Chapitre 6
La résolution de problèmes comme outil : une séquence d’enseignement sur les formes géométriques à l’école primaire
p. 203-236
Texte intégral
1Cette recherche porte sur un enseignement de la géométrie au début du primaire (élèves de 4 à 8 ans) à Genève. Elle s’appuie sur la résolution de problèmes comme outils pour favoriser les premiers apprentissages géométriques. L’importance de faire résoudre des problèmes aux élèves est une injonction récurrente en Suisse romande. On la retrouve dans les anciens comme dans les nouveaux moyens d’enseignement (Coppé & Daina, 2023 ; Dreyer, 2021). Les enseignant·es sont donc habitué·es à proposer des problèmes à leurs élèves. Il leur est toutefois plus complexe de penser leur articulation et d’en extraire les enjeux. Pour ce faire, nous avons développé un matériel spécifique. Dans les premiers degrés de la scolarité, les formes géométriques travaillées sont, en général, les formes simples, c’est-à-dire le carré, le rectangle, le triangle et le cercle. Or, l’étude de Clements (1999) complétée par Pinet et Gentaz (2007) montre que si les élèves de 1 – 2PH (4 à 6 ans) reconnaissent facilement le cercle et le carré, ce n’est pas aussi simple pour le rectangle et le triangle. En effet les orientations ainsi que les dimensions des côtés de ces formes influencent leur reconnaissance. Par exemple, un triangle isocèle posé sur sa base sera facilement reconnu comme un triangle contrairement à un triangle quelconque, d’autant plus s’il a un angle obtus ou s’il est très aplati ou très pointu avec un côté très court, etc. À l’inverse, un quadrilatère comme un fer de lance, avec sa pointe vers le haut, sera lui considéré comme un triangle, car proche perceptivement de ce dernier. Ainsi, pour reconnaître des formes, les élèves ne s’appuient pas toujours sur les éléments qui les composent et leurs relations mais, souvent, sur une ressemblance à des formes représentatives de chaque classe, ce que l’on appelle des formes prototypiques.
2Afin de dépasser cette difficulté, nous avons développé une ressource1 qui propose de nombreux problèmes à résoudre pour acquérir une conception plus riche de la notion de forme géométrique. Il s’agit de proposer aux enseignant·es des outils pour organiser un enseignement des formes géométriques sur le long terme avec des objectifs spécifiques décrits pour chaque séance, mais également un objectif plus large à développer au fil de la séquence.
3La ressource élaborée comprend un ensemble de pièces manipulables constitué de quarante-sept formes encastrables et un document d’accompagnement à destination des enseignant·es comprenant notamment des commentaires didactiques ainsi que la description des enjeux poursuivis (Coutat & Vendeira, 2018). La collection de formes ne comprend aucun carré, ni rectangle, ni triangle, ni disque. Ce sont toutes des formes inhabituelles, dont certaines sont perceptivement proches afin de rendre la visualisation iconique peu efficace et inciter les élèves à utiliser leurs caractéristiques (au sens de Duval et Godin [2005] comme nous allons l’expliciter par la suite). Les séances proposées sur la base de ce matériel se déroulent alternativement en individuel, en petits groupes ou en collectif. La mise en œuvre de cette ressource en classe passe par des choix didactiques qui façonnent le milieu avec lequel l’élève va interagir. Cela doit permettre, dans un premier temps, de développer une visualisation non iconique en mobilisant quelques caractéristiques des formes, puis au fil des séances de développer une flexibilité du regard (Celi et coll., 2019 ; Vendeira & Coutat, 2017).
Des intentions spécifiques
Spécificités du milieu
4La conception de la ressource est orientée par la résolution de problèmes (comme outil pour apprendre) puisque toutes les tâches élaborées constituent des problèmes dans le sens où les élèves peuvent y entrer sans pour autant avoir des procédures immédiatement opérationnelles. Plus particulièrement, ce sont les erreurs qu’elles et ils commettent qui les amènent à reconsidérer leurs connaissances et faire évoluer leurs procédures.
5Plusieurs de nos problèmes mettent en jeu des pièces ou gabarits en bois ou en résine, de différentes formes associées parfois à leur pochoir (figure 35).
6Dans les problèmes proposés, lorsque l’élève insère un gabarit dans un pochoir, si l’encastrement est possible alors l’appariement est validé. Dans le cas contraire, l’élève peut recueillir des informations sur les différences entre le gabarit et le pochoir et revoir ses procédures. La possibilité de rétroaction du milieu est un élément essentiel dans les problèmes proposés.
7La ressource est conçue à partir d’une situation générale d’encastrement libre. Il est ensuite possible de créer une variété de problèmes en jouant sur diverses variables didactiques (Vendeira, 2019). Le matériel manipulable, le type de formes ainsi que la validation par encastrement sont des éléments constitutifs du milieu avec lesquels les élèves vont interagir tout au long des séances et qui ont un impact essentiel dans la construction des connaissances. Lors de la préparation du problème, il apparaît toutefois que le choix des pièces par les enseignant·es est un élément déterminant qui peut permettre ou non, en fonction des choix opérés, d’atteindre les objectifs visés par les problèmes de la ressource. Les premières tentatives exploratoires d’utilisation de la ressource par des enseignantes et enseignants observés montrent que ce choix n’est pas aisé et qu’une réflexion sur le long terme est nécessaire, d’autant plus que les connaissances visées s’inscrivent dans un processus impliquant différentes temporalités.
8En effet l’ensemble des problèmes développés dans la ressource visent deux objectifs, un sur le court ou moyen terme et un autre sur le long terme. Le premier objectif concerne l’apprentissage de quelques caractéristiques des formes. Il est donc atteignable sur le moyen terme et peut même être mis en œuvre à l’échelle d’une séance. Le second objectif concerne un contenu plus diffus et moins facilement identifiable. Il s’agit de développer une flexibilité du regard sur les formes. Nous verrons, dans ce qui suit, que ce dernier ne peut s’appréhender qu’à l’échelle d’une séquence d’enseignement, donc sur le long terme.
Spécificités des objectifs
9Le premier objectif est de permettre aux élèves de se détacher d’une visualisation iconique (Duval, 2005), très prégnante à cet âge, en vue d’enrichir leur regard sur les formes par la prise en compte de leurs caractéristiques (Coutat & Vendeira, 2015). Les caractéristiques des formes abordées en 1 – 4PH (cycle 1) sont la présence de bords droits ou courbes, de symétries, de côtés opposés parallèles ou encore du caractère convexe ou non de la forme et du nombre de côtés. Le regard que les élèves portent sur les formes est ainsi enrichi progressivement par la prise en compte de ces caractéristiques. À cet âge la vision est d’abord globale, c’est-à-dire que l’élève voit la forme à travers sa surface (Duval & Godin, 2005). Puis progressivement, au fil des problèmes proposés et en jouant sur les choix des assortiments proposés, sont développées des connaissances sur les caractéristiques des formes.
10Nos premières explorations en classe mettent en évidence que l’utilisation des activités proposées dans la ressource permet bien un enrichissement du regard chez les élèves du cycle 1, qui parviennent à mobiliser les caractéristiques souhaitées. Cet objectif se travaille ainsi lors de chaque séance et est par conséquent facilement identifiable par les enseignant·es.
11Le second objectif vise à développer une flexibilité du regard chez les élèves (Burgermeister et coll., 2021 ; Celi et coll., 2019 ; Vendeira & Coutat, 2017), l’idée étant d’être capable de mobiliser le regard le plus adéquat en fonction de la situation vécue (Coutat & Vendeira, 2018). Cet objectif plus large n’est, à l’inverse du premier, pas appréhendable au terme de chaque séance, car il se construit dans le temps. Les élèves doivent adapter leurs procédures en fonction des problèmes proposés. Alors que certaines procédures sont expertes dans certains problèmes, elles ne le sont plus dans d’autres, forçant les élèves à une certaine flexibilité en fonction des situations proposées.
12La particularité de ce second objectif implique qu’il ne s’agit pas seulement de sélectionner des problèmes isolés comprenant chacun des objectifs propres, mais bien de faire une articulation orchestrée de ceux-ci. Dans ce cadre, il s’agit d’une pratique innovante souvent considérée comme complexe, en ce qu’elle implique un enseignement par la résolution de problèmes nécessitant une transformation des pratiques.
13Afin de bien saisir la particularité de ce second objectif, nous illustrons, ci-après, en quoi consiste la flexibilité du regard visée. Le problème sur lequel nous prenons appui met en jeu deux élèves A et B. Chacun·e reçoit un exemplaire du même assortiment de quatre gabarits (figure 36). Deux assortiments différents sont proposés impliquant deux parties entre les élèves A et B. Dans chaque assortiment une des 4 formes est marquée d’une croix dans l’exemplaire de l’élève A qui doit la décrire afin que l’élève B la retrouve parmi les quatre pièces à sa disposition.
14Dans l’assortiment 1, une stratégie gagnante consiste à se focaliser sur l’aspect global des formes, car les quatre gabarits ont des formes très distinctes. L’élève peut donc se contenter de dire que c’est la forme « qui ressemble à un poisson » sans se référer aux caractéristiques de cette dernière. Dans l’assortiment 2 au contraire, étant donné que les quatre gabarits proposés ont des formes générales assez proches ressemblant à des poissons ou des nœuds papillon, il va falloir aller chercher au-delà de l’aspect global des formes en considérant leurs caractéristiques. L’élève peut ainsi indiquer qu’il s’agit de la forme « avec du droit et qui n’est pas tordue », ce qui est une façon naïve de dire qu’elle n’a que des côtés rectilignes et qu’elle est symétrique. Dans cet exemple on perçoit bien comment se manifeste l’objectif d’apprentissage visant à affiner le regard des élèves en considérant les caractéristiques des formes.
15Imaginons maintenant que, dans le cas de l’assortiment 1, l’élève tente de décrire la forme par ses caractéristiques exclusivement, en disant par exemple que « c’est celle qui est sans courbe et avec des coins rentrants ». Sa description même si elle est correcte est moins efficace que de simplement évoquer sa ressemblance à un poisson.
16C’est alors que l’objectif visant la flexibilité du regard chez les élèves est important. En effet, on voit bien ici que l’élève doit adapter sa procédure en fonction de l’assortiment proposé. Ainsi, selon l’assortiment, une procédure privilégiée peut être dégagée, tantôt basée exclusivement sur des critères de ressemblance, tantôt exclusivement sur des caractéristiques, voire sur un mixte des deux. Or, cet objectif ne peut s’appréhender que sur le long terme par l’observation des procédures mises en place par les élèves et leur évolution au fil de la séquence.
17Ainsi, l’enchaînement des activités doit permettre aux élèves non seulement de gagner en expertise sur les caractéristiques pour décrire les formes, mais aussi de savoir décider s’il est plus efficace de donner un argument sur la forme globale ou s’il est nécessaire de faire appel à ses caractéristiques.
18Les premières confrontations exploratoires de notre ressource à la contingence permettent de mettre en évidence que les deux types d’objectifs visés ne sont pas identiquement appréhendés par les enseignant·es. En effet, il est apparu dans nos expérimentations que seuls les objectifs plus locaux sur l’enrichissement des caractéristiques des formes sont réellement pris en compte de manière satisfaisante. La prise en compte des objectifs globaux, plus difficile à mettre en œuvre, est davantage problématique. C’est ce que nous allons illustrer maintenant sur un exemple.
Appropriation de ces spécificités par les enseignant·es
19Dans le document d’accompagnement de la ressource, nous avons explicité des éléments visant à outiller les enseignant·es pour choisir des assortiments. Nous en citons ci-dessous un extrait :
L’assortiment de pièces sélectionné par l’enseignant est déterminant. Si les formes proposées ne se ressemblent pas du tout, une reconnaissance visuelle globale est suffisante. Par contre, si elles se ressemblent toutes, les élèves seront amenés à considérer leurs caractéristiques pour les distinguer. (Coutat & Vendeira, 2018, p. 9)
20Nous allons à présent analyser comment un enseignant avec qui nous avons travaillé s’est approprié ces éléments de notre ressource. A priori il semble avoir bien compris l’enjeu du choix. En effet, il précise que « le choix des formes va influencer la manière dont les élèves vont penser les objets d’un point de vue géométrique ». Cette remarque laisse penser qu’il ne se focalise pas seulement sur les caractéristiques des formes, mais bien aussi sur l’enjeu plus large de faire adopter à ses élèves le regard sur la forme le plus efficace en fonction du problème proposé. Il semble donc en mesure de mettre en œuvre des choix d’assortiments de pièces éclairés en fonction des élèves et des apprentissages visés pour chacun·e.
21Dans la séance décrite ci-après, l’enseignant propose un problème avec un assortiment d’une dizaine de gabarits dispersés sur une table. Les pochoirs correspondants sont empilés devant l’élève qui doit alors prendre le pochoir du dessus de sa pile et trouver le gabarit correspondant sur la table. Il n’y a pas de limite de temps et l’élève peut manipuler toutes les pièces à sa disposition. Toutefois, l’encastrement de la pièce n’est autorisé qu’une fois son choix effectué. Si l’encastrement fonctionne, c’est gagné, sinon c’est perdu et l’élève passe à la forme suivante. L’activité se termine lorsque la pile de pochoirs est épuisée.
22À la suite de la préparation du problème, l’enseignant justifie ses choix d’assortiments en fonction du niveau de ses élèves. Ainsi pour un groupe d’élèves, il indique qu’il vise un travail exclusivement sur les caractéristiques des formes, sans possibilité de mobiliser une visualisation iconique. Il présente pour ce faire le choix des douze formes suivantes (figure 37) :
23Or, avec un tel assortiment, pour quasiment n’importe lequel de ces douze pochoirs, la stratégie la plus efficace pour retrouver le gabarit correspondant sera de commencer par écarter toutes les formes les plus éloignées perceptivement de celle recherchée, puis ensuite seulement de se focaliser sur les caractéristiques des formes restantes. L’objectif visé devrait donc être, en fonction des pièces sélectionnées, de mobiliser successivement dans un même problème deux visualisations distinctes (d’abord globale puis par les caractéristiques).
24Ainsi, même si l’objectif de flexibilité du regard est formulé par l’enseignant et semble donc compris, nous constatons que l’assortiment choisi ne permet pas de travailler ce qu’il a annoncé.
Conclusion
25Bien que la ressource ait été conçue en s’adaptant au maximum aux contraintes du terrain dans une collaboration avec des enseignant·es, une première étude exploratoire permet déjà de dresser quelques constats. Il semble bien, comme nous venons de l’illustrer, que les objectifs visés au niveau d’une séance (les caractéristiques des formes) soient plus facilement appréhendables que ceux au niveau de la séquence (flexibilité du regard).
26Deux raisons peuvent en être la cause. Tout d’abord, à l’inverse du premier objectif visant à développer des connaissances autour des caractéristiques des formes, le second objectif visé n’est pas un savoir mathématique clairement identifiable. En effet, la flexibilité du regard relève davantage d’une compétence transversale. Deuxièmement, cette compétence se développe sur le long terme, et nécessite par conséquent des conditions spécifiques de mise en œuvre par les enseignant·es comme proposer des séries de problèmes qui travaillent sur des aspects différents de cette compétence.
27Or, lors d’un enseignement par la résolution de problèmes, les enjeux sur le long terme s’avèrent plus complexes à appréhender que ceux à plus court terme où les enjeux peuvent être mis en œuvre même dans des problèmes isolés.
28Sur la base de ce constat, il convient de se demander si le problème vient d’une difficulté de compréhension et d’identification liée à la particularité de notre second enjeu, plus transversal qui le rendrait inaccessible. Ou bien est-ce qu’un tel enjeu sur le long terme, caractéristique de l’enseignement par la résolution de problèmes, fait obstacle ?
29Pour pallier cette difficulté, plusieurs pistes peuvent être investies afin de penser différemment l’accompagnement des enseignant·es dans la prise en main de la ressource et de ses particularités. Nous pouvons par exemple opter pour une ressource plus « guidante » en proposant des assortiments de pièces « clé en main » afin de s’assurer de l’atteinte des objectifs visés. Il est également possible de faire apparaître dans la ressource des questionnements sur les institutionnalisations à proposer au fil des activités de la ressource. Ces dernières ne seraient ainsi pas exclusivement consacrées aux caractéristiques des formes, mais également à l’enjeu plus global de la ressource. Dans la même lignée, on pourrait intégrer dans la ressource des éléments sur les évaluations à proposer durant et au terme de l’enseignement afin de ne pas se restreindre uniquement aux caractéristiques des formes. Cette dernière ligne de réflexion sera examinée dans la troisième section de ce chapitre. Nous allons maintenant nous intéresser plus directement aux apprentissages des élèves.
Les apprentissages par la résolution de problèmes
30Afin d’identifier les effets de l’accent mis sur la résolution de problèmes concernant les apprentissages visés, nous nous intéressons aux interactions des élèves avec le milieu pour les problèmes individuels et aux interactions verbales pour des problèmes en groupes ou collectifs. En nous appuyant sur quelques exemples, où l’une d’entre nous faisait la classe, nous allons analyser aussi bien les échanges entre les élèves que ceux avec l’enseignante. Dans un premier temps, nous nous focalisons sur les interactions des élèves avec le milieu afin d’identifier en quoi les choix didactiques de construction du milieu agissent sur les connaissances des élèves. Dans un deuxième temps nous analysons les interactions verbales entre les élèves ou entre les élèves et l’enseignante.
Études des interactions entre les élèves
31Voici trois exemples dans lesquels l’élève doit retrouver le gabarit d’un pochoir donné et valider son choix à l’aide de l’encastrement. Dans le premier exemple, il est possible de recommencer plusieurs fois, nous parlerons alors d’encastrement libre, car peu de contraintes entravent la recherche de l’élève, alors que dans les deux autres exemples, un seul essai par pochoir est autorisé.
32Dans cet exemple les formes mises à disposition ont un aspect global proche, afin de favoriser le travail sur les caractéristiques. L’élève a les 47 pièces à sa disposition et bénéficie d’autant d’essais que souhaité. La validation des associations se fait par encastrement du gabarit dans le pochoir. La figure 38 présente un enchaînement d’essais de gabarits pour un même pochoir modèle choisi par l’élève Charlie.
33Pour son premier essai, Charlie utilise un gabarit dont l’aspect est perceptivement proche de la forme de son pochoir. On peut supposer que la visualisation iconique a été utilisée. Lors de sa tentative d’encastrement, le milieu invalide son choix, le gabarit coince au niveau des deux bords courbes. Cette invalidation surprend et questionne l’élève qui repère rapidement la présence de bords courbes. Charlie touche alors un bord courbe du pochoir et accompagne son geste de « Ah oui parce qu’il y a un arrondi ! » L’invalidation par encastrement lui permet de prendre en compte une caractéristique qui ne l’avait pas été lors de la première recherche : la présence de bords courbes. Le deuxième gabarit choisi est rapidement écarté sans tentative d’encastrement. Le troisième gabarit contient cette fois-ci deux bords courbes. On peut supposer que la caractéristique identifiée précédemment est devenue un critère de recherche, c’est-à-dire que Charlie a utilisé, cette fois-ci cette caractéristique. L’encastrement ne valide toujours pas le gabarit. Pour finir, le quatrième gabarit possède des bords courbes non symétriques, comme pour le pochoir modèle. Là encore on peut supposer que l’élève a utilisé la caractéristique « bords courbes opposés non symétriques2 ». Après cette dernière invalidation, Charlie change de pochoir et recommence une nouvelle recherche. On voit dans l’évolution des formes choisies et testées que le critère de ressemblance perceptive avec le pochoir disparaît progressivement au profit de la prise en compte d’une caractéristique : des bords courbes opposés non symétriques. On peut supposer que Charlie a délaissé une visualisation iconique pour se focaliser sur les caractéristiques des bords courbes opposés et non symétriques.
34Ce premier exemple illustre que les interactions avec le milieu favorisent la prise en compte des caractéristiques dans la recherche du gabarit et semblent permettre à l’élève de faire évoluer sa visualisation iconique par une prise en compte des caractéristiques. Cependant, en se focalisant sur ces caractéristiques révélées par le milieu, l’élève semble délaisser les autres caractéristiques.
35Il est aussi important de noter que lors des tentatives d’encastrement, Charlie prend le temps de comprendre pourquoi ça ne s’encastre pas, ce qui lui permet d’identifier des caractéristiques non satisfaisantes. Il y a donc une interprétation pertinente par l’élève des rétroactions du milieu liées à l’invalidation par encastrement.
36Dans ce premier problème, les différentes tentatives d’encastrement deviennent ainsi une source d’expériences qui peuvent être réinvesties dans les problèmes suivants. Contrairement au problème d’encastrement libre, qui peut ne pas être un problème pour l’élève, mais simplement un jeu d’association avec essais à l’infini, le problème Retrouve la bonne forme à distance est conçue pour être un problème pour les élèves. La stratégie de base qui s’appuie uniquement sur une visualisation iconique est mise en défaut par deux choix didactiques essentiels. Le premier choix est que l’élève ne peut plus voir les pochoirs et gabarits simultanément, les gabarits étant trop éloignés visuellement des pochoirs. Le deuxième consiste à enlever à l’élève la possibilité de recommencer indéfiniment, un seul essai est possible. Comme dans l’activité précédente, chaque invalidation peut apporter des informations sur les caractéristiques non compatibles. De plus, l’impossibilité de répéter l’essai peut inciter les élèves à élaborer des stratégies plus efficaces. Ces deux conséquences peuvent permettre une évolution des stratégies, et donc des connaissances, pour prendre en compte les caractéristiques des formes dans les problèmes d’association.
37La figure 39 présente la résolution du problème par Andrea faite avec six formes. Pour chaque forme, l’association proposée par l’élève est présentée avec le pochoir et à côté le gabarit choisi par l’élève. L’assortiment de formes à disposition de l’élève et choisi par l’enseignante contient volontairement des formes perceptivement proches, dans le but explicite d’inciter à une prise en compte des caractéristiques. Pour la première forme, Andrea choisit un gabarit à l’aspect perceptivement proche, mais qui ne convient pas. Les trois associations suivantes sont réussies et finalement les deux derniers gabarits choisis ne sont pas les bons, mais restent perceptivement proches des pochoirs.
38L’évolution des procédures d’Andrea est variable au cours du problème. L’erreur de la première forme provient peut-être du fait que l’élève ne connaissait pas l’assortiment complet de pochoirs. Dans ces conditions, il est difficile d’identifier quelles sont les informations à prendre en compte pour distinguer une forme parmi d’autres. Cette inconnue peut expliquer l’échec avec la première forme, mais pas avec les dernières. L’invalidation du premier essai a peut-être aussi influencé les réussites des formes 2, 3 et 4 dans le fait de prendre en compte les bords arrondis. Cependant cette caractéristique n’est plus prise en compte pour les deux dernières formes. Peut-être l’aspect très irrégulier (la forme 5, respectivement 6, n’est pas symétrique contrairement à la forme 1, respectivement 2) des formes rend l’identification des caractéristiques plus laborieuse.
39Une autre élève travaille sur la même table, avec un assortiment différent de formes, mais aussi perceptivement proches, et enchaîne les erreurs. On sollicite alors Andrea pour l’aider et on lui demande ce qu’il faut retenir du pochoir pour aller chercher le gabarit associé (figure 40), Andrea énumère les caractéristiques discriminantes. Ainsi, Andrea est capable d’identifier les informations discriminantes pour retrouver le bon gabarit, mais cette stratégie ne semble pas stabilisée pour toutes les formes.
40Cette évolution des erreurs se retrouve chez d’autres élèves qui enchaînent réussites et échecs au cours d’un même problème. Les réussites des élèves sont très variables et aucune stratégie ne semble se fixer sur la durée de la séance, chaque nouvelle recherche étant comme une redécouverte du problème et la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie, d’un nouveau regard.
41La variété des activités proposées permet aux élèves d’expérimenter différents regards sur les formes. Sur une échelle de temps plus longue néanmoins, les procédures des élèves évoluent au cours de la séquence didactique. Par exemple Charlie résout divers problèmes, résultant de différents choix didactiques, mais visant tous le double objectif : développer la visualisation non iconique par un travail sur les caractéristiques et la flexibilité du regard. Vers la fin de la séquence, Charlie se retrouve avec un assortiment de formes perceptivement proches (figure 41) et parvient à trouver le bon gabarit dès le premier essai pour chacune des six formes de l’assortiment.
42Finalement, Charlie réussit au cours de la séquence à investir les caractéristiques a minima (peut-être même avec une certaine flexibilité du regard, mais rien ne peut nous l’assurer). C’est bien la multiplication des interactions (validations et invalidations) avec le milieu qui lui ont permis de maîtriser une telle procédure.
43On peut voir avec les exemples de Charlie et d’Andrea que la prise en compte des caractéristiques se développe au cours de la séquence. L’évolution au cours d’un problème semble fragile, mais elle se confirme à l’échelle de la séquence. Cependant, les seules manipulations des élèves ne nous renseignent pas sur la visualisation mobilisée par les élèves au cours de leurs recherches. C’est pour cela que nous avons complété nos analyses par l’étude des interactions verbales entre élèves et avec leur enseignante.
Études des interactions verbales
44Deux types d’interactions verbales vont être présentés. Tout d’abord des interactions entre les élèves lors du Jeu de l’étoile. Puis les interactions entre les élèves et l’enseignante lors d’échanges argumentatifs dans le problème des Familles. Ces activités sont propices à des moments de formulations qui apportent de nouvelles informations sur les regards que les élèves mobilisent sur les formes en jeu.
45Le premier exemple porte sur l’activité de communication Jeu de l’étoile. Les élèves travaillent par deux, l’élève émetteur·trice possède deux pochoirs, dont l’un marqué d’une étoile (*), et l’élève récepteur·trice possède les deux gabarits correspondants. L’élève émetteur·trice doit donner des informations afin que l’élève récepteur·trice trouve quel gabarit correspond au pochoir indiqué par l’étoile. Dans ce problème de communication, les élèves doivent identifier et communiquer des informations discriminantes pour distinguer une forme d’une autre. Il est aussi possible de décrire la forme par ce à quoi elle ressemble, dans une visualisation iconique, ou à partir de ses caractéristiques. La flexibilité du regard se caractérise par la capacité à mêler les informations sur la forme globale et sur des caractéristiques, de façon à ce que la description soit la plus pertinente. Les interactions dans l’action entre les deux élèves peuvent permettre une évolution des informations avant la validation par encastrement. Souvent les deux élèves échangent au cours du problème. Parfois l’élève récepteur·rice demande des informations supplémentaires à l’émetteur·trice. Enfin, parfois l’élève émetteur·trice ne considère que la forme avec l’étoile sans regarder l’autre forme. Dans ce cas elle ou il se prive de certaines caractéristiques qui permettraient d’éliminer la forme non désirée.
46La figure 42 présente un exemple où l’élève émetteur·trice utilise la caractéristique du nombre de côtés qui ne peut être concluante, les deux formes possédant 7 côtés.
47La caractéristique du nombre de côtés ou du nombre de sommets est souvent utilisée par les élèves, cependant dénombrer les sommets n’est pas toujours aisé selon les formes présentes. La figure 43 est un exemple d’élève récepteur qui ne considère comme sommet (qu’il appelle points) que les sommets sortants.
48Dans ces échanges, l’élève émetteur pointe l’oubli de l’élève récepteur, mais cet oubli peut aussi provenir d’une connaissance erronée du concept de sommet. L’interaction entre les élèves peut aussi avoir des impacts sur leurs connaissances des objets géométriques considérés.
49La figure 44 présente une interaction entre les élèves qui permet d’affiner le message et le regard de l’émetteur.
50Dans un premier temps l’élève s’appuie exclusivement sur le dénombrement des côtés, et cet exemple démontre bien la difficulté du dénombrement associé au concept de côtés. Finalement au cours des échanges c’est la caractéristique des sommets qui permet de conclure la recherche.
51Cette activité de communication intervient une fois que les élèves connaissent un peu mieux la collection de formes, et parviennent à mobiliser des caractéristiques. On voit bien à travers les exemples que la prise en compte des caractéristiques est devenue une stratégie accessible chez les élèves. Cependant le choix des caractéristiques discriminantes (figures 42 et 44), ou les objets géométriques derrière la caractéristique (figures 43 et 44) ne sont pas toujours maîtrisés. Lors de cette activité de communication, quelques élèves utilisent une flexibilité du regard, comme par exemple dans la figure 45.
52Dans ces échanges l’élève émetteur utilise la caractéristique des sommets « il a des pics » puis complète à la demande de l’élève récepteur par une caractéristique des bords qui utilise aussi une visualisation iconique dans sa référence à l’arc-en-ciel. Pour cet exemple on voit chez l’élève une flexibilité du regard qui utilise conjointement les caractéristiques et une visualisation iconique.
53L’utilisation du nombre de côtés ou de sommets dans les échanges est très présente. Cependant, les élèves ne maîtrisent pas toujours le comptage ou ont une représentation personnelle non partagée de ce qu’est un côté ou un sommet. La nécessité d’une référence commune aux deux élèves se révèle ici essentielle. Elle peut se construire au cours des échanges. On voit aussi que les élèves adaptent leur visualisation au duo de formes et aux besoins de l’élève récepteur·trice. Ainsi les échanges entre les élèves au cours de la recherche permettent la prise en compte des caractéristiques, voire une flexibilité du regard.
54Dans ce problème du Jeu de l’étoile, les interactions entre les élèves leur permettent d’atteindre un but commun. Dans l’exemple suivant, les élèves vont devoir formuler leurs stratégies pour convaincre les autres élèves de la validité de leurs choix.
55Le problème des Familles permet d’évaluer les connaissances des élèves à travers leurs justifications. Un assortiment de formes est donné à un groupe d’élèves. Chaque élève du groupe doit réaliser un classement des formes en familles selon ses propres critères. Une fois le classement réalisé, l’élève présente ses différentes familles. Voici un exemple réalisé avec un groupe de deux élèves. Loane présente ses trois familles et Sacha participe aux échanges. La figure 46, la figure 47 et la figure 48 présentent les familles réalisées par Loane et ses justifications. La figure 49 présente la discussion entre l’enseignante et les deux élèves.
56La forme 12 (figure 48) qui est elle aussi proche d’un rond n’est pas choisie pour cette famille. Toutefois, on peut supposer que le choix des formes de cette première famille s’appuie probablement sur une visualisation iconique pour deux raisons. Tout d’abord bien que les formes ne soient pas des ronds, elles ressemblent à des ronds, ce qui caractérise une visualisation iconique. Ensuite, les deux formes choisies sont perceptivement proches de par leur aspect. L’élève justifie ses choix des formes par un critère de taille et une association perceptive à un rond.
57Cette deuxième famille contient un nombre important de formes qui sont assez différentes visuellement les unes des autres, sauf les formes 4, 5 et 6. La forme 7 a été ajoutée au début de la présentation de la 3e famille. La diversité des formes choisies laisse penser que l’élève n’a pas utilisé une visualisation iconique. Dans sa justification, si on considère que les pointes sont des sommets, alors on peut faire l’hypothèse que l’élève mobilise les caractéristiques. Elles ne semblent pas être le seul critère d’association de ces formes, car Loane avoue que les formes 4 et 6 se ressemblent. L’association de ces deux formes serait alors le résultat d’une visualisation iconique. Cette famille serait le résultat d’une flexibilité du regard sur l’assortiment de formes, des formes qui ont des pointes et dont certaines se ressemblent.
58La troisième famille est la famille des arrondis, elles sont toutes assez différentes perceptivement sauf les formes 9 et 11. Dans sa justification c’est bien la courbure des côtés qui est mise en avant par l’élève, c’est-à-dire une caractéristique.
59Suite à sa présentation, Sacha intervient et soulève une contradiction entre les arguments présentés et les choix réalisés (figure 49).
60La forme 4 de la famille 2 possède effectivement une caractéristique (un arrondi) correspondant au critère de la famille 3. Elle devrait donc être dans la famille 3. Cependant Loane relève, à juste titre, qu’elle possède aussi des pointes. Mais l’enseignante intervient et considère la forme 11 avec des arrondis et des pointes. Les formes 4 et 11 ont toutes les deux des arrondis et des pointes et pourtant elles sont dans des familles distinctes… finalement, Loane ne revient pas sur sa décision et conserve son classement.
61Cet échange permet de saisir la complexité de la réflexion des élèves. En effet, Loane semble adapter constamment son regard selon la forme considérée. Ainsi elle navigue entre visualisation iconique et non iconique, c’est-à-dire que la flexibilité du regard est mise en œuvre en continu, selon ce que certaines formes lui renvoient. On voit cependant que la visualisation iconique reste la vision qui l’emporte en cas de litige (formes 11 et 4). Comme pointé précédemment, ces deux formes sont particulières, car elles sont perceptivement proches. Loane refuse de les dissocier et les considère comme « presque jumelles ». Ainsi pour son classement Loane a utilisé conjointement les caractéristiques pour dissocier les formes de la famille 2 et 3, mais aussi une visualisation iconique pour les formes 4 et 11. Cette deuxième visualisation reste prédominante pour les formes 4 et 11, ainsi que pour les formes 1 et 2. Il aurait été possible de bouleverser ces choix en exigeant 2 familles uniquement. Dans ce cas, les familles pourraient être changées, obligeant un regard encore différent sur chaque forme.
62La formulation des stratégies de classement permet aux élèves de confronter leurs perceptions des formes lors de leur présentation. En effet, selon les formes de la collection, les élèves vont mobiliser une visualisation iconique ou non-iconique. En revanche tous les élèves ne donneront pas la même priorité à chaque visualisation. Dans l’exemple, Sacha garde le focus sur les caractéristiques tout au long de la présentation de Loane et remet en question les justifications qui s’en écartent. Ces échanges peuvent permettre aux élèves d’enrichir leur regard et de le justifier selon leurs conditions de classements.
63Ces exemples d’interactions verbales nous dévoilent ce que les élèves identifient dans les formes géométriques. Elles ou ils peuvent se focaliser sur des sous-éléments comme la caractéristique du nombre de côtés. Les élèves peuvent aussi considérer des ressemblances avec des objets familiers comme un arc-en-ciel ou un rond. Ce que l’on constate c’est que les élèves utilisent beaucoup le nombre de côtés (ou de sommets), ce qui est sûrement renforcé par la place qu’occupe le nombre dans les premiers apprentissages mathématiques. Cependant les concepts de côtés ou sommets sont utilisés sans être forcément compris. Il faut reconnaître que le sommet rentrant est peu présent dans les premiers apprentissages des formes simples surtout si on se restreint aux carré, triangle, rectangle et cercle. Le concept de côté est par contre plus présent, mais là encore dès que l’on sort des formes classiques, les connaissances sont remises en question. Chacune de ces nouvelles rencontres pourrait permettre aux élèves d’enrichir leurs représentations mentales de ces différents objets géométriques, ce qui pourrait être une étape clé dans le processus d’abstraction des formes vers les figures géométriques.
Conclusion
64Notre recherche s’intéresse aux premiers apprentissages des formes géométriques. La séquence conçue et observée utilise la résolution de problèmes. Les objectifs sont d’une part le développement d’une visualisation non iconique par la prise en compte de quelques caractéristiques et d’autre part le développement d’une flexibilité du regard entre visualisation iconique et non iconique. Un jeu sur les variables didactiques permet d’atteindre ces deux objectifs en engendrant une grande variété de problèmes. Ainsi les connaissances des élèves sont constamment sollicitées et doivent s’adapter aux nouvelles contraintes de chaque problème. Les collections proposées aux élèves peuvent contenir des formes perceptivement proches pour rendre inefficace la visualisation iconique et ainsi favoriser la prise en compte des caractéristiques. Dans le premier exemple, avec Charlie, nous voyons que même si le milieu est peu antagoniste, la validation par encastrement constitue une rétroaction forte que l’élève peut utiliser pour s’orienter vers les caractéristiques. On peut aussi voir dans l’exemple 2 avec Andrea que chaque nouvelle association de pièces agit comme un nouveau problème pour l’élève qui semble ne pas utiliser une stratégie unique pour toute la durée du problème. L’enchaînement des réussites et non-réussites lors d’un même problème peut être l’effet de la mise en place d’une flexibilité du regard. Cette flexibilité semble prendre du temps pour s’installer et devenir efficace. Dans l’exemple 3 (Jeu de l’étoile), les élèves utilisent principalement les caractéristiques des formes, peu mobilisent une visualisation iconique qui serait pourtant parfois plus économique. Dans le problème des Familles la flexibilité du regard semble plus présente, les élèves jouent sur l’alternance des visualisations. Finalement, dans les derniers problèmes d’association, les élèves parviennent à mobiliser des stratégies efficaces et sûres qui laissent encore penser à une flexibilité du regard.
65On voit donc que la résolution de problèmes joue un rôle important pour la reconnaissance de formes au cycle 1. En effet, les exemples montrent que les interactions soit avec le milieu, soit entre les élèves, soit avec l’enseignante, permettent effectivement aux élèves, d’une part, de prendre en compte les caractéristiques des formes et, d’autre part, de développer leur flexibilité du regard. Ce développement est obtenu par l’enchaînement des différentes séances, comprenant chacune des contraintes propres, qui évoluent au cours de la séquence. Les spécificités essentielles semblent être les interactions avec le milieu et avec les autres protagonistes de chaque situation qui permettent de questionner et tester en continu les connaissances des élèves. Ainsi la résolution de problèmes agit tout au long de la séquence et installe l’élève dans la recherche permanente d’une stratégie, efficace pour la résolution du problème.
66Ces constats de progrès sont obtenus par une analyse assez fine des observations des élèves. Qu’en est-il du côté des enseignant·es ? Comment les connaissances des élèves, à la fois sur l’usage des caractéristiques, mais aussi sur la flexibilité du regard peuvent-elles être évaluées par la communauté enseignante ?
Enjeux d’évaluation dans un enseignement par la résolution de problèmes
67Dans le cadre de l’enseignement qui a été brièvement présenté, nous allons à présent développer deux aspects liés à la question de l’évaluation. Tout d’abord, nous discutons la question de l’évaluation en lien avec la nature des problèmes proposés. Les problèmes proposés ne sont en effet pas toujours transposables en problème d’évaluation. Ensuite, nous abordons la question de l’évaluation comme piste éventuelle pour remédier aux obstacles pointés dans la première section concernant l’appropriation de la ressource par les enseignant·es. À cet effet quelques propositions d’évaluations concernant les objectifs sur le développement des caractéristiques des formes puis ceux plus complexes sur la flexibilité du regard sont présentées.
68À l’origine, dans le document d’accompagnement de la ressource, la question de l’évaluation n’a pas été développée. L’un des problèmes phare de la ressource (Des familles à construire, p. 23) est toutefois décrit comme pouvant être utilisé pour l’évaluation diagnostique et/ou formative. Il est également bien précisé que ce problème n’a pas de réponse unique attendue et, par conséquent, qu’il importe de se baser sur la justification produite par les élèves pour les évaluer.
69Concernant les différentes caractéristiques travaillées à travers la ressource, seul le nombre de côtés figure explicitement dans le Plan d’études romand (PER)3. Ainsi, l’ensemble des problèmes participe à la prise en compte des caractéristiques des formes sans qu’il soit institutionnellement attendu que celles-ci soient contrôlées via une évaluation certificative.
70Toutefois, l’importance des contraintes institutionnelles ainsi que le constat de quelques maladresses observées dans les pratiques évaluatives effectives nous ont amenés à ajouter quelques problèmes d’évaluation à la ressource.
Quels problèmes pour évaluer les objectifs long terme et court terme ?
71Voici un premier exemple d’une évaluation proposée par une enseignante suite à l’utilisation de notre ressource dans une classe genevoise avec des élèves de 6-8 ans. L’enseignante choisit de reprendre pour l’évaluation un problème tiré de la ressource et déjà réalisé en classe en modifiant l’assortiment de formes proposé aux élèves. Les formes de l’assortiment sont perceptivement proches. La consigne demande à l’élève d’aligner les formes de sorte qu’entre chacune d’elles, une seule caractéristique diffère. L’élève doit être en mesure de justifier ses choix en fonction des caractéristiques des formes. Ce sont donc ici essentiellement les connaissances autour des caractéristiques qui sont évaluées.
72Dans la ressource l’assortiment de pièces suivant est donné en exemple (figure 50).
73Afin de montrer les enjeux de ce problème aux enseignant·es, deux exemples de réponses possibles sont proposés et discutés dans le document d’accompagnement de la ressource. Il s’agit ainsi de mettre en évidence la particularité de ce problème qui n’a pas de solution unique attendue. L’accent est mis sur la capacité de l’élève à justifier ses choix. Ce problème est aussi l’occasion d’amorcer des discussions sur les influences réciproques entre les caractéristiques. Par exemple, lorsque l’on passe d’un bord courbe à un bord droit (ou inversement), cela conduit parfois à modifier le nombre de côtés. Selon les choix d’assortiments opérés, il est même possible que cela ne puisse pas être évité. Ce cas de figure est représenté dans l’exemple de la figure 51a. Toutefois, si l’élève en a conscience et le mentionne dans sa justification, la solution peut être validée. Un cas de figure similaire apparaît en passant d’une forme non symétrique à une forme symétrique qui modifie aussi la mesure de la longueur des côtés comme dans l’exemple de la figure 51b. Ainsi, selon les assortiments choisis, il est parfois impossible de mettre côte à côte deux formes qui ne diffèrent que par une seule caractéristique.
74Dès lors, l’intégration de ce problème dans une évaluation nécessite une réflexion particulière, car il n’a pas été conçu à cet effet.
75Regardons à présent ce que l’enseignante propose à ses élèves lors de l’évaluation. Voici sur la figure 52 le choix de l’assortiment effectué par l’enseignante pour le problème d’évaluation. La consigne est la suivante : « Découpe puis colle les formes à la suite de sorte qu’entre chaque forme une et une seule caractéristique soit différente de la précédente. »
76Selon la consigne et la production de l’élève, il semble qu’aucune justification n’ait été exigée par l’enseignante. Il y a par conséquent un détournement du problème initial, car elle n’évalue pas la justification mais seulement la solution, alors que dans la ressource l’objectif du problème est que l’élève soit capable de formuler des connaissances dans ses justifications.
77Aussi quand on regarde la correction par l’enseignante de la production d’un élève, plusieurs constats peuvent être faits (figure 53).
78Bien que le nombre de côtés et la nature des bords (courbe/droit) soient modifiés entre la première et la deuxième forme, la réponse semble être validée, comme lorsque le problème a été réalisé en classe. Or dans le passage de la deuxième à la troisième forme, la proposition de l’élève n’est cette fois pas validée par l’enseignante. Pourtant, il s’agit une nouvelle fois du passage d’une figure avec des bords droits à une figure avec des bords courbes. Dans ce cas particulier, c’est toute la forme qui devient courbe impliquant de fait une modification encore plus importante du nombre de côtés, mais qui reste sur la même logique. Ainsi, il est difficile de comprendre pourquoi ce choix serait davantage erroné que le précédent.
79Si nous analysons plus finement la production de l’élève et la correction de son enseignante, nous remarquons que presque tous les passages d’une forme à l’autre pourraient être questionnés. De fait, il apparaît que si ce type de problème est riche du fait des échanges qu’il suscite, il n’est pas fait pour être utilisé en évaluation étant donné qu’une réponse unique n’est pas attendue et que l’enjeu se situe davantage au niveau de la qualité de l’argumentation que du résultat. Gardons également à l’esprit qu’avec des élèves de cet âge le passage par l’écrit peut s’avérer un obstacle, indépendamment de leur niveau en mathématiques et que réclamer des justifications écrites dans une évaluation demeure délicat. Ces constats nous ont ainsi amenées à repenser l’évaluation et à faire quelques propositions dans notre ressource.
Quelles évaluations pour quels objectifs ?
80Dans ce qui suit, les trois problèmes d’évaluation ajoutés à la ressource sont décrits et analysés. Ces derniers permettent d’évaluer si les élèves sont capables d’utiliser des caractéristiques des formes, avec un recours aux caractéristiques discriminantes en fonction des formes à disposition et pour finir si les élèves sont capables d’exhaustivité. Ces compétences relèvent toutes d’un seul des objectifs de la ressource, à savoir l’enrichissement des caractéristiques des formes chez les élèves. Deux pistes concernant le second objectif seront finalement explorées avant de conclure.
81Bien que les élèves concernés soient jeunes, nous proposons des évaluations impliquant des descriptions ou justifications écrites en ayant conscience que cela pourrait prétériter certains d’entre-elles et eux plus faibles en français et du coup questionner la validité de l’évaluation.
82Le premier problème permet d’évaluer la capacité des élèves à recourir à des caractéristiques des formes (figure 54). Dans cette proposition, il est demandé aux élèves de trouver des points communs ou des différences entre deux formes distinctes, l’idée étant de mettre en évidence que même si deux formes se ressemblent, des caractéristiques les séparent et inversement.
83Voici quelques exemples de réponses d’élèves (figure 55) à la proposition des formes ci-dessus (figure 54). L’exhaustivité n’est pas requise dans ce problème et on voit que les élèves se contentent généralement de ne donner qu’un point commun. Dans les exemples suivants, les arguments portent sur le nombre de côtés, les égalités de longueurs et la présence ou non de bords droits. En dehors de ces exemples, une grande variété d’arguments a été répertoriée pour ce problème.
84Dans le premier exemple, bien que l’élève se focalise sur une caractéristique, sa proposition ne répond pas à la demande. En effet, c’est la différence entre les deux formes qui est mise en évidence (nombre de côtés) alors que le contraire est demandé. Dans les trois exemples suivants, les caractéristiques mobilisées permettent de mettre en évidence une caractéristique commune entre les deux formes.
85Le deuxième problème demande à l’élève de choisir une caractéristique qui discrimine une forme parmi d’autres dans un assortiment. La justification peut être écrite mais aussi orale, sous forme de dictée à l’adulte (figure 56).
86Selon les assortiments, il est possible que les élèves justifient leur choix par des aspects de ressemblance plutôt qu’en lien avec les caractéristiques des formes. Bien que cette procédure ne soit pas spécifiquement visée, elle n’en reste pas moins efficace selon les assortiments choisis.
87Dans l’exemple de la figure 56, l’élève peut identifier la forme avec quatre côtés parmi celles qui en ont cinq, ce qui est relativement facile à justifier et qui correspond bien à une caractéristique discriminante. À l’inverse, l’élève qui retire cette même forme à quatre côtés « parce qu’elle n’a que des côtés droits » fait bien recours à une caractéristique, mais qui n’est pas discriminante par rapport aux autres formes. Partant de cet exemple, d’autres choix sont possibles. Par exemple, la deuxième forme se distingue des autres par des aspects de mesures : sa surface a globalement une aire plus grande et l’un de ses angles est plus aigu (un de ses coins est plus pointu) que les autres. Ainsi, bien que cette justification ne porte pas sur les caractéristiques géométriques, mais sur des aspects de mesure, elle n’en est pas moins valide. Il est dès lors essentiel que les enseignant·es ne péjorent pas ces choix dans leur évaluation.
88Toutefois, les réponses des élèves à cette évaluation ne sont pas toujours évidentes à interpréter. Par exemple, l’élève qui entourerait une forme sans apporter de justification nous laisserait dans l’impossibilité d’interpréter son choix. Dans certains cas, la présence de justifications ne suffit pas. Que penser de l’élève qui indiquerait que : « C’est la seconde forme qui est différente car elle ressemble moins aux autres ? » Peut-on attribuer cette ressemblance aux caractéristiques, aux aspects de mesure ou à une perception encore trop globale et non outillée ? On voit ainsi les limites de ce type de problème d’évaluation.
89Pour finir, dans le troisième et dernier problème (figure 57), l’élève doit faire preuve d’exhaustivité dans les caractéristiques utilisées. En effet, chaque forme impliquée dans le problème ne comporte qu’une seule différence avec la forme marquée de l’étoile (respectivement le nombre de côtés, l’aspect convexe ou non, le caractère symétrique et la présence de bords droits ou courbes).
90Les propositions d’élèves pour ce problème d’évaluation sont très variées et rarement suffisantes pour retrouver la forme marquée de l’étoile. Lorsque les caractéristiques seules sont utilisées, elles sont rarement suffisamment exhaustives afin de discriminer la forme parmi les autres. Un certain nombre de productions d’élèves se base aussi sur d’autres aspects tels que la mesure, la ressemblance globale ou encore la décomposition de la forme en sous-formes connues. Dans la production de la figure 58, l’élève mixte ces trois différents arguments : le nombre de côtés, la décomposition en deux triangles et un rectangle puis la ressemblance à un bouclier.
91Malgré leurs intérêts respectifs, aucun de ces trois problèmes ne permet véritablement d’évaluer la flexibilité du regard. Ainsi, alors qu’il semble plus ou moins aisé d’évaluer si l’élève a construit des connaissances autour des caractéristiques des formes, des difficultés sont constatées concernant le deuxième objectif de la ressource. Une activité isolée peut effectivement suffire à évaluer le premier objectif, alors que cela est difficile pour le second. Ce qui pourrait expliquer cette difficulté réside dans le fait que dans le premier cas il s’agit d’évaluer des connaissances sur les caractéristiques qui se réfèrent à des savoirs géométriques précis, alors que dans le second il s’agit d’une connaissance plus diffuse, pas strictement mathématique, bien que nécessaire pour résoudre des problèmes mathématiques de façon efficace.
92Comme mentionné dans l’étude exploratoire menée auprès de quelques enseignant·es utilisant cette ressource en classe, les évaluations concernent exclusivement les apprentissages relatifs aux caractéristiques des formes. Il apparaît aussi que les institutionnalisations ne se rapportent qu’à cet aspect également. Partant de ce constat, nous choisissons, dans ce qui suit, d’explorer la possibilité de réguler cette difficulté en nous focalisant sur l’évaluation de la flexibilité du regard bien que par ailleurs cette connaissance n’apparaisse pas explicitement dans le PER.
93Deux pistes sont explorées :
- La première propose d’intégrer la variable du temps, avec la reprise d’un même problème à une année d’intervalle. L’analyse des réponses et le constat d’une éventuelle évolution permettent de révéler ou non un apprentissage de la flexibilité du regard.
- La seconde prend appui sur un problème isolé proposé lors d’une séance et qui recouvrirait les qualités nécessaires pour évaluer à partir des réponses des élèves leur capacité à adopter le regard le plus pertinent en fonction de la situation.
94Avec cette première piste, la flexibilité du regard chez un ou une élève est analysée à partir de l’évolution de ses procédures au fil du temps. Cette évaluation prend donc place dans un temps long, pratique peu ordinaire pour le corps enseignant.
95Dans cet exemple, l’élève a déjà travaillé avec quelques problèmes de la ressource durant sa première année de scolarité (1PH). En fin d’année, la chercheuse lui propose l’item présenté en figure 59. L’élève doit choisir la forme parmi les trois qui va le moins bien avec les deux autres et justifier oralement son choix à la chercheuse présente.
96Lors de notre premier passage en fin de 1PH, l’élève barre la dernière forme en indiquant pour les deux restantes « elles se ressemblent ». L’argument est clair et synthétique. La justification se base sur l’aspect global des deux formes qui ont deux sommets/coins rentrants et qui ont également la même orientation favorisant la vision de leur ressemblance.
97L’année suivante, en 2PH, l’élève poursuit le travail avec les problèmes de la ressource conçus pour ce niveau. Puis en fin d’année de 2PH, nous proposons une nouvelle fois le test comprenant les mêmes formes. L’élève fait le même choix, mais modifie son argumentation (figure 60) se focalisant cette fois sur certaines zones des deux pièces considérées comme allant bien ensemble et sur d’autres zones concernant l’intrus. Dans sa réponse, certaines zones sont entourées et « droit » est ajouté sur les deux premières, et « avec pic mais pas grave » sur la première, alors qu’il est indiqué des « pointus » dans la dernière forme. L’élève essaie ainsi de réinvestir ses connaissances acquises sur les caractéristiques des formes durant l’année plutôt que sur l’aspect global qui était pourtant tout à fait efficace. Finalement ses arguments sont bien moins convaincants.
98Ayant travaillé durant l’année sur l’enrichissement des caractéristiques des formes par le biais des problèmes de la ressource, il est possible que, par un effet de contrat didactique, l’élève tente de les mobiliser en situation de test. Il semble donc qu’il ou elle ne soit pas encore capable d’utiliser l’argument le plus efficace en fonction du problème proposé.
99La deuxième piste tend à évaluer la flexibilité du regard des élèves à partir des procédures mobilisées instantanément dans la résolution d’un problème. Cette pratique est donc plus habituelle pour les enseignant·es, car elle peut se réaliser à n’importe quel moment de la séquence.
100Un exemple de consigne est proposé avec la figure 61.
101Nous proposons ci-dessous quelques productions d’élèves qui révèlent différents niveaux de maîtrise des connaissances visées par les problèmes de la ressource (figure 62).
102Dans cet exemple (figure 62), on note une maîtrise insuffisante par l’élève des caractéristiques qui sont énoncées avec un vocabulaire approximatif. Ainsi, la personne qui reçoit ses instructions va devoir les interpréter avec les risques que cela comprend. Il semble bien que pour l’élève, les côtés pointus sont les sommets, les lignes « droites » sont les côtés horizontaux et les diagonales les côtés rectilignes qui ne sont ni horizontaux ni verticaux. Outre les ambiguïtés d’interprétations possibles, cette description est dépendante de l’orientation des formes qui n’est pas la même entre les deux élèves.
103Dans ce deuxième exemple (figure 63), les caractéristiques choisies, bien que compréhensibles, ne sont pas suffisantes pour trouver la forme sélectionnée. En effet, sept formes correspondent à cette description. Ici une argumentation efficace pourrait consister à commencer par une description globale de la forme (par exemple en disant que c’est en forme de coude ou de pont) ce qui permettrait d’emblée d’en écarter plusieurs et en particulier toutes les autres ayant deux bords arrondis. Cette argumentation complétée par la proposition de l’élève permettrait alors de trouver la bonne forme comme la seule parmi les coudes (ou ponts) ayant deux bords arrondis.
104Comme pour l’exemple précédent, dans cet exemple (figure 64), la réponse de l’élève qui se focalise entièrement sur une des caractéristiques ne donne pas suffisamment de critères afin d’identifier la bonne forme. De plus, les deux formes restantes ayant des aspects globaux semblables (formes de poisson), la réponse de l’élève devrait donc être complétée par une autre caractéristique (en rajoutant par exemple que la forme est symétrique). Avec cet exemple on comprend donc l’importance de s’adapter à l’assortiment de formes donnée et donc à la situation particulière afin d’opérer un choix.
105Dans cet exemple (figure 65), l’élève ne fait référence qu’à l’aspect global de la forme. Dans ces cas précis, ce n’est pas suffisant.
106Dans ce dernier exemple (figure 66), l’élève mobilise tour à tour les caractéristiques et l’aspect global de la forme, ce qui permet à son camarade de retrouver sa pièce de manière assurée. L’ensemble de ses propos est nécessaire afin de retrouver la bonne pièce. Seule la redondance des deux dernières informations est inutile. Mentionner le nombre de côtés ou le nombre de sommets aurait suffi. Le fait de mentionner la ressemblance de la forme à un poisson permet de réduire le nombre de possibilités de 14 à 4, ce qui est tout à fait adéquat.
107Ainsi, parmi l’ensemble des exemples, seul ce dernier cas est significatif d’une flexibilité du regard chez l’élève. Ce problème isolé permet par conséquent de diagnostiquer assez finement l’état de connaissances des élèves par rapport au deuxième enjeu de la ressource.
Conclusion
108Rappelons les enjeux de l’enseignement en jeu dans ce chapitre. Il s’agit d’une séquence d’enseignement autour de la reconnaissance de formes qui s’appuie sur la résolution de problème comme outil. Nous avons construit un matériel spécifique composé de 47 formes non usuelles découpées dans du bois avec leurs pochoirs découpés dans des disques tous de même taille. Les problèmes décrits dans la ressource visent, à l’aide de notre matériel, à amener les élèves à dépasser une visualisation iconique au profit d’une visualisation non iconique prenant en compte les caractéristiques. Les choix de problèmes et d’assortiments de formes proposés permettent de favoriser progressivement une flexibilité du regard dans un objectif sur le long terme. Il est ainsi attendu que les élèves mobilisent la visualisation la plus efficace selon le milieu auquel elles ou ils sont confrontés. La validation utilise l’encastrement des gabarits dans les pochoirs. Si l’objectif de développer des connaissances sur les caractéristiques est atteignable à l’échelle d’une séance, le deuxième objectif, la flexibilité du regard, nécessite un temps plus long et doit s’installer progressivement tout au long de la séquence. Nos expérimentations ont montré que les élèves parviennent, à l’aide des interactions avec le milieu, à enrichir leur regard par la prise en compte de certaines caractéristiques. Cependant il est difficile de saisir dans quelle mesure la flexibilité du regard intervient sans formulation de l’élève. C’est pourquoi des activités de communication ou de formulation (dans des justifications) deviennent essentielles pour renseigner tant l’enseignant·e sur cette connaissance de l’élève que l’élève elle ou lui-même pour le développement d’un lexique partagé.
109Par ailleurs, il apparaît que la nature des problèmes proposés n’est pas toujours propice pour la mise en place d’évaluations certificatives, notamment en fonction de l’objectif à évaluer. Ainsi, évaluer la compréhension des élèves sur les caractéristiques de formes ne pose pas de problèmes particuliers. Les pratiques enseignantes observées et les propositions d’évaluation intégrées à la ressource montrent d’ailleurs que seule cette connaissance est prise en compte. À l’inverse, lorsqu’il s’agit d’évaluer une connaissance plus transversale, pas strictement mathématique, cela semble moins simple. Pour pallier cette difficulté, nous préconisons que dans les problèmes, les enseignant·es demandent explicitement aux élèves de justifier leurs choix et d’argumenter. Toutefois, le fait que les élèves soient jeunes rend cette demande délicate. De plus, il découle de ce type d’évaluation la nécessité d’une analyse des réponses d’élèves plus fine et coûteuse en temps pour l’enseignant·e que dans des évaluations habituelles. Quant à la proposition d’évaluer la flexibilité du regard des élèves via des tests éloignés dans le temps, cela relève davantage d’une pratique de recherche que d’enseignement. La tendance actuelle encourage les pré- et post-tests (notés ou non) en début et fin de séquence. Cela permet d’évaluer les progressions des élèves. Cependant cela reste peu commun dans les classes sur un temps long.
Notes de bas de page
1https://www.unige.ch/fapse/dimage/fr/recherche/reconnaissance-de-forme-geometrique/ [consulté le 18/05/2024].
2Cette formulation n’est bien sûr pas celle que l’élève va utiliser, Charlie peut très bien se construire une image mentale plutôt que des représentations discursives.
3https://portail.ciip.ch/per/disciplines/5 [consulté le 16/05/2024].
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La résolution de problèmes en mathématiques
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