l’appendice de La Mare au diable. Pauline Viardot aime cette terre, elle partage les divertissements favoris des habitants à savoir le chant, la danse et la musique. Car la musique, dans le Berry, est constante, elle est de toutes les cérémonies, des noces aux funérailles. Marie-Louise Vincent rapporte le souvenir de M. Augras, directeur de la Société des Gars du Berry, qui lui confia avoir vu « douze à quinze mille personnes marcher à la suite de la musique des Gars du Berry ne songeant plus à boire ni à manger7 ». Forte de ce témoignage et de ses propres enquêtes, elle écrit dans son essai George Sand et le Berry : « le Berrichon aime passionnément la musique, le chant et la danse », et elle précise : « quant aux effets que la musique produit sur le paysan de cette contrée, George Sand ne les a pas le moins exagérés. Sans musique, cet homme ne pourrait pas vivre8. »
10Pauline Viardot, bien que déjà reconnue comme cantatrice, s’amuse des plaisirs simples de la campagne, « elle n’a fait que courir les bois et danser la bourrée tout le temps qu’elle a été ici », écrit Sand à Mme Marliani (Corr., t. VI, p. 244). C’est à l’époque où Sand resserre l’action de ses romans sur le Berry et où elle vit avec Chopin que Pauline Viardot vient à Nohant ; pour la musicienne qu’elle est, cette terre est propice à l’écriture musicale. Dès son premier séjour, la fille de Manuel Garcia interprète les airs des vieux maîtres italiens qui revivent dans Consuelo. À Nohant, Pauline chante, danse, et transcrit aussi les airs qu’elle découvre, airs du terroir, airs destinés à disparaître si personne ne les sauvegarde9. Grâce à elle, la partition du Briolage est arrivée jusqu’à nous, partition qui permet de nous faire une idée de ce chant étonnant qu’entonnent les laboureurs pour encourager les bœufs à tirer le soc de la charrue et auquel George Sand consacre deux pages dans La Mare au diable. Toujours grâce à elle, on possède également la partition du Chant des livrées, sous-titrée « chanson de noces du Berry », qu’elle a eu l’heureuse idée, des années après la mort de Sand, de transmettre au musicologue Julien Tiersot10. Ce dernier, auteur par ailleurs de plusieurs ouvrages sur la chanson populaire, écrit dans la préface des Mélodies populaires des provinces de France (1888) :
Les mélodies dont se compose ce recueil sont prises directement à la tradition populaire encore vivace parmi les habitants de nos campagnes. […] nous devons aux recherches de Mme Pauline Viardot Le Briolage et le Chant des livrées du Berry, deux chansons dont il est question dans La Mare au diable de Georges [sic] Sand.
11Et il ajoute fièrement :
Mme Viardot, qui n’est pas seulement l’interprète incomparable des productions les plus élevées de l’art, mais qui sait aussi s’intéresser aux humbles manifestations de l’esprit populaire, les a recueillies à Nohant de la bouche des paysans berrichons ; elles sont publiées ici pour la première fois11.
12Comme Sand et comme Chopin, Pauline Viardot a le goût de la musique populaire dont Sand fait l’éloge dans Consuelo. Bien avant d’avoir écrit La Mare au diable, la romancière note dans cet ouvrage qui s’ouvre sur la Venise lyrique du xviiie siècle :
Il y a une musique qu’on pourrait appeler naturelle, parce qu’elle n’est point le produit de la science et de la réflexion, mais celui d’une inspiration qui échappe à la rigueur des règles et des conventions. C’est la musique populaire : c’est celle des paysans particulièrement12.
13Dans le même paragraphe, la narratrice poursuit son éloge de la musique populaire en qualifiant le paysan d’« artiste inconnu qui improvise sa rustique ballade en gardant ses troupeaux, ou en poussant le soc de sa charrue ». De Consuelo aux romans champêtres, un lien est tissé qui entremêle dans ses fils la figure de Pauline Viardot. Comme l’héroïne du roman, Viardot est capable d’interpréter à la perfection les plus grands maîtres du passé, mais comme elle, elle apprécie aussi la musique non savante : au sein de ses concerts, la grande cantatrice n’hésite pas à insérer des musiques traditionnelles tels les boléros que lui avaient transmis son père. Mais la sœur de la Malibran ne se contente pas de chanter, elle crée aussi. Les chansons espagnoles de sa composition, qu’elle interprète à Chopin durant l’été 1845, ravissent l’âme du musicien ; dans une lettre adressée à sa famille, il écrit à leur propos :
La Viardot m’a dit aussi qu’elle irait vous voir quand elle passerait par votre ville. Elle m’a chanté les chansons espagnoles qu’elle a composées l’an dernier à Vienne et m’a promis de vous les faire entendre. Je les aime beaucoup. Je doute qu’on puisse ouïr ou rêver quelque chose de plus parfait en ce genre. Ces chants nous réuniront13.
14Sand, Chopin et Viardot ont chacun le désir de puiser leur source d’inspiration dans leur terre d’origine. Viardot compose des chansons espagnoles tandis que Chopin, durant la même année 1845, compose trois nouvelles mazurkas14. Ce faisant, il remplit la mission que lui a dessinée dès 1831 le poète Witwicki d’être le compositeur national et de collecter les mélodies populaires slaves :
Vous devez absolument être le créateur de l’opéra polonais ; je suis profondément convaincu que vous pourriez le devenir et, comme compositeur national polonais, frayer à votre talent une voie extrêmement riche qui vous mènerait à une renommée peu commune. […] Cherchez les mélodies populaires slaves, comme le minéralogiste cherche les pierres et les métaux dans les montagnes et les vallées. Même vous jugerez peut-être convenable de noter certains chants ; ce serait pour vous une collection extrêmement utile ; il ne faut pas regretter le temps que l’on emploie à cela15.
15Curieusement, la méthode que préconise Witwicki en 1831 est celle qu’adopteront ces amoureux de la musique populaire que sont Sand, Chopin et Viardot. Mais si ces deux derniers sont restés célèbres comme musiciens, Sand ne s’est pas moins forgé une réputation de musicienne émérite auprès de ses contemporains. La lettre qu’elle envoie à Champfleury en 1854 et dans laquelle elle rapporte que Viardot et Chopin ont passé « des heures à transcrire quelques phrases mélodiques des chanteuses et des sonneurs de cornemuse » (Corr., t. XII, p. 264), est une réponse à des questions que lui posait le critique sur la poésie populaire dans le cadre d’une enquête nationale16. Car Sand, à cette époque, n’est pas seulement considérée comme une grande romancière, elle est aussi reconnue comme la spécialiste du Berry et de ses chansons.
Sand et le livret de La Mare au diable
16À la suite de Chopin et de Viardot, Sand s’est également consacrée à la retranscription de chansons traditionnelles. En décembre 1850, elle annonce fièrement à son fils qu’elle a trouvé « une mine de musique » en la personne du sieur « Jean Chauvet, maçon qui fait des trous dans ses murs » ; elle précise : « Il chante juste et avec le vrai chic berrichon, je l’ai emmené au salon et j’ai noté trois airs dont un fort joli, après quoi je l’ai fait bien boire et bien manger, là, tout son saoul. » (Corr., t. IX, p. 835) Sand a pris la place de Pauline Viardot et Müller-Strubing celle du défunt Chopin. Avant de se faire la mémoire et le chantre des Légendes rustiques du Berry, la romancière s’est faite collecteur d’airs berrichons au point de pouvoir envoyer au chef d’orchestre de la Porte Saint Martin, Adolphe Vaillard, en décembre 1850, plus de onze titres en vue de Claudie moissonneuse, quadrille berrichon que le musicien a tiré de la pièce Claudie. Dans la lettre qu’elle lui envoie, elle donne au chef d’orchestre une véritable leçon sur les chants des paysans en les replaçant dans le contexte d’un pays de « terres fortes et lourdes où des bœufs grands et forts mènent tout lentement, le travail et l’homme ». Elle indique à Vaillard le rythme à suivre pour les romances, complaintes et ballades et celui qui convient aux danses et bourrées. Elle souligne les notes qui peuvent heurter l’oreille du parisien : « un trille affreusement faux » qui n’est qu’un fa naturel « produit par l’insuffisance de l’instrument du ménétrier ». Elle fournit des indications précises pour l’ouverture et la fête de la Gerbaude et finit sa lettre sur des recommandations pour l’orchestration de Claudie : « Je n’ai pas besoin de vous dire que l’harmonie la plus élémentaire, les moyens les plus simples, les sutures les moins sensibles enfin l’instrumentation la moins chargée seront ce qu’il y a de meilleur. » (Corr., t. IX, p. 840-841)
17De même que Sand intervient dans la mise en scène de ses romans, adaptés voire « auto-adaptés » au théâtre, pour reprendre l’expression de Catherine Masson17, de même, sur la scène musicale, elle indique comment doit être interprétée la partition. Elle a beau se dire « peu musicienne » dans la lettre adressée au chef d’orchestre, son contenu même infirme cette déclaration. Ainsi, dans cet art, comme dans les lettres, Sand minimise toujours ses dons. Musicienne, elle l’est, et si elle a été autant entourée de musiciens, c’est non seulement parce qu’elle place la musique au-dessus de tous les arts, mais aussi parce qu’elle est elle capable de la lire, de la pratiquer, de l’enseigner et de l’apprécier. Comme en littérature, elle sait reconnaître le talent de ceux que la critique déchire : elle était fière d’avoir été une des premières à saluer le génie de Berlioz et de Meyerbeer. Son jugement en musique était très sûr18, mais elle ne se contenta pas d’être une musicienne éclairée, elle valorisa également cet art dans ses différentes formes, savante et populaire, à travers son théâtre et au sein de sa production romanesque, de Consuelo aux Maîtres Sonneurs en passant par Jeanne et La Mare au diable.
18Porter sur la scène l’une des œuvres champêtres de Sand fut le projet inabouti de Pauline Viardot, mais ce projet était d’autant plus fondé qu’il fut réalisé par d’autres. La Petite Fadette, à laquelle la cantatrice avait songé initialement, fut représentée le 11 septembre 1869 à l’Opéra-Comique : Théodore Semet en signa la musique et Michel Carré en écrivit, sinon le livret, à tout le moins les vers. Mais le nom du librettiste n’ayant pas été mentionné, Sand rapporte dans son compte rendu de la première de La Petite Fadette à sa belle-fille, qu’« on est venu annoncer, au baisser du rideau, que la pièce était d’[elle] et de M. Semet » (Corr., t. XXI, p. 618). Cette erreur sur la personne amuse plus qu’elle ne gêne la romancière et elle témoigne des qualités qui lui sont reconnues dans l’art musical, qualités de librettiste que confirme l’ébauche du livret transmis à Pauline Viardot.
19Sand avait refusé La Petite Fadette parce qu’elle ne voyait pas ce texte transposé en un acte. En revanche, elle propose La Mare au diable au nom de « l’unité de lieu » qui peut, dit-elle, « s’arranger ». Dans la même lettre datée du 21 mai 1858, elle expose à la cantatrice sa vision de leur « petit acte berrichon » : « On ferait d’autres paroles ou même pas de paroles. Ce serait la musique des arbres parlant tout seuls, le chant de la forêt, car c’était cela avant tout. Mon Dieu, que c’était beau et que ce sera beau bien rendu et bien placé ! » (Corr., t. XV, p. 429-430) Ces quelques lignes permettent de voir à quel point Sand, en adaptant son roman à la scène, entend faire ressortir la poésie de son sujet. Le passage du conditionnel au futur révèle que le projet prend forme au fur et à mesure qu’il s’écrit, un projet pour lequel elle se dit toujours incompétente seule, mais pour lequel elle va se faire aider. Néanmoins, elle ajoute à cette lettre une ébauche de livret qui illustre la sensibilité musicale de Sand librettiste et l’enjeu que représente pour elle ce passage du texte romanesque à la scène.
20L’adaptation de La Mare au diable en opéra-comique est pour elle l’occasion de porter sur la scène les mœurs des Berrichons, de faire découvrir leurs mélodies et de les inscrire dans un patrimoine littéraire et artistique. Dès l’ouverture, la romancière-librettiste montre les paysans dans leur quotidien et dans leurs activités. La première scène aurait commencé, selon le schéma dramaturgique traditionnel des opéras-comiques19, avec un chœur : un chœur de laveuses. Les paysannes, en train de battre et de tordre le linge, auraient entonné le premier air, puis seraient revenues après la ballade de La Mare au diable qu’aurait interprétée la petite Marie. L’embryon de livret ne fournit pas les paroles définitives de cette ballade que Sand a mise ensuite en vers avec Gustave Vaëz, mais elle en indique le contenu. Cette ballade aurait eu pour thème les croyances autour de ce lieu :
Cette pauvre mare au diable n’est pas si méchante qu’on le dit. On prétend que les sorciers s’y rassemblent au clair de lune, et que les lavandières de nuit y noient les passants. Mais moi, je n’y ai entendu chanter que les oiseaux le jour et les rainettes la nuit. N’ayez pas peur de la mare au diable. – On dit que le méchant lupin y donne de mauvais conseils aux filles et que ceux qui en font le tour à minuit sont forcés de le recommencer jusqu’à l’aube du matin. Mais, moi je crois que partout les filles sont bien gardées par le bon Dieu, et que les gens qui tournent en rond toute la nuit sont ceux qui n’ont pas l’habitude de marcher droit pendant le jour20.
21Les paroles rapportées ne sont pas les définitives : Sand a écrit au-dessus du paragraphe cité « sens de la ballade ». Nonobstant, cette ballade présente le double intérêt d’introduire et le personnage de Marie et le cadre berrichon des légendes et croyances que Sand a diffusées dans ses articles pour L’Illustration et rassemblées sous le titre de Légendes rustiques. L’Opéra-Comique aurait ainsi permis de leur donner plus de résonance et d’en magnifier la portée21.
22Par ailleurs, en réduisant le nombre de personnages22 et en les recentrant sur les seuls paysans, le livret aurait développé la couleur pastorale du roman tout en gardant les effets dramatiques : l’errance dans le brouillard autour de la mare et la rixe avec le rival qui n’est plus le maître, mais le frère de la veuve Guérin et a pour nom Léonard. L’arrivée des beaux-parents, véritables dei ex machina, interrompt l’altercation et d’autant plus rapidement qu’ils sont accompagnés par un groupe de servantes et de valets de ferme. Le caractère grossier et brutal de Léonard, qui insulte Marie en public, éclate aux yeux de tous ; Germain ne profite pas de l’occasion pour accabler son adversaire, mais il fait sa demande en mariage qui est approuvée, tandis que le frère de la veuve Guérin se retire. Le futur époux de la petite Marie sort ainsi grandi de cette altercation et, ce faisant, c’est l’image même du paysan qu’il élève avec lui. Après avoir renouvelé sa représentation dans le roman, c’est sur la scène musicale que Sand aurait poursuivi cette remise en question des clichés, tout en restant, exercice délicat, dans le cadre étroit de la dramaturgie de ce genre codifié23. Comme dans le roman, l’opéra se serait terminé sur un finale joyeux, « le tout en musique24 ». Le choix de La Mare au diable pour une scène musicale était en effet d’autant plus pertinent de la part de Sand que la musique tient une grande place dans ce petit chef-d’œuvre. Le texte s’ouvre et se ferme sur des chants et il met encore la musique à l’honneur lors de la scène clé de la cristallisation de l’amour, la nuit, auprès de la mare, à la lumière du feu25.
23Mais, malgré l’ardeur à la tâche de Sand, malgré le concours de Vaëz, malgré la belle vision que la romancière avait de ce qu’elle espérait monter, la musique n’a pas suivi. Et pourtant, l’œuvre était en germes ; née à Nohant avec la retranscription du briolage, la composition musicale était entamée. Grâce à cet opéra, l’ouverture grandiose du roman avec la scène de labourage aurait pris toute son ampleur. Cette ouverture, qui a d’ailleurs inspiré à une autre artiste, une artiste peintre, Rosa Bonheur, la célèbre toile intitulée Le Labourage nivernais, aurait mis en valeur le briolage qu’aurait interprété Germain. Ainsi l’entrée de ce personnage principal aurait été musicale et elle l’aurait montré dans son métier de laboureur en permettant au spectateur de découvrir ce chant étrange et très particulier que les mots ne peuvent suffire à exprimer. Un autre air était également composé : un duo entre le père et la mère Maurice qui aurait été interprété à la scène vii de la première partie26. Néanmoins, ces deux compositions restent isolées, les années passent, la célèbre cantatrice vit désormais à Baden-Baden, les séjours à Nohant se raréfient, mais surtout d’autres musiciens tentent de s’emparer de ce texte dont Perrin, le directeur de l’Opéra, qui juge « scéniques27 » les types de La Mare au diable, et Victor Massé.
24La réaction de Sand à ces offres est immédiate, elle les décline : La Mare au diable, ce petit acte berrichon, comme les deux amies l’évoquent dans leur correspondance, ne pourrait être que défiguré entre les mains de personnes qui ne connaissent ni le Berry, ni ses mélodies, ni sa naïveté. Elle refuse que La Mare au diable soit faite en cinq actes : ce serait, écrit-elle, en « dénaturer l’esprit, la couleur, l’unité et la simplicité » (Corr., t. XVII, p. 602). L’œuvre qu’elle veut faire jouer à l’Opéra-Comique est une œuvre collective, d’amis choisis, qui devra rendre l’esprit poétique et musicien du Berry. Aussi déclare-t-elle à Pauline Viardot que si elle lui écrivait « je ne suis plus en humeur de paysannerie, le Berry s’est effacé de mon souvenir, quant à l’impression musicale. J’ai traversé Gluck et je vois autrement », Sand comprendrait son point de vue et lui demanderait de lui rendre son « petit poème » (Corr., t. XVII, p. 539). Car c’est avant tout l’idée de rendre « l’impression musicale » de cette terre qui lui importe, d’où l’impossibilité de travailler avec des Parisiens dont la représentation de la province et des paysans est, en général, déformée ou stéréotypée28.
25À la différence de bien des auteurs qui adaptent leurs romans à la scène en vue d’un strict profit financier, Sand n’a pas pour objectif premier le gain. Bien qu’elle ait envoyé, dès 1859, à Pauline les vers du futur opéra-comique et que cette dernière tarde à les mettre en musique – Louis Viardot, son mari, invoquant des prétextes plus ou moins fallacieux –, Sand cherche néanmoins à dissuader son amie d’abandonner le projet en le cédant au directeur de l’Opéra. Elle lui écrit en 1863 : « J’aime ma petite Mare au diable, et vous seule pouvez me la faire aimer encore plus. D’autres m’en dégoûteraient. » (Corr., t. XVII, p. 539) À Paul Meurice, qui s’est entremis dans cette affaire de l’adaptation de La Mare au diable à l’Opéra-Comique, elle tient le même discours en affirmant : « c’est un sujet que j’aime et que je n’aimerais plus en d’autres mains » (Corr., t. XVI, p. 540). Le portrait de Sand en librettiste témoigne de l’engagement affectif de la romancière dans son travail et du rapport quasi maternel qu’elle entretient avec le roman qui devait ouvrir la série des Veillées du chanvreur. Mais le portrait de Sand librettiste révèle aussi la femme de conviction qui défend les valeurs auxquelles elle croit, valeurs qui ne sont pas rattachées qu’au Berry. De cette histoire d’opéra inachevé ressort également la croyance de Sand dans la capacité de composer de Viardot, et sur ce terrain aussi, il a fallu lutter contre les représentations.
De la muse à l’égale
26George Sand, à son arrivée à Paris, avait été fascinée par la Malibran29 qui l’a inspirée pour son premier roman Rose et Blanche30. Elle retrouva en Viardot le talent qui avait enflammé son imagination et elle découvrit en cette jeune artiste de dix-huit ans les qualités humaines qui répondaient à son mysticisme esthétique. L’enchantement est immédiat entre ces deux femmes si semblables à tant de points de vue : même don de soi et même intégrité, même polyvalence dans les arts31 et même besoin de perfection, avec, comme le précise Thérèse Marix-Spire, « bien plus d’acharnement du côté de Pauline mue par une volonté inflexible32 ». Sand est conquise par la femme, par la cantatrice, par la tragédienne. Mais si la carrière de Pauline Viardot fut brillante, elle ne fut pas sans heurts et surtout en France. L’activité politique de son mari lui a nui. Alors que les critiques avaient acclamé les débuts de la sœur de la Malibran, les mêmes feuilletonistes déchirèrent la femme du co-directeur, avec Pierre Leroux, de La Revue indépendante. Bien vite, à force de cabales et d’intrigues, de bassesses et de petites coteries, les scènes de France ne furent plus pour Viardot des lieux de glorification de son talent. Sand s’en émeut ; elle écrit dès février 1840 un article dans la Revue des Deux Mondes pour défendre le génie de celle que les dilettanti parisiens sont en train de méconnaître. Sand sera constante dans son admiration : elle la clame dans la presse33, elle la répète dans ses romans, elle l’affirme dans sa correspondance34, et toujours elle met en avant le génie de la cantatrice, un génie qui représente un progrès pour l’humanité et pour la cause des femmes :
L’apparition de Mlle Garcia sera un fait éclatant dans l’histoire de l’art traité par les femmes. Le génie de cette musicienne à la fois consommée et inspirée constate un progrès d’intelligence qui ne s’était point encore manifesté dans le sexe féminin d’une manière aussi concluante35.
27Sand croit à la supériorité de Viardot et en ses capacités de compositrice. Dès les premières œuvres de celle qu’elle désigne comme sa « fille », Sand la soutient dans cette voie. En 1841, à Louis Viardot, qui l’invite à venir écouter Pauline dans une audition de Rossini, elle répond : « Je m’intéresse à son chêne et son roseau tout autant qu’à son Rossini. » (Corr., t. V, p. 478) En effet, Pauline Viardot avait mis en musique cette fable de La Fontaine et, quand elle la présenta à Chopin, le musicien, convaincu de la qualité de la composition, l’inscrivit au programme de son concert du 21 février 1842. Pour Sand, Viardot n’est pas seulement une grande cantatrice, elle est aussi une créatrice : en 1848, au moment de la proclamation de la République, elle persuade Ledru-Rollin de lui commander une nouvelle Marseillaise. L’œuvre, intitulée La Jeune République36, sera écrite et interprétée en public. Deux ans après, à Pauline Viardot, qui lui fait l’éloge de Gounod, encore peu connu en 1850, Sand répond, sceptique : « jusqu’à ce que j’entende, ou lise, je reste convaincue qu’il n’y a au monde qu’un seul génie musical et c’est vous » (Corr., t. IX, p. 464). Le terme de « génie » rend caduques les différences de sexe, il fait exploser les catégories selon le genre et témoigne que pour Sand, le génie peut se décliner au féminin comme au masculin.
28Mais si Sand est persuadée qu’une femme peut aussi être une compositrice, cet avis est loin d’être partagé par tous, surtout par les hommes qui règnent dans le milieu musical. Aussi, quand George Sand reçoit une lettre de Paul Meurice dans laquelle il lui explique que les directeurs de l’Opéra-Comique refusent la musique de Pauline Viardot parce que « Madame Viardot compositeur, c’est pour eux l’inconnu37 », Sand bout d’indignation. Elle répond immédiatement et vertement à l’expéditeur : « Vos directeurs d’Opéra qui ne savent pas que Mme Viardot est un grand compositeur, et qui aiment mieux la musique de M. Massé ! Cela ne doit pas nous étonner dans ce temps d’épicerie renforcée. Entre nous, mon ami, je n’ai plus grande envie de ce théâtre. » (Corr., t. XVII, p. 540) C’est le même discours qu’elle tient à son fidèle secrétaire Émile Aucante dans une lettre où elle rappelle les intrigues de Massé-Perrin et Meurice :
J’avais dit : « Si l’Opéra-Comique veut un poème de moi, qu’elle [sic] demande à Mme Viardot d’achever la musique. » À quoi l’Opéra-Comique avait dit ne pas connaître Mme Viardot. Dans la récidive de proposition, on avait bien voulu ajouter qu’on ne la connaissait pas comme compositeur. Pourtant, elle a publié des chefs-d’œuvre, mais ces Messieurs ne les connaissent pas ! (Corr., t. XVII, p. 601)
29La croyance de Sand dans les capacités créatrices d’une femme allait contre la mentalité de ses contemporains, comme l’explique Michelle Perrot à propos de la création artistique des femmes :
Écrire fut difficile. Peindre, sculpter, composer de la musique, créer de l’art le fut encore plus. À cela des raisons de fond : l’image et la musique sont des formes de la création du monde. La musique, surtout langage des dieux. Les femmes y sont impropres. Comment pourraient-elles participer à cette mise en forme, à cette orchestration de l’univers ? Les femmes peuvent tout juste copier, traduire, interpréter. Être cantatrice, par exemple38.
30À contre-courant de leur époque, et parce que leur jugement n’est pas entaché de préjugés et qu’ils ont eu entre les mains les compositions de Viardot, Sand, Chopin et Tourgueniev ont eu foi dans son génie de compositrice. L’illustre écrivain russe écrivit en 1869 un article destiné au Journal des Débats dans lequel il évoque textuellement « le remarquable talent de compositeur de Mme Viardot » ; il annonce, en outre, que le grand-duc a commandé à Viardot un véritable opéra en trois actes, et qu’il serait charmé que « Weimar, ville déjà célèbre, à tant de titres, fût la première ville à faire connaître en Allemagne une femme compositeur », et Tourgueniev de finir son article en pointant l’obstacle majeur :
C’est précisément là que gît, pour les amis de Mme Viardot, toute la question. Nous savions tous que, sans compter les obstacles ordinaires, elle devait encore lutter avec le préjugé qui n’admet pas qu’une seule et même personne puisse parvenir à de beaux résultats dans deux genres différents39.
31Mais ce compte rendu de la représentation du Dernier Sorcier à Weimar fut refusé par Hetzel : la conjoncture politique n’était certes pas favorable à une louange de la Prusse. En outre, le fond de l’article de Tourgueniev mettait à nu les restrictions imposées aux femmes artistes. Aussi n’est-ce que sur le tard et loin de Paris que Pauline Viardot écrivit des œuvres d’envergure, dont Le Dernier Sorcier susmentionné, sur des paroles de Tourgueniev, et même un opéra, Cendrillon, qu’elle composa à quatre-vingt-deux ans40, et dont elle conçut elle-même le livret, « Ivan n’étant plus de ce monde41 ». Ainsi, c’est après la mort de son mari, à l’heure où son talent a été mondialement reconnu, que Viardot a pu faire, comme le dit Florence Launay, dans son ouvrage Les Compositrices en France au xixe siècle :
[…] la démonstration de son aisance à écrire, au service de l’expression théâtrale, dans nombre de styles différents, de pastiches de danses anciennes, harmonisées avec humour à des parodies d’Adam, Rossini et Wagner, pour en arriver à une écriture très proche d’autres auteurs du genre de la même époque, André Messager, Reynaldo Hahn42.
32Mais si Sand avait deviné « cette aisance à écrire », la grande cantatrice n’en était peut-être pas autant convaincue elle-même à l’époque du projet de La Mare au diable. Pour expliquer le silence de sa femme aux sollicitations de Sand à propos de la musique d’opéra qui ne vient pas, Louis Viardot avance l’argument qu’elle aurait été « effrayée » de ne pas être à la hauteur de « l’illustre partner43 » : mais jusqu’à quel point est-ce seulement elle qui est effrayée ? La question peut se poser tant le statut de compositrice était problématique pour les femmes du xixe siècle, comme le confirment les cas d’artistes telles que Clara Schumann qui sacrifia sa carrière à son mari, ou Fanny Mendelssohn dont le talent fut volontairement étouffé par son père pour qu’elle ne fasse pas d’ombre à son frère, et l’on pourrait encore citer l’exemple d’Alma Mahler restée plus célèbre pour ses liaisons que pour ses compositions. La conclusion de l’ouvrage de Florence Launay sur les compositrices au xixe siècle est sans appel :
La majorité des musiciennes du xixe siècle ont été exclues de la création musicale ou confinées à la médiocrité par une conjonction de facteurs : accès difficile aux études approfondies de composition, conflits entre vie personnelle et professionnelle, manque d’encouragements dus aux préjugés sexistes, etc.44.
33Ainsi, l’histoire de cet opéra inachevé a permis de révéler l’exigence artistique et l’intégrité de Sand dans l’adaptation de ses romans à la scène musicale : elle préfère renoncer à un projet qui lui tient à cœur et sur lequel elle a travaillé que de le voir repris par des personnes qui ignoreraient l’esprit de la terre qui lui a inspiré sa Mare au diable. Comme elle l’écrit à Aucante en 1863 à propos du fiasco de cet opéra : « Je crois à quelque chose de plus honorable que le succès. » (Corr., t. XVII, p. 602) Car l’Opéra-Comique ne représente pas à ses yeux un moyen facile pour gagner de l’argent, mais une scène sur laquelle elle peut poursuivre sa réhabilitation de la représentation des paysans et faire entendre le génie de la musique, de la poésie et des légendes du Berry.
34Or, pour réaliser ce projet intime et personnel, Sand ne peut s’entourer que de personnes qui ont été sensibilisées à cette culture et dont elle admire le talent. Pauline Viardot a connu le Berry, ses fêtes, ses mélodies populaires qu’elle a retranscrites. Elle a vécu Nohant, la danse, le théâtre, la musique en liberté, une musique qui se joue aussi vite qu’elle s’invente. Des années après, dans sa grande maison de Courtavenel, elle va reproduire cet esprit avec ses concerts et son théâtre de pomme de terre, un théâtre dont le prix de l’entrée était une pomme de terre à déterrer dans le jardin45. Viardot suit le modèle de Sand, et l’on comprend pourquoi très vite elle l’a nommée sa fille : elle est l’image de la fille idéale qui partage ses goûts, cultive les arts et personnifie la figure de l’artiste humaniste.
35Mais Viardot est aussi pour elle, comme pour Chopin, comme pour Liszt, qui fut son professeur, et pour Tourgueniev, une véritable compositrice dont les qualités créatrices doivent être révélées au grand public. Mais, en dépit de la renommée de Sand, en dépit de sa volonté de faire aboutir le projet, les résistances furent grandes, la lutte était rude, car plus encore que de faire accepter les œuvres de la femme d’un républicain patenté, il se serait agi, avec cet opéra-comique, de faire accepter à la scène parisienne si pleine de préjugés, si méprisante et si corrompue, une œuvre conçue, portée et signée par deux femmes.
Notes de bas de page
2 « Meyerbeer, qui me demande depuis vingt ans un opéra. À notre dernière entrevue, il me l’a encore fait promettre. J’ai un joli sujet. Gounod me demande aussi, et d’autres encore, de travailler pour eux », indique Sand dans une lettre adressée à Gustave Vaëz et datée du 21[?] mai 1859 (Corr., t. XV, p. 432).
3 T. Marix-Spire, « Vicissitudes d’un opéra-comique : La Mare au diable de George Sand et de Pauline Viardot (d’après des documents inédits) », p. 125.
4 Lettres inédites de George Sand et de Pauline Viardot 1839-1849, p. 181.
5 T. Marix-Spire, « Vicissitudes d’un opéra-comique : La Mare au diable de George Sand et de Pauline Viardot (d’après des documents inédits) », p. 131.
6 Catherine Clément, dans L’Opéra ou la défaite des femmes, a montré à quel point le destin des héroïnes des grands opéras est un destin tragique. Le xixe siècle lyrique exalte la voix féminine, mais il fait aussi vibrer le public d’un plaisir ambigu et non idéologiquement innocent en lui faisant entendre les dernières notes échappées des lèvres de Lucia di Lammermoor, de Violetta, d’Isolde, de Carmen, de Mimi de La Bohême, de Mélisande, etc. Pour elle, l’opéra est « un spectacle conçu pour adorer, et tuer aussi, le personnage féminin » (L’Opéra ou la défaite des femmes, p. 14).
7 M.-L. Vincent, George Sand et le Berry, t. II, p. 271.
8 Ibid.
9 Grâce aux enregistrements réalisés par Ferdinand Brunot (1860-1938) au début du xxe siècle dans le Berry, en particulier à Saint-Chartier et à Nohant, nous pouvons encore entendre la voix des paysans berrichons et écouter leurs chants : chansons à boire, airs entonnés lors des mariages, mais aussi briolées aux bœufs. Ces enregistrements sont consultables aux Archives de la parole à la Bibliothèque nationale de France. On recommande, sous la cote SDCR 10992, une magistrale briolée aux bœufs, enregistrée en 1913 à Nohant, et interprétée par Sylvain Robin, cultivateur.
10 D’après Simone Vierne, Pauline Viardot prit contact avec Julien Tiersot en 1885, à l’époque où celui-ci donna à Paris des auditions de chansons populaires, et c’est à ce moment-là qu’elle lui aurait remis ses manuscrits. Voir S. Vierne, « George Sand, Pauline Viardot et la musique populaire », p. 48.
11 J. Tiersot, Mélodies populaires des provinces de France, vol. X, p. Y.
12 Consuelo, La Comtesse de Rudolstadt, édition de L. Cellier et L. Guichard, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2004, t. II, p. 23.
13 F. Chopin, Correspondance, t. III, p. 202.
14 Les trois Mazurkas opus 59.
15 F. Chopin, Correspondance, t. I, p. 269-270.
16 Une note de Georges Lubin précise que, sur instructions du prince-président, un décret du 13 septembre 1852 avait prescrit la recherche et la publication d’un « Recueil général des poésies populaires de la France ». J.-J. Ampère, qui participait au Comité des travaux historiques chargé de l’enquête, s’était adressé à Champfleury à propos d’une chanson berrichonne et ce dernier lui répond : « Je lis en sous-titre : “Chanson populaire du Berry”. Est-ce un fait bien certain, bien prouvé ? Je la trouve d’une langue bien française, pour une chanson sortie d’un village berrichon. […] C’est ici, Monsieur, qu’il serait bien utile de consulter Mme Sand, qui connaît parfaitement la poésie populaire. Mme Sand a imprimé, dans La Comtesse de Rudolstadt, quatre pages sur la musique populaire qui témoignent qu’elle comprend le charme de l’art naïf. Personne n’a rien écrit de mieux jusqu’ici sur ce sujet. » (Corr., t. XII, p. 264)
17 C. Masson, « George Sand et “l’auto-adaptation” de ses romans à la scène ». Dans cet article, qui n’émane pas seulement d’une universitaire, mais aussi d’une praticienne du théâtre, est épinglé l’écart entre ce qu’affirme Sand dans sa correspondance, à savoir qu’elle n’est pas intervenue dans la mise en scène de son roman – en l’occurrence François le Champi –, et la réalité. La réalité est tout autre : elle révèle un soin minutieux des détails, de multiples recommandations aux acteurs, qui confinent, parfois, au harcèlement, bref, une volonté de tout contrôler. Voir, dans le présent ouvrage, l’article de S. Malkin sur « la mise en scène à distance ».
18 D’après Maurice Cristal, journaliste au Ménestrel, Gustave Planche consultait George Sand pour ses études musicales à la Revue des Deux Mondes. Voir son article : « George Sand musicienne et librettiste ».
19 L’ébauche de livret que nous a transmise Thérèse Marix-Spire ne permet guère de livrer une étude approfondie sur l’écriture dramaturgique de Sand librettiste. Toutefois, avec le peu que l’on possède, il semblerait que Sand sacrifie à la dramaturgie musicale de l’opéra-comique telle qu’elle a été codifiée, la preuve la plus manifeste est cette volonté de rester dans les limites d’un acte, selon le schéma du Concert à la cour, de La Vieille, du Muletier ou du Coq de village, opéras-comiques dont le synopsis est reproduit dans l’ouvrage d’O. Bara, Le Théâtre de l’Opéra-Comique sous la Restauration. Enquête autour d’un genre moyen, p. 517-545. Cette structure lui permet certes de valoriser la mare au diable, mais c’est au prix d’invraisemblances et d’un ensemble un peu bancal fait de deux parties séparées par un intermède musical.
20 Texte cité par T. Marix-Spire, « Vicissitudes d’un opéra-comique : La Mare au diable de George Sand et de Pauline Viardot (d’après des documents inédits) », p. 142.
21 Nicole Wild, dans son Dictionnaire des théâtres parisiens au xixe siècle, présente l’Opéra-Comique comme l’un des « quatre grands théâtres autorisés par le décret impérial du 29 juillet 1807 ». Le répertoire de ce théâtre est également fixé par décret ; selon le décret du 25 avril 1807 : « Ce théâtre est spécialement destiné à la représentation de toutes espèces de comédies ou drames mêlés de couplets, d’ariettes et de morceaux d’ensemble. Son répertoire est composé de toutes les pièces jouées sur le théâtre de l’Opéra-Comique avant et après sa réunion à la Comédie Italienne, pourvu que le dialogue de ces pièces soit coupé par du chant. » (Dictionnaire des théâtres parisiens au xixe siècle, p. 324 et 330) Sur la dramaturgie de l’opéra-comique, fixée en 1825 pour plusieurs décennies par La Dame blanche de Scribe et Boieldieu, voir O. Bara, Le Théâtre de l’Opéra-Comique sous la Restauration.
22 Sur la scène ne figurent ni la veuve Guérin, ni ses prétendants, ni même le fermier des Ormeaux ; le rôle du « méchant » dans l’opéra est tenu par celui qui est nommé le père Léonard et qui est présenté comme le frère de la veuve Guérin. La Guillette est également retranchée de la liste des personnages.
23 Sand renouvelle certes la représentation du paysan, mais dans le roman, comme dans le livret, le personnage de Germain a gardé sa caractéristique naïveté. Ainsi la romancière-librettiste précise à propos de l’air qu’entonne Germain à la scène iv : « Germain seul pense à sa défunte et chante ses regrets tendres, naïfs, un peu comiques. » La représentation traditionnelle du paysan (le « Colin ») à l’Opéra-Comique est donc plus ébranlée que renversée.
24 Il n’est pas précisé si le finale, écrit sans « e » par Sand, est en couplets ou sous forme d’une action filée en musique. L’ébauche de livret se termine sur ces mots : « Le tout en musique. »
25 Le caractère musical de La Mare au diable a été remarqué par d’autres artistes : en 1895, André Lénéka en tire une pastorale lyrique en 3 actes avec une musique de Ravera ; en 1919, Hugues Lapaire adapte le roman en une pièce en 4 actes accompagnée d’une musique de Félix Fourdrain.
26 Ce duo, encore inédit, à notre connaissance, est mentionné par Pauline Viardot dans une lettre adressée à Gustave Vaëz. Elle lui écrit : « Mon cher monsieur Vaëz / le petit duo de Philémon et Baucis, c’est-à-dire le père et la mère Maurice est fait. Je retrouve dans mes paperasses une mélodie pour ténor qui me semble convenir parfaitement pour Germain à la scène 4e. » La lettre rédigée à Courtavenel est datée du 17 septembre, mais l’année n’est pas précisée. Il y a fort à penser qu’il s’agit de l’année 1859 car c’est au cours de l’été 1859, du 17 au 24 juillet, que Vaëz séjourna à Nohant pour travailler avec Sand au livret de La Mare au diable. Or, le 4 septembre, Pauline Viardot précisait par lettre à Gustave Vaëz qu’elle avait « reçu [son] manuscrit sain et sauf ». Par ailleurs, le 9 juillet, de Courtavenel, la cantatrice envoie la lettre suivante à Sand : « Ma bonne Ninounne, / depuis ma dernière, j’ai quelque chose de nouveau à vous dire. C’est que je suis engagée au théâtre lyrique pour chanter Orphée de Gluck l’hiver prochain. Vous savez que ce théâtre est de beaucoup le plus artistique de Paris, le seul où l’on entende les grandes œuvres. J’espère que vous ne désapprouverez pas cet engagement et que vous viendrez entendre Gluck. Mais il y a le temps d’ici là, car ce n’est qu’au mois de décembre. Avant cela je dois faire une course de six semaines en Angleterre. Tout cela pourtant n’empêchera pas que je ne m’occupe de la Mare au diable et je viens vous prier de m’envoyer ce qu’il y aura de fait. Quant à mes monstres, je ne vois pas grand-chose dans ce que j’ai dans mes paperasses qui puisse servir. Je trouverai plutôt moyen d’adapter une musique à vos paroles, sauf des petits changements faciles à faire ensemble. / Envoyez-moi donc du travail, ma plume (d’oie) est taillée et les idées planent dans ma tête attendant leur place. » Pour rappel, c’est le 18 novembre 1859 qu’eut lieu la première d’Orphée. Les différentes lettres citées sont archivées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
27 Comme nous l’apprend une note de Georges Lubin (Corr., t. XVII, p. 141).
28 « Le public et la critique, à l’apparition de La Mare au diable et de François le Champi, furent à la fois étonnés et ravis. Le théâtre nous avait toujours montré des paysans ou grotesques ou méchants. Il sembla que les montrer susceptibles de bons sentiments fût une véritable découverte », écrit Hetzel, sous le pseudonyme de P. J. Stahl, dans les colonnes de La Presse le 22 novembre 1859. Grotesques ou méchants, les paysans, au théâtre, étaient aussi représentés comme naïfs. Olivier Bara, dans un tableau à trois entrées qui met en lumière la morphologie des personnages d’opéra-comique, distingue : « rôle », « emploi » et « type » ; or le type du « valet », correspondant à l’emploi de « Colin » ou à celui de « Trial » (ténor comique), recoupe souvent celui du « paysan naïf », comme si le paysan ne pouvait exister, sur la scène musicale, sans cette épithète. Voir Le Théâtre de l’Opéra-Comique sous la Restauration, p. 332.
29 Dans une lettre adressée à son mari en janvier 1831, elle écrit : « J’ai été hier aux Italiens. J’ai vu Madame Malibran dans Otello. Elle m’a fait pleurer, frémir, souffrir enfin comme si j’eusse assisté à une scène réelle de la vie. Cette femme est le premier génie de l’Europe, belle comme une vierge de Raphaël, simple, énergique, naïve, c’est la première cantatrice et la première tragédienne. J’en suis enthousiaste. » (Corr., t. I, p. 789)
30 Liliane Lascoux, dans une communication intitulée « Le contralto : une passion partagée par Stendhal et G. Sand » et mise en ligne par l’Association des amis de Stendhal écrit : « Dans Rose et Blanche, long roman publié sous le nom de J. Sand en 1831, Giuditta Pasta et Maria Malibran participent à l’action : c’est la Pasta qui confirme la vocation artistique de Rose, c’est Maria qui devient implicitement le modèle de Rose ; devenue la Coronari, elle aime à se déguiser, écuyère intrépide, sublime dans le sérieux, malicieuse dans le comique, elle aspire à la pureté de l’ange, annonce Consuelo dans sa miséricorde. »
31 Comme Sand, Pauline Viardot est aussi douée pour le dessin ; sa biographe, Michèle Friang, précise ainsi : « Pauline, perfectionniste, choisissait avec grand soin ses costumes de scène. Elle les dessinait souvent elle-même. » (Pauline Viardot, au miroir de sa correspondance, p. 133) Comme Sand, elle a aussi un goût si prononcé du théâtre qu’elle ne se contente pas d’assister à des représentations, mais elle monte chez elle des pièces. Michèle Friang, évoquant les soirées de Courtavenel, qui semblent inspirées par celles de Nohant, écrit : « Gounod compose des chœurs qu’on chante en ramant sur la pièce d’eau. […] On joue Le Mariage de Figaro de Beaumarchais avec Tourgueniev en Almaviva, Gounod en Figaro, Pauline en Suzanne, Louise en Chérubin, Mamita en Don Basile. Louis, pourtant ancien directeur de théâtre, ne se montre guère sur scène. Il n’incarnera qu’Arnolphe de L’École des femmes de Molière. » (ibid., p. 142) Louise est la fille de Pauline Viardot et Mamita sa mère.
32 T. Marix-Spire, Lettres inédites de George Sand et de Pauline Viardot (1839-1849), p. 17.
33 À l’article du 15 février 1840 publié dans La Revue des Deux Mondes et titré « Le Théâtre-Italien et Mlle Garcia », il faut ajouter celui du 31 juillet 1872, daté du 12, et repris dans Impressions et Souvenirs (Paris, Éditions d’Aujourd’hui, coll. « Les Introuvables », 1976), dans lequel elle exalte la performance vocale de Viardot qui, le temps d’une soirée, l’a fait sortir « d’un océan d’idées noires pour [la] jeter, comme le ferait une vague bénie, sur une terre promise » (p. 243).
34 À Étienne Arago, qui est en Angleterre, Sand répond : « Vous me faites aussi un grand plaisir en me donnant tous ces détails sur la représentation du Prophète où ma fille Pauline a été si admirable, si prodigieuse comme impressario [sic] et comme tout. […] Vous avez vu et apprécié le génie de cette étonnante artiste. Eh bien, ce que vous comprenez, ce que vous devinez, ce que je sais, moi, c’est que sa bonté est pareille à son génie, c’est qu’elle a la candeur, la sympathie, la bonhomie, la bienveillance, la simplicité de la grandeur. » (Corr., t. IX, p. 239)
35 « Le Théâtre-Italien et Mlle Garcia », p. 588.
36 Thérèse Marix-Spire cite à propos de ce titre Daniel Stern, alias Marie d’Agoult, qui faisait remarquer que Ledru-Rollin parlait toujours de la jeune République et elle écrit dans son Histoire de la Révolution de 1848 (t. II, p. 310-311) : « C’était à ce moment-là l’épithète obligée dans le langage politique. » Les paroles de la cantate de Pauline Viardot étaient signées du chansonnier populaire Pierre Dupont (T. Marix-Spire, Lettres inédites de George Sand et de Pauline Viardot (1839-1849), p. 248).
37 Extrait de lettre cité par Georges Lubin qui date cette missive de mars 1863 (Corr., t. XVII, p. 540).
38 M. Perrot, « Mon » histoire des femmes, p. 134-135.
39 Ce texte de Tourgueniev nous est parvenu grâce à l’article d’Alexandre Zviguilski intitulé « Trois éditeurs français de Tourgueniev d’après des correspondances inédites », p. 160.
40 L’opéra Cendrillon de Pauline Viardot est disponible en CD chez Opera Rara, coll. « Il Salotto », vol. 3 ; or, si Viardot n’a pas adapté à la scène musicale La Mare au diable, elle s’est cependant souvenue pour ce livret des textes de Sand : dans sa version très personnelle de ce conte, elle donne au père de Cendrillon le nom de baron de Pictordu !
41 M. Friang, Pauline Viardot, au miroir de sa correspondance, p. 264.
42 F. Launay, Les Compositrices en France au xixe siècle, Paris, Fayard, 2006, p. 410.
43 T. Marix-Spire, « Vicissitudes d’un opéra-comique : La Mare au diable de George Sand et de Pauline Viardot (d’après des documents inédits) », p. 138.
44 F. Launay, Les Compositrices en France au xixe siècle, ouvr. cité, p. 445.
45 M. Friang, Pauline Viardot, au miroir de sa correspondance, p. 141. Michèle Friang décrit les joyeuses réunions de Courtavenel et précise que Pauline était l’âme de ce lieu : « Pauline présente, tout s’anime, les fêtes, sans prétention, joyeuses, improvisées, se succèdent. La salle des gardes est transformée en théâtre, avec portants, rideau, rampe, loges d’artistes ; chaque place coûte une pomme de terre qu’on va chercher au jardin. »
Auteur
Maître de conférences à l’université du Havre. Elle travaille sur la représentation des femmes dans la littérature au xixe siècle et a publié aux éditions Honoré Champion La Femme, la faute et l’écrivain : la mort féminine dans l’œuvre de Balzac (2003). Ses derniers travaux portent sur la femme artiste, sur la correspondance entre les femmes artistes du xixe siècle, et plus particulièrement sur la relation épistolaire entre Sand et Viardot. Son édition critique de La Mare au Diable dans le cadre de l’édition des Œuvres complètes de George Sand chez Honoré Champion a été publiée en 2011. Elle collabore au Dictionnaire Balzac (sous la direction de Nicole Mozet et Éric Bordas) et au Dictionnaire George Sand (voir plus haut la notice sur Pascale Auraix-Jonchière).
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