Cartographier le temps, représenter les données
L’esthétique spatiale de Ô Révolutions de Mark Z. Danielewski
Texte intégral
1Comme nous l’avons vu dans le chapitre 6, les bases de données mettent l’accent sur les représentations de l’espace alors que les récits incarnent les temporalités complexes. En réponse aux quantités écrasantes de données qui inondent les sociétés développées à l’époque contemporaine1, Mark Z. Danielewski a élaboré un roman expérimental audacieux, Ô Révolutions2(désormais abrégé en ÔR), qui interroge la « sphère des données » en faisant ressortir et en étendant le rôle que la spatialité est susceptible de jouer dans un texte littéraire. En ce sens, il rend visibles les effets des données non seulement au niveau diégétique du récit mais aussi dans la forme matérielle du codex imprimé lui-même. Parmi les transformations et déformations que le texte met en œuvre, un profond changement s’opère entre le récit en tant que trajectoire temporelle et le plan topographique sur lequel s’organise une grande diversité d’interactions et de permutations. Alors que la temporalité narrative avance le long d’une ligne unidimensionnelle dont le déroulement, le retour en arrière et l’anticipation se réalisent habituellement par des pratiques de lecture qui procèdent ligne après ligne, un plan possède deux dimensions dans lesquelles des interactions peuvent se produire. L’empilement des plans bidimensionnels ajoute une troisième dimension de profondeur. Dans ÔR, la riche « dimensionnalité » créée par ce tournant topographique est corrélée à une explosion des types de pratiques de lecture offerts par le texte. Il en résulte des hybridations du récit avec les données, de la temporalité avec la spatialité et de la mythologie personnelle avec l’identité nationale collective.
Forme spatiale et multiplicité de l’information
2Pour évaluer ce tournant topographique, je reviens à l’année 1991, lorsque Joseph Frank a revisité son essai fondateur de 1945 dans un article intitulé « Spatial Form : Some Further Reflections »3. Il répète le modèle sémiotique bien connu dans lequel le paradigmatique indique les autres choix de mots qui définissent un terme donné par leurs relations différentielles avec lui, tandis que le syntagmatique renvoie à la temporalité de la séquence syntaxique. Envisagé comme deux axes perpendiculaires, le modèle convertit effectivement une ligne temporelle en plan d’interaction. Puisque le paradigmatique collabore avec le syntagmatique, le système implique dans une certaine mesure la présence de la spatialité dans la littérature. Citant Gérard Genette, il note que : « Saussure et ses continuateurs ont mis en relief un mode d’être du langage qu’il faut bien dire spatial, encore qu’il s’agisse là, comme l’écrit Blanchot, d’une spatialité “dont ni l’espace géométrique ordinaire ni l’espace de la vie pratique ne nous permettent de ressaisir l’originalité”4. » Tandis que Frank avait dédaigné auparavant la poésie concrète, il s’accorde avec Genette sur « les ressources dites visuelles de la graphie et de la mise en page et sur l’existence du Livre comme une sorte d’objet total5 ». Chez Genette à nouveau, Frank se concentre sur un passage dans lequel la matérialité du livre devient presque visible : « Lire comme il faut lire de telles œuvres [Proust] (…), c’est seulement relire, c’est toujours déjà relire, parcourir sans cesse un livre dans tous ses sens, toutes ses directions, toutes ses dimensions. On peut donc dire que l’espace du livre, comme celui de la page, n’est pas soumis passivement au temps de la lecture successive, mais qu’en tant qu’il s’y révèle et s’y accomplit pleinement, il ne cesse de l’infléchir et de le retourner, et donc en un sens de l’abolir6. »
3Moins d’une décennie plus tard, John Johnston paraît écrire depuis un univers différent lorsqu’il analyse les effets de l’explosion de l’information sur les textes littéraires7. Quoique la spatialité ne soit pas mise au premier plan en tant que telle dans son analyse, elle est partout implicite dans son idée de la « multiplicité de l’information », un vaste paysage qui, comme le cosmos, crée un horizon en pleine expansion sans limites prévisible. Un changement de phase se produit, selon lui, quand les médias séparables (et séparés) que constituent L’Arc-en-ciel de la gravité (Thomas Pynchon), J.R. (William Gaddis) et autres textes comparables se fondent dans des systèmes de médias en partie connectés. À partir de cette dé-différenciation des médias apparaissent « de nouveaux comportements et des réponses affectives que cet environnement provoque au moment où l’information s’assimile totalement à un vaste réseau d’assemblages de médias8 ». Tandis que Frank s’intéressait à la subjectivité de l’écrivain, Johnston soutient, à la suite de Deleuze et Kittler, qu’une vision centrée sur le sujet est incapable de rendre compte des propriétés virales d’une information en expansion exponentielle : « Dans le roman de la multiplicité de l’information (…), l’information prolifère au-delà de la conscience, et l’attention se déplace vers un nouvel espace de réseaux et de connexions dans lequel les incertitudes sont structurelles plutôt que thématiques9». L’unité esthétique que Frank considérait comme la principale caractéristique de la forme spatiale se dissout désormais dans le bain d’acide de la multiplicité de l’information : « Défini négativement, on peut donc dire qu’un roman devient une multiplicité lorsque sa cohérence fondamentale ne provient ni d’une unité subjective ni d’une unité objective ; autrement dit, quand il ne peut pas être défini de façon adéquate par l’expression d’un sujet-auteur ou la représentation totalisante d’une réalité objective10 ».
4De l’unité à l’assemblage, des sujets qui créent/appréhendent des formes aux agencements qui créent des subjectivités dispersées, des généralisations culturelles aux médias techniques en tant qu’agents responsables : ces transformations marquent la dynamique spatiale déterritorialisée instanciée et reflétée dans les romans de la multiplicité de l’information et les assemblages de médias. « Seule une forme littéraire qui est machinique, donc, et qui prend la forme d’un assemblage, peut enregistrer pleinement la manière dont différents systèmes d’information, y compris les médias de masse, fonctionnent dans le cadre d’un appareil plus large de production et de contrôle de l’information, tout en participant à des processus qui les dépassent toujours. C’est cet aspect de l’information qui rend nécessaire de considérer le roman de la multiplicité de l’information comme un assemblage produit par une machine à écrire11». Le système d’écriture, dans toute sa spécificité technique, devient ainsi la source plutôt que l’expression d’un sujet conscient : « Les formes de subjectivité telles qu’on les entend en général sont déplacées et redistribuées à travers toute l’activité machinique qu’entraînent l’écriture et la lecture12 ».
5ÔR se contente d’admettre l’explosion de l’information que Johnston percevait comme une force s’exerçant sur la littérature contemporaine. L’information a migré du premier plan où elle fonctionnait comme un agent responsable à l’arrière-plan où elle fait partie de la texture de l’œuvre. Alors que Johnston croyait que l’excès d’information ne pourrait jamais être contenu ou interrompu, ÔR met l’excès d’information en tension par un ensemble complexe de contraintes. Ce n’est pas l’excès à lui tout seul qui détermine la forme topographique du texte, mais plutôt l’interaction entre la force qu’exerce l’information et les contraintes qui la limitent et la contiennent. En outre, cette interaction ne prend pas simplement forme comme spatialité conceptuelle (même si elle a cette dimension), mais comme des formes visuelles matériellement présentes sur les pages.
6Les dimensions topographiques sont mises en jeu par les configurations de l’espace de la page et les contraintes qui régissent les opérations du texte. Les deux récits sont centrés sur les amants qui ont « toujours seize ans », Sam et Hailey respectivement, chacun de ces récits étant placé physiquement en sens inverse sur la page et se déroulant à contresens. Le retournement du livre, exigé pour passer de l’un à l’autre, s’accompagne d’un changement de code couleur : Sam est associé au vert (« Yeux Verts pailletés d’Ors », toutes les lettres o apparaissent à l’encre verte) ; Hailey au doré (« Yeux Dorés pailletés de Vert », toutes les lettres o apparaissent à l’encre dorée). Dans l’édition reliée américaine, le code couleur est encore accentué par un ruban vert attaché au bord supérieur du récit de Sam et un ruban doré du côté de Hailey. Ces éléments de repérage démodés (qui s’avèrent extrêmement utiles) renforcent visuellement l’espace volumétrique du texte, même quand celui-ci est fermé. Les éditeurs (téléguidés par Danielewski) recommandent au lecteur de lire alternativement huit pages d’un récit et huit de l’autre. Cette pratique de lecture, que j’appellerai l’« octet », signifie que le lecteur accomplit constamment des « révolutions » dans lesquelles le livre physique fait un tour de 360 degrés (d’avant en arrière et de haut en bas) à chaque fois qu’un cycle d’octet se termine. Pour renforcer l’octet, de grandes lettres majuscules figurent au début de chaque segment, qui forment consécutivement des chaînes répétées de SAMANDHAILEY en partant du début du récit de Hailey, et HAILEYANDSAM en partant du début du récit de Sam, à la manière d’une anagramme.
Récit, base de données, contrainte
7À ce stade, nous avons besoin d’une analyse plus fine que l’association assez simple que propose Manovich entre le récit et le syntagme d’un côté, la base de données et le paradigme de l’autre13, qui, comme nous l’avons vu dans le chapitre 6, présente de graves lacunes. Dans le cas de ÔR, j’identifie quatre types d’arrangement des données, qui ont chacun leurs contraintes et possibilités esthétiques.
81. Les interdictions portant sur les mots ou concepts qui n’ont pas le droit de figurer dans ÔR. Analogues aux substitutions paradigmatiques, ces interdictions fonctionnent comme des absences qui agissent comme des contraintes et contribuent par conséquent à définir les présences dans le texte. Les groupes de mots imprimés sur les pages de garde (qui n’ont pas été conservées dans la version française) ont une importance particulière, parce qu’ils déterminent conjointement les représentations qui sont autorisées à figurer dans le texte et la façon dont elles peuvent l’être, comme nous le verrons plus loin.
92. Les collections de données, qui prennent la forme d’une rotation à travers une liste d’éléments possibles. Les listes de plantes, animaux et voitures que rencontrent les protagonistes apparaissent particulièrement importantes (d’autres substitutions encore proviennent des minéraux associés à leurs bracelets). Danielewski a invité les utilisateurs du site de La Maison des feuilles à lui envoyer le nom d’« un animal [qu’ils admiraient] », d’« une plante devant laquelle [ils s’arrêtaient] » et de « [leur] voiture préférée », ce qui permet de supposer qu’un grand nombre, sinon la plupart, de ces mots qui apparaissent dans la rotation viennent de données compilées à partir des réponses à cette invitation14.
103. Les listes d’entrées chronologiques, qui forment un assemblage au sens de Johnston. Dans son invitation, Danielewski demandait aussi « un moment spécifique de l’histoire, au cours des cent dernières années, que vous trouvez personnellement fascinant, décisif ou au strict minimum intéressant. Impératif : des données exactes, un luxe de détails et une référence ou un lien. Une image serait aussi la bienvenue ». On est en droit de supposer que certaines des entrées chronologiques au moins viennent de données fournies par des lecteurs. Comme l’a observé Danielewski dans un entretien avec Kiki Benzon, à propos de cette invitation : « Ce n’est pas seulement mon histoire personnelle, mais des histoires qui vont au-delà de ce que je peux percevoir quand je regarde des milliers de livres15».
114. Des mots créés en permutant une série d’éléments (par exemple des lettres) selon différentes combinaisons possibles. Le gérant du café de Saint-Louis où travaillent Sam et Hailey s’appelle ainsi à tour de rôle Viazozopolis, Viazizopolis, Viaroropolis, etc.
12Pour voir comment ces arrangements de données interagissent avec le récit, examinez la topographie de la page et de la double page (lorsque le livre est ouvert). Comme le remarque Danielewski, ÔR met en marche une « langue de la juxtaposition16 ». Techniquement apparentée au vers libre, la forme est étroitement contrainte par un ensemble complexe de modèles topographiques (fig. 8.1). Chaque page est divisée en quatre quadrants. Le quadrant supérieur gauche de la page de gauche constitue le récit n1 de cette page ; en bas à gauche et à l’envers se trouve le récit complémentaire n2 de l’autre personnage ; dans le quadrant supérieur droit se trouve un intervalle chronologique, indiqué par une date (sur laquelle nous reviendrons très prochainement) ; et en bas à droite se trouve la chronologie inversée qui accompagne n2. Sur la page de droite, on trouve les quatre mêmes quadrants mais les intervalles chronologiques sont situés dans les quadrants supérieur et inférieur gauche et n1 et n2 respectivement dans les quadrants supérieur et inférieur droite. Les pages de droite et de gauche se répondent en miroir, les chronologies figurant sur chacune des pages se trouvant adjacentes de part et d’autre de la tranche et les récits sur les bords extérieurs. Une quadruple symétrie en miroir se joue ainsi sur chaque double page, avec une inversion gauche-droite le long de la ligne médiane. L’importance de ces symétries en miroir, qui existent aussi, mais différemment, dans la diégèse narrative, apparaîtra prochainement.
13Au-delà des figures topographiques, des contraintes numériques, entre autres, s’appliquent à la mise en page, à la langue, à l’argot et à la conceptualisation. Chaque partie du récit comporte 90 mots, soit 180 mots narratifs par page et 360 mots par double page, ce qui correspond au nombre de degrés d’une « révolution ». On trouve en outre 36 lignes de récit par page, en comptant à la fois le récit à l’endroit (n1) et le récit à l’envers (n2) (le nombre de lignes dans chacun des deux récits varie entre 14 au minimum et 22 au maximum, mais le total est toujours de 36). Tandis qu’un récit s’accroît, le récit complémentaire rétrécit ; et ils présentent tous les deux leur taille maximale au début. Chaque récit compte (naturellement) 360 pages : les numéros de page sont indiqués tête-bêche, en vert et doré respectivement, entourés d’un cercle. Ces contraintes, ainsi que d’autres que nous aborderons par la suite, emprisonnent les désirs sauvages des deux amants, âgés de seize ans, qui fuient l’école, les parents et les autorités mais sont tenus captifs (et trouvent le moyen de s’exprimer) par le processus d’écriture à l’intérieur duquel ils sont inscrits.
14Cette dynamique est représentée par un symbole qui apparaît avant les pages de titre de chacun des récits, un cercle (doré pour Hailey, vert pour Sam) à l’intérieur duquel figurent deux traits verticaux. J’ai tendance à rattacher le cercle aux « révolutions », dans toutes les acceptions qu’elles prennent dans le texte ; et les deux traits parallèles représentent Sam et Hailey. Cela peut expliquer pourquoi la lettre l apparaît toujours dédoublée dans le texte (notamment dans « allso » [aussi], « allways » [toujours], etc. [le principe n’est pas conservé dans la version française]), qui reproduit mimétiquement leur dualité à l’intérieur des « révolutions » effectuées par les récits. Les traits verticaux peuvent être considérés aussi comme une référence au symbole « pause » des appareils électroniques ; en ce sens, Sam et Hailey existent en tant que « pauses » (indiquées séquentiellement par les intervalles chronologiques) au cours desquelles le texte rend compte de leurs actions ainsi que des événements historiques répertoriés sous l’en-tête de la date. Manuel Portela suggère en outre d’interpréter les cercles qui entourent les deux traits parallèles comme des yeux, en particulier les yeux du lecteur qui matérialisent les personnages17, comme nous le verrons plus loin.
15L’assassinat de John F. Kennedy le 22 novembre 1963, l’événement dont le narrateur du Libra de Don DeLillo dit qu’il a « brisé en deux18 » le xxe siècle, constitue le pivot des chronologies. Comme le note Mark B. N. Hansen, qui voit dans ÔR une « interface [imprimée] avec le temps et avec l’histoire19 », chaque récit explose vers l’extérieur à partir de ce point, celui de Hailey vers l’avenir (le dernier intervalle chronologique portant la date du 19 janvier 2063), celui de Sam vers le passé que constitue la guerre de Sécession (le premier intervalle de sa chronologie porte la date du 22 novembre 1863). Bien que nous soyons condamnés à spéculer sur les raisons pour lesquelles l’assassinat de Kennedy se trouve ainsi désigné, nous pouvons remarquer toutefois qu’il constitue une mémoire commune pour tous ceux qui l’ont vécu. (« Où étiez-vous le jour de l’assassinat de Kennedy ? » est une question-clé pour toute une génération, précisément ceux qui sont suffisamment âgés — et suffisamment jeunes — pour conserver la mémoire de cet événement considérable.) Comme l’observe Hansen, cette expérience commune montre de quelle manière les lecteurs mobilisent les ressources offertes par ÔR pour « négocier avec le récit et l’histoire, le temps phénoménologique et le temps objectif, et entre eux20 ». Il signale que les ébauches manuscrites qui ont été publiées indiquent que Danielewski a commencé par écrire le récit et la chronologie ensemble, dans des blocs continus. Il n’a décidé que progressivement de les séparer en deux zones typographiques distinctes. Hansen avance que « ce que Danielewski accomplit effectivement en découplant récit et événement historique est une repotentialisation de l’histoire sur la matrice collective de la riche incarnation de ses lecteurs21 ».
16Puisque les chronologies de Sam et de Hailey ne coïncident pas (sauf à la date fétiche du 22 novembre 1963), le seul espace-temps dans lequel les protagonistes ont, logiquement, la possibilité de se rencontrer se trouve dans la pratique de lecture de l’utilisatrice à mesure qu’elle tourne et retourne le livre, action qui a pour effet de juxtaposer les protagonistes dans son imagination. Défiant la logique temporelle, dans chaque diégèse narrative, le personnage rencontre son complément, tombe amoureux et rejoue l’histoire archétypale de Roméo et Juliette. Leur histoire véritable et complète se tisse cependant à travers les octets. Si on lisait intégralement le texte de manière linéaire, du début à la fin puis de la fin vers le début, on obtiendrait un texte littéralement différent de ce qu’il est à travers les octets.
17L’octet n’est que le début de la difficulté topographique du texte. En plus des chemins de lecture octuples qui se présentent à chaque double page, d’autres possibilités apparaissent du fait que l’on considère le texte comme un espace volumétrique, notamment l’alternance des narrateurs à chaque page et autres protocoles de lecture. Portela a représenté sous forme de schéma un grand nombre de ces possibilités, et son analyse renforce l’accent que plaçait Hansen sur le caractère essentiel des pratiques incarnées pour matérialiser le texte (ou le « concrétiser », dans le vocabulaire de Hansen)22. Portela soutient que les chemins de lecture multiples transforment le texte « en machine à révéler les mécanismes qui rendent possible la production de sens23 », que nous pouvons envisager (à la suite de ce que nous avons vu en ouverture de ce chapitre) comme des variations paradigmatiques et syntagmatiques. L’idée en est que les chemins de lecture multiples servent d’analogies pour exposer le mécanisme sous-jacent du sens linguistique, les réseaux de différences et de ressemblances sémantiques, syntaxiques et grammaticales qui permettent collectivement que la signification se produise. La variation crée le sens, et elle est aussi le mécanisme qui crée la topographie complexe du texte en offrant un grand nombre de protocoles de lecture. Portela poursuit : « Grâce à ce dispositif, [ÔR] rend visibles les mécaniques imbriquées de l’écriture, du langage et du livre, et le roman lui-même comme un genre imprimé et narratif24. »
18Parce que les différentes possibilités de lecture créent des permutations dont le nombre augmente de manière exponentielle à mesure que les variations se multiplient, la dimensionnalité du texte, au sens technique, excède de loin les deux ou trois dimensions qui caractérisent habituellement les pages et les livres. La dimension inductive, le concept mathématique qui s’applique ici, peut être imaginée comme le fait de prendre un objet et de le déplacer dans une direction pour créer une droite de dimension 1. Supposons maintenant que l’on déplace l’objet dans une autre direction, on obtient un plan de dimension 2. Le fait de déplacer un objet peut être comparé aux actions que l’œil effectue quand il trace des lignes d’un côté à l’autre des pages et à travers le livre (le texte en tant que volume). Si on lit ligne par ligne, page par page, comme on est censé le faire dans un roman classique, l’œil trace une série de plans qui, mis en corrélation, créent un volume tridimensionnel. ÔR offre cependant un nombre de chemins de lecture bien plus élevé, ces derniers se déployant en fonction du temps, notamment dans l’alternance entre les deux récits dans un sens et dans l’autre ou dans la lecture de toutes les « chronomosaïques » (ou entrées chronologiques) en bloc et dans une myriade d’autres possibilités. Imaginons maintenant que chacune de ces stratégies de lecture possibles crée des trajectoires qui s’entrecroisent, se replient sur elles-mêmes, traversent l’espace volumétrique de façon complexe, etc. On peut considérer que chacune de ces trajectoires ajoute une autre dimension. En ce sens, ÔR a une dimensionnalité extrêmement élevée, qui crée une surface topologique d’une grande complexité.
19Portela établit une analogie supplémentaire entre la forte dimensionnalité (le terme est de moi, pas de lui) du texte en tant qu’artefact matériel et la dimension numérique des langages alphabétiques, les très nombreuses manières dont les vingt-six lettres de l’alphabet sont susceptibles de se combiner pour créer des permutations différentes et les manières non moins nombreuses dont les symboles circulent dans une culture selon des variations et permutations diverses. « Conçu comme une machine textuelle, le texte montre l’abstraction des signes et de la culture, c’est-à-dire la nature combinatoire du discours et de la représentation25 ».
20Les « chronomosaïques » sont indissociables de la topographie complexe du texte. Écrites en style épigrammatique, elles se contentent de faire signe vers les événements auxquels elles renvoient. Les corrélations avec le récit sont à la fois variées et insaisissables. Le 6 janvier 1971, par exemple, nous lisons : « Hormones de Berkeley. / Cheveux longs en Russie. / Mort de Coco26 . » Le 6 janvier correspond au jour où un groupe de chercheurs de l’université de Californie à Berkeley a annoncé la première synthèse de l’hormone de croissance. Le récit correspondant de Hailey raconte une partie à trois entre Sam, une femme — que Hailey appelle une « IMPASSE, jupacourte et bottes cuirassées, défoncée et chaude » et qui à cet instant se dirige vers Sam — et Hailey, qui se montre réticente. On peut supposer que le rapport est ici de nature hormonale : naturelle dans le récit, synthétique dans la chronologie. « Cheveux longs en Russie » et « Mort de Coco » sont plus opaques. Cette dernière référence renvoie à la mort de Coco Chanel (le 10 janvier 1971), quatre jours après la date qui figure en en-tête. Si on le rattache au récit, cet intervalle implique que l’orgie se poursuit pendant quatre jours, illustrant la manière dont les chronologies fonctionnent pour donner au récit une dimension épique. Cette stratégie est encore plus claire dans les entrées qui commencent le 3 octobre 192927. « Tuesday » [mardi, non conservé dans la version française] renvoie sans aucun doute au « mardi noir », le 29 octobre 1929 (qui a suivi le « jeudi noir », le 24 octobre 1929), où seize millions d’actions ont été vendues et la bourse américaine s’est complètement effondrée. L’aphorisme populaire qui décrit les conséquences de l’effondrement, « Quand l’Amérique éternue, le reste du monde s’enrhume », se reflète dans le récit : « La petite Hailey renifle et / se démorve : / – Ahh tchooooooooum28 ! » Les treize o [huit dans la version française], avec leur connotation de malchance, sont suivis d’une scène qui présente la « grande vidange » de Hailey, comme si un cataclysme mondial pouvait être comprimé dans son vomissement, qui devient une synecdoque de la tentative entreprise par le monde pour se purger des excès des années 1920.
21Un examen complet des liens entre les récits et les « chronomosaïques » exigerait d’explorer des milliers de faits en tout genre, tâche presque impossible (et particulièrement fastidieuse). Dans leur multiplicité, ils font signe vers un vaste océan de données, même quand la topographie du texte place de sévères contraintes sur les brèves entrées chronologiques qui, considérées en bloc, agissent comme des synecdoques d’un tout inexprimable. En tant que stratégie littéraire, la corrélation entre les récits et les entrées chronologiques signale une tension dynamique entre coordination et contingence, emphase épique et insignifiance narrative. Ni complètement liée aux récits ni complètement déliée, l’Histoire avec un grand « H » défile le long des histoires avec un petit « h », faisant d’elles plus que des récits personnels et moins que des correspondances entièrement allégoriques. Les connexions qui attirent l’attention, comme les exemples ci-dessus, sont des formes qui se dégagent d’un océan de données, de la même manière qu’une recherche sur Google confère un ordre partiel à une infosphère trop vaste pour se laisser saisir. Hansen en tire la conséquence que cette stratégie « met en avant le rôle crucial que joue la sélection, un rôle dont l’importance augmente en proportion directe de l’augmentation de l’information archivée disponible à un moment donné de l’histoire29 ».
22Les corrélations entre le style et la langue argotique des récits et des « chronomosaïques » soulignent davantage encore la vaste réserve de données disponibles sur Internet ; à chaque étape des récits, la langue argotique des personnages correspond à celle qui avait cours dans la période. On ne peut sans doute concevoir des corrélations aussi nombreuses qu’à condition de disposer de bases de données numériques. En me servant de Google, je suis parvenue à trouver un grand nombre de chronologies au jour le jour qui répertorient des événements comparables à ceux qu’utilise Danielewski. Des sites tels que le Historical Dictionary of American Slang30 [dictionnaire historique de l’argot américain] offrent des outils de recherche qui permettent de trouver facilement les équivalents en argot d’une série de mots, avec une indication de la période au cours de laquelle ils ont été utilisés. En ce sens aussi, les données s’infiltrent dans le texte à travers le vocabulaire utilisé par les personnages.
23Outre le fait d’évoquer l’infosphère et d’établir des corrélations avec les récits, les chronologies peignent une toile aussi vaste que le monde, à partir de laquelle les désirs, accomplissements et déceptions des personnages sont mis en contraste et comparés. « Coco goes » [« Mort de Coco »], que nous avons déjà cité, n’est que l’une des entrées parmi les milliers qui rapportent des disparitions survenues à travers le monde — accidents, catastrophes, meurtres, guerres, génocides, maladies ou morts naturelles. Le présent « goes » [disparaît], situant la mort dans le contexte d’un jour, d’un mois et d’une année particuliers, constitue un « ici et maintenant » qui ne devient véritablement présent qu’à condition que le lecteur prête attention à ce qu’il est en train de lire. Les temporalités de Sam et Hailey — qui sont décalées dans le temps l’une par rapport à l’autre et qui s’interpénètrent pourtant de manière mystérieuse grâce à la diégèse narrative et au fait d’occuper le même espace dans la page — se trouvent ainsi concaténées avec le temps de lecture. Au total, chaque page comporte pas moins de cinq temporalités distinctes dans sa dimension topographique (celle de Sam, celle de Hailey, celles de leurs chronologies associées et celle de la lecture).
24Dans le même temps (pour ainsi dire), Sam et Hailey existent exclusivement dans le présent ; le passé et l’avenir n’existent pas pour eux. Dans un entretien au LAist, Danielewski observait : « Les personnages avancent en ignorant l’histoire. L’histoire est donc actée. Ils n’ont aucune conscience de l’histoire. Ils n’ont pas de souvenirs31 ». Et il poursuivait : « Dans une certaine mesure, vous avez affaire à l’histoire en lisant le livre32». Les souvenirs de la lectrice, stimulés par les « chronomosaïques » ainsi que par l’expérience acquise au cours de la lecture des récits, fournissent le ciment qui relie le récit à l’Histoire. Les passés des personnages et leurs avenirs anticipés (annoncés par les chœurs de plantes et d’animaux) existent pour nous mais non pour eux.
25Et à qui exactement ce « nous » se réfère-t-il ? L’ambiguïté référentielle de ce curseur permet un triple jeu de mots qui concatène, sur le plan linguistique, les personnages, les citoyens américains et les lecteurs dispersés à travers le monde. Sam et Hailey désignent le lien spécial qui les rattache l’un à l’autre par « US » [« noUS », dans la version française], en les représentant souvent unis contre le reste du monde. En un autre sens, « US » [dans la version anglaise uniquement] désigne les États-Unis d’Amérique et, dans un autre encore, tous les lecteurs du texte. « US » renvoie donc en même temps à la relation exclusive entre les amants qui se préoccupent l’un de l’autre tandis que le monde défile à toute allure, au collectif national de l’Amérique et à une communauté de lecteurs transnationale qui s’étend à travers le temps et le lieu. En conséquence, « ici et maintenant » devient une formule accrocheuse pour indiquer un espace et un temps qui sont tout sauf évidents ou autoconstitués. Ce qui apparaît à la place est un espace-temps doté d’une forte dimensionnalité et d’une complexité topographique à l’intérieur de laquelle le personnel fusionne avec le mythe (dans les récits), tandis que l’individu fusionne avec le collectif et le national avec le transnational (dans les chronologies).
Ce qui ne peut être dit
26Aux possibilités combinatoires constituées par la configuration physique et conceptuelle de l’espace de la page s’ajoute un ensemble de contraintes sans doute plus important encore, formulé dans les pages de garde. En écriture spéculaire (ou en miroir), les pages de garde colorées (doré pour Hailey, vert pour Sam) annoncent « The / Now Here Found / Concordance » [La / Concordance / Trouvée Maintenant Ici]. Comme l’indique le texte barré dans son jeu entre absence et présence (qui rappelle le « sous rature » de Derrida), cette « concordance » est loin d’être une simple liste des mots qui apparaissent dans le texte33. Pour explorer sa fonction et sa signification, je renvoie à La Maison des feuilles34, le roman hypertexte tentaculaire qui a précédé ÔR. Se faisant passer pour un roman d’horreur mais doté d’une véritable profondeur philosophique et psychologique, La Maison des feuilles (malgré sa complexité, ou peut-être à cause d’elle) a rencontré un énorme succès. Danielewski, auteur relativement jeune, pratiquement inconnu avant le génial La Maison des feuilles, a dû faire face au même dilemme que Pynchon après L’Arc-en-ciel de la gravité35. Après la publication de deux livres plus modestes (Les Lettres de Pelafina et L’Épée des cinquante ans), Danielewski s’est attaqué à un autre grand projet. Il a apporté une réponse ingénieuse au problème qui s’était posé à Pynchon : écrire le texte en miroir de La Maison des feuilles, en inversant sa dynamique et en retournant ses conventions.
27Examinons les inversions. La Maison des feuilles est un vaste hypertexte en prose ; ÔR est un poème soumis à d’étroites contraintes. La Maison des feuilles recourt aux notes de bas de page pour créer des chemins de lecture multiples ; ÔR recourt à une complexité topographique qui fonctionne par des enchaînements plutôt que par des liens. La Maison des feuilles est une œuvre obsessionnellement tournée vers l’intérieur, qui progresse de manière « centripète36 » pour sonder les profondeurs de la maison, la psychologie des personnages, les tensions familiales, les contextes culturels et les histoires alambiquées associées à la maison. ÔR, en revanche, progresse vers l’extérieur de manière centrifuge, exprimant les désirs sauvages de ses protagonistes adolescents en virée à travers le pays dans une voiture volée, dégagés de toute responsabilité et ne réagissant qu’à leurs accouplements et à leurs pulsions hormonales.
28Au-delà de ces symétries en miroir générales, on trouve l’ensemble complexe de contraintes formulé par les ovales, ellipses, cercles et autres motifs « révolutionnaires » des pages de garde. Chaque forme topographique exprime un groupe conceptuel. Il ressort de mon analyse que ces groupes comprennent la parenté (« Progéniture ») ; les médias et les technologies de médiation (« Écrire » ) ; les éléments grammaticaux de la langue et de la parole (« Mot ) ; voir et regarder (« Choisir ») ; la grâce et la condamnation (« Grâce ») ; l’intimité ; l’intériorité ; les mots en « in » tels que « inaliénable », « inepte », etc. ; les dieux et la religion (« Dévotion ») ; les structures et composants architecturaux ; et les couleurs37. Tous ces groupes conceptuels occupent une place centrale dans La Maison des feuilles, comme le savent les lecteurs familiers du texte. Dans le texte en miroir de ÔR, ils indiquent ce qui ne peut être écrit, ce qui ne peut être dit. La concordance en miroir fonctionne ainsi comme une sorte d’anti-concordance, indiquant des mots et concepts interdits dans ÔR. Ces vestiges métonymiques de La Maison des feuilles, relégués à l’emplacement paratextuel des pages de garde et rendus plus obscurs encore par le fait qu’ils apparaissent en écriture spéculaire, sont les équivalents paradigmatiques qui définissent les mots présents dans le texte par leur absence de celui-ci (fig. 8.2 et 8.3).
29Le jeu entre présence et absence, propre à la variation paradigmatique, est une caractéristique importante de La Maison des feuilles. L’index de l’ouvrage comprend, par exemple, des entrées notées « INEX », qui signifie apparemment « inexistant ». Toutes ces entrées se trouvent cependant dans le texte mais dans des endroits insolites : dans le texte inséré dans une photographie, dans la combinaison de certains mots (des mots qu’il s’agit de raccorder pour composer l’entrée) ou dans d’autres emplacements paratextuels encore. Dans ÔR, les pages de garde paratextuelles fournissent un guide permettant de comprendre une bonne partie des circonlocutions étranges et du langage inventif du texte proprement dit ; elles sont donc aussi importantes dans leur absence textuelle que les nombreux espaces, trous et élisions de La Maison des feuilles.
30Pour voir comment les absences indiquées dans les groupes conceptuels qui figurent sur les pages de garde contribuent à définir les présences dans le texte, examinons les relations entre certains groupes et les récits de Sam et de Hailey. Puisque la parenté sous toutes ses formes est interdite, y compris l’ADN, Sam et Hailey n’ont pas de famille — ni parents, ni frères et sœurs, ni famille élargie. Selon toute apparence, ils sont sui generis. Dans le récit, le fait de se retrouver sans famille correspond à leur aspiration adolescente à se débrouiller par eux-mêmes. Les interdictions portant sur l’intériorité sont plus contraignantes du point de vue de la représentation narrative. À l’exception du cœur de Sam, aucun organe interne n’est mentionné, et il en va de même de leurs états psychologiques, qui ne donnent lieu à aucune investigation approfondie. Quand Sam se laisse aller à une orgie, par exemple, la détresse de Hailey est figurée par ses larmes, non par une référence explicite à ses émotions. Le discours psychologique étant réduit à son minimum, la progression inexorable de leur amour est souvent exprimée par les plantes et animaux (ou parfois d’autres personnages), à la manière d’un chœur grec délivrant avertissements, commentaires et prophéties aux amants maudits.
31À propos du groupe « seeing and looking » [voir et regarder], Danielewski fait remarquer que « le mot “lumière” n’apparaît jamais. (…) Les mots qui se rapportent à la vision ont, pour la plupart, été retirés. J’ai été qualifié, non pas de dogmatique à la manière de l’Oulipo, mais il y a une résistance à certaines choses. Et la résistance permet la prolifération d’autres mots38 ». Dans La Maison des feuilles, le jeu entre la cécité (physique et psychologique) et la vison intérieure/extérieure est constante. On apprend assez vite par Johnny Errand que Zampanò, le narrateur principal putatif, est aveugle ; Will Navidson et d’autres s’efforcent de voir à travers les couloirs gris cendre de la maison ; et un chapitre entier est consacré aux jumeaux de la Bible, Jacob et Ésaü, et à la manière dont Jacob a trompé son père aveugle. Sam et Hailey, bien qu’embarqués dans une folle virée en voiture, ne donnent pas la moindre description détaillée du paysage, si ce n’est quelques allusions au terrain montagneux sur lequel commencent et s’achèvent leurs trajets. Les mots qui prédominent sont ceux qui concernent l’action, qui véhiculent un sentiment du paysage, non en le regardant mais en en faisant l’expérience, comme une topographie tridimensionnelle qui se manifeste par le mouvement et la vitesse. Par-dessus tout, les protagonistes veulent rester en mouvement, exprimant leurs joies et déceptions par la vitesse plutôt que par des monologues introspectifs.
32Le groupe conceptuel qui porte sur les médias évoque la graphomanie de La Maison des feuilles et son interrogation obsessionnelle de ses propres pratiques d’écriture, depuis la tache d’encre qui efface certains passages jusqu’au code braille, en passant par les signaux maritimes et les symboles alchimiques. Et cela même sans compter une quantité d’autres pratiques d’écriture qui remplit ses pages : références au cinéma, à la vidéo, à la photographie, à la télégraphie, aux rayons X, à la datation au carbone 14 et à diverses technologies des médias. Dans ÔR, en revanche, la technologie est presque entièrement absente (si l’on excepte la succession des automobiles à bord desquelles Sam et Hailey foncent à travers la campagne). C’est pourtant une absence qu’il serait presque impossible de réaliser sans les capacités de calcul et de recherche de données des machines programmables et en réseau. Comme le reconnaît Danielewski : « Aussi archaïque que soit [ÔR], avec son texte enluminé et ses rubans, ce livre ne pourrait pas exister sans la technologie, sans mon G5 et mon écran 23 pouces qui me permet d’afficher deux pages en même temps sur l’écran39. »
33Le système d’écriture, comme l’appelle Johnston (à la suite de Kittler), comprend en outre toutes les potentialités de l’ordinateur, depuis la fonction de Photoshop permettant d’inverser une image, qui a vraisemblablement servi à créer l’écriture en miroir des pages de garde, jusqu’à la fonction « statistiques » de Word qui compte le nombre de mots et qui a sans aucun doute été utilisée pour parvenir aux quantités de texte voulues sur chaque quadrant, chaque page et chaque double page. Parce que ces contraintes jouent un rôle central dans la définition des personnages de Sam et de Hailey et de leurs possibilités d’expression, il n’est pas exagéré de reprendre ce que Johnston avait anticipé à propos du roman comme assemblage de médias : « les formes de subjectivité telles qu’on les entend en général sont déplacées et redistribuées à travers toute l’activité machinique qu’entraînent l’écriture et la lecture40 ». Je dirais cependant que, finalement, ÔR n’est pas tant un récit qui relève de l’assemblage de médias qu’une forme de « nouvelle génération » qui est allée au-delà du choc et de l’effroi de la première génération des utilisateurs d’Internet pour arriver à une acceptation neutre de l’infosphère comme une composante « naturelle » de la vie contemporaine dans les pays développés. Les flux de données, inimaginables dans leur totalité, sont rendus plus ou moins malléables par des algorithmes de recherche de plus en plus sophistiqués, reflétés dans ÔR par les contraintes qui ordonnent et contiennent pour partie l’excès d’information. Tandis que les machines programmables et en réseau agrègent vidéo, cinéma, son et graphiques dans une plate-forme unique, l’interaction entre texte et graphiques se développe de manière exponentielle, comme elle le fait dans ÔR. En somme, les médias d’écriture numérique et la dé-différenciation qu’ils connaissent actuellement peuvent ne pas apparaître explicitement dans ÔR précisément parce qu’ils sont omniprésents dans ses pratiques d’écriture. Les variations paradigmatiques et les symétries en miroir fonctionnent comme les technologies linguistiques visibles, rendues possibles par les technologies d’écriture numérique : nulle part présentes dans la diégèse narrative, les nouvelles technologies apparaissent partout lorsque nous considérons le système d’écriture dans son ensemble.
34Et quel est, dans ce cas, le système d’écriture ? Une fois indiqué par l’auteur, l’ensemble complexe de contraintes devient une composante semi-autonome de celui-ci, dictant à l’auteur l’éventail de ses choix. Coopèrent ainsi au projet de l’auteur les logiciels, les fonctions du réseau et le hardware qui offrent des capacités cognitives sophistiquées, notamment l’accès à des bases de données et des algorithmes de recherche. Les machines programmables et en réseau sont ici bien davantage que la technologie qu’utilise l’auteur pour inscrire des pensées préexistantes. Elles participent activement au processus de composition, définissant une gamme de possibilités et localisant un certain nombre de termes spécifiques qui apparaissent dans le texte. La fonction auteur se trouve donc distribuée à travers le système d’écriture, qui comprend des acteurs à la fois humains et non-humains.
35La décentralisation de la fonction auteur implique que le créateur humain n’est pas plus à même que ses créatures de fiction de se revendiquer de manière crédible auteur(s) unique(s) du texte. L’existence du texte lui-même en tant que document matériel n’est indiquée ou expliquée nulle part dans ÔR, à la différence de La Maison des feuilles, où Johnny Errand raconte comment il a trouvé les notes de Zampanò et commente en détail son propre processus d’écriture, et où le livre qui contient les récits apparaît paradoxalement dans la diégèse narrative. Dans ÔR, l’absence de personnages-auteurs accentue l’importance de l’assemblage qui forme le système d’écriture, visible à chaque page, depuis l’argot historiquement exact jusqu’aux milliers d’entrées chronologiques, en passant par les symétries complexes et les contraintes qui régissent le nombre de mots.
36Les derniers groupes conceptuels que j’aborderai tournent autour des dieux et des religions (« Grâce » et « Dévotion »). Les mots « Divin », « Doctrine », « Dogme », « Fantôme » et « Goule », entre autres, étant interdits d’apparition, Sam et Hailey se présentent au début de leurs récits comme des quasi-démiurges ou des forces de la nature qui, s’ils ne sont pas divins, ont des pouvoirs et des actions exagérés. Sam se vante ainsi :
Je vais dévaster le monde.
Rien de grave. La mutinerie
est partout ces temps-ci. D’un coup.
D’un sourire. Une grimace.
Seize ans tout-puissant et liiiiiibre41.
37Ces exagérations fonctionnent comme les présences définies par les absences paradigmatiques de mots plus directement évocateurs du divin. Il vaut la peine de remarquer que de nombreux antonymes figurent dans la liste des termes proscrits : « Ange » et « Démon », « Paradis » et « Perdition », etc. Le rapprochement de certains contraires dans un grand nombre de groupes (« Vue » et « Aveugle » dans le groupe consacré à voir et regarder, par exemple) indique qu’ils sont engagés dans une dynamique de « supplémentarité », comme dirait Derrida, se définissant mutuellement dans un contexte culturel qui, de manière hiérarchique, reconnaît l’un comme positif et l’autre comme négatif. Étudiant à l’université Yale au plus fort de la déconstruction, Danielewski ne pouvait guère échapper à ce type de discours universitaire (Derrida fait une brève apparition dans La Maison des feuilles, avec d’autres stars universitaires). L’inclusion, à la manière du yin-yang, d’un contraire là où l’autre est présent de manière prédominante apparaît partout, notamment dans les « Yeux Dorés pailletés de Vert » et les « Yeux Verts pailletés d’Ors » qui reviennent à plusieurs reprises dans le texte et illustrent la jaquette des éditions américaines du livre, reliée et brochée. La dynamique s’applique aussi aux récits, où l’allusion à la mort persiste même dans l’expression la plus exubérante de la vie. Si l’on est en effet tenté (comme je l’ai été) de retourner le livre une fois les récits terminés et de reprendre la lecture, cette transformation s’opère à mesure que les octets recommencent à un rythme qui, comme le laisse entendre le graphisme du livre, est un cycle sans fin, « seulement des révolutions » [« only revolutions »].
38Brian McHale se demande dans quelle mesure ÔR suit l’idée de Roman Jakobson selon laquelle la « fonction poétique » de la littérature se caractérise par une transposition de l’axe paradigmatique sur l’axe syntagmatique — autrement dit la superposition d’autres choix de mots à l’ordre linéaire du récit, un mouvement qui réduit les fonctions d’information et d’expression et donne la priorité au « message en tant que tel »42. Garrett Stewart le rejoint à propos de la langue littéraire, lorsqu’il soutient que sa « littérarité » provient d’une nébuleuse d’homophones qui se met en marche quand le lecteur lit dans sa tête les mots effectivement présents sur la page43. Un grand nombre de stratégies littéraires utilisées dans ÔR crée des variantes de ce type : orthographe créative, par laquelle les mots inscrits sur la page accèdent de manière différentielle à un sens enrichi à travers leur relation avec l’orthographe « correcte » (« Le cœur / capote biiiiien trooop vite44 ») ; néologismes, évoquant les deux mots ou plus qu’ils rappellent de manière différente ; variations combinatoires dont nous avons déjà parlé ; de façon plus large, les interactions symétriques entre les récits de Sam et de Hailey, qui donnent parfois lieu à des variations paradigmatiques réciproques ; et, à une échelle méta, les symétries en miroir entre La Maison des feuilles et ÔR. La combinaison de la variation paradigmatique et de la symétrie en miroir souligne la similitude de leurs dynamiques, qui opèrent l’une et l’autre comme des esthétiques spatiales. De la même manière que les variantes paradigmatiques hantent le mot qui se trouve réellement sur la page et contribuent à le définir par des relations différentielles, la symétrie en miroir en évoque un autre, à la fois semblable et différent (dans le renversement gauche-droite). Superposés à la trajectoire temporelle narrative, ces effets spatiaux font souffler sur l’ordre linéaire de la syntaxe une brume dense de possibilités, comme si les mots qui figuraient réellement sur la page fonctionnaient comme des électrons. Représentés historiquement comme des masses ponctuelles, les électrons sont supposés aujourd’hui exister comme des nuages de probabilités qui ne prennent de valeur spécifique que lorsqu’ils sont vus par un observateur45. Ces effets quantiques, si je peux les qualifier ainsi, sont partout présents dans les stratégies linguistiques de ÔR.
Affect et langue
39La charge émotionnelle du texte est intimement liée à l’émergence de modèles temporels généraux. Tandis que les deux protagonistes se rencontrent et tombent amoureux, leur nombrilisme diminue et leurs ego immenses se contractent pour faire une place à l’autre, processus qui s’exprime visuellement sur la page par le fait que l’espace physique consacré au récit se rétrécit et que l’autre récit/narrateur apparaît comme une force importante. À mi-parcours, chacun accorde à l’autre une considération égale à celle qu’il s’accorde à lui-même, ce qui est indiqué par le fait que chaque récit répète exactement l’autre, portant à l’extrême l’anaphore caractéristique du vers libre. Significativement, le mot qui figure au milieu exact de chacun des récits est « choisir », soulignant les dilemmes que les amants pressentent déjà : quitter l’autre et vivre, ou poursuivre leur liaison et mourir. Tandis que les récits avancent vers leur fin respective, le souci de l’autre remplace le sien propre. Cartographier ce modèle révèle une structure en « X » dans laquelle les deux protagonistes, qui se perçoivent au début de leurs récits comme surnaturellement capables d’agir et responsables, éprouvent progressivement une certaine vulnérabilité à mesure qu’ils s’ouvrent à l’autre et que leur amour grandissant les livre aux mains du destin. Dans l’entretien avec Kiki Benzon, Danielewski remarque : « La liberté est finalement une quête à partir de n’importe quoi — ne pas se sentir restreint par les circonstances, par la société, même par son propre corps —, alors que l’amour est avant tout une question d’attachement. C’est avant tout l’engagement avec quelqu’un, ce qui est le contraire de la liberté46 ». Comme il le reconnaît pourtant, l’amour (et le lien entre Sam et Hailey en particulier) a une « qualité transcendante. C’est par l’amour que l’on a la plus grande liberté47 ». Tandis que les protagonistes se précipitent vers le dénouement, leur destin annoncé tourne à la tragédie et, dans le même temps, la dynamique de la lecture par octet les catapulte, au-delà de la fin, au début d’un nouveau cycle, constituant une nouvelle forme encore de « révolution ». Leur longue pause à Saint-Louis intervient au milieu de cette trajectoire temporelle circulaire, lorsqu’ils abandonnent provisoirement leurs virées en voiture et se retrouvent confrontés aux responsabilités de l’âge adulte consistant à gagner sa vie dans un environnement hostile.
40Le mouvement de la langue est corrélé à cette temporalité spatialisée. Outre l’argot des récits, indexé aux « chronomosaïques », les néologismes et autres inventions linguistiques sont le plus animés et le plus foisonnants lorsque les deux protagonistes se trouvent sur la route, libres de s’exprimer au mépris de la bienséance et de toute correction guindée. Jetant un bref regard sur un orchestre de La Nouvelle-Orléans, Sam annonce :
Je suis fanaccro de ces trop souples
déhanchés quand les gambettes
fendent et sarclent l’air.
Joli succès !
Vibrant dans chacun de mes osselets,
je raffole de ces éclats de cuivre & de bois
dans la forêt des doigts. Danse48.
41À Saint-Louis, leurs vies paraissent n’aller nulle part, enfermées dans le travail aliéné et soumises aux caprices d’un gérant de café tyrannique. La langue paraît elle aussi en captivité, regorgeant de combinaisons à l’intérieur d’un cadre inflexible et étroit, comme l’indiquent les noms du gérant et du café. Paraissant imiter les protagonistes qui tournent en rond, la langue tourne elle-même selon des possibilités étroitement contraintes. Ces activations de la langue, sans être paradigmatiques au sens strict, évoquent néanmoins des tableaux de données spatialisés (l’alphabet envisagé comme une chaîne de caractères, par exemple), fonctionnant en tension avec des trajectoires temporelles.
42Le travail accompli par la langue en créant des accroches pour le lecteur se trouve complété par les symétries des intrigues lorsqu’elles retracent les trajectoires temporelles. Le contraste ironique constitue par exemple l’une des manières dont les récits interagissent. Quand Sam et Hailey se rencontrent pour la première fois, il proclame :
Dommage, trop lente.
(…)
Concernant sa pauvreté,
je recours à la générosité.
Mais mon offre l’effraie. Elle panique.
Me flanque un coup de pied
dans le nez49.
43Hailey affirme de son côté : « Je suis super rapide », et quand Sam rétorque : « OK, tu peux être mon esclave », elle ajoute à son tour : « Mon pied part et percute son nez. Un avertissement50 ». Dans d’autres cas, leurs enchaînements s’expriment comme des inversions en miroir. Lorsqu’elle se repose dans un parc, par exemple, Hailey se fait aborder par une « JARDINIÈRE » lesbienne51, tandis que Sam converse avec un « PÉPINIER » gay52. D’autres octets s’enchaînent en présentant des perspectives semblables sur un événement, tandis que d’autres encore fonctionnent comme des moitiés complémentaires qui, une fois réunies, composent un tout. Quand Hailey avoue à Sam qu’elle n’arrive pas à avoir d’orgasme et que Sam refuse d’éjaculer en elle, par exemple, leurs choix en miroir traduisent certaines réserves psychologiques vis-à-vis d’un engagement total et, par conséquent, les limites de leurs vulnérabilités mutuelles. Après Saint-Louis, ils décident de se marier, avec ou sans sanction officielle. Alors, pour la première fois, Hailey jouit et Sam éjacule en elle, ce qui leur ouvre la possibilité de la reproduction et l’entrée qui s’ensuit dans les responsabilités de l’âge adulte. Le seul moyen qui leur reste d’échapper à cet avenir banal consiste à mourir en ayant « toujours seize ans », éternellement libres de se délecter de leurs plaisirs non autorisés.
44À mesure que les récits s’approchent de leur fin et se rétrécissent physiquement sur la page, ils reflètent de manière mimétique non seulement le dégonflement des ego des protagonistes (auquel nous avons déjà fait référence) mais aussi les horizons de possibilités qui se restreignent pour leurs vies. Les motifs qui caractérisaient auparavant les trajectoires temporelles s’acheminent vers la conclusion : les douze pots de miel qu’ils ont mangés en chemin et qui indiquaient le passage du temps ont tous été consommés ; les chœurs de plantes et d’animaux apparaissent comme des annonces de décès des espèces, quoiqu’en miroir, puisque les plantes qui apparaissaient auparavant dans le récit de Hailey peuplent maintenant celui de Sam, et vice-versa, leur disparition étant indiquée par l’encre grise (plutôt que noire) ; les sommets dont Sam et Hailey sont descendus pour commencer leur relation se reflètent, en sens inverse, dans la montagne qu’ils entreprennent de gravir.
45Durant un bref retour à l’autoglorification, les amants imaginent la destruction universelle qui succède au chagrin qu’ils éprouvent pour leur partenaire décédé. Sam annonce :
Comment sèchent les mers. Coulent les îles.
Et s’écroulent les cieux de sel.
Je livre le puissant. Défie le faible.
Seule l’herbe croît dans les rues abandonnées53.
46Il juge que :
Personne ne peut suivre, tous brûlent, meurent.
Je suis l’incendie. Le plus court circuit54.
47À mesure qu’il commence à accepter : « NoUS, ici, n’avons plus notre place. / Ici, aussi, plus rien n’advient55 », le ton se module ; il imagine que certains pourraient être sensibles à la disparition de la splendeur qu’était Hailey (l’auteur laissant sans doute percer l’espoir que les lecteurs ressentiront sa mort avec une intensité immersive). L’une des manières d’enchaîner le « noUS » – qui renvoie aux amants, aux « US », la nation, et à « nous », les lecteurs – est de les comprendre comme des données aberrantes qui repoussent les limites pour s’assurer que des possibilités variées et expressives demeurent pour « noUS » aussi, et c’est ce ton qui domine à la fin : « À toi, mes seize ans, ce monde préservé. À toi, ce monde ayant encore tout à perdre56 ».
48Avec ce dernier virage, le livre se retourne pour recommencer — une prévision de renouvellement dans la verdure qui jaillit de la montagne glacée, prédisant le printemps, la renaissance de l’amour de jeunesse et, dernier élément mais non le moindre, les plaisirs immersifs du récit au milieu des dimensions topographiques de l’esthétique spatialisée du texte. ÔR suggère que le récit et les temporalités qui lui sont associées ne sont pas une forme culturelle en déclin, comme le prédit Lev Manovich. Ils se sont bien plutôt hybridés avec les données et la spatialité, pour ouvrir aux romans de nouvelles possibilités à l’ère de l’information. Tandis que ce livre extraordinaire tourne et se retourne, les « révolutions » du titre se chargent de connotations nouvelles pour inclure la dynamique de renouvellement qui, même si elle efface la forme romanesque traditionnelle, institue un nouvel ordonnancement typographique fondé sur les technologies numériques — bel et bien révolutionnaire.
Épilogue : Une lecture machinique de Ô Révolutions
49Parce qu’il présente une forte densité de formes, ÔR se prête bien à une lecture machinique. L’étendue des symétries entre Sam et Hailey, les contraintes régissant le choix des mots, la progression du récit et la corrélation entre les codes narratifs, bibliologiques et sémantiques ne sont pas seulement corroborés mais aussi mis en évidence par la lecture machinique. Dans l’ensemble, nos découvertes ont renforcé ce que nous avions déjà mis au jour par la lecture rapprochée mais, dans quelques cas, elles ont révélé de nouvelles informations qui prolongeaient et approfondissaient notre compréhension du texte.
50La première étape a consisté à coder à la main le texte entier57, à l’importer dans une base de données en créant des catégories particulières pour les voitures, les plantes, les animaux, les minéraux et les noms de lieux, et en indiquant pour chaque mot s’il provenait du récit de Sam ou de celui de Hailey. Une fois les noms de lieux identifiés, nous les avons superposés à une carte Google. Il a fallu à ce stade apporter une série considérable de corrections manuelles, parce qu’un grand nombre de ces noms (« Rochester », par exemple) existait dans différents États. Les résultats apparaissent dans les figures 8.4, 8.5 et 8.6. La surprise vient ici de l’étendue du trajet de Sam et Hailey vers l’ouest, jusqu’à Hawaï et l’Alaska. Ces noms de lieux interviennent dans le cadre d’un embouteillage d’envergure mondiale dont ils sont à l’origine, auquel il est fait référence dans le récit de Hailey (dans un passage parallèle du récit de Sam, il est conçu comme un cadeau de mariage pour Hailey) :
Crissement, immobilité. Barrant derrière noUS
tous les modes de transport. Junkers & Grimmers
figés là en décharge automobile. Les
Mûriers et Morilles ignorés par le raffut.
Nulle roue ne peut se dérouler.
La Jeep Gluon de Sam embarricadée.
De Bangor58 à Los Angeles, de
Barrow à Wailuku.
Un sacré imbroglio59.
51Cela se traduit dans le récit par le fait de suspendre tout le trafic, qui s’accumule dans des « Transapocalyptiques60 ». (Les dates indiquent que le bouchon dure huit mois !) Dans l’entretien du LAist, Danielewski note, à propos de Sam et Hailey : « Ce qu’ils ont de terrifiant est que le monde dépérit, s’agite et part en fumée autour d’eux, mais que ça ne les dérange pas du tout. Ils sont tellement absorbés par leur affection l’un pour l’autre et par leurs cabrioles qu’ils en perdent le fil61 ». Le chaos mondial implique que le reste du monde s’arrête, se retrouve brusquement bloqué, tandis que les amants sont seuls libres d’aller de l’avant et de rester en mouvement. Quand leur véhicule dérape sur la route verglacée, ils se retrouvent pourtant projetés à l’extérieur et continuent à gravir la montagne à pied. C’est là qu’ils trouveront leur fin l’un et l’autre, avec celle de leur folle virée en auto. La logique de l’octet, dans laquelle la fin d’un récit correspond au début d’un autre, saute toutefois par dessus cette stase et la transforme en césure, une pause temporaire avant que l’action ne recommence.
52Un autre aspect de la géographie des réjouissances de Sam et Hailey à travers les États-Unis apparaît dans le codage numérique de ses points géoréférencés. Portela montre que la descente vers le sud, jusqu’à La Nouvelle-Orléans, suit la longitude 90 degrés ouest et que le voyage vers l’ouest jusqu’à la montagne se déroule en grande partie sur l’autoroute Interstate 90. En tant que facteur de 360, 90 évoque un quart-de-cercle ; puisque le virage à 90 degrés vers le sud est suivi d’un second à 180 degrés vers le nord puis d’un troisième à 90 degrés vers l’ouest, la trajectoire complète forme un cercle de 360 degrés, faisant ainsi de la virée en auto une autre expression de la « révolution »62.
53On gagne un éclairage supplémentaire en comparant la fréquence des mots dans les récits respectifs de Hailey et de Sam. Les nombreux parallèles entre ces récits trouvent une confirmation dans la correspondance entre les comptes de fréquence. Par exemple, « now » [maintenant], mot chargé de sens étant donné la séparation temporelle entre les personnages, intervient 111 fois dans chacun des récits, indiquant une symétrie parfaite entre les deux et transmettant une insistance partagée sur le fait de vivre dans le présent. « Allways » [toujours ; avec le dédoublement du l dans l’édition originale], un autre mot d’une grande importance, apparaît 111 fois dans le récit de Hailey et 110 fois dans celui de Sam. « Allways » résonne avec l’exploration approfondie du « hallway » [couloir] dans La Maison des feuilles, réalisant une autre correspondance en miroir ; il fait aussi allusion à une projection dans l’avenir, qui en un sens ne se produira pas (parce que les protagonistes meurent), mais qui est exacte en un autre sens (parce que les symétries entre les récits de Sam et Hailey, qui avancent dans des sens contraires, connectent la fin et le début, et de manière plus générale parce que l’analyse critique considère habituellement que les récits littéraires existent dans un « présent omniprésent »). « Never » [jamais] apparaît 72 fois dans le récit de Hailey et 70 fois dans celui de Sam, indiquant une symétrie qui sert à renforcer les promesses qu’ils se sont faites réciproquement. Même des mots aussi insignifiants que « and » [et], « the » [le/la/les], « of » [de] montrent une étroite correspondance entre les deux récits. Comme nous l’avons noté plus haut, Danielewski a rédigé les deux récits côte à côte, en s’assurant de leur correspondance sur son écran, et en établissant le parallélisme avec soin pour montrer l’amour grandissant entre des protagonistes au départ très éloignés, qui se rapprochent progressivement jusqu’à leur séjour à St-Louis (le point médian du récit), puis qui s’entraînent l’un l’autre dans un ralentissement de l’action jusqu’à ce qu’interviennent leurs morts respectives.
54La découverte la plus éclairante vient peut-être d’une allusion contenue dans le poster publié dans le numéro 14 de la revue Inculte63, une grande affiche en couleur mesurant près de 60 x 90 cm, composée à partir de notes que Danielewski avait préparées pour son traducteur français, qui dévoile certains éléments de l’intrigue (d’où son titre, « A Spoiler »)64. Avec les tableaux présentant les nombreux parallèles entre Sam et Hailey et les facteurs de 360 qui régissent la division des récits en sections, pages, paragraphes et lignes, on y trouve des schémas des intervalles chronologiques associés à chacun des récits, qui montrent à nouveau dans des encadrés les symétries minutieusement organisées entre les deux chronologies. Dans toute la largeur de la partie inférieure se trouvent les groupes thématiques déterminés dans les différentes sections, indiquant la planification méticuleuse et approfondie qui est intervenue dans la progression des récits. Sont inclus aussi les diagrammes présentant la progression narrative de l’« indifférence » (déclinante) et de l’« estime » (croissante) que les personnages manifestent l’un envers l’autre au cours des récits. Un diagramme des « différences de perception » montre qu’ils commencent très éloignés l’un de l’autre, se rencontrent au milieu du récit, puis s’écartent à nouveau tandis que chaque personnage place l’autre au-dessus du souci qu’il/elle s’accorde à lui-même.
55Aussi instructive que soit l’affiche quant aux structures narratives, au choix des mots et aux chronologies, elle garde le silence sur un point : elle comprend une grande colonne, intitulée « Nix List » [liste de rien], dont le contenu a été effacé, ce qui suggère que Danielewski a fourni à son traducteur français non seulement les groupes conceptuels mais aussi certains mots en particulier qu’il ne voulait pas voir apparaître dans le texte traduit. Cela pose un problème intéressant : comment déterminer les mots qui sont absents ? La réponse que nous proposons consiste à comparer la fréquence des mots dans ÔR avec le corpus de Brown, une base de données regroupant un million de mots soigneusement sélectionnés pour être représentatifs de l’écriture en prose aux États-Unis au cours du xxe siècle. Pour nous aider dans notre comparaison, nous avons calculé la statistique χ — (prononcé « khi-deux » ou « khi carré ») de chaque mot de ÔR, qui offre une mesure approximative de la différence entre les fréquences observées dans ÔR et dans le corpus de Brown65. Par exemple, in [dans], l’une des valeurs sémantiques du groupe conceptuel « inwardness » [intimité], apparaît 21 402 fois dans le corpus de Brown, pas une seule fois dans ÔR ; into [dans/en] apparaît 1 789 fois dans le corpus de Brown et pas une seule fois non plus dans ÔR. Parmi les mots qui n’apparaissent pas et qui ont des valeurs élevées de χ², on trouve was, were et been [étais/était, étaient et été] ; il est remarquable que ces conjugaisons du passé de to be [être], le verbe le plus fréquent dans la prose en langue anglaise, soient entièrement absentes de ÔR, ce choix (et cette contrainte) soulignant que les protagonistes vivent pleinement dans le présent. As [comme] et like [comme] sont aussi absents, indiquant une préférence pour les néologismes et les adjectifs au détriment des comparaisons ou analogies, ce choix permettant de vivifier l’action et de refuser les temps de réflexion (pour le narrateur comme pour le lecteur) habituellement associés à des tropes littéraires tels que les comparaisons épiques. They [ils/elles] et people [gens/peuple] sont absents eux aussi, montrant le mépris pour les collectifs sociaux qui seraient susceptibles de restreindre la liberté et de limiter les choix des protagonistes. Said [prétérit et participe passé du verbe to say, dire] n’apparaît pas non plus, ce qui montre que les agissements des amants ne sont pas rapportés par un narrateur, mais par eux-mêmes, qui s’expriment directement, ou par les commentaires, à la manière d’un chœur grec, des animaux et des plantes.
56L’absence du mot or [ou] est d’autant plus surprenante qu’il figure dans les pages de garde, où il constitue son propre cercle, entouré d’une série d’ellipses constituées de la répétition de minuscules « or » [ou]. Nous présumons que or est interdit parce qu’il est l’acronyme que Danielewski (et d’autres) utilisent habituellement pour désigner le roman lui-même, ÔR. L’un des groupes conceptuels interdits a trait à l’autoréflexivité, en ce sens que le texte ne peut renvoyer aux composants textuels importants qui sont intervenus dans sa rédaction, tels que novel [roman], pattern [forme, motif, modèle] et poem [poème]. Ainsi, l’autoréflexivité a été bannie du registre sémantique et déplacée dans le registre topographique, autre indication de l’importance de l’esthétique spatiale dans le texte. Comme nous l’avons vu auparavant, la complexité topographique du texte sert d’analogie pour interroger en détail l’existence du texte en tant que roman, un artefact linguistique, un objet matériel instancié dans un codex. Dans l’entretien du LAist, Danielewski remarquait ainsi : « Une grande partie d’Ô Révolutions est consacrée aux mécanismes qui sous-tendent des choses (…), la grammaire, la physique des choses. Nous ne parlons pas de certains mots en particulier mais de la relation entre les mots. Pas les noms des planètes en particulier mais la nature d’une ellipse et l’influence de la gravité sur l’orbite66».
57Nous sommes convaincus qu’ÔR se prête parfaitement à une analyse à l’aide de calculateurs numériques. En un sens, comme l’observe Portela, ÔR emploie les ressources du codex comme une forme esthétique, bibliologique et matérielle pour exploiter la nature numérique de la langue alphabétique. En ce sens, les codes numériques implicites dans un grand nombre de mots, lignes, paragraphes et sections calculent les conditions de possibilité du texte lui-même. Malgré l’interdiction de se prendre lui-même pour référence dans le registre sémantique de or [ou], ÔR fonctionne comme une série d’algorithmes récursifs dont les opérations produisent le texte comme un artefact imprimé et un objet bi — ou tridimensionnel, en invitant simultanément les lecteurs à accroître sa dimensionnalité de manière exponentielle à travers les multiples chemins de lecture et les jeux de symétrie entre les pages qu’il propose. Commentant la récursivité profonde du texte et ses codes numériques, Portela soutient que « Ô Révolutions relie la “numéricité” inhérente au langage humain et à l’écriture alphabétique, en tant que dispositifs de permutation fondés sur des structures récursives, au système de différences qui soutient l’espace matériel et conceptuel du codex (…). À la place de la figure ordinaire de l’ordinateur en tant que livre, c’est-à-dire en tant qu’extension de la structure informationnelle du codex, l’œuvre de Danielewski nous donne le livre en tant qu’ordinateur, c’est-à-dire une machine à calculer qui génère des algorithmes et géométrise le plan et l’espace de l’écriture et de la lecture67 ». Lire et penser en milieux numériques. Attention, récits, technogenèse se termine ainsi par un exemple de technogenèse redéfinissant le codex comme une technologie numérique qui, dans des cycles de causalité réciproque continue, influence les fonctions des machines programmables et en réseaux, tout en en subissant l’influence. Pour saisir pleinement la dynamique qui s’opère entre les formes imprimées et les technologies numériques, nous devons considérer qu’elles participent mutuellement à la même écologie des médias.
58Le temps et l’espace, le récit et la base de données, les programmes universitaires et l’histoire des technologies de l’imprimé et du numérique constituent autant de terrains que nous avons examinés dans ce livre qui, de manière récursive, participe aux médias numériques même s’il reflète aussi les pratiques de la recherche savante imprimée. Les riches conceptualisations et les formes complexes qui apparaissent dans TOC, EDO et ÔR montrent que la technogenèse possède une forte dimension esthétique, en plus de ses implications neurocognitives et techniques. Elles démontrent que, dans la période que traversent actuellement nos cultures, chargées d’angoisses à propos de l’avenir, de peurs quant à l’état des humanités et de prédictions sur « la génération la plus bête », des œuvres littéraires remarquables apparaissent, qui sont susceptibles de catalyser des publics à travers les générations. Ces œuvres montrent d’une manière saisissante que les humanités, ainsi que la société en général, connaissent un sens renouvelé de la richesse des traditions de l’imprimé, même si elles commencent aussi à exploiter les possibilités du régime numérique. Loin d’être en crise, il me semble que les humanités n’ont jamais été aussi vitales.
Notes de bas de page
1 Pour d’autres textes littéraires qui y répondent, voir H. Dannenberg, Coincidence and Counterfactuality: Plotting Time and Space in Narrative Fiction, Lincoln, University of Nebraska Press, 2008 ; J. Francese, Narrating Postmodern Time and Space, Albany, State University of New York Press, 1997 ; et J. Johnston, Information Multiplicity: American Fiction in the Age of Media Saturation, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998.
2 M. Z. Danielewski, Ô Révolutions, op. cit.
3 J. Frank, « Spatial Form: Some Further Reflections », dans The Idea of Spatial Form. New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 1991, p. 107-132.
4 Ibid., p. 124.
5 Ibid., p. 128.
6 G. Genette, cité dans ibid., p. 128.
7 J. Johnston, Information Multiplicity, op. cit.
8 Ibid., p. 4.
9 Ibid., p. 13.
10 Ibid., p. 16.
11 Ibid., p. 14.
12 Ibid., p. 5.
13 L. Manovich, Le Langage des nouveaux médias, op. cit.
14 Étant moi-même inscrite au site, j’ai reçu ce mail dont je tire les citations.
15 M. Z. Danielewski, « Revolutions 2: An Interview with Mark Z. Danielewski », Kiki Benzon, Electronic Book Review, 2 mars 2007, <http://www.electronicbookreview.com/thread/wuc/regulated>.
16 Ibid.
17 M. Portela, « The Book as Computer: A Numerical and Topological Analysis of Only Revolutions », manuscrit non publié, 2011, p. 8.
18 D. DeLillo, Libra, dans Œuvres romanesques, t. 1, Arles, Actes Sud, 2008, p. 1281.
19 M. B. N. Hansen, « Print Interface to Time: Only Revolutions at the Crossroads of Narrative and History », dans A. Gibbons et J. Bray (dir.), Essays on Mark Z. Danielewski, Manchester, Manchester University Press, 2011, p. 179.
20 Ibid., p. 186.
21 Ibid., p. 187.
22 M. Portela, ibid., p. 18-19, passim.
23 Ibid., p. 8.
24 Ibid.
25 Ibid.
26 M. Z. Danielewski, Ô Révolutions, op cit., p. 91/H/1971. La notation indique le numéro de page, le narrateur (Sam ou Hailey) et, puisque le langage est synchronisé avec le vocabulaire en usage à la date indiquée, la rubrique chronologique qui fournit le contexte historique.
27 Ibid., p. 96/S/1929.
28 Ibid.
29 M. B. N. Hansen, ibid., p. 184.
30 Voir :<http://www.alphadictionary.com/slang/>.
31 M. Z. Danielewski, « LAist Interview: Mark Z. Danielewski », Callie Miller, LAist, 13 octobre 2007, <http://laist.com/2007/10/23/laist_interview_55.php>, 2007.
32 Ibid.
33 Les mots « The / Now Here Found » [La (…) / Trouvée Maintenant Ici] sont barrés parce qu’ils apparaissent dans le texte ; ils relèvent donc d’une autre catégorie que ceux qui figurent dans les pages de garde. Le mot « Concordance » n’est pas barré parce qu’il ne figure pas dans le texte proprement dit ; et il en va de même de tous les mots répertoriés dans les pages de garde, à l’exception de quelques-uns qui se trouvent dans des endroits particuliers, comme nous le verrons par la suite.
34 M. Z. Danielewski, La Maison des feuilles, op. cit.
35 T. Pynchon, L’Arc-en-ciel de la gravité, op. cit.
36 M. Z. Danielewski, « Revolutions 2 », op. cit.
37 Les mots « Beauté », « Progéniture », « Choisir », « Dévotion » et « Grâce » apparaissent sur fond noir, dans le cercle entouré d’un liseré blanc et de mots rouges minuscules barrés par des lignes noires : « Found Once, Once Here » [trouvé une fois, une fois ici] d’un côté ; « Found once, once there » [trouvé une fois, une fois là] de l’autre. Comme le suggère ce message cryptique, ces mots, en plus de nommer certaines des catégories, apparaissent une seule et unique fois dans les récits respectifs de Sam et de Hailey (d’où « Found (…) here » [trouvé ici] et « Found (…) there » [trouvé là]).
38 M. Z. Danielewski, « Revolutions 2 », ibid.
39 Ibid.
40 J. Johnston, Information Multiplicity, op. cit., p. 5.
41 M. Z. Danielewski, Ô Révolutions, op. cit., p. 1/S/1863.
42 B. McHale, « Only Revolutions, or, the Most Typical Poem in World Literature », dans A. Gibbons et J. Bray (dir.), Essays on Mark Z. Danielewski, Manchester, Manchester University Press, 2011, p. 141-159.
43 G. Stewart, Reading Voices: Literature and the Phonotext, Berkeley, University of California Press, 1990.
44 M. Z. Danielewski, ibid., p. 111/H/1973.
45 Pour une synthèse sur les effets quantiques tels qu’on les interprète aujourd’hui, voir Tom Siegfried, « Clash of the Quantum Titans », Science News, vol. 178, no 11, 20 novembre 2010, p. 15-21.
46 M. Z. Danielewski, « Revolutions 2 », op. cit.
47 Ibid.
48 M. Z. Danielewski, Ô Révolutions, ibid., p. 78/S/1922.
49 Ibid., p. 9/S/1870.
50 Ibid., p. 9/H/1963.
51 Ibid., p. 243/H/1994.
52 Ibid., p. 243/S/1953.
53 Ibid., p. 350/S/1963, en gras dans le texte original.
54 Ibid., p. 352/S/1963.
55 Ibid., p. 356/S/1963.
56 Ibid., p. 360/S/1963.
57 Nous tenons à remercier Abraham Geil qui a effectué le travail fastidieux consistant à saisir tous les mots dans un tableur.
58 Par souci de clarté, nous n’avons pas placé Bangor, dans le Maine, sur notre carte.
59 M. Z. Danielewski, ibid., p. 299/H/8 mars 2015 – 300/H/15 novembre 2015.
60 Ibid., 300/H/15 novembre 2015.
61 M. Z. Danielewski, « LAist Interview », op. cit.
62 M. Portela, « The Book as Computer », op. cit., p. 53.
63 M. Z. Danielewski, affiche « A Spoiler », Inculte, no 14, octobre 2007.
64 Voir la version numérisée avec fonction zoom que nous proposons à l’adresse : <http://onlyrevolutions.info>.
65 Le test du χ² (d’où la statistique tire son nom) est celui que nous proposons pour déterminer si deux échantillons sont issus de la même distribution théorique. Le test requiert un certain nombre d’hypothèses que nous ne sommes pas en mesure de réunir ici, mais la statistique elle-même offre un indicateur utile de l’écart entre deux fréquences de mots observées. Pour un traitement plus complet des méthodes permettant de comparer deux corpus, voir A. Kilgarriff, « Comparing Corpora », International Journal of Corpus Linguistics, vol. 6, no 1, 2001, p. 1-37.
66 M. Z. Danielewski, « LAist Interview », ibid.
67 M. Portela, ibid., p. 71.
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