Écrire et faire écrire : devenir auteur/autrice dans une classe de lycée
p. 261-278
Texte intégral
1Le cours de français au secondaire, et particulièrement au lycée, se heurte fréquemment à la même question : peut-on vraiment concevoir l’enseignement du français comme l’accès à une pratique vivante de la littérature ? Les pratiques enseignantes, en réponse aux attentes des programmes et des textes officiels, se centrent logiquement sur la lecture et les exercices écrits canoniques que sont la dissertation et le commentaire.
2La recherche en didactique de la littérature, de son côté, s’est emparée depuis longtemps de cette question : pour qu’émerge un sujet lecteur conscient de son action sur les textes, le passage à et par l’écriture s’avère indispensable1. Toutefois, pour que l’apprentissage de la littérature soit associé à une véritable appropriation et donne accès à une pratique réelle pour les élèves, il est nécessaire d’aller plus loin et de placer l’écriture sur un pied d’égalité avec la lecture dans les pratiques enseignantes et dans les classes : dès lors, il s’agit, pour les élèves, d’écrire en cours de français et pour l’enseignante2, de faire écrire en créant les conditions pour ce soit possible.
3En effet, écrire et faire écrire sont des expressions à comprendre selon un double point de vue : d’une part, les élèves écrivent dans la classe parce que l’enseignante les fait écrire dans un objectif d’apprentissage littéraire. Ils et elles ont la possibilité d’être auteurs et autrices. D’autre part, ce processus demande de développer un ensemble de gestes professionnels propres à l’enseignante, débouchant sur l’élaboration de scénarios d’écriture spécifiques parce qu’élaborés au plus près des besoins de chaque classe. Il ne s’agit pas d’écriture à proprement parler de la part de l’enseignante mais davantage d’une forme particulière de créativité, qui s’adosse aux processus relevant d’une pratique scripturale, tout à la fois professionnelle et propre à l’enseignante que je suis. Cette « écriture3 », virtuelle en quelque sorte, constitue de fait une expérience et un savoir-faire pouvant servir de point d’appui à celle, bien réelle, développée par les élèves en réponse aux consignes qui leur sont données.
4La question est donc double : en quoi installer des pratiques d’écriture créative dans les classes constitue-t-il une voie d’apprentissage de la littérature pour les élèves ? En quoi cette pratique est-elle, par ricochet, transformatrice de la pratique professionnelle de l’enseignante jusqu’à amener une « écriture » prenant la forme d’une série de consignes scripturales, conçues dans et pour la classe, et de ce fait, ajustées au plus près du terrain ?
5À partir d’un rapprochement théorique entre les processus de la lecture et de la réécriture, il est possible de penser l’apprentissage de la littérature via l’écriture. Les techniques et les principes des ateliers d’écriture4, transformés et adaptés au contexte de la classe constituent le moyen de mettre en œuvre ce renouvellement.
6Durant l’année 2014-2015 alors que les programmes de 2010 étaient encore en vigueur, la mise en œuvre de ces principes5 a été proposée à deux classes de seconde d’un lycée polyvalent de la périphérie bordelaise. La progression annuelle dans son ensemble fait jouer les interactions entre la lecture et l’écriture mais également entre différentes modalités d’écriture : dans le cadre limité de cet article, je vais rendre compte ici de deux séquences représentatives de la démarche initiée. Les productions d’élèves ainsi que les propos recueillis en fin d’année via des questionnaires-bilans et/ou des entretiens que certains et surtout certaines6 ont accepté de mener permettent de saisir la manière dont ils et elles s’emparent des consignes pour se construire en tant que sujets qui lisent et écrivent dans la classe. En parallèle de leur évolution, je détaillerai la mienne ainsi que les gestes7 d’« écriture », élaborés en écho aux étapes des travaux d’écriture proposés aux élèves. En effet, l’enseignante connait elle aussi, en amont de la classe et au fil des séances, une évolution, voire une transformation, en lien avec les effets de l’écriture sur ceux et celles qui la pratiquent, quelle qu’en soit la forme.
Bref état des lieux : l’écriture dans les programmes récents
7L’analyse des textes officiels des vingt dernières années permet de constater que l’écriture est omniprésente au lycée mais qu’elle souffre d’un paradoxe fondamental qui, à mon sens, freine la pratique littéraire : alors que l’écriture sert notamment à l’évaluation des connaissances et des savoirs transmis, elle n’est pour autant jamais l’objet d’un apprentissage véritable.
8Ainsi, dans les programmes de 2010, en dépit du maintien de l’écriture d’invention instaurée en 2001, seules quelques lignes sont consacrées aux exercices codifiés8, écrits, mais rien, dans le texte officiel, ne permet de penser l’écriture comme processus et voie d’apprentissage à part entière. La lecture reste centrale.
9Dans les programmes de 2019, les changements sont nombreux et flagrants : les travaux écrits sont présents partout, dans des proportions inédites. La liste des écrits d’appropriation est longue, riche, diversifiée et leur pratique pourrait ainsi, à première vue, compenser la disparition de l’écriture d’invention des exercices présents à l’examen. La partie consacrée à l’étude de la langue met d’ailleurs elle aussi en avant, certes plus discrètement, des exercices faisant intervenir l’écrit, comme des écrits d’appropriation de la langue en quelque sorte.
10En réalité, loin de constituer une évolution, cette apparente mise en avant relève d’une sorte d’habillage qui ne reflète pas la réalité de la mise en œuvre de l’écriture dans la classe9. L’expression même qui désigne ces écrits et la manière dont ils apparaissent dans le texte officiel de 2019 relèvent du maintien d’une conception traditionnelle : l’intitulé de cette liste, « écrits d’appropriation », fait porter l’attention sur le produit achevé, celui que l’on peut évaluer, de manière chiffrée si nécessaire, jamais sur le processus qui y mène, et qui, lui, relèverait de l’écriture, de ce qu’Annie Ernaux appelle « une activité en cours10 ». Malgré l’habillage, la lecture reste la seule pratique à laquelle les programmes nous demandent de former nos élèves.
Le cadre théorique : trois étapes
11Pour bousculer ces conceptions, voire les renouveler, il est nécessaire de repenser la fonction de l’écriture dans l’enseignement de la littérature. Dans cet objectif, trois points sont à considérer.
Considérer les élèves comme auteurs/autrices dans la classe
12Dans un premier temps, on peut décider, à la suite d’Elisabeth Bing, de considérer nos élèves « comme s’ils étaient des écrivains11 » : dans l’espace de la classe, chacun et chacune a la possibilité d’adopter une posture d’auteur ou d’autrice, sans pour autant qu’il soit accordé dans les faits une valeur littéraire à ces productions12, au-delà des murs de la classe ni en dehors du cadre des dispositifs proposés. L’enseignement littéraire, ainsi envisagé, permet aux élèves d’accéder à l’expérience esthétique qui est le propre de la littérature, mais également de prendre conscience de ce qu’est l’« intention artistique », elle-même résultat d’un « faire13 » et porteuse de savoirs identifiables14. Pour autant, cette conception de l’élève dans la classe n’annule pas la question, centrale, du temps que l’on peut consacrer à l’écriture.
Penser conjointement la lecture et l’écriture
13Pour dépasser cet obstacle, la solution réside dans la manière dont on conçoit les processus de la lecture et de l’écriture. En effet, si lire et écrire sont deux activités distinctes et que la lecture est centrale en vue de la préparation aux épreuves certificatives, il est difficile de faire écrire les élèves. Si à l’inverse, il s’agit d’amener les élèves à apprendre à lire pour écrire15, comme l’envisageait Claudette Oriol-Boyer, et même d’apprendre à écrire pour mieux lire, alors le problème ne se pose plus de la même manière.
14Autrement dit, il s’agit de penser les activités de lecture et d’écriture non plus comme des étapes successives mais plutôt conjointement, dans une logique davantage « centrée sur l’action16 », pour que les parts de l’écriture et de la lecture soient équivalentes du point de vue des activités de la classe. Pour rapprocher ces deux processus, les travaux de Gérard Langlade concernant la lecture littéraire et ceux de Claudine Fabre-Cols sont précieux.
15En effet, pour décrire le processus de la lecture littéraire, Gérard Langlade liste trois opérations de fictionnalisation, qui constituent le socle stable de la pratique littéraire :
- L’ajout : elle est la plus courante puisque, affirme Langlade en écho à Bayard et Eco, l’œuvre littéraire est inachevée et ne se termine que lorsque le lecteur imagine « une multitude de données fictionnelles nouvelles17 » ;
- La suppression, quant à elle, est inévitable puisqu’une lecture est faite d’oublis, de pertes dont on peut prendre conscience lorsque plusieurs personnes résument la même œuvre ;
- La recomposition enfin est faite de « phénomènes de réorganisations textuelles18 » qui amplifient les deux précédentes opérations.
16Par ailleurs, Claudine Fabre-Cols19 décrit les opérations de réécriture qui permettent à un scripteur de composer et recomposer son texte. Elles sont au nombre de quatre : l’ajout, la suppression, le déplacement et la substitution. Les deux premières opérations sont désignées par les mêmes termes que les opérations de fictionnalisation qui leur correspondent, et leur rapprochement se fait aisément. Le déplacement et la substitution peuvent être mis en regard des phénomènes de réorganisations textuelles caractéristiques de la recomposition dont parlait Langlade pour la lecture. Finalement, la lecture et l’écriture, du fait de ces opérations dont les descriptions se ressemblent et se font écho, peuvent être comparées voire rapprochées quant à leurs effets sur un texte. Certes, il existe des différences, notamment de fréquence et de degré de conscientisation, entre ces opérations, la principale que l’on peut noter est évidente : la lecture et l’écriture n’ont pas le même mode de réalisation.
17Certes, le rapprochement est théorique, mais il permet de penser la possibilité d’entrer dans l’apprentissage de la littérature par le biais de l’écriture en dépassant l’obstacle de l’aspect chronophage des activités d’écriture. On permet ainsi à un élève de se construire en tant que sujet qui apprend au fil des textes qu’il lit et des textes qu’il écrit, et que j’appelle sujet lisant-écrivant : le double participe présent permet de dire d’une part, que l’élève se construit dans le processus même de l’écriture et de la lecture, d’autre part que la lecture et l’écriture se rejoignent en une activité conjointe sinon presque équivalente.
Adapter les ateliers d’écriture
18Penser un tel apprentissage demande enfin d’importer dans la classe des pratiques extérieures qui n’y sont pas vraiment acclimatées : les ateliers d’écriture sont de ce point de vue une ressource. En effet, l’écriture existe dans le contexte scolaire et peut constituer un point d’appui pour de nouvelles manières de procéder. Les principes et techniques propres aux ateliers20 demandent de leur côté à être transformés pour s’adapter au plus près des besoins des élèves et des attentes du programme officiel.
19Si on ne peut pas, dans une classe, compter sur un petit nombre de participants volontaires ou se dispenser d’une évaluation formalisée, le temps dédié à l’atelier en contexte scolaire est, quant à lui, plus adaptable. Certes, une séance pédagogique est bornée strictement par les sonneries de début et de fin du cours, mais il est possible de faire déborder le temps de l’écriture : celle-ci peut continuer hors de la classe, sous des formes différentes, elle peut aussi se poursuivre à la séance suivante. Il suffit pour cela de distinguer, au sein d’une même proposition d’écriture, des temps différents organisés selon des modalités différentes de façon à créer des rythmes variables, qui resserrent ou étirent les étapes de l’écriture jusqu’au texte achevé.
20Ces étapes sont similaires à celles décrites par Jacqueline Lafont-Terranova21 pour les ateliers d’écriture. Elles font alterner phases d’écriture et de partage des textes mais demandent encore à être modifiées pour s’intégrer complètement au contexte scolaire. Pour que cette intégration soit possible et effective, j’ai associé ces étapes aux principes issus du modèle didactique des écrits intermédiaires, définis par Jean-Charles Chabanne et Dominique Bucheton comme « une série de textes successifs, qui ne sont pas nécessairement des réécritures les uns des autres, mais une série de productions qui brassent et rebrassent un même contenu, un même problème langagier22 ».
21De ce fait, la réécriture se fait non pas à partir du même matériau toujours remanié mais selon un fonctionnement cyclique où la production de textes différents est tendue vers un objectif unique. C’est à partir de ce point de jonction entre deux pratiques apparemment peu conciliables, que j’ai imaginé la possibilité d’une structure générale dont l’objectif serait une pratique littéraire réflexive, mêlant l’expression personnelle nécessairement mise à distance par et dans l’écriture, et les apprentissages fixés par les programmes nationaux.
L’expérimentation et les productions des élèves
22Les séquences que je présente maintenant, proposées à deux classes de seconde, sont la deuxième et la troisième de l’année. La première séquence proposait un travail autour de la lecture et de l’écriture d’énigmes pour tout à la fois faire percevoir la manière dont les procédés repérés dans la lecture pouvaient être repris et adaptés dans l’écriture mais également comme présentation d’une manière de travailler peu familière aux élèves.
Lire et écrire de la poésie
23La séquence 2 est la plus longue de l’année, elle porte sur l’étude du recueil d’Apollinaire Alcools et a pour titre « la poésie, entre tradition et modernité ». Elle débute par ce que je nomme « atelier d’écriture » avec les élèves puisque la séance s’achève quand chaque élève a écrit son texte. Il s’agit d’écrire une sorte de centon en piochant dans un groupement de quinze poèmes23 d’époques variées.
24Sur une séance d’une heure, avec les 35 élèves, les phases d’écriture, de mise en commun et d’enrichissement du premier jet se succèdent. La mise au propre des poèmes se fait à la maison24. Les classes abordent ensuite l’exercice de question sur corpus25 : la problématique de la séquence pose la question du renouvellement des thèmes traditionnels, le thème du temps qui passe est examiné via la question d’analyse posée aux élèves dans le cadre de cet ancien exercice du baccalauréat. Ce travail offre un éclairage différent à la notion de renouvellement des thèmes traditionnels par rapport au recueil d’Apollinaire.
25L’étude de l’œuvre d’Apollinaire se fait à travers la lecture du poème « Zone », des poèmes traitant du thème de l’automne, dont « Automne malade » et « Les colchiques », et de « Marizibill » qui permet de travailler la notion de détournement. L’ensemble de ces lectures met en lumière la manière dont le poète s’appuie sur une tradition pour la faire évoluer. Au fil de ces lectures, les élèves dégagent ce qu’ils considèrent comme les caractéristiques principales de l’écriture du poète. Les voici, prises en notes par Alexia26, à partir des remarques collectées dans la classe et inscrites au tableau au fil de la séance :
26Ces éléments servent de point d’appui aux élèves pour réécrire leur centon initial en un poème écrit « à la manière d’Apollinaire » : la consigne ne demande pas l’écriture d’un pastiche mais que les procédés soient utilisés par les élèves, après appropriation et actualisation, pour écrire leur propre texte.
27Chacune des caractéristiques donne lieu à une interprétation, discutée avec les élèves et donne une sorte de « coloration » à l’ensemble des poèmes d’une classe, témoignant de l’indispensable travail collectif qui précède l’écriture individuelle27.
28Dans la première classe, les élèves avaient établi que la modernité qu’ils avaient identifiée chez Apollinaire pouvait être actualisée, notamment par l’introduction d’objets de la vie et de la technologie contemporaine. Cela a été l’occasion, pour un certain nombre, de s’amuser à détourner dans leurs poèmes les éléments de leur vie quotidienne : les textes achevés peuvent être des odes au téléphone portable, ou encore des poèmes vantant les beautés des hypermarchés.
29Magali, de son côté, fait très largement évoluer ses représentations en lien avec l’étude qui a été faite du recueil d’Apollinaire. Elle affirme en effet au début de la séquence qu’elle n’a aimé dans Alcools que certains poèmes, comme « Le pont Mirabeau », parce qu’ils parlent de la souffrance amoureuse, seul thème qui lui parait intéressant en poésie. Son premier poème présente de ce fait une forme, avec des strophes régulières en partie rimées, et un lyrisme amoureux correspondant à ses représentations initiales. Par la suite, les choix qu’elle opère témoignent de la posture d’autrice qu’elle adopte : son poème achevé28 a pour titre « Ode à Igor ». Igor, ainsi nommé pour les besoins de la rime, est un escalator, auquel le personnage présent dans le texte et désigné d’un simple « il » semble vouer une passion amoureuse incongrue. On peut y retrouver le burlesque repéré à la lecture du poème « Marizibill ».
30Dans le poème achevé, le thème lyrique est conservé : le poème semble traduire les pensées de ce « il » présent au vers 1, l’objet de son improbable passion n’est jamais nommé directement mais la description se fait amoureuse. Les « barres lisses » sont comparées à une « merveille », le prénom est isolé entre deux strophes comme pour mieux l’entendre résonner, l’escalator est « gracieux et robuste ». L’ébauche finale de calligramme modifie largement la forme régulière choisie au départ et imprime directement dans le texte la forme de l’escalier, témoignant avec malice de la force du sentiment amoureux qu’il suscite chez le personnage. En bout de course, Magali a opéré un déplacement important et s’invente un style qui lui est propre en usant de la littérature pour modifier la vision qu’elle en avait en se pliant au jeu littéraire que pouvait suggérer la consigne.
31L’autre classe, à laquelle appartient Louise, a préféré l’écriture de poèmes dont le lyrisme est nettement actualisé, notamment par l’insertion d’expérience personnelle dans les poèmes réécrits. L’exemple le plus frappant de cette manière de procéder est celui de Louise qui réécrit son poème29 en s’appuyant sur « Les colchiques », étudié en classe.
32Il avait été établi que le poète comparait la femme qu’il aime, et plus précisément ses yeux, aux colchiques qui empoisonnent les vaches paissant dans les prés en automne. Chez le poète, l’amour et la femme elle-même sont toxiques, et c’est le cas dans le texte de Louise : on retrouve le mot « toxique », à la strophe 3.
33Elle reprend et modifie donc ce motif dans son texte et fait évoluer celui de l’essoufflement de l’amour : la progression de la mort de l’amour est sensible, grâce au changement de temps verbaux, l’empoisonnement devient asphyxie et les chrysanthèmes, ajoutés dans le texte, précèdent les colchiques dans la dernière strophe. La fin de l’amour tient, dans la version de Louise, à l’égoïsme dont est accusé le ou la destinataire du poème :
J’oublie tout ce que j’ai vécu
Tes yeux toxiques lentement m’empoisonnent
Le monde entier dépendait
De cette lueur dans tes yeux
Qui s’est éteinte comme asphyxiée par ton égoïsme.
34Les emprunts à Apollinaire, très marqués dans la première version du poème, deviennent des références, en étant moins identifiables et mieux intégrés dans le texte à mesure qu’il avance et que se précise le sens qu’elle donne à son poème. Ainsi, au fil du texte, Louise fictionnalise une expérience personnelle et amoureuse qui se termine, et la met ainsi à distance par et dans l’écriture, comme si le sentiment amoureux dont elle parle ne lui appartenait déjà plus tout à fait. En se « servant » d’Apollinaire pour dire ce qu’elle ressent, elle prend un risque, dont elle est consciente au moment de l’écriture. Elle évoque ce choix lors de l’entretien auquel elle s’est prêtée :
Louise : ben l’automne j’ai trouvé ça triste en fait il [Apollinaire disait qu’il aimait l’automne mais aussi ses poèmes ils étaient tristes quand même […] mais il aimait l’automne donc du coup l’histoire d’amour elle y est encore mais […] j’ai fait en sorte qu’au fur et à mesure que je parlais de plus en plus de l’automne beh ça fait comme si elle était en train de mourir quoi.
Prof. : qui était en train de mourir ?
Louise : ben l’histoire d’amour.
35Ces deux élèves se construisent donc comme sujets lisant-écrivant et se positionnent aussi nettement comme autrices de leurs textes. Le processus est rendu possible grâce aux dispositifs successifs qui ont été mis en place en amont de la séquence d’abord, de façon à prévoir la manière la plus adaptée de ménager l’espace nécessaire à l’écriture des élèves, l’autre, plus intuitive, concrétise cet espace et se construit au fil des interactions avec les élèves, prenant la forme d’une collaboration avec chaque classe. Dans le cas de l’étude du recueil d’Apollinaire, les élèves ont pu, par l’expérience directe, percevoir comment la tradition poétique interagit avec la modernité30 et de quelle façon eux-mêmes pouvaient faire fonctionner ce processus. Ce faisant, ils ont pu mettre à l’épreuve une forme de jeu sur la norme poétique et langagière, qui s’apparente à ce dont parle Quignard quand il affirme que le « soin » accordé à la langue est ce qui la met « le plus en péril31 ».
36Du point de vue de l’enseignante, le geste professionnel d’« écriture » se met en place en deux étapes : la première, relevant de la scénarisation pédagogique, consiste à imaginer, en amont, le cadre de l’atelier d’écriture, la deuxième étape se déroule au fil des séances, de façon à ce que le rythme et les conditions des réécritures successives depuis le premier état des poèmes jusqu’aux textes achevés se moulent au plus près des réactions, des avancées et parfois des hésitations de chacune et de chacun dans la classe. Pour que les élèves puissent écrire, l’enseignante doit également accorder elle aussi un « soin32 » particulier à la langue dont usent les élèves : si je m’attache évidemment, en fin de processus, à la correction de la langue et de l’orthographe, mon attention se porte davantage, au cours des séances de travail, sur les écarts qui se font jour dans les réécritures successives, dans la mesure où ils peuvent permettre de faire émerger un sens inattendu, tout autant pour moi que pour l’élève-auteur. Il s’agit à ce stade d’une disponibilité particulière à l’écriture des élèves qui ouvre sur la reformulation et l’évolution des consignes d’écriture suivantes ainsi que, par la suite, sur la réécriture qui en découle. De ce fait, s’il n’y a pas d’écriture à proprement parler de la part de l’enseignante, on peut considérer qu’il existe pour elle et comme en arrière-plan des séances dans la classe, une forme d’écriture intérieure, qui fait écho à l’écriture bien réelle des élèves et leur servant de tremplin pour accéder à la pratique littéraire dans le cadre scolaire. Cette démarche favorise un nouveau rapport à la langue pour les élèves, et, par voie de conséquence, pour l’enseignante elle-même, dans le cadre de la classe et de ce qui est attendu au fil des textes et des consignes.
Écrire une description réaliste
37La séquence 3 de la progression annuelle offre ensuite un exemple de ce qui pourrait relever d’un autre geste professionnel spécifique à l’écriture dans la classe, celui consistant à scénariser, au fil des séances, les propositions d’écriture pour offrir un cadre stable et rassurant aux élèves.
38L’objectif de la séquence était l’écriture d’un premier commentaire. Le texte à commenter, prévu dès le départ, est l’incipit de la nouvelle L’attaque du moulin de Zola, extraite du recueil Les Soirées de Médan : c’est une description de la campagne qui entoure le moulin de Rocreuse, où se déroule l’action. La lecture du texte révèle, malgré le réalisme apparent, l’idéalisation du paysage, présenté comme un coin de paradis. Plus précisément encore, la description laisse deviner la fin de la nouvelle et la destruction future du moulin en raison du combat qui y aura lieu.
39Pour arriver à l’écriture d’un commentaire, la séquence prévoit le travail autour de la description et de ce qu’est le réalisme, envisagé comme une manière spécifique de représenter le réel davantage que comme sa représentation neutre, voire « objective ». Cette idée encadre les consignes de lecture et surtout d’écriture.
40Le travail commence par l’étude de tableaux du xixe siècle : les élèves comparent des tableaux de style académique et des tableaux impressionnistes de façon à construire, par leur confrontation avec des textes littéraires, une définition du réalisme en lien avec l’objectif de la séquence.
41Le premier des textes intermédiaires consiste en une description écrite à partir du tableau de Monet Grosse mer à Étretat.
42L’étude du tableau de Monet est précédée de celle d’un tableau de Courbet, La falaise d’Étretat après l’orage. Le même paysage est traité de manière différente par les deux peintres : ce constat ouvre la séance d’écriture.
43La consigne d’écriture était formulée ainsi : vous êtes un des personnages présents sur la plage dans le tableau de Monet. Vous décrivez ce que vous voyez et ressentez face à la mer déchainée.
44Cette consigne a suscité un grand nombre de questions (quel personnage doit-on choisir ? Est-ce qu’il faut expliquer ce que fait le personnage sur la plage ?, etc.) qui m’ont amenée à ce qu’on pourrait appeler la formulation d’une consigne qui part d’une fictionnalisation élaborée à partir des échanges avec les élèves dans la classe, et à une scénarisation de cette consigne : plutôt que d’apporter une réponse déjà prête aux questions que les élèves me posaient et se posaient, il s’est agi de déployer une forme de récit « tronqué », fait de blancs nombreux et volontaires de façon à ce que chacun et chacune puisse s’y inscrire librement. Ainsi, j’ai pu proposer des pistes de récit, suggérer des formulations pour le ressenti des personnages. Dans les échanges avec les élèves et au fil de leurs questions, il a été proposé des amorces de récit, comme autant de points d’appui pour les descriptions à écrire : on a pu noter, au tableau et dans les cahiers, que, face à la mer déchainée, les personnages présents sur la plage pouvaient être effrayés, ou fascinés, ou encore que ces personnages étaient venus pour assister au spectacle de la mer cherchant à « avaler » la falaise, ou encore parce qu’ils attendaient le retour d’un bateau (un élément aperçu en arrière-plan du tableau a pu ainsi devenir un bateau à l’horizon). L’ensemble de ces propositions, dont aucune n’est imposée à priori, constitue une sorte de « réservoir » d’idées et de formulations, dont il est possible de s’emparer selon le texte qui s’élabore peu à peu pour chaque élève. Certaines de ces propositions se retrouvent donc en toute logique, à l’état de traces, dans les textes des élèves.
45En voici quatre, deux de chaque classe, qui correspondent à des choix différents mais dans lesquels on retrouve, en toute logique, les traces de ce travail d’élaboration et de planification effectué collectivement préalablement à l’écriture elle-même.
46Éric33 écrit une description où seul le pronom « je » inscrit dans le paysage un personnage : la répétition du verbe « voir » tend à limiter son rôle à celui de spectateur. En dépit de la mention « je me sentais vraiment impuissant » qui fait référence à une émotion individuelle, les précisions sur les couleurs et leurs nuances amènent à se demander si Éric se projette dans le tableau, via un des personnages, ou s’il s’en tient à décrire le tableau lui-même. Pour autant, sont évoqués l’orage et la violence des vagues « contre la falaise », le « rocher noir » de l’arrière-plan qu’on retrouve, sous une autre forme, dans les textes de ses camarades.
47Mehdi34, de son côté, fait le choix d’un discours affolé dont on suppose qu’il émane du narrateur : les exclamations du début, l’expression « spectacle atroce », la tempête qui, nous dit-il, « fait fureur » sont l’expression de la peur ressentie par les personnages, et dont il avait été question en classe.
48Dans l’autre classe, dont les compétences scolaires sont plus assurées, on trouve des descriptions enchâssées dans des récits plus construits : Théo35 imagine un narrateur inquiet en venant accueillir sur la plage un oncle voyageur. Le rocher dont parlait Éric est ici, comme chez Mehdi, un bateau en mauvaise posture.
49Les images reprises dans son texte par Théo sont, comme ailleurs, « la mer en colère » et la falaise qui est « comme avalée » par le déferlement des vagues.
50Mathilde36, enfin, si elle reprend les mêmes éléments descriptifs (la « mer qui se déchaine », « prête à tout engloutir sur son passage » qui « ne laisse plus de place à la falaise ») choisit un récit plus collectif dans lequel son narrateur entre davantage en interaction avec les autres personnages dont aucun ne parvient à cacher « la peur que provoque cette situation ».
51Ainsi, la consigne d’écriture, avec sa caractéristique de récit volontairement incomplet, constitue une sorte de réservoir d’idées et de formulations pour les élèves qui s’en servent comme d’un point d’appui à leur propre fictionnalisation et comme guide de leur écriture personnelle. La première étape de la séance, notamment parce qu’elle relève d’une forme d’écriture partielle et collective, s’avère un élément essentiel qui rend l’écriture des élèves possible : l’ébauche de textes qui s’inscrit au tableau rassure et aide chacun et chacune à démarrer puis à s’approprier la consigne jusqu’au texte lui-même. Il est donc indispensable de prévoir cet espace collaboratif quand on construit la séquence.
52Par ailleurs, ce travail d’écriture fonctionne comme une sorte de texte intermédiaire, ou liminaire, au travail de commentaire sur l’incipit de L’attaque du moulin, la nouvelle de Zola : l’élaboration d’une description dans le cadre d’une consigne d’écriture créative donne aux élèves une plus grande aisance dans la lecture et l’analyse d’un extrait descriptif. Il est alors possible, lors des séances spécifiquement centrées sur la technique de l’exercice, de se concentrer davantage sur sa forme et de lui donner sens dans l’objectif de rendre compte d’une lecture personnelle du texte étudié.
Et du côté de l’enseignante ?
53Dans l’ensemble des séquences que je propose, mon rôle consiste à ébaucher des pistes d’écriture et de réécriture et à dégager l’espace nécessaire pour que l’écriture des élèves puisse se déployer. Cela demande une forme de lâcher-prise37, qui se concrétise par une attention particulière accordée aux propositions des élèves. Le devenir de chaque consigne dépend en effet de la réactivité des élèves, de leur curiosité, mais aussi, sans doute, de ma propre capacité à la fictionnalisation, dont les réalisations émergent en lien avec ce que propose une classe.
54À chaque proposition, je fournis une sorte de récit tronqué dans lequel les élèves s’inscrivent et exercent leur propre créativité. Cette démarche m’a amenée à modifier sensiblement ma posture dans la classe : bien loin de celle, traditionnelle peut-être, mais magistrale et surplombante, qui aurait pu m’amener à imposer des formules, ou une forme particulière, directement évaluables, j’ai adopté un guidage souple. De ce fait, à égalité avec chaque élève dans la recherche et dans l’élaboration de leurs textes, je suggère, j’ouvre des portes et, souvent, je laisse les questions en suspens pour qu’elles « rebondissent » au gré des hypothèses formulées par les élèves eux-mêmes. Cela permet aux élèves de reprendre ou non, de modifier ou non les propositions énoncées dans la classe. L’évaluation, quant à elle, porte davantage sur la cohérence de l’ensemble, sur le processus qui amène au texte achevé et sur la conformité des textes achevés par rapport à l’objectif général de la séquence38.
55En réalité, la démarche qui aboutit à adapter les ateliers d’écriture pour la classe fonctionne à deux niveaux : les élèves partent de textes et d’œuvres dont on tente de déterminer les caractéristiques utiles pour servir de tremplin à leur écriture, ils écrivent ensuite, partagent leurs textes dans la classe puis réécrivent, modifient jusqu’au texte achevé.
56De mon côté, la première phase du travail, en amont de la classe, a souvent consisté soit à m’inspirer de dispositifs d’atelier déjà existants, que je modifie, réoriente et transforme en lien avec les objectifs que je me fixe, soit à élaborer mes propres propositions d’écriture toujours à partir des réactions des classes, des questions des élèves ou de l’actualité, qui, parfois, s’invite brusquement dans la classe. Si ma lecture affleure pendant le processus, elle n’est qu’une de celles qui émergent : au même titre que celles des élèves, elle contribue à la constitution d’une lecture de la classe dans son ensemble.
57Sur cette base, la seconde phase du travail, qui relève d’une écoute spécifique, a lieu quand je suis face aux élèves : je modifie les conditions de production des textes, j’adapte les consignes en lien avec le contexte du moment, voire je réoriente les objectifs pour ajuster l’écriture et ma pratique aux besoins des élèves. Dans ce processus, l’écriture de la thèse, qui s’est déroulée en parallèle de ces expérimentations qui en sont d’ailleurs issues, a constitué une expérience d’autrice et un point d’appui pour le guidage que je propose à chaque classe.
58Ainsi, adapter les ateliers d’écriture au contexte des classes de lycée m’a poussée à fonctionner non pas en autrice à part entière mais, d’une certaine façon, en sujet lisant-écrivant au service de mes élèves : en dégageant pour eux et elles l’espace nécessaire à leur écriture, j’accepte d’être passeuse de leur écriture et je leur permets de devenir eux-mêmes auteurs et autrices ainsi que sujets lisant-écrivant en formation.
Conclusion
59Finalement, l’écriture créative telle que je la propose aux élèves de lycée général et technologique ne peut être effective que dans la mesure où elle se met au service de l’apprentissage de la littérature : la lecture et l’écriture sont interdépendantes dans ces dispositifs et ne peuvent exister l’une sans l’autre. Pour que ce processus soit effectif, j’ai développé intuitivement des gestes professionnels spécifiques. À ce stade de ma recherche, j’en dénombre trois.
60Le premier consiste à élaborer, en amont des séances en classe, un ensemble de consignes établissant un cadre à la fois rassurant et souple pour chacun et chacune. En effet, pour que les élèves osent écrire en contexte scolaire, il est indispensable de penser une structure sur laquelle ils et elles puissent s’appuyer fermement. Cette structure doit également être suffisamment souple pour permettre à chacun et chacune d’écrire en lien avec les processus de fictionnalisation qu’une lecture personnelle et collective, au sein de la classe, a permis de mettre en œuvre.
61Les deuxième et troisième gestes professionnels se concrétisent au sein de la classe et au fil des séances : il est nécessaire en premier lieu de prêter attention à la langue selon le principe du « soin » décrit par Pascal Quignard39. En relâchant, dans un premier temps, l’attention accordée à la norme langagière et orthographique, on rend possible le surgissement d’un sens inattendu, qui débouche sur une langue renouvelée en langue littéraire propre à chaque élève.
62Enfin, la fictionnalisation des consignes à laquelle je me livre en réaction aux questions et propositions des élèves permet d’ébaucher collectivement un ensemble de pistes en offrant aux élèves un récit volontairement incomplet dans lequel ils peuvent inscrire leur texte personnel.
63La recherche qui est la mienne est donc résolument exploratoire : il s’agit de saisir les effets de l’écriture, qu’on ne peut jamais vraiment prévoir, puisqu’ils se font jour au fil d’une série d’interactions qui, elles-mêmes, fonctionnent à plusieurs niveaux. Ainsi, pour que cette écriture créative existe concrètement au service des apprentissages, une circulation s’établit entre la lecture et l’écriture, entre les différentes pratiques d’écriture dans la classe, entre les différentes écritures, celles des auteurs et des autrices appartenant au corpus scolaire, celles des élèves.
64Dans ce tableau, la question de ma propre pratique d’écriture se pose nécessairement. Pour que celle des élèves existe, la mienne n’est finalement jamais réalisée dans le cadre de la classe : elle existe d’une certaine façon virtuellement, comme appel et réponse à la leur. Plus que d’écriture, il s’agit plutôt pour moi de développer une forme de créativité qui nait de la volonté de faire écrire les élèves et aboutit à une fictionnalisation sur laquelle ils prennent appui pour écrire eux-mêmes. Au cours de ce processus, l’écriture de l’enseignante que je suis n’existe pas ou très rarement comme telle mais demeure au stade de l’impulsion initiale pour se mettre au service de la progression des élèves dans leur propre pratique littéraire.
Notes de bas de page
1J.-F. Massol, Le sujet lecteur-scripteur de l’école à l’université. Variété des dispositifs, diversité des élèves, 2017 ; F. Le Goff et V. Larrivé, Le temps de l’écriture. Écritures de la variation, écritures de la réception, 2018.
2Enseignante ici au féminin certes par souci d’inclusivité mais surtout parce que mon propos clairement situé rend compte d’une partie de ma recherche doctorale, qui est la théorisation de ma pratique professionnelle - voir C. Dupin, Pratique de l’écriture créative au lycée, thèse de doctorat en littérature, Cergy Paris Université, 2022.
3Pour plus de clarté, j’emploierai les guillemets pour parler d’« écriture » au sens de pratique scripturale créative de l’enseignante, développée en réponse aux besoins des élèves dans la classe. À ce stade de ma réflexion, il me reste à élaborer un terme plus approprié pour désigner l’ensemble de ces gestes professionnels spécifiques.
4C. Dupin, Pratiquer l’écriture créative au lycée, ibid., p. 349-371. Je m’appuie notamment sur les travaux de J. Lafont-Terranova, Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant : l’apport des ateliers d’écriture, 2009 et O. et M. Neumayer, Animer un atelier d’écriture : faire de l’écriture un bien partagé, 2003.
5C. Dupin, ibid., voir notamment les adaptations des ateliers d’écriture au contexte de la classe p. 386-401 et p. 409-436.
6L’expérimentation a concerné cette année-là 70 élèves sur deux classes. Tous ont répondu au questionnaire-bilan que je leur ai proposé mais seulement 11 élèves dont un seul garçon ont accepté de se prêter au jeu de l’entretien.
7Il s’agit ici de gestes professionnels tels que D. Bucheton les définit : « Ce sont des gestes langagiers et corporels. Ils sont toujours situés, propres à chaque individu. Ils sont l’actualisation et l’ajustement en contexte des préoccupations complexes de chaque enseignant […]. Ils nécessitent la compréhension rapide de l’avancée ou des difficultés des élèves. » D. Bucheton, Les gestes professionnels dans la classe. Éthique et pratiques pour les temps qui viennent, 2019, p. 209. Dans ma recherche, j’ai été amenée à élaborer des gestes nouveaux, liés à la pratique d’écriture créative.
8Dans le texte officiel de 2010, l’expression « exercices codifiés » désigne le commentaire et la dissertation, sans qu’aucune indication particulière vienne étayer la démarche qu’il conviendrait d’initier pour en faire acquérir la technique.
9Selon un grand nombre de collègues, ces programmes sont tellement chargés et les modalités d’examen si contraignantes qu’il est difficile, sinon impossible, de dégager le temps nécessaire à la mise en œuvre de ces travaux écrits, particulièrement en classe de première.
10A. Ernaux, L’écriture comme un couteau : Entretien avec Pierre-Yves Jeannet, 2003, p. 16.
11É. Bing, Et je nageai jusqu’à la page : (vers un atelier d’écriture), 1976.
12C. Tauveron, « Le texte singulier de l’élève ou la question du sujet scripteur », Le Français aujourd’hui, 157, no 7, 2007, p. 75‑82.
13J.-M. Schaeffer, L’expérience esthétique, 2015, p. 316.
14V. Jouve, Pourquoi étudier la littérature ?, 2010, p. 86.
15C. Oriol-Boyer, « Le texte littéraire comme théâtralisation de mécanisme langagiers », 2013, p. 71‑90.
16F. Le Goff et V. Larrivé, Le temps de l’écriture. Écritures de la variation, écritures de la réception, 2018, p. 13.
17G. Langlade, « L’activité “fictionnalisante” du lecteur », Modernités, no 23, 2006, p. 163‑176, p. 174.
18Ibid., p. 169.
19C. Fabre-Cols, Réécrire à l'école et au collège : De l’analyse des brouillons à l’écriture accompagnée, 2002.
20C. Dupin, ouvr. cité, p. 386-401.
21J. Lafont-Terranova, Se construire, à l’école, comme sujet-écrivant : l’apport des ateliers d’écriture, 2009, p. 60-61.
22D. Bucheton et J.-C. Chabanne, Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, 2002, p. 27.
23Voir annexe 1 : la liste des poèmes du corpus.
24Voir annexe 2 : les « centons » écrits par les deux élèves dont j’analyse le travail ici.
25Expérimentation faite pendant l’année scolaire 2014-2015, selon les programmes en vigueur de 2010. L’épreuve écrite anticipée de français au baccalauréat (définie dans le B.O. spécial no 7 du 6 octobre 2011) comprenait un corpus de trois à cinq textes sur lesquels portait une question d’analyse et de synthèse (« question sur corpus »). Pour des raisons de progressivité dans l’apprentissage, j’ai souvent choisi de travailler en tout début de seconde la méthodologie de cet exercice en particulier.
26Les prénoms des élèves ont été modifiés.
27Pour faciliter la réécriture du poème initial et pour m’assurer que les consignes ont été comprises, je propose des pistes de travail aux élèves dont ils s’emparent différemment selon la classe : la modernité de l’écriture d’Apollinaire a été traduite plus souvent comme l’introduction d’objets relevant de la technologie dans la première classe alors que dans la seconde, les élèves ont estimé qu’il s’agissait davantage d’un renouvellement des formes et des thèmes, ce que je désigne par le terme « actualisation ».
28Voir annexe 3
29Voir annexe 4.
30C’est du moins ainsi que j’ai appelé avec les élèves le renouvellement poétique auquel se livre Apollinaire dans Alcools.
31P. Quignard, Petits traités I, 1990, p. 50.
32Ibid., p. 49.
33Annexe 6.
34Annexe 7.
35Annexe 8.
36Annexe 9.
37D. Bucheton définit la posture de lâcher-prise ainsi : « l’enseignant assigne aux élèves la responsabilité de leur travail et de l’autorisation d’expérimenter les chemins qu’ils choisissent. Cette posture est ressentie par les élèves comme un gage de confiance à respecter. Les tâches données sont telles qu’ils doivent pouvoir les résoudre seuls avec les ressources et gestes d’études déjà construits. », ouvr. cité, p. 101. Je souscris à cette définition mais la nuance : dans le cas de cette expérimentation, il me semble que de cette posture dépend l’apprentissage des élèves parce qu’ils ne puisent pas dans leurs ressources déjà en place mais les construisent dans l’objectif d’écrire.
38Un exemple de cette conception se trouve dans la manière dont j’ai évalué les poèmes écrits « à la manière d’Apollinaire » : cette formulation, si elle n’est pas explicitée, pourrait laisser penser que j’attends un pastiche. Or, l’évaluation a porté bien davantage sur la manière dont chaque élève a réinterprété la notion de modernité, en lien avec le travail fait en classe. Les textes achevés, très différents les uns des autres, répondent tous d’une manière ou d’une autre à la consigne telle qu’elle a été comprise dans le cadre de cette séquence.
39P. Quignard, ouvr.cité, p. 49. Dans ce cas précis, le terme de « soin » désigne le moment où la langue, travaillée, est « le plus en péril ».
Auteur
Héritages : Culture/s, Patrimoine/s, Création/s – UMR 9022, Lycée Jaufré Rudel, Blaye (33)
IdRef : 264692284
Christine Dupin est professeure agrégée de lettres actuellement en poste dans un lycée rural de Gironde. Elle a soutenu en mai 2022 la thèse « Pratiquer l’écriture créative au lycée », et poursuit des recherches sur l’enseignement de la littérature par la pratique. Elle a publié notamment « Tenter l’écriture poétique au lycée » dans C. Brissaud, M. Dreyfus et B. Kervyn (dir.), Repenser l’écriture et son évaluation au primaire et au secondaire (Diptyque no 36, 2018).
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