Chapitre 7
La résolution de problèmes comme outil : une séquence d’enseignement sur les fonctions au secondaire II
p. 237-292
Texte intégral
1La recherche qui fait l’objet de ce chapitre a consisté à concevoir et expérimenter une séquence d’enseignement sur la notion de fonction en 1re année du Collège1 de Genève (élèves de 15-16 ans). Cette séquence met en œuvre plusieurs problèmes afin de favoriser la mise de sens sur le concept de fonction qui est central en mathématiques.
2Dans la première section de ce chapitre, nous présentons les choix didactiques et épistémologiques qui nous ont guidé·es et comment nous les avons mis en œuvre. Toutefois, nous ne présentons pas la totalité de la séquence, qui se trouve en e-Annexe 4. Cette séquence a été expérimentée dans deux classes de 1re année du Collège de Genève, dont une par un des auteur·es. Comme les expérimentations ont eu lieu à l’époque de l’épidémie du COVID, nous n’avons pas pu travailler dans des conditions idéales. Cela a en particulier impacté l’exhaustivité des données que nous avions prévu de collecter, nous aurions en particulier souhaité mener des entretiens pour analyser finement les stratégies développées par des élèves pour résoudre les problèmes proposés.
3Notre chapitre commence par la présentation de la séquence, puis nous nous interrogeons entre autres sur l’impact du temps long sur nos choix. Les sections suivantes sont consacrées à différents aspects de l’évaluation des apprentissages des élèves lors de cette séquence. En particulier, dans la deuxième section, nous présentons, à travers l’analyse des deux problèmes d’introduction, ce que nous visions et comment les élèves ont pu l’investir. Nous terminons cette section par une évaluation de l’apprentissage des élèves, notamment en termes de coordination de registres entre le début et la fin de la séquence à l’aide d’un pré-test et d’un post-test. Dans la troisième section, nous reprenons les outils présentés par Chanudet dans le chapitre 5 de ce livre pour analyser sous l’angle de l’évaluation formative les interactions entre enseignant·e et élèves lors de quelques moments de nos expérimentations. Enfin, dans la quatrième et dernière section, nous donnons des éléments de conclusion générale de ce chapitre.
Présentation de la séquence d’enseignement
4Outre la dimension de résolution de problèmes, nos choix s’appuient sur les travaux de Duval sur les registres de représentation sémiotique (Duval, 1993, 2006). En effet, selon cet auteur, une bonne conceptualisation en mathématiques requiert de maîtriser plusieurs représentations d’un même concept ainsi qu’une bonne coordination de ces registres de représentation : « Le recours à plusieurs registres semble même une condition nécessaire pour que les objets mathématiques ne soient pas confondus avec leurs représentations. » (Duval, 1993, p. 40.) Duval distingue trois types d’activités cognitives, selon qu’il s’agit de formation d’un registre, de traitement dans un registre donné ou de conversion d’un registre à un autre. De plus, il insiste sur l’importance des activités de conversion et sur la nécessité de ne pas travailler de manière cloisonnée dans des registres distincts : « La compréhension (intégrative) d’un contenu conceptuel repose sur la coordination d’au moins deux registres de représentation, et cette coordination se manifeste par la rapidité et la spontanéité de l’activité cognitive de conversion. » (Duval, 1993, p. 51.) Cette façon de comprendre l’importance de la coordination de plusieurs registres dans la conceptualisation est illustrée par le schéma de la figure 67 tiré de (Duval, 1993).
5À la suite, Duval indique :
Les flèches 1 et 2 correspondent aux transformations internes à un registre. Les flèches 3 et 4 correspondent aux transformations externes, c’est-à-dire à des conversions par changement de registre. La flèche C correspond à ce que nous appellerons la compréhension intégrative d’une représentation : elle suppose une coordination entre deux registres. Les flèches en pointillé correspondent à la distinction classique entre représentant et représenté. Naturellement ce schéma envisage le cas le plus simple de la coordination entre deux registres : dans certains domaines, comme l’algèbre linéaire, une coordination entre trois registres au moins peut être requise. (Duval, 1993, p. 51)
6Pour la notion de fonction, outre les aspects cognitifs inhérents aux registres, le focus sur la coordination de registres se justifie aussi par l’importance que cette dernière a jouée sur un plan épistémologique dans la genèse historique de la notion de fonction. Du point de vue des plans d’études, à Genève, comme dans beaucoup de pays, les fonctions sont d’abord introduites au secondaire I, puis un long travail s’entame à l’entrée du secondaire II pour aboutir en fin de Collège aux premiers apprentissages d’analyse, domaine mathématique dans lequel la conceptualisation des fonctions se poursuit de façon centrale autour des concepts de dérivée, puis d’intégration. Dans ce long processus, le travail sur les différents registres et sur leur coordination est crucial et s’inscrit sur le long terme.
7Dans la conception de la séquence, nous avons utilisé les problèmes pour favoriser chez les élèves le travail de coordination de différents registres, en particulier à travers de nombreuses tâches mettant en jeu des conversions. Plus particulièrement, nous pensons que, sur le long terme, la résolution de problèmes permet de rendre les conversions de registres disponibles au sens de Robert (1998), c’est-à-dire que les élèves sont capables de les effectuer de manière autonome sans qu’elles soient explicitement indiquées, ni même suggérées dans l’énoncé du problème. Tant la résolution de problèmes que la coordination de registres sont compatibles avec les contraintes institutionnelles. En effet, dans la partie générale du Plan d’études genevois pour le Collège, qui présente les objectifs fondamentaux, nous distinguons plusieurs « attitudes » et « aptitudes » que l’enseignement des mathématiques doit permettre de développer comme « les capacités de poser un problème, de trouver des solutions, de décrire, d’analyser, de modéliser [une situation], de conjecturer, d’argumenter, de démontrer, de tirer des conséquences, de faire la synthèse ». De même, dans la section des objectifs fondamentaux relatifs aux fonctions, nous retrouvons les deux aspects sur la résolution de problèmes et la coordination de registres : « mathématiser des situations concrètes simples et mettre en évidence la notion de relation entre des grandeurs », « décrire les relations de dépendance tant du point de vue algébrique que graphique et être capable d’effectuer un va-et-vient entre ces deux aspects », « entrevoir la puissance que peut offrir l’abstraction au travers de l’algébrisation nécessaire lorsque le support graphique ne suffit plus, en particulier pour les opérations sur les fonctions ».
8Pour atteindre nos objectifs en termes de coordination de registres, nous avons ainsi intégré des problèmes dans l’ensemble de la séquence, notamment en introduction, afin que les élèves découvrent les nouvelles notions dans un cadre où elles puissent apparaître comme un outil nécessaire, alors que leurs connaissances antérieures peuvent être insuffisantes pour atteindre la solution. Ces problèmes d’introduction visent ainsi à favoriser la mise de sens sur le concept de fonction grâce à un choix de problèmes variés, à forts enjeux et permettant aux élèves de produire des idées, des conjectures en lien avec la nouvelle notion. Ces problèmes doivent être conçus de manière à ce que les élèves reçoivent un certain nombre de rétroactions de la part du milieu, sans intervention didactique, pour pouvoir dépasser les éventuels blocages et difficultés. En particulier, ces rétroactions peuvent amener les élèves à prendre l’initiative des conversions de registres pour résoudre les problèmes proposés.
9Sur la base de la catégorisation de (Duval, 1993), nous avons défini trois catégories d’activités cognitives pour orienter nos choix des problèmes :
- activité cognitive de traitement : l’élève reste dans le registre dans lequel l’énoncé est proposé ;
- activité cognitive de conversion de registres (niveau 1) : l’élève n’a besoin que d’une conversion simple d’un registre à un autre ;
- activité cognitive de conversion de registres (niveau 2) : l’élève a besoin non seulement d’une conversion d’un registre à un autre, mais aussi d’un retour dans le registre de départ.
10Nous avons ainsi organisé la séquence par un choix judicieux dans ces trois catégories des problèmes qui la composent. Par ailleurs, nous avons également choisi des problèmes permettant d’inscrire la notion de fonction de manière cohérente dans l’édifice mathématique, de lui donner un statut clair grâce à une démarche de résolution de problèmes et de connaître les divers registres dans lesquels cette notion prend sens et se travaille.
11D’un point de vue global, la séquence est composée d’une quinzaine de séances de 45 minutes, chacune reposant sur une série de problèmes-clés visant différents objectifs d’enseignement/apprentissage suivis d’institutionnalisations, les problèmes et les parties théoriques se succédant de façon intercalée.
12Elle commence par quatre problèmes, Au cinéma, En train, Au cinéma (2e partie) et Les vases, qui visent à ce que les élèves puissent décrire dans différents registres, verbalement, par un tableau de valeurs ou une représentation graphique, la relation de dépendance entre deux variables. En outre, lorsque cela est pertinent, nous voulons faire prendre conscience aux élèves de la distinction entre variables dépendante et indépendante. Ces objectifs larges sont ensuite affinés pour chaque problème, certains ayant alors des sous-objectifs plus précis relatifs aux conversions de registres. Dans ces premiers problèmes, nous avons fait en outre le choix de ne pas faire intervenir le registre algébrique, que nous réservons pour la fin de la séquence. Nous avons opéré ce choix sur la base du constat que nous partageons avec d’autres chercheur·es (Passaro, 2016 ; Vandebrouck, 2011) selon lequel le registre algébrique a tendance à être sur-représenté au secondaire II. Aussi renforcer encore le registre algébrique pourrait amener les élèves à identifier totalement la fonction avec son expression algébrique, risquant alors de réduire le travail sur les fonctions à des manipulations algébriques au détriment de toute la richesse qu’offrent les autres registres.
13Nous allons maintenant détailler certains aspects de la séquence. Le premier problème est Au cinéma (figure 68). La fiche détaillant les enjeux de ce problème se trouve en annexe 3. Une analyse a priori en est donnée plus bas dans le texte.
14Ce problème est prévu pour être réalisé en deux temps au début de la séquence, son énoncé étant ainsi proposé aux élèves avant même de connaître le nom du chapitre à venir. Il s’agit d’un problème donné uniquement dans un premier temps par un texte (questions a) et b)) qui décrit la situation concrète (registre du langage naturel), accompagné d’un schéma introduisant un autre registre. Cette double représentation doit permettre aux élèves de prendre conscience de la relation qui existe entre deux variables, la variable indépendante : « distance des yeux à l’écran » et la variable dépendante : « angle de vision » et de la décrire. Aucune donnée numérique n’est indiquée afin que les élèves aient à distinguer les grandeurs à mettre en relation (angle – distance des yeux à l’écran) et la pertinence des critères (confort de la nuque, habitudes personnelles, etc.). Les deux questions a) et b) doivent permettre aux élèves de rentrer dans le problème et de faire de premières hypothèses notamment en se référant à leur vécu et à leur expérience du cinéma. Selon la taille du schéma, ils peuvent aussi faire des mesures d’angle même si c’est difficile de donner une conclusion si le schéma est petit. La question c) donnée plus tard, après que les deux premières ont été traitées, apporte des données numériques, qui permettent de mettre en œuvre des calculs pour rechercher le meilleur – le plus grand – angle de vue. Ce travail nécessite de dégager les paramètres essentiels : hauteur de l’écran par rapport au sol et hauteur de l’écran (données dans l’énoncé), hauteur des yeux du spectateur (à trouver par les élèves et à estimer) et les variables présentes dans le problème. Les procédures attendues relèvent d’une comparaison de mesures prises sur un dessin à l’échelle et/ou de l’élaboration d’une formule permettant un calcul précis de la mesure des angles en fonction de la distance à l’écran. Un objectif est que les élèves produisent un tableau de valeurs mettant en évidence la relation entre des grandeurs dépendantes dans une situation concrète donnée ou bien une représentation graphique. La représentation graphique de l’angle de vision en fonction de la distance à l’écran pourra aussi émerger dans certains groupes ou être présentée sur une animation GeoGebra2. La résolution de ce premier problème permettra de travailler les conversions entre les registres graphique et celui du langage naturel pour donner du sens à la fonction comme un processus dynamique.
15Le deuxième problème-clé de la séquence s’intitule Les vases. Il est constitué de quatre parties qui sont présentes en annexe 4. Au cours de cette section, nous nous focalisons sur les deux premières parties (figure 69).
16Ce problème vise à faire travailler aux élèves les conversions entre les registres graphique et géométrique, mais aussi à illustrer et à faire comprendre la notion de codépendance de deux grandeurs qui varient et plus précisément à faire le lien direct entre la situation réelle et la représentation graphique sans passer par l’algèbre. Cela permet d’une part d’élargir la conception de la notion de fonction et d’autre part de lire un graphique comme la représentation d’un phénomène dynamique incluant la notion de vitesse de croissance.
17Concernant les stratégies de résolution, pour chacune des quatre parties du problème, il s’agit d’établir un lien entre la forme d’un vase et la représentation graphique illustrant la variation du niveau d’eau en fonction du temps en passant par une expérience mentale du phénomène dynamique en jeu. Nous nous limitons ici à présenter quelques éléments concernant les possibles stratégies de résolution : elles seront en effet discutées et développées davantage dans l’analyse a priori donnée plus loin. À titre d’exemple, pour la première partie du problème, une stratégie de résolution consiste à identifier différentes caractéristiques des formes géométriques (ou des représentations graphiques) et de les interpréter au sein des représentations graphiques (ou des formes géométriques) en passant par l’expérience mentale du processus de remplissage. On pourrait, par exemple, constater que la troisième représentation graphique (c, figure 69) est linéaire. En termes de remplissage, la vitesse d’élévation du niveau d’eau est donc constante. Cela permet d’associer cette représentation graphique au vase en forme de cylindre, car ses sections horizontales sont toutes identiques. On aurait pu inverser l’ordre en partant de l’étude de la forme cylindrique.
18Cette partie introductive se conclut par une brève institutionnalisation dans laquelle l’accent est mis, d’une part, sur l’identification de la covariation de deux grandeurs en distinguant entre variable dépendante et variable indépendante et, d’autre part, sur le concept de fonction abordé par la représentation graphique, la description en langage naturel et par un tableau des valeurs. Afin d’institutionnaliser ces différents aspects, nous faisons systématiquement référence aux problèmes-clés précédemment soumis aux élèves afin de ne pas réduire le processus d’institutionnalisation à un simple bilan du problème ou à une partie théorique déconnectée de ce qui a été fait. Par la suite, nous proposons aussi d’autres problèmes visant à mettre davantage de sens sur ces aspects mathématiques. À titre d’exemple, nous illustrons en figure 70 la trace écrite de l’institutionnalisation concernant le tableau de valeurs pour représenter une fonction :
19Une définition mathématique formelle de la notion de fonction n’est pas encore proposée à ce stade. Cependant nous en donnons une première définition « naïve » afin de mettre l’accent sur l’idée de relation entre deux grandeurs : « Nous appellerons donc fonction une relation entre deux grandeurs variables dont l’une dépend de l’autre. »
20Dans cette première partie de la séquence, les élèves travaillent des conversions entre les registres de la langue naturelle, géométrique et du tableau de valeurs. Rappelons que jusque-là, la représentation algébrique de la fonction a été volontairement évitée afin de permettre aux élèves de considérer la fonction comme un processus dynamique que la concision de l’expression algébrique tend à masquer.
21Les trois problèmes suivants (Triangles rectangles, La fille et Les allumettes) annoncent la prochaine étape qui consistera à introduire le registre algébrique, c’est-à-dire amener les élèves à considérer la fonction grâce à son expression algébrique. Les deux premiers peuvent encore être envisagés sans utiliser d’expression algébrique, mais en réalité ces problèmes visent à favoriser ce registre en faisant émerger naturellement des procédures algébriques dans les solutions de certains élèves au moins. Le dernier problème nécessite forcément une conversion vers le registre algébrique pour être réussi, ce qui permet ensuite d’institutionnaliser cette autre façon de considérer une fonction comme il est indiqué en figure 71.
22Cette étape liée à l’institutionnalisation conduit à une première définition formelle de la notion de fonction réelle et à l’introduction du langage mathématique propre aux fonctions (image, préimage, domaine de définition, etc., voir figure 72) :
23À ce stade, la fonction a été travaillée dans tous les registres envisagés dans la séquence et est définie formellement. Le lien entre les registres est lui aussi explicité formellement. Deux problèmes sont alors proposés afin que les élèves acquièrent un peu plus d’aisance dans les conversions impliquant les registres algébrique et graphique.
24La suite de la séquence est plus classique. En effet, les élèves ayant déjà étudié l’année précédente certaines fonctions particulières (essentiellement les fonctions affines et la fonction « carré »), nous avons opté pour une phase de remise à niveau théorique, rappelant aux élèves les fonctions particulières déjà étudiées tant dans le registre algébrique que graphique et ajoutant les fonctions « racine carrée », « inverse » et « valeur absolue ».
25Cette phase est immédiatement suivie d’exercices mettant en jeu dans un premier temps uniquement les fonctions affines. En effet, à ce stade, nous avons l’intention de renforcer les compétences des élèves concernant la résolution de problèmes en proposant notamment des problèmes de type modélisation qui nécessitent des conversions de registre dans un premier temps non sollicitées, mais ensuite clairement mises en évidence lors des mises en commun. Un travail concernant la justification est aussi proposé pour lequel le registre algébrique est alors souvent privilégié.
26La phase suivante, qui clôt la séquence, consiste à travailler avec les fonctions quadratiques dans un premier problème d’exploration (e-Annexe 4, p. 13) qui doit permettre aux élèves d’expliciter clairement les effets sur la représentation graphique des variations des paramètres en leur proposant un aller-retour entre les registres algébrique, graphique et tableau de valeurs. En effet, il s’agit pour les élèves sur la base de l’observation de douze fonctions quadratiques données par leurs expressions algébriques et leurs représentations graphiques (parabole) de formuler des conjectures relatives aux effets sur la représentation graphique des variations des paramètres de l’équation et aux liens entre les points remarquables (intersections avec les axes et le sommet).
27Une fois la séquence terminée, nous envisageons de proposer quelque temps plus tard une dernière activité : Le pont (la fiche détaillée de ce problème se trouve en annexe 5) dont l’objectif est, d’une part, de remobiliser une fonction quadratique et, d’autre part, de retravailler les changements de registres.
28La contrainte de la limitation du temps, inhérente au processus d’enseignement, nous a confronté·es à deux problèmes. Le premier est épistémologique et a trait aux changements de registres qui sont constitutifs de la notion de fonction ; nous avons tenté d’y apporter une réponse au travers de la résolution de problèmes, particulièrement pertinents selon nous pour permettre aux élèves de choisir les registres de représentations dans lesquels travailler afin d’opérationnaliser leurs stratégies. Le second est celui de la temporalité inhérente au travail sur l’articulation de différents registres qui nous est apparue comme devant être investie sur du long terme ; les compétences initiées au travers de cette séquence sur les fonctions doivent être consolidées au travers d’autres thèmes tout au long de l’année, voire bien au-delà si nous souhaitons que ces compétences soient mobilisées spontanément par les élèves et enrichissent leur capacité à résoudre des problèmes de mathématiques.
29Par ailleurs, la nécessité de suivre un Plan d’études reprenant peu ou prou des notions déjà travaillées lors du cursus précédent nous a conforté·es dans notre choix d’aborder cette notion de fonction par le biais de la résolution de problèmes, requestionnant les connaissances des élèves en apportant la plus-value qu’est la coordination de registres pour donner du sens à la notion de fonction.
30Après cette présentation succincte de l’ensemble de la séquence et des raisons qui ont sous-tendu les choix que nous avons faits en fonction des objectifs visés, nous allons présenter quelques éléments liés à diverses questions d’évaluation.
Évaluation des apprentissages des élèves
31Nous commençons par quelques éléments sur des évaluations ponctuelles visant à savoir comment les élèves se sont approprié·es les problèmes proposés et comment ils y ont répondu au travers des deux problèmes-clés mentionnés ci-avant : Au cinéma et Les vases. Nous menons ensuite une évaluation sur le long terme afin de mesurer la progression des élèves dans leurs apprentissages suite au travail proposé dans cette séquence portant plus particulièrement sur la capacité des élèves à effectuer des activités cognitives de conversion de registres.
Au cinéma
32Nous ne rappelons pas ici l’énoncé du problème qui se trouve plus haut (figure 68). Le contexte du problème Au cinéma est familier aux élèves et permet une rapide entrée dans le problème sans difficulté de compréhension. Soulignons que nous avons attiré l’attention des élèves sur le fait que la salle évoquée est plate et pas avec des rangées de sièges disposées en escalier.
33Dans cette partie de la section, nous donnons d’abord des éléments concernant l’analyse a priori du problème et, dans un deuxième temps, nous montrons quelques procédures de résolution d’élèves. Nous rappelons tout d’abord les objectifs de ce problème :
- faire émerger la notion de variation d’une grandeur en fonction d’une autre ;
- examiner et discuter différents moyens pour représenter cette covariation ;
- amener les élèves à décrire verbalement la relation entre des grandeurs dépendantes dans une situation concrète donnée ;
- amener les élèves à décrire la relation entre des grandeurs dépendantes par un tableau de valeurs (mesures directes sur le croquis) ou par calcul à l’aide des rapports trigonométriques et/ou par un graphique.
34Nous avons recensé différents types de réponse aux trois questions de ce problème que nous résumons ci-dessous.
Réponses pour les questions a) et b)
35R1. Registre langagier uniquement en se basant sur l’expérience et le vécu évoqués
- Plus on est proche/loin de l’écran, plus l’angle de vision diminue ; quelque part entre ces deux extrêmes, l’angle de vision devrait être maximal.
- L’angle de vision est constant, car on voit bien de partout.
- Référence au confort en lien avec la position de la nuque : plus on est loin, moins on doit lever la tête, l’angle de vision est maximal lorsque la tête forme un angle droit avec le sol.
- « Partout, je préfère être assis au fond de la salle (champ de vision, confort) ou alors je préfère être assis tout devant (immersion totale dans le film) ».
36R2. Utilisation du registre du schéma
37Représentation des angles sur le schéma, la réponse est donnée par comparaison visuelle directe (figure 73). Par exemple, pour la question a) : « L’angle augmente au fur et à mesure qu’on recule jusqu’à une valeur maximale et rediminue » et pour la question b) : « C’est le second spectateur qui est le mieux placé. »
38R3. Utilisation du registre du schéma et du registre numérique (mesure)
39Prise de mesures des angles et des distances sur le schéma (figure 74). Réponses identiques à R2 par comparaison de ces données.
Procédures de résolution pour la question c)
40À noter que la hauteur des yeux du spectateur est nécessaire à la poursuite du problème ; dans nos expérimentations, les élèves se sont rendu compte du problème et en ont débattu. Après débat, la hauteur de 1,10 m a été choisie.
41PR1. Représentation à l’échelle d’une coupe de la salle et calcul de mesures d’angle avec un rapporteur (éventuel établissement d’un tableau de valeurs et d’une représentation graphique) pour identifier un maximum et ainsi lire la distance correspondante (figure 75). Les élèves mobilisent un modèle discret pour trouver une approximation du résultat.
42PR2. Représentation à l’échelle d’une coupe de la salle et emploi de la trigonométrie dans le triangle rectangle pour calculer pour quelques valeurs de la distance à l’écran la valeur de l’angle correspondant (éventuel établissement d’un tableau de valeurs et d’une représentation graphique, figure 75). Les élèves trouvent les mesures des angles de vision comme différence entre deux autres angles qui seront déterminés à l’aide du rapport trigonométrique . À partir de ces données, ils trouvent une valeur approximative d’un maximum local (modèle discret).
43PR3. Détermination de l’expression analytique de la fonction. Mise à disposition du logiciel GeoGebra pour tracer sa courbe représentative et identifier graphiquement son maximum (figure 76). L’utilisation du logiciel permet aux élèves de passer d’un modèle discret (PR1, PR2) à un modèle continu, sans besoin d’utiliser la dérivée qui n’est pas encore à leur portée en première année de Collège. Dans cette procédure, la coordination de registres est assurée par les fonctionnalités du logiciel.
44PR4. La procédure experte consisterait à trouver l’expression de la fonction calculer la dérivée pour trouver le maximum de la fonction, mais elle n’est pas à la portée des élèves à ce niveau.
45Après avoir donné ces éléments d’analyse a priori relatifs à ce problème, nous nous focalisons sur le travail effectué par les élèves pendant la résolution. Lors de l’expérimentation dans trois classes du même établissement, celles de Mathias, Tamara et Sylvie, il est globalement apparu que les élèves ont bien réussi à mettre en œuvre des conversions de registres pertinentes et à décrire les liens entre grandeurs à l’aide de différents registres. Leurs réponses sont allées dans la direction souhaitée, voire au-delà, comme nous allons le montrer par quelques exemples.
46Nieto (figure 77) passe du registre du schéma au registre langagier pour décrire les relations qu’il identifie entre les différentes grandeurs en jeu, certaines étant pertinentes, d’autres moins : en premier lieu il confond champ de vision et angle de vision avant de considérer dans sa dernière phrase la notion de hauteur qui va l’orienter correctement sur la variation de l’angle de vision : petit de loin, grandissant en s’approchant de l’écran puis se rapetissant lorsque l’on est plus près de l’écran ; l’appel au vécu avec la mention de la télévision est aussi présent.
47Nadia (figure 78), quant à elle, effectue plusieurs conversions, passant du registre du dessin à l’échelle au registre numérique puis au registre graphique ; ce qui lui permet d’identifier un maximum dans les points relevés.
48Quant à Charles (figure 79), après avoir utilisé la même procédure que Nadia, il revient dans le registre langagier pour émettre une conjecture fort pertinente, qui pourra être démontrée en utilisant les rapports trigonométriques, pas encore vus à ce moment de l’année scolaire dans cette classe.
49Ces quelques extraits représentatifs des procédures relevées chez les élèves nous permettent de constater que ces derniers sont déjà capables d’effectuer des conversions de registres afin d’apporter une réponse argumentée au problème qui leur est proposé lors du travail sur ce problème d’introduction.
Les vases
50Dans cette sous-section, nous analysons le travail des élèves lors de la résolution des deux premières parties du problème Les vases (figure 69) qui est prévu pour être travaillé par groupes de quatre élèves visant à créer des interactions épistémologiquement riches, c’est-à-dire qui contribuent à étoffer la conceptualisation de la notion de fonction.
Cadrage théorique
51Pour ce problème, nous allons nous appuyer sur un cadre d’analyse qui emprunte deux outils théoriques : les registres de représentation sémiotique (Duval, 1993) et les perspectives ponctuelles, locales et globales (Rogalski, 2008). C’est le croisement de ces deux outils qui nous permet de repérer et décrire certaines évolutions dans les conceptualisations. En particulier, ce que nous visons dans le problème Les vases est que l’élève coordonne deux registres de représentation : le registre des dessins géométriques (formes des vases) et le registre des représentations graphiques (les graphiques de remplissage associés à ces vases). Or, nous faisons l’hypothèse que l’élève a besoin pour cela de se créer une représentation mentale du processus de remplissage de chaque vase en tenant compte du fait que le débit ne varie pas comme précisé dans l’énoncé. Par exemple, il faut pouvoir se représenter que le niveau de remplissage du vase cylindrique monte à vitesse constante. Duval affirme que : « Les représentations mentales3 recouvrent l’ensemble des images et, plus globalement, des conceptions qu’un individu peut avoir sur un objet, sur une situation, et sur ce qui leur est associé. » (Duval, 1993, p. 38-39.) Dans notre cas, nous dirons que l’élève doit pouvoir s’appuyer sur une expérience mentale dynamique (EMD) de la situation de remplissage pour pouvoir coordonner adéquatement les deux registres de représentation présents dans l’énoncé de la situation.
52Notre premier outil d’analyse consiste donc à étudier les conversions entre registres de représentation sémiotiques grâce aux représentations mentales dynamiques de la situation. Cependant, il nous est apparu qu’une analyse se basant uniquement sur cet outil ne suffisait pas à décrire l’élaboration des conceptualisations durant les épisodes analysés. En effet, les élèves peuvent mobiliser un même registre de représentation, par exemple graphique, en y lisant des éléments différents qui dépendent du regard porté sur cette représentation. Aussi pour compléter nos analyses, nous avons utilisé un deuxième outil tiré de Rogalski (2008), permettant de distinguer les différents points de vue portés sur une même représentation. Cet auteur distingue ainsi trois types de regard porté sur les différentes propriétés de la fonction considérée :
- Propriété ponctuelle : c’est une propriété d’une fonction f relativement à un point x0 qui ne dépend que de la valeur de f au point x0. Par exemple, énoncer que f(x0) = 3 est une propriété ponctuelle.
- Propriété locale : c’est une propriété d’une fonction f en un point x0 qui ne dépend que des valeurs de f sur un voisinage de x0, aussi petit soit-il. Par exemple, la propriété « f est croissante en x0 » est une propriété locale.
- Propriété globale : c’est une propriété d’une fonction f sur un intervalle donné I faisant intervenir toutes les valeurs de f sur l’intervalle. Par exemple, la propriété « f(x) > 0 pour tout x de I » est une propriété globale de même que la propriété « f admet exactement trois minima locaux sur I ». (Rogalski, 2008, p. 66)
53À la suite de Rogalski et comme Vandebrouck (2011) nous estimons qu’« un enjeu important de l’enseignement des fonctions est certainement de développer chez les étudiants une prise de conscience de l’existence de points de vue spécifiques sur les fonctions, associés à ces trois perspectives, ainsi qu’une mise en fonctionnement de toutes ces perspectives d’une fonction » (Vandebrouck, 2011, p. 5).
54Dans notre analyse, nous nous focalisons sur le travail d’un groupe de trois élèves, Luca, Mélanie et Sara. La phase de travail de groupe analysée ici fait suite à une phase de travail individuel des élèves et précède la phase de mise en commun. Nous avons filmé le travail du trio dans son intégralité, et nous avons transcrit leurs échanges, que nous avons analysés en termes de coordination de différents registres de représentation sémiotique et de mobilisation de différents points de vue sur chacune de ces représentations. Nous avons cherché ainsi à mettre en lumière les moments caractérisés par ces éléments afin de documenter l’évolution des élèves dans leur conceptualisation du phénomène en jeu grâce aux interactions au sein du groupe : la variation de la hauteur de remplissage atteinte en fonction du temps écoulé, telle qu’elle se déduit des caractéristiques géométriques du vase et telle qu’elle se représente graphiquement. Nous nous concentrerons particulièrement sur l’évolution de Mélanie.
55Pour commencer, nous donnons une analyse a priori succincte du problème à l’appui des outils précédemment présentés.
Analyse a priori
56Nous synthétisons cette analyse dans le tableau 29, divisé en deux parties pour chacune des deux premières questions du problème. Chaque case illustre une façon de se représenter la vitesse d’élévation du niveau d’eau dans certains vases (nous avons choisi de ne présenter que les éléments les plus saillants), en croisant chacun des points de vue (global, local, ponctuel) avec chacun des registres graphique, dessin, ou de l’expérience mentale dynamique (qui permet de faire le lien entre les deux premiers). Notons que les éléments d’une ligne du tableau peuvent se lire aussi bien de droite à gauche (conversion du registre dessin au registre graphique) que de gauche à droite (conversion du registre graphique au registre dessin).
Tableau 29. Registres et points de vue croisés pour le problème des vases
Graphique | Expérience mentale dynamique (EMD) | Dessin | |
Les Vases — Première partie | |||
Global | La troisième représentation graphique est linéaire | La vitesse d’élévation du niveau d’eau est constante | Les sections horizontales du vase cylindrique sont toutes identiques |
Ponctuel | La courbe passe par le point milieu (1,5 ; 45) | Les deux hémisphères ayant même volume leurs durées de remplissage respectives sont identiques | Le vase sphérique possède le même volume en dessous et en dessus du plan horizontal qui le coupe en deux parties égales (les deux hémisphères sont identiques) |
Local | 1) Sur le graphique d, la croissance est d’abord rapide et puis de plus en plus lente | 1) La vitesse d’élévation du niveau d’eau est d’abord rapide et puis de plus en plus lente | 1) Les aires des sections horizontales du vase conique croissent du bas vers le haut |
2) Sur le graphique a, la croissance est d’abord rapide, puis de plus de plus lente, et puis elle redevient de plus en plus rapide | 2) La vitesse d’élévation est d’abord rapide puis de plus de plus lente et puis à nouveau de plus en plus rapide | 2) Les sections horizontales du vase sphérique sont d’abord étroites, puis larges, puis à nouveau étroites lorsque l’on se déplace du point le plus bas au point le plus haut | |
Les Vases — Deuxième partie | |||
Global 1er vase | La courbe est constituée par deux parties identiques symétriques par rapport au point milieu | La variation de la vitesse d’élévation dans la première partie du vase (lent puis rapide) est l’inverse de celle de la deuxième partie (rapide puis lent) | Le vase est constitué de deux parties identiques, symétriques l’une de l’autre |
Ponctuel 1er vase | Le milieu de la courbe est « lisse » | La vitesse d’élévation varie continûment lorsque l’eau atteint le milieu du vase | Le diamètre d’ouverture du sommet de la partie basse du vase correspond à celui du socle de la partie haute |
Local 1er vase | 1) La croissance est d’abord lente puis de plus en plus rapide puis à nouveau de plus en plus lente | 1) La vitesse d’élévation du niveau d’eau est d’abord lente et puis de plus en plus rapide et à nouveau de plus en plus lente | 1) Les sections horizontales vont en décroissant jusqu’au milieu puis en croissant à nouveau |
2) La pente au point milieu est faible | 2) Lorsque le niveau d’eau atteint le milieu du vase, la vitesse d’élévation reste relativement modeste | 2) D’autre part ce diamètre commun reste relativement important |
Analyse de quelques extraits
57Nous présentons à présent dans les transcriptions ci-dessous quelques extraits des échanges entre trois élèves (Luca, Mélanie et Sara). Dans ce qui suit, nous nous focalisons plus particulièrement sur les interactions entre Luca (L) et Mélanie (M) qui ont mené l’essentiel des échanges. Dans les transcriptions, nous avons utilisé des enrichissements typographiques4 pour distinguer les différents registres convoqués par les élèves et pour souligner le recours à l’expérience mentale dynamique du processus de remplissage des vases.
58Ci-dessous les productions individuelles de la deuxième partie réalisées par les élèves avant le travail de groupe (figures 80, 81 et 82).
59Premier extrait des échanges entre les élèves du groupe analysé sur la première partie du problème Les vases :
1. L à M : Mais pourquoi t’as mis ça toi ? (En pointant le graphique a et à propos du vase 3.)
2. M : Bah lui (en pointant le vase 1) il se remplit genre lentement parce qu’il a beaucoup de […] surface enfin beaucoup de volume par rapport à lui (en pointant le vase 3).
4. M : […] Je sais, mais là (pointe le vase 1) ça va se remplir plus lentement que si le truc il était comme ça (resserre les deux mains), du coup, là (en pointant le graphique b) ça va prendre plus de temps tandis que là (en pointant la base du graphique a) ça va prendre genre très peu de temps. Mais ce que je veux dire c’est que là (en pointant le vase 3) ça va se remplir plus vite au début et à la fin ça va se […] « désaccélérer ». Du coup, là (en pointant la base du graphique a) ça va aller hyper vite, et puis après progressivement plus lentement.
9. L : Parce qu’en fait tu vois ici (en pointant le vase 1) le bas, il est plus fin (en pointant le bas), le milieu (en pointant le milieu) c’est plus large, d’accord ? Oui ou non ? Et en haut (en pointant le haut), ça redevient fin. Et du coup, là on voit la même chose (il pointe le graphique a), au début c’est fin, il se remplit plus vite, il arrive vers le milieu (pointant le milieu du graphique a) c’est lent c’est lent et là (pointant le haut du graphique a) il ré-accélère […], tu vois ?
24. (Luca explique à Sara pourquoi l’association 1-b n’est pas correcte.)
L : Mais regarde parce qu’ici (en pointant le haut du graphique b) il accélère pas du tout, il reste tout le temps… tout le temps lent (pointant le graphique b)… du genre à la fin… à la fin d’accord ce sera plus rapide (pointant le haut du vase 1)… pas là (pointant le haut du graphique b), là tu vois c’est lent alors qu’à la fin (pointant le haut du vase 1) il est fin, ça devrait être trop rapide, tu vois ce que je veux dire ?
25. M : Ouais… ouais.
27. M : (en parcourant lentement la courbe b avec son index) En plus ici (en pointant le milieu de la courbe b) c’est rapide alors que (en pointant le milieu du vase 1) c’est […].
28. L : Exactement.
(Mélanie corrige sa production : elle avait mis 1-b et 3-a et maintenant elle associe correctement 1-a et 3-d.)
60Deuxième extrait des échanges entre les élèves du groupe analysé sur la première partie du problème Les vases.
54. M : Bah moi j’ai mis genre court (en pointant la première partie de son graphique a), après j’ai mis deux fois comme ça, j’ai mis deux fois parce qu’il est serré (en pointant le milieu du vase 1). C’est vrai que c’est au milieu que c’est vraiment serré, puis après j’ai mis ça (M montre le haut de son graphique).
55. L : Pourquoi tu as mis deux fois serré ?
56. M : Parce que genre là (en dessinant un disque dans la partie supérieure du vase 1) je pensais que ça allait être comme ça, tu vois ? Et du coup je me suis dit que là (en pointant le haut de la partie inférieure du vase 1) c’était serré comme là (en pointant le bas de la partie supérieure du vase 1) c’était serré.
57. M : Genre j’ai mis la même, la même… le même temps.
58. L : Genre la partie en bas c’est la même chose que la partie en haut (en pointant le graphique a de M).
59. L : Non parce qu’à la fin (en pointant le haut du graphique de M) tu mets que ça va plus vite.
60. M : Ouais. (M efface d’abord le haut de son graphique et puis elle décide de tout effacer.)
61. M : Je pense que ça n’a pas grande importance de le mettre au milieu, non ? de mettre 45.
62. L : Bah si c’est important parce que c’est au milieu que… enfin si tu veux être précis c’est important.
63. M : Ah, c’est au milieu du temps (moment d’hésitation).
64. M : Ça peut prendre un certain temps et après ça peut aller plus vite.
65. L : Non le débit il est toujours le même.
66. M : Ouais, mais au début ça se remplit plus lentement (en pointant le graphique) puis après d’un coup ça va aller plus vite et puis après ça va se […] boucher.
67. L : Oui c’est pour ça, regarde, au milieu ça se resserre (en pointant son graphique a) parce que tu vois c’est rapide.
68. M : Ouais, mais le temps je sais pas si je suis d’accord, mais ça (pointant l’axe vertical) 45 je suis d’accord.
69. L : Pourquoi le temps ?
70. M : Mais parce que là ça va prendre peut-être…
71. L : Ça va prendre trois minutes, peu importe la forme, ça prend trois minutes.
72. M : Bon, enfin c’est pas grave.
73. L : Mais faut qu’on se mette d’accord, le but c’est qu’on se mette d’accord pour proposer quelque chose.
(Mélanie place le point de coordonnées (1,5 ; 45) sur son graphique qui est resté vierge (depuis la ligne 62).)
74. M : Mais je sais pas si je suis d’accord, là ça va prendre par exemple 45 secondes (en pointant la partie grisée du vase 1) puis là ça va en prendre peut-être 10 (en pointant le milieu du vase 1), mais même si ça va prendre trois minutes à la fin, et bah peut-être 45 secondes il va arriver là (en pointant l’axe horizontal) puis après ça va aller genre…
75. L : Une minute trente.
76. M : Ouais, mais là ça va prendre 45 secondes (elle montre simultanément la partie grisée du vase 1 et le début de l’axe horizontal du graphique a) puis là ça va peut-être en prendre genre… deux petites là (en pointant le milieu du vase et l’axe horizontal à peu près à une minute) et puis (inaudible).
77. L : Non, parce que ça va prendre trois minutes. Tu vois ça (pointant le vase 1), la partie d’en bas et la partie d’en haut elles ont le même volume. Puis si ça a le même volume ils vont prendre le même temps pour se remplir.
78. M : Ah ouais, du coup genre… ouais.
61Lors du travail individuel (avant le travail en groupe), Mélanie semble être restée au niveau global sans tenir compte de variations locales et sans prendre en compte les éléments ponctuels pertinents, alors que Luca coordonne les trois perspectives. Luca convoque de manière pertinente l’EMD pour justifier ses réponses ; il semble que le passage par l’EMD pour coordonner les registres dessin et graphique soit plus spontané chez Luca. Durant les échanges, Mélanie fait évoluer ses points de vue.
62Dans la première partie, Mélanie convoque de manière adéquate l’EMD pour coordonner les registres dessin et graphique. Cela s’observe également très clairement dans son discours lors du travail sur la deuxième partie de la situation, en particulier, lorsqu’elle coordonne explicitement ces deux registres avec sa gestuelle et un discours reflétant une expérience mentale dynamique : « Ouais, mais là ça va prendre 45 secondes (elle montre simultanément la partie grisée du vase 1 et le début de l’axe horizontal du graphique a, ligne 76) puis là ça va peut-être en prendre genre… deux petites là (en pointant le milieu du vase et l’axe horizontal à peu près à une minute, ligne 76). »
63Pour en revenir à la première partie du problème, les erreurs qu’elle commet pour les vases 1 et 3 semblent dues à des interprétations erronées des dessins, alors que son interprétation dynamique des graphiques, elle, est pertinente comme on peut le constater dès le début de l’échange à propos du vase 1 : « Du coup, là (en pointant la base du graphique a) ça va aller hyper vite, et puis après progressivement plus lentement. » (ligne 4.) Néanmoins, son interprétation des pentes des différentes parties d’un graphique en tant que vitesses d’élévation du niveau d’eau ne semble pas encore stabilisée comme on le voit dans son hésitation sur les termes employés ci-après : « Parce que là c’est court (pointant la base du graphique d), parce que là (pointant la base du graphique d)… ça prend… c’est rapide et ensuite (pointant le haut du graphique d) c’est plus lent. » (ligne 23.) On peut d’autre part remarquer qu’au début de l’échange concernant la première partie de la situation, Mélanie porte spontanément un regard local sur les graphiques alors que son regard sur les dessins est essentiellement global (« il se remplit genre lentement parce qu’il (vase 1) a beaucoup de […] surface enfin beaucoup de volume par rapport à lui (vase 3) » ; « je sais, mais là (pointe le vase 1) ça va se remplir plus lentement que si le truc il était comme ça (resserre les deux mains pour mimer un vase étroit) » (ligne 2)). Ses points de vue s’enrichissent au cours de cet échange et lui permettent finalement de coordonner adéquatement un regard à la fois global et local sur le dessin et le graphique correspondant.
64On retrouve cette vision iconique de Mélanie sur les dessins dans son discours explicatif concernant le vase 1 de la deuxième partie, vase 1 qu’elle considère en trois secteurs, deux « larges » et un « serré », sans distinguer dans chacun de ces secteurs les variations au niveau local et sans accorder d’attention particulière au point de jonction des deux parties de ce vase (point de vue ponctuel) : « Ouais, mais au début ça se remplit plus lentement (en pointant le graphique) puis après d’un coup ça va aller plus vite […]. » (ligne 66.) Ajoutons que cette dernière intervention manifeste de la part de Mélanie un point de vue local sur le graphique puisqu’elle mobilise la notion de vitesse d’élévation du niveau d’eau.
65La confrontation avec Luca à propos de la réalisation du graphique correspondant à ce vase 1 de la deuxième partie du problème fait évoluer Mélanie vers une première prise en compte du point de vue ponctuel sur le graphique ainsi que vers une meilleure intégration du point de vue local sur le graphique. Nous l’observons, d’une part, dans sa remarque « c’est vrai que c’est au milieu que c’est vraiment serré » (ligne 54) où elle montre un point de vue ponctuel susceptible d’amener de plus un regard local sur le secteur « serré » puisque le resserrement y est maintenant perçu comme variable. Nous le voyons d’autre part dans sa réflexion sur l’emplacement du point du graphique correspondant au point de jonction des deux parties du vase. En effet, Mélanie prend le temps de réfléchir à l’affirmation de Luca concernant l’appartenance nécessaire du point (1,5 ; 45) à la courbe en tant que point central et de chercher à expliciter son propre point de vue à ce propos : elle déclare d’abord : « Je pense que ça n’a pas grande importance de le mettre au milieu, non ? De mettre 45 » (ligne 61), puis dans un deuxième temps « Ouais, mais le temps je sais pas si je suis d’accord, mais ça (pointant l’axe vertical) 45 je suis d’accord » (ligne 68) et elle expose que la première partie du vase peut se remplir plus lentement que la deuxième, vraisemblablement parce qu’elle n’a pas intégré dans sa réflexion la notion de débit constant. Finalement, à la fin de l’échange, Mélanie finit par adhérer entièrement au point de vue ponctuel de Luca (M : « Ah ouais, du coup genre… ouais », lignes 78-80).
Conclusion
66En guise de conclusion de cette analyse des échanges des élèves, rappelons que notre objectif initial consistait à documenter l’évolution des conceptualisations de la notion de fonction pour des groupes d’élèves qui interagissent pendant des activités de résolution de problèmes. L’analyse des échanges au sein du trio, dont nous avons donné un rapide aperçu plus haut, montre que cette situation a amené des interactions épistémologiquement riches entre Luca et Mélanie : résoudre ce problème a en effet contribué à faire évoluer la conceptualisation de Mélanie vers des points de vue plus riches sur les représentations graphiques et sur les dessins correspondants en renforçant leurs liens, à travers l’EMD, avec le phénomène décrit ; elles ont aussi amené Luca à expliciter ses propres points de vue et, ce faisant, à parfaire sa conceptualisation des représentations graphiques en jeu dans cette situation. Le croisement de nos deux outils d’analyse – les registres de représentations et les points de vue – s’est révélé fécond en nous permettant de récolter des informations précises sur l’évolution des conceptions des élèves au cours de leur travail en situation de résolution de problèmes.
67Nous avons en effet montré que le contexte d’une résolution de problèmes en groupe a amené Mélanie et Luca à s’impliquer fortement dans la réflexion en y investissant leurs points de vue initiaux, puis en parvenant à les enrichir par confrontation avec ceux de leurs pairs. Mais nous croyons aussi qu’un type de tâche qui implique le passage par une expérience mentale dynamique, comme c’est le cas dans le problème Les vases, se prête particulièrement bien à un travail de recherche en groupe. En effet, une expérience mentale étant par nature propre à chaque individu, le travail collectif oblige chaque élève à expliciter la sienne et à la confronter avec celles des autres. Or, explicitation et confrontation sont toutes deux de puissants leviers pour ébranler des conceptions inadéquates.
Évaluation de l’évolution des élèves quant à leur capacité à coordonner plusieurs registres de la notion de fonction
68Pour évaluer comment les élèves ont pu progresser dans la coordination des registres, nous avons conçu une évaluation à l’aide d’un pré-test et d’un post-test, sur la base de types de tâches similaires, qui permettent d’évaluer leur progression dans leur capacité à coordonner différents registres. Pour ce faire, comme nous l’avons expliqué au début de ce chapitre, nous avons défini 3 catégories d’activité cognitives pour orienter nos choix de questions :
- (AT) activité cognitive de traitement : l’élève reste dans le registre dans lequel l’énoncé est proposé ;
- (AC1) activité cognitive de conversion de registres (niveau 1) : pour résoudre le problème, l’élève n’a besoin que d’une conversion simple d’un registre dans un autre ;
- (AC2) activité cognitive de conversion de registres (niveau 2) : l’élève a besoin non seulement d’une conversion d’un registre dans un autre, mais aussi un retour dans le registre de départ.
Pré-test
69Le pré-test se trouve en annexe 6, il comporte six questions. Il permet une évaluation diagnostique des connaissances des élèves à l’entrée du Collège, sachant que l’ensemble des questions abordent des objectifs travaillés, selon le PER, en dernière année du secondaire I. Les élèves sont ainsi censés maîtriser les compétences de lecture graphique, représentation graphique et expressions fonctionnelles ; à noter que seules les activités de catégories AT et AC1 sont traditionnellement travaillées tant en dernière année du secondaire I qu’en première année du secondaire II.
70Le tableau 30, ci-dessous récapitule, pour chacune des six questions posées aux élèves, les différentes tâches (une ou deux par question) soumises aux élèves, ce qu’elles sollicitent comme catégorie d’activité cognitive et de registres. Les deux questions faisant appel à la catégorie AC2 nous permettront de savoir si les élèves savent coordonner différents registres pour apporter une réponse à un problème donné.
Tableau 30. Typologie des tâches du pré-test
Type de tâche | Catégorie | Registres |
1. Pour une représentation graphique donnée : | ||
tableau de valeurs à remplir | (AC2) | Numérique → Graphique → Numérique |
pré-image5 à trouver | (AC1) | Langagier → Graphique → Numérique |
2. Pour des expressions algébriques données : | ||
représentation graphique à tracer | (AC1) | Algébrique (→ Numérique) → Graphique |
3. Pour une représentation graphique donnée : | ||
expression fonctionnelle à trouver (QCM) | (AC1) | Graphique → Numérique → Algébrique (→ Numérique) → Graphique |
4. Pour une représentation graphique donnée : | ||
identification du support adéquat et des éléments particuliers | Graphique→ Figural → Graphique | |
(AC2) | ou | |
Figural → Graphique → Figural | ||
5. Pour une situation concrète décrite en français et une représentation graphique donnée : | ||
plusieurs questions de lecture graphique immédiate ou à concevoir | (AC1) | Langagier → Graphique |
6. Pour une situation décrite en français : | ||
identification des grandeurs en jeu | (AT) | Langagier → Algébrique |
détermination l’expression fonctionnelle | (AC1) | Langagier |
71La question 4 (figure 83) donne une représentation graphique de la vitesse d’une voiture de course, et demande aux élèves d’identifier sur quel circuit elle roule (sur la base de 5 choix représentés chacun par un dessin), d’où elle part et dans quel sens elle tourne. Nous l’avons catégorisée AC2, car elle nécessite des allers-retours entre le registre graphique de la courbe de la vitesse et celui des dessins des circuits, en faisant en plus appel à la représentation que les élèves peuvent se faire de la situation réelle. Nous voulions ainsi travailler la difficulté qui vient de la confusion entre la forme du circuit et celle de la courbe.
72Dans une des trois classes où nous avons mené notre expérimentation, d’un niveau mathématique « avancé6 », celle de Mathias, 10 élèves sur 18 (56 % de la classe) ont répondu correctement à la question 4a) et seulement 6 sur ces 10 (33 % de la classe) ont répondu correctement à la question 4b), l’identification du sens dans lequel la voiture tourne étant le moins bien réussi. Parmi les erreurs commises en 4a), on retrouve bien sûr l’erreur caractéristique mentionnée plus haut : le circuit 3 est identifié une seule fois, qui est le plus proche de la bonne réponse alors que le circuit 1 est identifié six fois et le circuit 5 une fois. Pour cette question 4 nécessitant une coordination de registres (type 3) et constituant le cœur de notre projet, seul un tiers des élèves de la classe a réussi à répondre correctement.
Post-test
73Le post-test (annexe 7) est composé de sept questions et vise à répondre à notre interrogation de départ, à savoir évaluer l’évolution des connaissances et compétences des élèves à la fois celles attendues par le Plan d’études, mais aussi leur capacité à coordonner plusieurs registres de façon efficace pour répondre aux questions.
74Comme illustré dans le tableau 31, les questions 2, 3, 6a) et b) et 7a) et b) font écho au pré-test en mobilisant des conversions de registres au sein de questions assez techniques pour nous permettre de statuer sur la maîtrise des compétences de base attendues des élèves du secondaire II. La question 1c) nécessite une coordination de registres afin de donner une réponse argumentée alors que la question 4 nécessite de mobiliser le registre algébrique pour confirmer ou infirmer ce que la représentation graphique suggère comme réponse. Il s’agissait ici aussi d’un de nos objectifs, à savoir solliciter un registre alors même que celui-ci n’est pas mentionné dans l’énoncé de la question. À noter que le repère donné dans l’énoncé va plutôt fonctionner comme un piège, une majeure partie des élèves pouvant s’arrêter au constat graphique. La question 7c) est plutôt destinée à un public d’élèves avancés et elle a trouvé sa place dans ce post-test, car deux des trois classes d’expérimentation étaient d’un niveau avancé. Nous l’avons placée en catégorie AC2, car elle nécessite une coordination des registres algébrique et graphique pour contrôler la validité de la réponse obtenue.
Tableau 31. Typologie des tâches du post-test
Tâches | Typologie | Registres |
1. Pour une situation concrète décrite en français et une représentation graphique donnée : | ||
a), b), d) lire des informations particulières ou représenter graphiquement une nouvelle situation | (AC1) | Langagier → Graphique |
c) vérifier et justifier une affirmation | (AC2) | Langagier → Graphique → Langagier |
2. Pour une représentation graphique donnée : | ||
b), c), f) lire les coordonnées de points particuliers | (AC1) | Langagier → Graphique |
a), d), e) lire les coordonnées de points particuliers | (AC1) | Algébrique → Graphique |
3. Pour une expression algébrique donnée : | ||
calculer des valeurs particulières | (AC1) | Langagier → Algébrique → Numérique |
4. Pour des coordonnées données : | ||
déterminer si trois points sont alignés ou non | (AC2) | Langagier + Numérique → (Graphique) → Algébrique → Langagier |
Ou | ||
Langagier + Numérique → Langagier | ||
5. Pour une situation concrète décrite en français et une représentation graphique donnée : | ||
tracer une courbe en tenant compte d’éléments précis | (AC1) | Langagier → Graphique |
6. Pour une expression algébrique donnée : | ||
tracer une représentation graphique | (AC1) | Algébrique → Graphique |
déterminer un ensemble de valeurs et d’images | (AC2) | Langagier → Algébrique → Langagier |
7. Pour des représentations graphiques données : | ||
déterminer des expressions algébriques | (AC1) | Graphique → Numérique → Algébrique → Numérique |
calculer les coordonnées de points d’intersection | (AC1) | Langagier + Algébrique → (→ Graphique →) |
déterminer la valeur d’un paramètre | (AC2) | Algébrique → Numérique → Langagier |
75Revenons sur la question 4 (figure 84, catégorie AC2), particulièrement importante dans le cadre de notre séquence, à laquelle quatorze élèves ont donné la bonne réponse et quatre une erronée. Parmi ces mauvaises réponses, trois relèvent d’erreurs de calcul et une de la seule représentation graphique permettant de conclure.
76Aline (figure 85) a calculé l’équation de la droite AB puis elle a vérifié si le point P appartient à cette droite. Sur la base de ces traces, on peut identifier une coordination des registres graphique et algébrique, tout comme Yasmine (figure 86) qui coordonne les registres graphique et algébrique pour calculer les pentes de droites AB et PB et conclure qu’elles sont différentes.
77Pierre (figure 87) a traité la question dans le registre algébrique avec une procédure correcte (la même qu’Aline), mais la réponse est erronée car donnée sous forme arrondie, ce qui mène à une réponse erronée, bien qu’il ait opéré un changement de registre !
78Nicole (figure 88) par contre effectue une lecture graphique de la pente de la droite PB et de son ordonnée à l’origine puis vérifie que le point P appartient bien à cette droite, ce qui est une évidence, vu que ce point a été utilisé pour déterminer l’équation de la droite, le point A étant totalement délaissé alors même que c’est lui qui aurait permis de conclure correctement.
79On peut néanmoins, à l’instar d’Aline et de Yasmine, postuler qu’il y a eu chez Nicole coordination des registres graphique et algébrique, mais sans permettre de réussir l’exercice, car la procédure est incorrecte.
80Cette analyse succincte et partielle des traces-élèves relatives aux pré-test et post-test permet de voir que même sur la base des seules copies des élèves, il est possible d’évaluer au moins partiellement la capacité de ces derniers à effectuer des conversions de registres, sans forcément mener à répondre correctement au problème. Sans le confinement lié à la situation sanitaire du printemps 2020, nous aurions pu interroger des élèves afin de pouvoir nous prononcer plus sûrement sur la mobilisation des conversions de registres et surtout la capacité à les coordonner que notre séquence avait pour objectif de développer.
Étude des échanges verbaux entre enseignant·e et élèves dans une perspective d’évaluation formative
81En écho au chapitre 5, nous analysons, avec le même cadre théorique, les interactions élèves-enseignant·es dans deux des classes de 1e du Collège de Genève (élèves de 15-16 ans). Nous cherchons à voir comment ces interactions contribuent à faire avancer les élèves dans leur recherche, comment elles peuvent permettre de développer leurs apprentissages et en particulier favoriser une mise de sens sur la notion de fonction, et ce, via notamment des changements de registres. C’est en cela que ces échanges nous semblent pouvoir être rattachés aux pratiques d’évaluation formative de leurs enseignant·es. Les données dont nous disposons ne nous permettent toutefois pas d’analyser d’autres dynamiques nourrissant l’évaluation formative (telles que les régulations liées aux interactions élèves-élèves ou à celles liées à la structure de la situation d’apprentissage). Nous nous demandons ainsi plus précisément comment les échanges entre élèves contribuent à les faire avancer dans leur recherche et quel(s) objectif(s) semble(nt) guider les enseignant·es dans leur manière de gérer ces discussions.
82Nous nous intéressons ici aux pratiques des deux enseignant·es, Mathias et Tamara. Mathias est un enseignant expérimenté et il est aussi concepteur de la séquence. Tamara est une enseignante débutante qui a terminé sa formation deux ans avant l’expérimentation. Elle n’a pas participé à la conception de la ressource, mais en complément de la séquence, elle a reçu une fiche d’accompagnement pour les problèmes emblématiques (et notamment ceux étudiés ici) précisant les objectifs d’apprentissage visés, proposant des modalités de travail ainsi que des éléments en vue d’une institutionnalisation. Ces deux enseignant·es travaillent dans le même établissement scolaire genevois : Mathias, dans une classe de niveau avancé et Tamara dans une classe de niveau normal. Pour chacun·e, nous analysons les échanges enseignant·e-élèves dans les séances sur les problèmes Au cinéma et Les vases. Nous choisissons de présenter tout d’abord distinctement les analyses menées pour chacun des problèmes et chacun des enseignant·es, car la spécificité de ces problèmes conduit, malgré des régularités, à des différences que nous souhaitons souligner quant à la manière dont se déroulent les échanges entre l’enseignant·e et ses élèves.
Problème Au cinéma
Dans la classe de Tamara
83Tamara a consacré deux séances au problème Au cinéma. De nombreux échanges ont eu lieu dans les phases de recherche individuelle des élèves, de travail de groupe et de mise en commun. Cependant, pour des raisons liées à la récolte des données effectuée, nous n’avons pu accéder à leur contenu que lors de la phase de mise en commun. Cette phase nous a amené·es à caractériser 40 échanges entre les élèves et l’enseignante.
84Ce sont le plus souvent les élèves qui initient les échanges avec l’enseignante en lui posant des questions ou en expliquant, sur demande de l’enseignante, leur raisonnement. Tamara, quant à elle, amorce les échanges (pour les 60 % restants) en demandant des explications (24 %), en posant des questions précises s’appuyant sur leurs productions et leurs propos (36 %).
85Les élèves posent principalement des questions tout au début de la recherche, lors de la phase de travail individuel, afin de mieux comprendre l’énoncé. C’est un élément particulièrement important de ce problème qui pose des difficultés aux élèves. En effet, l’énoncé porte sur le choix de la place offrant le plus grand angle de vision dans une salle de cinéma. Les élèves de cette classe (mais aussi de la classe de Mathias comme nous le verrons dans la suite) ont rencontré des difficultés à comprendre la notion d’angle de vision en la confondant souvent avec le champ de vision. Tamara donne des précisions ou des explications supplémentaires pour mieux comprendre l’énoncé, notamment quant à cette notion d’angle de vision, pour permettre aux élèves d’avancer dans leur recherche en les remotivant si nécessaire. Elle revient ensuite pendant la mise en commun sur cette différence entre angle de vision et champ de vision. Tamara veille donc à ce que les élèves aient bien compris le problème dès le départ. De plus, très souvent, elle met l’accent sur des erreurs commises par les élèves et sur les éléments pertinents du problème qu’elles ou ils évoquent et qui leur permettent d’avancer dans la recherche.
86Lors de la phase collective de mise en commun, les élèves, sollicité·es par Tamara, présentent leurs résultats et expliquent les procédures mises en œuvre pour y parvenir. En effet, dans cette classe, les méthodes de résolution d’un problème jouent un rôle important, tout autant, voire peut-être plus, que les résultats obtenus par les élèves. Ainsi, lorsque les élèves présentent leurs méthodes, Tamara oriente les échanges sur la comparaison de l’efficacité entre la méthode de mesure avec un rapporteur des différents angles de vision et celle qui s’appuie des calculs basés sur les rapports trigonométriques, travaillés en amont de la séquence (contrairement à Mathias qui les travaillera après la séquence) comme on peut le voir ci-dessous (figure 89) :
Tamara : Donc, en quoi leur méthode, comment je peux dire ça sans vous donner la réponse, pourquoi vous auriez dû, ça aurait été bien pour vous, d’utiliser également cette méthode ?
El 1 : Comme ça c’est plus structuré, enfin pas logique, mais plus visuel.
Tamara : OK. Pourquoi c’est plus visuel ?
El 1 : Parce que c’est calculer… alors que nous on a fait juste des mesures comme ça.
Tamara : OK, et Luc, tu peux dire plus fort ?
Luc : (Inaudible).
Tamara : OK, grâce à cette méthode-là, ils trouvent des mesures exactes, d’accord ? Là ils ont arrondi à mon avis, mais ils trouvent des mesures plus précises, vous pouvez donc calculer l’angle exact pour chaque distance, d’accord ? C’est ce que vous disiez avant, c’est qu’au bout d’un moment vous n’arriverez plus à calculer parce que ce sera trop petit ? C’est impossible, alors que là sans dessiner, grâce à leur tableau (figure 89) ils peuvent calculer l’angle qu’ils recherchent en fonction de la distance, OK ? C’est très bien.
87Les débats initiés par l’enseignante pendant cette phase de mise en commun portent donc sur l’efficacité des différentes méthodes utilisées, mais aussi sur les différents registres de représentation sémiotiques mobilisés par les élèves pour résoudre le problème. Il nous apparaît qu’elle met en avant ces deux aspects car, comme mentionné dans la fiche d’accompagnement du problème (annexe 3), ils peuvent faire l’objet d’une institutionnalisation à la fin de la tâche.
88À la fin de la mise en commun, Tamara reprend les productions des groupes de travail afin d’identifier les différents registres de représentation sémiotique mobilisés par les élèves (registre dessin comme (A) de la figure 89, registre tableau de valeurs comme (B) de la figure 89, registre algébrique et registre graphique comme (C) de la figure 89) et de mettre l’accent sur les diverses conversions opérées lors de la résolution du problème. Elle souligne ainsi le fait que le tableau de valeurs et la représentation graphique décrivent, sous deux « formes » différentes (comme elle le dit), la même relation entre des grandeurs dépendantes dans une situation concrète donnée. Cela n’ayant pas émergé des débats entre élèves, c’est l’enseignante qui se charge de l’amener dans la discussion.
Tamara : Là vous avez fait, grâce à ça (figure 90) au début pour orienter votre raisonnement, vous avez commencé par faire ça et vous avez constaté justement qu’à un moment c’était très petit, ça augmentait et ça re-diminuait (Elle fait un geste sur le dessin qui retrace l’allure de la courbe qui représente la fonction de l’angle en fonction de la distance. Elle souligne ici une première conversion, du registre dessin au registre graphique.), OK ? Pour regrouper tous vos résultats, qu’est-ce que vous avez fait ? Vous avez décidé de faire un tableau (figure 91), OK ? […]
Et il y en a qui ont décidé de représenter les résultats sous forme de tableau également, mais en fonction d’une formule qu’ils ont trouvée grâce à la trigonométrie (figure 89), c’est plus précis, d’accord ? […] donc il y a déjà ça, vous pouvez représenter vos résultats sous forme de tableau. Deuxième chose, donc là il y a seulement un groupe qui l’a fait (figure 89), eux ils se sont dit, OK ce tableau ((B) dans figure 89) ne me suffit pas donc ce que je vais faire ce que je vais dessiner, je vais représenter ces résultats sous forme de graphique ((C) dans figure 89) d’accord ? Donc ici (elle pointe l’axe des abscisses) c’est la distance et ici (elle pointe l’axe des ordonnées) ce sont les différents degrés, OK ? Qui évoluent en fonction de cette distance-là, d’accord ? Donc ils ont marqué au début c’est petit, ça augmente et puis ça diminue (elle parcourt la courbe avec son doigt) et ça ils ont été capables de le faire grâce aux résultats qu’ils ont trouvés, grâce à la trigonométrie. […]
89Lors des interventions des élèves pendant la mise en commun, Tamara ne se contente pas du résultat trouvé par les élèves, mais leur demande de justifier leur démarche et d’aller plus loin dans la réflexion. Il arrive aussi que Tamara valide leurs résultats, reformule leurs explications concernant les procédures ou les résultats afin de les clarifier. Mais, d’autres fois, elle laisse en suspens la validité du résultat ou de la procédure présentés et elle relance cela au groupe classe pour qu’il se prononce sur leur validité, ce qu’elle fait aussi pendant la phase de travail en groupe. On voit ainsi dans l’extrait suivant qu’à la suite d’une remarque, Tamara relance à la classe la question des moyens à leur disposition pour valider ou non l’hypothèse formulée :
El 1 : Madame, là sur le dessin on dirait que c’est tous le même angle. Si l’écran il est élevé et que les gens sont en bas.
Tamara : Elle dit on dirait que c’est à chaque fois le même angle. OK ? Donc qu’est-ce que vous pouvez faire pour voir si c’est toujours le même angle ?
El 1 et El 2 : On prend un rapporteur.
Tamara : On prend le rapporteur et vous vérifiez.
90Nous interprétons cette manière de procéder comme une volonté de Tamara d’encourager les discussions entre élèves.
91En synthèse, nous avons vu que, sur ce problème, Tamara utilise de nombreuses modalités pour interagir avec les élèves. Elles dépendent notamment des différentes phases de travail et de la nature du travail des élèves. Par exemple, lors de la phase de travail individuel, elle s’assure que les élèves s’approprient le problème (en donnant des précisions, validant, réexpliquant, mettant l’accent sur des erreurs ou des éléments particuliers, etc.) et justifient leurs résultats ou leurs procédures. Lors des présentations à la classe des différentes productions, elle favorise les discussions entre élèves en vue de les amener à expliciter leurs démarches et de les confronter. Ce n’est pas toujours elle qui valide même si elle le fait aussi. En évitant de (in)valider immédiatement les propos des élèves, Tamara les incite à participer activement. Enfin, on peut noter que certaines de ses interventions permettent de les orienter sur les éléments mathématiques qu’elle souhaite institutionnaliser.
Dans la classe de Mathias
92Mathias a consacré trois séances au problème Au cinéma. Différentes phases de travail s’y sont succédé : recherche individuelle, première mise en commun, recherche individuelle, recherche en groupe, deuxième mise en commun.
93Nous avons pu noter que Mathias n’est jamais intervenu de manière directe auprès des élèves lors des phases de recherche individuelle et de groupe. Les nombreux échanges avec ses élèves (76) ont eu lieu exclusivement lors de phases collectives de mise en commun. Précisons cependant que cela ne signifie pas pour autant que Mathias ne recueille pas d’informations sur l’activité des élèves. Par exemple il circule dans les rangs pour collecter des observables sur un cahier de bord afin d’organiser la première mise en commun.
94Lorsque Mathias recueille explicitement des informations auprès de ses élèves, c’est le plus souvent en posant une question, puis en donnant la parole à ceux qui ont levé la main pour répondre. Dans la plupart des cas, il ne se contente pas d’une seule réponse, mais interroge plusieurs élèves. Il recueille principalement des informations sur la compréhension de l’énoncé du problème (surtout au début de la recherche), sur les résultats obtenus, et ce, notamment en leur demandant de présenter leur résolution au groupe classe. Dans cette classe comme dans celle de Tamara, l’énoncé du problème a soulevé beaucoup de discussions parmi les élèves. Parfois, Mathias interroge les élèves sur la validité de conjectures émises par les autres élèves et sur les méthodes à utiliser pour les (in)valider. Plus rarement, il demande aux élèves d’expliquer les procédures mobilisées pour trouver le résultat.
95La plupart du temps, pour faire un retour suite aux interventions des élèves, Mathias reprend de manière neutre les résultats des élèves sans se prononcer sur leur validité. Il délègue ensuite aux autres élèves cette validation, ou renvoie à la classe pour obtenir des compléments. Il (in)valide rarement les résultats et les procédures utilisées par les élèves. L’extrait présenté ci-dessous illustre les nombreuses interventions de Mathias au cours desquelles il reste neutre, reprenant mot pour mot les propos des élèves :
Mathias : Qu’est-ce qu’on entend par angle de vision ? Tommy ?
Tommy : Pour angle de vision, j’ai pensé au champ de vision, mais je crois que ce n’est pas ça.
Mathias : C’est quoi la différence ? Est-ce qu’il y a une distinction entre angle de vision et champ de vision ?
Tommy : Oui, mais je ne sais pas.
Mathias : Oui, mais vous ne savez pas. OK. Quelqu’un a une idée ? Est-ce qu’on parle de la même chose, champ de vision, angle de vision ? Nina ?
Nina : L’angle c’est la périphérie. Le rapport entre la périphérie de ce qu’on voit, je ne sais pas comment expliquer ça, et le champ de vision c’est tout ce que l’on voit. Je ne sais pas trop comment expliquer.
Mathias : L’angle de vision c’est la périphérie et le champ de vision c’est tout ce que l’on voit.
Nina : Par exemple de là à là (elle montre avec ses mains) c’est tout ce que l’on voit.
Mathias : OK donc ce n’est pas évident. Nadia ?
96Mathias reformule aussi parfois les explications des élèves ou fait ressortir les éléments qui lui semblent pertinents notamment en lien avec ce qu’il souhaite institutionnaliser (les changements de registres de représentation sémiotique). Finalement, c’est lui qui amène explicitement à discuter de ces changements de registres en montrant ceux qui peuvent être coordonnés et qui décrivent une variation entre deux grandeurs. Il introduit notamment le registre graphique à partir du travail antérieur d’une élève (absente ce jour-ci) et il présente une animation à l’appui d’un logiciel de géométrie dynamique (Geogebra) pour montrer plus clairement à ses élèves comment s’opèrent ces coordinations entre registres.
97L’extrait suivant reprend ce moment important de la dernière séance :
Début de la dernière séance. Mathias projette la production d’un élève qui reprend la conjecture émise à la fin de la séance précédente. Il résume la procédure utilisée : tracé d’un schéma, prise de mesure de l’angle de vision, classification de ces mesures dans ce qu’il identifie comme étant un tableau de valeurs. Il reprend la conjecture émise collectivement (pour avoir le plus grand angle de vision, il faut se positionner à 2 m) et redonne celle de Cyril que les autres élèves devaient vérifier pour cette séance (la meilleure position est celle d’une personne dont la distance à l’écran est la même que celle qui sépare l’écran du sol).
Mathias : Est-ce que quelqu’un n’a pas trouvé ça ou a trouvé justement que Cyril se trompait ? (Pas de réponse.) OK on va dire qui ne dit mot consent, d’accord. Une représentation voilà. (Il montre la figure 92.) On dessine, on mesure, on peut ordonner les valeurs. (Il montre la figure 93.) J’avais vu ça aussi qui m’intéressait. (Il projette une autre production d’élève, figure 94.) Ça, c’était Nadia qui n’est pas là aujourd’hui. Qu’est-ce que vous voyez, qu’est-ce que vous comprenez de ce qui a été fait là ? Qu’est-ce que vous voyez sur cette représentation qu’a faite Nadia ? Dominique ?
Dominique : Elle a tracé un graphique de l’angle en fonction de la distance.
Mathias : Alors elle a tracé un graphique de l’angle. Où est-ce que vous voyez l’angle ?
Dominique : Pour moi c’est l’axe vertical.
Mathias : En effet on voit l’angle à la verticale et puis la distance à l’horizontale. OK donc elle a tracé un graphique de l’angle en fonction de la distance. Qu’est-ce que représentent ces croix ? Qu’est-ce que vous voyez par rapport à ce qui est noté là ? Comment vous le comprenez ou comment vous le lisez ?
Nina : Comme on l’a vu avec les exemples numériques au début on a une certaine distance ensuite ça augmente.
Mathias : Donc en fait si là j’ai 1 mètre et 37 degrés (Il pointe le tableau de valeurs, figure 93), là on devrait pouvoir retrouver 1 mètre et l’angle mesuré (Il pointe le graphique, figure 94), ensuite 2 mètres et l’angle mesuré. Donc elle a reporté là-dessus les informations. Est-ce que quelqu’un ne comprend pas ce qu’a fait Nadia ? (Pas de réponse.) OK. Alors ces deux manières de représenter les données, soit je peux les représenter à l’aide d’un tableau de valeurs comme ici ou alors je peux les représenter graphiquement. Je prends l’angle en fonction de la distance et puis je représente. Les points que j’ai là (Il montre les points du graphique, figure 94) c’est simplement les valeurs que j’ai ici (Il montre le tableau de valeurs, figure 93) et que j’ai placées sur le graphique. Et on voit, c’est visuel. Là on pouvait voir (Il montre le tableau de valeurs, figure 93). Là en effet c’est visuel on peut voir qu’il y avait un plus haut et que ensuite ça redescend (Il montre le graphique, figure 94). (Il montre ensuite une animation avec un logiciel de géométrie dynamique.)
98Globalement, nous avons observé que Mathias pose des questions aux élèves pour lancer les discussions, puis reprend de manière neutre leurs propositions pour ensuite les relancer à la classe en déléguant leur validation. Il adopte donc une posture de médiateur des échanges entre élèves, et semble éviter autant que possible celle de détenteur du savoir posant un jugement quant à la validité des résultats et des raisonnements proposés par les élèves. Il reprend la main pour introduire dans la discussion des éléments supplémentaires sur les changements de registres qui avaient été déjà évoqués brièvement par les élèves lors des phases collectives.
Synthèse sur le problème Au cinéma
99Les deux enseignant·es ont repris la main pour initier des échanges en vue d’institutionnaliser la mobilisation de différents registres de représentation sémiotique, avec un accent mis d’une part, pour Tamara, sur l’existence de méthodes plus efficaces que d’autres pour résoudre le problème et d’autre part, pour Mathias, sur leur coordination. On note que l’enseignante qui n’a pas participé à la conception de la séquence s’éloigne donc en partie de ce qui était initialement prévu par les concepteurs et conceptrices en ajoutant des considérations globales sur l’efficacité des méthodes employées.
100Nous cherchons maintenant à faire émerger les éléments caractéristiques des échanges élèves-enseignant·e en analysant les séances associées au problème intitulé Les vases. Nous cherchons ainsi à obtenir davantage d’informations quant à la manière dont sont gérés les échanges avec les élèves afin de voir si, certes à l’épreuve de deux problèmes seulement, cela semble indépendant ou pas du problème proposé. Ayant illustré nos analyses par des extraits d’échanges entre élèves et enseignant·e sur le problème précédent, nous insistons ici sur les résultats obtenus pour ce nouveau problème.
Problème Les vases
101Ce problème (annexe 4) ainsi que l’activité associée de certains groupes d’élèves sont analysés dans la section précédente. Nous nous focalisons ici sur la manière dont se sont déroulés les échanges entre élèves et enseignant·e.
Dans la classe de Tamara
102Tamara a dédié deux séances à ce problème. Les élèves ont travaillé d’abord individuellement, puis en groupe avant une phase de mise en commun.
103Les interactions enregistrées ne correspondent qu’à la phase de mise en commun. Nous n’avons pu filmer qu’un seul groupe lors des phases de recherche en groupe (au sein duquel Tamara est intervenue une seule fois). Par conséquent, nous n’avons pas eu accès à ses interventions auprès des autres groupes au cours de la recherche, ni auprès des élèves lors de la recherche individuelle. Du fait de la phase de travail étudiée, à savoir la mise en commun, c’est la plupart du temps à partir de la solution proposée par un élève à la classe que Tamara peut obtenir des informations sur ce que les élèves ont fait.
104On retrouve les mêmes façons de faire lors des interactions que pour le problème précédent : au début des échanges, les élèves donnent souvent leur réponse au problème et la justifient parfois de manière spontanée. Les échanges débutent aussi quelques fois par des tentatives de (in)validation de la réponse ou de la justification apportée par quelqu’un d’autre. Tamara demande alors le plus souvent une justification de la réponse donnée. Nous pensons que cela est lié à la nature de la tâche proposée : au-delà de la réponse quant à l’association courbe-vase, il est nécessaire, pour que les autres élèves puissent comprendre et que l’enseignante puisse valider la réponse, que l’élève qui a proposé sa solution justifie l’association retenue. Elle demande aussi aux autres élèves de valider une réponse proposée, ou d’apporter des compléments à leur réponse. À quelques rares occasions, elle reformule l’explication d’un·e élève soit pour que l’explication soit plus claire soit pour ajouter des compléments.
105À plusieurs reprises, pendant les phases collectives, elle laisse les élèves discuter entre eux, valider/invalider les réponses proposées par d’autres, sans prendre effectivement part au débat. Elle laisse ainsi vivre la discussion entre élèves, sans intervenir systématiquement pour la réguler ou l’orienter. À deux reprises, les élèves proposent des réponses incorrectes, qu’elle corrige elle-même une fois et qu’elle conduit les élèves à invalider l’autre fois.
106En fin de séance, elle valide plus fréquemment directement par elle-même la réponse de l’élève ou seulement une partie de la réponse, en vue de montrer des manques ou des erreurs. On peut faire l’hypothèse que c’est lié à l’avancée du temps et au fait qu’elle souhaite mettre fin aux discussions et conclure.
107Du fait de sa récurrence, il est aussi intéressant de relever ce qui nous semble être une manière de faire caractéristique de cette enseignante (nous ne disons pour autant pas que c’est la seule), de son style au sens de (Clot, 1999) : demander à l’ensemble des élèves de la classe de valider les réponses proposées par certain·es et leur demander si elles et ils ont des compléments à apporter ou des questions à ajouter.
108Notons enfin que nous n’avons relevé aucune trace d’institutionnalisation (ni écrite, ni orale, ni formelle, ni informelle) lors de la séance consacrée à ce problème. Nous pouvons faire l’hypothèse que c’est parce que l’enseignante considère que les élèves ont travaillé la coordination de registres de représentation sémiotiques de facto lors de la résolution. Bien que ce travail de coordination constitue l’enjeu de la tâche, il est possible qu’elle ne considère pas comme utile de le mettre en mots, de le faire ressortir explicitement auprès des élèves du fait de son évidence. Le fait que, comme nous le verrons dans la partie suivante, cette absence de phase d’institutionnalisation soit aussi notable dans la classe de Mathias nous conforte dans l’idée qu’elle est davantage à associer au problème lui-même, qu’aux pratiques de ces deux enseignant·es. En regardant du côté de la fiche d’accompagnement (annexe 4) de ce problème mise à la disposition des enseignant·es, les objectifs d’apprentissage visés sont formulés en ces termes : « Les objectifs d’apprentissage de cette activité sont : […] – traduire une représentation graphique par un processus dynamique précis (schéma d’un vase à remplir) ; – interpréter un graphique comme représentation d’un phénomène dynamique. »
Dans la classe de Mathias
109Dans la classe de Mathias, pendant les deux séances consacrées au problème Les vases, les élèves ont d’abord travaillé individuellement, puis en groupes après une phase de mise en commun. Notons qu’il n’y a pas eu de phase collective suite au travail de groupe. Nous pensons que ce choix repose sur le constat fait par l’enseignant que les phases de travail individuel, de mise en commun intermédiaire et de travail de groupe se sont révélé suffisantes pour que tou·tes les élèves comprennent l’enjeu du problème et le résolvent correctement.
110Comme lors des séances associées au problème Au cinéma, les échanges entre enseignant et élèves ont lieu exclusivement lors de la phase de mise en commun (16 échanges). Pendant les phases de travail des élèves (individuel et en groupe), Mathias circule dans les rangs pour prélever des observables en vue d’organiser les phases de mise en commun, sans pour autant lancer d’échange avec les élèves.
111Pendant la mise en commun, Mathias recueille des informations en s’adressant à quelques élèves pour les interroger sur les réponses au problème. Ces réponses concernent les appariements effectués entre les représentations graphiques et les formes des vases, les tracés des représentations graphiques correspondantes aux formes des vases et les dessins des vases correspondants aux représentations graphiques données. Les échanges restent ainsi très centrés sur les réponses des élèves à ce problème, donc très proches de l’activité effective des élèves.
112Contrairement à sa gestion des séances consacrées au problème Au cinéma, Mathias ne reprend que très rarement les propos des élèves de manière neutre. Une fois les réponses données par les élèves, il les prend en compte de diverses manières. Le plus souvent (la moitié des fois), il renvoie à la classe la validation ou l’invalidation de ce qui a été proposé comme réponse au problème par un·e élève. On voit ici la volonté de la part de Mathias de favoriser les discussions entre élèves et le développement de leur regard critique vis-à-vis des réponses données par les camarades, mais aussi par rapport à leurs propres productions : écouter, intervenir et débattre sur les réponses des autres peut leur permettre de vérifier leurs résultats et éventuellement de s’auto-corriger. Mathias semble considérer que les discussions entre élèves suffisent pour valider les réponses qu’elles et ils proposent, car il ne se charge que très ponctuellement de leur validation. Par ailleurs, dans un quart des cas, il demande à l’élève qui vient de proposer une solution de la justifier ou de la compléter afin d’avoir accès aux raisons qui sous-tendent la réponse donnée.
113Enfin, rappelons que Mathias n’intervient jamais hors de la mise en commun, ce qui est différent de Tamara. Les élèves n’auront donc l’occasion d’avoir un retour réflexif qu’à la fin du travail, lors de la mise en commun.
Synthèse sur le problème Les vases
114Comme nous l’avons mis en avant, les deux enseignant·es recueillent majoritairement des informations sur la réponse au problème, ce qui est en partie dû au fait que nous nous sommes centrées sur la phase de mise en commun. Nous estimons toutefois que cela est aussi lié au problème, qui amène assez naturellement à se concentrer sur les réponses plutôt que sur les stratégies mises en œuvre pour y parvenir.
115Dans la gestion de ce problème par les enseignant·es, bien que dans des proportions différentes, les élèves sont invité·es à justifier leur réponse pour donner à voir à toute la classe le raisonnement mis en œuvre et les autres élèves sont incité·es à valider les réponses proposées. Cette gestion est liée selon nous à la nature du problème qui cadre le travail des élèves sur le changement sans s’interroger sur l’utilité de ce changement pour résoudre un autre problème, comme celui du cinéma par exemple.
Similitudes et différences dans les pratiques d’un·e même enseignant·e sur les deux problèmes
Tamara
116Pour les deux problèmes analysés, Au cinéma et Les vases, nous avons constaté des similarités et des différences dans la manière dont se déroulent les interactions entre Tamara et ses élèves. Nous pensons que certains gestes professionnels de l’enseignante dépendent de la nature du problème ; en revanche, d’autres manières de faire caractérisent davantage sa pratique, indépendamment de la spécificité des problèmes proposés. C’est ce que nous mettons en lumière dans cette partie.
117Concernant les similarités observées, dans la classe de Tamara, les échanges sont souvent initiés par les élèves grâce à leurs questions et ils ont lieu en collectif, mais aussi en individuel. De plus, suite à l’intervention d’un·e élève, Tamara s’adresse régulièrement aux autres élèves en leur demandant s’ils ont des compléments à ajouter ou des questions à poser. Cependant, cela semble être presque fait de manière rhétorique. De plus, dans ses relances, Tamara met souvent l’accent sur les erreurs commises par les élèves sans les invalider, mais en les relançant à la classe. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette manière de procéder vise à permettre à l’élève qui vient de commettre l’erreur de s’auto-corriger ou à ce que les autres élèves corrigent ses propos. Cependant, Tamara valide souvent quand il s’agit de donner un feedback sur la compréhension de l’énoncé.
118L’objet de ses échanges avec les élèves est fortement corrélé au problème étudié. Les spécificités des deux problèmes étudiés ici amènent à des échanges différents : notamment plus portés sur la compréhension de l’énoncé et les procédures des élèves pour Au cinéma et sur les résultats obtenus pour Les vases.
119En effet, concernant Au cinéma, interroger les élèves sur les procédures se révèle assez simple et verbaliser les étapes de résolution est une tâche accessible aux élèves. En effet, en partant du croquis déjà donné dans l’énoncé du problème, les élèves ont fait un dessin plus précis et complet (dessin à l’échelle et ajout de différents emplacements dans la salle du cinéma). Pour ces différents emplacements, les élèves ont procédé soit à la mesure des angles de vision à l’aide d’un rapporteur soit au calcul de ceux-ci à l’aide de la trigonométrie. La procédure se déroule donc dans un seul sens, c’est-à-dire que l’enchaînement des différentes étapes qui constituent la méthode de résolution est unique.
120En revanche, dans Les vases verbaliser la procédure qui permet d’associer la bonne représentation graphique à la bonne forme du vase se révèle plus compliqué, car il n’y a pas une seule manière de procéder. Plusieurs allers-retours, entre l’analyse de la forme du vase et celle de l’allure de la courbe, doivent être mis en place pour résoudre le problème et il se révèle difficile d’en rendre compte en intégralité et dans le bon ordre, d’autant plus que cet ordre n’est pas unique : on peut commencer par s’appuyer sur des propriétés locales ou globales, partir du graphique ou de la forme du vase, etc. On peut penser que, pour Les vases, Tamara a préféré commencer par les résultats du fait de la « non-linéarité » des procédures qui les rend plus difficilement explicables. Cependant, elle revient dans un deuxième temps sur les justifications de ces résultats. Nous l’interprétons comme une manière de recueillir indirectement des informations sur les procédures mises en œuvre.
121Une autre différence concerne la phase d’institutionnalisation. Dans les deux problèmes, l’institutionnalisation prévue porte sur la coordination entre différents registres de représentation sémiotique. Pour Au cinéma, Tamara avait initié une discussion sur les éléments à retenir découverts au travers de ce problème tandis que pour Les Vases, nous n’avons aucune trace d’institutionnalisation. Le caractère implicite de cette coordination dans le premier problème nous semble expliquer la nécessité pour Tamara de l’identifier et de le verbaliser auprès des élèves. Au contraire, son caractère inhérent à la nature de la tâche demandée aux élèves dans le deuxième problème nous semble être une piste expliquant l’absence de mise en mots par l’enseignante. Une autre serait qu’elle considère que ce qui a été fait sur le premier problème, du point de vue de la verbalisation de la coordination entre registres est suffisant et qu’elle considère le problème Les vases comme un réinvestissement.
Mathias
122Dans les deux séances, Mathias n’intervient jamais pendant les phases de travail propre des élèves. Les interactions ont exclusivement lieu pendant les phases collectives et c’est principalement lui qui en est à l’origine. Il semble que ce soit une caractéristique de la pratique de cet enseignant. Il adopte une posture de retrait, peut-être pour permettre aux élèves de se plonger véritablement dans le problème en favorisant ainsi leur autonomie dans la recherche. On peut penser que Mathias serait intervenu pendant cette phase de travail des élèves s’il avait observé des blocages importants, ce qui ne s’est pas produit. De plus, pour cet enseignant, le fait de rester en retrait lors des phases de recherche des élèves lui permet de prélever des observables afin de piloter et de diriger les moments de mise en commun en sachant quel élève interroger et à quel moment.
123Une autre régularité que nous avons constatée concerne le fait qu’il accorde de l’importance aux résultats obtenus par les élèves et à la validation de conjectures émises par les élèves. Il renvoie souvent la validation d’une réponse d’élève au reste de la classe. En cohérence, il ne valide que très rarement de lui-même les réponses des élèves. Comme nous l’avons déjà souligné, cela montre, selon nous, la volonté de l’enseignant de se décentrer afin de privilégier l’activité des élèves. Cette manière de faire permet de faire participer les élèves et de les impliquer dans l’activité mathématique. De plus, nous avons relevé que Mathias reprend la main lorsqu’il s’agit de donner des pistes sur l’(in)validation d’une conjecture émise par un individu. En effet, pour les deux problèmes, les élèves ont proposé des conjectures intéressantes. Cela peut nous laisser penser que cette classe a l’habitude de poser des conjectures. Cela semble être une composante d’une certaine micro-culture de classe (Mottier Lopez, 2008) qui valorise le fait de se poser des questions, d’émettre des conjectures mathématiques et de rechercher les moyens d’y répondre. Mathias cherche donc à dépasser le seul travail sur les notions et concepts mathématiques en jeu dans les programmes pour permettre aux élèves de développer des compétences plus générales de résolution de problèmes, en lien notamment avec les justifications.
124Au-delà de ces régularités, une différence importante apparaît dans sa manière de rebondir sur les propositions des élèves. Si, lors des séances consacrées au problème Au cinéma, il reprend presque systématiquement de manière neutre les propos des élèves, ce n’est jamais le cas sur le deuxième problème Les vases. Cette manière de faire ne semble donc pas tant relever seulement d’une manière de faire propre à sa pratique, mais dépend aussi du problème en jeu. En effet, le premier problème avait conduit à des difficultés de compréhension de l’énoncé, les élèves ayant de plus du mal à s’exprimer. Il semble donc que Mathias reformule de manière neutre les propos des élèves pour rester fidèle aux termes utilisés, afin de les rendre accessibles aux autres, tout en évitant de se prononcer sur la validité de la proposition. Ce problème amène par ailleurs à différentes procédures et différents résultats possibles du fait notamment des mesures d’angle, contrairement au problème Les vases, pour lequel la réponse, bien qu’elle doive être argumentée par les élèves en termes de « ça augmente plus vite, la forme se rétrécit… » est plus univoque, et donc moins sujette à débat. L’énoncé et l’objectif de ce deuxième problème sont aussi plus clairs et n’ont pas amené à des difficultés chez les élèves.
125Si Mathias insiste lors des séances consacrées à Au cinéma sur les changements de registres et leur coordination, ce n’est pas le cas sur le deuxième problème. Ces changements et coordinations de registres sont ici inhérents au problème. Il s’agit de l’objet même du problème. Pour le résoudre, il faut en effet mettre en relation la représentation graphique, la forme du vase, et ce, via une représentation mentale dynamique de la situation de remplissage. Les coordinations et conversions de registres sont moins immédiates pour Au cinéma que pour Les vases puisque la mobilisation de différents registres est à l’initiative et à la charge des élèves. L’enseignant a donc un rôle à jouer pour mettre en lumière ces aspects dans le premier problème.
Conclusion
126Cette recherche a porté sur la conception et l’analyse d’une séquence d’enseignement sur la notion de fonction proposant de nombreux problèmes aux élèves dont la résolution nécessite de mettre en œuvre sous des formes variées des coordinations entre registres. Dans ce chapitre, nous avons montré les grandes lignes qui nous ont guidé·es et comment nous les avons mises en œuvre. Nous avons également tenté d’évaluer les apprentissages des élèves à la fois d’un point de vue sommatif que formatif.
127Bien que les programmes institutionnels du Collège de Genève préconisent un enseignement des mathématiques fondé au moins en partie sur la résolution de problèmes, y compris en ce qui concerne les fonctions (voir chapitre 2), dans les supports de cours les plus répandus au sein de cette institution, on constate une présence prépondérante d’exercices plus techniques. L’effet de l’utilisation de ces supports peut se répercuter aussi sur les pratiques enseignantes et sur les perceptions que les élèves ont des mathématiques (voir chapitres 3 et 4). Quand bien même ce type d’exercices permettent de développer chez les élèves une bonne maîtrise des aspects techniques, il semble important pour favoriser une mise de sens sur les concepts mathématiques en jeu que les élèves puissent aussi être confronté·es à des problèmes. Or, le concept de fonction reposant sur la coordination de différents registres, nous avons proposé que ces problèmes permettent un travail sur les registres et sur leur coordination sur le long terme. Nous avons donc conçu une séquence d’enseignement visant le développement de ces compétences chez les élèves à travers la résolution de problèmes.
128Concernant les effets d’un tel enseignement sur l’apprentissage, nous avons constaté que le travail sur les problèmes-clés de la séquence a permis aux élèves d’effectuer des activités de conversion entre registres efficaces, tant dans les phases de travail individuel qu’en groupe. En effet, nos analyses montrent que, lors des travaux de groupe prévus dans la séquence, les problèmes proposés ont amené à des interactions constructives entre élèves. Ainsi, on peut penser que résoudre ces problèmes en groupe a contribué à faire évoluer leur conceptualisation de la notion de fonction grâce à un travail de coordination de registres. À la fin de l’enseignement du thème, le post-test a confirmé que les élèves ont su mettre en œuvre individuellement des activités de conversion pertinentes pour les problèmes à résoudre. Enfin, nous avons mené des analyses plus fines, dans une perspective d’évaluation formative à la suite de Chanudet (chapitre 5), portant sur les interactions verbales entre élèves et enseignant·es. Dans la résolution du problème Au cinéma, nous avons observé que ce travail d’identification et de verbalisation de la coordination de registres est très présent dans les discussions enseignant·es-élèves et constitue l’élément le plus prégnant du processus d’institutionnalisation.
129Nous avons ainsi pu obtenir, selon différentes perspectives, plusieurs éléments d’évaluation qui nous permettent de dire que nos choix vont dans le sens espéré et que la résolution de problèmes peut en effet être un levier pertinent pour aider les élèves à mieux conceptualiser la notion de fonction et y mettre plus de sens, à travers un travail spécifique portant sur la coordination de différents registres de représentation sémiotique.
Notes de bas de page
1Rappelons qu’à Genève, comme il a été dit dans l’introduction de ce livre, la voie gymnasiale du secondaire II s’appelle le Collège.
2https://www.geogebra.org [consulté le 27/06/2024].
3C’est l’auteur/Duval qui souligne.
4En surligné : convocation de la part des élèves du registre dessin. En gras : recours à l’expérience mentale dynamique. En gras italique : convocation du registre graphique.
5Ce qu’on appelle plus souvent antécédent en France.
6Au Collège de Genève (secondaire II), il existe deux niveaux de mathématiques dépendant des résultats obtenus en fin de secondaire I et du choix de l’élève : niveau « normal » et niveau « avancé ». Le niveau « avancé » représente environ un quart à un tiers des classes de mathématiques.
Auteurs
ORCID : 0000-0002-6163-8425
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