Voyage réel, voyage rêvé : les voyages « archéologiques » des petits romantiques
p. 71-90
Texte intégral
Il y a dans tout poète un voyageur sublime.
G. de Nerval, article paru dans Le Messager du 18 septembre 1838
Il me semblait que j’imprimais les pieds dans la trace de mes pas anciens.
G. de Nerval, article paru dans le Journal de Constantinople du 6 septembre 1843
En franchissant la ligne de démarcation je me souviens de ce que le bon et spirituel Henri Heine me disait au concert de Liszt, avec son accent allemand plein d’humour et de malice : « Comment ferez-vous pour parler de l’Espagne quand vous y serez allé ? » Th. Gautier, Voyage en Espagne
Plus le monde s’est ouvert, plus s’est réduit le lieu du voyage. Mais dans la béance est né un territoire mythique qui évacue les continents abandonnés à l’activité productive de l’Homme et renvoie à l’imaginaire vrai, la littérature.
F. Moureau, L’Imaginaire vrai
1Les romantiques, on le sait, ont été de formidables voyageurs. Dans le panorama extrêmement riche et varié de la littérature de voyage qu’ils nous ont transmise et qui relève des genres les plus différents, les « impressions de voyage » des écrivains que l’on a coutume d’appeler « petits romantiques », en particulier, se rapprochent en raison des nombreuses caractéristiques qui les apparentent. C’est une nouvelle façon de raconter les déplacements, qui se distingue par l’originalité dans l’abord de lieux plus ou moins connus et par la singularité des descriptions, qui s’éloignent des tracés « officiels » décrits par les voyageurs des siècles précédents1 : plutôt que reproduire fidèlement les spectacles qui s’offrent à leur vue, les voyageurs traduisent les sensations qu’ils éprouvent.
2Si les procédés et les techniques d’écriture employés dans ces récits se ressemblent, les résultats sont en revanche loin d’être les mêmes ; c’est ainsi que, tout en décrivant les mêmes lieux, ces écrivains créent des œuvres très différentes les unes des autres, parce qu’elles sont surtout la projection du paysage intérieur de celui qui les visite. L’effet de dépaysement, le pittoresque ne naissent donc pas des descriptions plus ou moins fidèles des lieux visités – que, souvent d’ailleurs, les écrivains connaissent bien grâce aux nombreux récits des voyageurs qui les ont précédés –, mais plutôt des regards que promènent sur eux les romantiques, nourris de sensations personnelles : ce n’est plus le spectacle qui est privilégié, mais les sentiments qu’il suscite, les analogies qu’il évoque chez celui qui le voit.
3Le paysage visité se double d’autres paysages – étrangers, exotiques – auxquels il est associé par les analogies qu’il éveille chez l’écrivain-voyageur. Sous le regard visionnaire du poète, il se charge de connotations différentes, se déplace dans l’espace et dans le temps, devient « autre ». Contrairement au « pays où l’on n’arrive jamais », dont parle un écrivain contemporain, il s’agit de pays où l’on parvient à arriver, mais où l’on ne peut demeurer que quelques instants puisque, comme la « cathédrale de brume » qui surgit brusquement dans l’œuvre de Paul Willems, ils n’apparaissent que pendant quelques minutes – le temps de l’écriture et de la lecture – dans le clair-obscur de cet espace indécis entre le songe et la vie réelle : ce sont des pays qui, pour une bonne part, n’existent que dans les rêves de l’écrivain et disparaissent aussitôt.
4À l’intérieur de cette « géographie mythique », les ruines jouent un rôle privilégié, puisqu’elles constituent un paysage de choix pour le regard du voyageur-voyant. Les vieilles constructions, les cathédrales gothiques, les forteresses, les anciens châteaux, « fonctionnent […] comme des opérateurs d’intertextualité »2, « métonymie de la partie pour le tout »3, non seulement dans un sens « historique »4, mais aussi dans un sens personnel profond ; ils éveillent souvent des souvenirs liés à des livres bien connus (roman noir anglais, Ann Radcliffe, Matthew Lewis, Edgar Allan Poe…), à des peintres, à des graveurs ou à des tableaux aimés (Goya, Le Greco, Piranèse…), à des lieux précédemment connus, à des villes mythifiées dont on connaît le pouvoir de suggestion sur l’imaginaire romantique (Venise, Rome, Pompéi, entre autres) ; ou bien encore ils suscitent des rêveries, évoquent des souvenirs réels ou fantasmés, déclenchent une démarche rétrospective.
5S’il n’est pas toujours facile, à la première lecture, de distinguer les unes des autres les relations de voyage, très nombreuses, qui ont été publiées dans la première moitié du xixe siècle, et qui évoquent des itinéraires bien connus, désormais tracés, parcourus et décrits par les voyageurs romantiques5, on se rend bientôt compte, à un deuxième niveau, de l’originalité de chacune6. Au cours ou à la suite de leurs nombreux voyages, réels ou rêvés, les « petits romantiques » ont écrit de nombreuses œuvres appartenant à des genres différents : ce sont tantôt de véritables récits de voyage, tantôt des contes fantastiques qui se déroulent dans les lieux où – généralement, mais pas toujours – ils se sont rendus, des lettres, des articles ou des livres de souvenirs. Cependant, la typologie de leurs récits de voyage, ou des œuvres de fiction nées de leurs voyages, est très particulière : Nodier, Nerval, Gautier nous offrent des exemples de descriptions de lieux visités qui, tout en tenant compte de la géographie réelle, se doublent d’une géographie imaginaire avec ses propres cartes, son langage, sa syntaxe. Le premier niveau de ces textes témoigne des déplacements du voyageur dans des espaces réels, l’autre nous entraîne dans des espaces imaginaires. Dans les récits de voyage, comme dans les œuvres de fiction, ces deux parcours sont également présents, à tel point que le voyageur-narrateur et le lecteur, envoûtés par la magie des descriptions, entrent dans un pays réel, situé dans un contexte géographique précis et, dans le même temps, inexistant.
6Il est parfois difficile de classer ces ouvrages à l’intérieur d’un genre bien précis, puisque ces écrivains rêvaient tous d’un mythique « livre total », d’un Livre composé de plusieurs niveaux d’écriture, dans lequel ils pourraient raconter leurs expériences, leurs rêves, leurs hantises, leur vision du monde et de la vie. Il arrive donc souvent que les genres se brouillent, se mêlent, se superposent, donnant vie à des œuvres « inclassables », mais d’autant plus envoûtantes qu’elles entraînent le lecteur dans un univers féerique : il n’est pas aisé de fixer la « nature protéiforme » des innombrables ouvrages parus à l’époque romantique dont se compose ce « genre ouvert »7.
7Le voyage réel, chez ces poètes, déclenche le mécanisme du souvenir : les paysages, les monuments, les visages étrangers et pourtant familiers créent parfois des associations analogiques et donnent lieu à des sensations de « déjà vu », qui altèrent les lieux, leur confèrent un visage nouveau. Le récit de voyage devient ainsi, souvent, une sorte de récit fantastique car, comme l’écrit Michel Crouzet, « du voyage au récit fantastique il y a un travail de condensation, de stylisation, mais les impressions et les épisodes demeurent identiques »8.
8Il est d’ailleurs très fréquent que des impressions de voyage deviennent, après coup, des récits de fiction dans lesquels les personnages principaux, visitant les mêmes lieux que ceux décrits par l’écrivain, vivent de véritables expériences fantastiques9. C’est pourquoi les très nombreuses descriptions qui apparaissent dans les récits de voyage, tout en reproduisant les mêmes lieux, sont très différentes les unes des autres puisqu’elles sont souvent le produit de la « mémoire affective »10 individuelle, et témoignent ainsi de l’imaginaire personnel investi par chaque écrivain.
9Ce n’est pas un hasard si Nerval et Gautier, utilisant la même image, retrouvent, en écoutant un air « languissant et funèbre » (Fantaisie), ou « d’un charme bizarre » (Constantinople), des paysages de leurs rêves ou de leur enfance, « des souvenirs d’existences antérieures » (Constantinople) qui, filtrés par l’écran du souvenir, retracent « la géographie magique d’une planète inconnue », puisqu’ils naissent du « ressouvenir d’une existence antérieure »11 qui leur permet de rencontrer leur chimère.
10La visite de Pompéi effectuée par ces deux écrivains donne lieu à des descriptions complètement différentes : le narrateur de Nerval, parcourant les ruines de la ville, suit « l’ornière profonde des roues antiques »12, « comme s’il s’inscrivait dans le prolongement d’un discours antique »13, et parvient à reconstruire le temple d’Isis ; pour le héros de Gautier, qui vient de contempler le moulage d’un sein dans la cendre, tout se passe comme si « une main invisible avait retourné le sablier de l’éternité », comme si « la roue du temps [était] sortie de son ornière »14 ; en suivant un parcours enfoui sous les ruines, il retrouve la ville ensevelie et la femme qui a déclenché sa quête rétrospective.
11Les ruines muettes deviennent ainsi le théâtre d’un voyage intérieur où aux souvenirs réels se mêlent des souvenirs créés, des lectures, des rêves nocturnes ou diurnes, tout un monde peuplé d’une archéologie personnelle. Les écrivains se promènent dans « des villes entières cachées sous les sables et bâties de briques » (Voyage en Orient), ou dans des villas romaines ensevelies sous des palais baroques (Mademoiselle Dafné), retrouvées sous les couches profondes d’un passé immémorial.
12À l’intérieur de cette « géographie mythique », le voyage archéologique, au sens propre du terme, joue un rôle privilégié, qu’il s’effectue dans des villes détruites par le temps ou par des cataclysmes, dans les débris de civilisations depuis longtemps disparues, ou bien encore dans les souterrains de châteaux ou de palais qui gardent les traces d’autres constructions sur lesquelles ils ont été bâtis. Dans ces lieux chargés du poids de leur passé, surtout ceux où le présent n’existe pas, tout élément tend à devenir signe ou symbole15 ; c’est ainsi que l’archéologie extérieure se double d’une autre archéologie, intérieure, celle du monde caché de l’écrivain, puisque, comme le dit Anne Ubersfield à propos de Théophile Gautier, « [l]’archéologie du savoir historique sur les époques disparues est comme la métaphore de cette archéologie du moi, de ce savoir d’avant le savoir qui recherche à travers les strates de l’expérience une vérité enfouie »16.
13À côté des itinéraires tracés sur les cartes géographiques, on découvre d’autres itinéraires, avec des trajets, une syntaxe, un langage différents ; les premiers nous renseignent sur les déplacements physiques du voyageur, les autres nous invitent à suivre d’autres parcours, qui s’y superposent : sur les notations ponctuelles et précises, s’inscrivent parfois des hiéroglyphes mystérieux, qu’il n’est pas toujours facile de décrypter.
14Après la démarche préparatoire, chaque écrivain atteint son paysage à lui, arrive à son but, celui qu’il s’était fixé et un autre – non recherché – qui surgit devant lui tout à coup : l’itinéraire du voyage du départ, tracé dans les cartes géographiques, s’est doublé d’un autre qui n’avait pas été prévu, ni préétabli.
15Il ne faut pas généraliser, cependant : le paradigme du voyage n’est pas le même chez les différents voyageurs.
16Chez Charles Nodier, dont le rôle de maître est généralement reconnu auprès des « petits romantiques », on peut déjà trouver une illustration de l’évolution du récit de voyage traditionnel vers le nouveau genre. La relation de ses excursions n’est la plupart du temps que le compte rendu des « sentiments » éprouvés, de ses « impressions », de ses « sensations » : « Je prie le lecteur de rejeter cette brochure s’il s’est promis de lire un voyage ; elle ne contient que les tablettes d’un homme qui passe rapidement dans un pays nouveau pour lui, et qui écrit ses sentiments plutôt que ses observations. »17 Et peu après : « Je suis sûr de moins parler des choses sur la foi de leur renommée, que sur celle de mes propres sensations. »18 Nodier méprise souvent les « compilateurs d’itinéraires » et les « rédacteurs d’almanachs »19. Prenant ses distances des voyageurs qui l’ont précédé dans le pays où il se rend, de leurs techniques de description, de leurs relations et des « volumes d’apparat » qu’il connaît et cite, il conclut : « Il reste donc un excellent livre à faire sur l’Écosse. »20
17L’écrivain se révèle encore une fois le véritable trait d’union entre une certaine manière non officielle, propre aux siècles précédents, de concevoir le récit de voyage et celle qui sera pratiquée par les romantiques, puisqu’il anticipe ainsi le nouveau genre qui sera mis à la mode par Alexandre Dumas dans les années 183021.
18Tout le long de la relation de son voyage en Angleterre et en Écosse – une sorte de récit à la manière de Sterne, dans lequel l’émotion s’accompagne parfois d’une subtile ironie – les niveaux de la narration se superposent souvent et l’écrivain passe volontiers de la rêverie romanesque à la relation de ce qu’il voit véritablement. Dès les premières lignes de la préface de sa Promenade de Dieppe aux montagnes d’Écosse, il indique la manière dont il relatera son voyage : l’itinéraire géographique devient lentement le récit d’un voyage intérieur, vers les profondeurs du moi.
19Le spectacle qui s’offre à ses yeux devient bientôt une sorte de « fantasmagorie », pareille à « ces bizarres figures d’optique […] qui se précipitent de la lanterne magique de Robertson, en acquérant successivement des couleurs, des apparences, des figures […] » ; mais l’écrivain ajoute aussitôt : « Malheureusement notre démon était plus réel. »22 Les dames qui sont sur le bateau rappellent de véritables « héroïnes de roman »23 ; mais c’est pour ajouter, tout de suite après : « Mais il est bien question d’héroïnes de roman sur un bâtiment qui va périr. »24
20Le récit se peuple souvent de personnages fabuleux, tirés des légendes écossaises25, ou bien réellement rencontrés. Au cours de la visite au palais de Marie Stuart, « la respectable dame » qui le guide lui semble un fantôme :
Son âge, son costume si ancien et si noble, son langage difficile pour nous, et qu’un mélange d’écossais antique rendait de temps en temps plus inintelligible et plus solennel, la gravité religieuse de ses récits, attendris de moments en moments par de touchantes exclamations, tout cela nous donnait l’idée d’une des femmes de la pauvre Marie, condamnée peut-être pour quelque complaisance coupable à venir montrer, pendant de longs siècles, aux étrangers curieux ce lieu qui lui rappelle un remords et une punition.
21Mais l’auteur ajoute aussitôt : « En vérité, je ne crois pas cela. »26
22Les paysages et les monuments que Nodier décrit au cours de son voyage ne sont pas toujours ceux qu’il voit réellement ; les lieux qu’il visite éveillent le souvenir d’autres voyages, d’autres expériences, de « sensations » différentes. Ainsi, en visitant Londres, il remarque : « On sent alors qu’il ne manque à Londres, pour être la plus belle ville du monde, que le ciel de Venise ou l’horizon de Constantinople, les antiquités de Rome ou les monuments de Paris. »27
23À Oxford, tout en admirant les monuments superbes, il se souvient des églises de son pays : « Ô charmantes églises de Lery, de Burlay, de Saint-Hippolyte de Biard, chefs-d’œuvre d’imagination et de goût que j’ai vus, avec tant de douleur, abandonnés aux ravages du temps […] »28 ; ou bien, à la vue de cette « ville toute gothique », il sent que « tout transporte l’imagination au milieu des souvenirs d’un autre âge »29. La ville d’Édimbourg le fait rêver à Athènes30.
24L’écrivain nous offre souvent des descriptions nées de son imagination, plutôt que des spectacles réels. Ainsi, au cours d’une tempête, il assiste, pendant un instant, à un fabuleux défilé de « bardes et de héros » qui disparaît aussitôt, le reconduisant à la réalité :
Toutes les ombres des aïeux traînaient en courant de montagne en montagne leurs vêtements à longs plis, et s’entassaient confusément sur un point du ciel ; troupe immense et pressée, au-dessus de laquelle on distinguait à peine le front sourcilleux de quelques vieillards à la barbe chenue, et le casque aux ailes d’aigle de quelques guerriers. Ce magnifique aréopage des bardes et des héros ne tarda pas à se dissoudre sur nous en pluie froide et pénétrante mêlée de grêle et accompagnée de toutes les rumeurs de l’orage répétées par tous les échos.31
25En rentrant en France, « ce rêve de cinquante jours […] terminé », après avoir rempli « sans dessein de réflexions sans but les pages d’un mémorial inutile », l’écrivain souhaite cependant que les « sensations » qu’il a mises dans son « journal » puissent donner le modèle d’une manière différente d’écrire les récits de voyage :
Cependant les fruits de ce journal brusquement improvisé en passant d’une chaise de poste à un bateau ne seraient pas entièrement perdus, s’il inspirait à un homme mieux organisé et plus capable de tirer de son oisiveté un parti avantageux pour les autres, le goût des voyages d’observation dans des pays très voisins que nous ne connaissons pas.32
26Il est naturel de se demander de quels pays il s’agit : de ceux qui existent dans les cartes géographiques et que nous n’avons pas encore visités, ou bien de ceux qui sont tracés dans les cartes « magiques » de chacun de nous, auxquels nous avons tous accès, mais que nous n’avons pas encore explorés, puisque dans le domaine de l’imagination n’importe quel détail peut devenir un spectacle magnifique, telle « cette petite maison blanche, si simple dans sa structure, si insignifiante par le caractère du site et le peu d’importance des souvenirs locaux […], qui semble le vestibule de ces jardins magiques du poète »33 ?
27Si, d’un côté, Nodier avait dénoncé depuis longtemps l’envahissement de la scène de l’écriture par les clichés fantastiques, le fratras invraisemblable des objets, des décors, des animaux fabuleux qu’ils traînaient avec eux, et souhaité un « fantastique vrai » qui réponde mieux aux rêves et aux hantises de l’écrivain34, il n’a d’autre part jamais renoncé à peindre la réalité avec les couleurs de son monde intérieur, donnant l’exemple d’une technique de description fidèle à son imaginaire. C’est pourquoi les récits de fiction inspirés par les souvenirs de ses impressions de voyage retracent les itinéraires réellement parcourus et les rêveries qu’ils ont suscitées35.
28« Peut-être faut-il craindre, en voyage, de gâter par des lectures faites d’avance l’impression première des lieux célèbres », écrit Nerval dans Isis36. En réalité, comme c’est d’ailleurs toujours le cas chez cet écrivain, il s’agit là d’une de ces réflexions qu’il faut lire à l’envers, puisque, chez les romantiques, le poids des connaissances livresques est énorme et « contamine » souvent « souvenirs de lecture et souvenirs de voyage » : chez eux, « l’activité transitive du savant et l’activité réflexive du rêveur se complètent »37. Comme le dit Claude Pichois, à propos du Voyage en Orient, il faut imaginer l’écrivain
[…] à la Bibliothèque Royale de Paris, avant et après le voyage, bouquinant, butinant, entrelaçant ses souvenirs vécus à ses lectures, fondant des éléments disparates dans un ensemble, que, d’autre part, il a constitué à partir d’articles qui apparaissent – surtout ceux qui précèdent et suivent immédiatement le voyage de1843 – comme hétérogènes.38
29L’exemple fourni par Nodier a été suivi par les « petits romantiques » en général, mais le véritable élève reste sans doute Nerval, qui, tout en suivant les traces du maître, a développé ses suggestions, poursuivant son voyage au-delà des limites que son prédécesseur n’avait pas osé franchir, au-delà des « portes de corne et d’ivoire ».
30On peut trouver une illustration de la théorie du voyage romantique dans une lettre adressée par Nerval à M. Brindeau, directeur du Messager, le18 septembre 183839, qui est en réalité un véritable article-feuilleton.
31Après une assez longue digression ironique sur les feuilletons et les feuilletonistes, l’auteur associe le goût du récit de voyage et celui des représentations théâtrales40 en raison de la différence des points de vue et de la variété des spectateurs qui les décrivent.
32Prenant ses distances du « temps où l’impression du voyage n’existait pas », et des récits de voyage du siècle précédent, témoignant du fait qu’« il est donc possible qu’on voyage sans regarder, ou bien qu’on regarde sans voir », l’écrivain relève que « les paysagistes littéraires sont tous de [son] siècle »41, et il ajoute aussitôt : « Il y a dans tout grand poète un voyageur sublime. »42
33Nerval fait ensuite une distinction entre les différentes façons de voyager et de décrire les lieux visités. Il dit préférer les récits de voyage – de Sterne, Hoffmann, A. Dumas, H. Heine, entre autres – qui « appartiennent tous à une façon particulière et fantasque de voir et de sentir » ; viennent ensuite les récits de ces poètes qui, « sans sortir de Paris, devinent complètement la couleur et l’effet des régions étrangères, et qui ne trouvent plus rien à dire quand la réalité succède à cette sorte de mirage intellectuel et magique. Tels sont, par exemple, Balzac, Janin, de Musset et Eugène Sue »43. L’écrivain avoue « se fier plus volontiers à de pareils voyageurs d’imagination et d’intuition qu’à bien d’autres qui ont traîné leurs semelles sur tous les chemins des deux mondes », et il ajoute :
On pourrait leur appliquer la magnifique pensée d’un sonnet de Schiller sur Christophe Colomb : « Va devant toi, et si ce monde que tu cherches n’a pas été créé encore, il jaillira des ondes exprès pour justifier ton audace ; car il existe un Éternel entre la nature et le génie, qui fait que l’une tient toujours ce que l’autre promet. »44
34Cependant, ce qui nous intéresse davantage, ce sont les mots qui suivent : « N’allez pas croire maintenant que toutes ces généralités que je vous soumets tendent à fournir une préface à mes impressions personnelles. »45
35Après cette évidente dénégation freudienne, l’auteur déclare aussitôt penser, en écrivant ces mots, à Dumas, son « compagnon de voyage qui s’est déjà acquis en Allemagne, comme voyageur, la popularité de Pierre Schlemihl ». Mais il ajoute immédiatement qu’il n’est pas sûr de le rencontrer au cours de son voyage.
36Quant à sa propre façon de voyager, Nerval déclare n’avoir « aucune des habitudes et des qualités du touriste littéraire », ne savoir écrire qu’une « causerie de route » ; ayant visité « autant de pays que Joconde », il n’aime pas à suivre les itinéraires des guides officiels ; ce qu’il aime, c’est
[…] à parcourir les routes tortueuses des villes […], à [se] mêler inconnu à cette foule bigarrée, qui bruit d’un langage étrange […], à prendre part, pour un jour, à sa vie éternelle ; curieuse épreuve […] pour l’homme qui […], après une âpre montée, se retourne et parvient à regarder sa vie d’un point unique et sublime, comme on parcourt des yeux du haut du clocher de Strasbourg, le chemin qu’on vient de faire péniblement durant une longue journée.46
37Cependant, s’il affirme préférer cette façon de voyager, nous savons bien que ce n’est pas la sienne puisque, comme le dit Claude Pichois,
[…] il voit moins qu’il ne lit. Souvent il ne voit que grâce aux livres. Parfois, il nous fait voir ce qu’il n’a pas vu, sans qu’apparaisse la différence entre ce qu’il a lu et ce qu’il a réellement vu […], parce que c’est en poète qu’il voyage, parce que c’est en poète qu’il écrit.47
38Dans cette longue lettre-article, on reconnaît, en filigrane, la façon nouvelle dont les « petits romantiques » ont regardé le monde, les rapports qu’ils ont établis avec le réel, mais on trouve surtout des aveux personnels particulièrement révélateurs et significatifs : ce qui est nié par l’écrivain reparaît à travers les renvois intertextuels à Sterne, Hoffmann, Balzac, Schiller, La Fontaine, Chamisso, Goethe. Ce sont ses « impressions » qu’il nous communique en réalité, à travers cette mémoire personnelle et intertextuelle qui permet « l’émergence du Moi profond »48.
39Si le voyageur « excentrique »49 est représenté par Sterne, que Nerval considère comme un de ses modèles dans ses voyages dilatoires vers un « pays où l’on n’arrive jamais », vers ce château dont il a rêvé depuis toujours, qu’il a essayé vainement d’atteindre au cours de sa vie50, Hoffmann et Chamisso, que l’écrivain connaissait bien pour les avoir lui-même traduits, renvoient à une littérature fantastique bien plus inquiétante. L’effacement de Nerval par rapport à son « compagnon de voyage », auquel il attribue sa propre façon de voyager, qu’il associe à Schlemihl, et qu’il n’est pas sûr de rencontrer, évoque le Feroër, ce double inquiétant qui l’a toujours hanté, cette ombre perdue, cet « autre » lui-même dont il essaiera de se débarrasser au cours de cette « entreprise autobiographique morcelée »51 qu’il a poursuivie tout au long de sa vie.
40Si l’on ajoute à tout cela le personnage de Joconde, qui renvoie à La Fontaine, mais aussi à l’Arioste auquel La Fontaine l’a emprunté, à l’Arioste qui nous raconte comment Roland a perdu la raison à cause de ses amours malheureuses, on en revient encore une fois à Nerval. Joconde, on le sait, voyage à travers le monde entier pour essayer de trouver une personne qui n’existe pas, et qu’il ne trouve donc pas ; il finit par revenir chez lui. C’est aussi ce qui arrivera à Nerval vers la fin de sa vie : comment ne pas penser à ce qu’il écrit dans Les Nuits d’octobre ? « Avec le temps, la passion des grands voyages s’éteint [….], le cercle se retrécit de plus en plus, se rapprochant peu à peu du foyer. Ne pouvant m’éloigner beaucoup cet automne, j’avais formé le projet d’un simple voyage à Meaux. »52
41L’on sait comment se terminent les errances de l’auteur dans le Valois, à la quête d’un passé désormais révolu, parfois inexistant : Nerval renoncera à monter dans le chariot des saltimbanques, à partir avec eux, à poursuivre son « rêve germanique » : nous voilà revenus à Goethe et à son Wilhelm Meister53.
42Si l’on poursuit cette lecture du texte nervalien, « le point unique et sublime » d’où « l’homme regarde sa vie, après une âpre montée », qui n’est pas sans évoquer le parcours dantesque, nous renvoie d’un côté, par un renversement freudien, aux nombreuses « descentes aux enfers », d’où l’écrivain parvient à remonter dans Aurélia ; de l’autre à ces voyages « isiaques » accomplis par l’écrivain dans les ruines de Pompéi ou d’Herculanum54.
43Le récit de voyage pour Nerval représente donc essentiellement une démarche initiatique et esthétique à la fois : accompagné de guides illustres, l’écrivain voyage pour se retrouver lui-même, essayant de reconstituer son identité menacée, et ce n’est qu’à travers sa création qu’il parvient à obtenir sa « vraie revanche, celle du moi profond de Nerval sur le timide Gérard »55.
44Quant à Théophile Gautier, ses innombrables excursions dans les ruines de civilisations à jamais disparues sont bien connues.
45Ses récits de voyage deviennent souvent des récits de fiction, grâce à l’intrusion du monde du rêve dans la réalité qu’il décrit ; sa narration se peuple d’images multiples et variées, qui surgissent de ses souvenirs, de ses lectures, de ses rêves et de ses angoisses.
46Sans revenir sur ses œuvres les plus lues, du Pied de momie au Roman de la momie, d’Arria Marcella au Château du souvenir, du Voyage en Espagne au Voyage en Italie, qui témoignent de la richesse de son monde intérieur par le foisonnement des images fantasmatiques dont elles sont peuplées, il est intéressant de s’arrêter un moment sur quelques textes moins connus, tels un récit de voyage au Mont-Saint-Michel56, ou son dernier récit de fiction, Mademoiselle Dafné.
47Ces deux écrits offrent plusieurs ressemblances, non seulement en ce qui concerne la diégèse, mais surtout pour la technique de la description employée par l’auteur. Gautier, désormais vieux et désabusé, y accomplit un voyage en forme d’anamnèse : c’est une sorte de « descente aux enfers » au cours de laquelle il se replonge dans les années de ses premières créations, essayant d’en retrouver l’atmosphère et d’en exorciser les fantasmes57.
48Le Mont-Saint-Michel, où Gautier se rend en 1865, réunit les caractéristiques des lieux privilégiés par les voyageurs romantiques. En le visitant, l’écrivain reprend tous les lieux communs, tous les clichés des descriptions de voyage du début du siècle, mais il retrouve surtout les techniques qu’il avait souvent employées dans sa jeunesse. Le récit de cette visite se ressent en particulier de la longue fréquentation du monde du théâtre, et le spectacle auquel le voyageur assiste est présenté comme un grand décor où se jouent des scènes variées, intérieures et extérieures. C’est à une « représentation »58 que le lecteur assiste lui aussi, organisée par de mystérieux « machinistes »59. Bien qu’il arrive avant le « rendez-vous », le spectateur n’en admire pas moins un tableau magnifique.
49Les pages de ce récit nous offrent un spectacle apocalyptique, qui se déroule sur le « rideau sombre » du ciel :
Le Mont-Saint-Michel prenait des teintes livides et blafardes et se détachait en clair comme un gigantesque madrépore surgissant du fond de l’Océan. La mer paraissait toute blanche, et ce contraste si brusque, si tranché, produisait un tableau de l’aspect le plus étrange, le plus sinistre et le plus formidable. Ce ciel absolument noir semblait gros de déluge, et l’on eût dit que cette mer laiteuse charriait de la pâte cosmique prise à quelque continent en dissolution.60
50Après une « éclipse » de quelques minutes, la montagne reparaît « majestueusement », reprenant son aspect habituel :
Le Mont-Saint-Michel s’élève brusquement comme un énorme bloc erratique, débris de quelque commotion antédiluvienne, au milieu de cette immensité plate uniformément teintée de gris. Rien n’est plus surprenant que l’aspect de cette roche soudaine qui ne se rattache à aucune chaîne de montagnes et perce comme une pointe d’ossement l’épiderme de la planète.61
51Bientôt, les niveaux de l’observation se brouillent : les hommes sont assimilés à des oiseaux de mer62, les maisons à des bêtes63, les vagues à un escadron64. L’art se mêle à la vie et les jeux de théâtre se multiplient : le spectacle réel et l’autre, intérieur, s’unissent indissolublement, à tel point que l’on ne parvient plus à comprendre où se termine l’un et où commence l’autre.
52Les étapes du parcours que l’auteur doit suivre pour accomplir sa visite sont de véritables épreuves initiatiques : traversée en canot, escalade d’une roche énorme, arrivée à une tour dont le pied plonge dans l’eau, traversée de deux petites places gardées l’une par un « lion rampant », l’autre par « deux énormes pièces de canons de fer » menaçants, enfin « ascension de la montagne »65.
53Puis commence la véritable « descente aux enfers » : « […] entre les deux tours bâille toujours la voûte noire comme une de ces deux gueules monstrueuses que le Moyen Âge, dans ses diableries, figurait comme l’entrée de l’enfer. Un escalier aux degrés rapides s’y engouffre à travers l’ombre […] »66
54Accompagné de guides illustres – Matthew Lewis, Ann Radcliffe, Edgar Allan Poe, Rembrandt, Goya, Le Greco, Piranèse –, l’auteur poursuit son voyage labyrinthique :
Vous montez, vous descendez, vous changez à chaque instant de niveau, vous suivez des couloirs obscurs, tantôt dans la montagne, tantôt dans les airs ; vous arrivez à des cœcums, à des portes murées, derrière lesquelles s’accroupissent les vagues terreurs : le plancher sonne creux sous vos pieds ; vous êtes au-dessus du puits des oubliettes […]67
55Après la « descente », commence la montée, qui n’est pas moins « périlleuse ». Enfin, le voyage accompli, l’écrivain ne désire plus que revenir à l’endroit où son voyage aventureux avait commencé : bien qu’il soit séduit par le spectacle qu’offre « une vue immense et d’une beauté incomparable », il craint de poursuivre un itinéraire dans lequel seuls « quelques fous risquaient autrefois » de s’aventurer : « Monté sur le faîte, nous n’aspirions plus qu’à descendre, comme le dit le vers de Corneille […] »68
56Le renvoi intertextuel à un auteur bien plus rassurant que ceux qui l’avaient accompagné jusque-là dans son voyage marque la fin de cet itinéraire et le retour au quotidien.
57Dans Mademoiselle Dafné, ultime œuvre de fiction de Gautier, publiée l’année suivante69, le héros accomplit le même itinéraire : la Rome que l’écrivain n’a pas décrite dans son Voyage en Italie apparaît dans cette nouvelle, de même que Pompéi, dont on ne trouve aucune trace dans le véritable récit de voyage, est décrite dans Arria Marcella.
58Le récit se déroule entre Paris et Rome. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la capitale française, les niveaux temporels se déplacent vers un passé toujours plus révolu : nous retrouvons les personnages principaux, le prince Lothario et la belle courtisane Dafné, dans un palais baroque, édifié sur les ruines d’une villa des Césars. Le récit se poursuit dans les entrailles du palais, où le prince Lothario est précipité à la suite d’une embuscade perfidement préparée par la jeune fille, et d’où il essaie de sortir : pendant toute une nuit, il erre parmi des ruines qui portent les traces de différentes civilisations disparues, rencontrant des squelettes, sa perfide marâtre, des fantômes et des fantasmes, fruits de ses hallucinations. Ce parcours labyrinthique – encore une véritable « descente aux enfers » – lui fait remonter le temps, jusqu’aux catacombes. Enfin, après avoir passé un fleuve dangereux, qui ressemble à l’Achéron, le prince parvient à revenir à la surface. Au dénouement, nous le retrouvons à Paris, à la sortie d’un bal masqué, avec une jolie dame en domino : par la pirouette finale qu’il accomplit après s’être vengé de la courtisane qui le croyait mort, il exorcise définitivement ses hantises et revient à sa vie habituelle, joyeuse et insouciante.
59Derrière l’apparente frivolité du récit, qui porte toutes les traces des lectures, des « impressions » éprouvées et décrites dans les voyages précédemment accomplis, des peintres, des graveurs et des thèmes aimés, comme des techniques d’écriture employées dans les œuvres précédentes, se cachent les angoisses de l’écrivain, le vertige des abîmes, la hantise de la mort.
60Comme on vient de le voir, après un parcours préparatoire souvent organisé dans les menus détails, chaque écrivain atteint son paysage à lui, celui qu’il était prêt à rencontrer et l’autre, qu’il n’a pas cherché mais qui se présente tout à coup à son regard : au premier parcours, tracé dans les cartes géographiques s’en est ajouté un autre, non préétabli, imaginaire.
61À chaque voyageur son port.
Notes de bas de page
1 Auparavant, « le “voyage” avait été description et dissertation, lié à l’exploration, à la cartographie et à la géographie, à l’histoire, à l’archéologie, à la linguistique, à l’ethnologie naissante » (C. Pichois, Notice à G. de Nerval, Voyage en Orient, dans Œuvres, Paris, Gallimard « Pléiade », t. II, 1984, p. 1378).
2 Ch. Montalbetti, « Entre écriture du monde et récriture de la bibliothèque », dans Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, S. Linon-Chipon, V. Magri-Mourgues et S. Moussa éd., Nice, Publications de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines de Nice, 1998, p. 13.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Il suffit de relire les descriptions des voyages en Allemagne, en Orient ou en Italie de Chateaubriand, Hugo, Dumas, Lamartine, Nerval, Gautier, etc. ; d’autre part, les nombreux emprunts aux œuvres précédentes auxquels avaient recours ces écrivains, souvent sans citer leurs modèles, les échanges réciproques, le fait d’insérer, dans les relations, des extraits d’autres textes, étaient des pratiques habituelles à l’époque (voir J. Bony, Introduction à Lorely de Gérard de Nerval, Paris, Corti « Collection romantique », 1995, p. 27-35). Sur la « fréquence des actes de “pillage” […] dans la littérature de voyage », voir le riche volume, Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, op. cit.
6 À ce propos, il est intéressant de lire ce qu’écrit L. d’Hulst sur Gérard de Nerval : « À première vue, Nerval ne se distingue guère des autres écrivains touristes de son temps, ni par ses itinéraires […], ni même par l’allure extérieure des récits et descriptions qu’il confie à ses lecteurs » (Notice à Lorely, dans Œuvres, op. cit., t. III, 1993, p. 937). En réalité, comme le fait remarquer le critique, on connaît la profondeur et l’originalité des nombreux récits, promenades et tableaux de cet écrivain, centrés sur l’errance qui devient bientôt une quête très personnelle, une « autodécouverte » (ibid., p. 942).
7 Ibid., p. 938.
8 Dans Th. Gautier, L’Œuvre fantastique II. Romans, M. Crouzet éd., Paris, Garnier, 1992, n. 165 de la p. 416.
9 Sans rappeler toutes les œuvres qui se rattachent à ce genre, chez Nodier, Hugo, Nerval, Gautier, Mérimée, etc., on trouvera une analyse des transformations que subissent les descriptions et les événements, en passant des récits de voyage aux récits fantastiques, dans l’essai d’A. Guyot, « De la séduction descriptive : l’exemple de la Vénus d’Ille », dans Miti e linguaggi della seduzione, M.G. Adamo, R. Gasparro et M.T. Puleio éd., Catane, CUECM, 1996, p. 391-409.
10 M. Riffaterre, La Production du texte, Paris, Seuil, 1979, p. 139.
11 G. de Nerval, Introduction au Voyage en Orient, dans Œuvres, op. cit., t. II, p. 189.
12 Isis, dans Œuvres, op. cit., t. III, p. 617.
13 B. Tritsmans, « Monuments et écriture dans Les Filles du feu », dans L’Imaginaire nervalien, M. Streiff Moretti éd., Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1988, p. 158.
14 Arria Marcella, dans Th. Gautier, Œuvres, P. Tortonese éd., Paris, Laffont « Bouquins », 1995, p. 765.
15 Voir F. Orlando, Infanzia, memoria e storia, da Rousseau ai romantici, Padoue, Liviana Editrice, 1966, p. 232.
16 A. Ubersfeld, Théophile Gautier, Paris, Stock, 1992, p. 261.
17 Promenade de Dieppe aux montagnes de l’Écosse, Paris, Barba, 1821, p. 5.
18 Ibid., p. 21.
19 « Que dirais-je de cette belle collection de Bodley dont je parlais tout-à-l’heure, qui eût échappé à l’investigation des compilateurs d’itinéraires et des rédacteurs d’almanachs ? » (ibid., p. 109).
20 Ibid., p. 7.
21 « Les “impressions de voyage” avaient été mises à la mode peu après 1830 par Alexandre Dumas. L’expression dit bien la malléabilité de la chose. Si la forme est relativement nouvelle en France, on peut néanmoins lui trouver des antécédents au xviie et au xviiie siècles. » (C. Pichois, art. cité, p. 1380)
22 Promenade de Dieppe aux montagnes de l’Écosse, op. cit., p. 27.
23 « […] car il y avait des dames, et de fort jolies, vraiment ; des yeux d’une mélancolie si douce, des traits d’une si chaste pureté, ce mélange de l’idéale perfection du ciel et des passions de la terre dont se compose la physionomie des héroïnes de roman… » (ibid., p. 28-29)
24 Ibid., p. 29.
25 « Tout le monde vous racontera qu’un roi d’Écosse, visitant ses états cent vingt-cinq ans après la mort de Wallace […], apprit que la mort avait épargné jusque-là une dame qui l’avait elle-même connu, et qui parlait de lui avec beaucoup de détails. » (ibid., p. 295-296) Et, peu après : « Il est à remarquer que ce récit […] est au moins fondé en vraisemblance sur les exemples prodigieux de longévité que l’Écosse a fournis de tout temps. Les recueils consacrés à ce genre de phénomènes citent deux hommes qui ont pu se connaître, et qui ont embrassé entre eux comme témoins oculaires, l’histoire des événements de trois cents ans. » (ibid., p. 298-299)
26 Ibid., p. 145-146.
27 Ibid., p. 45.
28 Ibid., p. 102-103.
29 Ibid., p. 99-100.
30 « C’est le château d’Édimbourg. Arrivé à cette cime majestueuse et distrait par je ne sais quels sentiments, je n’ai rêvé qu’Athènes et j’ai cherché le Parthénon. » (ibid., p. 126)
31 Ibid., p. 293-294.
32 Ibid., p. 330.
33 Ibid., p. 302-303.
34 Ce sont là des idées plusieurs fois répétées par l’auteur, qui seront réunies dans son fameux essai de 1830, Du fantastique en littérature. Depuis le Cours de littérature qu’il a tenu à Dole en 1808, dont le manuscrit rédigé par un élève et conservé dans la Bibliothèque de la ville a été publié en partie par J. Larat dans la Revue de littérature comparée (vol. I, n° 3, 1921, p. 416-433), on peut suivre, à travers de nombreux comptes rendus, plusieurs articles, les préfaces de ses œuvres fantastiques – surtout Smarra, Trilby, La Fée aux miettes, M. Cazotte –, l’évolution de la pensée de Nodier jusqu’à l’essai Du fantastique en littérature, publié dans La Revue de Paris en novembre 1830, puis dans le Ve volume des Œuvres (Paris, Renduel, 1832-1837, p. 69-112). Voir, à ce propos, le beau livre de R. Bozzetto, L’Obscur Objet d’un savoir (Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1992), et L. Cirrincione D’Amelio, « Per una definizione del “fantastique” in Nodier » (Micromégas, n° 1-2, 1984, p. 31-59, repris dans Il Prisma dell’illusione, Rome, Bulzoni, 1988, p. 15-33).
35 La Fée aux miettes, Inès de las Sierras, M. Cazotte, entre autres, par leurs héros d’un âge invraisemblable, par la présence de fantômes qui ne sont pas des fantômes, par leurs conclusions qui, tout en expliquant les mystères apparents, relancent chez le lecteur le processus du fantastique, nous offrent des exemples remarquables de cet emboîtement du rêve et de la réalité. Voir à ce propos la remarquable lecture d’Inès de las Sierras par A. Ceccarelli-Pellegrino, « Il “roman terrifiant” ottocentesco francese e il lettore di oggi : Inès de las Sierras di Charles Nodier (1837) », dans Il « Roman noir ». Forme e significato, antecedenti e posterità, B. Wojciechowska-Bianco éd., Turin, CIRVI/Slatkine, 1993.
36 Isis, dans Œuvres, op. cit., t. III, p. 617.
37 M. Jeanneret, « Nerval archéologue : des ruines de Pompéi au souterrain du rêve », dans L’Imaginaire nervalien, op. cit., p. 134. Ce qu’écrit le critique à propos de Nerval est également vrai pour la plupart des artistes de cette époque.
38 Art. cité, p. 1379.
39 Lettre signée Gérard, dans G. de Nerval, Œuvres, op. cit., t. I, 1989, p. 452-456.
40 « Le goût des voyages n’est pas aujourd’hui moins répandu que le goût du spectacle, et l’on tient même à recueillir plusieurs avis, car chacun voit à sa manière, et les impressions sont plus diverses encore entre les voyageurs qu’entre les critiques. » (ibid., p. 453-454)
41 Ibid., p. 454, souligné par l’auteur.
42 Ibid., p. 455.
43 Ibid. C’est d’ailleurs une idée très répandue chez les romantiques ; déjà Nodier avait écrit : « C’est qu’il y a des choses qu’il ne faudrait jamais connaître que par leur renommée, et dont l’effet produit une sensation tout à fait opposée à celles que je cherche […], de sorte qu’on perd un trésor merveilleux d’illusions et de sentiments pour acquérir la connaissance positive d’un fait matériel fort indifférent. » (Promenade de Dieppe aux montagnes d’Écosse, op. cit., p. 57-58) Au cours de son voyage en Espagne, Gautier s’exclame : « Encore quelques tours de roue, je vais peut-être perdre une de mes illusions, et voir s’envoler l’Espagne de mes rêves. » (Voyage en Espagne, suivi de España, Paris, Gallimard « Folio », 1991, p. 43) Nerval manifeste à plusieurs reprises la même conviction. Rappelons seulement quelques passages de la fameuse lettre-article adressée à Théophile Gautier le 6 septembre 1843 : « Ô mon ami […], moi j’ai déjà perdu, royaume à royaume et province à province, la plus belle moitié de l’univers, et bientôt je ne vais plus savoir où réfugier mes rêves […]. Oh ! reste à Paris […], sous tes regards, ô magicien ! son fantôme animé [de l’Orient] se relève et se reproduit avec des palais, des jardins presque réels, et des Péris presque idéales ! » (dans Œuvres, op. cit., t. I, p. 764-766) La déception causée par la réalité qui s’offre aux regards du poète lorsqu’il visite l’Orient est en partie compensée par la confiance qu’il accorde au pouvoir évocateur de la création artistique – mis en œuvre par son ami Gautier dans son ballet qui est aussi « un poème » (ibid., p. 763), La Péri – et par le pouvoir du regard du voyant : « […] mon Caire d’autrefois, celui que j’avais vu tant de fois en rêve qu’il me semblait, comme à toi, y avoir séjourné dans je ne sais quel temps […] ; ce Caire-là, je l’ai reconstruit parfois encore au milieu d’un quartier désert ou de quelque mosquée croulante ; il me semblait que j’imprimais les pieds dans la trace de mes pas anciens ; j’allais, je me disais – en détournant ce mur, en passant cette porte, je verrai telle chose ; et la chose était là, ruinée mais réelle. » (ibid., p. 765)
44 Lettre signée Gérard, dans Œuvres, op. cit., t. I, p. 455.
45 Ibid., souligné par l’auteur.
46 Ibid., p. 456.
47 Art. cité, p. 1379.
48 G. Barthélemy, « La “géographie magique” et les ambiguïtés de la sublimation du paysage dans le Voyage en Orient de Nerval », dans Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, op. cit., p. 106.
49 Voir D. Sangsue, Le Récit excentrique, Paris, Corti, 1987.
50 Voir M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe, Paris, Flammarion, 1956.
51 J. Bony, art. cité, p. 11.
52 Dans Œuvres, op. cit., t. III, p. 313.
53 « En regardant les deux jeunes filles, l’une, vive et brune, l’autre, blonde et rieuse, je me mis à penser à Mignon et Philine dans Wilhelm Meister, et voilà un rêve germanique qui me revient […]. Pourquoi ne pas rester dans cette maison errante […] ? Mais il n’est plus temps d’obéir à ces fantaisies de la verte Bohême […] » (Promenades et souvenirs, dans Œuvres, op. cit., t. III, p. 691)
54 Voir M. Jeanneret, art. cité, p. 133-151.
55 C. Pichois, art. cité, p. 1385.
56 Paru dans Quand on voyage, Paris, M. Lévy frères, 1865.
57 C’est d’ailleurs là une opération qu’il avait entreprise depuis quelques années, dans Le Château du souvenir (encore un château où il pénètre désormais facilement puisqu’il connaît « le mot de passe »), puis dans Le Capitaine Fracasse, où, contrairement au narrateur de Nerval, le héros poursuit son « rêve germanique » en montant sur le chariot des comédiens et en accomplissant avec eux un voyage aventureux ; ces deux textes sont à la fois un hommage à l’ami disparu et une manière de liquider une longue dette envers lui-même, comme il l’avoue dans la préface de son roman : « Nous avons enfin payé cette lettre d’échange de jeunesse tirée sur l’avenir, et ce n’est pas sans une certaine mélancolie que nous achevons dans l’âge mûr ce livre dont l’idée est si ancienne que, pour la retrouver, nous avons été obligé de faire dans notre mémoire ce travail auquel on se livre parmi de vieux papiers à la recherche d’un document perdu. Oh ! que de poussière sur de frais souvenirs, que de lettres jaunies si parfumées autrefois, que de billets signés de mains qui n’écriront plus […] » (Th. Gautier, Le Capitaine Fracasse, A. Boschot éd., Paris, Garnier, 1961, n. III de la p. 502) Cette « lettre d’échange de jeunesse » avait été tirée dans les années 1830, à l’époque glorieuse de la « verte Bohême », lorsque Gérard de Nerval écrivait La Main enchantée, un conte qui contient déjà plusieurs éléments que Gautier reprendra dans son roman.
58 Le Mont-Saint-Michel, dans Le Voyage en France, J.-M. Goulemot, P. Lidsky et D. Masseau éd., Paris, Laffont « Bouquins », 1997, p. 437.
59 Ibid., p. 438.
60 Ibid.
61 Ibid., p. 434-435.
62 « Les pêcheurs, sur ce fond de vases grisâtres, faisaient selon le plan l’effet de virgules noires ou de ces oiseaux de mer dont l’attitude imite la forme humaine. Le capuchon engonçant les épaules simulait la masse de plumes rengorgées, et les jambes nues la gracilité des pattes, du moins à distance, car le rapprochement dissipait cette ressemblance fantasque et cependant réelle, oiseaux et pêcheurs faisant le même métier. » (ibid., p. 435-436)
63 « Le toit de chaume sous lequel nous nous étions réfugié se hérissait à la rafale comme le poil d’une bête qu’on frotte à rebours […] » (ibid., p. 436-437)
64 « Quand le flot fut près de nous, il prit l’apparence d’un front de cavalerie composé de chevaux blancs et chargeant au galop. Les lanières d’écume imitaient le fourmillement confus des jambes, le clapotis des vagues le piétinement des sabots. » (ibid., p. 437)
65 Ibid., p. 440-441.
66 Ibid., p. 442.
67 Ibid., p. 443.
68 Ibid., p. 445.
69 Mademoiselle Dafné de Montbriard, eau-forte dans la manière de Piranèse, dont le titre original était Mademoiselle Dafné de Boisfleury, eau-forte à la Piranèse, parut dans le premier numéro de la Revue du xixe siècle (1er avril 1866). En 1984, Marc Eigeldinger en a fourni une édition critique chez Droz, avec de nombreuses variantes.
Auteur
Université de Catane.
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Voyager en France au temps du romantisme
Poétique, esthétique, idéologie
Alain Guyot et Chantal Massol (dir.)
2003
Enquêtes sur les Promenades dans Rome
« Façons de voir »
Xavier Bourdenet et François Vanoosthuyse (dir.)
2011
Écriture, performance et théâtralité dans l'œuvre de Georges Sand
Catherine Nesci et Olivier Bara (dir.)
2014