Premier épisode (v. 52-223)
p. 71-108
Texte intégral
1La parodos, en convoquant les références non seulement de l’Iliade mais aussi de l’Agamemnon et des Sept pour s’en écarter, mettait en évidence le caractère inhabituel et problématique de l’événement qui ouvre le Rhésos. Le chœur délivre une information incomplète, déficiente, qui est davantage la transmission d’une peur. Or, c’est à partir de cette parole sans objet défini qu’Hector va décider de l’action, ce qui pose d’emblée un problème : comment la prise d’une décision est-elle possible à partir du manque d’informations ? C’est cette question, à laquelle les personnages apportent des réponses différentes, qui est au cœur de ce premier épisode.
2Alors que dans le chant X (v. 299 et suiv.), la décision d’envoyer un espion est prise immédiatement par Hector, sans faire l’objet d’un débat, ici, il faut l’intervention d’Énée pour qu’Hector fasse appel à Dolon. Le dramaturge met en place dans le premier épisode une scène troyenne qui n’existe pas dans l’Iliade. Il y a une véritable mise en scène de la décision, qui se déroule en trois temps : d’abord le dialogue entre le chœur et Hector, qui poursuit celui de la parodos mais en inversant les rôles, ensuite le débat avec Énée (v. 87-154) et enfin l’issue de la décision avec l’apparition de Dolon (v. 154). La question que pose le dramaturge est celle des moyens dont disposent les acteurs de l’Histoire pour prendre une décision qui en détermine le cours.
3Il est intéressant aussi de voir comment un drame se construit dans ce premier épisode autour de l’événement énigmatique des feux, qui suscite des attentes pour la suite.
Première partie : Hector, le chœur
v. 52-75 : Hector
v. 52 : ἐς καιρὸν ἥκεις, καίπερ ἀγγέλλων φόβον ·
Tu es là à propos, même si tu annonces la peur.
4Le verbe ἥκεις est un mot-clé pour marquer l’ouverture d’un épisode. Il est généralement utilisé pour un personnage important qui fait son entrée en scène, souvent pour un dieu ou un roi. Le personnage qui l’emploie à la première personne indique qu’il a atteint le but de son voyage et souvent justifie sa venue, en accompagnant ἥκω d’un participe. Au premier vers des Bacchantes, dans la bouche de Dionysos, le verbe signifie la présence pleine du dieu. Il marque un aboutissement, l’accomplissement d’un voyage (dans les Bacchantes, Dionysos décrit ensuite le parcours sinueux qui l’a conduit de la Lydie à Thèbes). Dans le Rhésos, l’emploi de ἥκεις est paradoxal : Hector s’adresse aux gardes du chœur comme s’ils arrivaient alors qu’ils viennent de se parler. En réalité, Hector marque un nouveau début en utilisant un verbe qui donne un caractère solennel à l’entrée en scène du chœur. Les gardes l’ont surpris dans son sommeil. Maintenant, il reprend pleinement possession de son rôle de chef, en définissant la qualité propre du moment présent, le kairos1. Les termes ἐς καιρὸν ἥκεις reprennent les mots du chœur καιρὸς γὰρ ἀκοῦσαι au vers 10 : c’est au chef et non au chœur de déterminer le moment propre à l’action. ἐς καιρόν confirme l’idée de rupture présente dans le verbe ἥκεις : l’arrivée du chœur ouvre une durée nouvelle2.
5Même si le chœur n’a jamais dit que lui-même avait peur mais a fait part de la peur des Grecs (v. 47 et suiv.), Hector, pour réintégrer sa place de roi, a besoin de poser la panique de ses sujets, se mettant dans la position d’autorité de l’Étéocle des Sept, qui repousse la panique pour imposer l’action. C’est ce que fait Hector, qui met en place une tension entre le contenu du message du chœur (la peur) et la réelle signification qu’il revêt (l’action) : φόβος, la peur qui empêche d’agir en paralysant, est antithétique de καιρός. Là où la situation est renversée, par rapport aux Sept, c’est que dans les Sept, la définition du καιρός (v. 1) précède le φόβος lyrique alors que, dans le Rhésos, le φόβος précède la définition du καιρός par Hector.
v. 53-55 : ἅνδρες γὰρ ἐκ γῆς τῆσδε νυκτέρῳ πλάτῃ / λαθόντες ὄμμα τοὐμὸν αἴρεσθαι φυγῇ / μέλλουσι ·
Les hommes, en effet, sont sur le point de partir de cette terre en fuyant par une navigation nocturne, en échappant à ma vue.
6Cet œil auquel rien n’échappe est l’archétype du pouvoir royal, c’est l’œil de Zeus (Zeus est dit « au large regard », εὐρύοπα, dans la Théogonie, 514). L’expression, avec le verbe λανθάνω, est forgée à partir du formulaire épique (Iliade XV, 461 : οὐ λῆθε Διὸς πυκινὸν νόον, 583 : οὐ λάθεν Ἕκτορα δῖον ; XVI, 232 ; XXII, 193). Dans le Rhésos, c’est le chœur qui est l’œil du roi. C’est lui qui a veillé et qui a signalé l’ennemi à Hector. Maintenant le regard d’Hector prend le relais et s’approprie l’événement.
v. 55 : σαίνει μ’ ἔννυχος φρυκτωρία.
Ils me cajolent ces signaux de feux dans la nuit.
7Le premier sens du verbe σαίνω est « remuer la queue en signe de joie » (Odyssée, XVI, 6 ; Agamemnon, 725). Employé métaphoriquement, il désigne ce qui attire et flatte la vue ou l’ouïe : c’est la voix de son fils qui « flatte » l’oreille de Créon au vers 1214 d’Antigone. Le verbe a le plus souvent le sens de « réjouir » (Euripide, Ion, 685), que lui donne le scholiaste, suivi par bon nombre d’interprètes. Or, dans certains cas, il est clairement signifié que ce plaisir est trompeur et que c’est une séduction mauvaise comme dans le fragment 577 (Radt) de Sophocle : ἣ δ’ ἄρ ἐν σκότῳ λήθουσά με ἔσαιν’ Ἐρινύς ἡδοναῖς ἐψευσμένον, « L’Érynie cachée dans l’ombre m’a flatté en me trompant par des plaisirs » (voir aussi Agamemnon, 798, Perses, 97). Ce que signifie le verbe dans tous les cas, c’est la séduction, la tentation : pour Hector, la tentation d’attaquer de nuit malgré les conseils des devins. En même temps, l’ambivalence des emplois du mot, qui du sens de la séduction dérive vers celui de la tromperie, permet de dire la nature équivoque du signe, car ces feux sont un leurre.
8Le feu (πῦρ, v. 41) dont a parlé le chœur devient dans la bouche d’Hector « signal de feu » (φρυκτωρία). Il perd sa qualité même d’événement parce qu’il est immédiatement interprété par Hector comme un signe qui lui est adressé. Le mot φρυκτωρία se retrouve dans l’Agamemnon d’Eschyle aux vers 33 et 490. Les feux de l’Agamemnon sont un signal convenu qui annonce la défaite d’Ilion et le retour d’Agamemnon. Ici, en faisant du feu un « signal de feu », Hector indique la possibilité d’une prise du camp grec. Les termes qui désignent dans l’Agamemnon la prise de Troie sont réemployés pour créer la situation inverse : au vers suivant, Hector en se comparant au lion se sert de la même métaphore qu’Agamemnon au vers 825 d’Agamemnon, pour désigner l’armée grecque lors de la prise de Troie3 et au vers 60, il utilise le terme λαμπτήρ qui dans l’Agamemnon (v. 22) désigne également le flambeau venu de Troie. Alors que dans l’Agamemnon le signal de feu vient après la prise, ici il la devance, Hector en fait un signe annonciateur. C’est l’épopée homérique qu’Hector rejoue mais en envisageant une victoire troyenne.
v. 56-57 : ὦ δαῖμον, ὅστις μ’ εὐτυχοῦντ’ ἐνόσφισας / θοίνης λέοντα…
Ô divinité, qui que tu sois qui m’as privé de festin moi, lion favorisé par le sort…
9L’apostrophe ὦ δαῖμον ouvre une reconstitution des événements, de la veille jusqu’au moment présent. Hector s’adresse à la divinité qui préside aux événements et dont il ignore l’identité, comme le montre l’emploi du terme δαίμων, mais aussi l’ajout de la formule ὅστις κτλ. L’identité du δαίμων est définie par son action et le δαίμων désigne la conjoncture qui donne au moment vécu sa qualité. Il est le résultat présent d’une succession d’événements, qu’Hector décompose en trois temps : d’abord, le jour s’en va et fait place à la nuit. Le combat est suspendu et Hector est comme pris par les rayons du soleil qui disparaissent, contraint à se retirer (v. 59-60). Lui, dans un deuxième temps, est prêt à combattre même une fois la nuit arrivée (v. 63-64.). Les devins constituent un troisième moment dans le raisonnement d’Hector, qui tranche la contradiction dans laquelle il se trouvait pris entre l’injonction de la nuit et l’élan donné par la divinité (v. 65 et suiv.). À travers Hector et les devins, ce sont deux interprétations du divin qui s’opposent : le τὸ θεῖον dans l’expression τὸ θεῖον εἰδότες (v. 65) qui définit les devins, est antithétique du θεοῦ du vers précédent. On peut reconstituer l’analyse que donne Hector des événements : son interprétation du divin, selon laquelle la divinité lui donne l’élan pour poursuivre son avancée de nuit, interfère avec celle des devins, selon laquelle il faut attendre le jour ; le daimôn est le destin – Hector privé de sa victoire – qui résulte de cette confrontation d’interprétations. Or, les feux sont pour Hector le signe que son interprétation du divin était la bonne car ils signifient que la divinité lui livre l’ennemi : on retrouve le terme θεός au vers 103 dans l’expression θεοῦ διδόντος, qui désigne la contrainte divine (voir Hippolyte, 1434). Pour Hector, la situation n’a pas changé et il s’agit toujours d’achever la victoire de la veille.
v. 57-58 : πρὶν τὸν Ἀργείων στρατὸν / σύρδην ἅπαντα τῷδ’ ἀναλῶσαι δορί.
Avant que file par file je ne détruise de cette lance toute l’armée des Argiens.
10L’adverbe σύρδην est rare puisqu’on ne le retrouve qu’au vers 54 des Perses (Βαβυλὼν δ’/ ἡ πολύχρυσος πάμμεικτον ὄχλον / πέμπει σύρδην, « Et Babylone comblée d’or envoie en longues traînes une masse métissée »). Dans les Perses, l’adverbe représente l’étendue de l’armée des Babyloniens en route pour la guerre, étirée en une longue file. Ici, il est généralement interprété dans un sens différent, comme marquant la violence de l’action : le lion Hector fera périr l’armée grecque en la tirant, en la déchirant. Cette interprétation conduit certains exégètes à traduire par « d’un seul coup » (Porter, Kovacs, Jouan). Or, l’adverbe marque au contraire l’extension d’une destruction totale : tout en renforçant le verbe ἀναλίσκω et en marquant la modalité de la destruction, il analyse aussi l’accusatif ἅπαντα. Il s’agit de décimer l’armée grecque sur toute son étendue (comme l’indique l’idée de « traîner », « tirer »), rangée par rangée.
v. 59-62 : εἰ γὰρ φαεννοὶ μὴ ξυνέσχον ἡλίου / λαμπτῆρες, οὔ τἂν ἔσχον εὐτυχοῦν δόρυ, / πρὶν ναῦς πυρῶσαι καὶ διὰ σκηνῶν μολεῖν / κτείνων Ἀχαιοὺς τῇδε πολυφόνῳ χερί.
Car si les brillants flambeaux du soleil ne m’avaient pas retenu, je n’aurais pas contenu ma lance chanceuse avant d’avoir incendié les vaisseaux et d’avoir couru à travers les tentes, tuant les Achéens de cette main aux nombreux meurtres.
11Le mot λαμπτήρ n’est pas habituellement employé pour les feux du soleil, contrairement au mot λαμπάς (Eschyle, Choéphores, 290, Sophocle, Antigone, 879 ; Euripide, Suppliantes, 991). Il apparaît dans l’Odyssée (XVIII, 307, 343, XIX, 63), où il désigne un « porte-torche ». De façon générale4, comme nom d’agent du verbe λάμπειν, le mot λαμπτήρ désigne tout ce qui donne de la lumière : au vers 537 des Choéphores, c’est une torche dans la maison, au vers 286 d’Ajax un feu dans le camp militaire, chez Empédocle, une lanterne (31 DK B 84, 3). Au vers 22 de l’Agamemnon, le veilleur salue le « flambeau qui en pleine nuit fai(t) voir la lumière du jour »5. Cette fois, il ne s’agit pas de feux allumés dans la nuit par les hommes, mais des rayons du soleil, qui se sont éteints la veille pour laisser place à la nuit. Le mot noble λαμπτήρ fait d’un élément naturel un signe artificiel et lie les événements du jour à ceux de la nuit en un tout cohérent : pour Hector, les feux du camp ennemi sont le relais de ceux du soleil, dont dépendait sa victoire, et constituent une nouvelle chance pour lui.
12La compréhension du verbe συνέχω pose problème. Habituellement, le verbe est surtout employé transitivement ; or, la phrase n’offre pas de complément. Le LSJ ouvre une rubrique (I, 6) où il donne au verbe le sens de « constrain, hinder, hold back » mais les exemples proposés comme parallèles sont tardifs ; le verbe συνέχω peut effectivement avoir le sens de « contraindre » mais employé au passif par les auteurs de l’époque classique (Prométhée, 656 : τοιοῖσδε… ὀνείρασιν ξυνειχόμην ; Héraclides, 634 ; Hérodote I, 214, Aristophane, Assemblée des femmes, 1096). Certains éditeurs ont simplifié la compréhension en corrigeant : Kirchoff explique l’illisibilité du texte par une faute du scribe dont l’œil aurait glissé au vers suivant, où l’on retrouve un ἔσχον. C’est une hypothèse crédible. Il est difficile cependant de restituer le verbe du vers 59. Kirchhoff propose μοι συνῆλθον. Cette solution suppose une deuxième correction qui est celle du μή en μοι car, si μοι se trouve dans le Christus Patiens, il n’est pas dans les manuscrits. La correction de Wecklein, ’ξέλειπον, est difficilement justifiable sur le plan paléographique. Paley enfin ne corrige pas mais suppose l’ellipse d’un ἑαυτούς (« closed in »), ce que fait aussi Palmer (1890, p. 227) qui donne le même sens (« withdrawn ») au verbe ἔχω, au vers suivant, et à son composé. Il ne s’agit pas d’un sens attesté du verbe avec le réfléchi et il est difficile de supposer à la fois l’ellipse du réfléchi et un sens particulier.
13Si l’on prend Hector comme complément implicite du verbe – comme on est tenté de le construire naturellement – et que l’on donne au verbe ἔχω le sens de « retenir » qu’il a au vers suivant (οὔ τἄν ἔσχον εὐτυχοῦν δόρυ, « je n’aurais pas retenu ma lance chanceuse »), on comprend que les rayons du soleil ont retenu Hector avec eux. Hector a dépendu du jour, il a été comme prisonnier des rayons du soleil qui s’en allaient, contraint de se retirer avec eux. Hector apparaît comme un guerrier solaire. Le feu céleste et le feu terrestre sont complémentaires : ce sont les flambeaux du soleil qui permettent d’allumer l’incendie des vaisseaux 6.
v. 65-67 : ἀλλ’ οἱ σοφοί με καὶ τὸ θεῖον εἰδότες / μάντεις ἔπεισαν ἡμέρας μεῖναι φάος / κἄπειτ’ Ἀχαιῶν μηδέν’ ἐν χέρσῳ λιπεῖν.
Mais ceux qui sont sages et qui connaissent le divin, les devins, m’ont persuadé d’attendre la lumière du jour et de ne laisser ensuite aucun Achéen sur le continent.
14Le texte με ἔπεισαν que donne la majorité des éditeurs (contre le texte μοι… ἔφησαν) n’est pas celui que l’on attendrait au regard de l’Iliade, puisque d’une part, dans le chant VIII, ce ne sont pas les devins qui persuadent Hector de s’arrêter mais la nuit (v. 502 : ἀλλ’ ἤτοι νῦν μὲν πειθώμεθα νυκτὶ μελαίνῃ) – l’utilisation du même verbe πείθω signale la variation –, d’autre part, dans le chant XII, Hector rejette l’avis de Polydamas, qui le dissuade d’attaquer en invoquant le présage de l’aigle : Hector méprise ce présage auquel il oppose la volonté de Zeus (v. 235 et suiv.). La déraison d’Hector, comme le souligne Rousseau (1995, p. 63), réside dans le fait de dissocier les desseins de Zeus des signes qui servent normalement à les faire connaître aux mortels. L’aigle qui vient de lâcher un serpent parmi les Troyens a toutes les raisons d’être considéré comme un signe de Zeus7.
15Le poète du Rhésos travaille à dépayser le public, familier de l’Iliade, à le décentrer, en le confrontant, comme les héros épiques, à une situation nouvelle.
v. 68 : οἱ δ’ οὐ μένουσι τῶν ἐμῶν θυοσκόων / βουλάς ·
Mais ceux-là n’attendent pas les avis de mes devins en charge des sacrifices.
16Le terme θυοσκόος désigne le devin chargé de scruter les entrailles ou de décider de la qualité de la flamme ou des odeurs du sacrifice (voir Bacchantes, 224 : μαινάδας θυοσκόους et le verbe θυοσκέω au vers 87 d’Agamemnon). Au chant XXIV de l’Iliade (v. 221), Priam distingue les μάντεις θυοσκόοι, les « devins qui scrutent les sacrifices » des ἱερῆες, les prêtres sacrificateurs.
17En parlant non pas des oracles délivrés par ses devins mais de leurs avis, Hector montre qu’ils ne sont pas des porte-parole des dieux mais des interprètes et qu’il n’y a pas de transparence de la volonté divine mais qu’elle est toujours médiatisée par la compréhension humaine. Or les événements, pour Hector, contredisent l’avis des devins8. Il distingue deux sphères qui entrent en contradiction : celle de la délibération (βουλάς) et celle de l’action ; l’action défie la délibération, la prend de court. C’est un kairos qui se présente aux yeux d’Hector et le saisir, c’est être en accord avec la divinité.
18Le dramaturge, en faisant intervenir une prédiction des devins qui n’apparaît pas dans l’Iliade, pose une énigme au spectateur, caractérisée à la fois par l’excès et par le défaut : par l’excès parce qu’elle est un supplément au texte iliadique, par le défaut, parce qu’elle est elliptique. Elle charge la nuit de sens, puisque le passage par la nuit doit amener la victoire à l’aube et en même temps elle ne révèle pas le sens que doit prendre la nuit (les devins ne disent rien de Rhésos). La question est celle de l’attente, comme l’indique la reprise ironique par Hector du verbe μένειν : le chef militaire doit choisir entre l’action et le délai.
v. 70-75 : ἀλλ’ ὡς τάχιστα χρὴ παραγγέλλειν στρατῷ / τεύχη πρόχειρα λαμβάνειν λῆξαί θ’ ὕπνου, / ὡς ἄν τις αὐτῶν καὶ νεὼς θρῴσκων ἔπι / νῶτον χαραχθεὶς κλίμακας ῥάνῃ φόνῳ, / οἱ δ’ ἐν βρόχοισι δέσμιοι λελημμένοι / Φρυγῶν ἀρούρας ἐκμάθωσι γαπονεῖν.
Allons, il faut au plus vite avertir l’armée de prendre les armes à la main et de cesser de dormir, afin que ceux d’entre eux qui seraient même en train de courir vers leur vaisseau, le dos écorché, mouillent l’échelle de leur sang, et afin que ceux qui sont faits prisonniers enchaînés dans des liens apprennent à labourer les champs de Phrygie.
19Ce qu’Hector réserve aux Grecs est le contraire de la « belle mort »9 épique : il envisage de tuer l’ennemi de dos, de sorte que le sang n’engraisse pas le sol mais mouille l’échelle du vaisseau. Hector refuse aux Grecs la fécondité de la mort héroïque, engrais pour la terre, comme elle est représentée dans les Sept, où les guerriers ennemis font serment ou d’abattre et saccager la ville de Cadmos ou d’engraisser le sol thébain de leur sang (v. 46-48). Le poète du Rhésos détourne ainsi la métaphore homérique, puisque, si les guerriers contribuent à la fertilité de Troie, terre matricielle féconde (elle est la ville d’Aphrodite), ce n’est pas par leur mort, mais par leur participation forcée aux travaux des champs : Hector veut faire des marins des laboureurs. Condamner les Grecs à ce sort, c’est les priver non seulement de la gloire que procure la mort au combat mais aussi de son alternative, la vie laborieuse du paysan, chantée par Hésiode dans les Travaux, car ils ne sont pas même des paysans mais des esclaves.
v. 76-86 : dialogue entre Hector et le chœur
v. 78-79 : Εκ. τίς γὰρ πύρ’ αἴθειν πρόφασις Ἀργείων στρατόν ;
Χο. οὐκ οἶδ’ · ὕποπτον δ’ ἐστὶ κάρτ’ ἐμῇ φρενί.
Hector : Quel motif aurait donc l’armée argienne d’allumer des feux ?
Le chœur : Je l’ignore. Ce qui est sûr c’est que j’ai le soupçon à l’esprit.
20Les personnages sont comme placés devant un cas d’école à résoudre : une énigme leur est posée qu’il leur faut déchiffrer. Hector, suivant la méthode de l’historien, cherche à reconstruire la genèse de l’événement et à en déterminer le motif (πρόφασις, « le motif mis en avant », est un terme technique, que l’on retrouve chez Thucydide I, 23, III, 9, 13 ; dans le Philoctète, 1034 ; chez Euripide, le mot revient fréquemment, par exemple dans Iphigénie à Aulis, 362, 884, 1180). Le chœur au contraire adopte la démarche intellectuelle (φρήν désigne l’organe réceptif du corps, solide et stable, lieu de la réflexion) du suspens interprétatif (οὐκ ἴσμεν τορῶς, v. 76 ; οὐκ οἶδα, v. 78) et du soupçon (ὕποπτος, qui peut avoir le sens passif de « suspect », au vers 1637 d’Agamemnon ou le sens actif de « soupçonneux », vient du verbe ὑφοράω, « voir en dessous »)10. Pour lui, il n’y a pas de discours possible sur cette nouvelle, le signe des feux se réduit à lui-même.
v. 83 : Χο. σὺ ταῦτ’ ἔπραξας · καὶ τὰ λοιπὰ νῦν σκόπει.
Le chœur : Voilà ce que tu as fait ; maintenant, examine aussi le reste.
21Le chœur veut ramener Hector à la situation présente, à ce qu’il lui reste à faire, indépendamment des hauts faits de la veille. C’est pourquoi il établit une distinction entre ταῦτα et τὰ λοιπά, qui ne semble pas exister pour Hector. L’enjeu du débat est celui de la définition du kairos : alors qu’Hector construit le moment présent en référence au passé, le chœur montre que l’on est dans une nouvelle situation, qui diffère de celle de la veille et qui, pour cette raison, nécessite d’être examinée : le verbe σκοπεῖν s’oppose au verbe πράττειν, au temps de l’action doit succéder celui de l’analyse. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’Hector a agi qu’il sait comment il doit agir maintenant ; alors qu’Hector veut appliquer une règle générale au cas particulier, le chœur lui demande de partir du cas particulier pour déterminer une action.
v. 84 : Εκ. ἁπλοῦς ἐπ’ ἐχθροῖς μῦθος ὁπλίζειν χέρα.
Hector : Le langage face aux ennemis est simple : s’armer le bras.
22Le terme μῦθος, dans l’épopée, désigne toujours la parole envisagée dans l’effet qu’elle produit sur l’interlocuteur, qu’il s’agisse d’un ordre, d’une recommandation, d’une promesse, d’un reproche ou d’un blâme. Il faut lier étroitement μῦθος à ἐπ’ ἐχθροῖς, comme le langage que les Troyens ont à tenir face à l’ennemi11. Or, ce que dit Hector, c’est que le langage qui convient, c’est le combat (ὁπλίζειν χέρα est apposé à μῦθος) ; c’est un langage-action qu’il prône : on peut le comparer en cela au guerrier thébain Mégareus qui tient sa jactance dans ses mains (κόμπον ἐν χεροῖν ἔχων, Sept, 473). Hector, qui se revendiquera plus loin comme « un homme qui n’est pas double » (v. 395 : οὐ διπλοῦς), définit ici une pragmatique de la parole : la parole simple qui est la sienne se traduit immédiatement en action.
23Hector agit selon un ensemble de codes généraux et prédéfinis, qui à une situation font correspondre un sens, niant toute singularité du moment présent. L'Hector iliadique agit lui aussi selon une ligne d’action générale, qui l'empêche d’écouter tout autre avis (voir chant XII, 244).
Deuxième partie : Énée, Hector, le chœur
v. 85 : Χο. καὶ μὴν ὅδ’ Αἰνέας καὶ μάλα σπουδῇ ποδὸς / στείχει, νέον τι πρᾶγμ’ ἔχων φίλοις φράσαι.
Le chœur : Et voici justement Énée qui s’avance en grande hâte, ayant quelque nouvelle à dire à ses amis.
24Le καὶ μήν, dans le dialogue dramatique, est utilisé pour attirer l’attention sur un événement nouveau, qui peut être, comme c’est le cas ici, l’entrée en scène d’un personnage (cf. Sept, 372 ; Hécube, 216-217 : καὶ μὴν Ὀδυσσεὺς ἔρχεται σπουδῇ ποδός, / Ἑκάβη, νέον τι πρὸς σὲ σημανῶν ἔπος, « Et voici Ulysse qui arrive en pressant le pas, Hécube, pour t’annoncer quelque nouvelle »). Ce qui est typique aussi dans cette entrée d’Énée, c’est sa démarche pressée (la formule σπουδῇ ποδός se retrouve dans Hécube et σπουδῇ dans les Sept, 371), qui est, en général, une caractéristique des messagers. C’est l’analyse que fait le chœur de la démarche d’Énée qui entraîne la déduction sur le statut de messager. Or, Énée n’en est pas un : loin d’apporter des informations, il vient en chercher12. Il y a un jeu sur les codes de la tragédie : l’assemblée nocturne dans le camp ennemi, la préparation à une bataille imminente, la panique du chœur et la détermination à agir du roi sont autant d’éléments qui rappellent les Sept ; mais depuis le début, la situation est faussée par le défaut d’une information sûre. Le chœur est en attente du messager qui résoudrait l’aporie sur laquelle débouche sa solitaire confrontation avec Hector. Il interprète le sens de la venue d’Énée en fonction de la norme, qui veut que dans une telle situation, une information nouvelle vienne éclairer le débat.
25Les termes φίλοις φράσαι sont antithétiques de la formule d’Hector ἐπ’ ἐχθροῖς μῦθος : le chœur montre par là à Hector que la situation n’est pas encore celle de parler à l’ennemi mais de débattre entre amis.
v. 87-104 : dialogue entre Énée et Hector
v. 91-92 : ᾼ. τί δ’ ἔστι ; μῶν τις πολεμίων ἀγγέλλεται / δόλος κρυφαῖος ἑστάναι κατ’ εὐφρόνην ;
Énée : Qu’y a-t-il ? Est-ce que l’on annonce qu’une ruse secrète des ennemis se trame dans la nuit ?
26Dans les paroles d’Énée se dessine une antithèse entre δόλος κρυφαῖος et εὐφρόνη, mot poétique qui désigne la nuit mais dont le premier sens est « la bienveillante ». La nuit, normalement, est un moment de répit, de trêve, où le combat cesse : dans l’Iliade, Hector obéit à la nuit et cesse le combat, sans envisager un instant de le poursuivre (chant VIII, 502). Ici, il ignore l’alternance naturelle entre le jour et la nuit : il veut considérer la nuit comme le jour. Au vers 123 (ἀλλὰ στρατὸν μὲν ἥσυχον παρ’ ἀσπίδας / εὕδειν ἐῶμεν ἐκ κόπων ἀρειφάτων « Mais laissons dormir l’armée tranquillement près des boucliers après les peines d’Arès mortifère »), Énée opposera à nouveau le calme et le repos propres à la nuit aux souffrances diurnes de la guerre : la nuit est un moment coupé de la guerre. Le Rhésos pour représenter la crise, choisit un moment théoriquement vide. C’est lorsque les esprits s'y attendent le moins, alors qu’ils sont ensommeillés et non vigilants, que va se produire un événement décisif. Ce qui se passe dans le Rhésos, et aussi dans le chant X, est une préfiguration de la destinée de Troie. En effet, c'est leur manque de vigilance qui perdra les Troyens lorsqu'ils se fieront à l’apparence du cheval de bois introduit de nuit dans leur ville, sans voir la ruse qu'il dissimule.
v. 95-98 : Εκ. αἴθουσι πᾶσαν νύκτα λαμπάδας πυρός · / καί μοι δοκοῦσιν οὐ μένειν ἐς αὔριον, / ἀλλ’ ἐκκέαντες πύρσ’ ἐπ’ εὐσέλμων νεῶν / φυγῇ πρὸς οἴκους τῆσδ’ ἀφορμήσειν χθονός.
Hector : Ils allument des flambeaux de feu durant toute la nuit ; et il me semble qu’ils n’attendront pas jusqu’à demain mais que, puisqu’ils ont allumé des torches, ils s’enfuiront de cette terre sur leurs navires aux bons ponts vers leur foyer.
27La scène qu’invente Hector est construite à partir du matériau homérique, comme le signalent les marques homérisantes de son langage : l’épithète homérique εὔσελμος13 (Iliade II, 170, 358, 613 ; VII, 84, 419… ; Odyssée II, 390, 414…), le verbe ἐπιθρῴσκω, qui apparaît au vers 515 du chant VIII, quand Hector se prépare comme ici à attaquer les Grecs au cas où ils fuiraient à la faveur de la nuit. L’hypothèse d’une fuite des Grecs est concrétisée dans le chant II de l’Iliade : lorsqu’Agamemnon le leur propose, les Grecs se préparent à rembarquer et à fuir Troie pour rentrer chez eux (v. 149 et suiv.). Le poète entrecroise les références au chant II, avec la figure du roi endormi, l’espoir de victoire décisive et la fuite des Achéens. C’est le destin de la guerre qui se joue dans le chant II et ici. La possibilité de la fuite cristallise l’excès de la durée qui a précédé : elle inscrit le moment dans le temps long de l’épopée, de la guerre d’usure. La référence au chant II permet au poète de figurer le basculement décisif que signale aussi le chant X. Car, dans le chant X, Nestor pose de la même manière l’alternative entre la fuite ou le combat (v. 147).
v. 99 : ᾼ. σὺ δ’ ὡς τί δράσων πρὸς τάδ’ ὁπλίζῃ χέρας ;
Énée : Mais toi, dans quelle intention par rapport à cela armes-tu ton bras ?
28Les interprètes sont partagés sur la question de savoir si la question d’Énée est aussi une indication scénique, en d’autres termes si Hector est effectivement en train de s’armer, comme le pense Burnett (p. 19), ou si le vers 99 est « seulement figuratif », selon l’expression de Taplin (1977, p. 160) qui note que, si Hector commence à s’armer, par la suite, Énée changeant ses dispositions, il ne continuera pas et restera à moitié équipé.
29Hector n’a cessé d’insister sur la nécessité de s’armer au plus vite (v. 70 ; v. 90) et il est tout à fait plausible qu’il ait joint le geste à la parole, faisant du vers 84 une parole performative. Pour répondre à l’objection de Taplin et également à l’interprétation comique de Burnett, il faut s’entendre sur ce que signifie le fait de s’armer : Hector a dit au chœur (v. 22) que lui et ses compagnons dormaient « tout armés », tout près du camp des Grecs. Ils ont sans doute gardé leur armure et il s’agit simplement de prendre les armes en main. Par conséquent, il n’y a rien de grotesque à les abandonner provisoirement et il n’est pas besoin d’imaginer un Hector se déshabillant sur scène.
v. 105-130 : Énée
v. 105-108 : εἴθ’ ἦσθ’ ἀνὴρ εὔβουλος, ὡς δρᾶσαι χερί. / ἀλλ’ οὐ γὰρ αὑτὸς πάντ’ ἐπίστασθαι βροτῶν / πέφυκεν · ἄλλῳ δ’ ἄλλο πρόσκειται γέρας, / σὲ μὲν μάχεσθαι, τοὺς δὲ βουλεύειν καλῶς ·
Ah, si tu étais bon pour délibérer comme tu l’es pour te battre. Mais il n’en est rien, car le même mortel n’est pas par nature capable de tout savoir. Un privilège différent est imparti à chacun : à toi de bien te battre, à d’autres de délibérer correctement.
30Le vers 105 est elliptique : après δρᾶσαι χερί il faut supposer l’ellipse d’un ἱκανός ou d’un ἀγαθός tiré du εὔβουλος qui précède (voir Oreste, 717 et suiv., où l’on a une construction similaire)14. La forme du souhait est comparable à celle du vers 731 des Héraclides : εἴθ’ ἦσθα δυνατὸς δρᾶν ὅσον πρόθυμος εἶ.
31Si Énée, au chant XIII de l’Iliade, est appelé « bon conseiller des Troyens » (v. 463 : Τρώων βουληφόρε), ce n’est pas lui qui, dans l’Iliade, joue prioritairement ce rôle auprès d’Hector, mais Polydamas. Polydamas conseille Hector à plusieurs reprises mais intervient surtout dans le chant XII, au moment de l’attaque du mur des Achéens, d’abord pour proposer un plan d’attaque (v. 60-80) puis pour le suspendre, suite au présage de l’aigle (v. 195-229). Hector se range à son avis la première fois puis le désapprouve la seconde. Enfin, après l’échec de l’assaut, Polydamas, dans le chant XIII (v. 723-757), conseille à Hector de reculer et de convoquer l’assemblée afin de délibérer. C’est précisément ce moment de l’attaque qui est anticipé par Hector s’apprêtant de nuit à mener l’offensive contre le camp achéen. Les feux sont pour lui un signal qui le rappelle à son dessein ultime de brûler les vaisseaux. L’exorde d’Énée reprend le début du discours de Polydamas dans le chant XIII (v. 726 et suiv.). Polydamas, le bon conseiller, est la contrepartie d’Hector, comme le disent les vers 251-253 du chant XVIII. Dans le Rhésos comme dans l’Iliade il ne s’agit pas, comme le souligne Rousseau (1995, p. 53), d’une « opposition de caractères » mais du « conflit politique entre deux stratégies ». La situation présente fait problème et nécessite la prise d’une décision : à la stratégie offensive d’Hector, Énée oppose la défensive. L’auteur du Rhésos représente et systématise deux attitudes héroïques épiques : celle de l’homme fort et celle de l’homme délibérant.
32Les vers 106 et suiv. font écho au vers 729 du chant XIII à la différence que, dans le Rhésos, Énée ne mentionne pas le rôle de la divinité dans l’attribution des dons et utilise le verbe ἐπίστασθαι. Énée définit la condition humaine comme limitée et divisée, par une répartition des qualités éthiques. Le verbe ἐπίστασθαι (« être habile dans ») désigne une capacité pratique. Dans une pièce où le problème de la connaissance est constamment posé, on entend également dans le verbe son sens de « savoir, connaître ». Ce que montre la pièce, c’est l’incapacité générale des personnages, aussi bien ceux qui savent délibérer que ceux qui ne savent pas, à maîtriser le réel : le moment présent échappe à toute prise et, quelle que soit la position qu’adoptent les personnages – rationnelle ou irrationnelle – ils échouent.
v. 119-121 : νικῶν δ’ ἔφεδρον παῖδ’ ἔχεις τὸν Πηλέως, / ὅς σ’ οὐκ ἐάσει ναυσὶν ἐμβαλεῖν φλόγα, / οὐδ’ ὧδ’ Ἀχαιούς, ὡς δοκεῖς, ἀναρπάσαι.
Vainqueur, tu as pour adversaire de réserve le fils de Pélée, qui ne te laissera pas jeter la flamme sur les vaisseaux ni détruire ainsi les Achéens, comme tu l’envisages.
33Énée assigne à Achille le rôle d’ἔφεδρος. Le terme, emprunté au vocabulaire des jeux, désigne « le champion qui se tient prêt à remplacer un champion vaincu » (Pindare, Néméenne IV, 156). On le retrouve au vers 866 des Choéphores où Oreste, l’athlète de réserve, doit lutter contre le vainqueur de la lutte précédente, le couple formé par Clytemnestre et Égisthe, ainsi qu’au vers 610 d’Ajax, où le chœur se lamente sur les maux qui l’accablent et sur la folie d’Ajax qui constitue une épreuve supplémentaire. De même Énée représente Achille comme l'ultime – et insurmontable – obstacle sur la route d'Hector vers la victoire. Là encore, il rejoint Polydamas, au chant XIII de l’Iliade (v. 745-747).
34Selon Paley, le vers 121 fait allusion au vers 74, où Hector parle de captifs auxquels il fera labourer la terre. Il traduit le verbe ἀναρπάζω par « enlever, capturer ». Or, le vers 74 est adressé au chœur et non à Énée qui n'est pas encore présent. Énée fait plutôt référence à ce qu’Hector disait aux vers 100 et suiv. (où il parle simplement de tomber lourdement sur les ennemis et de les arrêter par la lance), et, par conséquent je donnerais plutôt à ἀναρπάζω son sens de « ravager, détruire ».
v. 122 : αἴθων γὰρ ἁνὴρ καὶ πεπύργωται χερί.
Car c’est un homme de feu et que son bras défend comme une tour.
35Nous retrouvons la thématique du feu mais à laquelle Énée donne un nouveau sens en rappelant que le feu qui brille dans le camp grec, c’est aussi Achille, un feu menaçant qui signifie l’incendie de Troie. Le participe αἴθων convient parfaitement à Achille qui, lorsqu'il revient sur le champ de bataille et apparaît aux Troyens au chant XVIII (v. 205 et suiv., 214, 225) de l’Iliade, est véritablement (au propre comme au figuré) « enflammé »15. Il est employé dans les Sept, au vers 448, pour qualifier Polyphonte, le guerrier thébain qui affrontera Capanée et qui est décrit comme un « homme de feu » : αἴθων τέτακται λῆμα ; de même, Ajax, chez Sophocle, est désigné comme un αἴθων ἀνήρ au vers 222.
36Dans les emplois métaphoriques du verbe πυργόω au moyen et accompagné du datif, on entend toujours le sens premier de « ce dont on se pare comme d’une tour » (les Perses, 192 ; Héraclès, 238 ; Oreste, 1568 : Μενέλαον εἶπον, ὃς πεπύργωσαι θράσει). Ici, c’est le bras16 d’Achille qui constitue un rempart, pour lui et pour les Achéens. Énée fait d’Achille le dernier rempart des Achéens, celui qui les protège plus que tout rempart réel.
v. 131-136 : strophe du chœur
37L’antistrophe vient longtemps après la strophe à laquelle elle correspond, aux vers 195-20017. Strophe et antistrophe sont liées : dans la strophe, le chœur approuve le conseil d’Énée d’envoyer un espion et, dans l’antistrophe, il formule des vœux pour la réussite de l’entreprise. Le chant distingue des moments à l’intérieur de l’épisode18: ici, il souligne deux étapes importantes de l’action, la décision d’envoyer un espion et l’engagement de Dolon. Les dochmiaques, mêlés aux iambes, manifestent la participation affective du chœur à l’action, son excitation et sa joie devant la décision qui dénoue la crise de ce début de pièce.
τάδε δοκεῖ, τάδε μεταθέμενος νόει. / σφαλερὰ δ’ οὐ φιλῶ στρατηγῶν κράτη. / τί γὰρ ἄμεινον ἢ / ταχυβάταν νεῶν κατόπταν μολεῖν / πέλας ὃ τι ποτ’ ἄρα δαΐοις / πυρὰ κατ’ ἀντίπρῳρα ναυστάθμων δαίεται ;
C’est mon avis. Change d’idée et mets-toi cela dans l’esprit. Je n’aime pas les commandements des chefs quand ils sont chancelants. Quoi de mieux en effet qu’un espion rapide marcheur qui s’approche des navires pour savoir pourquoi des feux sont allumés par l’ennemi au-devant de la station des vaisseaux ?
38Le chœur fait écho aux paroles d’Énée : l’adjectif σφαλερά rappelle ἀσφαλές au vers 94 ; au vers 147 (νῦν γὰρ ἀσφαλῶς φρονεῖς), Énée emploiera l’adverbe ἀσφαλῶς. La reprise du même vocabulaire insiste sur l’enjeu du débat, qui est de parvenir à un jugement solide. Ces mots de la famille du verbe σφάλλω appartiennent au vocabulaire gnomique et se retrouvent dans des maximes proches de celle que nous avons ici : dans la bouche du héraut, au vers 508 des Suppliantes d’Euripide (σφαλερὸν ἡγεμὼν θρασὺς / νεώς τε ναύτης ·, « C’est chose vacillante qu’un chef et un pilote de vaisseau téméraires »), où il s’agit aussi de prendre la bonne décision lors d’une crise, en faisant preuve de prudence, au vers 599 des Phéniciennes, où Polynice répond à son frère par la gnomè : ἀσφαλὴς γάρ ἐστ’ ἀμείνων ἢ θρασὺς στρατηλάτης19. Le deuxième épisode d’Œdipe roi offre une situation comparable, puisqu’il s’agit aussi d’une scène typique entre le roi, Œdipe, et un conseiller, Créon. Créon le premier emploie l’adverbe ἀσφαλῶς au vers 613 : ἀλλ’ ἐν χρόνῳ γνώσῃ τάδ’ ἀσφαλῶς, « Avec le temps, tu sauras cela et tu ne te tromperas plus ». Comme ici, le chœur approuve les paroles du conseiller (v. 616-617 : καλῶς ἔλεξεν εὐλαβουμένῳ πεσεῖν, / ἄναξ · φρονεῖν γὰρ οἱ ταχεῖς οὐκ ἀσφαλεῖς., « Si on se garde de tomber, c’est bien parlé, Prince ; penser vite n’évite pas la chute »). L’accent est mis sur l’action du temps qui permet l’acquisition d’un jugement sûr.
39Le terme δαΐοι est une métaphore pour désigner les ennemis (comme dans l’Iliade, II, 544, IV, 373), « les destructeurs », mais à l’origine l’adjectif δαΐος qualifie le feu ravageur (Iliade II, 415, VI, 331) et il y a un jeu de proximité entre le substantif δαΐοι et le verbe δαίεται, de la même famille : les feux, ce sont en premier lieu, les ennemis eux-mêmes, comme Énée l’a souligné avec Achille.
v. 137-153 : dialogue entre Hector et Énée
v. 137-146 : Hector
v. 137 : Εκ. νικᾶτ’, ἐπειδὴ πᾶσιν ἁνδάνει τάδε.
Hector : Vous remportez la victoire, puisque cette idée plaît à tous.
40De nombreux commentateurs ont condamné dans ce passage ce qu’ils ont considéré comme une volte-face d’Hector et le signe de son inconséquence. Pourtant, Hector ne dit pas qu’il a changé d’avis mais que c’est l’avis du plus grand nombre qui l’emporte. Il admet une victoire rhétorique d’Énée qui a reçu, dans le débat qui précède, l’appui du chœur. En réalité, la position d’Hector est au contraire logique et rationnelle : en bon chef, il écoute ses conseillers. L’expression πᾶσιν ἁνδάνει τάδε est officielle : elle proclame une décision prise par la collectivité (Hérodote VII, 172 : οὔ σφι ἥνδανε τὰ οἱ Ἀλευάδαι ἐμηχανῶντο, « ils désapprouvaient les intrigues des Aleuades »). Hector n’est pas indécis, puisque, comme le montrera la suite, il se tiendra à la décision qui vient d’être prise et s’engagera entièrement dans cette nouvelle voie.
v. 138-139 : Εκ. στείχων δὲ κόσμει συμμάχους· τάχ’ ἂν στρατὸς / κινοῖτ’ ἀκούσας νυκτέρους ἐκκλησίας.
Hector : Avance mettre de l’ordre parmi les alliés : bientôt l’armée pourrait s’agiter au bruit de ces assemblées nocturnes.
41Au vers 138, κόσμει est le texte des manuscrits corrigé par Pierson en κοίμα, tiré du vers 662, où les manuscrits sont partagés entre κοιμήσων (VO) et κοσμήσων (LPQ). Au vers 662, κοιμήσων fait sens car Hector est parti assigner à Rhésos un endroit pour dormir. Ici, comme le souligne Paley, ἂν κινοῖτο implique plutôt le désordre et la confusion que la simple insomnie. Il s'agit de mettre de l’ordre parmi les alliés, afin de prévenir le désordre (la phrase est hypothétique) et non de le guérir, comme le suggérerait le verbe κοιμάω qui signifie soit « faire dormir », soit « apaiser, calmer ». Chez Homère, le verbe désigne le plus souvent l’action de préparer les troupes à l’attaque (Iliade, II, 554, 704, 727, XIV, 379, 388) et l’on peut penser qu’ici aussi il s’agit de tenir prêts les alliés en ordre de bataille pour un éventuel combat, même si par la suite il ne sera plus question d’attaque.
v. 141-146 : Εκ. κἂν μὲν τιν’ ἐχθρῶν μηχανὴν πυθώμεθα, / σὺ πάντ’ ἀκούσῃ καὶ παρὼν εἴσῃ λόγον · / ἐὰν δ’ ἀπαίρωσ’ ἐς φυγὴν ὁρμώμενοι, σάλπιγγος αὐδὴν προσδοκῶν καραδόκει,/ ὡς οὐ μενοῦντά μ'· ἀλλὰ προσμείξω νεῶν / ὁλκοῖσι νυκτὸς τῆσδ’ ἐπ’ Ἀργείων στρατῷ.
Hector : Et si nous apprenons quelque ruse des ennemis, toi tu écouteras tout et en étant présent à la discussion tu y participeras ; mais s’ils partent s’élançant pour la fuite, tends l’oreille pour entendre la voix de la trompette, aux aguets, dans l’idée que je ne tarderai pas : je m’approcherai des remises des navires cette nuit contre l’armée des Argiens.
42Hector reprend la forme du discours d’Énée (v. 126-130), avec ses deux cas de figure, qu’il intervertit, puisqu'il évoque d'abord l’hypothèse de la ruse, pour terminer sur celle qu’il juge la plus probable, la fuite. En changeant l’organisation logique du discours, Hector en modifie également l’intention en valorisant sa propre hypothèse.
43La difficulté réside dans la construction du participe προσδοκῶν et de l’impératif καραδόκει, qui sont placés côte à côte et dont le sens est proche. C’est l’accusatif αὐδήν20 qu’il faut rattacher au verbe καραδόκει et non μενοῦντά με, comme le pense Vater. Car le verbe καραδοκεῖν ne se trouve jamais construit avec un accusatif de personne mais toujours avec un accusatif de chose et désigne l'attente du terme de quelque chose ou l’attente impatiente d’un événement (Euripide, Hélène, 739, Troyennes, 456). Le verbe προσδοκάω peut se construire absolument (Aristophane, Thesmophories, 846). Quant à l’emploi de l’accusatif absolu précédé de ὡς, il se rapproche de celui du génitif absolu21 et se trouve à plusieurs reprises dans la tragédie22.
v. 149-153 : Εκ. τίς δῆτα Τρώων οἳ πάρεισιν ἐν λόγῳ / θέλει κατόπτης ναῦς ἐπ' Ἀργείων μολεῖν ; / τίς ἂν γένοιτο τῆσδε γῆς εὐεργέτης ; / τίς φησιν ; οὔτοι πάντ' ἐγὼ δυνήσομαι / πόλει πατρῴᾳ συμμάχοις θ’ ὑπηρετεῖν.
Hector : Qui donc parmi les Troyens présents à portée de voix veut aller en éclaireur auprès des vaisseaux des Argiens ? Qui serait le bienfaiteur de cette terre ? Qui parle ? En vérité, je ne pourrai pas servir en tout la ville de mes pères et les alliés.
44L’expression ἐν λόγῳ πάρειναι apparaît comme une locution familière qui se retrouve chez Aristophane (οἱ παρόντες ἐν λόγῳ : Acharniens, 513, Oiseaux, 30 où, selon la convention comique, l’expression doit désigner le public). Comme le fait remarquer Porter, on trouve dans la pièce un usage similaire du mot λόγος au vers 641 (ἐγγὺς ὢν λόγου)23.
45La leçon ἐν λόγῳ, invite à penser que Dolon entre en scène suite à l’appel d’Hector, qu’il a entendu depuis les coulisses24. L’exemple du Rhésos diffère des autres25 par le fait que le personnage qui entre en scène n’est pas connu d’avance dans la pièce, puisqu’il n’en a jamais été fait mention. L’appel d’Hector ne s’adresse pas à quelqu’un de déterminé, alors que, dans les autres cas, celui qui répond a toujours été appelé par son nom, à l’exception de la servante d’Hélène (v. 437) répondant à Ménélas qui frappe à la porte du palais.
46L’exemple le plus proche est peut-être celui de l’entrée en scène de Macarie dans les Héraclides (v. 474) : elle a entendu hors scène la discussion entre Iolaos et Démophon et elle répond à un appel indirect (les deux hommes ne trouvent pas de solution). C’est la première fois qu’on la voit et on n’a pas entendu parler d’elle avant. C’est pourquoi, même si la façon d’introduire Dolon est inhabituelle, elle n’est pas sans parallèle26. En outre, Dolon n’est pas à proprement parler un inconnu puisqu’il est l’une des figures principales de la Dolonie et, à cet endroit de la scène, le spectateur devait s’attendre à son entrée.
47Le dramaturge joue sur l’effet théâtral que suscite cette entrée soudaine et sans annonce27. La façon dont Dolon surgit de nulle part est semblable à celle dont il disparaîtra, dans la nuit, sans qu’on sache explicitement ce qui lui est arrivé.
Troisième partie : Hector, Dolon, le chœur
v. 154-194 : dialogue entre Hector et Dolon
v. 158-159 : Εκ. ἐπώνυμος μὲν κάρτα καὶ φιλόπτολις / Δόλων ·
Hector : Tu portes très bien ton nom et tu aimes ta ville, Dolon.
48L’expression ἐπώνυμος κάρτα souligne habituellement dans la tragédie la découverte d’une coïncidence étymologique entre un nom et une qualité essentielle de l’individu : ainsi de Polynice, « l’abondante querelle », dans les Sept (v. 658) et dans les Phéniciennes (v. 636, 1494) ; d’Ajax (Ajax, 430 : Αἰαῖ. τίς ἄν ποτ’ ᾤεθ’ ὧδ’ ἐπώνυμον / τοὐμὸν ξυνοίσειν ὄνομα τοῖς ἐμοῖς κακοῖς ;, « Aiai ! Qui aurait jamais pensé que mon nom, ainsi éponyme, s’accorderait avec mes malheurs ») ou d’Ulysse dans le fragment 965 (Radt) de Sophocle (ὀρθῶς δ’ Ὀδυσσεύς εἰμ’ ἐπώνυμος κακῶν). À chaque fois, c’est l’événement qui révèle la justesse d’un nom, dans lequel s’inscrit une destinée individuelle.
49Si Hector dit de Dolon qu’il est « très bien nommé », c’est qu’il lit dans le nom de Dolon la ruse, δόλος. Il n’y a pas de circonstance présente qui révèle à Hector une adéquation entre le nom et l’être, puisque Dolon n’a encore rien accompli et que rien dans ses paroles ne témoigne d’une ruse quelconque (alors que l’adjectif φιλόπτολις28, renvoie clairement au πρὸ γαίας de Dolon). Plutôt que de penser qu’Hector ferait allusion au passé de Dolon, il faut plutôt voir dans la lecture étymologique un programme prospectif : Hector parle comme si Dolon avait déjà accompli ce qu’il a promis et qui nécessite la ruse. Car s'engager dans une action nocturne, c’est se définir comme rusé.
50Assimiler Dolon à la ruse comme le fait Hector, c’est aussi le comparer à la figure d'Ulysse. Le déchiffrement que propose Hector du nom de Dolon est une tentative de contrôler l’avenir. Or, les événements vont creuser la faille entre le nom et l’être et rendre le nom désapproprié. Si Dolon a bien un lien avec la ruse, ce n’est pas parce qu’il est rusé, mais parce qu’il sera victime de celui qui est réellement la ruse incarnée, Ulysse. Cet échec d’une maîtrise du réel par le langage est thématique dans la pièce et la trahison du mot de passe en est emblématique. Rhésos constitue l’exception majeure puisqu'il est le développement de son propre nom, celui dont on parle (il est la parole, ῥῆσις).
v. 159-160 : πατρὸς δὲ καὶ πρὶν εὐκλεᾶ δόμον / νῦν δὶς τόσως ἔθηκας εὐκλεέστερον.
La maison de ton père, déjà glorieuse auparavant, aujourd’hui tu l’as rendue deux fois plus glorieuse.
51L’adverbe régulier τόσως, formé sur τόσος, est rare mais apparaît chez Euripide au vers 1194 de Médée et au vers 1092 d’Électre.
52Dans l’Iliade (X, 314-315), il est dit de Dolon qu’il est « fils d’Eumède29, divin héraut, riche en or et en bronze ». La maison de Dolon est noble : le héraut a une fonction sacrée et sa personne est inviolable, placée sous la protection de Zeus. Ici Hector ne mentionne pas le père de Dolon mais pose simplement la gloire de sa famille. C’est le simple fait de s’être porté volontaire qui apporte à Dolon et à sa famille le kléos et permet à Dolon d’accomplir l’idéal aristocratique qui consiste à accroître la gloire de la famille. À nouveau Hector anticipe l’avenir en s’adressant à Dolon comme s’il revenait après avoir rempli sa mission et achève de faire de lui un héros.
v. 161-163 : Δο. οὐκοῦν πονεῖν με χρή, πονοῦντα δ’ ἄξιον / μισθὸν φέρεσθαι. παντὶ γὰρ προσκείμενον / κέρδος πρὸς ἔργῳ τὴν χάριν τίκτει διπλῆν.
Εκ. ναί, καὶ δίκαια ταῦτα κοὐκ ἄλλως λέγω. / τάξαι δὲ μισθόν, πλὴν ἐμῆς τυραννίδος.
Dolon : Il me faut donc travailler. Or, il est juste que celui qui travaille reçoive un salaire. Car le profit qui s’attache à toute tâche engendre une double gratitude.
Hector : Oui, c’est juste et je ne parle pas autrement. Fixe ton salaire, sans choisir ma royauté.
53Au vers 163, les commentateurs comprennent diversement le terme χάρις. Pour Fries, l’attitude mercenaire de Dolon plaide pour le sens de « satisfaction ». Mais Dolon ne trahit pas d’emblée ce désir de gain et son langage gnomique montre qu’il prétend respecter les principes éthiques traditionnels, après avoir pris soin de marquer son engagement comme un contrat (v. 157) 30. Selon le principe du don et du contre-don, une faveur rendue en appelle une autre (Ajax, 522 ; Hélène, 1234). Le terme χάρις désigne la gratitude mutuelle des deux contractants : la gratitude est double lorsque le gain récompense la peine. L’expression διπλῆ χάρις apparaît dans le Protagoras (310a, 7) : Socrate est reconnaissant à ses auditeurs de l’écouter et eux lui sont reconnaissants de parler. On retrouve le verbe προσκείμαι et les termes κέρδος et χάρις au vers 232 d’Œdipe roi : τὸ γὰρ / κέρδος τελῶ’ γὼ χἠ χάρις προσκείσεται, « je le récompenserai en mon nom et la gratitude lui sera acquise ». La récompense (que le roi promet de lui-même) et la gratitude vont de pair, souligne Bollack, qui, pour cette raison, ne donne pas au verbe le sens de « s’ajouter » (comme le font plusieurs commentateurs), mais celui d’« être attaché à ». Ici aussi, Dolon insiste sur le fait que le gain est inhérent à toute entreprise.
54Dans l’Iliade (X, 303 et suiv.), Hector offre d’emblée une récompense, un char et deux chevaux ; du côté des Grecs, Nestor promet la gloire et une récompense (v. 212 et suiv.). Ici, Hector ne parle que de kléos et c’est Dolon qui rappelle que toute action héroïque est en même temps une peine qui « mérite salaire ». L’héroïsme se monnaye déjà dans l’Iliade : la querelle d’Agamemnon et d’Achille est causée par le butin et l’ambassade du chant IX est un marchandage, qui vise à acheter l’aide d’Achille. Si cette réalité économique est sous-jacente à tout acte héroïque, l’échange n’est pas thématisé dans l’Iliade comme il l’est ici. Le poète du Rhésos analyse la contradiction de l’héroïsme31.
55La recherche du κέρδος comme contrepartie nécessaire de l’action est chez Homère liée au comportement rusé. Alors que le singulier κέρδος désigne le « gain », l’« avantage » (Iliade, X, 225 ; Odyssée, XVI, 311, XXIII, 140), le pluriel κέρδεα désigne les « artifices », les « ruses » (Iliade, XXIII, 515) et l’adjectif κερδαλέος signifie aussi bien « rusé » que « qui calcule » 32.
56La condition πλὴν ἐμῆς τυραννίδος a surpris le scholiaste qui trouve risible de penser que Dolon pourrait demander la royauté d’Hector. C’est plutôt une marque de dérision de la part d’Hector qu’il faut y voir : Hector, comme le dit Jouan, s’amuse. En effet, il n’est pas roi (c’est Priam qui est roi) et il fixe une limite improbable à la demande de Dolon33. On peut penser, comme Bond (1996, p. 257 et suiv.), qu’il y a une référence – mais dans ce cas, elle est ironique – au chant IX, où Agamemnon offre toutes sortes de présents à Achille à la condition qu’il reconnaisse son autorité de roi (chant IX, 160 et suiv.). Au vers 173, l’expression πλὴν στρατηλάτας νεῶν fait écho à πλὴν ἐμῆς τυραννίδος. Cette proposition restrictive est à nouveau ironique par sa démesure : il est invraisemblable de penser que Dolon puisse recevoir comme butin les chefs de l’expédition achéenne, Agamemnon et Ménélas.
v. 166-168 : Δο. οὐ σῆς ἐρῶμεν πολιόχου τυραννίδος.
Εκ. σὺ δ’ ἀλλὰ γήμας Πριαμιδῶν γαμβρὸς γενοῦ.
Δο. οὐδ’ ἐξ ἐμαυτοῦ μειζόνων γαμεῖν θέλω.
Dolon : Je ne désire pas ta royauté qui protège la ville.
Hector : Alors34, par le mariage, deviens gendre des Priamides.
Dolon : Je ne veux pas non plus m’unir à plus grands que moi.
57L’adjectif πολίοχος/πολιοῦχος qualifie habituellement les dieux, défenseurs de la ville (Sept, 110, 312, 822, 1020 ; Hérodote I, 160, Aristophane, Cavaliers, 581, etc.) et en l’utilisant pour la royauté, Dolon fait de son exercice une prérogative déléguée par les dieux. Il répond à la plaisanterie d’Hector le plus sérieusement du monde, comme à une véritable proposition.
58Dans l’Iliade (V, 473 et suiv., XXIV, 729 et suiv.), comme l’analyse Nagy (1994, p. 183 et suiv.), un attribut traditionnel d’Hector est « sa qualité de protecteur de la ville et de son peuple ». L’adjectif πολιοῦχος est le plus propre à qualifier la royauté d’Hector « qui protège la ville ». Dolon en quelque sorte imite Hector, en faisant lui aussi de l’étymologie : il refuse ce qu’il analyse comme appartenant en propre à Hector.
59La proposition d’Hector est la même que celle d’Agamemnon qui, dans le chant IX, offre à Achille de devenir son gendre (v. 141 et suiv.) et le refus de Dolon fait écho à celui d’Achille qui préfère se marier « selon son rang » (v. 391 et suiv. ; voir aussi les vers 398-400). C’est un motif de la sagesse traditionnelle, qui se retrouve chez Pindare (Pythique II, 64), dans le Prométhée (v. 890), ainsi que dans un fragment de l’Antiope d’Euripide (fr. 214 Kn = 38 J.-V.L.) : κῆδος καθ’ αὑτὸν τὸν σοφὸν κτᾶσθαι χρεών, « Le sage doit contracter une alliance à sa mesure ».
v. 169-170 : Εκ. χρυσὸς γὰρ ἔστιν, εἰ τόδ’ αἰτήσεις γέρας.
Δο. ἄλλ’ ἔστ’ ἐν οἴκοις · οὐ βίου σπανίζομεν.
Hector : Il y a de l’or, si c’est le butin que tu demandes.
Dolon : Mais j’en ai chez moi : nous ne sommes pas dépourvus de ressources.
60La richesse de Dolon est un biographème emprunté à l’Iliade, où le père de Dolon est dit πολύχρυσος et πολύχαλκος (chant X, 315). Dans l’Iliade, on trouve également un rappel de cette richesse au moment où Dolon est capturé par Ulysse et Diomède (v. 378-381). Les deux sens du mot βίος, « vie » et « moyens de vivre », qui est le sens donné par Dolon, sont étroitement liés, puisque les ressources sont la rançon de la vie. La mention de l’or de Dolon, pour le spectateur qui connaît l’Iliade, fait signe vers son destin malheureux.
v. 175-176 : Εκ. οὐ μὴν τὸν Ἰλέως παῖδά μ’ ἐξαιτῇ λαβεῖν ;
Δο. κακαὶ γεωργεῖν χεῖρες εὖ τεθραμμέναι.
Hector : Tu ne me demandes sûrement pas de prendre le fils d’Oïlée ?
Dolon : Des mains bien entretenues sont mauvaises pour labourer.
61Le fils d’Oïlée35, c’est le « petit » Ajax (Iliade II, 527). Pourquoi Hector l’a-t-il choisi comme butin possible après les grands chefs ? Il s’agit encore d’une forme de dérision, que l’on décèle dans le οὐ μήν36 : Hector offre ironiquement à Dolon Ajax fils d’Oïlée, qui n’est qu’un petit butin par rapport au fils de Télamon37, et en même temps, il précède le refus de Dolon, en se moquant de ses hautes exigences. Mais à nouveau, Dolon oppose une réponse caractérisée par le bon sens pratique38. La dérision dans cette joute entre Hector et Dolon réside dans l’écart entre la grandeur des biens proposés et les refus prosaïques de Dolon. Lorsqu’Hector au vers 75 envisage de faire des guerriers achéens des esclaves qui labourent la terre, il le conçoit comme un châtiment pire que la mort. Dolon, lui, considère cette proposition d’un point de vue pragmatique.
v. 182-184 : Δο. ἵππους Ἀχιλλέως · χρὴ δ’ ἐπ’ ἀξίοις πονεῖν / ψυχὴν προβάλλοντ’ ἐν κύβοισι δαίμονος.
Εκ. καὶ μὴν ἐρῶντί γ’ ἀντερᾷς ἵππων ἐμοί ·
Dolon : Les chevaux d’Achille. Il faut peiner pour des prix dignes quand on jette sa vie dans le jeu de dés de la divinité.
Hector : Certes tu es mon rival dans le désir que tu as pour ces chevaux.
62Il y a un hiatus entre l’objet du désir, qui vaut par sa singularité, et le désir lui-même qui est analysé par Dolon en termes généraux, par une gnomè qui fait écho aux vers 161 et suiv. Il recourt à nouveau à la métaphore du jeu de dés, qu’il employait déjà aux vers 154-155.
63La hiérarchie des valeurs qu’a mise en place Hector à travers ses propositions à Dolon était traditionnelle : y entraient en jeu les valeurs attendues que sont le pouvoir, un mariage noble, l’or. Après que Dolon a refusé chacune de ces trois récompenses, l’attente du spectateur est déjouée39, puisqu’on s’attendrait à ce que Dolon introduise un nouveau genre de valeur, ce qu’il ne fait pas. L’objet du désir se définit peu à peu comme extérieur à la sphère domestique (v. 170 : ἀλλ’ ἔστ’ ἐν οἴκοις ; v. 178 : ἔστι χρυσὸς ἐν δόμοις et v. 180 : αὐτὰ πασσάλευε πρὸς δόμους), à la ville (Dolon ne veut rien de ce que renferme Ilion), aux hommes (les captifs ne l’intéressent pas) et aux biens traditionnels du butin. S’il est vrai que cette hiérarchie des valeurs met en évidence les prétentions démesurées de Dolon, je ne suis pas d’accord avec Burnett sur le fait que les chevaux d’Achille ne conviennent pas pour être placés au sommet de cette hiérarchie. Selon elle, ils ne sont pas à leur place parce qu’on attendrait une valeur « abstraite » et « édifiante ». Or, posséder les chevaux d’Achille, c’est se mettre à la hauteur de l’idéal héroïque qu’il représente. Ce que désire réellement Dolon, c’est être Achille.
64Il y a sans doute à nouveau dans la réponse d’Hector une part de moquerie : en se prétendant rival de Dolon dans son désir pour les chevaux d’Achille, il souligne encore une fois la démesure de Dolon qui prétend à ce que lui-même, Hector, ose à peine convoiter40. Cette réaction n’est pas sans rappeler celle d’Ulysse dans le chant X, qui sourit lorsqu’il apprend que Dolon prétendait aux chevaux d’Achille (v. 400 et suiv.). L’emploi du verbe ἀντερᾶν (qui ne réapparaît avec cette construction et ce sens d’« être rival en amour » que chez Plutarque, Moralia, 972d, 741), renforcé de façon pléonastique par ἐρῶντι, marque l’humour qu’il y a dans la réponse d’Hector, qui fait des chevaux un objet de rivalité érotique42.
v. 191-194 : αἰνῶ · λαβὼν δέ φημί κάλλιστον Φρυγῶν / δῶρον δέχεσθαι τῆς ἐμῆς εὐσπλαγχνίας. / σὲ δ’ οὐ φθονεῖν χρή · μυρί’ ἔστιν ἄλλα σοι, / ἐφ’ οἷσι τέρψῃ τῆσδ’ ἀριστεύων χθονός.
J’approuve ; en les acceptant, je dis que c’est moi qui, parmi les Phrygiens, reçois le plus beau présent pour prix de mon courage. Quant à toi, il ne faut pas être jaloux : tu as des milliers d’autres biens dont tu te réjouiras en étant le premier de ce pays.
65Plusieurs éditeurs (Jouan, Liapis, Fries) adoptent la correction de Verrall, qui insère la particule ἄν (λαβὼν δ’ ἄν) pour obtenir une conditionnelle. Cependant, l'acceptation du don (λαβών) a eu lieu au moment où Hector a dit qu’il donnerait, car la parole du roi est performative et Dolon entend le δώσω d’Hector comme un δίδωμι.
66Dolon renverse la hiérarchie sociale en représentant une possible jalousie d’Hector à son égard. Le roi est normalement sans φθόνος, puisque sa prospérité le préserve de rien désirer43 : c’est ce que rappelle Dolon à Hector. Dans le même temps, il se montre lui-même en position de susciter le φθόνος. Ses paroles sont sous-tendues par une contradiction car en ne se montrant pas envieux des biens d’Hector (Dolon a déjà prouvé que la royauté n’était pas le plus grand des biens en la rejetant au vers 166), il prouve qu’il manque quelque chose à Hector, que sa position n’est pas la plus désirable.
v. 195-200 : antistrophe du chœur
v. 199-200 : τὰ θεόθεν ἐπιδέτω Δίκα, / τὰ δὲ παρ’ ἀνδράσιν τέλειά σοι φαίνεται.
Pour ce qui vient des dieux, que la Justice le surveille, quant à ce qui est du ressort des hommes, c’est manifestement achevé pour toi.
67Le verbe ἐφοράω est souvent employé pour les dieux, qui ont l’œil sur tout (Sophocle, Électre, 175) et dans les invocations, à l’impératif ou à l’optatif, pour demander le regard des dieux (Suppliantes d’Eschyle, 1, 145, 1031 ; Sept, 107, 485). Au vers 199, certains traducteurs sous-entendent le pronom σε, dont ils font le complément de ἐπιδέτω, et considèrent l’accusatif τὰ θεόθεν comme un accusatif de relation (Jouan : « Que la justice des dieux veille sur toi »). Cet ajout d’un σε n’est pas nécessaire : le complément naturel du verbe est τὰ θεόθεν. Les deux vers sont faussement parallèles : les deux accusatifs n’ont pas la même fonction. Le premier est complément du verbe, le second sujet44.
68Confier le sort de Dolon à la Justice n’est pas sans ambiguïté : comme on l’a vu, on peut penser que Dolon est coupable de démesure pour avoir convoité ce qu’il ne mérite pas et qui est, de surcroît, un présent divin, que seuls les dieux en réalité ont le droit d’octroyer.
Silence d’Hector
69Hector demeure silencieux à partir de ce moment et jusqu’au deuxième épisode (v. 266), c’est-à-dire durant le dialogue entre le chœur et Dolon et durant le premier stasimon. Soit il reste sur scène, soit il faut supposer qu’il se retire pour revenir avec le messager. La présence silencieuse d’un personnage sur scène durant un chant choral est fréquente et ne doit pas poser problème45. Quant à son silence durant un dialogue, Ritchie cite le parallèle des Héraclides, où Alcmène demeure silencieuse durant le dialogue entre Iolaus et le serviteur (v. 720-747) et durant le stasimon qui suit. Le fait que le berger s’adresse immédiatement à Hector en arrivant sur scène (v. 264) est un argument pour dire qu’Hector est resté sur scène.
v. 200-223 : dialogue entre Dolon et le chœur
v. 201-207 : Δο. στείχοιμ’ ἄν · ἐλθὼν δ’ ἐς δόμους ἐφέστιος / σκευῇ πρεπόντως σῶμ’ ἐμὸν καθάψομαι, / κἀκεῖθεν ἥσω ναῦς ἐπ’ ’Αργείων πόδα.
Χο. ἐπεὶ τίν’ ἄλλην ἀντὶ τῆσδ’ ἕξεις στολήν ;
Δο. πρέπουσαν ἔργῳ κλωπικοῖς τε βήμασι.
Χο. σοφοῦ παρ’ ἀνδρὸς χρὴ σοφόν τι μανθάνειν · / λέξον, τίς ἔσται τοῦδε σώματος σαγή ;
Dolon : Je vais partir : après être allé dans ma demeure en hôte du foyer, j’habillerai mon corps du vêtement qui lui convient et de là, je porterai mes pas en direction des navires des Argiens.
Le coryphée : Quel autre habit auras-tu donc à la place de celui-là ?
Dolon : Celui qui convient à la tâche et aux pas d’un voleur.
Le coryphée : D’un habile il faut apprendre quelque chose d’habile ; dis-moi, quel sera l’équipement du corps que voilà ?
70L’adjectif ἐφέστιος est employé au vers 201 sur le modèle homérique, de manière prédicative avec un verbe de mouvement (Odyssée VII, 248 ; XXIII, 55). La position de l’adjectif en fin de vers et son association avec δόμους peut être qualifiée de formulaire (Eschyle, Suppliantes, 365 ; Sept, 851 ; Sophocle, Trachiniennes, 263 ; Euripide, Médée, 713).
71L’adjectif κλωπικός, au vers 205 et au vers 512, n’apparaît pas ailleurs au ve siècle. Une occurrence dans le Cratyle (408a), citée par Ritchie, est discutée46. Du reste, la forme κλωπικός ne doit pas étonner : elle peut être ramenée à un verbe κλωπάομαι (cité par Hésychius κ 3073 = II 496 Latte) alternant avec κλέπτω, de la même manière que πωτάομαι alterne avec πέτομαι ; le radical κλωπ- a donné toute une série de mots : κλωπεία, κλωπεύω, κλωπήιος, κλωπίδαι. L’adjectif a été choisi pour des raisons métriques et il est à rapprocher du nom κλώψ, terme qui, chez les trois Tragiques, est propre à Euripide (Hélène, 553, Alceste, 666, Cyclope, 233) et qui revient à plusieurs reprises dans le Rhésos (645, 678, 709, 777).
72En définissant son déguisement comme celui « qui convient aux pas d’un voleur », Dolon assimile la tâche de l’espion à celle du voleur. L’adjectif κλωπικός réapparaîtra une seconde fois dans la pièce au vers 512 à propos d’Ulysse et les Troyens prendront Ulysse et Diomède venus espionner pour des voleurs (v. 679, v. 777). Le thème du voleur annonce également celui du loup : au chant XVI de l’Iliade (v. 352-355), les loups apparaissent dans un similè comme des « pillards » (σίνται) qui « dérobent furtivement » (le verbe utilisé est διαρπάζειν, qui n’apparaît que là dans l’Iliade) les agneaux d’un troupeau47.
73Dolon, en posant des énigmes, se met dans la position de celui qui sait et le chœur réagit en conséquence en le traitant comme un expert (σοφός) qui enseigne son art. Comme Dolon, il se met lui aussi à parler de façon proverbiale. La formulation du vers 206 est proche de celle du vers 179 des Bacchantes, où Cadmos dit à Tirésias : ὦ φίλταθ’, ὡς σὴν γῆρυν ᾐσθόμην κλυὼν / σοφὴν σοφοῦ παρ’ ἀνδρός, « Mon ami ! J’ai compris que c’était toi, en entendant la voix intelligente d’un homme intelligent ».
v. 208-21548 : Δο. λύκειον ἀμφὶ νῶτον ἅψομαι δορὰν / καὶ χάσμα θηρὸς ἀμφ’ ἐμῷ θήσω κάρᾳ, / βάσιν τε χερσὶ προσθίαν καθαρμόσας / καὶ κῶλα κώλοις, τετράπουν μιμήσομαι / λύκου κέλευθον πολεμίοις δυσεύρετον, / τάφροις πελάζων καὶ νεῶν προβλήμασιν. / ὅταν δ’ ἔρημον χῶρον ἐμβαίνω ποδί, δίβαμος εἶμι · τῇδε σύγκειται δόλος.
Dolon : J’attacherai une peau de loup sur mon dos, je couvrirai ma tête avec la gueule de la bête, et adaptant les pieds de devant à mes mains et les jambes à mes jambes, j’imiterai à quatre pattes49 la démarche du loup, que les ennemis auront peine à détecter quand je m’approcherai du fossé et des barrières des navires. Mais quand je parcourrai à pied un espace désert, j’irai sur mes deux pieds. Voilà en quoi consiste ma ruse.
74Dolon, pour décrire ce déguisement singulier, recourt à des termes rares et à des emplois particuliers : le terme χάσμα qui désigne « l’ouverture béante, le gouffre », est utilisé pour la gueule d’un animal au vers 363 d’Héraclès, où Héraclès, après avoir tué le lion de Némée, se couvre le dos de sa peau et se met sur la tête la gueule de l’animal (πυρσῷ δ’ ἀμφεκαλύφθη / ξανθὸν κρᾶτ’ ἐπινωτίσας / δεινῷ χάσματι θηρός, « il enveloppa sa tête blonde de la terrible gueule fauve de la bête, après l’avoir placée sur son dos »). L’adjectif πρόσθιος n’apparaît pas ailleurs dans la tragédie mais qualifie les pattes de devant chez Hérodote (II, 69, 8). Le terme βάσις, qui désigne la marche peut aussi être employé pour le pied (Iphigénie à Aulis, 421 : ἀναψύχουσι θηλύπουν βάσιν, « elles rafraîchissent leurs pieds de femmes »). Le nom κέλευθος enfin a le sens inhabituel de « marche, démarche »50.
75La description du déguisement détourne la scène typique d’armement dans l’épopée, car les étapes habituelles du processus (les tibias, le torse, la tête) ne sont pas les mêmes (ici, les parties recouvertes sont le dos et la tête51). Dolon va se métamorphoser en loup : il va revêtir complètement la peau d’un loup et imiter la démarche de l’animal. À nouveau, le poète du Rhésos s’écarte de l’Iliade : dans l’Iliade, Dolon vêt son corps de la peau d’un loup (v. 334 : ἕσσατο δ’ ἔκτοσθεν ῥινὸν πολιοῖο λύκοιο) mais au lieu de mettre sur sa tête la gueule de l’animal, comme dans le Rhésos, il met un casque en peau de martre (v. 335). De plus, il marche normalement et non à quatre pattes. Car la différence majeure qui existe entre l’Iliade et le Rhésos, c’est que dans l’Iliade, Dolon ne prétend pas passer pour un loup. La peau de loup n’est qu’une parure comme celles que revêtent les guerriers du camp grec (Agamemnon et Diomède s’enveloppent d’une peau de lion52, Ménélas d’une peau de panthère53 ; Ulysse porte le casque d’Autolycos, orné de dents de sanglier) ; dans le Rhésos, c’est une ruse.
76Cette métamorphose n’est pas une invention du poète du Rhésos. Nous possédons d’autres documents qui l’attestent : la scène de Dolon travesti en loup apparaît sur plusieurs céramiques datant du ve siècle av. J.-C.54. Soit il y avait une autre version de l’histoire de Dolon, parallèle à celle du chant X, peut-être véhiculée par les poèmes du Cycle. Soit c’est l’Iliade elle-même qui est à la source de cette autre version, où l’imaginaire a développé ce qui n’était qu’esquissé dans l’épopée.
77Le thème du déguisement animal apparaît également aux vers 1056 et suiv. d’Hécube, où Polymestor, aveugle, ne peut plus marcher normalement et envisage de marcher à quatre pattes : πᾷ βῶ […] τετράποδος βάσιν θηρὸς ὀρεστέρου / τιθέμενος ἐπὶ χεῖρα κατ’ ἴχνος;, « Par où marcher ? […], Suivre leur trace à quatre pattes, comme un fauve des montagnes, la main touchant le pied ?» 55 ; son handicap le réduit à l’état animal, mais pas seulement : c’est aussi sa rage meurtrière qui fait de lui un fauve désireux de se « remplir de chair et d’os » et de s’« offrir le sauvage festin des fauves » (v. 107).
78Le déguisement de Dolon a été interprété de deux manières : d’un point de vue anthropologique et du point de vue de la technique dramatique.
79Gernet (1936, p. 189-208) fait une lecture anthropologique de l’épisode, où il voit une allusion à un rite d’initiation des confréries à masques. Puis, partant de la figure du banni, de l’« outlaw », qui est celle du loup, et considérant le sort de Dolon qui, de poursuivant devient poursuivi, il suggère également un rapprochement avec l’expulsion et la condamnation des pharmakoi : Dolon serait un type de bouc émissaire.
80S’il y a bien des éléments rituels dans le chant X, le dramaturge en fait autre chose : le déguisement de Dolon, dans l’Iliade, trouve sa place dans un réseau de déguisements animaux, alors que dans le Rhésos, il est isolé56. Dans le Rhésos, le verbe μιμήσομαι (voir aussi le terme μῖμος au vers 256) montre clairement que le rite est devenu forme dramatique : Dolon va jouer un rôle, donner une représentation57.
81On peut imaginer que Dolon, tout en détaillant son costume, accompagne ses paroles de gestes (Burnett, p. 22) ; certains (Murray, Porter) ont même suggéré qu’il revenait sur scène travesti durant le premier stasimon. L’analyse de Bond (p. 260) va plus loin : ce que fait le dramaturge, dit-il, c’est dramatiser la comparaison homérique que comprend généralement la scène typique du héros entrant dans la bataille : alors que, chez Homère, un guerrier est comparé à un animal, ici, il devient animal. Or ce procédé théâtral de dramatisation (de réification) d’une métaphore homérique se retrouve dans toute la pièce (chez Homère, Apollon vient « pareil à la nuit », dans le Rhésos, le chœur demande au dieu de venir « dans la nuit », v. 227 ; chez Homère un héros est « semblable à Arès », Rhésos est « Arès lui-même », v. 385).
Duel de loups
82Le Rhésos met en scène la compétition de deux archétypes de la ruse incarnés par Dolon et Ulysse. L’un doit triompher de l’autre. Dans cet antagonisme, le costume du loup est symbolique : si Dolon revêt la peau d’un loup, c’est parce que cet accoutrement, pense-t-il, est adapté à l’homme rusé qu’il est58. En représentant un Dolon qui se veut complètement loup, le poète du Rhésos le montre comme un double d’Ulysse excessif, caricatural, comme un pauvre simulacre destiné à se faire absorber par son modèle59.
83Ce que fera Ulysse en dépouillant Dolon de cette peau (v. 592 et suiv.), c’est marquer sa supériorité sur Dolon et montrer qu’il est le vrai loup de la pièce. Une ruse triomphe de l’autre. Si la ruse de Dolon consiste en une imitation du réel par des signes conventionnels (comme la marche à quatre pattes) et constitue une mimèsis, la ruse d’Ulysse, quant à elle, consistera en un détournement de signes conventionnels (il abusera les Troyens en utilisant le mot de passe « Phoibos » que Dolon lui a livré). L’un travaille le réel, l’autre le langage.
v. 216-218 : Χο. ἀλλ’ εὖ σ’ ὁ Μαίας παῖς ἐκεῖσε καὶ πάλιν / πέμπψειεν Ἑρμῆς, ὅς γε φηλητῶν ἄναξ. / ἔχεις δὲ τοὔργον · εὐτυχεῖν μόνον σε δεῖ.
Que le fils de Maïa t’envoie là-bas et te renvoie heureusement, Hermès, lui qui est le prince des trompeurs. Tu sais ce que tu as à faire ; il faut seulement que tu sois chanceux.
84Si le chœur place Dolon sous l’égide d’Hermès, c’est d’abord parce que le dieu est celui qui accompagne traditionnellement les voyages. Au vers 759 de Médée, c’est aussi au « fils de Maïa » que Médée demande d’escorter Égée. La fonction de « guide » du dieu est exprimée là par l’épithète πομπαῖος et ici par le verbe πέμπειν. Hermès est appelé πομπαῖος en tant que protecteur des voyageurs (Philoctète, 133 ; Électre de Sophocle, 1395-1397) et aussi en tant que dieu qui escorte les âmes dans l’Hadès, ψυχοπομπός (Ajax, 832 ; Œdipe à Colone, 1548). Hermès va bien accompagner Dolon mais pour un voyage sans retour, contrairement à ce que demande le chœur, qui précise ἐκεῖσε καὶ πάλιν.
85C’est aussi parce qu’Hermès est le double de Dolon chez les dieux, en tant que « prince des voleurs ». Il manquait à Dolon un dieu pour achever de faire de lui un héros épique, et le chœur se charge de donner une légitimité théologique à son action : Dolon s’est posé comme un héros rusé et c’est le dieu de la ruse qui le protégera.
86Mais Hermès est avant tout le patron d’Ulysse et de son grand-père, Autolycos, dont il est dit dans l’Odyssée (XIX, 395 et suiv.), qu’il était « maître en vols et en parjures », don qui lui venait d’Hermès lui-même. Si Hermès aide quelqu’un dans le Rhésos, ce n’est pas Dolon60 mais bien Ulysse qui, de nuit, parviendra à franchir les lignes troyennes et à repartir dans son camp sans dommage. Ainsi, les Troyens veulent faire de Dolon leur Ulysse mais cette entreprise est vouée à l’échec car il n’y a de place dans l’épopée que pour un seul parangon de la ruse.
v. 219-223 : Δο. σωθήσομαί τε καὶ κτανὼν Ὀδυσσέως / οἴσω κάρα σοι – σύμβολον δ’ ἔχων σαφὲς / φήσεις Δόλωνα ναῦς ἐπ’ Ἀργείων μολεῖν – / ἢ παῖδα Τυδέως · οὐδ’ ἀναιμάκτῳ χερὶ / ἥξω πρὸς οἴκους πρὶν φάος μολεῖν χθόνα.
Dolon : Je serai sauf et je tuerai Ulysse, dont je te ramènerai la tête – ayant un signe clair de reconnaissance, tu diras que Dolon a couru aux navires des Argiens – ou le fils de Tydée ; ce n’est pas sans une main sanglante que je reviendrai chez moi avant que la lumière ne vienne sur la terre.
87C’est la parole du chœur qui doit proclamer la réalité de l’exploit, en assurer la validité, et Dolon se fixe pour tâche d’apporter les fondements de véracité qui ont manqué jusque-là à cette parole : le signe qu’il se propose de rapporter se définit par opposition aux feux. À l’immatériel des feux et des visions nocturnes, Dolon substitue les preuves concrètes que sont une tête coupée et une main ensanglantée. C’est le meurtre qui seul peut faire événement et mettre un terme à l’incertitude sur le contenu de cette nuit.
88En lui donnant pour but le meurtre d’Ulysse, le poète du Rhésos déplace l’enjeu du rôle de Dolon qui, dans l’Iliade, ne s’engage qu’à une mission d’espionnage. Il donne son interprétation de la rencontre entre Dolon et Ulysse, en faisant de l’accidentel une nécessité : si Dolon croise la route d’Ulysse, c’est parce qu’il est son double antagoniste et que l’un des deux doit être éliminé. Cette mise en évidence d’une relation spéculaire entre Dolon et Ulysse le dispense de faire le récit de la mort de Dolon, puisque c’est son propre sort (c’est lui qui, dans l’Iliade, a la tête coupée) que Dolon anticipe. Le nom de Dolon est la clé, à partir de laquelle le poète développe son analyse d’un Dolon figure troyenne de la ruse, opposée à Ulysse. De même, il fera de Rhésos un double d’Achille. Il reprend et thématise ce qui est dans l’Iliade un principe structurant des relations homme / dieu – le dieu doit tuer le héros qui est son image (ainsi Apollon avec Achille61) – en le transférant à des couples de héros.
Notes de bas de page
1 En déterminant le kairos, Hector met en pratique l’éthique du chef qu’énonce Étéocle dans les Sept, 1 et suiv.
2 Trédé, 1992, p. 48.
3 Sur la comparaison homérique au lion, animal héroïque par excellence, voir Schnapp-Gourbeillon, 1981.
4 Fraenkel ad Agamemnon, 22.
5 C’est aussi le flambeau à la lueur duquel, à l’ouverture d’Iphigénie à Aulis, Agamemnon écrit puis efface le message qu’il destine à sa fille, dont il joue le destin.
6 Dans l’Iliade, Hector va effectivement parvenir jusqu’aux nefs des Achéens et y mettre le feu, mais ce ne sera qu’au chant XVI. La destruction par le feu des vaisseaux achéens est un thème central de l’Iliade, analysé par Whitman, 1958, p. 133 et suiv., Nagy, 1994, p. 382-384, ainsi que par Rousseau, 1995, p. 163 et suiv. Le feu est le signe du Vouloir du Zeus. Les vers qu’Hector prononce dans le Rhésos correspondent à ceux qu’il prononce au chant VIII de l’Iliade (v. 180-183) en réponse au tonnerre de Zeus, signifiant aux Troyens que la victoire est de leur côté.
7 L’opposition roi / devin est traditionnelle : voir, dans l’Iliade, Agamemnon qui montre son mépris envers Calchas au chant I, 106 et suiv., Priam qui exprime sa méfiance envers les mensonges des devins au chant XXIV, 221 et suiv. et, dans les Bacchantes, l’opposition entre Penthée et Tirésias.
8 Le regard ironique qu’Hector porte sur la science prophétique se retrouve souvent dans la bouche des personnages d’Euripide : voir Hélène, 744-757.
9 Selon l’expression de Vernant, 1981, p. 51-59.
10 Le choeur employait déjà le verbe au début de la pièce (v. 49) pour expliquer à Hector la raison qui l’avait poussé à venir le réveiller.
11 L’association de μῦθος et de la préposition ἐπί avec le datif pour désigner une parole hostile et non une parole favorable (comme au vers 625 des Suppliantes, où l’on trouve le verbe λέγω accompagné de ἐπί et le datif pour désigner le fait de « dire des prières pour quelqu’un »), est inhabituelle.
12 Taplin (1977, p. 147, n. 3) considère comme une absurdité d’accueillir un homme qui vient chercher des informations avec le lieu commun tragique « il vient, apportant des nouvelles à ses amis ». Or, ce que fait précisément ici le poète, c’est détourner ce lieu commun.
13 Chez les Tragiques, l’épithète n’apparaît qu’ici, au vers 1383 d’Iphigénie en Tauride, où εὐσέλμου νέως est la correction de Pierson pour le εὐσήμου du manuscrit L ; dans le fr 463 des Fr. tr. adesp.
14 KG II, p. 10.
15 Chez Homère, Hector est également « pareil à la flamme par sa force » (Iliade, XVIII, 154).
16 Liapis et Fries (voir ad loc.) préfèrent ici θράσει sur le modèle d’Oreste.
17 Ritchie, 1964, p. 328.
18 Sur l’amoibaion épisodique, voir Popp, « Das Amoibaion », dans Jens, 1971, p. 231. On retrouve cette forme lyrique dans les Sept, 375-676, où il s’agit d’un chant isolé et dans le Philoctète, 391-402 = 507-518, Œdipe à Colone, 833-843 = 876-886, dans Hippolyte, 362-372 = 669-679, dans Oreste 1353-1365 = 1537-1548.
19 Comme le remarque Zanetto (1998, n. 16), la formulation du chœur est proche de celle d’un fragment d’Archiloque (fr. 114 W2), qui commence de la même manière (οὐ φιλέω…) et prône aussi la solidité (ἀσφαλέως). Mais Archiloque détourne le genre puisque ce ne sont pas les qualités éthiques de deux chefs militaires qu’il oppose mais leurs caractéristiques physiques et la solidité est celle du chef qui a « les pieds bien plantés en terre ».
20 Le terme désigne à l’origine la voix humaine par opposition à ϕωνή, qui se dit aussi des animaux, et à φϑόγγος « son ». Voir Chantraine, D.E.L.G, s.v. αὐδή.
21 KG II, p. 95 et suiv., Goodwin, 1860, § 853 ; Diggle, 1994, p. 225.
22 Voir Héraclides, 693, Ion, 965, les vers 714 et 1461 des Phéniciennes, Œdipe roi, 101, Électre, 882. On retrouve une construction semblable chez Hérodote (IX, 42).
23 En dépit de son aspect familier, cet emploi, comme le remarque Meschini (1975, p. 217), demeure original et c’est pourquoi ἐν λόγῳ doit être considérée comme une lectio difficilior.
24 Fries ad loc.
25 Voir les exemples cités par Ritchie, p. 114-115.
26 Poe, 2004. Voir contra Liapis, 2013, p. 242-243.
27 On ignore à quel moment exact entre Dolon : Taplin, 1977, p. 8, n. 1. On peut considérer cependant qu’il fait son entrée au vers 154.
28 L’adjectif est une variante de φιλόπολις : voir Sept, 176.
29 Le nom d’Eumède est aussi signifiant : il désigne celui qui « pense bien » (εὖ μήδομαι).
30 Pearson, 1917, p. 57-68.
31 Voir aussi l’interprétation de Fantuzzi, 2016, qui voit ici la mise en scène du débat politique sur la meilleure façon de récompenser un bienfaiteur de la cité.
32 Pucci, 1995, p. 92, n. 13. Voir aussi le personnage d’Ulysse dans le Philoctète, qui fait du κέρδος un critère pour l’action (v. 111). Le terme κέρδος peut avoir une connotation péjorative et désigner le profit personnel gagné aux dépens d’autrui, souvent par ruse (Antigone, 222 ; Œdipe roi, 388). Voir à ce propos, Blundell, 1989, p. 187.
33 Braun, 1978, p. 79.
34 Sur la valeur de ἀλλά ici, voir Denniston, GP, p. 9 et suiv.
35 La graphie Ἰλεύς est attestée chez Hésiode (fr. 235 M-W), Stésichore, Pindare et chez les scholiastes d’Homère.
36 Denniston, GP, p. 334.
37 Sur le petit Ajax, voir le commentaire de Kirk (1985-1993) au vers 527 du chant II. En dépit du rôle important qu’il joue dans l’Iliade et de son association au combat avec le « grand » Ajax, il n’a pas une réputation héroïque à la hauteur de son homonyme.
38 Zanetto, 1998, n. 24.
39 Burnett, 1985, p. 21 et p. 179, n. 23.
40 Au chant XVII de l’Iliade, il essaiera de prendre les chevaux d’Achille mais en vain.
41 Chez Aristophane (Cavaliers, 733) on trouve le terme ἀντεραστής, « rival en amour ». Au vers 544 d’Agamemnon, le verbe a le sens différent d’« aimer en retour ».
42 Comme le remarque Bond (1996, p. 258), les chevaux remplacent ici les femmes comme objet de litige.
43 Judet de La Combe, 2001, p. 355.
44 Feickert et Fries ad loc.
45 Pour d'autres exemples, voir Ritchie, 1964, p. 116 et suiv.
46 Meschini, 1975, p. 218 et suiv.
47 Schnapp-Gourbeillon, 1981, p. 51.
48 Pour ce passage, voir Plichon, 2013.
49 À propos du vers 211, Miralles (1983) suggère que le poète joue sur le sens du mot κῶλον. Il se base sur la citation de ce vers que fait Marius Victorinus dans sa Grammaire latine (VI 54, 5 Keil) au sujet des côla métriques. Les quatre pattes du loup correspondraient aux quatre membres du mètre iambique et le poète du Rhésos relierait ainsi la démarche du loup au rythme iambique.
50 Le LSJ cite comme parallèle le vers 888 des Troyennes : δι' ἀψόφου βαίνων κελεύθου. Mais le mot κέλευθος y a plutôt le sens traditionnel de « chemin ».
51 Bond, 1996, p. 259.
52 Iliade X, 23-24 et 177.
53 Iliade X, 29.
54 Voir Brommer, 1973, p. 424, Lissarague, 1980, p. 3-30 ; Burlando, 1997, p. 58 et suiv.
55 κατ’ est le texte des manuscrits corrigé par Pierson en καί. Pour les différentes interprétations de ce texte difficile, voir Biehl, 1997.
56 Bernacchia, 1990, p. 43.
57 Jesi, 1979, p. 141-157 ; Bond, 1996, p. 260 ; Burlando, 1997, p. 63 et suiv.
58 Le grand-père d’Ulysse, Autolycos, porte un nom qui l’apparente au loup. Le loup est également associé à la ruse chez Pindare, Pythique II, 83-85.
59 Parry (1964, p. 286) analyse justement cette thématique spéculaire.
60 Sur une des céramiques représentant le meurtre de Dolon, une coupe à figures rouges attribuée à Onésimos (Brommer, 1973, 424 BI), on voit Hermès qui se détourne de Dolon.
61 Nagy, 1994, p. 180 et suiv.
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