Introduction
p. 7-15
Texte intégral
1Restituer au vaudeville sa dynamique essentielle, en l’observant à partir du plateau, telle est la perspective de cet ouvrage, qui a réclamé des approches croisées, à la lisière entre l’exploration génétique et la réflexion esthétique. Longtemps voué à être monté plutôt qu’analysé, ce genre protéiforme, sans poétique propre, a dû attendre les années 1970-1980 pour accéder au rang d’objet d’étude dramaturgique1. Il a désormais sa littérature critique2. On connaît ses sujets de prédilection : intrigues sentimentales, satires de la poursuite du pouvoir ou de l’argent. On a identifié ses moyens structurels (scènes de farces, quiproquos, mauvaises rencontres, complications de tous ordres) et ses ressorts spécifiques, « folies » ou situations absurdes, rythme soutenu, comique leste, jeux sur les mots. Il n’en reste pas moins que l’apport de la scène dans la composition initiale des textes, ainsi que dans leur transformation, reste à examiner. De plus, si la critique savante et les théâtres subventionnés ont fini par reconnaître ce genre visant « un public populaire et bourgeois en quête d’action et d’une peinture de soi amusante et réconfortante à la fois3 », c’est en raison de ses innovations spectaculaires, ainsi que de l’engouement qu’il n’a cessé de susciter.
2Pour conserver, au fil du temps, la légèreté et le succès de cette forme-caméléon, les vaudevillistes ont dû et su s’adapter à des contextes de représentation variés, que les quelques brouillons et livrets de souffleur, mais aussi les correspondances, témoignages et l’abondante critique dramatique du xixe siècle nous aident à reconstituer. D’abord chanson satirique, puis pièce comique à l’intrigue rudimentaire, le vaudeville qui triomphe à la fin du xviiie siècle dans les foires Saint-Germain et Saint-Laurent se définit par une contrainte : des couplets chantés interrompent la trame dramatique et le dialogue. Cette hybridité lui est en effet imposée par les théâtres officiels qui redoutent sa concurrence : la Comédie-Française entend rester le seul théâtre où l’on déclame continûment et l’opéra se veut le seul genre intégralement chanté. Mais le vaudeville n’est pas à court d’astuces scéniques pour continuer à exister ; les acteurs, un temps interdits de chanter, tendent au public des écriteaux indiquant les paroles de couplets que les spectateurs fredonneront eux-mêmes sur des airs connus. La suppression du « privilège » des théâtres officiels le 13 janvier 1791, la création du Théâtre du Vaudeville en 1792, contribuent à l’épanouissement du genre qui, à l’heure de la spécialisation des théâtres, se joue aussi sur des scènes historiques (les Variétés, les Nouveautés), avant de faire les beaux jours du Gymnase et du Palais-Royal4. De la Révolution à la Restauration, aux côtés des « vaudevilles-farces », parodies ou « folies-vaudevilles » les plus farfelues, le genre se mêle peu à peu de morale (Fanchon la vielleuse de Jean-Nicolas Bouilly et Joseph Pain, 1803) ; des pièces dites « de circonstance » touchent à la politique (Les Bateliers du Niémen, de Désaugiers, Francis, Moreau, 1807, pièce à la gloire de l’Empire), à l’actualité (Les Montagnes russes, d’Eugène Scribe, 1816). Mais « vite écrit, vite monté, vite oublié, le vaudeville doit être vite remplacé5 » : cette remarque de Léon Métayer pour les années 1800-1840 demeure en grande partie valable au fil du xixe siècle. Il faut admettre que de nombreux auteurs ou théâtres spécialisés dans ce genre ont, depuis le xviiie siècle, moins parié sur la littérarité des œuvres portées à la scène que sur le savoir-faire comique de leurs artistes – ces derniers, rompus au chant, à la danse, à un jeu énergique, souvent rapide et parfois acrobatique, garantissaient par leur science du plateau le retour des spectateurs et le succès des pièces. Toutefois de grands noms font évoluer la dramaturgie vaudevillesque par leur fréquentation de théâtres ou d’artistes spécifiques. En écrivant pour le Gymnase, théâtre qui se prête aussi au mélodrame, Eugène Scribe fédère les publics. L’intrigue du vaudeville se renforce en deux ou trois actes et gagne en cohésion quitte à perdre des couplets, et voilà que Scribe rapproche ce genre mineur de la grande comédie, qu’il pratique pour la Comédie-Française. Quant à Labiche, il fait jouer, parmi les comédiens habitués au jeu outrancier et grotesque du Palais-Royal, des interprètes adeptes d’une plus grande nuance ; il soigne encore la cohésion dramatique de pièces qui développent avec une grande rigueur les sujets les plus fantaisistes, au point que les délires meurtriers de sa folie-vaudeville L’Affaire de la rue de Lourcine (1855) inquiètent la censure. En 1864, surtout, se dessine une mutation cruciale : avec les décrets sur la liberté des théâtres, la contrainte des couplets chantés n’a plus lieu d’être. Le terme « vaudeville » ne disparaît pas pour autant : Henry Gidel note que « [l]a plupart des critiques, parmi lesquels Francisque Sarcey, persistèrent à appeler vaudeville toute pièce gaie qui, sans prétention littéraire, psychologique ou philosophique, reposait sur le comique de situation6 ». Mais il faut désormais redoubler d’inventivité face à la concurrence des genres musicaux, comme l’opérette ou le café-concert en pleine ascension. Cela implique des mutations dont il s’agit de prendre acte, sans forcément chercher à construire des distinctions poétiques rigides, qui ne refléteraient pas la labilité du terme « vaudeville ». On peut, par exemple, rappeler les différences terminologiques entre « vaudeville » et « boulevard ». Le « boulevard » renvoie originellement à un lieu, le boulevard du Temple ou « boulevard du Crime », connu pour ses nombreux théâtres, particulièrement voués au mélodrame. De plus, il existe aussi le « boulevard sérieux » qui emprunte au drame pour traiter de questions de société, à l’opposé de l’orientation résolument comique du vaudeville. La question s’avère plus complexe après la disparition des couplets. Le vaudeville garde le goût de l’exploitation maximale du comique et d’une exacerbation spectaculaire des moyens visuels et musicaux venant scander la trame narrative. L’importance du rythme se devine d’ailleurs dans l’opposition suggérée par Michel Corvin entre « vaudeville-espace » et « boulevard-temps7 ». Le « vaudeville-espace » se structurerait autour des intrusions ou expulsions énergiques des personnages d’un plateau piégé, compartimenté, encombré de cachettes, qu’il convient de traverser rapidement : c’est donc aussi la temporalité du mouvement scénique qui est touchée. Le « boulevard-temps » privilégierait davantage la durée, propice à la conversation ou à l’analyse psychologique dans l’espace feutré du salon. Si cette distinction peut être nuancée et si cette terminologie reste problématique au xxe siècle, il faut accuser aussi cette porosité des genres comiques qui a toujours transformé le vaudeville depuis les origines8. Ainsi Sardou fait-il trembler les frontières, et les évolutions qu’il fait subir au vaudeville contribueront à sa définition trouble et fluctuante. Inspiré par les intrigues retorses d’Alfred Hennequin dans les années 1880, Feydeau a quant à lui touché l’extrême fantaisie par des actions complexes et plausibles en même temps. Bien plus, c’est par sa pratique scénique qu’il donne aussi au vaudeville ses lettres de noblesse : directeur d’acteurs exigeant, il « corrig[e] l[e] jeu » de « colosses du rire », de « vieux routiers », « [lui], le presque débutant9 » ; il recrute des acteurs à la gestuelle trépidante comme Galipaux, des danseuses comme Cassive, des comiques troupiers comme Polin, réclamant « sincérité10 » dans l’exagération. Les didascalies du texte imprimé attestent l’expérience du plateau de cet homme-orchestre attentif au bon fonctionnement des décors comme à l’utilisation optimale d’accessoires facilement maniables11.
3Le travail sur la genèse de l’écriture vaudevillesque invite donc à faire des allers-retours entre ce qui s’est tracé sur la page et ce qui s’est passé sur le plateau. Il nécessite de prendre en compte la part de l’acteur à la composition du rôle, la part des exigences des directeurs de théâtre à la conception de pièces souvent écrites en collaboration12, la part des conditions financières ou des dimensions limitées du plateau à l’élaboration d’un espace dramatique, la part des réactions du public au développement ou à la réduction d’une scène. La connivence des comédiens avec la salle, nourrie par les apartés et adresses frontales du vaudeville, contribue à fidéliser le public : ces habitués, venus aussi tester les qualités d’un auteur et les nouvelles prouesses d’un acteur, se veulent les partenaires sourcilleux du « jeu13 » théâtral à l’œuvre que Francisque Sarcey assimile à une partie d’échecs. Ce jeu de vases communicants entre écriture dramatique et invention scénique tient à « l’inachèvement constitutif du théâtre », pointé par Almuth Grésillon, Marie-Madeleine Mervant-Roux et Dominique Budor dans leur ouvrage Genèses théâtrales :
On distingue […] dans le théâtre occidental moderne, plusieurs étapes codées de fixation (ou de non-fixation) de la réalisation : l’étape précédant la rencontre avec le public, elle-même modulée par la « couturière », la « générale » et la « première » ; une deuxième étape, qui suit immédiatement cette rencontre : les réactions des salles guident alors les praticiens pour la correction du travail ; enfin, toutes les phases qui correspondent à des reprises. De même, il existe une grande variété de réponses à l’incomplétude du jeu : chaque soir, le spectacle renaît, car les acteurs sont bien vivants et les assistances toujours différentes. Les représentations successives ne doivent pas être considérées comme les occurrences d’un objet esthétique achevé, mais comme autant de genèses démultipliées dans le temps14.
4Cette observation vaut autant pour la création des textes, au xviiie et au xixe siècles, que pour leur remise en chantier, au xxe siècle. Se produit ainsi, sous l’égide du metteur en scène, une nouvelle genèse, qui s’autorise parfois à couper le texte initial, parfois à lui adjoindre des extraits allogènes (chansons, citations, répliques improvisées, etc.), et où acteurs, scénographes, costumiers, éclairagistes et spectateurs, prennent une part essentielle. Méprisé par ceux qu’on a nommés les « patrons » du théâtre français (Antoine, Copeau, Vilar), le répertoire vaudevillesque a néanmoins suscité une grande liberté d’interprétation de la part des metteurs en scène qui n’ont pas hésité à en réinventer le sens et les codes. Pour montrer que « le style n’est jamais que le cliché du style », Vitez préconisait par exemple, dans ses exercices pédagogiques, de jouer Feydeau à la manière dont on joue habituellement Strindberg, « lente-ment, avec de longues pauses pour la réflexion et l’angoisse – les brumes du Nord, vous savez15 ». Le fait est que, durant ces dernières décennies, le vaudeville en a vu de toutes les couleurs. Il s’est montré noir et grinçant avec les mises en scène de Chéreau, de Vincent et Jourdheuil, imprégné de l’esthétique de la bande dessinée, avec postiches et gags, chez Nordey, Bourdet ou Benoît, ou mâtiné de l’étonnement du clown, chez Sivadier ou chez Deschamps. Il est arrivé que, la même année, coexistent des versions antithétiques d’une même œuvre dramatique, comme en 1991, La Dame de chez Maxim par Françon et par Murat. Néanmoins, au fil du siècle de la mise en scène, ce qui ressort, ce sont les héritages cycliques et la manière dont chaque génération a réinvesti le genre, soit en s’inspirant, soit en s’écartant de celle qui l’a précédée. Il serait ainsi aisé de montrer quelles filiations s’établissent entre la version des Trente Millions de Gladiator par Léon Moussinac en 1934 au Théâtre juif de Moscou, la vision d’un Labiche « nihiliste16 » exposée par Bernard Dort en 1958, et l’adaptation de La Cagnotte qu’ont faite Vincent et Jourdheuil en 1977. À l’inverse, on pourrait s’amuser à traquer le mouvement de balancier qui fait porter l’intérêt des créateurs et du public, tantôt vers la dimension satirique des œuvres (dans les années 1960-197017), tantôt vers l’incongruité des situations (dans les années 1940-195018, puis de nouveau dans les années 1980-200019). Si les relectures du genre orientent le rire dans des directions diverses, une constante demeure : boîte à outils, machine à jouer, le vaudeville n’en finit pas de réinventer ses ficelles et de métaphoriser la fabrique théâtrale.
5La partie « Enquêtes » de cet ouvrage se propose tout d’abord d’examiner de façon diachronique le traitement scénique du vaudeville, à travers deux grandes périodes : la création vaudevillesque de la fin du xviiie aux débuts du xxe siècle, avec ses enjeux scéniques propres, puis les tentatives des metteurs en scène ultérieurs pour se réapproprier les codes d’un répertoire devenu patrimonial au fil des reprises et centré sur les deux figures majeures de Labiche et Feydeau. Le vaudeville, maintes fois déclaré mort, puis ressuscité, s’est réinventé par la pratique scénique. Pour traverser l’histoire du vaudeville à la scène, il s’avère nécessaire d’opérer avec Guy Spielmann une mise au point terminologique initiale pour examiner un curieux transfert artistique : le « vaudeville », chanson plaisante, est devenu un genre dramatique à part entière. L’essor du vaudeville sur les scènes des théâtres secondaires, dans les années 1820, ne peut se comprendre sans évaluer la part des contraintes matérielles propres à ces établissements : Roxane Martin étudie l’influence des lieux, des directeurs de théâtre et des moyens spécifiques consacrés aux costumes pour définir l’ingéniosité scénique des professionnels du vaudeville. Jean-Claude Yon analyse ensuite comment, sous la Restauration, Eugène Scribe conçoit ses vaudevilles en fonction des conditions de production spécifiques au Théâtre du Gymnase. C’est aussi et surtout le comédien qui est à l’honneur dans le vaudeville : Olivier Bara examine la part des acteurs dans les créations de Labiche pour le Palais-Royal ; c’est la définition même d’un jeu vaudevillesque qu’interroge Anne Pellois en caractérisant l’interprétation des premiers acteurs de Feydeau. Ce dernier ne cherche pas seulement à élaborer une partition scénique : son geste créateur semble comprendre aussi la direction de la mise en jeu et de la mise en espace de ses pièces. Alice Folco se demandera donc si Feydeau peut endosser pleinement la fonction de metteur en scène alors émergente en France ou s’il devra déléguer ce rôle à la postérité. Cette question nous permet d’envisager sous un autre angle le vaudeville au cours du siècle de la mise en scène. Comment les reprises cherchent-elles à réinvestir ce genre artisanal, devenu répertoire ? Les deux figures tutélaires de Labiche et Feydeau ont particulièrement inspiré les créateurs des xxe et xxie siècles – et quelque peu éclipsé la variété originelle du genre. C’est donc sur ces deux auteurs que les contributions suivantes se sont concentrées. Force est de constater que leurs pièces sont celles qui ont le plus stimulé les metteurs en scène, à la fois par la dynamique de jeu qu’elles suscitaient, et parce qu’elles se trouvent à la lisière entre rire franc (lié à la virtuosité physique et verbale) et rire critique (révélateur des mécanismes et systèmes sociaux). S’emparer du vaudeville, est-ce uniquement régénérer une tradition ? Léon Moussinac marque sans doute la première tentative significative pour transformer Labiche et lui donner une dimension politique, mise en avant par Romain Piana. Ariane Martinez précise ensuite le travail opéré par Jean-Louis Barrault, réhabilitant Feydeau par le plateau. Aurélie Coulon et Sidonie Han examinent les interprétations contemporaines de Feydeau à l’aide des maquettes des scénographes des années 2000. Séverine Ruset explique comment l’image du genre est également tributaire des lieux qui choisissent de programmer des vaudevilles20. Enfin, ce sont les choix des metteurs en scène qu’il faut observer : depuis les années 1960, se dessine une esthétique contrastée du vaudeville de Labiche, analysée par Armelle Talbot. Christophe Triau montre combien Klaus Michael Grüber joue de l’écart et du décalage dans L’Affaire de la rue de Lourcine (1988). Les années 2000, elles, rendent pleinement hommage à Feydeau : Violaine Heyraud évoque le recyclage contemporain des ficelles vaudevillesques qui renouvelle la lecture de ses comédies-vaudevilles.
6La partie de l’ouvrage « En création » consiste en un florilège de témoignages d’artistes (acteurs et metteurs en scène) sur le processus de création scénique, depuis le choix du répertoire vaudevillesque jusqu’au moment des représentations, en passant par les questions de production et les répétitions, avec leur cortège de tentatives, en matière de jeu, de scénographie, de rythme. Constituée en partie de documents d’archives (dossiers de presse, notes d’intention), en partie d’entretiens inédits menés avec les artistes, cette anthologie s’achève sur le rire qui peut aussi bien porter le spectacle que le saccager – par son absence, voire par sa présence à contretemps. Il nous a paru qu’il y avait, dans ce rire-symptôme, si divers selon les époques traversées, la manifestation sonore d’une emprise du spectateur sur la fabrique de l’œuvre vaudevillesque.
Notes de bas de page
1 En 1986, Henry Gidel affirmait être l’auteur de la toute première étude d’ensemble consacrée au genre (Henry Gidel, Le Vaudeville, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1986). Il en retraçait les mutations, des « vaux-de-vire » et « voix-de-ville » des xvie et xviie siècles, jusqu’aux triomphes de Boeing-Boeing de Marc Canoletti (1960) et de La Cage aux Folles de Jean Poiret (1973), pièces héritières, à ses yeux, de la comédie à rebondissements reposant sur le comique de situation. En 1994, le numéro 786 de la revue Europe, dirigé par Jean-Marie Thomasseau, proposait un parcours diachronique à travers quatre siècles de vaudeville, avec des articles précis consacrés aux périodes et aux auteurs-clefs du genre : du théâtre italien de Gherardi au xviie siècle en passant par les débuts de la foire, la Révolution, l’Empire et la Restauration, les succès d’Eugène Scribe, de Labiche et de Feydeau, l’ouvrage traitait de l’épineuse distinction entre boulevard et vaudeville, pour enfin questionner son regain de succès auprès des metteurs en scène du théâtre public.
2 Les auteurs du xixe qui s’y sont, entièrement ou partiellement consacrés, ont suscité un nombre conséquent d’analyses. L’intérêt de la critique, ancien pour Labiche, notamment autour de Philippe Soupault (Eugène Labiche, sa vie, son œuvre, Paris, Sagittaire, 1945) et de Jacqueline Autrusseau (Labiche et son théâtre : essai, Paris, L’Arche, coll. « Travaux », 1971), s’étend depuis quelques années à d’autres grands auteurs du vaudeville, objets de nouvelles lectures dans des travaux universitaires qui montrent l’interaction forte entre leurs mécanismes dramatiques et leur inscription dans la société. C’est le cas, par exemple, d’Eugène Scribe (outre la publication de Jean-Claude Yon, Eugène Scribe : la fortune et la liberté, Paris, Nizet, 2000, notons le colloque « Eugène Scribe, un maître de la scène théâtrale et lyrique au xixe siècle », universités de Lyon 2 et de Saint-Quentin-en-Yvelines, organisé par Olivier Bara et Jean-Claude Yon en juin 2011) et de Victorien Sardou : Guy Ducrey (dir.), Victorien Sardou un siècle plus tard, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007 ; Isabelle Moindrot (dir.), Victorien Sardou, le théâtre et les arts, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le Spectaculaire », 2011. La dramaturgie de Feydeau a elle aussi été repensée, et son fonctionnement répétitif a été mis en relation avec l’histoire scientifique et médicale de la fin de siècle (Violaine Heyraud, Feydeau, la machine à vertiges, Paris, Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2012).
3 Florence Naugrette, Le Plaisir du spectateur de théâtre, Rosny-sous-Bois, Bréal, 2002, p. 100.
4 Ces deux théâtres furent respectivement créés en 1820 et 1830.
5 Léon Métayer, « Le Vaudeville de l’Empire et de la Restauration », Europe, no 786, Le Vaudeville, Jean-Marie Thomasseau (dir.), 1994, p. 40.
6 Henry Gidel, Le Vaudeville, ouvr. cité, p. 72-73.
7 Michel Corvin, « Entre vaudeville et boulevard », Europe, no 786, Le Vaudeville, ouvr. cité, p. 91-100.
8 Aussi ne nous interdirons-nous pas, dans cet ouvrage, de citer quelques comédies de Labiche ou de nous pencher sur les pièces conjugales en un acte de Feydeau, démontrant l’influence croisée du vaudeville, de la farce médiévale et de la saynète de Courteline pour ces petites comédies de mœurs telles que Feu la mère de madame et On purge Bébé !
9 Georges Feydeau, lettre à Serge Basset publiée dans Le Figaro, 9 mai 1911 : souvenirs de la création d’Un fil à la patte (1894) à l’occasion de la reprise.
10 Georges Feydeau, Monsieur chasse !, acte I, scène iii.
11 Feydeau précise comment pratiquer un effet de courant d’air dans le texte d’Un fil à la patte (1894), ou comment bien casser un pot de chambre de porcelaine dans On purge Bébé ! (1910).
12 Parmi les collaborateurs de Labiche, citons par exemple Marc-Michel, Auguste Lefranc, Alfred Delacour, Édouard Martin, mais aussi Edmond Gondinet et Émile Augier.
13 « Avez-vous quelquefois vu jouer aux échecs ou aux dames par deux forts joueurs ? Il y a de même aujourd’hui entre les vaudevillistes et le public une stratégie convenue de mouvements et d’effets. Quand le vaudevilliste pousse un pion d’une certaine façon, et en de certaines positions, il n’est pas un spectateur qui ne comprenne ce que cela veut dire, et qui n’attende la suite. Nous et Gondinet devinons tous à demi-mot ; car nous savons le jeu. » (Francisque Sarcey, Le Temps, 17 janvier 1870 au sujet du Plus Heureux des trois de Labiche et Gondinet, dans Quarante ans de théâtre, vol. IV, Paris, Bibliothèque des Annales politiques et littéraires, 1901, p. 402.)
14 Almuth Grésillon, Marie-Madeleine Mervant-Roux, Dominique Budor, Genèses théâtrales, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 23.
15 Antoine Vitez, Écrits sur le théâtre, IV : La Scène 1983-1990, édition établie et présentée par Nathalie Léger, Paris, P.O.L, 1997, p. 50.
16 « Car rien ne résiste à Labiche : ce vieux bonhomme à favoris est, avec Feydeau, le plus grand nihiliste de notre théâtre. Lisons-le sans préjugés : l’amour, la fidélité, l’honneur, le sens du devoir, les vertus du travail et de l’épargne… Tout cela y fait long feu. Seul l’argent tient bon. C’est lui qui mène la ronde. Il permet d’acheter, il pousse à vendre, des objets ou des hommes, il n’importe. » (Bernard Dort, « La Poudre aux yeux, comédie en deux actes d’Eugène Labiche et Édouard Martin, et Les Trente Millions de Gladiator, comédie-vaudeville en quatre actes d’Eugène Labiche et Philippe Gille, décors et costumes de Dignimont, musique d’Olivier Bernard, mise en scène de Jean Meyer, à la Comédie-Française, salle Richelieu », Théâtre populaire, no 32, 4e trimestre 1958, p. 127.)
17 « On a déjà noté qu’en Feydeau le satiriste était supérieur au vaudevilliste et vieillit mieux » (Philippe Hériat de l’Académie Goncourt, « Le style d’Amélie », Cahiers de la Compagnie Madeleine Renaud - Jean-Louis Barrault, no 32, La Question Feydeau, décembre 1960, p. 24.)
18 Lire à ce sujet Roland Barthes, au sujet du Plus Heureux des trois de Labiche et Gondinet, mis en scène par Robert Postec au Théâtre de la Huchette en 1956, article de Théâtre populaire, juillet 1956, cité dans Écrits sur le théâtre, textes réunis et présentés par Jean-Loup Rivière, Paris, Seuil, 2002, p. 193-195.
19 Georges Lavaudant expliquait en 1994 qu’il n’avait pas monté Un chapeau de paille d’Italie pour son caractère satirique : « On insiste souvent là-dessus pour se donner une sorte de caution. Ce n’est pas ce qui m’intéresse, et j’ose espérer qu’il existe dans le théâtre français des œuvres qui critiquent la bourgeoisie d’une manière plus forte et plus lucide. » (Georges Lavaudant, interrogé par Raymonde Temkine, dans Europe, no 786, Le Vaudeville, ouvr. cité, p. 117.) Stanislas Nordey renchérissait, une décennie plus tard, en ces termes : « D’ailleurs, ce qui plaît aux jeunes qui découvrent Feydeau, c’est moins la satire de la bourgeoisie que la démesure des situations. » (Stanislas Nordey, propos recueillis par Sylvie Roux, La Dépêche, 20 novembre 2003.)
20 Notons que la prise en compte des questions de production dans la génétique théâtrale est récente : « Ce sont les artistes qui en ont parlé, ne dissociant pas les contraintes matérielles et socioculturelles de ce que les critiques décrivent souvent comme de pures décisions artistiques » (Almuth Grésillon, Marie-Madeleine Mervant-Roux, Dominique Budor, Genèses théâtrales, ouvr. cité, p. 16-17).
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