Traduttore, traditore, ou l’art de la fiction et de la mystification dans les Chroniques italiennes
p. 149-158
Dédicace
pour Mariella Di Maio
Texte intégral
1Quelle relation à la réalité l’écriture entretient-elle ? Ainsi formulée, cette question est à peu près dépourvue de sens, elle est même à la limite de l’absurdité, et c’est pourquoi nous ne la poserons que dans la perspective tout à fait restreinte du réalisme de Stendhal. Pourquoi cette perspective, qui semble se fonder sur un présupposé, en l’occurrence celui précisément d’un réalisme que l’on attribuerait à Stendhal ? Simplement, parce que, sans entrer dans des débats complexes autant que compliqués sur la question même du réalisme, il apparaît à l’évidence que Stendhal s’en réclame avec constance et que son esthétique affichée est celle de la mimèsis. (Qu’il suffise de penser à la métaphore du miroir, qui revient plusieurs fois chez lui ; qu’il suffise aussi de penser à toutes les protestations d’exactitude, de véracité, etc., qu’il ne cesse en toute bonne foi, et, bien entendu, en toute mauvaise foi, d’avancer pour légitimer, par exemple, les prétendues horreurs qu’il se propose de mettre au jour, au nom, évidemment, de la vérité.) Dans cette même perspective, ce qui est donc en jeu, c’est, on s’en doute, le degré de réalisme dont l’écriture se charge pour prendre en compte la réalité. Pour l’occasion, ce n’est pas, précisons-le, la question du réalisme en soi, et du réalisme stendhalien en particulier, qui nous intéresse. Seules nous retiennent en fait les modalités de la représentation de la réalité – ce qui ne correspond peut-être pas exactement à ce qu’il est convenu d’appeler le réalisme –, ou, si l’on préfère leur textualisation, elle-même problématique, en ce sens que s’y problématisent les rapports de l’écriture et du référent. Seulement, c’est une illusion, on le sait depuis longtemps, de croire que la réalité peut exister comme référent, c’est-à-dire indépendamment du texte (c’est la définition classique du référent en linguistique), c’est-à-dire en dehors de l’écriture. En ce qui concerne Stendhal, c’est en tout cas une particularité bien connue de sa création romanesque : la fiction chez lui ne peut pas exister en dehors d’un support écrit préalable, son écriture doit toujours s’enter, se greffer sur de l’écriture, sur de l’écrit, comme l’attestent Armance, Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme, Lucien Leuwen, entre autres. Cette ci-devant particularité implique que la fiction s’apparente au figuré comme au propre à une traduction. Représenter la réalité, ce sera d’abord et avant tout la traduire.
2Il est donc tout à fait légitime dans une semblable optique de s’attacher au texte qui entre tous pose le mieux la question de la représentation de la réalité comme traduction, à savoir l’œuvre, mal définie, qu’il est convenu d’appeler Chroniques italiennes depuis 1855, date de la première édition qui les voit réunies par Romain Colomb1. C’est légitime, en effet, puisque ces Chroniques italiennes ou, plutôt devrait-on dire avec Stendhal lui-même, ces Historiettes romaines, sont données comme des traductions. Traductions de vieux manuscrits italiens de la Renaissance, ainsi que les présente Stendhal, assumant lui-même le rôle, la fonction de traducteur. On se trouve dès lors en présence de deux types de textes, des originaux du xve ou du xvie siècle et des traductions du xixe, ceux-là renvoyant à des événements plus ou moins contemporains de ce que les manuscrits rapportent, ceux-ci reproduisant au xixe siècle, en une traduction française, les manuscrits italiens.
3De cette confrontation entre les deux types de textes résulte une véritable poétique ; du moins peut-on l’avancer, lorsque l’on constate combien de fois au début de ces chroniques et dans le corps même du texte, reviennent des avertissements relatifs à l’original de la Renaissance et à sa traduction. Tout se passe comme si Stendhal se sentait obligé d’énoncer le protocole d’écriture selon lequel avait été composée la chronique qu’il soumettait à son lecteur. C’est un des aspects les plus visibles, sinon voyants, de ces nouvelles, la proclamation de la poétique qui a rendu possible leur composition, ou tout simplement leur écriture. Significativement chaque nouvelle, chaque chronique s’ouvre sur le même genre de déclarations. Par exemple dans Vittoria Accoramboni : « J’en ai [des manuscrits] vingt-deux volumes in-folio, et c’est une de ces histoires fidèlement traduites que le lecteur va lire, si toutefois il est doué de patience » (p. 653)2 ; ou encore dans La Duchesse de Palliano : « Je ne chercherai point à donner des grâces à la simplicité, à la rudesse quelquefois choquante du récit trop véritable que je soumets à l’indulgence du lecteur » (p. 712), phrase qui est suivie de cette autre : « Je ne suis point sorti du rôle du traducteur » (p. 713). Et l’on pourrait multiplier les exemples, tant ils sont nombreux et récurrents.
4La poétique de la traduction que Stendhal met de la sorte en évidence obéit apparemment à des motivations littéraires. Motivations à double détente, puisqu’il s’agit, d’une part, de disqualifier, avec pas mal d’ironie, le mauvais style du chroniqueur italien, et d’autre part, tourner en dérision les prétentions actuelles du romantisme. Cela donne des affirmations comme celles-ci : « J’ai pris de la peine pour que la traduction de cet ancien style italien, grave, direct, souverainement obscur et chargé d’allusions aux choses et aux idées qui occupaient le monde sous le pontificat de Sixte-Quint (en 1585), ne présentât pas de reflets de la belle littérature moderne, et des idées de notre siècle sans préjugés » (p. 653-654) et poursuivant sa provocation il avertit son lecteur : « Ne vous attendez point surtout aux émotions entraînantes d’un roman de George Sand. Ce grand écrivain eût fait un chef-d’œuvre avec la vie et les malheurs de Vittoria Accoramboni. Le récit sincère que je vous présente ne peut avoir que les avantages plus modestes de l’histoire » (p. 654). Ou, selon une perspective un peu différente, il consigne dans l’espèce d’avant-propos de La Duchesse de Palliano : « La vanité littéraire me dit que peut-être il ne m’eût pas été impossible d’augmenter l’intérêt de plusieurs situations en développant davantage, c’est-à-dire en devinant et racontant au lecteur, avec détails, ce que sentaient les personnages. Mais moi, jeune Français, né au nord de Paris, suis-je bien sûr de deviner ce qu’éprouvaient ces âmes italiennes de l’an 1559 ? Je puis tout au plus espérer de deviner ce qui peut paraître élégant et piquant aux lecteurs français de 1838 » (p. 712). À travers ces considérations mi-sérieuses mi-plaisantes relativement au style de ces chroniques, c’est une politique ambiguë qui s’élabore. Cette poétique de la traduction, avouons-le, ne nous intéresse pas beaucoup en elle-même, et rien ne nous paraît à cet égard plus dépourvu de signification que de mesurer le degré de fidélité de Stendhal traducteur au texte qu’il prétend traduire. Et de toute façon ce n’est pas de quoi il est question dans les Chroniques italiennes.
5Stendhal obéit en fait à des motivations autrement profondes : faire sentir au lecteur des années 1830 l’écart historique et moral qu’il y a entre le temps de la chronique et l’époque contemporaine, lui faire mesurer la perte d’énergie qui a affecté le monde d’une époque à l’autre. Pour cela l’écart de langue et de style, qu’il exhibe constamment, entre le xvie et le xixe siècle, est à comprendre comme la métaphore linguistique et poétique désignant l’écart historique et moral qui affecte les choses. Rien d’étonnant à cela, étant donné que le rapport de l’homme au monde, et c’est une évidence, passe avant tout par la langue, ou plutôt par le langage, ce qui n’est pas tout à fait pareil.
6Envisageons maintenant les choses selon un angle un peu différent, afin de saisir dans toutes ses implications le choix de la traduction comme mode de représentation de la réalité. Ce qui nous occupera désormais, c’est le statut de Stendhal lui-même dans les Chroniques italiennes. Jusqu’à présent, nous nous sommes contentés de ne voir en lui qu’un traducteur, et c’est le rôle qu’il s’assigne à lui-même. En réalité, il n’est pas un traducteur bien scrupuleux, on le sait, et lui-même n’hésite pas à revendiquer quelquefois son infidélité de traducteur, quand il estime qu’il ne peut pas tenir jusqu’au bout ce rôle, au prétexte que le lecteur du xixe siècle ne supporterait pas, littérairement, une traduction qui reproduirait tel quel le texte du manuscrit original, avec toutes ses maladresses, ses lourdeurs, etc. De là une remarque comme celle-ci : « Ce récit, que j’abrège beaucoup, à mon grand regret (je supprime une foule de circonstances caractéristiques) » (p. 712). En ce cas Stendhal se comporte en adaptateur, dans la tradition d’un Galland, qui aménage la traduction au goût de son lecteur aussi bien qu’il se plie à la nécessité, par exemple, de donner un récit le plus cohérent possible, alors que l’original est diffus et se perd, s’émiette dans les détails.
7Sans doute faudrait-il ici opérer des distinctions à l’intérieur du corpus des Chroniques italiennes, et noter, entre autres choses, que des chroniques comme Vittoria Accoramboni ou La Duchesse de Palliano ne mettent pas exactement en œuvre la même poétique de la traduction que Les Cenci ou, surtout, L’Abbesse de Castro. Dans les deux premières Stendhal s’efforce visiblement de coller le plus possible au texte original et, comme le chroniqueur italien, il s’occupe de « raconter avec vérité » (p. 654), s’employant à offrir au lecteur « le calque fidèle des façons de sentir du xvie siècle » (p. 713). Dans Les Cenci ce n’est plus exactement la même poétique du traduire, comme suffit à en témoigner l’avant-propos très personnel qui précède la chronique elle-même ; quant à L’Abbesse de Castro, précédée elle aussi d’un avant-propos tout aussi personnel, on sait que les libertés de Stendhal avec le texte original sont extrêmes, au point qu’à partir d’un canevas très court il a écrit une œuvre presque entièrement originale. Examiner d’un point de vue philologique les variations de Stendhal dans les Chroniques n’est pas notre propos ; ce qui nous occupera bien davantage, ce sont les conséquences que peuvent avoir dans l’ordre de la poétique les mutations du régime traductologique qui se repèrent dans le corpus. C’est pourquoi nous nous attacherons principalement à cette chronique de L’Abbesse de Castro, tant les changements par rapport aux autres chroniques sont importants et remettent en cause le statut de Stendhal comme traducteur.
8De Vittoria Accoramboni à L’Abbesse de Castro se produit une espèce de réversion scénographique des instances du narrateur et du traducteur. Contrairement à ce qui se passait dans Vittoria Accoramboni, où le pacte d’écriture se résumait à celui d’un Français du xixe siècle qui traduit des manuscrits italiens de la Renaissance, en les accommodant ou en les adaptant plus ou moins, dans L’Abbesse de Castro à ce pacte d’écriture, assez simple et rudimentaire, s’en substitue un autre, beaucoup plus retors. Apparemment, on est toujours en présence, comme précédemment, d’une situation énonciative, qui distribue les instances de l’écriture entre celle du chroniqueur du xvie siècle, l’auteur italien, et celle du traducteur du xixe siècle, qui se trouve être aussi un adaptateur. Cette distribution amène des commentaires de ce genre : « Je traduis cette histoire de deux manuscrits volumineux, l’un romain, et l’autre de Florence. À mon grand péril, j’ai osé reproduire leur style, qui est presque celui de nos vieilles légendes. Le style si fin et si mesuré de l’époque actuelle eût été, ce me semble, trop peu d’accord avec les actions racontées et surtout avec les réflexions des auteurs. Ils écrivaient vers l’an 1598. Je sollicite l’indulgence du lecteur et pour eux et pour moi » (p. 567). De pareilles remarques, qui désignent l’écart entre deux âges, celui de la Renaissance et celui de l’époque contemporaine, s’apparentent à une sorte de petit jeu, que Stendhal pratique avec un certain plaisir, et il y revient régulièrement, consignant sans se lasser : « Après deux cent soixante-dix-huit ans écoulés, nous sommes si loin des sentiments d’amour et de religion qui remplissent ces lettres, que j’ai craint qu’elles ne fissent longueur » (p. 603). Ou encore : « Nous ne suivrons point l’auteur original dans le long récit des entrevues successives que Jules obtînt d’Hélène » (p. 609) ; ou : « J’ai supprimé plusieurs élégances de ce genre [« des raisonnements qui semblent imités de la philosophie de Platon »] dans la lettre que je viens de traduire » (p. 613) ; ou finalement : « Je crois devoir passer sous silence beaucoup de circonstances qui, à la vérité, peignent les mœurs de cette époque, mais qui me semblent tristes à raconter. L’auteur du manuscrit romain s’est donné des peines infinies pour arriver à la date exacte de ces détails que je supprime » (p. 637). On pourrait multiplier sans difficulté les citations allant dans ce sens. Mais il est beaucoup plus intéressant de souligner le glissement qui s’opère dès les premières pages de la nouvelle d’un espace textuel à un autre, d’une poétique à une autre. Au début, le traducteur, jouant son rôle, se contente de reproduire entre guillemets ce qu’il est censé traduire, mais peu à peu, insidieusement, les guillemets disparaissent et de façon incontestable ce traducteur usurpe la parole du chroniqueur, pour prendre en charge sans complexe la narration du ci-devant chroniqueur, alors qu’auparavant c’était ce chroniqueur qui avait la fonction de narrateur. Dès lors il jouera sur les deux plans de la narration et de la traduction à la fois, sans qu’on puisse vraiment distinguer ces plans entre eux, et il se livrera à toutes les amplifications narratives qu’il lui plaira, en se payant le luxe, de manière aussi désinvolte qu’amusante, de dire qu’il abrège la fatrasserie du texte qu’il prétend traduire. Le résultat, c’est que la distribution entre chroniqueur et traducteur s’inversant, le personnage du narrateur change d’identité, puisque maintenant c’est le traducteur qui prend en charge cette fonction narratrice. Du même coup, et c’est là où nous voulons en venir, le statut de la narration connaît une modification essentielle. Alors qu’auparavant, selon le pacte d’écriture en vigueur, la narration était du côté du chroniqueur italien de la Renaissance, et alors que, d’autre part, nulle place n’était ménagée à l’invention, puisque le chroniqueur se donnait pour un historien exact des faits qu’il rapportait et que, de son côté, le traducteur prétendait donner une traduction elle-même exacte, un changement notable se produit. Le chroniqueur et le traducteur échangeant leurs identités respectives ou même les perdant, apparaît dès lors une nouvelle catégorie, celle de la fiction.
9Cette catégorie de la fiction n’est assignable à aucun lieu et à aucune instance d’écriture. Elle est en quelque manière dans un entre-deux phénoménologique, prise entre chronique et traduction, essaimant de l’une à l’autre, sans pour autant se fixer sur un pôle plutôt que sur l’autre. Car il est à noter que le traducteur en récupérant la fonction de narrateur n’élimine pas pour autant le chroniqueur. Celui-ci, dans le nouveau dispositif d’écriture qui est insensiblement et insidieusement instauré par Stendhal, continue à exister, au moins parce que le traducteur s’y réfère toujours. La fiction elle-même qui est élaborée n’est possible qu’au moyen du changement de rôles entre traducteur et chroniqueur auquel il est procédé, et, plus profondément, c’est parce que le traducteur, assumant dorénavant la narration, maintient la référence au chroniqueur, c’est-à-dire à travers lui à la chronique, que la fiction qu’il échafaude a une légitimité d’écriture. Faute de cette référence, cette fiction serait perçue comme purement gratuite et relevant d’un arbitraire du romanesque qui la disqualifierait en tant que chronique, ou en tant que prétendue chronique, peu importe. Pour autrement dire, il faut pour que la fiction soit admissible comme fiction maintenir… la fiction d’un chroniqueur et d’un traducteur.
10Cette affabulation, fiction de la fiction, si l’on peut risquer cette expression, nous l’appelons mystification. Bien entendu, la mystification à laquelle se livre Stendhal en faisant passer pour de la traduction ce qui est une invention de sa part n’a pas pour objet d’égarer le lecteur ou de le tromper, pas seulement du moins ; cette mystification, nous y verrons bien plutôt l’effet intrinsèque qu’induit la poétique imaginée par Stendhal, laquelle poétique rend possible l’écriture d’une chronique comme L’Abbesse de Castro. En ce sens la mystification consiste à jouer sur la possibilité, que s’accorde et se crée Stendhal, d’opérer des permutations scénographiques entre les instances d’écriture et de substituer l’une à l’autre, en maintenant la fable initiale d’une partition stable entre ces mêmes instances, l’une étant celle du chroniqueur, l’autre celle du traducteur. La fiction dans ces conditions naît lorsque la stabilité de cette partition est remise en question, mais sans pour autant que cette partition – la fable de cette partition – soit dénoncée ou détruite. La fiction, ce sera la conclusion provisoire à laquelle nous parvenons, se constitue dans la balance entre la chronique et sa prétendue traduction, entre deux instances énonciatives. Balance, c’est-à-dire hésitation ; hésitation entre ce qui est donné comme vrai (la chronique italienne de la Renaissance, à l’état de manuscrit) et ce qui est donné pareillement comme vrai (la traduction exacte de ce manuscrit). Tout se joue dans un « comme si », qui est le propre de l’affabulation – de la fiction.
11Assurément, et c’est une objection qui se présente immédiatement à l’esprit, L’Abbesse de Castro est un cas limite au sein même des Chroniques italiennes – est-elle d’ailleurs une « chronique italienne », et non pas plutôt un romanzetto, bien plus proche en cela de La Chartreuse de Parme ? –, alors que dans les autres chroniques la part de la mystification, réelle ou induite, serait infiniment plus faible. Cette objection ne tient pas : comment ne pas voir que le seul scénario d’une chronique de la Renaissance et d’une traduction du XIXe siècle, d’un chroniqueur et d’un traducteur, s’apparente à une fable, et, en fin de course, repose en soi sur une poétique conjointe de la fiction et de la mystification ? Le seul fait d’opérer un clivage entre deux instances énonciatives implique une textualité qui a rompu avec un modèle narratif univoque, ou, si l’on préfère, avec l’immédiateté heureuse d’une narration se réduisant à un récit.
12Avant de proposer dans Les Cenci ce qu’il donne comme l’« Histoire véritable de la mort de Jacques et Béatrix Cenci, et de Lucrèce Petroni Cenci, leur belle-mère, exécutés pour crime de parricide, samedi dernier 11 septembre 1599, sous le règne de notre saint père le pape, Clément VIII, Aldobrandini » (p. 686), Stendhal prévient son lecteur : « J’ai acheté la permission de copier un récit contemporain ; j’ai cru pouvoir en donner la traduction sans blesser aucune convenance ; du moins cette traduction put-elle être lue tout haut devant des dames en 1823 » (p. 685) À tout prendre, c’est assez vertigineux : la traduction reçoit un brevet d’innocence et d’innocuité au prétexte que le récit qui va suivre a pu être lu sans scandale « devant des dames en 1823 », en pleine Restauration ; sauf que cette traduction est celle d’un récit où sont racontés des crimes épouvantables (inceste, parricide, sodomie, etc.), comme si la traduction conférait une respectabilité à ce qui n’est absolument pas respectable. Qu’est-ce à dire, en effet, sinon que le référent n’a aucune espèce de signification et que seule compte sa reproduction littéraire sous la forme d’une traduction littérairement correcte. Nous ne forçons pas trop les choses. Pour le coup il serait possible de parler de mystification, et pas seulement de provocation, mais cette mystification, bien sûr, n’est que l’autre nom de cette usurpation qui a nom littérature.
Notes de bas de page
1 La bibliographie est très abondante sur cette œuvre ; on se reportera prioritairement à l’éclairante étude synthétique de M. Di Maio, « La Chronique italienne », dans Stendhal. Intérieurs, Schena-Didier érudition, « Cultura straniera », Fasano, Paris, 1999.
2 Toutes les citations sont faites à l’édition des Romans et nouvelles de H. Martineau, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », étant entendu qu’il s’agit du tome II.
Auteur
Université de Franche-Comté
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