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Conclusion

p. 349-360


Texte intégral

1Arrivé·es au terme de cet ouvrage où nous avons pu présenter plusieurs aspects de nos recherches, il est temps de tirer le bilan de ce que nous avons apporté à la question de l’enseignement et de l’apprentissage de la résolution de problèmes en classe de mathématiques, mais aussi de l’enseignement et apprentissage des mathématiques par la résolution de problèmes. Nous avons mené des expérimentations à différents degrés scolaires du primaire au secondaire II dans le contexte genevois, avec une ouverture sur le Baccalauréat International. Néanmoins, l’ampleur des données recueillies et notre prise en compte de travaux dans d’autres contextes nous permettent de pouvoir prétendre à une certaine universalité de nos résultats. Nos conditions d’observations ont été soit celles des classes dites « ordinaires », sans intervention spécifique de chercheur·e, soit avec une perspective de conception et d’expérimentation d’ingénieries, dans les deux projets où la résolution de problèmes est utilisée pour enseigner dans un cas, les formes au primaire (Proform) et dans l’autre, les fonctions au secondaire II (Profon).

2Un de nos objectifs centraux était de comprendre ce que font les élèves dans des activités de résolution de problèmes, ce qui leur permet de progresser et d’arriver à la solution ou, au contraire, ce qui peut les bloquer ou les empêcher de trouver la solution. Ce faisant, nous nous plaçons résolument dans une perspective didactique globale. C’est-à-dire que nous prenons en compte non seulement la dimension psychologique de l’apprentissage, mais aussi les effets des interactions entre élèves, dans des travaux de groupes, ou avec l’enseignant·e dans ses régulations, plus ou moins pertinentes ou efficaces. De plus, nous analysons les projets d’enseignement dans leurs dimensions didactiques locales comme les choix que l’enseignant·e peut contrôler, mais aussi les dimensions plus globales liées aux effets de la transposition didactique externe, depuis les choix politiques jusqu’à la rédaction des programmes et l’étude des manuels (pour laquelle nous référons à une publication qui n’est pas dans ce livre). Enfin, nous avons également mené une enquête pour évaluer les représentations des élèves et des enseignants sur les mathématiques et la résolution de problèmes. C’est ce qui fait la particularité d’une approche didactique complète, qui s’inscrit dans une réalité sociale d’un système scolaire dont elle intègre les conditions et contraintes.

3Dans cette conclusion, nous reprenons tout d’abord le cours de notre ouvrage et une partie des conclusions de chaque chapitre pour dresser ensuite un tableau d’ensemble et dégager pour finir les perspectives globales que cela nous permet d’ouvrir sur la base des avancées que nous avons pu obtenir et des limites de ce qui resterait à faire.

4Le chapitre 1 nous a permis de rappeler de nombreux travaux sur la résolution de problèmes en didactique des mathématiques et, à une échelle plus internationale, en Mathematics education et dans des champs connexes, en particulier en psychologie cognitive. Il en ressort deux éléments sur lesquels notre travail s’appuie tout au long de ce livre. Tout d’abord, il nous semble fondamental de faire la distinction entre deux enjeux d’enseignement différents concernant les problèmes : résoudre des problèmes pour apprendre à chercher ou résoudre des problèmes pour apprendre des savoirs mathématiques. Il est important en effet de clarifier ce point du fait que les problèmes ont une place prépondérante dans les injonctions officielles et les programmes dans de nombreux pays, dont la Suisse romande. Ce ne sont pas les problèmes qui sont forcément différents, mais bien les enjeux d’enseignement et par conséquent, cette différence d’enjeux aura des conséquences notamment sur l’organisation du travail en classe, sur les articulations dévolution/institutionnalisation et sur les évaluations. C’est ainsi que nous avons distingué les problèmes comme objets d’enseignement et les problèmes comme outils pour enseigner des notions mathématiques.

5Le second élément porte sur la caractérisation du travail des élèves lorsqu’ils résolvent des problèmes. Nous nous situons dans une perspective qui prend appui sur des processus globaux, en particulier ceux liés à la représentation du problème, et non sur un découpage en phases comme on peut le trouver dans certaines ressources à destination des enseignant·es.

6Puis le chapitre 2 a été consacré aux enjeux de transposition essentiellement externe et dans le contexte genevois. En cela, nous y avons analysé, avec une certaine dimension historique, l’évolution de la place de la résolution de problèmes dans les programmes et dans les moyens d’enseignement, à l’échelle genevoise, qui se confond souvent au niveau de l’école obligatoire avec le contexte romand. Toutefois, à part quelques particularités locales, les tendances qui se dégagent recoupent ce que d’autres travaux ont montré entre autres en France et au Québec. Ainsi, on retrouve une longue tradition de la résolution de problèmes au primaire ancrée dans des problèmes pratiques de la vie courante proposés en clôture d’une séquence d’enseignement. La période des mathématiques modernes constitue ensuite une parenthèse où la résolution de problèmes a été minorée ou envisagée de façon essentiellement interne aux mathématiques. Enfin, la nouvelle période – qui démarre dans les années 80 et est liée aux grands courants de l’éducation nouvelle qui ont marqué le contexte genevois – a vu un retour en force de la résolution de problèmes avec un spectre plus large. Celle-ci n’est en effet plus alors seulement vue comme un moyen d’appliquer les connaissances mathématiques aux problèmes de la vie courante, mais aussi comme un moyen d’accéder aux connaissances mathématiques et enfin comme un mode de pensée caractéristique de cette discipline fortement en lien avec ce qu’on désigne par la démarche ou l’esprit scientifique. Au secondaire I (Cycle d’Orientation), dont l’accès ne s’est démocratisé qu’à partir de la période des mathématiques modernes, la résolution de problèmes a mis plus longtemps à trouver sa place, pour être aujourd’hui mise en avant de façon centrale dans le Plan d’études. Enfin au secondaire II (Collège), même si le programme est plus court et moins développé, on trouve des éléments généraux qui montrent une attention portée à la résolution de problèmes. Toutefois, ces intentions ne sont pas déclinées dans les thèmes à enseigner, ce qui peut laisser penser à une prépondérance des exercices techniques sur les problèmes.

7Dans les chapitres 3 et 4, nous avons présenté l’analyse des réponses à deux questionnaires que nous avons conçus et qui ont été soumis aux élèves et aux enseignant·es de différents niveaux scolaires à Genève. L’un a porté sur la perception de la résolution de problèmes par les élèves à partir de leur vécu dans leur cursus scolaire et l’autre sur les pratiques déclarées des enseignant·es concernant les problèmes.

8Au niveau des élèves, au primaire c’est une conception plutôt « expérimentale » des mathématiques qui domine, alors qu’au secondaire I, c’est une conception plutôt « théorique » et enfin, au secondaire II, une conception réduite aux aspects logiques des mathématiques qui prévaut. Mais on constate toutefois que cette conception « logique » est aussi présente au primaire comme au secondaire. Par ailleurs, globalement, une majorité d’élèves a la sensation de faire beaucoup d’exercices d’entraînement. En particulier, au secondaire I et II, elles et ils déclarent faire plus d’exercices de calcul que résoudre des problèmes.

9Comme nous l’avons dit, il faut rester prudent·es du fait du nombre réduit de réponses et de leur aspect déclaratif qui peuvent davantage traduire un ressenti global que dresser un bilan représentatif de ce qui est réellement proposé aux élèves en classe en termes de tâches mathématiques. Néanmoins, en mettant en lien ces résultats avec ceux de l’analyse des plans d’études et des programmes du chapitre 2, nous ne pouvons que nous interroger sur la place réelle faite aux problèmes dans les classes, au vu des contraintes de l’enseignement et de la quantité des notions à enseigner, malgré des injonctions officielles générales qui promeuvent la résolution de problèmes.

10Au niveau des enseignant·es, les résultats les plus saillants montrent des différences assez nettes entre les déclarations des enseignant·es du primaire et de celles et ceux du secondaire, les réponses des enseignant·es du secondaire I et du secondaire II se ressemblant globalement beaucoup. On a ainsi pu noter que la fréquence moyenne de mise en œuvre de la résolution de problèmes en classe diminue au fil de la scolarité. De plus, la part des problèmes dont l’objectif est de faire chercher les élèves diminue également au fil de la scolarité, laissant la place aux problèmes proposés à la fin d’un chapitre/séquence, comme application de connaissances. En écho avec les conceptions des élèves, il s’avère qu’au primaire les enseignant·es assignent majoritairement à la résolution de problèmes une fonction visant à habituer les élèves à chercher, alors qu’au secondaire, la résolution de problèmes est plus en lien avec les notions enseignées, pour donner du sens aux concepts. C’est peut-être aussi ce qui explique que les enseignant·es du secondaire citent assez peu les dimensions de modélisation ou de raisonnement à propos de la résolution de problèmes. Finalement, il ressort de nos résultats qu’entre le primaire et le secondaire, la résolution de problèmes passe d’une activité avant tout ludique et attractive, éventuellement en lien avec la vie courante, à une activité plutôt d’entraînement des connaissances mathématiques.

11Tous ces résultats nous questionnent sur la formation des enseignant·es et nous ont également conduit·es à intégrer dans nos cours et séminaires (en formation initiale) des éléments en lien avec les réflexions et travaux issus de ce projet. Cela nous a également amené·es à mettre en place des modalités de type recherche collaborative, visant à terme à développer une ressource pour la formation continue. Nous développons ce point dans les perspectives.

12L’ensemble des résultats de cette première partie, nous a permis de mettre en évidence les enjeux épistémologiques et institutionnels dans lesquels s’inscrit la résolution de problèmes en général et plus particulièrement dans les écoles genevoises et dans le contexte du Baccalauréat International. Cela nous a ensuite conduit·es à aborder, à travers l’analyse des questionnaires, la question des conditions et des contraintes qui régissent les pratiques de la résolution de problèmes dans ces différentes institutions, au-delà des injonctions officielles et des choix relevant de la transposition externe. Les étudier est un niveau intermédiaire indispensable à l’analyse didactique qui affine les analyses de type institutionnel et éclaire les analyses des pratiques des enseignant·es et de l’activité des élèves ainsi que leurs liens. C’est ce que nous avons abordé dans la deuxième partie de cet ouvrage composée de quatre chapitres.

13Tout d’abord, nous avons présenté des éléments des thèses de Chanudet (2019) et de Favier (2022) et de leur travail commun dans le chapitre 5, le projet Proform dans le chapitre 6, le projet Profon dans le chapitre 7 et des éléments de la thèse de Lacek (2023) dans le chapitre 8. Nous rappelons qu’afin de structurer les présentations de ces quatre chapitres autour de questions communes, nous avons demandé aux auteur·es de s’appuyer sur deux grands axes d’observation et de réflexion. Le premier concerne les pratiques des enseignant·es et porte sur les conditions et contraintes qui pèsent sur la mise en place d’un enseignement de ou par la résolution de problèmes notamment à travers des questions liées d’une part, à la temporalité et, d’autre part, à l’évaluation. Le deuxième axe présente quant à lui diverses analyses de terrain portant sur l’observation des élèves et de leurs enseignant·es en classe ou d’élèves dans le travail à la maison sur des activités diverses de résolution de problèmes.

14Concernant le premier axe, il apparaît tout d’abord que la prise en compte du temps long est toujours complexe du point de vue de la recherche en didactique des mathématiques. Sur des questions aussi générales que la résolution de problèmes, des résultats ont été produits par plusieurs recherches, que nos différents travaux viennent confirmer, tout en apportant des éléments nouveaux ou plus précis. En outre, certains des résultats mis en évidence dans les quatre travaux précédemment cités sont fortement liés à des éléments particuliers de leur contexte propre, mais d’autres sont plus généraux. Ce sont ces derniers que nous soulignons dans cette conclusion.

15Les deux études portant sur la résolution de problèmes comme objet d’enseignement (chapitres 5 et 8) montrent que les conceptions des enseignant·es sur la résolution de problèmes ou les démarches d’investigation ont une influence forte sur ce qui va être proposé aux élèves (ce résultat n’est ni nouveau ni exclusif, mais il est certainement plus fortement marqué dans des dispositifs innovants comme ceux présentés ici). De plus, ces études mettent en lumière qu’il existe un certain nombre de difficultés, notamment liées au temps d’enseignement et à la disponibilité des ressources qui, si elles ne sont pas accompagnées par l’institution, peuvent empêcher une mise en œuvre optimale. Enfin, déterminer des objectifs d’apprentissage précis sur le temps long, et donc ce qui peut et devra être évalué, semble central dans ces deux études. Ainsi, définir sur le temps long des objectifs et une certaine progression dans les apprentissages des élèves est une réelle difficulté face à laquelle les enseignant·es peuvent être démuni·es si l’institution ne les y aide pas. Dans ce sens, le travail de Chanudet et Favier (chapitre 5) en s’appuyant sur les modes de raisonnements et de preuves permet de donner aux enseignant·es des éléments d’organisation pour mieux problématiser leur choix des problèmes en lien avec les types de raisonnements comme apprentissages possibles. Ce sont des pistes prometteuses que nous reprenons plus bas.

16Dans les contextes où la résolution de problèmes est un outil (chapitres 6 et 7), la prise en compte du temps long fait apparaître la difficulté des enseignant·es à coordonner des objectifs d’apprentissage locaux, au niveau d’une séance, avec des objectifs plus globaux au niveau de la séquence (flexibilité du regard ou conversion de registres). Si les premiers sont le plus souvent assez faciles à mettre en œuvre et même à atteindre, les seconds, eux, sont plus difficiles à opérationnaliser. De plus, ces apprentissages plus globaux sont plus diffus et rarement explicites dans les textes institutionnels. Or, ce sont justement ces derniers qui sont caractéristiques de la résolution de problèmes. Ceci plaide pour que les ressources accompagnent plus particulièrement les enseignant·es dans la prise en compte de ces apprentissages et dans l’élaboration des séquences de classe.

17Dans tous ces travaux, la question du long terme montre bien qu’une difficulté essentielle repose sur des choix complexes dans la succession des problèmes et d’une bonne orchestration de ceux-ci. Celle-ci doit, entre autres, permettre de dégager des institutionnalisations progressives et cohérentes pour finaliser un apprentissage qui fait sens par rapport à des objectifs globaux, que ceux-ci soient liés à la résolution de problèmes comme objet ou comme outil.

18Nos travaux apportent aussi (à travers le second point du premier axe) des éclairages sur diverses questions liées à l’évaluation, un thème fondamental, qui va de pair avec des évolutions de l’enseignement, et qui n’est pas encore au cœur de beaucoup de recherches en didactique des mathématiques. Ainsi, les deux études qui portent sur la résolution de problèmes comme objet (chapitres 5 et 8) ont surtout montré les difficultés des enseignant·es ou des institutions. Dans le chapitre 5, avec le travail de Chanudet et Favier, on peut mesurer la difficulté de bien choisir les problèmes à donner en évaluation, mais aussi de déterminer les critères de ce qui doit être évalué. On voit également la dérive possible qui consiste à évaluer davantage la narration de la recherche que la recherche elle-même. Ici, comme plus haut, leur choix d’orienter le travail sur les démarches et raisonnements en jeu dans les problèmes offre une piste intéressante pour aider les enseignant·es.

19Le travail de Lacek, dans le contexte du Baccalauréat International (chapitre 8), offre quant à lui une réflexion sur un exemple institutionnel assez unique d’une partie d’un diplôme de fin du secondaire prenant en compte pour 20 % de l’évaluation, un travail de type démarche d’investigation. Dans un contexte international avec un public multiculturel, cette institution encourage le travail personnel et indépendant et le développement des compétences de recherche des élèves à travers un travail spécifique dit d’« Exploration en mathématiques ». Le dispositif d’évaluation d’un travail aussi ouvert repose sur l’explicitation de critères et sur un jeu de double évaluation partielle. L’institution, consciente de la difficulté de cette tâche, met en place des formations continues pour les enseignant·es pour faciliter l’implémentation de ce dispositif et notamment pour assurer une appropriation objective de la grille d’évaluation. Ce travail permet aussi, à l’appui de travaux sur une catégorisation des tâches, de voir que dans la partie plus classique de l’examen, la part de la résolution de problèmes est assez faible. Si les élèves peuvent finalement réussir l’examen même en échouant aux tâches de résolution de problèmes, celles-ci restent toutefois discriminantes pour obtenir les meilleures notes, qui permettent d’accéder aux meilleures études universitaires.

20Dans un contexte de résolution de problèmes comme outils (chapitres 6 et 7), les questions d’évaluation sont plus diverses. Dans Proform, Coutat et Vendeira montrent qu’il n’est pas facile d’évaluer l’atteinte par les élèves de tous les objectifs visés. Si des tâches semblables à celles prévues dans la ressource suffisent pour évaluer la compréhension des caractéristiques des formes, il est par contre plus difficile d’évaluer si les élèves ont acquis une flexibilité dans leur regard sur ces formes. Après avoir montré quelques tentatives infructueuses de quelques enseignant·es, les auteures donnent quelques pistes pour réaliser ces évaluations. Dans Profon, Coray, De Simone, Burgermeister, Chanudet et Merminod analysent plusieurs activités susceptibles d’évaluer si les élèves sont ou non capables de mobiliser les conversions de registres pour réussir les tâches qui leur sont soumises. Leur comparaison entre pré-test et post-test semble montrer qu’un tel enseignement peut atteindre son objectif et permettre aux élèves une bonne conceptualisation de la notion de fonction basée sur une capacité à en coordonner les différents registres de représentation sémiotique.

21Le deuxième axe qui structure les 4 chapitres de cette deuxième partie a permis de montrer la variété des expérimentations mises en place, à l’appui des différents points abordés précédemment. On a ainsi un panorama assez large de ce qu’implique le travail des élèves quand elles et ils sont confrontés à la résolution de problèmes en classe de mathématiques ou dans un travail individuel à la maison. Au-delà de la diversité des analyses proposées, il ressort que l’avancée du travail se fait par différents types d’interactions soit avec un enseignant·e, soit entre élèves, soit avec un milieu.

22Classiquement, ce sont les interactions avec l’enseignant·e auxquelles on pense d’abord. Ainsi, dans le chapitre 5, Chanudet analyse les interactions formatives entre l’enseignant·e et les élèves qui sont fondamentales pour soutenir le travail de ces dernier·es. De Simone a repris le cadre d’analyse original de Chanudet dans le contexte de la recherche Profon du chapitre 7. Ces deux auteures montrent que la manière dont les enseignant·es interagissent avec les élèves est fortement corrélée aux enjeux des problèmes proposés (et bien sûr, aux objectifs d’apprentissage visés) tout en ne négligeant pas que certaines manières de faire restent propres aux enseignant·es. Les échanges portent ainsi davantage sur les stratégies mises en œuvre par les élèves dans les classes du cours de « Démarches mathématiques et scientifiques » (DMS), tandis que dans les classes travaillant sur les fonctions, les échanges concernent plutôt les résultats et les solutions des problèmes traités et leurs justifications même si la résolution de problèmes est particulièrement présente dans cette ingénierie (alors que le problème se rapproche de ceux proposés dans le cadre du cours de DMS).

23Dans le chapitre 6, celui concernant la géométrie au primaire, les interactions avec l’enseignant·e, mais également les interactions entre élèves ont été analysées dans des activités où le débat argumentatif joue un rôle important pour faire évoluer le regard sur les formes. C’est aussi l’évolution des tâches proposées en jouant sur les choix des variables didactiques ainsi que l’interaction avec le milieu qui enrichit la réflexion des élèves et leur capacité à résoudre les problèmes.

24Dans le chapitre 7 sur les fonctions au début du secondaire II, c’est l’interaction entre élèves dans une recherche en groupe qui est le moteur essentiel de l’avancée du travail de résolution de problèmes. La confrontation des différents points de vue, en particulier en lien avec une expérience mentale sur la situation des vases, a permis aux élèves de se confronter avec les opinions différentes des pairs. Dans ce contexte, la coordination entre registres de représentation sémiotique, qui est un des leviers de la résolution de problèmes, devient ici un outil de médiation dans les groupes et leur permet d’avoir des débats épistémologiquement consistants sur des activités en lien avec la modélisation par les fonctions.

25Dans le chapitre 8, le travail des élèves dans le cadre du dispositif « Exploration en mathématiques » du Baccalauréat International est un travail souvent privé et sans interaction ni avec l’enseignant·e, ni avec d’autres élèves. Ici c’est la dialectique des médias et des milieux qui permet de montrer les avancées du travail. On a vu qu’une condition nécessaire pour que la recherche progresse significativement est que les médias consultés puissent faire entrer dans le milieu des éléments suffisamment accessibles à l’élève. Il apparaît aussi que l’enseignant·e, même peu présent·e dans ce contexte, reste une source d’information privilégiée avec un poids important, y compris quand elle ou il fournit des informations en partie erronées.

26Enfin, la deuxième partie du chapitre 5 porte sur une analyse en termes d’heuristiques. Cet outil et la méthodologie d’analyse originale développés dans la thèse de Favier (2022) permettent de mieux comprendre certains aspects essentiels du travail des élèves en résolution de problèmes. Même si l’étude porte sur des problèmes spécifiques, qui peuvent être résolus par des essais et des ajustements, il nous semble tout à fait possible d’envisager une généralisation à d’autres types de problèmes. Dans les exemples analysés dans le chapitre (mais aussi dans la thèse) on peut distinguer la part qui revient dans l’avancée à chaque élève, mais aussi aux interactions entre élèves dans le groupe et aussi avec l’enseignant·e, chacun·e pouvant jouer un rôle dans l’apparition de nouvelles heuristiques.

27Au final, ces quatre derniers chapitres présentent différents outils et points de vue pour mieux comprendre dans des contextes variés les différents ressorts du travail des élèves dans leurs interactions, entre eux, avec leur enseignant·e et avec les médias et le milieu pour progresser dans la résolution de problèmes.

28L’ensemble de cet ouvrage offre donc une vision très large de la résolution de problèmes. Il a aussi été l’occasion d’utiliser une variété d’outils théoriques et de cadres méthodologiques qui nous semblent constituer des outils d’analyse qui pourront être repris pour d’autres études.

29La thèse de Lacek (2023) (chapitre 8) a permis d’éprouver des outils de la Théorie anthropologique du didactique (TAD) de Chevallard dans le contexte de l’« Exploration en mathématiques » de l’IB, qui se prête tout à fait à cette approche du fait que le dispositif est très proche de ce que la TAD appelle les « Parcours d’étude et de recherche » (PER). Son travail de doctorat qui a nécessité la mise en place d’une méthodologie d’analyse originale (esquissée dans le chapitre 8) permet d’ouvrir de nouvelles perspectives dans l’usage de ces outils. Plus largement, le travail théorique à l’œuvre dans ce doctorat pourrait être généralisé à une étude approfondie de dispositifs innovants mettant les élèves dans des démarches d’investigation, comme il en existe dans certains curricula.

30La thèse de Chanudet (2019) (chapitre 5) a permis de mettre en place un cadre d’analyse original qui s’appuie non seulement sur des outils de la didactique des mathématiques, mais aussi du champ de l’évaluation. C’est un travail important qui offre un cadre méthodologique qui a déjà été réemployé ici dans le chapitre 7 par Marina De Simone pour le projet Profon et que nous allons mettre en œuvre dans un travail de doctorat portant sur le contexte de l’enseignement primaire.

31La thèse de Favier (2022) (chapitre 5), quant à elle, sur la base de divers cadres théoriques, a permis de mettre en place un cadre méthodologique d’analyse original du travail des élèves en résolution de problèmes, que nous envisageons à présent d’appliquer à de nouveaux contextes. Cette recherche doctorale n’a par contre pas abordé directement la question des remédiations ou de l’aide à la résolution de problèmes. Les résultats obtenus laissent toutefois penser que les heuristiques pourraient constituer un outil intéressant pour les enseignant·es, non pas pour les enseigner directement et explicitement aux élèves, mais pour mieux comprendre leurs démarches et ainsi être à même de proposer des régulations mieux ciblées.

32Néanmoins, si ces travaux nous ont permis d’apporter ou de préciser quelques réponses à des questions essentielles, ils nous ont aussi conduit·es à nous en poser de nouvelles. En particulier, ils nous ont amené·es à construire un nouveau projet orienté vers la formation des enseignant·es, que nous avons évoqué plus haut et dont nous donnons à présent quelques éléments en guise de perspectives.

33Ce nouveau projet de recherche repose sur un travail collaboratif avec des enseignant·es du secondaire I et du primaire pour étudier les processus de dévolution et d’institutionnalisation et, sur cette base, élaborer une ressource visant à outiller les enseignants·es pour enseigner la résolution de problèmes, portant à la fois sur les objectifs d’apprentissage visés et sur les moyens de développer ces apprentissages.

34En effet, à l’appui des travaux présentés dans ce livre, nous avons pu élaborer plusieurs hypothèses :

  • Les processus de dévolution et institutionnalisation toujours complexes à gérer pour les enseignant·es le sont d’autant plus dans le cadre de la résolution de problèmes du fait du manque d’identification précise des savoirs en jeu.
  • De par leur complexité, les apprentissages en résolution de problèmes ne peuvent être envisagés que sur le long terme. De la même façon, les processus de dévolution et d’institutionnalisation liés aux capacités de recherche des élèves doivent eux aussi être pensés et étudiés dans une perspective à long terme.
  • Du fait des raisons précédentes, la mise en œuvre par les enseignant·es de ces résultats de recherche est un point délicat. Nous faisons l’hypothèse que seule une recherche collaborative peut amener la prise en main de tels « outils », leur amélioration et aussi permettre de documenter les processus en jeu en classe.

35À partir de ces hypothèses, la question centrale qui nous semble à présent devoir être investiguée porte sur l’impact des actions des enseignant·es sur l’activité des élèves en résolution de problèmes, relativement aux processus de dévolution et d’institutionnalisation. Les questions suivantes nous semblent ainsi primordiales et devoir faire l’objet d’études plus poussées :

  • Comment peut-on aider les enseignant·es à identifier les raisonnements, démarches et preuves de leurs élèves en résolution de problèmes ?
  • En quoi la prise en compte des processus de représentation inhérents à l’activité de résolution de problèmes peut permettre aux enseignant·es de soutenir l’activité mathématique des élèves ?
  • Dans quelle mesure les heuristiques constituent-elles un levier de régulation pour l’enseignant·e et peuvent-elles, à terme, être investies par les élèves ?
  • Quels types de régulations, tant sur le fond que sur la forme, sont pertinentes pour soutenir l’activité et les apprentissages des élèves en résolution de problèmes ?
  • Dans quelle mesure un travail collaboratif autour de ces divers éléments (régulations, heuristiques, représentations, démarches et raisonnements) peut-il influer sur les pratiques des enseignant·es et soutenir un déroulement efficace des processus de dévolution et d’institutionnalisation ?
  • Peut-on identifier, chez les élèves, des connaissances « transparentes » en résolution de problèmes ?
  • Quel type de ressources peut-on concevoir pour outiller les enseignant·es pour les aider à enseigner la résolution de problèmes ?

36C’est cet ensemble d’hypothèses et de questions qui guident le travail qu’une partie de notre équipe se propose maintenant de mettre en œuvre dans une approche collaborative avec deux groupes de cinq enseignant·es, du primaire d’une part et du secondaire I d’autre part. Les travaux présentés dans cet ouvrage seront un point d’appui essentiel de cette recherche qui démarre.

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