Chapitre 1
Aperçu de la diversité des approches sur la résolution de problèmes1
p. 29-52
Texte intégral
Du problème à la résolution de problèmes
1Le concept de problème est au cœur de ce livre. Ce terme polysémique est très usité dans la vie courante. La résolution de problème est une problématique au cœur de nombreux travaux d’horizons et de fondements épistémologiques très divers qui relèvent de différents champs scientifiques. Nous n’avons pas l’ambition ici de tous les aborder, ni même de les citer. Toutefois, nous allons tenter d’en présenter plusieurs qui ont orienté nos réflexions et nos travaux, et qui nous ont permis de nous positionner.
2Du point de vue étymologique, l’origine grecque προ ́βλημα du mot problème indique « ce qu’on a devant soi, obstacle », ce qui met en avant l’idée qu’un problème engendre un obstacle, relatif à celui qui tente de le résoudre.
3La psychologue cognitiviste Weil-Barais (1993) considère comme problème toute situation caractérisée par trois ensembles :
un ensemble de données (des objets matériels, des actions, des événements, des représentations symboliques, linguistiques, graphiques, mathématiques, etc.) ;
un ensemble de questions qui précisent le but à atteindre ;
un ensemble de contraintes qui délimitent les actions du sujet. (Weil-Barais, p. 562)
4Elle ajoute qu’en jouant sur les éléments de ces trois ensembles, on peut différencier les problèmes proposés dans les études afin de les adapter aux objectifs visés. Mais cette caractérisation pourrait laisser penser qu’un problème est défini indépendamment du sujet. Or plusieurs auteur·es remettent vivement en cause cette indépendance avec le sujet (Brun, 1990 ; Fagnant & Demonty, 2016 ; Richard, 2004). Pour elles et eux, un problème se définit dans un rapport entre le sujet et la situation qui lui est proposée. Un problème ne l’est donc pas en lui-même, mais le devient en fonction des conditions dans lesquelles il est proposé. Proposer un problème à un sujet implique donc la prise en compte de facteurs liés non seulement à la situation, mais aussi au sujet. Ainsi, dans le contexte scolaire, un même énoncé, suivant les connaissances de l’élève à qui on le destine, suivant le moment où on le propose pendant la scolarité, suivant la gestion qui en est faite par l’enseignant·e en classe, suivant sa formulation, etc., peut faire l’objet d’une résolution où l’élève va mettre en jeu des procédures personnelles et nouvelles ou bien faire l’objet d’une procédure automatisée. Dans ce dernier cas, plusieurs auteurs, dont Schoenfeld (1985) et Julo (1995), parlent d’exercice, car il y a « une stratégie qui s’impose d’elle-même, une procédure que l’on n’a pas vraiment à élaborer (mais plutôt à appliquer) et donc une représentation que l’on n’a plus vraiment à construire » (Julo, 1995, p. 19). Richard (2004) précise dans le même sens qu’une situation est perçue comme un problème par un sujet à l’une des deux conditions suivantes : soit le sujet ne dispose pas des connaissances qui correspondent spécifiquement au problème posé, c’est-à-dire qu’elle ou il ne sait pas a priori que faire face à cette situation, soit les connaissances dont elle ou il dispose, et mobilise effectivement, se sont révélées inefficaces.
5Plus particulièrement, dans le contexte scolaire, une même tâche peut être considérée comme un problème à un certain niveau de la scolarité alors qu’elle deviendra plutôt un exercice d’application à des niveaux de scolarité ultérieurs. Et d’ailleurs, pour un niveau donné, même si la plupart des élèves peuvent percevoir une tâche comme un problème, il est tout à fait envisageable que pour certain·es du même niveau, cette tâche relève d’un exercice d’application.
6Ces considérations ne veulent cependant pas dire qu’un problème est constitué de n’importe quelle tâche complexe ou difficile, comme le souligne Schoenfeld (2013) :
That is, complexity or difficulty alone did not make a task a problem; solving a system of 100 linear equations in 100 unknowns without the use of technology might be a real challenge for me, but it is not a problem in the sense that I know how to go about getting an answer, even if it might take me a very long time and I agonize over the computations. (Schoenfeld, p. 10)
7Ainsi, face à un problème, un·e élève doit donc se lancer dans une forme d’activité qui vise à dépasser une difficulté, d’où le terme de résolution de problèmes qui peut se décrire sous forme d’un processus cognitif visant un but, sans que l’élève ait de méthode connue à mettre en œuvre (Mayer & Wittrock, 2006, p. 287). Toute la difficulté réside dans la manière de rendre compte de ce processus au cours duquel se passent des événements observables (paroles, gestes, calculs écrits, etc.), mais aussi des événements non observables (Weil-Barais, 1993, p. 565).
8Différentes approches psychologiques étudient la manière dont des sujets résolvent des problèmes généraux (c’est-à-dire qui ne prennent pas nécessairement appui sur des notions ou concepts mathématiques) indépendamment de tout contexte d’enseignement ou d’apprentissage. C’est l’objet de la première section de ce chapitre. Dans la deuxième section, nous nous centrons sur les différents processus, externe et interne, qui interviennent lors de la résolution de problèmes mathématiques. Enfin, nous adoptons un point de vue didactique pour aborder la résolution de problèmes mathématiques en tant qu’enjeu d’enseignement et d’apprentissage. Ainsi, dans ce qui constitue la troisième et dernière section de ce premier chapitre, nous situons la place occupée et le rôle joué par la résolution de problèmes dans différentes théories didactiques et enfin nous présentons des dispositifs et des courants pédagogiques centrés sur l’apprentissage de la résolution de problèmes mathématiques. Nous conclurons en précisant notre positionnement dans ce paysage pour mener les travaux de notre équipe.
Étude de l’activité de résolution de problèmes
9Comme nous venons de l’évoquer, résoudre un problème c’est mettre en œuvre un processus cognitif pour trouver une solution. Sans chercher l’exhaustivité, nous présentons de façon très synthétique les quatre approches qui, selon nous, résument l’essentiel de l’apport de la psychologie à la résolution de problèmes du point de vue des processus cognitifs en jeu. Les lecteurs et lectrices intéressées pourront trouver facilement plus de détails sur ce que nous abordons, notre but ici est de brosser un rapide tour d’horizon, pour mieux nous situer dans le paysage. En préambule, il nous paraît important de souligner que dans tous ces travaux, de manière générale, les problèmes étudiés ne sont pas représentatifs de ceux qui sont proposés dans la diversité du cadre scolaire. En effet, les énoncés des problèmes qui interviennent dans les études de psychologie ne font pas ou très peu intervenir de notions ou concepts mathématiques particuliers, même si leur résolution mobilise des raisonnements mathématiques. Ces raisonnements restent toutefois assez généraux et souvent plus d’ordre logique que strictement mathématique. Les tours de Hanoï est un des exemples les plus classiques de ce type de problèmes. Il s’agit de déplacer des disques de rayons différents sur des tiges afin de basculer d’une position de départ à une position d’arrivée, si possible en un minimum de coups, en respectant deux contraintes : il n’est possible de déplacer qu’un seul disque à la fois et un disque ne peut pas être posé sur un disque plus petit (figure 1).
10Une des origines de l’intérêt des psychologues pour la résolution de problèmes tient dans l’étude de différentes expériences menées en psychologie animale (Thorndike, 1898). Celles-ci sont d’ailleurs à l’origine du courant béhavioriste. Ce courant théorique cherche à rendre compte du processus de résolution en ne s’appuyant que sur des éléments observables c’est-à-dire en ne regardant que « la manière dont le sujet réagit aux événements que sa conduite provoque » (Weil-Barais, 1993, p. 565). Dans cette approche, le sujet cherche à satisfaire des besoins. Le renforcement et le lien entre stimulus et réponse permettent d’expliquer la conservation ou la modification des différentes réponses qui, au fil des essais, amènent le sujet à produire la bonne réponse. Nous ne pouvons pas ici rentrer dans les détails, mais une des caractéristiques de la résolution de problèmes ainsi mise en avant est liée au rôle de l’expérience, au sens courant du terme, pour trouver une solution. Ceci étant, la principale critique que l’on peut faire à cette approche tient au fait que le sujet n’est considéré qu’au travers de ses actions, avec une sous-estimation de la dimension mentale du processus de résolution.
11Dans un autre courant, dénommé approche gestaltiste ou psychologie de la forme, un rôle primordial est donné à la perception. Cette approche met ainsi en avant le fait qu’un sujet découvre une solution après quelques essais et surtout après une phase de réflexion ou d’inactivité apparente qui correspond à la réorganisation des éléments de la situation. On désigne ce phénomène de restructuration, par le terme d’insight. Le problème des neuf points est souvent donné en exemple pour illustrer ce phénomène. Il s’agit de relier neuf points disposés sous forme d’un quadrillage de trois lignes et trois colonnes, avec seulement quatre segments et sans lever le crayon (figure 2).
12Bien que plusieurs études aient remis en cause ce phénomène en proposant des interprétations différentes notamment sur ce problème (comme le fait Richard, 1994, p. 529‑531), il est cependant intéressant de noter l’idée que le sujet est susceptible de traiter de manière globale une situation pendant cette phase dite de réflexion et non pas seulement partie par partie.
13Un troisième courant est issu de l’approche piagétienne, dite encore approche fonctionnelle genevoise, où la résolution de problèmes a un traitement particulier. En effet, les travaux initiaux de Piaget se sont centrés sur le sujet épistémique « défini comme le noyau commun à la connaissance de sujets d’un même niveau de développement » (Inhelder & de Caprona, 1992, p. 20) dans le but de dégager une « architecture générale de la connaissance » (Ibid.). Mais dépassant cette première approche, Inhelder et de Caprona ont ouvert une autre piste, en s’intéressant au sujet psychologique et en cherchant comment un sujet utilise ses connaissances pour agir dans une situation donnée. Ainsi, pour en rendre compte, ces auteur·es s’appuient sur la notion de schème développée par Piaget et précisent que « dans une résolution de problème, les schèmes conduisent directement à la solution ou font obstruction, selon qu’ils engendrent des procédures adéquates ou non à la situation » (p. 43). C’est ainsi la mise en œuvre de schèmes et leur adaptation qui vont permettre à un sujet de découvrir une solution. Une procédure correcte nécessite l’association de la situation à un ou plusieurs schèmes. Cela a pour conséquence d’attribuer une signification fonctionnelle à ces schèmes qui va les lier également aux objets auxquels ils s’appliquent. Ces objets vont ainsi hériter de certaines propriétés ou de certaines significations. À ce sujet, Inhelder et de Caprona (1992) avancent que :
[…] cette liaison fonctionnelle indissociable du schème et de l’objet est une caractéristique frappante des moments initiaux de la résolution de problèmes. Au cours même de cette dernière, on peut remarquer […] certaines actions n’ont pas pour but d’actualiser des connaissances mais visent simplement à « faire parler l’objet ». (Inhelder & de Caprona, 1992, p. 45)
14Dans cette approche, la notion de représentation et son rôle fonctionnel viennent compléter celle de schème. Deux aspects complémentaires de cette notion sont envisagés. Le premier concerne la sémioticité c’est-à-dire les différents traitements que peuvent engendrer les différents modes de représentation (geste, image, langage) mobilisés. Le second aspect est relatif aux buts et aux moyens qu’un sujet peut envisager. Ainsi, selon ces chercheur·es, « les représentations portent par conséquent aussi bien sur les chemins à prendre que sur les résultats auxquels ils conduisent » (Ibid., p. 48). Ce courant met donc l’accent sur le rôle des connaissances et des représentations.
15Enfin, le dernier courant que nous voulons mettre en évidence est né dans les années 70 avec l’apparition de l’informatique et les débuts de l’intelligence artificielle, c’est l’approche dite du traitement de l’information impulsée par Newell et Simon (1972). Cette approche définit un problème comme la donnée d’un état initial, d’un état final et d’un ou plusieurs opérateurs qui vont permettre au sujet d’agir et de transformer cette situation pour passer de l’état initial à l’état final. L’espace-problème correspond à l’ensemble des états qui peuvent être obtenus, en partant de l’état initial, par application des actions autorisées par l’opérateur. Ce courant considère les différents aspects suivants pour rendre compte du processus de résolution d’un problème :
l’élaboration de la représentation du problème, c’est-à-dire l’interprétation effectuée par le sujet des données initiales, des données à rechercher, du but à atteindre et des contraintes ;
les traitements effectués par le sujet sur les données ou sur les représentations (les identifications, les classifications, les inférences, les calculs en tout genre, les traductions, les transformations, etc.) ;
les contrôles exercés et les décisions prises. (Weil-Barais, 1993, p. 570)
16Trouver une solution correspond alors à la découverte d’un cheminement dans l’espace-problème à l’aide de règles d’exploration appelées heuristiques. Des catégories générales d’heuristiques sont mises en évidence et modélisées sous forme de programmes de résolution de problèmes. Au-delà de leur lien avec l’informatique, ces travaux ont pu montrer le rôle majeur joué par les représentations et les mécanismes de contrôle en résolution de problèmes.
17Ces quatre courants mettent en avant des aspects différents des processus mis en œuvre en résolution de problèmes. Bien que les béhavioristes ne s’intéressent pas à ce qui se passe dans la tête des sujets, mais plutôt à leurs comportements observables, ils ont mis en évidence le rôle des essais pour se rapprocher, voire découvrir la solution d’un problème. Toutefois, l’approche gestaltiste a montré les limites de ces travaux en étudiant des problèmes spécifiques pour lesquels ce ne sont pas tant les essais qui conduisent à la solution, mais plutôt la capacité à réorganiser les éléments du problème. Enfin, les psychologues cognitivistes s’intéressent principalement au rôle des connaissances, des représentations et des mécanismes de contrôle qu’elles et ils mettent en évidence sur des problèmes très spécifiques.
Étude des processus de résolution de problèmes mathématiques
18Dans cette section, nous nous intéressons aux processus en jeu lors de la résolution de problèmes mathématiques, sans qu’il y ait pour autant d’enjeu d’enseignement. Nous entendons ici englober la grande diversité des problèmes mathématiques, c’est-à-dire ceux dont la résolution mobilise des concepts, des démarches ou des raisonnements mathématiques. Dans les approches des psychologues que nous avons parcourues précédemment, les problèmes abordés sont souvent limités à des enjeux de raisonnement ou de logique comme dans les tours de Hanoï ou le problème des neuf points, qui certes rentrent dans la catégorie des problèmes mathématiques, mais sont loin de pouvoir en embrasser la grande diversité. En particulier, de tels problèmes ne mettent pas en jeux de notions mathématiques, comme des équations, de l’algèbre, des fonctions, de la géométrie ou des intégrales, etc. Dans ce sens, ils ne sont pas à eux seuls représentatifs de l’ensemble beaucoup plus vaste de problèmes mathématiques envisageables et proposés dans les classes.
19De nombreux modèles ont été développés pour permettre de rendre compte des processus à l’œuvre en résolution de problèmes mathématiques2. Certains modèles se situent à un niveau macroscopique, général, et consistent à mettre en évidence différentes phases qui composent l’activité de résolution ainsi que leurs relations. Lehmann et coll. (2015) parlent alors de structure externe, en référence à l’organisation temporelle du processus. D’autres modèles se concentrent sur la structure interne (Ibid.) de ces processus c’est-à-dire à un niveau plus microscopique considérant par exemple les connaissances, les heuristiques, les activités métacognitives ou encore les croyances. Nous allons présenter une synthèse assez large de ces différents modèles en commençant par les plus généraux.
Caractérisation de la structure externe
20Les travaux de Pólya (1945, 1989) ont initié dès les années 60 un courant de recherche, florissant dans les années 80 et 90, notamment dans le monde anglo-saxon, dit du problem solving. Dans Comment poser et résoudre un problème (traduction française de : How to solve it), Pólya présente un modèle qui s’articule en quatre phases successives de travail :
Comprendre le problème ;
Concevoir un plan ;
Mettre le plan à exécution ;
Examiner la solution obtenue.
21Pour chacune des étapes, il propose une série de questions à se poser et de suggestions à expérimenter pour avancer dans la résolution du problème cherché, comme le montre la figure 3 (la mise en forme ici reproduite est celle de l’ouvrage de Pólya).
22Pour parvenir à ce modèle, Pólya a analysé les processus de résolution de problèmes mis en œuvre par des experts dans le domaine des mathématiques. Ce modèle descriptif se veut universel et Pólya suggère que les enseignant·es se posent ces questions devant leurs étudiant·es pour que cette façon de faire pour résoudre un problème s’impose naturellement (1989). Dans la foulée de cette approche ont été proposés des programmes d’entraînement à la résolution de problèmes, comme le General Problem Solving Program (voir Kilpatrick, 1969) aux États-Unis. Cependant, sans doute du fait de la complexité inhérente à la résolution de problèmes, ces programmes n’ont pas eu les effets escomptés. Cela pose plus généralement la question de l’enseignement de méthodes plutôt que de contenus mathématiques et de la manière dont les enseignant·es peuvent soutenir les élèves dans ces apprentissages.
23Néanmoins, le modèle de Pólya a servi de base à plusieurs chercheur·es pour développer leur propre approche. Schoenfeld (1985) notamment l’a enrichi en ajoutant une phase qu’il appelle exploration (figure 4) pour rendre compte de la part de la recherche qui tend à s’éloigner de la simple compréhension de l’énoncé, mais qui ne constitue pas encore un plan qu’il s’agirait de mettre en œuvre. Selon lui, cette phase est moins structurée que les phases d’appropriation et de planification et peut être associée d’une certaine manière au parcours dans l’espace-problème (au sens de Newell et Simon) pour lequel « the majority of problem-solving heuristics come into play » (Schoenfeld, 1985, p. 110).
24Par l’ajout de cette phase, Schoenfeld se distingue de Pólya en ce qu’il affirme que le processus n’est pas forcément linéaire, et qu’il peut être même cyclique : les cycles sont représentés par une boucle entre les phases planification/exploration/appropriation ou par un aller-retour planification/exploration (figure 4).
25Wilson et coll. (1993) poussent encore plus loin l’élaboration du modèle en proposant une interprétation qui met en avant les liens possibles entre les différentes étapes du modèle de Pólya : ce sont ceux symbolisés par les flèches noires (figure 5). Soulignons ici que l’on voit poindre dans ce modèle axé sur la structure externe du processus, la prise en compte d’un élément de la structure interne à travers les activités métacognitives.
26Rott (2012b) met quant à lui à l’épreuve ces différents modèles en analysant les processus effectivement mobilisés par des élèves de 10-12 ans pour résoudre des problèmes. Ses analyses montrent que les deux tiers environ des processus mobilisés par les élèves sont linéaires (68 sur un total de 98 observations). Cela met en évidence le fait qu’un modèle strictement linéaire comme celui de Pólya n’est pas complètement adapté pour décrire le travail des élèves. Par ailleurs, il observe que les élèves n’explicitent pas forcément leur plan de résolution avant de le mettre en œuvre, ce qui l’amène à regrouper les phases de planification et de mise en œuvre. Enfin, les élèves ne passent pas toujours directement de l’appropriation à la planification et sa mise en œuvre, mais elles et ils passent, bien souvent, par une phase d’exploration. Cela confirme l’importance de considérer cette phase d’exploration pour rendre compte de la dimension non structurée d’une partie de certains processus. À l’aune de ses observations et de ses résultats, Rott propose un modèle permettant, selon lui, de mieux décrire les processus de résolution de problèmes effective par des élèves (figure 6).
27Les modèles exposés ci-dessus, et en particulier le modèle très complet de Rott, dont la thèse de Favier, présentée en partie plus loin dans ce livre, s’est grandement inspirée, permettent de décrire la nature du processus de résolution de problèmes mathématiques du point de vue de son organisation globale, macroscopique. Ils permettent donc de rendre compte d’une partie des processus complexes qui sont en jeu lorsqu’un sujet résout un problème, mais pas de comprendre les ressorts internes qui en régissent la dynamique. C’est pourquoi nous allons à présent exposer des travaux qui se centrent sur l’étude de la structure interne du processus.
Caractérisation de la structure interne
28Les travaux de Pólya et de Schoenfeld sont à la base du courant de recherche du problem solving et influencent encore aujourd’hui les recherches actuelles sur ce thème. Ce courant cherche à comprendre les processus impliqués dans la résolution de problèmes et à les caractériser. Des aspects qualitatifs, la structure interne soulignée par Lehmann et coll. (2015), que sont par exemple les ressources, les heuristiques, les croyances3 ou les activités métacognitives4, jouent un rôle central lors de la résolution d’un problème. Schoenfeld (1985, 1992) regroupe sous le terme de ressources les différentes connaissances mathématiques qu’un individu peut mettre en œuvre pour résoudre un problème. Dans son approche, le terme d’heuristiques désigne les stratégies, les techniques ou les règles empiriques qui permettent de progresser. Ressources et heuristiques sont pilotées par des décisions globales appelées activités métacognitives. Enfin, la dernière catégorie rassemble les différentes croyances qu’un individu peut avoir sur lui, son environnement, le sujet du problème ou sur les mathématiques en général. Ces quatre catégories, qui se superposent et interagissent entre elles, sont nécessaires et suffisantes selon Schoenfeld (2013) pour analyser la réussite ou l’échec dans la résolution de problèmes. D’autres recherches mettent en avant des aspects comparables, même si les termes employés ne sont pas toujours les mêmes (Lester et coll., 1989 ; Verschaffel, 1999).
29Au-delà de la recherche, le courant du problem solving a eu une influence certaine sur les curricula de mathématiques de nombreux pays. Aux États-Unis par exemple, la résolution de problèmes a été annoncée comme objectif central des mathématiques pour la décennie 80-90, comme en témoigne le programme d’actions rédigé par le National Council of Teachers of Mathematics (NCTM) qui préconise que le « problem solving [should] be the focus of school mathematics in the 1980s » (1980, p. 1) et que « the mathematics curriculum should be organized around problem solving » (1980, p. 2).
30Soulignons que l’approche du problem posing (Cai et coll., 2013 ; Kilpatrick, 1987 ; Silver & Cai, 1996) est venue prolonger le courant du problem solving. Au-delà de la résolution d’un problème déjà posé, cette approche met l’accent sur la construction des questions auxquelles il s’agira ensuite de répondre. Ainsi, Silver et Cai (1996) postulent que savoir poser des problèmes améliore la capacité à les résoudre. Cette centration en amont de la résolution de problèmes fait écho à ce que Bachelard posait comme la marque du véritable esprit scientifique (nous ne prétendons pas toutefois affirmer ici une filiation) :
Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. […] Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. (Bachelard, 1967, p. 17)
31Pour autant, pour le moment, les chercheur·es n’ont pas accordé autant d’importance au fait de savoir poser des problèmes qu’au fait de savoir les résoudre (Liljedahl et coll., 2016, p. 32).
32Dans le monde francophone, Julo a mené un travail important sur la résolution de problèmes dont nous nous sommes largement inspiré·es dans les travaux présentés dans ce livre. Il part de l’hypothèse qu’il existe des processus spécifiques à la base de l’activité de résolution de problèmes, liés à la représentation que l’on se fait du problème et à notre mémoire des problèmes déjà rencontrés. Il distingue alors un pan action et un pan représentation dans les processus impliqués. Pour lui, « lorsque nous cherchons à résoudre un problème, nous nous construisons progressivement une certaine représentation de ce problème » (1994, p. 24). Cette représentation ne se limite cependant pas à la compréhension de son énoncé, mais intervient et évolue tout au long du processus de résolution. Julo identifie ainsi trois processus dans la construction de la représentation : le processus d’interprétation et de sélection, le processus de structuration et le processus d’opérationnalisation. L’activité de représentation est au cœur d’un double mouvement entre la situation et les connaissances du sujet. En effet, si les connaissances du sujet viennent influencer les représentations qu’il se fait du problème, les caractéristiques de la situation viennent en retour influencer l’activité de représentation (Julo, 1995, p. 58). L’hypothèse selon laquelle il existe des connaissances jouant un rôle spécifique dans les processus de représentation l’amène à définir la notion de schémas de problèmes, comme des « traces laissées en mémoire par les situations rencontrées précédemment et organisées en objets structurés ayant un certain nombre de propriétés caractéristiques » (Julo, 1995, p. 90). À partir de ces processus, il propose des pistes pour alimenter la réflexion didactique autour de la notion d’aide à la résolution de problèmes en mathématiques. Il souligne, par exemple, que c’est en multipliant les confrontations à des problèmes divers, que les élèves peuvent enrichir leur mémoire des problèmes et développer des schémas de problèmes.
33Les différentes études évoquées ici nous permettent d’envisager la résolution de problèmes au travers des processus, internes et externes, mis en jeu par les sujets qui tentent de les résoudre. Se profile maintenant un enjeu fondamental pour les didacticien·nes que nous sommes, à savoir la question de l’enseignement et des apprentissages qui peuvent être associés à la pratique de la résolution de problèmes dans un contexte scolaire. Nous tentons d’y apporter des éléments de réponse dans la section suivante.
Point de vue didactique sur la résolution de problèmes
34Comme le souligne Houdement (2009), se placer dans le contexte de la scolarité obligatoire pour étudier la résolution de problèmes amène à distinguer deux fonctions essentielles des problèmes dans l’enseignement :
[D’une part] contribuer à construire des connaissances mathématiques dans une dynamique connaissances – savoirs, fonction particulièrement pointée par les approches didactiques (Brousseau, 1998 ; Conne, 1992 ; Douady, 1986) et [d’autre part] faire fréquenter une partie de l’activité du mathématicien, chercher, valider, fonction mise en avant par des mathématiciens (Glaeser, 1976) épistémologues, des praticiens chercheurs (IREM de Lyon dès 1988) et des chercheurs (équipe Maths à Modeler de Grenoble). (Houdement, 2009, p. 37)
35Dans cette section, nous allons aborder successivement ces deux fonctions de la résolution de problèmes que nous désignons respectivement comme outil et objet d’enseignement et d’apprentissage.
La résolution de problèmes comme outil d’enseignement et d’apprentissage
36Depuis les années 80, dans de nombreux pays et à divers niveaux d’enseignement, les recherches en éducation, les responsables institutionnels et les programmes scolaires prônent la résolution de problèmes non plus seulement comme une façon de valider la bonne utilisation des connaissances, mais aussi comme un moyen pour développer les apprentissages des élèves en mathématiques. Illustrons cette idée avec l’exemple du problème suivant :
Dans la piscine représentée ci-dessous, on souhaite installer 5 bouées à égale distance de chacun des deux bords recouverts de pelouse. Où peut-on placer ces bouées ?
37L’enjeu principal de ce problème est de permettre aux élèves de construire des connaissances mathématiques en lien avec les savoirs mathématiques de la distance d’un point à une droite ainsi que de la bissectrice d’un angle définie comme l’ensemble des points situés à égale distance des côtés de l’angle. Ici, la résolution de problèmes permet donc de viser des objectifs d’apprentissage associés à des savoirs mathématiques, souvent identifiés et définis par les programmes scolaires.
38Cette fonction de la résolution de problèmes comme outil de construction et de développement des connaissances est fondamentale dans la constitution de la didactique des mathématiques en France. C’est ce que montrent Artigue et Houdement, qui soulignent que l’écart des recherches francophones par rapport au courant du problem solving s’explique par le fait que la vision de la place et du rôle de la résolution de problèmes s’est essentiellement construite à partir de celle mise en avant dans la théorie des situations didactiques de Brousseau et dans celle des champs conceptuels de Vergnaud (Artigue, 2018 ; Artigue & Houdement, 2007).
39Dans le cadre de la théorie des situations didactiques, « la notion de situation inclut, étend et diversifie la notion de problèmes » (Brousseau cité par Coppé & Houdement, 2010). Brousseau fait l’hypothèse que pour chaque connaissance, il existe « une classe minimale de situations qui font apparaître cette connaissance comme le moyen optimal et autonome de solution de ces situations » (Brousseau, 1997, p. 10). Une situation fondamentale est donc la modélisation de cette famille de situations. De plus, Brousseau propose ainsi, à partir des années 70, des ingénieries didactiques visant à élaborer ces situations fondamentales permettant la construction d’objets ou de notions mathématiques. Citons par exemple celle de la situation des voitures et des garages qui vise à travailler la constitution d’une collection équipotente à une collection donnée (Briand et coll., 2004) ou l’ingénierie didactique de la soustraction (Berté, 1996 ; Couderette, 2018). Cette théorie met donc l’accent sur l’importance du choix de problèmes pour permettre la construction de la connaissance visée. « Le maître doit donc effectuer, non la communication d’une connaissance mais la dévolution du bon problème. Si cette dévolution s’opère, l’élève entre dans le jeu et s’il finit par gagner, l’apprentissage s’opère. » (Brousseau, 1998, p. 61.)
40Vergnaud (1981, 1990), dans la théorie des champs conceptuels, indique que la notion de problème est centrale pour la construction des connaissances puisque « c’est à travers des situations et des problèmes à résoudre qu’un concept acquiert du sens pour l’enfant » (Vergnaud, 1990, p. 135). Il définit ainsi un concept comme un triplet de trois ensembles : l’ensemble de situations qui donnent du sens au concept, l’ensemble des invariants sur lesquels repose l’opérationnalité des schèmes et l’ensemble des formes langagières et non langagières qui permettent de représenter symboliquement le concept, ses propriétés, les situations et les procédures de traitement (Vergnaud, 1990, p. 145). Par exemple, pour le champ conceptuel de l’addition, Vergnaud propose une classification des problèmes additifs. Les enseignant·es peuvent s’emparer de cet outil théorique pour organiser les problèmes au sein d’une progression et analyser les difficultés potentielles rencontrées par les élèves.
41Sur la base de ces deux théories et de leurs nombreux prolongements, plusieurs travaux de didactique de mathématiques ont ainsi montré l’importance de la résolution de problèmes comme outil pour apprendre et enseigner des mathématiques. Mais d’autres travaux se sont centrés sur la résolution de problèmes mathématiques comme un objet d’enseignement et d’apprentissage à part entière.
La résolution de problèmes comme objet d’enseignement et d’apprentissage
42Voici un énoncé de problème assez classique qui peut être utilisé pour travailler la résolution de problèmes comme objet :
Pour construire un château de cartes à un étage il faut 2 cartes, pour un château de cartes à deux étages il faut 7 cartes et pour un château de cartes à trois étages il faut 15 cartes. Combien faut-il de cartes pour construire un château à 7 étages ? À 30 étages ? À 100 étages ?
43Ce problème est extrait d’une rubrique dédiée exclusivement aux narrations de recherche sur le site Sesamath5 pour la classe de 3e en France (élèves de 14-15 ans). Les narrations de recherche (Bonafé et coll., 2002 ; Chevallier, 1992) tout comme les problèmes ouverts (Arsac et coll., 1991), les situations de recherche pour la classe (Grenier, 2012), ou encore le débat scientifique (Legrand & ADIREM, 2003) sont des dispositifs qui ont vu le jour dans le but de former les élèves à la résolution de problèmes, en tant que telle, en mathématiques. Tous ces dispositifs partagent l’objectif commun de transposer la pratique de recherche en mathématiques à la classe et, en particulier, d’initier les élèves à la démarche scientifique. Pour mettre en lumière cette intention commune, Georget (2009) propose de regrouper sous le nom d’activités de Recherche et de preuve entre pairs (RPP) ces activités « dont l’objectif principal est d’entraîner les élèves à la démarche de recherche en mathématiques et aux échanges entre pairs à la manière des mathématiciens professionnels » (p. 77). Il les distingue des activités Orientées notion ou technique (ONT) qui désignent « les activités RPP dont l’objectif est de faire travailler in fine les élèves sur une nouvelle notion ou une nouvelle technique mathématique qui est au programme des élèves d’un niveau donné » (p. 78). Selon cette nomenclature, le problème des bouées est une activité ONT tandis que le problème du château de cartes est une activité RPP, ceci considéré à un niveau de scolarité donné.
44Se pose alors la question de savoir ce qui peut être appris lorsque l’on vise à développer des compétences en résolution de problèmes. Ce n’est, à l’évidence, pas seulement des connaissances mathématiques de type notionnel, mais elles seront mobilisées et réinvesties. Une dérive serait de se focaliser sur la forme et de faire de ces enseignements des entraînements à la narration de recherche ou pire à l’analyse de texte ! En plus du réinvestissement de savoirs, Houdement (2009) postule qu’il est possible de développer des apprentissages en lien avec la modélisation et avec la manière de raisonner et de valider en mathématiques au travers d’activités RPP (cet aspect des modes de raisonnement comme apprentissage possible de la résolution de problèmes est abordé plus en détail dans le chapitre 5).
45De fait, il semble bien que l’objectif le plus intéressant repose sur l’apprentissage du raisonnement mathématique. C’est ce que propose Jeannotte (2015) qui en distingue deux dimensions complémentaires : structurelle d’une part et processuelle d’autre part. Les différentes définitions que l’on trouve dans la littérature mettent l’accent sur l’une ou l’autre de ces deux dimensions. L’aspect structurel permet de décrire comment s’organisent et s’enchaînent les pas de raisonnement. On peut ainsi distinguer les raisonnements déductifs, inductifs et abductifs. L’aspect processuel met l’accent sur le fait que lorsqu’on mène un raisonnement, on fait un certain nombre d’actions qui sont orientées vers un but, que Jeannotte (2015) divise en neuf processus qui s’organisent selon deux grands pôles : les processus de recherche de similitudes et de différences, et les processus de recherche de validation.
46Hersant (2010), quant à elle, formule des savoirs associés à la pratique mathématique et à la façon d’établir le vrai en mathématiques. Ces savoirs possiblement travaillés dans les activités RPP sont fortement associés à la dimension expérimentale des mathématiques. Elle les distingue comme pouvant relever de plusieurs aspects : la place de l’expérience, la preuve en mathématiques et un questionnement en termes de plausible, possible et impossible.
47La résolution de problèmes et plus généralement l’activité de recherche des élèves, et la pratique d’une démarche scientifique sont également mises en avant dans des dispositifs institutionnels, comme en sciences en France (La main à la pâte6) depuis 1996. Dans la lignée des dispositifs visant à promouvoir la résolution de problèmes en classe, depuis les années 90 ont émergé divers dispositifs institutionnels, ainsi que divers projets européens (par exemple : PRIMAS7, S-TEAM8, ASSIST-ME9) qui mettent l’accent sur un enseignement scientifique axé sur les démarches d’investigation.
48La démarche d’investigation s’inspire des travaux de Dewey (1910) autour de la notion d’enquête :
This scientific attitude of mind might, conceivably, be quite irrelevant to teaching children and youth. But this book also represents the conviction that such is not the case; that the native and unspoiled attitude of childhood, marked by ardent curiosity, fertile imagination, and love of experimental inquiry, is near, very near, to the attitude of the scientific mind. (Dewey, 1910, p. iii)
49Historiquement, l’Inquiry Based Education (IBE), traduite en français par enseignement par démarche d’investigation, a d’abord concerné les sciences avant d’englober les mathématiques. Elle a notamment été mise en avant et légitimée dans la sphère éducative, dès le milieu des années 90, par le biais de la publication des National Science Education Standards aux États-Unis. Notons, à la suite d’Artigue et Blomhøj (2013), que ce courant pédagogique a reçu un fort soutien au niveau politique et socio-économique, en particulier en Europe, comme en atteste le rapport européen, dit rapport Rocard (Rocard et coll., 2007).
50L’idée générale de l’IBE est de favoriser chez les élèves des démarches actives de questionnement dans l’enseignement des sciences et des mathématiques. Cela met en avant les points communs entre l’enseignement des mathématiques et celui des sciences, en soulignant la place centrale de l’expérimentation dans ces différentes disciplines. Dorier et Maass définissent cette approche comme :
[…] a student-centered paradigm of teaching mathematics and science, in which students are invited to work in ways similar to how mathematicians and scientists work. This means they have to observe phenomena, ask questions, look for mathematical and scientific ways of how to answer these questions (like carrying out experiments, systematically controlling variables, drawing diagrams, calculating, looking for patterns and relationships, and making conjectures and generalizations), interpret and evaluate their solutions, and communicate and discuss their solutions effectively. (Dorier & Maass, 2020, p. 384)
51Le problème suivant est un exemple de ce qui pourrait être proposé dès le primaire dans cette optique : « En ski, existe-t-il une forme de piste plus rapide qu’une piste qui irait en ligne droite du départ à l’arrivée10 ? » En effet, pour ce problème, les expérimentations avec du matériel sommaire tel des tuyaux et des billes permettent aux élèves de prendre conscience qu’il existe effectivement des trajectoires plus rapides que la ligne droite. Notons que la découverte de la trajectoire la plus rapide et son unicité ne sont pas accessibles avec un tel matériel.
52À titre d’exemple, en France, les programmes de 2005, 2007 et 2008 (en cours jusqu’en 2016), dans une partie « Introduction générale pour le collège » proposent explicitement la démarche d’investigation comme une démarche d’apprentissage basée sur la mise en questionnement et en activité des élèves, en notant cependant des différences épistémologiques suivant les disciplines. Pour les mathématiques, l’accent est mis sur la résolution de problèmes et la validation par la démonstration alors que pour les sciences, c’est la formulation d’hypothèses et la validation par l’expérimentation. Enfin, la démarche d’investigation est aussi présentée comme une démarche d’enseignement décrite par sept phases (que nous ne détaillons pas ici) qui ont pour but de donner des repères aux enseignant·es pour la pratiquer et à laquelle est ajoutée une banque de problèmes dans lesquels l’investigation est plus ou moins poussée.
53Dans le même temps, dans le cadre de la Théorie anthropologique du didactique, Chevallard (2007) a introduit les notions d’Activité d’étude et de recherche (AER) et de Parcours d’étude et de recherche (PER) qui s’inscrivent dans cette perspective d’enquête et de démarche d’investigation. Les PER permettent selon lui « de subsumer un ensemble plus ou moins disparate de pratiques sociales de connaissance : recherche scientifique, enquête policière ou journalistique, etc. » (Chevallard, 2009, p. 2.) Cela conduit alors, selon lui, à repenser le statut du savoir, « ce n’est plus quelque chose que l’on sait d’avance, c’est ce que l’on découvre de concert avec les élèves au cours d’enquêtes (“mathématiques”) » (Chevallard, 2009, p. 8).
54La popularité grandissante qu’a rencontrée l’IBE ces dernières années s’explique notamment par le fait qu’elle apparaît comme une solution possible face au désintérêt des élèves pour les sciences et les mathématiques (Rocard et coll., 2007). Ce désintérêt associé au constat fait par certain·es que la résolution de problèmes occupe encore une place timide dans les cours de mathématiques nous ont motivé·es à nous intéresser plus en détail à ce qui se passe effectivement dans les classes, à différents niveaux scolaires et lorsque la résolution de problèmes tend à occuper aussi bien des fonctions outil qu’objet.
Conclusion
55Comme nous l’avons esquissé, la notion de problème en mathématiques est à la fois centrale et finalement assez vague. Elle s’oppose à des exercices d’entraînement ou d’application directe qui ne nécessitent pas de trouver quels outils utiliser ou quelle stratégie mettre en place pour les résoudre. Pour nous, toute tâche mathématique qui, pour un sujet donné à un instant précis, demande plus qu’une application directe d’un concept, souvent fraîchement enseigné, est un problème. Clairement nous distinguerons par contre les problèmes qui servent à faire apprendre des notions mathématiques (comme les formes géométriques ou les fonctions et leurs propriétés), des problèmes que l’on donne à résoudre aux élèves, sans intention de leur faire apprendre ou même appliquer des notions mathématiques précises, mais bien plutôt pour leur apprendre à raisonner mathématiquement. Dans le premier cas, nous parlerons de problèmes outils et dans le deuxième de problèmes objets d’enseignement.
56Nous avons voulu éviter au maximum (même s’il n’est jamais possible de le faire totalement) tout arrière-plan idéologique sur ce que serait la meilleure activité de résolution de problème. C’est pourquoi nous avons évité les termes de problème ouvert, situation-problème, activité de recherche pour la classe, débat scientifique ou toute autre appellation de ce genre, pour ne garder que l’idée de problème, dans un sens large. Dans le même état d’esprit, nous n’avons pas voulu nous limiter dans les outils à disposition pour analyser le travail des élèves, voire celui des enseignant·es lors des activités de résolution de problèmes, c’est pourquoi de nombreux cadres théoriques ont été utilisés par les différent·es auteur·es de ce livre.
57Il reste cependant certain que certains travaux ont échappé à notre vigilance et que nous n’avons pu rendre compte de l’immensité des travaux sur un thème aussi large que celui de la résolution de problèmes. Nous espérons toutefois que la diversité de nos approches aura permis de mettre une pierre de plus à l’édifice.
Notes de bas de page
1Ce chapitre s’est inspiré en partie du chapitre 2 de la thèse non publiée de Stéphane Favier (2022).
2Dans la suite du manuscrit, l’expression résolution de problèmes désignera à chaque fois les problèmes dans le contexte mathématique, de manière à alléger le texte.
3Ces termes sont la traduction de resources, heuristics et belief systems.
4Selon Schoenfeld, « self-regulation or monitoring and control is one of the broad arenas encompassed under the umbrella term metacognition » (1992, p. 57). Le terme d’activités métacognitives nous parait donc le plus adapté pour rendre compte de cette idée.
5Repéré sur : https://mep-outils.sesamath.net/manuel_numerique/index.php?ouvrage=ms3_2012&page_gauche=162 [consulté le 07/05/2024].
6Le site de la fondation La main à la pâte est disponible à l’adresse suivante : http://www.fondation-lamap.org/fr [consultée le 07/05/2024].
7Le site du projet européen PRIMAS ((Promote Inquiry in Mathematics and Science Education across Europe) est disponible à l’adresse suivante : https://primas-project.eu/ [consultée le 07/05/2024].
8Le rapport final du projet S-TEAM (Science Teacher Education Advanced Methods) est disponible à l’adresse suivante : https://cordis.europa.eu/project/id/234870/reporting [consultée le 07/05/2024].
9Le projet ASSIST-ME (Assess Inquiry in Science, Technology and Mathematics Education) est présenté à cette adresse : http://www.scientix.eu/projects/project-detail?articleId=120601 [consultée le 07/05/2024].
10Problème intitulé « À la recherche du chemin le plus rapide » sur le site de la Main à la pâte. Disponible à l’adresse suivante : https://www.fondation-lamap.org/fr/page/30038/a-la-recherche-du-chemin-le-plus-rapide [consultée le 07/05/2024].
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