Entretien avec les écrivains professeurs Emmanuel Merle et Laurine Roux
p. 143-156
Texte intégral
1Mené1 par Bénédicte Shawky-Milcent et Nicolas Rouvière
Université Grenoble Alpes, Litt&Arts
Bénédicte Shawky-Milcent — Emmanuel Merle, vous vivez à Grenoble où vous enseignez en classes préparatoires aux grandes écoles de commerce. Vous êtes né en 1958 et avez commencé à publier des livres à partir de 2004 : d’abord un recueil de nouvelles intitulé Redwood chez Gallimard puis un recueil Amérindienne en 2006 et de nombreux recueils de poèmes à intervalles réguliers. Citons Dernières paroles de Perceval (Escampette éditions, 2015) qui nous fait penser à un journal de personnage ; Habiter l’arbre (Voix d’encre, 2020) ; Démembrement (Voix d’encre, 2018), un très beau texte aussi, Le chien de Goya (Éditions Encre et lumière, 2014) une belle lecture subjective de ce tableau. Je suis pour ma part très sensible à votre poésie qui est épurée, comme taillée dans la roche, vous nous invitez à nous relier à l’essentiel, à la nature, à la part d’enfance préservée en soi et à une parole vraie qui permettrait d’être vraiment présents les uns aux autres.
Nicolas Rouvière — Laurine Roux, vous êtes professeure de français depuis 2002 et vous vivez dans les Hautes-Alpes où vous enseignez en collège. Votre premier roman Une immense sensation de calme publié aux éditions du sonneur a reçu le prix révélation 2018 de la société des gens de lettres. Votre second roman intitulé Le sanctuaire a reçu le grand prix de l’imaginaire 2021 du meilleur roman francophone. Vous publiez également des nouvelles et de la poésie dans diverses revues collectives comme Les cahiers d’Adèle, Revue métèques, L’encrier renversé, Dix-sept secondes ou Polysémique. En 2012, vous avez reçu le prix Georges Sand de la nouvelle pour le récit Au cœur des femmes. Et depuis 2020, vous collaborez autour de créations musicales avec les compositeurs Florentine Mulsant et Benoît Menu dans le cadre du festival de Chaillol.
La première question que l’on a envie de vous poser à tous les deux c’est celle des sources de l’écriture : pourquoi écrivez-vous ? Et l’on abordera dans un deuxième temps la question des conditions d’écriture. Alors peut-être Laurine, si vous voulez répondre à la question du pourquoi ?
Laurine Roux — L’instant premier du déclenchement de l’écriture, d’où ça vient, d’où ça part. Alors je dirais qu’il y a beaucoup de choses qui m’échappent dans le feu premier de l’écriture. En tout cas une chose est sûre c’est qu’il y a un désir. Ce désir-là, c’est souvent un désir de lieu. Il y a l’envie de créer, de m’installer de manière imaginaire dans un topos, parfois un lieu fantasmé, pas parce que c’est un lieu particulièrement beau, c’est souvent un lieu de frictions où il y a une tension, ça peut être un désir de froid comme pour Une immense sensation de calme : il y avait l’envie d’un milieu austère, d’un endroit austère, un peu boueux et très froid. C’était ça au départ, le désir, qui venait d’un moment particulier d’un éclat de réel vécu. Je ne vais peut-être pas rentrer dans le détail, ça serait trop long. Le dénominateur commun que j’ai détecté, moi, c’était ça, le désir pour une géographie particulière et vraiment le terme de géographie me semble adapté, au sens de Julien Gracq, qui écrivait le territoire. Et ensuite, il y a toute une bibliothèque, derrière. Tous les auteurs que j’ai lus, toutes les voix que j’ai entendues, les voix de mes grands-mères, de ma mère qui m’ont raconté de manière orale des histoires quand j’étais enfant. Et puis il y a mon enfance, puisque l’on parle d’enfance. Ça c’est une évidence. Enfin, il y a un maelstrom qui m’échappe complètement et tant mieux.
Emmanuel Merle — En fait, il y a beaucoup de choses que Laurine a dites que je pourrais reprendre. Le début de l’écriture c’est une question de fantasme, aussi, la rencontre depuis tout jeune avec des écrivains de la nature, des écrivains américains de la vastitude des Etats-Unis. Je ne retrouvais pas, si vous voulez, dans le roman français, ou même dans l’écriture contemporaine française, un souffle, une voix, une intensité que je retrouvais malgré les traductions chez les poètes américains ou chez un certain nombre de poètes français et particulièrement Apollinaire qui m’a en quelque sorte, à distance, autorisé à écrire, c’est-à-dire une apparente simplicité dans l’écriture. Voilà, maintenant pourquoi écrire, qu’est-ce qui fait que l’on a envie de dire en mots quelque chose ? La part d’enfance est importante, c’est-à-dire le fait de s’être tu pendant longtemps, pendant trop longtemps et d’avoir peut-être quelque chose à partager, l’expérience du monde que je n’ai pas pu partager jusqu’ici. Et le fait aussi d’avoir un rapport à la langue et au langage qui fait que l’association de certains mots pourrait ouvrir un monde particulier, un monde différent, ou un monde au carré en quelque sorte, pas supérieur, mais un monde, une compréhension, oui, une ouverture plus grande au monde par l’agencement de certains mots. C’est ça qui est très mystérieux, que je ressens systématiquement quand j’ai le désir d’écrire justement. Voilà, c’est une forme de complétude, c’est évident aussi. Et je retiens le mot qu’a utilisé Laurine, le mot de « tension », chaque fois que j’écris, je recherche dans l’écriture non pas la résolution d’une tension, mais la mise en mots de cette tension que je ressens comme tout être humain à l’intérieur de moi, voilà et il y a sans doute une forme d’apaisement — pas de soin, un écrivain n’est pas malade — mais un apaisement de cette tension pour l’avoir mise en mots. Voilà.
B. M. — Merci beaucoup Emmanuel. Alors vous êtes tous les deux professeurs, des professeurs écrivains et donc on se pose tous la question : quand écrivez-vous ? et comment parvenez-vous à combiner ce métier d’écrivain avec celui de professeur ? Est-ce que le métier d’enseignant est un frein possible à votre activité littéraire ? Est-ce que l’un d’entre vous veut commencer ?
L. R. — Peut-être Emmanuel.
E. M. — Alors, le métier de professeur n’est pas du tout pour moi un frein pour l’écriture, ça n’est pas dire que le fait d’être enseignant dégage plus de temps qu’un autre métier, ça n’est pas vrai du tout, tout le monde le sait ici. Bien sûr, ceux qui ne font pas enseignant pensent que l’on n’a rien d’autre à faire que quelques heures de cours par semaine, mais tout le monde sait que c’est faux. En fait, on est pris tous les jours par ce métier, weekends compris, donc on n’a pas plus de temps que les autres. Mais ça n’a jamais été un frein pour moi pour écrire. J’écris tous les jours ou quasiment tous les jours, j’ai besoin de me mettre à ma table, devant mon ordinateur pour écrire, je suis incapable d’imaginer un seul vers, une seule phrase en me promenant dans la rue ou en grimpant sur une montagne, ça n’existe pas pour moi. Donc il faut qu’à un moment donné, je me mette devant l’ordinateur et que je commence à écrire. C’est une activité, un métier, je ne sais pas, oui une activité qui vient… qui dans ma tête prend sans doute 80 % de mon esprit, oui, tandis que le métier d’enseignant, c’est beaucoup moins, ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas à 100 % dans mes cours bien sûr. Mais c’est loin, loin d’être un frein pour écrire. D’un autre côté, le fait d’écrire m’a sans doute sorti d’un certain marasme dans mon travail aussi, je ne sais pas, les professeurs qui écoutent ont éprouvé cela. Mais disons qu’entre 40 ou 45 ans, j’en avais tout simplement marre d’être professeur, pas tellement des contacts avec les étudiants ou les élèves, mais du contexte de l’Éducation nationale et j’avais besoin nécessairement d’une activité créatrice qui me donne le même sentiment de complétude dont je parlais tout à l’heure, voilà. Loin de moi l’idée que les deux boulots présentent une difficulté.
B. M. — Laurine ?
L. R. — Moi, je vais apporter un témoignage un peu plus discordant à ce sujet. En fait, jusqu’à ce que je publie mon premier roman, les deux activités se complétaient plutôt joliment. Voilà, l’écriture jouait un rôle d’échappatoire à une forme possible d’ennui parfois générée par le contexte de l’Éducation nationale – pas du côté des élèves évidemment – mais par le cadre de l’Éducation nationale qui pouvait me chagriner, quelquefois, et donc l’écriture était cette fenêtre. Et puis j’ai publié mon premier roman et ça a voulu dire de la promotion, du temps passé à courir la France, les librairies, les médiathèques, les festivals, tout ça en ayant des enfants, en travaillant à 100 % également. Donc il y a eu deux ans particulièrement difficiles que j’ai vécus de manière un peu complexe en termes de gestion du temps tout simplement. Et puis il fallait écrire un deuxième roman, enfin ce n’est pas qu’il fallait, c’est que l’écriture ne me quitte jamais, donc je voulais trouver le temps au milieu de tout ça, le temps d’écrire, ce qui était compliqué, ce qui signifiait des sacrifices et un sentiment de frustration à plein d’endroits, à tous les endroits en fait : à l’endroit de la famille, du métier d’enseignant et de l’écriture. Et c’est dans cette espèce d’inconfort que j’ai écrit Le Sanctuaire qui est mon deuxième roman. Après, grâce aux droits d’auteurs, j’ai pu obtenir un 60 % enfin un peu de temps dégagé pour l’écriture et je tombe à 50 % l’année prochaine. Donc, petit à petit, j’arrive à me dégager un peu de temps mais ce n’est pas suffisant. Et cette sensation de fracture intérieure qui m’est imposée par cette double posture est très inconfortable. Et je ne sais pas, peut-être que la différence avec Emmanuel c’est que lui écrit de la poésie et moi quand j’écris de la poésie, c’est assez différent puisque c’est quelque chose d’assez vertical comme écriture et qui n’occupe pas un laps de temps comme le roman. Je mets à peu près deux ans pour écrire un roman, il y a une gestation souterraine qui est lente, il faut qu’il y ait du ferment et ça demande énormément de temps d’immersion, de concentration, je ne dis pas que la poésie n’en demande pas, mais il y a quelque chose de l’ordre de l’éclat, de l’intensité qui est un petit peu différent, enfin je pense que c’est vraiment au niveau de la temporalité de l’écriture que ça se joue. Et l’écriture du roman, pour moi, me happe littéralement. Je donne un exemple concret pas plus tard qu’hier : je n’avais cours qu’à 11h parce que j’avais une classe qui était en sortie, et je me suis dit : « tiens de 8h à 11h, je vais écrire » et j’ai réussi, ce qui n’arrive pas tout le temps parce que quand je sais que je vais aller en cours, j’ai mon cerveau qui fonctionne sur des tâches très matérielles : faire les photocopies, faire ci, faire ça, et je n’arrive pas à me plonger entièrement dans l’écriture, dans l’univers du roman et là j’ai réussi et à 10h30 quand il a fallu partir, j’ai eu une espèce de…de choc, de sortie de ce roman, de ce texte qui m’habitait, pour aller en classe. Je me suis retrouvée devant les élèves pleine de tout ce qui m’avait accompagnée dans l’écriture et j’avais l’impression d’être vraiment dans un espace-temps…enfin là c’était trop violent ; ça m’arrive rarement, car je fais cours le matin et j’écris l’après-midi, ça fait partie des choses que je négocie un petit peu en termes d’emploi du temps parce que j’ai besoin de sortir vraiment…de me défaire, de m’enlever le… l’habit de prof, comme s’il fallait que je me lave de ce qui je suis en tant que prof, pour pouvoir entrer dans le roman.
N. R. — Quel rôle l’École a-t-elle joué pour vous dans l’accession à l’écriture littéraire ? A-t-elle joué un rôle de formation, d’encouragement ? Ou bien avez-vous éprouvé le besoin d’une rupture avec une certaine culture scolaire de la lecture et de l’écriture pour basculer dans l’activité littéraire ?
E. M. — Je veux bien commencer à répondre. En fait, j’ai le souvenir, maintenant que tu poses la question, j’ai le souvenir quand j’étais en 4e, qu’un professeur ou une professeure demandait d’écrire une fable de La Fontaine à la manière de La Fontaine, et donc je ne sais pas comment on peut faire pour écrire à la manière de La Fontaine mais pour demander ça à quelqu’un de 4e, mais bon bref… j’avais écrit une fable et elle n’avait jamais voulu me croire que c’était moi qui l’avais écrite cette fable-là. Donc je me suis dit : « tiens, pourtant ça ne m’avait pas paru compliqué de le faire ». Mais pour revenir vraiment à la question, l’Éducation nationale n’a pas été l’endroit, l’école n’a pas été l’endroit qui m’a donné l’envie d’écrire. Et de même, quand j’ai été enseignant pendant de nombreuses années, j’ai déjà eu l’occasion de te le dire, ça m’a même empêché d’une certaine façon d’écrire. Il y a une forme d’académisme qui me… l’idée de faire une explication de texte, sur un texte de Baudelaire ou sur… parfois…je la ressentais comme aux antipodes de la création elle-même. Cette explication de texte que je fournissais, dont j’avais, me semblait-il, les tenants et les aboutissants, dont je sais très bien, avec la question des étudiants ou des élèves : « Mais est-ce que Baudelaire a pensé ça ? », je disais : « mais ce n’est pas le problème que Baudelaire ait pensé ça, voilà ce que moi j’y trouve » et je n’étais pas du tout satisfait de cette affaire-là, donc le moment de l’écriture a été un moment de retour pour moi sur la pratique de l’enseignant, de l’enseignement avec beaucoup plus d’humilité, beaucoup plus d’ouverture possible aux étudiants et à moi-même devant un texte. Finalement, l’Éducation nationale, aussi bien en étant élève à l’école qu’en étant professeur, m’aura empêché sans doute de devenir écrivain plus tôt, parce que j’ai commencé à devenir écrivain après 40 ans. Voilà, peut-être qu’il y a d’autres raisons plus profondes, mais c’est certain. Voilà, avoir été bon à l’école, avoir passé des examens, des concours bien sage, bien cadré, ce n’était pas les conditions idéales pour se mettre tout à coup à libérer l’écriture. J’ai bien peur que ça soit encore le cas…que ça soit toujours le cas et plus que jamais dans l’Éducation nationale, j’en ai bien peur, je vois bien comment on fonctionne tous, je parle de mes collègues profs de français et de moi-même. Pour mettre en place un moment de créativité dans une salle de classe, c’est difficile par rapport à soi-même, mais c’est difficile par rapport aux élèves qui n’ont jamais ou très peu rencontré ça et qui finissent par être rétifs devant cette expérience : « ah bon monsieur ce n’est pas noté ? ah bon mais à quoi ça sert ? », ce genre de question que l’on a, que l’on entend tous. C’est terrible parce que l’on voit bien qu’ils sont comme des petits vieux d’une certaine façon déjà, voilà, ceci dit sans les mépriser bien entendu, je les comprends parfaitement étant passé par là.
L. R. — Alors, moi j’ai une expérience de l’école un peu particulière parce que j’ai…je suis allée dans une école primaire classe unique d’inspiration Freinet jusqu’au collège et là, ma fréquentation de la littérature était extrêmement jouissive aussi bien en termes de lecture que d’écriture, parce qu’on écrivait beaucoup de manière assez libre… de manière très intelligente et moi j’ai souvenir d’avoir pris beaucoup, beaucoup de plaisir. Il n’y avait pas trop de différence dans mon esprit entre le lire et l’écrire, c’était dépendant d’une seule et même chose et ce qui me semble juste d’ailleurs. Et ensuite, j’ai vécu un choc terrible, c’était l’arrivée au collège…dans un collège de zone rurale, très classique, et là j’ai un peu déchanté, voilà, du rapport à la langue qui était moins libre, je ne retrouvais pas le plaisir. Comme j’étais une bonne élève voire une très bonne élève, très scolaire, je me conformais aux désirs de mes professeurs et donc je faisais des rédactions avec joie, évidemment… mais justement c’est ce que disait Emmanuel, je reprends vraiment à mon compte ce qu’il a dit là-dessus, c’est que j’aurais certainement, si je n’avais pas été aussi bonne élève et aussi docile, j’aurais certainement écrit contre l’Éducation nationale, par rapport à la manière dont elle m’avait menée vers la littérature plus tôt. Mais comme je continuais plutôt avec réussite en faisant mes études, en passant des concours, en devenant professeure, bon j’ai continué… toujours avec ce sentiment de ne pas retrouver cette joie assez charnelle de frottement avec la langue que j’avais vécue étant plus jeune. Et ça je le trouvais en dehors, en écrivant de mon côté pour moi, mais avec une forme de… Moi, je n’ai pas attendu 40 ans pour écrire, mais 30 ans, mon premier roman je l’ai écrit à 30 ans alors que j’ai toujours écrit, mais l’ambition d’écrire, je me la suis permise à 30 ans, ce qui est relativement tard, et c’était aussi parce que pesait derrière moi tout un parcours universitaire avec des géants, et se dire que l’on pouvait écrire à côté d’eux, sans prétendre à être Montaigne, Rabelais qui pour moi étaient devenus mes maîtres. Voilà, ça a été compliqué de se trouver une petite place à ce niveau-là. Donc voilà. Et je reprends à mon compte tout ce que tu as dit ensuite quand on enseigne, voilà pardon.
B. M. — Et… est-ce que vous avez modifié votre pratique d’enseignement lorsque vous avez commencé à publier vos romans ? Est-ce que vous avez fait travailler vos élèves autrement ?
L. R. — Alors… disons que je l’ai fait de manière beaucoup moins complexée, je faisais travailler… je me posais beaucoup de questions sur l’évaluation, j’étais très sceptique sur la question d’évaluer un texte, notamment un texte écrit en classe, ça me… j’étais rétive. Et à partir du moment où je… j’ai ressenti une forme de légitimité en publiant mes textes – c’est peut-être idiot, mais c’est ce qui s’est produit pour moi – cette question-là est devenue beaucoup plus claire et je me suis dit : « non, mais ça n’a vraiment aucun sens de noter, c’est un texte » et je me suis permis beaucoup de lire pour le plaisir, de faire des lectures offertes, d’écrire pour le plaisir, ce qui ne veut pas dire d’écrire sans contrainte, sans consigne, évidemment, et de fonctionner de manière plus intuitive, de manière plus… d’écrire mon cours un peu comme j’écris mes romans, en faisant attention au rythme, une dramaturgie et de l’année et de l’heure et d’une séquence, et ça c’est des choses, c’est peut-être un peu idiot, mais ça se sent, il y a un moment donné où l’on sent où il faut qu’il y ait une phase plus rapide. Dans un cours, il y a un moment donné où je me permets de sentir qu’il faut passer à autre chose. Et ça je n’ai ni l’envie ni le besoin de le nommer d’un point de vue didactique pour le pratiquer. Je me le permets plus.
B. M. — Emmanuel, je crois que tu voulais ajouter des choses sur cette question-là, d’un autre rapport à l’enseignement depuis que tu écris, sur le lien peut-être entre la parole poétique et la parole professorale.
E. M. — Je rebondis sur ce que vient de dire Laurine par rapport au ton du professeur ou à la voix du professeur en cours. La poésie pour moi a besoin d’être lue à voix haute, donc c’est une pratique que j’ai constamment quand on est invité à tel ou tel endroit pour lire la poésie. Et ça a sans doute libéré quelque chose chez moi, dans mon cours aussi. Je n’ai jamais eu de soucis pour… dans mon rapport aux élèves et aux étudiants, j’ai toujours été… j’ai toujours eu une bonne écoute. La pratique de la lecture de la poésie, le fait de passer par le corps, la conscience du fait que ça passe par le corps, ça a été justement plus conscient pour moi dans mes cours, ça l’est toujours encore aujourd’hui, j’ai été plus à l’aise, j’ai été sans doute plus convaincant et cette affaire de rythme ou cette affaire de… oui c’est vraiment très important, parce que d’un coup il y avait un corps en présence, vous voyez. Je ne sais pas si c’est une expérience que je vais décrire très rapidement, mais j’ai eu de drôles d’expériences physiquement, en étant prof avant d’être écrivain : c’est-à-dire, j’avais besoin parfois d’ouvrir la porte de la classe et de mettre un pied à l’extérieur et de garder un pied à l’intérieur, parce qu’il y avait un début de crise de panique qui s’emparait de moi, je m’entendais parler en cours, je ne pouvais pas sortir de ce cours, c’était comme une scène de théâtre effectivement où j’étais bloqué, ça tournait à l’angoisse et c’est quelque chose qui s’est… qui a disparu après que j’ai pu écrire et surtout présenter ma voix à l’oral ensuite pour lire ma poésie. Donc ça a été quelque chose d’extrêmement physique, on oublie trop souvent que le métier de prof est un métier extrêmement physique, d’abord un corps, et la coïncidence de ce qui est dit, ce qui vient de la tête en quelque sorte et l’expression physique qui se passe donc au niveau de la gorge ; c’est la même chose quand on est en cours que quand on est en train de réciter un poème. Voilà, donc, oui, c’est une expérience physique dans les deux cas, très importante, je pense qu’il faut que l’on réfléchisse à cela quand on est prof, en fait.
B. M. — Est-ce que dans le moment de préparation du cours, puis dans le temps de sa mise en œuvre, le lecteur expert que vous êtes se tient à distance du lecteur subjectif que vous êtes aussi ? Ou bien est-ce que ce dernier est présent, même de manière discrète, silencieuse ?
E. M. — Il est nécessairement présent ce lecteur subjectif. Pour moi, je ne peux pas envisager de faire un cours sans subjectivité, sans la lecture, donc je fais une lecture subjective du texte, prose ou poésie ou théâtre, et j’ai besoin de pouvoir aimer ce texte ou de comprendre pourquoi je ne l’aime pas, ou de faire partager même à mon public qui se trouve être une salle de classe, les raisons pour lesquelles ce texte ne me parle pas et ne me plait pas, si je dois admettre que je présente ce genre de texte, parce que j’ai un programme par exemple qui m’oblige à le faire, même si ce n’est plus vraiment le cas avec les classes préparatoires. Mais dans cette idée-là, j’ai besoin oui… je ne peux pas envisager une explication de texte hors subjectivité de ma part, ce n’est pas possible ; je ne sais pas ce qu’est l’objectivité dans une explication de texte, je ne sais même pas comment cela peut exister. Ce qui ne veut pas dire que je me contente de dire que ça me plait, que c’est joli ou que…évidemment non, il s’agit de mettre un contexte, de voir d’où vient l’écrit, d’où vient ce poème, d’où vient ce texte-là, à quel siècle, quelles sont les circonstances historiques, sociologiques, politiques qui ont présidé à cette écriture, mais j’ai besoin de partage… enfin… je propose désormais depuis disons une quinzaine d’années uniquement des textes que j’aime. Bon, c’est parce que j’ai la possibilité de le faire sans doute en classes préparatoires ; voilà donc je serais extraordinairement en porte-à-faux si on devait m’imposer désormais de présenter des textes qui ne me parlent pas. Ça m’est arrivé, il y a une vingtaine d’années, il y avait Charles de Gaulle en terminale, et les mémoires du Général de Gaulle, ça a été infernal pour moi, j’ai été inspecté sur Les mémoires du Général de Gaulle. Je me suis disputé avec l’inspectrice, parce que je lui ai dit que ça n’est pas de la littérature, et ça ne lui a pas plu du tout. Voilà, donc ça c’était très, très difficile. Donc je disais à mes élèves de terminale, « ce n’est pas de la littérature parce que…parce que…parce que… et voyez comme ce n’est pas bon et voyez comme il manque de compassion. » Je n’ai pas hésité à dire ce que je pensais et à ce moment-là, ça me paraissait très, très important.
N. R. — Merci pour ce témoignage sur le jugement de goût et le fait de s’autoriser à le dire devant les élèves.
B. M. — Et vous Laurine ?
L. R. — Je rejoins complétement ce que dit Emmanuel à ce sujet. Je rajouterais que… moi ce qui… le point central c’est certainement le corps justement, parce qu’il faut que mon corps résonne, qu’il sonne en classe, qu’il fasse sonner le texte, que moi j’aie une forme d’enthousiasme pour le texte. Alors l’enthousiasme, ça peut-être un enthousiasme négatif ou positif, je suis tout à fait… j’aime aussi me frotter à des textes qui me sont assez lointains, étrangers ou qui ne me plaisent pas, mais il y a quelque chose de l’ordre du ring avec le texte, il faut que le texte m’attrape et il peut m’attraper par plein d’endroits et ça peut être des endroits tout à fait…voilà il peut avoir une forme… le rejet c’est très intéressant aussi. Et à partir de là, je ne me cache pas d’en parler avec les élèves, de ma subjectivité, et d’ouvrir le chemin à la leur, parce que si on se place en technicien tout de suite et qu’on ne se pense pas en quelqu’un qui réagit d’abord en caisse de résonnance du texte, je ne vois pas trop comment on peut ouvrir la possibilité pour les élèves de… d’avoir cette posture d’être simplement des gens qui réagissent d’abord avec des émotions, tout simplement, avec des choses toutes bêtes et ce qui n’empêche pas évidemment la technicité ensuite ; et au contraire le plaisir de la technicité me semble d’autant plus jubilatoire, quand on essaye d’expliquer quelque chose qui a eu un…qui a eu une…qui a eu un impact dans le corps, où la langue était charnelle.
E. M. — On a trop connu des professeurs, on a trop fréquenté dans l’école des professeurs qui ne faisaient rien passer de ce qu’ils exprimaient eux, de ce qu’ils ressentaient plutôt eux. Donc moi je pense que c’est vraiment la voie pour se faire entendre de la part d’un public et de jeune gens, de montrer une certaine fragilité et même une certaine… grande subjectivité dans le rapport que l’on a avec le texte et tout d’un coup ils sentent la sincérité. Et s’ils sentent la sincérité du prof, d’une certaine façon c’est gagné et tout d’un coup ça les interpelle vraiment, ce type-là ne ment pas, il me parle de ce texte. Moi je n’ai jamais vraiment connu de prof qui aient pu me faire… il a fallu que j’aille directement dans les textes pour éprouver une émotion. Par le prof interposé, ça ne m’est… je ne crois pas que ça me soit vraiment arrivé.
N. R. — Est-ce que votre activité littéraire a modifié la façon dont vous recevez les textes des élèves ?
L. R. — C’est juste une petite anecdote, parce que dernièrement je me suis fait la réflexion en corrigeant un paquet de copies. Je me suis dit : « Mon dieu, je le regarde comme si j’étais leur éditeur » et j’avais envie d’avoir… enfin nous on travaille avec mon éditeur sur le logiciel Word et il y a une fonction qui s’appelle « modification », ou je ne sais plus quoi, où il y a une marge à côté et il suggère des modifications et il suffit de valider pour que ça se change… d’insérer… enfin c’est beaucoup plus facile qu’une copie pour intervenir sur le texte. Et je me suis dit « mon dieu, c’est bizarre cette manière de voir… enfin je voyais… m’apparaissaient les modifications qu’aurait pu faire sur la copie Marc Villemin mon éditeur. Et notamment, c’est peut-être un peu idiot et je ne sais pas si c’est très intéressant de le dire à ce sujet, mais sur les chaînes anaphoriques, ça c’est quelque chose qui m’apparait de manière beaucoup plus frappante aujourd’hui, c’est à quel point c’est le nerf de la guerre, ça et les temps verbaux ; le nerf de la guerre c’est la question de la chaîne anaphorique, les substituts nominaux, pronominaux qui ne vont pas… qui… Et ça, en écrivant, c’est quelque chose qui m’apparaît de manière très frappante, mais sinon moi j’ai toujours fonctionné en faisant des ateliers d’écriture. J’ai un diplôme universitaire d’animation d’atelier d’écriture depuis longtemps et j’ai toujours pratiqué le jeu, l’écriture comme un jeu avant tout. Donc ça, ça n’a pas trop changé.
E. M. — En ce qui me concerne, les travaux de mes étudiants sont des travaux qui consistent en des dissertations et des contractions de textes. Donc on est vraiment aux antipodes de la créativité littéraire avec ces deux exercices-là. Dans ce domaine, je me sens quand même pas mal en porte-à-faux, donc ce n’est pas l’écrivain qui corrige ces copies, mais l’écrivain remarque à l’intérieur d’une copie une maladresse de dissertation, une maladresse de contraction, qui pourrait devenir quelque chose de beaucoup plus enthousiasment dans un autre contexte d’écriture. Vous voyez que j’ai beaucoup de rapports avec des exercices codifiés, mais donc je pourrais leur dire : « tu vois là tu as écrit quelque chose, mais qui témoigne de quelque chose d’autre ; tout à coup ces deux mis ensemble, qui n’auraient jamais dû se retrouver, là, quelque chose s’est produit, donc si tu as envie n’hésite pas ». Tous les ans, j’ai évidemment des étudiants qui viennent me voir en me disant : « je sais que vous écrivez, est-ce que vous pouvez lire ce que j’ai écrit ? ». Le souci c’est qu’indépendamment de faire des activités d’écriture pendant son cours, ce qui n’est quand même pas facile, je crois, dans l’Éducation nationale d’aujourd’hui, on n’a pas le moment, le temps de la rencontre nécessaire, avec une écriture, même naïve, mais qui pourrait commencer à être développée chez un élève ou un étudiant. Donc ils n’ont pas la marge de manœuvre et ils n’osent même pas le faire. Je ne peux vraiment me rendre compte de ce qu’un certain nombre d’étudiants ou d’élèves peuvent écrire que lorsqu’ils m’invitent, en tant qu’écrivain cette fois-ci, dans des lycées pour faire des ateliers d’écriture. Voilà, mais sinon on est en porte-à-faux avec ça, vraiment. Je ne sais pas comment fonctionne Laurine là-dessus, mais est-ce qu’on a le temps, dans une classe de première, de seconde, de terminale, dans lesquelles je ne suis plus, de faire des ateliers d’écriture régulièrement ou bien est-ce que faire ça… Ce n’est vraiment pas la matière littéraire telle qu’elle est enseignée qui autorise une créativité, je ne crois pas.
N. R. — On dit souvent que l’écrivain peut être un passeur, tout comme on dit de l’enseignant qu’il a pour rôle de transmettre. Comment vous situez-vous par rapport à ces deux postures et quelles analogies pouvez-vous faire entre les deux ?
E. M. — Pour moi, depuis que je suis écrivain, depuis maintenant bientôt une vingtaine d’années, il est évident que l’activité principale en tant que prof, c’est celle de passeur. Vraiment, d’autant plus depuis que j’écris, je pense que c’est… passeur je veux dire transmettre un certain nombre de textes, d’ouvrages que j’aime, qui me semblent extraordinairement importants, d’ouvrages d’auteurs qui me passionnent… donc c’est essentiellement ce rôle. La technique derrière le résumé, la contraction de texte, la dissertation, oui, mais mon boulot sert surtout à passer cette littérature et ça c’est le fait d’être écrivain qui m’a davantage autorisé à ces choix-là. C’est vraiment le même genre de travail, de ce point de vue-là, ce travail de passeur. Je ressens autant ça quand je lis à voix haute ou quand je vais rencontrer des gens, des lecteurs, c’est-à-dire cette transitivité, cette transitivité entre deux personnes finalement, c’est ce que cherche un écrivain. On est seul à écrire et tout d’un coup quelqu’un va vous dire : « à bah, vous avez exprimé ça, c’est exactement ce que j’ai ressenti ». Vous êtes content parce que vous avez écrit pour ça, finalement. Et bien ça se passe avec les élèves et les étudiants quand un élève vient vous dire : « ah bah là vraiment, oui j’ai ressenti quelque chose… » ; c’est la même chose, c’est le même gain, c’est la même humanité tout à coup qui se retrouve là, la chose pour moi la plus importante pour un prof et pour un écrivain.
L. R. — En ce qui me concerne, oui bien sûr il y a une convergence frappante qui m’a paru très clairement. En fait on travaille la même matière, on travaille la langue, cette matière-là, oui on est passeur, et je me sens toujours comme un simple maillon entre les élèves et la littérature en classe. Quand j’écris, j’ai vraiment cette sensation que je ne suis pas auteure de mes textes et je dis toujours : « c’est sans plaisanter et sans coquetteries que ce n’est pas moi qui écris mes textes » ; et le terme d’auteur me pose question avec cette étymologie qui ne va pas, parce que je ne fais que me mettre dans des conditions qui me permettent de faire passer des voix. Ces voix-là peuvent être des voix que j’ai entendues, des voix qui naissent, qui ont fermenté de manière assez… à partir des désirs dont je parlais au début, et ça, ça passe par la matière, par la langue, et cette langue dont je me méfie tant, dont je me méfiais tant et dont je continue de me méfier à l’endroit de la littérature, cette langue devient une alliée, une alliée toujours déceptive, on échoue toujours et on essaye d’échouer moins mal comme disait Beckett, enfin il le disait mieux que moi, je n’ai plus la phrase exacte. Voilà, c’est donc cette convergence, c’est vraiment cette pâte-là de la langue française.
N. R. — Dans les ateliers d’écriture que vous évoquiez, justement qu’est-ce que l’écrivain peut apporter en termes d’impulsion d’écriture, de proposition créative ?
L. R. — Je ne sais pas si c’est vraiment l’écrivain, là, qui est en jeu ; là, c’est peut-être plus le professeur qui, sur le choix du texte à entendre, un choix qui serait libérateur, sur des consignes à la fois très précises et en même temps qui permettent et qui désinhibent et qui permettent de gratifier ensuite sur le… que le texte qui en sort, soit un texte qui soit étonnant pour… moi ce que j’essaye toujours au début, j’essaye toujours… je veux absolument que le texte qui va naître en début d’atelier d’écriture ça soit un texte qui étonne et que la personne se dise : « oh mon dieu mais ce n’est pas moi qui ai écrit ça ! » et que cette sensation qui m’est très chère de ne pas écrire réellement mes textes et que ça soit quelque chose qui m’échappe, évidemment c’est moi mais c’est quelque chose qui voilà… Je fais un aparté mais je trouve ça très joli, c’est Antonio Lobo Antunes qui dit : « Les textes sont là ». Et alors il fait ce geste : les textes ils sont-là et il faut les attraper. Et je crois que l’enseignant doit aider à attraper ces choses qui sont là et qui sont en puissance chez l’élève et qu’il faut juste l’aider.
N. R. — Vous avez parlé du fait que vous adoptiez finalement parfois une posture d’éditrice. En ce qui concerne l’évaluation des écrits de vos élèves, qu’est-ce qui a changé dans votre posture de professeur ?
L. R. — Est-ce que le fait de publier a changé quoi que ce soit là-dedans ou est-ce que c’est juste la maturation de ma réflexion par rapport à l’enseignement de l’écriture qui s’est affirmée ? Une chose est sûre c’est que… je vais parler de manière très subjective et personnelle : le fait de noter me répugne d’autant plus, que je sais ce que ça veut dire qu’écrire. Je pèse mes mots parce que c’est quelque chose de puissant qui peut l’être et je sais que ça peut l’être aussi en classe chez les élèves qui ont l’instinct de l’écriture ; pas toujours, mais ça peut l’être ; et je vois bien à quel point ça peut stériliser l’envie, de continuer de recevoir une note. Alors ça peut aussi être gratifiant, une bonne note, évidemment, mais il me semble que les avantages sont nettement moindres que les inconvénients, et encore plus depuis que je suis publiée. Je me mets plus volontiers dans une posture d’éditrice qui serait : « comment on va rendre le texte meilleur ? » et dans ce sens-là j’aurais envie de pouvoir travailler trois semaines un texte d’élève, et pas juste de travailler le texte et puis le lendemain on fait la correction en donnant deux-trois pistes qui finalement ne servent pas à grand-chose. J’aimerais avoir un temps long que je n’ai pas en classe avec les horaires qui me sont impartis.
N.R. — Laurine Roux, Emmanuel Merle, nous vous remercions pour vos réponses.
Notes de bas de page
1Entretien conduit le 9 juin 2022 lors des XXIIe Rencontres internationales des chercheurs en didactique de la littérature, organisées à l’Université Grenoble Alpes.
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