I. L’atopie
p. 41-66
Texte intégral
1Le héros d’Armance est, comme Socrate, insituable, atopos. Et cela dès l’incipit du roman, comme l’a bien montré P. Berthier, qui parle du « Non-lieu d’Octave » : le héros est « topographiquement inassignable » ; il vient de sortir de Polytechnique, et il renonce à entrer dans l’artillerie1. Octave est en souffrance dans un entre-deux-lieux. De fait, et symptomatiquement, le héros ne tiendra pas en place, il aura tendance à quitter précipitamment même les lieux les plus accueillants : le salon de Mme de Malivert pendant une charade2, une salle de bal3, un théâtre4, ou les bras d’Armance5. En proie à une espèce d’haptophobie, Octave répugne, manifestement, au « contact » (socio-tactile). Cette difficulté à trouver, dès les premiers mots du roman, une « position » – le mot est, ici, à la fois spatial (que l’on pense aux schémas de Beyle), et social (comme on dit une « position sociale6 ») – prend la valeur d’un avertissement liminaire. Armance met en crise l’espace, qu’il soit abstrait ou concret.
L’inclassable
2Qu’est Octave sur le plan politique ? Non pas tout à fait un noble / libéral, sur le mode de la contradiction pleine, mais un noble sans idéologie nobiliaire, un noble dans une « position fausse » :
Armance finit par obtenir l’aveu qu’il avait songé à un moyen pour paraître dans les sociétés où c’est la richesse qui donne le pas et non la naissance : – Eh bien, oui, je l’ai trouvé, disait Octave ; mais le remède serait pire que le mal, car il me coûterait plusieurs mois de ma vie, qu’il me faudrait passer loin de Paris.
– Quel est ce moyen ? […] – J’irais à Londres, j’y verrais naturellement tout ce qu’il y a de distingué dans la haute société. Comment aller en Angleterre et ne pas se faire présenter au marquis de Lansdowne, à M. Brougham, à Lord Holland ? Ces messieurs me parleront de nos gens célèbres de France ; ils s’étonneront de ce que je ne les connais pas ; j’en témoignerai beaucoup de regret, et à mon retour, je me ferai présenter à tout ce qu’il y a de populaire en France. Ma démarche, si l’on me fait l’honneur d’en parler chez la duchesse d’Ancre, n’aura point l’air d’une désertion des idées que l’on peut croire inséparables de mon nom.7
3En renonçant à partir pour Londres, en refusant l’hétérotopie (comme l’annonçait le sous-titre du roman qui impose l’ancrage parisien), Octave n’est pas seulement politiquement « déchiré », il entretient la déchirure, il éternise une situation déchirante. Dans les termes mêmes de l’auto-analyse du héros, l’impossibilité consiste bien à vouloir dissocier les « idées » du « nom », c’est-à-dire à vouloir séparer l’« inséparable8 ». Octave n’a pas exactement une idéologie « pleine », c’est un noble vidé de son idéologie nobiliaire, un noble dans une « position fausse » qui manipule le fantasme de l’arrachement et le préfère à son résultat9. Pour caractériser sa « position », le héros procède à un rapprochement historique qu’il veut éclairant :
– Nous sommes comme les prêtres des idoles du paganisme, au moment où la religion chrétienne allait l’emporter. Nous persécutons encore aujourd’hui […] mais demain peut-être nous serons persécutés par l’opinion.10
4Le parallèle témoigne d’une conscience hyperbolique des enjeux, et pourtant Armance y réplique par une surenchère :
– Vous nous faites bien de l’honneur de nous comparer à ces bons prêtres du paganisme. Je vois quelque chose de plus faux dans notre position.
5La « position » d’Octave est de fait plus complexe – ce que le texte, avant Armance, signalait déjà. C’est que, juste auparavant, en citant Corneille, Octave s’était mis implicitement du côté prochrétien : « – Je vous dirai bien plus, mais avec confidence, comme dit si bien Talma dans Polyeucte11. » De la tragédie, on reconnaît ici, au pronom près, le vers 1411. La parole est à Sévère, favori de Décie, qui forme le projet dangereux de sauver Polyeucte et qui, au-delà, marque à son confident le désir de réhabiliter la cause chrétienne : « Je te dirai bien plus, mais avec confidence / La secte des chrétiens n’est pas ce que l’on pense. » Par là, Octave s’inscrit déjà dans le camp des victimes. Armance est donc fondée à dénoncer la fausse clarté du parallèle historique, et à insister sur le dolorisme qui fait la particularité de leur situation : « Nous ne sommes de ce parti que pour en partager les malheurs. » Et le héros ne peut que souscrire à ce qui semblait, au départ, une surenchère, et ne se révèle, pour finir, que trop vrai : « – Il est trop vrai, nous voyons ses ridicules sans oser en rire, et ses avantages nous pèsent. » C’est, finalement, d’auto-persécution qu’il s’agit. Le dialogue avec Armance ne fait qu’expliciter les contradictions implicites du discours d’Octave qui en appelait à la fois à la Tragédie et à l’Histoire, à l’iconoclastie et à l’idolâtrie. Le noble d’Armance occupe une place où se neutralisent du même coup les rôles tragiques (persécuteur / persécuté, actif / passif) et la périodisation historique (avant / après, « encore aujourd’hui » / « demain peut-être »). En cela il « tient », au sens poliorcétique du mot, une position intenable. Octave recourt, d’ailleurs, à la métaphore obsidionale : « Ces gens ont la sottise d’avoir peur, ils se croient dans une ville assiégée et s’interdisent de parler des nouvelles du siège. […] – Eh bien ! allez donc voir les assiégeants. » Au conseil d’Armance, le héros répondra en style voltairien, comme Candide devant un embarras « métaphysique » : « C’est une grande question dit Octave12. »(Ajoutons que la position « fausse » qui rend compte de la situation politique vaut aussi dans le domaine érotique : « Je porte une juste peine, se dit-elle, de la fausse position dans laquelle je me suis placée, et qui est si inconvenante pour une jeune personne13. »)
6Cependant où est l’impossibilité ? Pourquoi Octave est-il tenté – mais tenté seulement – d’échapper à la clôture de sa « classe » ? Moins les frontières du lieu qu’il faudrait fuir sont nettes, plus grandes sont les difficultés à gagner un hors-lieu. Or il se trouve que la « classe » stendhalienne n’implique pas un ailleurs aisément assignable. Ce que la « classe » précisément ne permet pas, c’est la découpe définitive d’un univers pensé en termes d’idéologie et d’axiologie. C’est – d’abord – que le concept de classe, à lecture synoptique du discours stendhalien, provoque une gêne interprétative qui tient à son utilisation prolongée. Quand le mot est utilisé dans le Journal, en novembre 1804, pour stigmatiser « la classe la plus ridicule en France », « celle du petit-bourgeois14 », il n’a pas forcément le sens politique et suicidaire que lui donnera Julien Sorel au moment de son procès :
Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure…15
7Tout se passe, dans la déclaration de Julien, comme si, aux deux occurrences du mot correspondaient deux acceptions distinctes : la première logique, la seconde socio-politique. Usant, dans cette hypothèse, de cette figure : l’antanaclase, Julien insiste sur la politisation du sens et se condamne lui-même à mort. Il est remarquable, à cet égard, que M. de Frilair, bien qu’il donne le mot pour la cause de la mort de Julien, lui en substitue un autre en prétendant le citer :
Pourquoi parler de caste ? […] Cet intérêt de caste est venu masquer à leurs yeux l’horreur de condamner à mort.16
8L’antanaclase de Julien, la paronomase de Frilair soulignent que le mot est l’enjeu d’un travail violent et mortifère. Mais dans les années 1800, la « classe » appartient encore au lexique des sciences de la nature, à celui de Linné, de Buffon, des naturalistes du xviiie siècle. Les « classes » renvoient alors à l’ars combinatoria des sciences naturelles, plutôt qu’à une théorie de l’Histoire17. En 1804, inscrire le petit-bourgeois dans une classe revient d’abord à le doter d’une aura animalisante et la satire implique un effet de matérialisme discret qui résiste à la spiritualisation du sens18. Au reste on sait bien, au xixe siècle, que l’animalisation de l’humain constitue une promesse sûre de taxinomie (que l’on songe à la fascination qu’exercent sur Stendhal – comme sur Balzac – la phrénologie et la physiognomonie19).
9Cependant, le mot « classe » accentue sa mutation sémantique en climat saint-simonien, entre 1820 et 1825 (date à laquelle meurt Saint-Simon). À cette période apparaît, indubitable, pré-marxienne, une théorie des classes sociales. En 1828, par exemple, Stendhal parle de la « classe industrielle », en citant Saint-Simon20. Mais l’aventure lexicologique – ici à peine esquissée – n’empêche nullement Stendhal, comme tout sujet parlant, d’avoir anticipé sur la mutation sémantique officielle et « politisé » l’acception primitive du mot, comme elle ne lui interdit pas de conserver au mot, même tardivement, même quand il est question de politique, les traces de son premier emploi. Chez Stendhal, le mot peut toujours retrouver (ou garder) une fonction « zoologique » (à la Cuvier), ou « botanique » (à la Jussieu). Lucien Leuwen, par exemple, se propose d’étudier les ultra comme Cuvier « étudie l’histoire naturelle » : c’est-à-dire en analysant « avec méthode, en notant avec soin les différences et les ressemblances21 ». Brulard, lui, lorsqu’il distingue ses amis « bourgeois » (parmi lesquels des « hommes énergiques » qui appartiennent à « la classe qui est en lutte avec les vrais besoins ») et ses « amis nobles », c’est au nom de la botanique : « À force de classer mes amis de jeunesse par genre, comme M. Adrien de Jussieu fait pour ses plantes (en botanique), je cherche à atteindre cette vérité qui me fuit22. » Et, curieusement, Brulard se réfère encore à la taxinomie botanique quand les enjeux sont chronologiques, quand il s’agit de périodiser sa vie : « En classant ma vie comme une collection de plantes, je trouverai23… » ; suit un découpage en différentes phases. Et même quand il est question de définir les « classes » en termes stricts de hiérarchie sociale, c’est encore à l’imagerie végétale (celle du bambou) que Stendhal recourt : « La société, étant divisée par tranches comme un bambou, la grande affaire d’un homme est de monter dans la classe supérieure à la sienne, et tout l’effort de cette classe est de l’empêcher de monter24. » Le mot « classe » se tient, visiblement, au carrefour de plusieurs modélisations, ce qui lui permet de prendre, tour à tour ou à la fois, une valeur zoologique, botanique, « médicale25 », psychologique26, socio-politique ou socio-professionnelle.
10Dans ces deux derniers champs, le réel, apparemment, se laisse découper selon des principes stables : « vers l’année 1600 », « trois classes » (les grands seigneurs, la noblesse de province, les bourgeois, ou marchands et boutiquiers) admirent la Sorbonne et l’université de Paris27 ; et souvent, le monde du xixe siècle semble clair. On y trouve, ou y retrouve, une « classe bourgeoise28 », une « classe moyenne29 », une « classe riche30 », etc. Mais ce type de distribution soulève, évidemment, la question des éventuels recoupements, des superpositions et des coïncidences partielles. En outre, une classe peut être, selon les enjeux du discours, d’extension variable. Tantôt Stendhal parle de « la classe des artisans31 », tantôt de « la classe des artisans, des petits commerçants et des paysans32 ». Les problèmes s’accentuent quand on passe au pluriel (« les classes riches33 »), ou quand les oppositions se neutralisent (« les classes riches et nobles34 »), quand les classes se subdivisent (l’aristocratie peut se décomposer en « trois classes35 »), quand les paramètres se combinent (en France, les « quatre classes d’hommes, en politique comme en littérature » croisent des critères politiques et biométriques36), quand les « classes » ne sont plus englobantes mais englobées : « les classes moyennes du public parisien37 », etc. De surcroît, le sociopolitique tend à se confondre avec le socio-professionnel. Il y a, chez Stendhal, la « classe des ouvriers38 », ou les « classes marchandes39 », comme il y a la « classe » des « acteurs et actrices40 », « des imprimeurs et des éditeurs41 », « des faiseurs de vers42 », « des espionnes43 », des « militaires », des « gens de lettres », etc. Multipliées, déplacées (et parfois dans un même texte), les classifications entraînent des apories. De fait, la volonté de « classer » l’emporte sur les résultats définitifs ; les classements sont mobiles, fugaces, paramétriques, voire chimériques ou utopiques : la « classe pensante », telle qu’elle est théorisée par D’un nouveau complot contre les industriels, est moins une classe « pleine » qu’une entredeux-classes : « Telle est la vieille vérité que proclame la classe pensante placée entre l’aristocratie, qui veut envahir toutes les places et l’industrialisme, qui veut envahir toute l’estime44. » En somme, le mot « classe » peut servir à toutes les classifications, il peut même servir à cataloguer les morts45. Et à l’évidence, dans Armance, le sens du terme n’est pas sûr. Alors que la population romanesque est en proie au démon du classement (nosographique, idéologique ou érotique), les critères taxinomiques qui permettraient de « fixer » le sens du monde restent visiblement mêlés. Ce qu’atteste, par exemple, telle classification ironique opérée par le vicomte de Malivert : « excepté dans la classe des femmes dévotes ou laides46 ». Mais la « classe » peut, de toute façon, devenir un critère insuffisant, et se combiner avec d’autres paramètres : « la plupart des jeunes gens de sa classe et de son âge47 ». Au-delà de toutes les classifications concurrentes, hybrides ou incomplètes, ce qui reste c’est, évidemment, la manie classifiante elle-même, l’amour du « logique », ou des logiques (celle de Condillac48 ou celle de Tracy49). Mais c’est précisément parce que la « logique » couvre des champs multiples, des enjeux hétéroclites, qu’elle peut conduire au fiasco, comme le souligne Armance : « Mais à vous, monsieur le philosophe, si fort sur la logique, je vous dirai : comment connaître les hommes si vous ne voyez qu’une seule classe50 ?» (Chez Stendhal, comme l’a bien montré Yves Ansel, les acteurs sociaux en viennent vite à être « classés par leurs classements51 ».) Pour Octave, la logique qui, comme méthode a priori, garantit un bon découpage du monde, entre en concurrence avec l’expérience du monde et les changements empiriques de perspective (qui permettraient d’induire un bon modèle logique). Telle était la leçon que donnait l’apologue des tourterelles dans l’Avant-propos :
Si l’on demandait des nouvelles du jardin des Tuileries aux tourterelles qui soupirent au faîte des grands arbres, elles diraient : C’est une immense plaine de verdure, où l’on jouit de la plus vive clarté. Nous, promeneurs, nous répondrions : C’est une promenade délicieuse et sombre où l’on est à l’abri de la chaleur, et surtout du grand jour désolant en été./ C’est ainsi que la même chose, chacun la juge d’après sa position.52
11« Position » est un mot précieusement ambigu, à la fois topographique et socio-politique. Il invite à ne pas passer trop vite sur la part de littéralité que pourrait contenir l’apologue (on sait que Stendhal recourt volontiers à l’apologue animalier et que son usage « lafontainien » du bestiaire oppose, notamment, le chat et le rat53). Les « classes » naissent ici de la rencontre de l’empirisme et de la logique, d’une logique « zoologique » (sublimée par la prosopopée), hédoniste, qui prend en charge les visions et les sensations. Pourtant, l’objet sur lequel porte la divergence de vues n’est pas privé d’enjeux politiques : le « jardin », contigu au « palais des Tuileries », peut valoir pour un métonyme du Pouvoir. Mais, en même temps, le savoir direct sur la politique est dévalorisé. Ce qui frappe, ce n’est pas l’antagonisme des jugements (sur le jardin), c’est, dans un apologue à visée politique, l’éviction du savoir politique :
L’auteur n’est pas entré, depuis 1814, au premier étage du palais des Tuileries ; il a tant d’orgueil qu’il ne connaît pas même le nom des personnes qui se font sans doute remarquer dans un certain monde.54
12Mais que signifie alors l’apologue des tourterelles, que vaut la relativité des « positions » ? Et même si l’on oubliait cette contradiction de la fable, que faire de cette autre : si l’on admet, comme y invite l’avant-propos, que « chaque parti » fait « des descriptions malveillantes et fausses » des salons du parti opposé et que les personnes qui les hantent sont « également respectables », qui sont alors les « gens laids » qui passent devant le roman-« miroir55 »? La captatio benevolentiae, on le voit, progresse sur le mode de la contradiction continuée, multiplie les dénégations, revendique à la fois l’omniscience (que suppose la relativité des points de vue) et l’ignorance politiques, pervertit la mission logique et didactique de l’apologue. La population romanesque n’est pas si « classable » qu’il y paraît.
13Cette tension travaille d’ailleurs l’incipit du roman : « À peine âgé de vingt ans, Octave venait de sortir de l’école polytechnique. » D’un côté, le début du roman a une valeur « inchoative », il coïncide avec ce « début dans la vie » que dénotent le code biométrique (« vingt ans ») et ses renforçatifs sémantiques : la locution adverbiale (« À peine ») et la périphrase verbale (« venait de »). C’est tout le champ du Bildungsroman qui s’ouvre alors en marquant la possibilité et la nécessité de l’expérience. Mais, d’un autre côté, « l’école polytechnique » suppose tout un parcours, elle marque la fin d’un cursus habilitant, et garantit la validité d’une logique apte à rendre compte a priori du monde56. « Venir de sortir » est une action écartelée entre la rémanence d’un savoir et la promesse d’aventures : en elle se condensent la preuve d’une excellence et le signe d’une incomplétude. De même (ou dès lors), dans le roman, les classifications s’obtiendront toujours au prix d’opérations mixtes, mi-logiques (la « classe » recouvre des statuts et des rangs, une idéologie au sens moderne), mi-empiriques : la classe autorise à une partition plurielle ou plastique, elle accueille les variations de perspective, tolère le jeu ironique des relativisations.
14De nombreuses contradictions brouillent les activités taxinomiques. Au conflit du catégorique et de l’empirique, s’ajoute, notamment, celui qui oppose l’essence à l’Histoire. C’est à un tel ajout qu’oblige le narrateur quand il sape la « vision du monde » de l’acteur dans des notes infrapaginales. Désavouer le système politique d’Octave revient alors à lui opposer tantôt l’intemporalité d’une maxime (« les sots sont de toutes les classes57 »), tantôt les progrès accélérés de l’Histoire. Dans la première note du chapitre XIV, parce qu’elle vise à saisir les « lois » du monde, la parole gnomique immobilise le temps, éternise le sens ; ainsi peut-elle, à la fois, reprocher au « pauvre Octave » un aveuglement transhistorique (« comme Rousseau », il « se bat contre des chimères »), et garantir (faussement) la future conversion du héros : « Il se corrigera. » La seconde note du chapitre XIV ramène l’aventure à l’actualité en célébrant la « fusion des partis » que le ministère Villèle a favorisée. L’opinion d’Octave est, ici encore, contrariée, mais au prix de l’immixtion d’un savoir extérieur et ultérieur : « Heureusement les idées de ce jeune homme orgueilleux et timide sont encore moins exactes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a quelques mois58. » Il s’agit d’une figure narrativement coûteuse, qui outrepasse les « limites » du texte (au sens spatial et chronologique) et qui en ébranle douteusement la valeur. D’abord, le contradicteur réduit les « idées » d’Octave à une question d’idiosyncrasie, puis il invoque des événements politiques arrivés dans la « réalité », mais pas (encore) dans la fiction – argument qui tient de la prolepse (comme anticipation) et de la métalepse (comme intrusion « impossible » du réel). Une telle rhétorique alerte sur le caractère problématique du désaveu. C’est qu’il existe un « indécidable » stendhalien, comme il y a un indécidable flaubertien. Alors que celui de Flaubert repose sur le brouillage des responsabilités énonciatives, celui de Stendhal survit à (se nourrit de) la séparation nette des voix. Flaubert parie sur des confusions, Stendhal sur des contradictions (apparentes). Voilà donc les « classes » condamnées, ironiquement, soit pour la fugacité de leur découpage, soit par des « lois » transhistoriques. C’est qu’il y a, pour Stendhal, les « classes éternelles » et les « classes créées » :
Regnard ridiculise les jaloux, les amants passionnés, les gens de loi fripons ; en un mot, il s’adresse aux classes éternelles et nécessaires de la société, et non pas, comme Molière, dans Le Misanthrope, aux classes créées par le gouvernement et les mœurs de Louis XIV.59
15Dans Armance, les « classes » sont systématiquement dérangées, prises dans le jeu nerveux des contestations et des redistributions. Le roman ne met pas en scène, avant la lettre, une « lutte des classes », mais plus insidieusement, un choc des classes ; il insiste sur les heurts, les chevauchements, les incoïncidences, il oblige à penser la classification comme une opération (problématique), non comme un résultat : Octave ne tient pas plus dans une « classe » que dans un « symptôme » (l’« affection de poitrine » est un faux diagnostic60, la « monomanie » n’est pas sûre ou n’explique rien61, la « passion de voler » relève peut-être de la fausse confidence62, et tout « eurêka » définitionnel risque de ressembler au cri de joie monstrueux d’un médecin qui reconnaît la « pituite vitrée63 »).
La crise topographique
16On comprend mieux, dès lors, qu’Octave éprouve la tentation et l’impossibilité d’un déclassement. Comment sortir d’un lieu qui déplace insidieusement le tracé de ses frontières ? Portée à ce point d’éréthisme, la crise des représentations n’est pas sans conséquence ou corrélat : on découvrira finalement sans surprise qu’elle affecte – comme pour donner un sens littéral au piège des issues impossibles – la configuration concrète de l’espace romanesque. Car l’univers topographique d’Armance n’est pas mieux stabilisé que son espace taxinomique. Des « bizarreries » du découpage spatial, il n’y a pas, peut-être, de meilleure préfiguration que la description liminaire du jardin des Malivert :
Ces croisées donnaient sur un jardin solitaire divisé en compartiments bizarres par des bordures de buis.
17Description dont le narrateur souligne aussitôt, balzaciano more, le caractère symbolique :
Une rangée de tilleuls taillés régulièrement trois fois par an, en garnissait le fond, et leurs formes immobiles semblaient une image vivante de la vie morale de cette famille.64
18Ces « compartiments bizarres » n’ont pas manqué d’intriguer la critique. Et notamment Jean-Marie Gleize :
En (ce que j’appelle) ma mémoire, ce roman d’Armance aura été, comme longuement, filtré, pour, à la fin, produire ce peu (décisif) : les compartiments de buis, singulièrement taillés (les « bizarres » compartiments) du jardin Malivert.65
19De fait, l’attention portée à la « compartimentation » de l’espace joue un rôle capital dans l’imaginaire stendhalien, comme l’atteste la présence de ce type d’analyse en début de roman (et pas seulement dans Armance). L’ouverture du Rouge, par exemple, s’intéresse de près à la question des murs :
En Franche-Comté, plus on bâtit de murs, plus on hérisse sa propriété de pierres rangées les unes au-dessus des autres, plus on acquiert de droits aux respects de ses voisins.66
20Ce qui est censuré, alors, c’est l’étrangeté, l’étrangèreté des plans italiens :
Pour arriver à la considération publique à Verrières, l’essentiel est de ne pas adopter, tout en bâtissant beaucoup de murs, quelque plan apporté d’Italie par ces maçons qui au printemps traversent les gorges du Jura pour gagner Paris.67
21Le découpage de l’espace est bien l’affaire essentielle, comme le confirme l’incipit de Lamiel :
Si l’œil […] cherche les détails, il voit que chaque champ forme comme un enclos entouré de murs de terre, ces digues établies régulièrement sur le bord de tous les champs sont couronnées d’une foule de jeunes ormeaux.68
22Les murs constituent l’objet herméneutique par excellence, comme le souligne la métaphore qui inaugure la deuxième partie de Leuwen : « Je professe qu’au-dessus de cinquante mille francs la vie privée doit cesser d’être murée69. » La volonté de comprendre se confond, chez Stendhal, avec le désir de transgresser les frontières ou d’examiner les cloisons.
23On tiendra ici les « compartiments bizarres » d’Armance pour « l’image », ou l’annonce symbolique, de la crise de l’espace romanesque. Car, dans le roman, on ne sort pas mieux d’un « salon » que d’une « classe ». Pourquoi ? C’est que le salon, échappant à la mimésis réaliste, offre l’image contradictoire d’une clôture qui se déplace. Y a-t-il vraiment deux salons, celui de Mme de Malivert, celui de Mme de Bonnivet ? Deux microcosmes spécifiquement clos ? En fait, les deux salons reviennent au même. Dès le début, un désir de confusion des murs traverse Octave sous la forme semi-réaliste d’un fantasme d’exhaussement :
Le plafond si écrasé de sa chambre lui déplaisait mortellement ; il envia le magnifique salon de l’hôtel de Bonnivet. […] J’aurai un salon magnifique comme celui de l’hôtel de Bonnivet.70
24Et l’estimation minutieuse (et « enfantine ») du coût des travaux masque – mais aussi en quelque sorte prépare – la révélation de la similarité des lieux. Car toutes les enceintes se valent, et Octave reste frappé par cette révélation que tout espace se confond, que nul lieu n’assume la particularité de ses limites :
Il tressaillit le lendemain en trouvant une ressemblance entre le vieux mur du jardin de sa maison couronné de quelques violiers jaunes en fleur et le mur d’enceinte de l’hôtel de Bonnivet.71
25L’assimilation des murs d’enceinte s’opère, pour finir, à la faveur d’un petit délire amoureux qui « rationalise » le phénomène, mais qui peut en voiler les enjeux. Le désir amalgame ici l’espace familier et l’ailleurs. Si l’« érotope » n’occupe pas d’espace propre, ce n’est pas parce qu’il est dépourvu de limites, ou pourvu de limites floues, mais parce que ses frontières s’annulent sous l’effet d’une surimpression : la sensation, au cœur du familier, fait revenir l’ailleurs. En rendant la familiarité désirable, l’érotique stendhalienne inverse le mécanisme de l’« inquiétante étrangeté » (das Unheimliche) qui travaille, selon Freud, au surgissement du familier dans l’étrange. L’émoi érotique est proche, en revanche, de ce que la psychanalyse a désigné comme retour du refoulé par l’instance refoulante : le « mur », qui devrait servir à la démarcation des lieux, sert ici à les confondre. On sait que, pour illustrer ce processus dont il a un moment postulé l’existence, Freud a eu recours (inspiré par une gravure de Félicien Rops) à l’apologue de l’ascète qui conjure la tentation par l’image du crucifix et voit apparaître à la place du crucifié l’image d’une femme nue. De là cette hypothèse selon laquelle « le refoulé, lors de son retour, surgit de l’instance refoulante elle-même72 ». La confusion des murs, cependant, n’est pas le seul signe qui « brouille » la représentation de l’espace. C’est que d’autres similitudes frappent le lecteur, à commencer par l’étrange glissement des décors. Ainsi, entre les deux salons, le mobilier devient interchangeable, et la « petite chaise » à laquelle Armance semble attachée dans le salon Bonnivet se retrouve dans le salon Malivert. Pourtant, les signes d’ancrage de la « petite chaise » dans le salon Bonnivet sont nombreux :
une petite chaise qu’occupait Armance de Zohiloff73 / Peut-être tant de courage était-il rendu facile par la vue de la petite chaise où se plaçait ordinairement Armance près du fauteuil de madame de Bonnivet74 / elle était assise sur sa petite chaise auprès de la marquise75.
26Retrouver la petite chaise dans le salon Malivert pourrait donc surprendre :
Quand elle [Mme de Malivert] fut bien établie dans sa bergère, et Armance assise devant elle sur sa petite chaise.76
27Cependant, tout favorise le rapprochement des deux salons : depuis la ressemblance des noms (Bonnivet/Malivert) et l’égalité des titres (« marquises ») des éponymes qui les désignent – d’ailleurs « amies » et « parentes » – jusqu’au symbole commun de leur présence tutélaire : une « bergère77 ». Itinérante, la « petite chaise » force à interroger le décor. Quelle qu’en soit la cause, fût-ce un lapsus – on pourrait parler ici d’« anatopisme », comme il y a, chez Stendhal, des « anachronismes78 » – l’omniprésence de la chaise peut être analysée pour ses effets. D’ordinaire, le monde du texte est traité de deux façons : tantôt comme un monde (discours de re), tantôt comme un texte (discours de dicto). D’un côté l’impression référentielle (qui sépare le personnage et son décor), de l’autre sa dissipation formaliste (qui les réduit tous les deux à des mots). Ces deux discours règnent ostensiblement dans Armance. Au premier, l’on doit la place que prend la « petite chaise » dans le jeu des contrastes signifiants : son opposition à un autre siège, la bergère, signale sa valeur hiérarchique ; son occupation par une autre femme, exhibitionniste, sa fonction amoureuse :
Elle [la petite chaise] venait d’être occupée par une des demoiselles de Claix dont les belles épaules allemandes, favorisées par le peu d’élévation de la petite chaise d’Armance, profitaient de l’occasion pour étaler toute leur fraîcheur. Quelle différence ! pensait ou plutôt sentait Octave ; comme ma cousine serait humiliée de ce qui fait le triomphe de mademoiselle de Claix !79
28Rien dans cette lecture ne distingue le monde fictionnel du monde réel : dans la fiction comme dans la vie, une petite chaise peut souligner une position sociale ou morale, un comportement a-érotique. Mais Armance secoue les conventions mimétiques d’au moins deux façons. La plus simple consiste à rappeler que le texte est fait de « mots » (quitte à en parler en termes anthropomorphiques). Il arrive alors aux mots d’être dotés d’une psychologie ou d’une physiologie : dans Armance les mots, à l’instar de la population romanesque, peuvent « rougir » : c’est le cas du « mot bonhomie » (dans les Souvenirs d’égotisme, les mots seront « étonnés80 »). Ainsi des mots ou des figures de style peuvent s’incarner, devenir les « personnages » du discours. Reste une autre manière de brouiller la mimésis, et qui opère à l’inverse : au lieu de personnifier des mots, elle désincarne des personnages. C’est le cas d’Armance qui se matérialise en même temps que sa petite chaise. Le texte, alors, renoue avec l’esthétique « dysmimétique » chère à Stendhal et revendiquée ailleurs dans le roman81 ; on passe insensiblement de la « chère petite » à la « petite chaise ». La « petite chaise » n’est plus seulement un élément du décor (même symbolique), un « attribut » d’Armance, c’est aussi un élément du texte qui met en crise la matérialité même du décor. À en croire Philippe Hamon, dans une description, la « métonymie narrative » aurait pour équivalent pictural tout « fond de portrait » qui « fonctionne non comme un décor réaliste, mais comme un attribut symbolique du personnage représenté » – ainsi, par exemple, « les estampes japonaises (signe et brevet de modernité à l’époque) sur le fond du portrait de Zola par Manet82 ». Ici, le discours stendhalien propose autant à la mimésis une surdétermination qu’une redistribution : comme si le personnage était non seulement composé de « mots » (statut linguistique) ou de « sèmes » (décor symbolique) mais aussi de « choses » – comme si son portrait pouvait se constituer à partir des éléments du décor. L’héroïne, qu’un fétichisme amoureux réduit à la synecdoque obsédante du « bras83 », se révèle indissociable de son présentoir, le « siège ordinairement sans bras » des dictionnaires. Ce type de réification ressemble fort à ce que Mérimée, dans un autre contexte, appelle une « addition aux métamorphoses d’Ovide » :
Vous vous apitoyez à tort sur mon sort de chef de bureau. J’espère bien ne pas rester là, autrement je deviendrais bientôt l’occasion d’une addition aux métamorphoses d’Ovide : un homme de bureau changé en fauteuil de bureau. Mes honorables collègues sont déjà transmués en meubles.84
29C’est à ce même genre de « mélange » que se livrent (sous l’alibi de l’exactitude et de la « logique ») les schémas géométriques de Stendhal. De fait, la mathématisation de l’espace permet de traiter à égalité le décor et les acteurs, de tout réduire à des lignes, des points et des lettres. Sur les croquis, Henri (ou Henry) devient une silhouette, n’est plus qu’un point : H. Le sujet est pris dans le décor stylisé et formalisé des souvenirs – ne faisant qu’un, faisant corps, avec lui. Avec une chaise, par exemple85. Comme critique pictural, Stendhal est sensible, d’ailleurs, aux troubles de la mimésis, et notamment aux « chevauchements ». Chez Francesco Hayez,
quelques pieds, quelques mains sont mal emmanchés. Que m’importe ! Voyez la Prédication de Pierre l’Ermite […]. Ce peintre m’apprend quelque chose de nouveau sur les passions qu’il peint.86
30Dans la Madonna alla Seggiola de Raphaël « la main gauche de la Vierge entrerait dans le corps de l’enfant Jésus, mais qui s’aperçoit de ce défaut87 ?» Au-delà des erreurs et des bévues (volontiers pardonnées)88, Stendhal peut valoriser le chiaroscuro ou le sfumato, le vaporeux, la douceur corrégienne, le « petit carré de papier blanc » qui ne fait pas tache sur un tableau89, tout ce qui efface, estompe les frontières. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le décor et les acteurs tendent à se fondre. Comme ce peut être le cas, par exemple, à la faveur d’une erreur de perception :
Deux heures plus tard, quand elle [Ernestine] repassa […], elle frissonna en reconnaissant que ce qu’elle avait pris pour un accident de l’écorce dans l’arbre était la couleur de la veste de chasse de Philippe Astézan, qui, depuis deux heures, assis sur une des racines du chêne, était immobile comme s’il eût été mort.90
31Motivée à la fois par une tradition littéraire (celle des métamorphoses) et par un frayage linguistique (le héros, à la lettre, « prend racine »), « rationalisée » par un acte manqué, la transformation du héros en arbre est de mauvais augure : elle annonce la stagnation de l’histoire, l’échec de la « chasse » (au bonheur), la mortification finale : « Il fut aimé d’Ernestine, mais ne put obtenir sa main91. » Pour ne pas multiplier inutilement les exemples, mais pour en évoquer un plus notoire, il suffit de rappeler que, dans La Chartreuse, l’« obéissance passive » décrit d’abord la « figure » de Clélia (« Daigne-t-elle me suivre dans le monde, sa figure noble et pure offre l’expression assez hautaine et peu encourageante de l’obéissance passive92 ») avant de désigner la cellule de Fabrice : « Ce fut dans l’une de ces chambres construites depuis un an, et chef-d’œuvre du général Fabio Conti, laquelle avait reçu le beau nom d’Obéissance passive, que Fabrice fut introduit93. » Ce qui relevait de la rhétorique du portrait glisse, dans un effet d’hypallage, et « caractérise » la topographie94. « Féminisé », devenu prison-femme, le décor entraîne une symbolique du temps : l’incarcération de Fabrice, comme on sait, dure neuf mois, et invite à une renaissance.
32Chez Stendhal, non seulement le décor annonce, plus ou moins nettement, les choses du futur, mais il ne se contente pas d’anticiper sur le destin, il y participe activement, que son rôle soit érotique ou mortifère. Ainsi, dans Armance, la belle mort, la « rare beauté » du corps mort d’Octave sont prédites par – produites avec – les oronymes qui l’entourent : les montagnes de la « Morée » et l’apparition du mont « Kalos95 » ; la fin d’Octave s’écrit avec des fragments du décor. Ainsi, toute une poétique stendhalienne pousse à « confondre » ou à fondre lieux, personnes ou personnages. Et, de fait, le principe « dysmimétique », qui efface l’ancienne distinction du décor (topographie, argumentum a loco) et de l’acteur (prosopographie, éthopée), est revendiqué aussi bien dans les écrits « théoriques », comme De l’amour, que dans l’« autobiographie ». Ici comme là, une « ligne de rochers » peut fournir l’« image sensible et évidente » de l’être aimé96. On retrouve la formulation de ce principe jusque dans les romans, comme l’atteste, on l’a vu, un reproche fait à Lucien Leuwen, qui confond la femme qu’il aime et le lieu qu’elle habite (« Vous pensez à la rue de la Pompe ! »), et comme le confirme une « vision » d’Octave de Malivert :
En sortant de l’hôtel de Bonnivet, le vestibule, la façade, le marbre noir au-dessus de la porte, le mur antique du jardin, toutes ces choses assez communes, lui semblèrent avoir une physionomie particulière qu’elles devaient à la colère d’Armance.97
33Cette « vision » ne coïncide ni avec les « symptômes » de la psychiatrie classique (comme la « paréidolie98 »), ni avec les techniques de création picturale (telles celles que préconise Léonard de Vinci) :
Si tu regardes des murs barbouillés de taches, ou faits de pierres d’espèces différentes […] tu y verras des paysages variés, des montagnes, fleuves, rochers, arbres, plaines, grandes vallées et divers groupes de collines. Tu y découvriras aussi des combats et figures d’un mouvement rapide, d’étranges airs de visages, et des costumes exotiques, et une infinité de choses que tu pourras ramener à des formes distinctes et bien conçues.99
34De Léonard à Stendhal, les enjeux varient radicalement. Là où Léonard donne forme à l’informe, passe de l’abstrait au figuratif (outre les murs, le peintre conseille de scruter « les cendres, les nuages ou la boue »), Stendhal procède à l’inverse. Chez lui, le point de départ de la « vision » conserve sa valeur concrète, figurative (la ligne de rochers reste une ligne de rochers, le mur reste un mur, etc.), tandis que la nouvelle image qui se forme ne renvoie, à proprement parler, à rien de figuratif, de « physique » : on sait que Stendhal, critique pictural, s’intéresse surtout à la « peinture des âmes ». De là, l’admiration pour Ghiberti, « sans rival […] dans l’art de donner une âme aux figures100 ». De là aussi les reproches adressés au Titien qui « ne peint que les corps et non les âmes » ou à Daniele de Volterra « qui, au lieu de peindre des âmes, peint des corps vigoureux et bien constitués101 ». Mais ce qui signe la spécificité de la peinture fait aussi sa faiblesse : « Les arts du dessin sont muets ; ils n’ont que les corps pour représenter les âmes. Ils agissent sur l’imagination par les sens, la poésie, sur les sens par l’imagination102. » Tout se passe alors comme si l’écriture stendhalienne ne renonçait à rien, comme si elle cumulait les procédés : il s’agit d’écrire ou de décrire ce que l’auteur, le narrateur ou le héros n’ont pas, pourtant, simplement « vu », et qui reste, pour le lecteur, infigurable. Octave ne voit pas, au sens strict, le visage ou le corps de l’être aimé, mais des sentiments, des affects, « la colère d’Armance ». De même, ce que fait « voir » à Salviati la « ligne d’horizon des rochers de Poligny », c’est « Léonore en colère103 ». De même encore, la « ligne de rochers en approchant d’Arbois […] et venant de Dôle » est, pour Brulard, « une image sensible et évidente »… « de l’âme de Métilde104 ». Dans l’univers stendhalien, le brouillage des frontières entre animé et inanimé, matériel et spirituel, ne se confond pas avec les « symptômes » classiques de la nosographie ou avec les « méthodes » officielles de la mimésis picturale. En cela, chaque brouillage invite à une interprétation « singulière ». Dans Armance, la métamorphose secrète (ou discrète) de la « chère petite » en « petite chaise » s’explique sans doute, en partie, par la tendance – inquiétante – de l’intrigue à s’enfermer « en un (seul) lieu ». Pour le coup, le sous-titre « charlatan » d’Urbain Canel dit pourtant une vérité : Stendhal écrit bien « quelques scènes d’un salon de Paris en 1827 ». Le sous-titre énonce finalement la vérité sur l’univers romanesque, son resserrement, sur ce que J.-P. Richard appelle son « asphyxie » – et le critique adopte de fait le point de vue du « libraire » quand il écrit : « Tout se passe dans l’air raréfié d’un salon105. » Pourtant, de nombreux salons sont évoqués dans Armance, il y a notamment les « salons libéraux106 » (mais Octave n’y entrera jamais), les « étranges salons107 » (mais Octave ne les fréquentera plus), le salon de Mme d’Aumale à la chaussée d’Antin (mais Octave y joue un rôle factice)108, il y a les allers et retours entre Paris et Andilly (mais ce sont justement des allers et retours)109 – finalement tous les salons se réduisent assez vite à deux, et en fait à un seul. Ainsi, tragiquement, l’action s’enferme « en un lieu ». Tout conspire obstinément à la claustration. De sorte que la fin du roman ne représente, sous la forme de l’enfermement conventuel, que la radicalisation d’un désir diffus. Car s’il faut considérer l’entrée au couvent comme le telos d’Armance c’est aussi parce que l’événement, outre sa position clausulaire et ses vertus résolutives, semble dépendre constamment d’une rhétorique de l’annonce – d’une rhétorique qui travaille indifféremment les thèmes et les schèmes. À un premier niveau, thématique, l’enfermement menace Armance dès qu’il devient (et il le devient précocement) le fantasme de l’héroïne : « Bientôt Armance se vit religieuse110. » Et l’on sait que ce désir (que le narrateur nomme « délire ») prend suffisamment d’ampleur pour conduire à la construction hallucinée d’un décor, à l’hypotypose : « Son âme avait besoin de se figurer exactement l’état où elle serait dans sa cellule111. » Mais l’annonce ne commande pas seulement le déroulement lent d’un programme narratif, l’actualisation insidieuse d’un fantasme, elle ne se résigne pas à traiter l’aventure en termes exclusifs de concaténation. L’histoire reste aussi tributaire, à un second niveau, de la matrice rhétorique qui réduplique les lieux, en impose le retour et la fusion. Dès lors, ne « va arriver » rien d’autre que ce qui est déjà arrivé, et la fin n’aura d’autre rôle que de satisfaire une perversion diffuse : « Armance et madame de Malivert prirent le voile dans le même couvent. » Comme si s’accomplissait enfin, autrement que dans l’illusion ou le lapsus, le désir d’une crase spatiale. Car « le même couvent » se révèle le seul lieu qui puisse accueillir, référentiellement et sublimement, celles qui auront vécu, imaginairement et perversement, dans la même maison et le même salon. Le roman aura donc procédé constamment à une « restriction d’espace » (comme on parle, chez Stendhal, de « restrictions de champ112 »).
35On le voit : le destin stendhalien est autant l’affaire d’une progression lente que d’une répétition incessante ; il peut mêler à l’actualisation finale d’un désir – le souhait de claustration – les signes précoces de son exaucement. Apparemment évolutive, la fatalité d’Armance est aussi, et peut-être essentiellement, répétitive. Tout se passe alors comme si, au-delà de son déroulement, le roman racontait à tout moment, du sous-titre aux derniers mots, la même histoire. Mais cette histoire peut aussi à tout moment être contestée, déniée (elle n’apparaît clairement que par rétrolecture). Car le destin, dans Armance, n’est pas forcément « inévitable », ou plutôt, il semble, comme les « murs » du roman, à la fois inaltérable et modifiable. En laissant la mère et Armance disparaître dans l’abîme de l’indistinction, le roman dévoile le caractère « bizarre » de toute « bordure », de toute « frontière », de tout « mur ».
36On sait que le « mur » constitue l’image topique de l’obstacle, et c’est pour cette raison même qu’il est souvent nié ou dénié : la passion de savoir, la pulsion de voir se confondent souvent, chez Stendhal, avec le désir de franchir les frontières ou de traverser les cloisons. Dominique, de fait, veut voir à travers les murs, rêve d’une « teichoscopie » (comme Asmodée, dans Le Diable boiteux, soulève le toit des maisons). Et il lui suffit, parfois, pour voir de l’autre côté, de mettre « l’œil au trou d’une serrure ». Comme le montre la couverture de la « biographie » que lui consacre Mérimée, le frontispice du HB, ajouté à l’édition de 1864, et que l’on doit à Félicien Rops : Beyle y est le témoin-voyeur de l’infidélité d’Angela Pietragrua. On pourrait considérer le fantasme (maintes fois formulé) de l’invisibilité comme une variante de la « vision à travers le mur ». Stendhal aspire à un Panopticon. Il rêve de posséder « l’anneau d’Angélique113 » ou d’être rendu invisible par un « magicien114 ». L’article 21 des Privilèges lui permet, cent vingt fois par an, de « voir ce que fait actuellement la personne qu’il voudra ; il y a exception complète pour la femme qu’il aimera le mieux. Il y a encore exception pour les actions sales et dégoûtantes115 ». Il est pourtant paradoxal de prévoir des exceptions à une omnipotence fantasmatique (est-ce le souvenir de la scène – jugée sur le coup comique, après coup terrible – avec Angela ?). L’amour ne se laisse pas si facilement observer, et pas même quand on en est l’acteur (à preuve, le « complexe de Psyché » qui frappe la Chartreuse, où Clélia tombe, avec Fabrice, dans « le péché de voir »).
37Rien d’étonnant à ce qu’Armance, de son côté, matérialise la nécessité et l’impossibilité des séparations à travers la symbolique du mur. Les murs fixent un destin (les murs d’enceinte des hôtels de Bonnivet et de Malivert se ressemblent) ; mais les murs sont aussi ce qu’on projette de modifier : ils pourraient être exhaussés116, ou encore décorés (déniés) avec du papier peint117 ou avec des glaces118. Ils finissent par devenir le support fugitif des fantasmes (ils doivent à la colère d’Armance leur « physionomie particulière119 »). Le mur oscille sans cesse entre la matérialité et l’inconsistance. Il est, quand il est mur de couvent, la « barrière éternelle » qui doit séparer Armance des hommes120, mais il est aussi une métaphore qui peut être annulée : le « mur de diamant » qu’élève l’orgueil d’Octave disparaît en présence de sa cousine121. De même, Stendhal confesse parfois être séparé de l’amour par un (faux) mur :
Comme Tancrède, je vois un mur de flammes ; bien rarement j’ai le courage de m’élancer au-delà, mais alors je reconnais que ces flammes n’étaient qu’une vaine illusion, un jeu d’optique. Voilà le résultat de ma visite ce matin à la belle E.122
38L’imaginaire stendhalien tend à transformer l’éros en épreuves « horologiques », en franchissements de seuils initiatiques (même s’il s’agit de franchir une « porte à demi ouverte123 »). Et les murs figurés, qu’ils soient de « diamant » ou de « flammes », sont ambivalents : le mot « flammes » est le comparant prototypique de l’éros. Quant au mot « diamant », il renvoie au couple amoureux (« di-amant ») – ou plutôt à plusieurs : la mère et Armance sont toutes deux en rapport métonymique avec les diamants : Mme de Malivert vend deux diamants pour acheter un « joli cheval » à son fils124, Armance porte une croix de diamants qui émoustille Octave125. Quand ils sont métaphoriques (de flammes ou de diamants) les « murs » de Stendhal sont des obstacles à l’amour, mais qui sont issus de l’amour même, dans un mécanisme qui inverse le « retour du refoulé par l’instance refoulante » (ou qui favorise, pour le dire à l’endroit, l’« apparition du refoulé par l’instance adjuvante »).
39Le « mur » marque et dénie les frontières entre les lieux, entre les êtres. C’est une coupure malléable, l’image d’un destin inflexible et que l’on pourrait infléchir. Cette « image », apparemment paradoxale, renouerait en fait avec l’une des représentations antiques du destin, celle de la « Part » (moros ou moira) que l’on peut « transgresser ». Dans L’Iliade ou L’Odyssée, les mortels n’agissent pas toujours « selon le destin » (cata moïran), ils peuvent « transgresser » leur part de destin (hyper moron)126. L’écriture stendhalienne pourrait bien être le lieu où se retrouve cette forme grecque du destin. Un lieu où l’on « traite » avec son destin, où l’on se collette avec lui, lui arrache une promesse de bonheur.
40L’espace d’Armance, qu’il soit concret ou abstrait, est un espace partiellement brouillé. S’il l’était davantage, aucun « destin » ne pourrait plus s’y lire ; tel qu’il est, il permet au destin de se profiler, à titre d’énigme, ou de conjecture. Il ne faut pas sous-estimer la violence d’une telle défiguration : il s’agit moins ici de « paratopie127 » que d’atopie. Le « destin » doit autant ici (plus peut-être) aux « reconstitutions » de la rétrolecture qu’à des « signes sûrs » perçus au fur et à mesure, bien que ces « signes », une fois repérés, même hétéroclites et fragiles, s’avèrent scander, à intervalles réguliers, l’aventure. Qu’elles soient topographiques ou idéologiques (et, évidemment, géographiques), les « frontières » d’Armance sont l’occasion de transgressions et de chevauchements. La fiction semble perdre ici son « cadre ». Il reste, pour en mesurer l’éclatement, à passer de l’espace au temps, à interroger le rôle du temps dans le destin stendhalien.
Notes de bas de page
1 « Non-lieu d’Octave », dans Espaces stendhaliens, PUF, 1997, p. 189.
2 « Il n’y avait pas un an qu’un jeune laquais […], ayant eu l’air de s’opposer à son passage, un soir qu’il sortait en courant du salon de sa mère… » (A, p. 45)
3 « Octave s’était échappé d’une façon à peu près aussi brusque d’un bal que donnait madame de Bonnivet. » (A, p. 46)
4 Au Gymnase, « la clef que l’on rend dans le second acte du Mariage de raison le chassa du spectacle » (A, p. 51).
5 « Tout à coup il devint comme furieux, se dégagea des bras d’Armance qui essaya en vain de le retenir, et prit la fuite. » (A, p. 175)
6 A, p. 67. Une position sociale est aussi, comme on sait, le titre d’un roman (inachevé) de Beyle.
7 A, p. 104-105.
8 Le fantasme londonien conjugue en fait deux figures (sur lesquelles on reviendra) : celle de la séparation impossible, celle du retour résolutif. Être en France ne permet pas à Octave d’apparaître dans l’espace libéral, parce que c’est y revenir qui le permettrait. Ce qui compte pour le touriste (anglicisme que Stendhal contribue à promouvoir), c’est, au-delà du « tour », le retour.
9 D’un autre côté, ironiquement (ou tragiquement), c’est l’idéologie nobiliaire, le fameux « noblesse oblige », qui servira d’alibi à son départ pour la Grèce et à son suicide.
10 A, p. 104.
11 A, p. 103.
12 A, p. 100.
13 A, p. 162.
14 J1, p. 142.
15 RN, p. 675.
16 RN, p. 686.
17 Mais rien n’empêche les « classes » qui ne constituent pas une « théorie » de l’Histoire d’être interrogées archéologiquement pour leur implication dans l’épistémè générale – comme l’a proposé M. Foucault (dans Les Mots et les choses). Sur l’évolution du mot « classe », voir Marie-France Piguet, Classe. Histoire du mot et genèse du concept, Presses universitaires de Lyon, 1996, qui renvoie notamment à Tracy et à l’abbé Gattel (mais ne parle pas de Stendhal).
18 C’est l’interprétation qu’a proposée P. Barbéris dans son séminaire sur « Henri Beyle et la naissance d’une nouvelle littérature », École pratique des hautes études, 1983-1984. Quand, dans Lamiel, il sera encore question de la « classe » petite bourgeoise, elle sera pensée sur le mode vestimentaire du déguisement : « Je voudrais être vêtue comme une petite bourgeoise, seriez-vous assez obligeante pour venir acheter avec moi un costume complet de cette classe ? » (L, p. 995)
19 Y compris devant des tableaux : « On dit encore que la tête de la vierge [Madonna del Sacco] est le portrait de la femme d’André [del Sarto], fort méchante et qu’il aimait à la folie ; on retrouve son portrait dans beaucoup de ses tableaux. Cette femme avait le front avancé et comme divisé en deux par une ligne verticale. Est-ce là la bosse de la méchanceté féminine ? » (Cité par F. Ferranti, Le Musée idéal de Stendhal, Paris, Stock, 1995, p. 75)
20 « Les nombreuses fabriques qui, depuis 1817, s’élèvent dans tous les coins de la France ont produit une classe de gens qui sont, sinon dans l’opulence, du moins dans l’aisance. M. de Saint-Simon l’appelle la classe industrielle. » (PLC, p. 876)
21 LL, p. 891.
22 HB, p. 547-548.
23 HB, p. 548-549.
24 SE, p. 480.
25 Dans l’Histoire de la peinture en Italie, le chapitre XCII du cinquième livre intitulé : « Six classes d’hommes » théorise en fait six « tempéraments ». Une note y excuse l’absence de copie de la « caricature des quatre tempéraments » et renvoie à Lavater (HP, p. 264).
26 Stendhal parle, par exemple, de la « classe » des « lecteurs sans imagination » (PLC, p. 109), de celle des « gens d’esprit » (PLC, p. 870), etc.
27 PLC, p. 329.
28 PLC, p. 626.
29 PLC, p. 334.
30 PLC, p. 118.
31 PLC, p. 891.
32 PLC, p. 318.
33 PLC, p. 467.
34 PLC, p. 616 ; PR, p. 1032.
35 PLC, p. 227.
36 PLC, p. 894.
37 PLC, p. 634.
38 PLC, p. 394.
39 PLC, p. 879.
40 PLC, p. 683.
41 PLC, p. 817.
42 PLC, p. 865.
43 PLC, p. 440.
44 NC1, p. 12-13. Sur la notion de « classe » dans le Nouveau Complot, voir les analyses de P. Chartier, A. Delaveau, J.-M. Gleize, G. Mouillaud, G. Petiot, A. Picherot dans NC1, celles de P. Barbéris dans Sur Stendhal, Paris, Éditions sociales, 1982 (p. 32-39, 65-69), et celles de M. Crouzet dans NC2 (p. 38 et suiv.).
45 Dans une traduction supposée « exacte » du grec : « Parmi les morts il y a deux classes : l’une retourne errer sur la terre, l’autre va former les danses au ciel avec les dieux. » (VF, p. 484)
46 A, p. 81.
47 A, p. 62.
48 C’est de la Logique de Condillac que Stendhal dit (à sa sœur Pauline, en 1802) : « Ce petit livre de deux cent treize pages lu, rien ne peut t’arrêter dans aucun genre de science, les calculs les plus difficiles de l’algèbre, les points de grammaire les plus embrouillés ne t’offriront plus aucune difficulté, […] car la logique n’est autre chose que l’art de raisonner. » (CG1, p. 57)
49 Cet homme si vide [le « père Dupuy »] disait cependant une grande parole : / Mon enfant, étudie la Logique de Condillac, c’est la base de tout. / On ne dirait pas mieux aujourd’hui en remplaçant toutefois le nom de Condillac par celui de Tracy. » (HB, p. 742)
50 A, p. 103.
51 Les angles morts du réalisme stendhalien », L’Année Stendhal, no 1, Paris, Klincksieck, 1997, p. 26.
52 A, p. 25.
53 À ces deux acteurs, auxquels Stendhal recourait, comme le rapporte Mérimée, pour couper court à toute controverse (« vous êtes un chat, je suis un rat »), peuvent s’ajouter, ou se substituer : un tigre, un cerf, un mouton, un écureuil, un moineau, une mouche éphémère, un rossignol et une taupe, un aigle et une chèvre – sans compter les personnels mixtes (les fourmis et le chasseur, la rose et le jardinier) et les inanimés comme les « cruches » (« de miel » et « de vinaigre »), l’herbe et le volcan, le chêne et le lierre, etc. Voir, par exemple : HP, p. 237, 261 ; RN, p. 692 ; VEF, p. 826 ; I18, p. 275 ; L, p. 926.
54 A, p. 25.
55 Ils ont présenté un miroir au public ; est-ce leur faute si des gens laids ont passé devant ce miroir ? De quel parti est un miroir ? » (A, p. 26)
56 Peu de jeunes gens, entre dix-sept et vingt-cinq ans, s’adonnent sérieusement à l’étude. L’on peut faire exception pour l’École polytechnique, cette institution admirable pour laquelle nous devons remercier la République et que respecta même le despotisme de Napoléon, bien que celui-ci n’ait jugé bon de la visiter qu’après son retour de l’île d’Elbe. » (PLC, p. 677) On sait l’importance de Polytechnique dans la vie (comme renonciation) et dans les fictions de Beyle : Lucien Leuwen et Coffe, Fédor de Miossens (dans Lamiel) sont des polytechniciens.
57 A, p. 101.
58 A, p. 105.
59 PLC, p. 121.
60 A, p. 31, 38-39.
61 A, p. 46.
62 A, p. 152.
63 A, p. 64-65.
64 A, p. 32.
65 Bordures de buis », L’Arc, no 88, 1983, p. 43.
66 RN, p. 221.
67 RN, p. 222.
68 L, p. 877.
69 LL, p. 1067.
70 A, p. 43.
71 A, p. 76.
72 Le Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, Paris, Gallimard, coll. Connaissance de l’inconscient, 1986, p. 174.
73 A, p. 39.
74 A, p. 73.
75 A, p. 82.
76 A, p. 90.
77 A, p. 74, pour Mme de Bonnivet, A, p. 90 pour Mme de Malivert.
78 HB, p. 657, etc.
79 A, p. 73.
80 SE, p. 507.
81 Armance brouille la frontière entre animés et inanimé quand Octave confond l’architecture de l’hôtel de Bonnivet et « la colère d’Armance » (A, p. 76).
82 « Pour un statut sémiologique du personnage », Poétique du récit, Paris, Seuil, coll. Points, 1977, p. 179, n. 81.
83 A, p. 157, 158, 241, etc. Sur cette obsession synecdochique, voir infra : « Assimilations/Indices secrets », p. 186.
84 Lettre à Stendhal du 31 mars 1831 (CG4, p. 90).
85 HB, p. 633, 714, 886.
86 Lettre du 17 janvier 1828 (CG3, p. 660).
87 Le Musée idéal de Stendhal, p. 105.
88 Selon Stendhal, Hayez n’est « rien moins que le premier peintre vivant » (CG3, p. 660).
89 T3, p. 102.
90 DA, p. 387.
91 DA, p. 398.
92 CP, p. 272. Dans Lamiel, l’« obéissance passive » servira encore à caractériser l’attitude psychologique (ou l’habileté tactique) : « Cette confiance de la marquise, jointe au crédit que vingt années de soins et d’obéissance passive lui avaient donné sur le curé Du Saillard, personnage terrible dans ses colères, avait fait du bon maître d’école Hautemare un personnage fort important. » (L, p. 892)
93 CP, p. 310.
94 Appeler hypallage narrative ce glissement de l’« obéissance passive » sert à le distinguer d’un simple transfert métonymique (ou métaphoro-métonymique) – à bien marquer son caractère « scandaleux ». Car la figure classique a justement pour rôle de fabriquer des scandales, de transgresser des frontières, à commencer par celle du décor et des acteurs, comme le montre la citation virgilienne choisie traditionnellement pour en illustrer le mécanisme : Ibant obscuri sola sub nocte, « Ils allaient obscurs sous la nuit solitaire ».
95 A, p. 189.
96 HB, p. 542 ; DA, p. 103.
97 A, p. 76.
98 La paréidolie consiste à (croire) « voir » une ou des images précises à partir d’un décor-support plus ou moins vague (des taches sur un mur, par exemple). C’est un « complément imaginatif de la perception, [une] illusion qui atteint parfois un degré de richesse et de vividité assez intense » (P. Bernard, C. Brisset, H. Ey, Manuel de psychiatrie, Paris, Masson, 1978, p. 115).
99 Traité de la peinture, trad. André Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1987, p. 332.
100 HP, p. 129.
101 Cité dans Le Musée idéal de Stendhal, p. 43 et 82.
102 Ibid., p. 183.
103 DA, p. 103.
104 HB, p. 542.
105 Stendhal, Flaubert [1954], Paris, Seuil, coll. Points, 1970, p. 116.
106 A, p. 105.
107 A, p. 83.
108 Octave calcula la quantité de temps et de soins que lui prendrait la société de madame d’Aumale, et il espéra, sans trop se gêner, pouvoir passer bientôt pour amoureux de cette femme brillante. » (A, p. 88)
109 Les oscillations psychologiques tendent à se matérialiser dans les déplacements physiques. Selon H. Boll Johansen, le rythme des déplacements dans Armance soulignerait « sa division en deux parties » : « Dans la première partie du roman, le rythme des changements de lieu entre Paris et Andilly devient de plus en plus fréquent jusqu’au paroxysme des sentiments. Vers la fin du roman les mêmes déplacements se reproduisent entre Andilly et Paris. Au cours des seuls chapitres XXIX et XXX Octave n’accomplit pas moins de trois voyages dans les deux sens. La reprise des nombreux changements de lieu scande le rythme de la fin des deux parties du roman. » (Stendhal et le roman, p. 159) On retiendra moins, ici, la fonction structurante des déplacements que leur effet déstructurant : en multipliant, en précipitant, en réduplicant les allers et retours, Armance travaille à confondre les lieux.
110 A, p. 71.
111 A, p. 72.
112 Voir Georges Blin, Stendhal et les problèmes du roman, IIe partie, Paris, Corti, 1958.
113 OI2, p. 453.
114 OI2, p. 490-491.
115 OI2, p. 987.
116 A, p. 43.
117 A, p. 72.
118 A, p. 44.
119 A, p. 76.
120 A, p. 71.
121 A, p. 108.
122 J1, p. 617-618 (août 1810). Même métaphore érotique en novembre (J1, p. 637).
123 « Pour un rien, par exemple une porte à demi ouverte la nuit, je me figurais deux hommes armés m’attendant pour m’empêcher d’arriver à une fenêtre donnant sur une galerie où je voyais ma maîtresse. C’était une illusion […]. Mais au bout de peu de secondes (quatre ou cinq tout au plus) le sacrifice de ma vie était fait et parfait, et je me précipitais comme un héros au-devant des deux ennemis qui se changeaient en une porte à demi fermée. » (OI2, p. 548)
124 A, p. 33.
125 A, p. 119-150.
126 Voir à ce sujet Suzanne Saïd, « Part, contrainte ou hasard ? », Le Destin, Nouvelle Revue de psychanalyse, no 30, Gallimard, 1984.
127 Pour reprendre le mot de D. Maingueneau (Le Contexte de l’œuvre littéraire, Paris, Dunod, 1993). D. Maingueneau définit la « paratopie » comme une « difficile négociation entre lieu et non-lieu » (p. 28), et donne plus loin comme exemple le cas de Julien Sorel trouvant mal sa place dans la société, traversant divers milieux sociaux.
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