Une affaire de rythme
p. 199-200
Texte intégral
Le théâtre de Labiche ne se joue pas vite
1Si on essaie de parler Labiche de manière tout à fait quotidienne, c’est l’échec. C’est un théâtre qui ne se joue pas vite, contrairement à ce qu’on croit. Il doit se jouer avec un certain rythme, un certain brio, mais aussi large et fort. On ne peut pas échapper à cela.
2Contrairement au théâtre de Feydeau qui se joue dans un tempo très rapide, parce qu’il est basé sur des quiproquos, dans Labiche il y a finalement assez peu de quiproquos, c’est surtout la peinture des caractères. Il y a dans Labiche des situations comiques mais elles sont plutôt d’observation sociale.
3Yves Gasc (1988)
Pas de temps pour l’analyse
4Le théâtre met en scène les rapports sociaux et donc le mensonge sans lequel ils ne sauraient avoir lieu. Autant chez Marivaux les personnages se mentent d’abord à eux-mêmes, en feignant d’ignorer leurs propres désirs et en le niant auprès des autres dans le but de garder le contrôle de leur destin, autant chez Feydeau les personnages ne peuvent en aucun cas contrôler leurs pulsions, qui les trahissent sans même qu’ils s’en aperçoivent. Sans cesse pressés par l’urgence et faute d’avoir le temps – que Feydeau ne veut surtout pas leur donner – de réfléchir sur leur situation, en perte de contrôle permanent, leur inconscient parle plus fort qu’eux, la pulsion occupe tout le terrain et ils se précipitent vers les pires solutions pour tenter sans succès de se sortir des impasses où ils se sont eux-mêmes jetés ; le seul temps que parfois Feydeau leur accorde c’est ce temps de vide entre le stimulus et la réponse, ce temps de la sidération devant la catastrophe prévisible dont le cinéma burlesque américain fera un si fécond usage.
5Gildas Bourdet (2010)
La continuité de la parole
6Dans l’exécution de la partition textuelle, il est important de veiller à la continuité de la parole. Les répliques s’enchaînent sans temps entre elles, ce qui évite toute posture psychologique. C’est un théâtre réactif : les personnages réagissent aux mots entendus, ce qui alimente leurs propres conduites. Mais attention : coller à la réplique précédente ne doit pas entraîner un débit rapide de la réplique. Ce qui est important, c’est de s’emparer de la parole afin de développer ce que l’on a à dire.
7Gilles David (2014)
Savoir être lent dans le rapide
8Jean-Louis Benoît disait lors d’une rencontre publique : la tragédie c’est lent, la comédie c’est rapide. C’est vrai, sauf qu’il y a des moments rapides dans les tragédies et des moments lents dans les comédies. Dans une bonne comédie, tout n’est pas au même rythme. Parfois, il n’y a aucune raison d’aller vite, tant que le personnage n’est pas confronté à un élément qui va l’angoisser, apporter l’accident dans sa vie, qui va faire qu’on se dit, nous, spectateurs : oh là là, qu’est ce qui va se passer ? Il n’y a aucune raison que le personnage se serve systématiquement un verre de whisky de façon énervée. Un personnage de comédie a le droit d’être calme par moments. Même au cœur de la mêlée, il peut se dire : ouf, j’ai réussi à stopper l’affaire. Et puis, paf, ça va rebondir, mais le petit temps pendant lequel il souffle après avoir réglé un problème, c’est l’œil du cyclone.
9De plus, avec Labiche, on s’est rendu compte que, quand on prenait le temps de se parler, en répétition, quitte à ce que ce soit beaucoup trop long, on trouve des choses dans l’interprétation, on trouve des trésors dans le texte. Il faut rechercher le rythme et parfois être lent dans le rapide. Le comique est insécurisant.
10Philippe Torreton (2010)
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GénétiQueneau
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2019