Histoire et autobiographie chez George Sand
p. 101-116
Texte intégral
Les limites d’un article ne me permettent pas d’épuiser ce sujet et d’analyser la totalité du texte de George Sand ; mon étude porte donc essentiellement sur les deux premières parties : « Histoire d’une famille, de Fontenoy à Marengo » et « Mes premières années. 1800-1810 », qui m’ont semblé particulièrement intéressantes pour notre sujet ; les quelques conclusions que j’avance sont cependant, je crois, valables pour l’ensemble de l’œuvre et j’ai essayé de le montrer en faisant appel aussi, mais plus brièvement, aux autres parties de l’Histoire de ma vie.
1Le titre même choisi par George Sand semble nous inciter à cette analyse des rapports du moi et de l’histoire. Alors que dans certains titres la dimension historique semble presque effacer la présence du moi, par exemple lorsque Yourcenar inscrit Archives du Nord, alors que d’autres titres, tels Ma vie, ou Confessions, semblent mettre l’accent uniquement sur le moi, Histoire de ma vie réalise une union où la perspective historique n’est pas négligée, ni la dimension autobiographique, dans cette belle simplicité et cet équilibre qui constituent des traits fondamentaux de la personnalité et de l’écriture de George Sand.
2La présence des événements historiques est fortement marquée, même quand ils n’ont pas apparemment de rapports avec le « moi », mais George Sand excelle à montrer que justement ils en ont toujours un, plus ou moins visible. Ainsi elle manifeste une nouvelle conception de l’histoire, conception qui pourra nous apparaître comme très proche de la nôtre. Enfin cette présence de l’histoire modifie en profondeur sa conception de l’autobiographie.
Faits historiques
3Le titre choisi pour la première partie exprime le désir d’inscrire l’histoire d’une famille dans la grande Histoire : « Histoire d’une famille de Fontenoy à Marengo » : on pourrait même s’étonner de voir des dates marquées par des batailles, s’il ne s’agissait de faire référence à des dates que personne n’ignore, à des victoires qui constituent des étapes indiscutables de notre histoire.
4La date de la naissance, autre point essentiel de toute autobiographe, est faite, elle aussi, par référence aux événements historiques :
Je suis née l’année du couronnement de Napoléon, l’an XII de la République française (1804)1.
5On pourrait sourire, si l’on n’avait présent à l’esprit cette nécessité de rattacher le moi à l’histoire, de ce rapprochement entre la naissance de ce que Yourcenar appellera « un petit bout de chair rose » et le couronnement de Napoléon dans sa solennité, son emphase, exaltée par le célèbre tableau de David. On remarquera aussi la présence d’un double calendrier : révolutionnaire et grégorien, d’autant plus digne d’attention qu’au moment où Sand publie son ouvrage le calendrier révolutionnaire est bien loin. Enfin on rappellera ce phénomène assez curieux de l’Histoire de ma vie : George Sand naît plusieurs fois. Ici avec la référence solennelle à l’histoire napoléonienne, plus tard une deuxième fois, sur un registre familier, celui d’un conte de fée, avec son père qui joue du violon et sa mère en robe rose. Mais là encore la référence historique n’est pas gommée : « C’était le 5 juillet 1804, l’an dernier de la République, l’an premier de l’Empire » (I, p. 464). Peu importe qu’il y ait une erreur, puisqu’elle est née le 1er juillet, il nous semble plus important de montrer comment la naissance est située dans les grandes périodes historiques. Deux fois encore la date sera rappelée, mais sans référence historique : « Le 5 juillet je vins au monde » (I, p. 466) ; « je vins au monde le 12 messidor » (I, p. 472), et cette fois de façon exacte.
6Tout le début de l’Histoire de ma vie – et un début qui se prolonge longtemps – est consacré à l’histoire de la lignée, lignée qui du côté paternel touche aux familles royales, et par conséquent entraîne l’évocation de personnages historiques : George Sand remonte aux amours de François Auguste de Saxe et d’Aurore de Koenigsmark (I, p. 31), puis à celles de Maurice de Saxe ; évoquant le xviiie siècle, elle ressucite des écrivains et des personnalités connus : La Harpe, Buffon, Rousseau, Mme d’Épinay, Mme Dupin de Chenonceaux, l’abbé de Saint-Pierre.
7La biographie de son père pendant toute sa carrière militaire permet de retracer l’histore des guerres de la République et de l’Empire. Le 23 septembre 1798, le service militaire obligatoire et la levée des conscrits l’amène à partir ; il le fait avec enthousiasme et la lettre constitue un intéressant document sur le patriotisme d’un jeune soldat à cette époque (I, p. 177). Autour du soldat, d’autres personnages sont évoqués, ainsi La Tour d’Auvergne dont Sand relate une anecdote héroïque, dont elle donne aussi le texte de lettres (I, p. 191 et p. 295). Elle fait également une biographie du capitaine Fleury (I, p. 199-200), donne une lettre du général d’Harville (I, p. 230-231), plus tard une lettre du général Dupont (début de la deuxième partie). George Sand a senti comment les lettres de son père permettaient de reconstituer la vie quotidienne du soldat, les souffrances dues au froid, les aventures des billets de logement, le baptême du feu comparé par Maurice au « premier coup d’archet à l’opéra » (I, p. 270). Le dévouement de Maurice envers un autrichien blessé est narré longuement (I, p. 272).
8Les grandes étapes militaires sont tracées : Thionville (I, p. 263), la campagne de Suisse (I, p. 275). La présence de Bonaparte va croissante : « Le même jour où mon père écrivait […] Napoléon se présentait devant le Directoire à Paris » (I, p. 275) ; Maurice, quant à lui, est présenté à Bonaparte (I, p. 297). Campagne d’Italie. Maurice raconte la bataille de Marengo, comme Fabrice pourrait raconter Waterloo (I, p. 313) ; Florence, Rome ; Maurice est nommé aide de camp du général Dupont. Ensuite il participe aux campagnes de l’Empire. Était-il à Austerlitz ? George Sand ne saurait l’affirmer (I, p. 513). Elle note cependant comment l’état d’esprit des soldats a changé au cours de ces campagnes : « Napoléon y est le plus grand général de l’univers. Mais comme l’esprit de cours a déjà défloré les jeunes enthousiastes de la République ! » (I, p. 514). Affreuse victoire de Eylau (I, p. 518). Maurice devient aide de camp de Murat (I, p. 520) et par conséquent c’est l’histoire de la division de Murat que Sand retrace. Murat va en Italie, et Maurice avec lui, il est à Milan en 1807.
9La place de l’histoire change à partir du moment où George Sand ne se sert plus des lettres de son père mais de ses propres souvenirs.
Désormais je vais être guidée par mes propres souvenirs, et comme je n’ai pas la prétention d’écrire l’histoire de mon temps en dehors de la mienne propre, je ne dirai de la campagne d’Espagne que ce que j’en ai vu par mes yeux, à une époque où les objets extérieurs, étranges et incompréhensibles pour moi, commençaient à me frapper comme des tableaux mystérieux (I, p. 528).
10Après avoir eu sur les événements historiques le regard d’un jeune homme, nous allons donc avoir celui d’un enfant, mais qui va grandir et ce regard est complété par celui de l’autobiographe. Si l’aspect documentaire est moins sensible à partir de là, l’histoire n’en demeure pas moins très présente, d’autant que dans cette deuxième partie aussi des lettres sont utilisées. Les Asturies, Madrid, des souvenirs d’un bombardement et d’un champ de bataille : tout cela se rattache à la guerre d’Espagne, mais comme un souvenir brumeux d’une enfant. L’enfant grandit cependant et même si l’adolescence se passe essentiellement à Nohant, un peu en marge des événements historiques, ils sont néanmoins rappelés, et la vie de la province fait partie de l’histoire ; « Nohant faillit être une Vendée patriotique. » Les références à des événements historiques se feront beaucoup plus nombreuses cependant, après le mariage, au moment où George Sand arrivera à Paris dans un moment dont elle soulignera bien l’importance :
Ce moment où j’ouvrais les yeux était solennel dans l’histoire. La République rêvée en juillet aboutissait aux massacres de Varsovie et à l’holocauste du cloître Saint-Merry. Le choléra venait de décimer le monde. Le saint-simonisme, qui avait donné aux imaginations un moment d’élan, était frappé de persécution. (II, p. 195-196)
11Si les références à des événements historiques sont plus nombreuses dans les deux premières parties et dans la cinquième, l’histoire ne s’absente certes pas de l’autobiographie en son centre, car pour George Sand, nous allons le voir, l’histoire ne se limite pas à ce qu’on considère traditionnellement comme des événements ni à des personnages célèbres.
12Les événements historiques continuent à jalonner son histoire, mais un peu différemment de ce qui se passait dans les premières parties, davantage en sourdine. Ainsi la révolution de février est évoquée par rapport à Michel de Bourges (II, p. 365-366) ou par rapport à Chopin (II, p. 448). L’attentat Fieschi est évoqué par rapport à l’inquiétude qu’elle éprouve pour Maurice (I, p. 348). Le voyage à Venise est l’occasion de rappeler les vexations que les Autrichiens font subir aux Italiens (II, p. 220). Avec Michel de Bourges, la politique reprend plus de place (II, p. 370). Ses sympathies socialistes l’amènent à dresser des portraits d’hommes célèbres, Barbès, Lamennais, Pierre Leroux. Sa participation à la vie intellectuelle et artistique introduit dans le texte de l’autobiographie d’autres écrivains : Balzac, bien sûr, mais aussi Stendhal, des musiciens Liszt et Chopin, des interprètes, Marie Dorval, La Pasta (II, p. 215) ; elle évoque l’exécution de la Symphonie pastorale au Conservatoire (II, p. 179) ; le point de vue cependant n’est plus le même que dans le début de l’Histoire de ma vie, les événements sont intégrés directement par Sand à sa propre existence, et par conséquent ne figurent que par rapport à sa vie, sans pour autant qu’elle s’interdise des considérations plus générales ; ainsi sur le code Napoléon à propos des enfants naturels (II, p. 26) et surtout de son divorce. L’histoire n’est donc pas moins présente, tout au cours de l’autobiographie, même si la place des événements historiques est moins marquée que dans les deux premières parties.
Une conception de l’Histoire
13Dates, événements, personnages historiques constituent tout au long du texte des points de références à des degrés variables. Ce n’est pas, cependant, ce qui nous semble le plus remarquable : on lira peut-être avec plus d’intérêt les passages de l’Histoire de ma vie qui manifestent le souci d’une méthode historique. Et d’abord, ce qui nous semble élémentaire, mais ne l’a pas toujours été : le désir d’exactitude. George Sand entreprend d’écrire, stimulée par le besoin de rectifier des erreurs commises par ses premiers biographes ; elle s’élève contre « cet assez grand nombre de biographies pleines d’erreurs » (I, p. 5), fussent-elles bienveillantes. « Il n’est pas jusqu’à mon nom qui ne soit une fable dans certaines de ces biographies » (I, p. 6). Elle entend montrer son moi « sans piédestal » (I, p. 7).
14Ce besoin d’exactitude l’entraîne à distinguer plus nettement que ne l’ont fait et le font encore ses biographes, différents registres d’écriture. Ainsi les Lettres d’un voyageur, rappelle-t-elle, reposent sur « une sorte de fiction » : le narrateur est un « vieil oncle » et non la jeune femme qu’elle était. Plus graves encore les erreurs qu’a entraînées la confusion entre le roman et la réalité. Dudevant « n’a jamais été que sous-lieutenant d’infanterie » ; il « n’avait que vingt-sept ans quand je l’ai épousé » ; on l’a « confondu avec M. Delmare », vieux demi-solde de l’Empire dans Indiana (I, p. 13).
15En bonne historienne, elle sait toute l’importance qu’il faut donner aux archives et elle en possède beaucoup : les papiers de la grand-mère Aurore Dupin de Francueil, dont elle complète au besoin les informations par des renseignements fournis par son parent René de Villeneuve (I, p. 51, note de l’auteur), constituent une source extrêmement précieuse à laquelle elle puise abondamment. Elle regrette de n’avoir pas toujours compris que tout pouvait être utile. Ainsi elle a détruit des madrigaux contre Marie-Antoinette qu’elle y avait retrouvés, et qui lui avaient semblé de peu d’intérêt :
J’aurais dû pourtant me dire que c’étaient des documents historiques qui pouvaient avoir une valeur sérieuse. (I, p. 56)
16Elle n’hésite pas à citer longuement des textes administratifs qui ne la concernent pas directement, mais permettent de situer un moment historique, ainsi celui de la Terreur :
Pour bien faire comprendre la gravité de cette résolution dans de pareilles circonstances, il est bon de citer ici le procès-verbal de la découverte des objets suspects. (I, p. 61)
17Elle citera aussi l’acte de mariage de ses parents, non seulement parce qu’il est important pour elle, mais aussi parce qu’il est significatif d’un certain désordre administratif sous le Consulat.
18Cependant elle n’a pas toujours à l’endroit des documents qu’elle utilise les scrupules qu’aurait une historienne ; en effet, la patiente et savante édition de Georges Lubin montre qu’elle a parfois remanié les lettres de son père et qu’il ne s’agit pas exactement de documents bruts. Elle améliore le style ; parfois même les modifications vont plus loin. Je n’en donnerai qu’un exemple, mais significatif. Une lettre de Maurice relate un carnaval où il s’est déguisé en femme ; Sand ajoute cette phrase dans le texte même de la lettre : « Avec mon grand éventail et ma longue taille, j’étais la caricature de l’Ancien Régime » (I, p. 220 et la note de G. Lubin, I, p. 1297), supposant une intention politique dans le déguisement, intention que Maurice n’exprimait pas aussi nettement.
19À la masse de documents qu’elle possède déjà chez elle, s’ajoutent des lectures d’historiens qu’elle cite à plusieurs reprises, en particulier Thiers, Élias Regnault (I, p. 526), Louis Blanc, Quinet, Michelet ; elle utilise donc des historiens de tendances très diverses, et elle n’hésite pas à les critiquer, en particulier Thiers qui « pense comme Bonaparte », lorsqu’il affirme que la majorité des Français désirait le Concordat (I, p. 409). L’histoire de « M. Thiers, que je consulte comme la plus détaillée et la plus sérieuse sur beaucoup de points, ne s’occupe pas des mœurs et de l’opinion autant qu’il faudrait » (I, p. 434). Elle s’est servie aussi d’Henri Martin sur qui elle porte un jugement beaucoup plus favorable ; son Histoire de France est « le plus beau des livres d’histoire publiés jusqu’à ce jour, parce qu’il est le plus complet » (I, p. 144). Elle a complété la lecture des grands historiens par de nombreuses relations d’épisodes. Ainsi de la bataille d’Austerlitz : n’ayant pas trouvé le nom du général Dupont, elle doute que son père y ait participé (I, p. 513). Mais elle déplore que la censure sous l’Empire ait rendu les journaux de l’époque une source peu fiable (I, p. 435).
20L’histoire doit être totale, et ne pas négliger les exclus, les personnages rejetés dans l’ombre :
Je demande qu’on fasse l’histoire des disgraciés de Napoléon, et j’appellerais volontiers ceux d’entre eux qui dont restés fidèles à leurs premières idées à nous raconter eux-mêmes aujourd’hui leur vie et leurs sentiments sous l’Empire. Cela manque à la philosophie de l’histoire de l’Empire. Toute la portée, toute la vérité d’une époque n’est pas dans le récit officiel des événements généraux, tels que la guerre, la législation, la diplomatie et les finances. (I, p. 435)
21L’histoire d’individus secondaires peut être tout aussi importante, dans la conception de l’histoire chez Sand, que celles de personnages historiques. Ainsi de Deschartres : « l’abbé Deschartres » est devenu « citoyen Deschartres » sous la Révolution, puis maire de Nohant sous l’Empire. « Sous la Restauration il eût volontiers repris son titre d’abbé » s’il avait reçu les ordres (I, p. 52) : carrière bien caractéristique d’une époque où les régimes se sont succédé avec une telle rapidité. La longue évocation des batailles de l’Empire est faite du point de vue d’un soldat, et non du point de vue de Napoléon ; c’est la vie quotidienne du soldat qui l’intéresse, non l’histoire des batailles. À qui sait lire l’histoire, les moindres détails peuvent apparaître significatifs : ainsi le fait que sa mère est prénommée Antoinette sous l’Ancien Régime, Victoire, lors des conquêtes militaires de son futur mari, puis Sophie après son mariage.
Tout est significatif et emblématique (et le plus naturellement du monde) dans les détails en apparence les plus fortuits de la vie humaine (I, p. 341).
22Écrire l’histoire, c’est écrire celle du peuple, et non pas seulement des personnages historiques. L’exemple personnel de sa double lignée permet à George Sand de mettre en relief cette conception d’une histoire totale. Car si, du côté paternel, les références à des personnages plus ou moins illustres abondent, il n’en est rien du côté maternel. Or elle réclame très haut cette double ascendance : elle est aussi fille de sa mère et fille du peuple.
Nous avons tous des ancêtres, grands et petits, plébéiens et patriciens. (I, p. 23)
23Elle s’efforce donc de faire l’histoire de la branche maternelle, comme de la branche paternelle (I, p. 15). Mais elle se heurte à une difficuté fondamentale que connaissent bien les historiens : l’absence d’archives sur la vie des gens du peuple.
Les généalogies plébéiennes ne peuvent lutter contre celles des riches et des puissants de ce monde. (I, p. 71)
24Elle supplée tant bien que mal à la rareté de sa documentation, au risque de passer de l’histoire des oiseleurs, à la fable des amours de deux oiseaux (I, p. 18-19) !
25Plus que l’histoire de tel ou tel individu, l’intéresse l’histoire d’une famille : « Il est très vrai que chacun est le fils de ses œuvres ; mais il est également vrai que chacun est le fils de ses pères, de ses ancêtres, patres et matres » (I, p. 24) ; mais ce concept même de famille est objet d’histoire, et George Sand esquisse un historique de ce concept depuis l’Antiquité jusqu’à son époque (I, p. 28). L’histoire d’un groupe préférée à celle d’un individu peut sembler paradoxale dans une autobiographie : c’est le concept de lignée et de famille qui opère le trait d’union entre le « moi » et le groupe.
Toutes les existences sont solidaires les unes des autres, et tout être humain qui présenterait la sienne isolément, sans la rattacher à celle de ses semblables, n’offirait qu’une énigme à débrouiller. (I, p. 307)
26Sa conception de l’histoire est profondément liée à toute sa philosophie.
27George Sand qui suit en cela une transformation de l’histoire déjà inaugurée par Voltaire, s’intéresse à l’histoire des civilisations plus qu’à celle des batailles. Grâce aux propos de sa grand-mère, elle évoque tout un art de vivre qui était celui de l’Ancien Régime (I, p. 40-41). Elle s’intéresse à l’histoire des objets, d’une façon qui nous semble très moderne.
L’histoire se sert donc de tout, d’une note de marchand, d’un livre de cuisine, d’un mémoire de blanchisseuse. Et voilà comment vingt-sept aunes de velours vert peuvent intéresser l’histoire de l’humanité. (I, p. 79)
28Elles nous renseignent, en effet, sur « la situation du commerce », le « sort des ouvriers », « le luxe des mœurs », « la différence du bienêtre » (I, p. 79). On croirait lire Daniel Roche quand il écrit : « Les objets, les relations physiques et humaines qu’ils entraînent ne peuvent se réduire à une simple matérialité pas plus qu’à de simples instruments de communication ou de distinction sociale2 ».
29Par-delà l’histoire des civilisations, profondément ancrée en elle, il s’agit de percevoir l’histoire des idées et de leur progression. Elle n’hésite pas à faire une véritable « explication de textes », quand quelques lignes écrites probablement par sa grand-mère, sont révélatrices :
Les réflexions que je vais transcrire peignent très bien l’état moral de toute une caste de la société après la Terreur. (I, p. 124)
30Elle souligne le lien qui existe entre l’histoire des mentalités et les événements politiques ; ainsi, au lendemain de la Révolution : « On avait souffert, on s’était habitué à perdre sa fortune sans lâcheté, à la recouvrer sans avarice » et l’on sent qu’elle éprouve quelque nostalgie pour « ce beau moment de notre histoire » (I, p. 310). Mentalités passées, mentalités contemporaines, tout intéresse Sand. Les termes de « mon siècle », « mon temps » sont alors utilisés avec prédilection pour marquer ce mouvement collectif de la pensée :
Mon siècle a fait jaillir les étincelles de la vérité qu’il couve ; je les ai vues, et je sais où en sont les foyers principaux. (I, p. 8)
31Ou encore :
Nous vivons dans un temps où l’on n’explique pas bien encore les causes naturelles. (I, p. 22)
32Les ambitions de George Sand historienne sont donc vastes, passionnantes, mais elle est la première consciente des difficultés auxquelles elle se heurte. L’histoire des civilisations et des idées, plus encore que l’histoire des batailles, entraîne un essai d’interprétation de la part de l’historien ; il entre alors dans un domaine brumeux où il n’est pas sûr d’atteindre jamais la lumière.
Les événements d’hier sont aussi obscurs pour nous que les épopées des temps fabuleux, et c’est aujourd’hui seulement que des études sérieuses font pénétrer quelque lumière dans ce chaos. (I, p. 57-58)
33L’événement fondamental, central, bien qu’il se situe avant la naissance de George Sand, c’est la Révolution. Comment l’interpréter ? Tout le XIXe siècle se posera la question et le XXe ne l’a pas complètement résolue. Peut-on en tenter une explication mystique, comme elle le suggère lorsqu’elle y voit « une des phases actives de la vie évangélique » (I, p. 57), interprétation qu’elle avait déjà suggérée dans la Lélia de 1839 et dans Spiridion ?
34Malgré les difficultés que peut éprouver l’historien à comprendre le passé, Sand n’hésite pas à prendre parti et même parfois très violemment, ainsi à propos du Concordat et le consulat à vie (I, p. 406-408) :
Il faut que cette religion s’établisse par la foi et non par la contrainte, par le libre examen et non par la raison d’État. (I, p. 407-408)
35Napoléon a accompli un acte purement politique : il s’est agi pour lui de faire plaisir à la bourgeoisie, en rétablissant la paix à l’intérieur, et à la noblesse en rétablisant la religion catholique, de faire accepter son usurpation aux vieilles monarchies de l’Europe, par ce « replâtrage de la papauté » (I, p. 412). Cet acte politique lui semble une « profanation » qui « a tout naturellement préparé le despotisme hypocrite de la Restauration » (I, p. 407). George Sand cède alors, et longuement, à la tentation qui n’est plus exactement du registre scientifique, d’écrire de l’histoire virtuelle et d’imaginer les paroles qu’aurait dû dire Napoléon (I, p. 413 et suiv.). Ce tout début du xixe siècle était, en effet, le moment favorable pour une religion nouvelle et véritablement évangélique, table rase ayant été faite des institutions antérieures ; il aurait fallu prolonger le culte de l’Être suprême et grâce au « sans-culotte Jésus » (p. 416), retrouver l’esprit de liberté et la simplicité que Sand imagine dans la primitive Église, loin de tout poids institutionnel (I, p. 413-418). Robespierre « avait jeté comme première base de son système une pierre, brute comme une pierre druidique ; mais sur cette pierre, par la suite des temps et le développement des idées, un temple pouvait s’édifier […]. Bonaparte et quelques-uns des hommes qu’il absorba trop vite dans son rayonnement eussent été appelés à continuer l’œuvre des jacobins » (I, p. 416-417) ; l’Église eût maudit cette religion nouvelle ? C’eût été revenir aux premiers temps des Hussites persécutés ?
Non l’humanité ne repasse pas par les mêmes chemins. (I, p. 418)
36Malgré ce que tout ce passage peut avoir d’extra-historique et de mystique, on y voit encore la présence de l’histoire réelle par ces considérations sur la religion révolutionnaire, sur les Hussites, et aussi par cette conception intéressante du temps, qui semble inspirée de l’évolution en spirale proposée par Vico.
37À mesure qu’elle écrit sa vie sa conception de l’histoire et du rôle de l’historien évolue. L’Histoire de ma vie se termine par un hymne à un certain nombre d’historiens : Louis Blanc, Henri Martin, Edgar Quinet, Michelet. Cet hymne dans sa grande force lyrique implique une conception mystique de l’histoire :
Ô Louis Blanc, c’est le travail de votre vie que nous devrions avoir sous les yeux ! Au milieu des jours de crise qui font de vous un proscrit et un martyr, vous cherchez dans l’histoire des hommes de notre époque l’esprit et la volonté de la Providence. Habile entre tous à expliquer les causes des révolutions, vous êtes plus habile encore à en saisir, à en indiquer le but. (II, p. 456)
Et vous aussi, Henri Martin, Edgar Quinet, Michelet, vous élevez nos cœurs, dès que vous placez les faits de l’histoire sous nos yeux. Vous ne touchez point au passé sans nous faire embrasser les pensées qui doivent nous guider dans l’avenir. (II, p. 456-457)
38C’est dire que l’historien ne se contente pas de relater le passé, mais qu’il est en quelque sorte un prophète ; dans la mesure où il est capable d’éclairer en profondeur le passé et le présent, il va aider son lecteur à s’élancer vers l’avenir. Parce qu’il s’engage profondément dans son œuvre, son texte implique fortement la présence d’un « moi », « le travail d’une vie ». Il écrit l’histoire, sur fond de sa propre vie, tandis que l’autobiographe écrit sa propre vie sur fond d’histoire, mais on le voit, la limite est vite franchie entre l’historien et l’autobiographe, le microcosme du moi implique le macrocosme de l’histoire et inversement, puisque l’historien s’engage pleinement dans son écriture, tandis que l’autobiographe situe sa vie dans l’histoire.
Une écriture de l’autobiographie
39En quoi cette conception de l’histoire influe-t-elle sur la conception de l’autobiographie ? Certaines conséquences sont évidentes, d’autres peut-être plus subtiles. On verra d’abord là l’explication de ce qui a choqué beaucoup des contemporains de Sand : la place à leurs yeux disproportionnée donnée à toute l’histoire de sa famille avant sa naissance. Bien entendu, on a pu, et moi la première, risquer d’autres explications : la psychanalyse fournit une explication trop facile à la prédominance paternelle ; peut-être le souci de la famille est-il assez caractéristique de l’écriture féminine ; aucune de ces explications n’est exclusive ; mais on sent bien que la présence de l’histoire, d’une certaine conception de l’histoire interdit de se limiter à un « moi » conçu de façon strictement individualiste, et encore moins à ces petites aventures d’alcôve que la curiosité du lecteur attendait.
40Faire l’histoire de son père c’est faire sa propre histoire, l’hérédité permet de justifier cette projection : « Mon être est un reflet, affaibli sans doute, mais assez complet, du sien » (I, p. 156) ; il est donc légitime de transposer le moi à des époques qu’il n’a pas vécues ; d’où cette extension assez extraordinaire de l’empan autobiographique chez George Sand ; le phénomène joue aussi avec la grand-mère qui représente un « moi » projeté encore plus loin dans le passé historique. Ainsi quand Sand cite une lettre de sa grand-mère qu’elle trouve « excellente » parce qu’elle correspond à ses propres idées sur la Révolution. L’osmose de deux consciences n’en reste pas au plan des idées : elle est plus étonnante encore au niveau des sentiments : ceux de la grand-mère à l’endroit de son fils, donc du père de George Sand, sont comme une anticipation des sentiments de l’autobiographe à l’égard de son propre fils ; l’effet d’osmose est encore renforcé par le fait que le prénom est le même : Maurice. L’importance donnée à tout le déroulement historique qui précède la naissance de l’autobiographe amène un élargisement du concept du moi. Le « moi » a vécu plusieurs fois avant de naître, comme dans des réincarnations successives.
41Cet élargissement de l’autobiographie dû à l’histoire n’entraîne-t-il pas cependant des risques : dans cette dialectique entre le « moi » et l’histoire, le « moi » ne va-t-il pas infléchir la vérité historique ? L’historien doit transcrire le document à la virgule près ; or, et Georges Lubin l’a bien montré, les lettres du père ont été retouchées par George Sand. Il y a une tension entre le souci d’exactitude et le souci d’art ; peut-être est-ce encore une manifestation de cette osmose : le père devient un écrivain et par conséquent retouche en quelque sorte son texte de façon posthume par les soins de sa fille.
42Autre problème : la gestion des lacunes, ainsi pour les lettres de 1794. L’historien a toujours le droit de faire des hypothèses, à condition de les présenter comme telles :
Ici il y a une lacune. Ces premières lettres étaient sans doute les plus déchirantes, les plus passionnées. Peut-être contenaient-elles quelques plaintes contre le gouvernement révolutionnaire, et, dans la crainte des conséquences, ma grand-mère les aura brûlées aussitôt après les avoir lues. (I, p. 80)
43Cependant il sera tentant pour l’autobiographe d’imaginer, plus que l’historien ne saurait se le permettre, d’autant que George Sand est aussi et essentiellement romancière. Elle est peut-être moins soucieuse que Stendhal de « ne pas faire de roman ». Ainsi l’idylle de ses parents se prête bien à la fiction (elle ferait même songer, pour sa partie italienne, à un épisode de la Chartreuse de Parme (I, p. 313, 319, 339-340)3, fiction d’autant plus tentante qu’elle se situe à ce point névralgique de l’origine du « moi ». Mais est-ce vraiment faire une entorse à l’exactitude historique ? « La vie est un roman que chacun de nous porte en soi, passé et avenir » (I, p. 174), déclare George Sand. Donc le roman est partie intégrante de l’histoire, parce que l’histoire elle-même fournit des épisodes romanesques. Mais la frontière entre fiction et réalité est parfois difficile à préciser, justement parce que le roman est invention et que l’invention elle-même fait partie de l’histoire.
44D’où un certain flottement générique qui est d’ailleurs un des charmes de l’autobiographie, forme littéraire, comme toutes les écritures du « moi », difficilement codifiable : récit historique, roman à la première personne, roman par lettres, l’Histoire de ma vie est tout cela à la fois ; autobiographie et journal de l’autobiographie également. La forte insertion de l’autobiographie dans l’histoire est en effet double : il y a le temps historique dans lequel le « moi » a vécu, mais il y a aussi le temps historique dans lequel l’autobiographe écrit. Cette double présence de l’histoire est fortement marquée, d’autant que George Sand a rédigé son texte en deux temps et deux temps coupés très fortement par un événement historique d’importance : la révolution de 1848. Aussi se plaît-elle à imaginer une autobiographie virtuelle, celle qu’elle aurait pu écrire si elle l’avait terminée avant 1848 :
Si j’eusse fini mon livre avant cette révolution, c’eût été un autre livre, celui d’un solitaire, d’un enfant généreux, j’ose le dire, car j’avais étudié l’humanité sur des individus souvent exceptionnels et toujours examinés par moi à loisir. Depuis j’ai fait, de l’œil, une campagne dans le monde des faits, et je n’en suis point revenue telle que j’y étais entrée. (I, p. 465)
45Si bien que la révolution de 1848 n’est pas absente de l’Histoire de ma vie, comme on pourrait le croire à une première lecture ; elle figure dans la modification du regard de l’autobiographe, mais cette qualité du regard n’appartient-elle pas justement à l’histoire, tout autant que les faits racontés ? Or ce regard est mobile, comme l’histoire elle-même :
Mon livre sera donc triste si je reste sous l’impression que j’ai reçue ces derniers temps. Mais qui sait ? le temps marche vite, et après tout, l’humanité n’est pas si différente de moi, c’est-à-dire qu’elle se décourage et se ranime avec une grande facilité. (I, p. 465-466)
46Présent de l’écriture, passé des événements mais qui apparaissent filtrés par la mémoire présente. Nous verrons sur quelles perpectives de renouveau se termine le livre. George Sand historienne rencontre aussi une difficulté que connaissent beaucoup d’autobiographes et que Stendhal a mainte fois soulignée : faut-il suivre l’ordre chronologique des événements ou l’ordre de la venue des souvenirs dans la mémoire : ces entorses à l’ordre chronologique des événements, Sand les appelle des « anachronismes », ainsi :
Ce sera encore un anachronisme de quelques années ; mais les souvenirs me pressent un peu confusément, me quittent de même, et j’ai peur d’oublier tout à fait ce que je remettrais au lendemain. (I, p. 54)
47Stendhal aussi notait que les souvenirs « galopaient » et qu’il fallait les attraper sans tarder. La solution consiste donc à noter le souvenir quand il vient pour ne pas le perdre, ce qui est aussi une forme du souci de l’histoire – le souvenir est un document –, et à rétablir l’ordre chronologique en notant l’entorse qui lui est faite. Du même coup se trouve renforcée la présence du « je », ce « je » qui détient la mémoire, trésor fugitif cependant.
48Alors que l’historien accumule le maximum de documents, l’autobiographe est plus libre d’opérer une sélection, sélection qui lui est imposée soit par les documents qu’il possède, soit par sa propre mémoire ou par la mémoire d’autrui qu’il véhicule ; cependant le souci historique réapparaît chez l’autobiographe dans la mesure où il va souligner le caractère révélateur de l’anecdote ; ainsi à propos de l’histoire des scellés mis chez la grand-mère sous la Révolution (I, p. 65 et suiv.).
49De même que l’intéresse davantage l’histoire des idées que l’histoire des batailles, racontant son moi, George Sand préférera narrer l’histoire de sa vie intérieure, que celle des menus événements qui la jalonnent ; elle désire « raconter la vie intérieure, la vie de l’âme, c’est-à-dire l’histoire de son propre esprit et de son propre cœur, en vue d’un enseignement fraternel » (I, p. 9). Et c’est peut-être dans cette certitude que la subjectivité fait partie de l’histoire, que l’articulation entre histoire et autobiographie puise son fondement non sans quelques risques que nous venons d’évoquer.
50Subjectivités multiples : celles des êtres qui ont vécu, celle de l’autobiographe, mais aussi des lecteurs futurs. Ainsi après avoir affirmé dans une conception proche de Vico que l’histoire ne repasse jamais exactement par le même chemin, elle ajoute :
Laissons donc à d’autres le souci de conclure sur une hypothèse qui ne se réalisera jamais. Tout ce qui a été dit, tout ce qui sera dit, observé, raconté, analysé sur les événements de notre histoire, sera utile à ceux qui auront un jour à se prononcer sur ses erreurs et sur ses bienfaits. (I, p. 169)
51Autre écriture du moi, autre lecture aussi du moi des autres à travers leurs autobiographies : ainsi des Confessions de Rousseau, objet de tant de discussions dès leur parution et encore au temps de George Sand : « Ce qui nous intéresse […] c’est le spectacle de cette âme inspirée avec les erreurs de son temps […] c’est le combat de ce génie épris d’austérité […] avec le milieu frivole, incrédule et corrompu qu’il traversait » (I, p. 11). Combien cette lecture lui semble plus intéressante que celle de ces « torts puérils » dont Jean-Jacques s’accuse ; cette lecture en effet permet à la fois de reconstituer l’histoire d’une conscience et l’histoire d’une époque.
52Une réflexion sur la nature de l’écriture autobiographique entraîne inévitablement une réflexion sur le rôle du « lecteur intime », lecteur auquel il va être fait appel, pour prolonger, en quelque sorte, le texte. En effet, la conception mystique du moi qui envahit de plus en plus la pensée de George Sand devait aboutir presque inévitablement à l’arrêt de l’écriture autobiographique :
On se fatigue vite de se contempler soi-même. Nous sommes de petits êtres sitôt épuisés et le roman de chacun de nous est si vite repassé dans sa propre mémoire ! (II, p. 199)
53Le moi se fond dans l’histoire de l’humanité, jusqu’à disparaître dans cet océan. C’est peut-être ce qui explique que George Sand n’ait pas poursuivi le récit de sa vie. Elle n’a pas voulu raconter l’histoire de son « moi » dans la révolution de 1848, parce que cette révolution l’a déçue ? parce qu’elle n’y a pas pu avoir le rôle qu’elle aurait voulu ? Cela ne semble pas des explications suffisantes. La lettre à Louis d’Ulbach donne une autre explication : « J’ai beaucoup songé à ce qui est vrai, et dans cette recherche le sentiment du moi s’efface chaque jour davantage4 » (II, p. 465) ; la « Conclusion » de l’Histoire de ma vie annonce cet élargissement des perspectives : Terre, Ciel, Univers se trouvent convoqués ; l’autobiographie risque alors de disparaître dans l’histoire de l’Humanité, une histoire qui est elle-même débordée par des perspectives mystiques vers le futur du monde. Mais ce futur, c’est au lecteur à le découvrir et à le vivre, il n’est plus du ressort ni de l’historien ni de l’autobiographe.
Notes de bas de page
1 G. Sand, Histoire de ma vie, Œuvres autobiographiques, G. Lubin (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1970-1971, 2 tomes, t. I, p. 13. Pour la suite, les références à Histoire de ma vie seront directement indiquées dans le corps du texte, selon le modèle suivant (pour la présente) : (I, p. 13).
2 D. Roche, Histoire des choses banales, Paris, Fayard, 1997, p. 11.
3 George Sand a-t-elle songé au récit de Waterloo quand elle reproduit le récit de Marengo par Maurice, qui, pas plus que Fabrice, n’a pu suivre le sens général de la bataille (I, p. 133). Maurice franchit le Saint-Bernard, en suivant forcément le même itinéraire que Brulard (Ivrea, etc.). Le voilà amoureux à Milan et retrouvant cette même femme à Asola, en pleine campagne militaire : tout cela a un parfum stendhalien très frappant, même si les lettres de Maurice sont antérieures à la Chartreuse et au Brulard, et si Stendhal, lors de la fameuse rencontre sur le bateau, s’était efforcé de détruire chez George Sand et chez Musset le mythe italien que pourtant il avait si fortement contribué à construire et qui trouvera son épanouissement dans la Chartreuse. Ces points de ressemblance ne me semblent pas relever d’une quelconque influence littéraire, au sens strict du terme, mais plutôt de l’appartenance commune à l’histoire des conquêtes napoléoniennes en Italie.
4 Les mots en italique sont soulignés par George Sand.
Auteur
École normale supérieure Ulm – Sèvres, Paris
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