Chapitre 14
De 1883 à 1900 : une longue mise en sommeil
p. 229-246
Texte intégral
1884-1887
1Une fois l’émotion de l’affaire Oberdan retombée, mais pas oubliée, l’irrédentisme entra dans une longue phase d’hibernation dont il ne sortit qu’à l’aube du xxe siècle. À partir de 1883, les plus raisonnables parmi les irrédentistes faisaient les constats suivants :
[1] Une guerre contre l’Autriche apparaissait comme impossible, impensable.
[2] Les conditions nécessaires pour entreprendre une action par le moyen d’une bande de volontaires, s’évanouissaient un peu plus chaque jour, apparaissant pour le moins inefficace dans le contexte européen de cette époque. Et puis, de telles audaces collectives, auraient eu des conséquences incalculables, tant pour l’Italie que pour les irrédents mêmes, en faveur desquels on entendait agir1.
Quand en janvier 1885, à l’invitation de la Grande-Bretagne, l’Italie occupa le port érythréen de Massaoua, les irrédentistes ne s’y trompèrent pas : le gouvernement italien « allait à Massaoua pour confirmer l’abandon de toute velléité d’expansion vers les Alpes rhétiques et juliennes2 ».
2Le 3 juillet 1885, Mancini quitta la Consulta, déclarant : « Le souhait que j’exprime est que les deux monarchies [Savoie et Habsbourg] continuent à marcher sur la voie de l’ordre et de la collaboration mutuelle, dans laquelle ils trouveront leur sécurité et leur bien-être3. »
3Il fut question, pour le remplacer, du comte Joseph Tornielli-Brusati di Vergano. Mais celui-ci passant pour hostile à la Triplice, tant Vienne que Berlin le blackboulèrent. Après un long intérim, le 6 octobre 1885, Carlo di Robilant, ambassadeur à Vienne depuis 1871 et tripliciste convaincu, fut nommé ministre des Affaires étrangères. Costantino Nigra alla le remplacer comme ambassadeur à Vienne.
4Le 19 décembre 1885, un vif incident eut lieu à la Chambre. Robilant ayant traité de « buffoni » les irrédentistes, leurs sympathisants (peu nombreux, mais bruyants) répliquèrent : « Fuori l’austriaco! Fuori il tirapiedi dell’Austria! Ritornate in Austria! Rufiano di corte! »
Mais toute cette agitation restait finalement superficielle et, le 4 mai 1886, l’ambassadeur Ludolf envoya un rapport où il décrivait l’irrédentisme comme désormais marginal, mais pratiquant justement une sorte de fuite en avant pour continuer à exister. Les cercles et associations républicaines et irrédentistes, l’un allant alors souvent avec l’autre, multipliaient les manifestations où se faisaient entendre des cris hostiles à l’Autriche. Adoptant, en somme, la tactique de ces brigands napolitains qui, quand ils sont dix, font du bruit comme s’ils étaient cent. Ces provocations aux allures de charivari étaient plus bruyantes que dangereuses, mais empoisonnaient les relations entre les deux alliées. Le 19 avril 1886, le consul austro-hongrois Cozzi, après avoir répété que l’irrédentisme était très minoritaire, observait, prémonitoire : « Si jamais l’Autriche est mêlée à une guerre, l’aspiration aux terres irrédentes deviendra dominante en Italie4. »
5En 1886, à Pise, Carducci proclama : « Je crois rendre au roi d’Italie le plus grand honneur quand je l’imagine à cheval sur les Alpes juliennes, à la tête de son peuple, traçant avec l’épée les frontières de la plus grande nation latine5. » Mais, en inaugurant à Bologne, le monument à Oberdan, quelques semaines plus tard, il se fit plus modéré :
Faire ostentation de paroles quand manque la force intérieure, lancer des menaces qui n’arriveront pas à la cible est ridicule. Nous discourons trop : préparons et préparons-nous, éduquons et éduquons-nous à réaliser la dernière revendication nationale… Nous ne voulons pas d’une guerre immédiate avec l’Autriche-Hongrie… La Vénétie julienne, c’est l’Italie, la principauté de Trente, c’est l’Italie ; à Trieste, dans l’Istrie et toute la Vénétie julienne, rien d’autre que l’Italie ne doit succéder à l’Autriche. Si personne n’a le droit d’entraîner dans des conflits incertains la patrie avant qu’elle n’y soit préparée […] notre devoir est la propagande incessante, fidèle, religieuse [sic] pour induire dans la majorité la conviction que l’Italie n’est pas encore accomplie et qu’elle ne peut être, ni forte, ni sûre, ni stable, sans ses frontières naturelles et militaires6.
En d’autres termes, le rattachement des terres irrédentes était irréaliste pour l’instant. Mais il fallait s’y préparer pour le jour où l’Autriche cesserait d’exister.
6Cette agitation n’empêcha pas la Triplice d’être renouvelée, et même renforcée, le 20 février 1887. Le boulangisme en France, les prémices d’un rapprochement franco-russe et l’agitation panslaviste dans les Balkans, en particulier en Bulgarie, avaient inquiété les Empires centraux. Les émissaires de Robilant eurent donc les moyens de négocier en position moins défavorable que ceux de Mancini en 1882. « Bismarck voulait entourer la France d’un cercle de fer et se servir de l’Italie pour une guerre, jugée dès lors certaine7. »
7L’Italie parvint à négocier deux avantages : le premier était que Berlin s’engageait à appuyer l’Italie contre la France si un conflit éclatait sur une question coloniale. Une convention militaire, signée le 1er février 1888, prévoyait même l’envoi de troupes italiennes sur le Rhin en cas de guerre franco-allemande8.
Le second avantage était que l’Autriche-Hongrie, en cas de modification du statu quo dans les Balkans, promettait de consulter préalablement l’Italie et de lui réserver une « compensation ». Mais ces « compensations » concernaient-elles les terres irrédentes, ou bien des terres balkaniques, en Albanie par exemple ? Cela restait ambigu.
8Les militaires italiens firent remarquer que, si la Triplice contenait les menaces françaises sur la plaine du Pô, elle laissait sans protection le Sud et les îles. Bismarck, avec une remarquable habileté, sut associer la Grande-Bretagne à son système d’alliance anti-français : le 12 février 1887, un accord anglo-italien, l’Entente de la Méditerranée, fut conclu, sous les auspices de Bismarck. Souhaitant le maintien du statu quo en Méditerranée (étendue à l’Adriatique et à la mer Noire) il s’opposait, implicitement, à toute expansion française ou russe. L’accord prévoyait que, au cas où ce statu quo serait remis en question, Londres et Rome s’accorderaient pour établir une action commune. Le 24 mars 1887, l’Autriche-Hongrie s’y associa. Puis ce fut le tour de l’Espagne, le 4 mai. 1887 marqua, sans doute, l’apogée du système Bismarck ; et de la carrière de Robilant.
9Mais celui-ci ne put pas savourer sa victoire longtemps : le 26 janvier 1887, 430 soldats italiens9 avaient été massacrés dans une embuscade à Dogali, en Érythrée. Le 7 février, au Parlement, le ministre avait déjà dû faire face à une bronca des députés, répondant aux cris de « Vile! (Lâche !) » en agitant son bras mutilé. Mais, le 4 avril 1887, il n’eut finalement d’autre choix que de démissionner, à la grande consternation de Vienne, où Robilant passait, à juste titre, pour un ami de l’Autriche.
10Depretis mourut le 29 juillet 1887 ; pour lui succéder, le roi Humbert choisit Francesco Crispi. Le 1er octobre 1887, celui-ci fut reçu par Bismarck à Friedrichsruh10, où on aborda le sujet de l’irrédentisme. Crispi se voulut d’abord rassurant : « L’irrédentisme, c’est de l’histoire ancienne11 », poursuivant :
Moi, je ne demande pas de privilège pour la population italienne [qui vit en Autriche-Hongrie]. Je demande seulement qu’elle soit traitée comme les autres nations de l’Empire. Le gouvernement autrichien y gagnerait, car il enlèverait tout motif aux doléances et se la concilierait. Vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point ces avanies nuisent [à la Triplice] et dans quel embarras l’Autriche met le gouvernement italien. Chaque fois qu’arrivent en Italie des nouvelles de violences faites aux Italiens d’Autriche, le sentiment national se réveille et les partis politiques en tirent prétexte pour troubler la paix publique12.
11À Vienne, on savait bien ne pas pouvoir demander à Crispi « de déclarer solennellement à la Chambre que l’Italie renonçait pour toujours à Trente et à Trieste13 » ; mais Vienne répétait qu’il n’était pas question pour l’Autriche de céder un pouce des terres irrédentes, même comme gage de bonne volonté. Le 16 juin 1888, l’ambassadeur austro-hongrois à Rome, Bruck rapporta que son collègue allemand, Solms, lui aurait dit : « Quelle est la taille de ce Trentin, ridicule n’est-ce pas ? » Ce à quoi, Kálnoky, le 4 juillet, rétorqua : « “Le soi-disant Trentin” correspond à peu près en superficie à la partie de la Lorraine actuellement occupée par l’Allemagne. […] L’Allemagne renoncerait-elle à l’Alsace-Lorraine dans l’intérêt de la paix en Europe14 ? » Plus que jamais, Italie et Autriche-Hongrie « apparaissent moins comme l’alliée l’une de l’autre que comme les alliés parallèles de l’Allemagne… Une intime cordialité semble impossible15 ».
12Mais les relations franco-italiennes restaient si mauvaises que nul ne voyait d’alternative à la Triplice. Le Gaulois du 23 septembre 1888 n’hésitait pas à écrire : « Si l’irrédentisme existe encore en Italie, c’est contre la France, contre la France seule. » Le 21 août 1888, Crispi effectua un nouveau voyage à Friedrichsruh, puis à Eger le 25, où il rencontra Kálnoky qui le décora de la Grand-croix de l’ordre de Saint-Étienne « en reconnaissance de ses mérites pour le renforcement des étroits liens d’amitié de l’Autriche-Hongrie avec l’Italie ainsi que du concours éclairé et loyal qu’il n’a cessé de prêter à la politique conservatrice commune16 ».
13Le 11 octobre 1888, le nouveau kaiser, Guillaume II, choisit l’Italie pour sa première visite officielle. Contrairement à son grand-père, en 1875, lui se rendit à Rome, après avoir discrètement demandé le nihil obstat de Léon XIII. Cette première visite officielle d’un chef d’État à Rome depuis 1870 était, et pour l’Italie, et pour Crispi, un grand succès diplomatique. Les rapports italo-allemands étaient bons, bien meilleurs que les rapports austro-italiens.
Le 21 mai 1889, le roi Humbert, accompagné de Crispi, rendit à Guillaume II sa visite, alors que l’Exposition universelle de Paris battait son plein17, ce qui n’était sûrement pas un hasard. Il y porta ce toast : « Nos armées sauront accomplir leur grande tâche18. » Humbert avait même été invité aux grandes manœuvres qui devaient avoir lieu en Alsace. Mais il se déroba devant ce qui, en France, aurait été pris pour une provocation19.
14Quant à l’irrédentisme, il peinait à exister. En novembre 1888, Raimondo Batera, secrétaire du Cercle Garibaldi pour l’Italie irrédente s’en plaignait, dans une lettre à Aurelio Saffi : « Qui se souvient aujourd’hui, de nos pauvres terres ? Quelques âmes généreuses pour qui l’intérêt n’étouffe pas les grands idéaux et dans le cœur desquels les doux noms de Trieste et de Trente résonnent aussi doucement que jadis ceux de Rome ou de Venise20. »
15L’agitation irrédentiste en Italie
16Le 13 janvier 1889 se tint à Milan un grand meeting pacifiste, et républicain21. Y étaient présents le député français Gustave Rivet22, le socialiste allemand Wilhelm Liebknecht23, les garibaldiens Edoardo Pantano24 et Amilcare Cipriani25. On scanda : « Vive la République française ! » « Vive Oberdan ! Vive Trente et Trieste ! Vive la République italienne ! » On joua la Marseillaise, l’hymne de Garibaldi.
L’âme des jeunes irrédentistes était enflammée par l’idée que l’année anniversaire de 1889, une révolte éclaterait en Italie, qui renverserait la monarchie des Savoie et instaurerait la République, d’où partirait le signal de la dernière guerre sainte contre l’Autriche. Imbriani promettait, depuis Naples, des armes et des hommes26.
17Imbriani, Bovio et Fratti avaient préparé une affiche virulente dans laquelle Crispi était accusé d’avoir rendu l’Italie « mancipa dello straniero (servante de l’étranger) », et où les Italiens étaient exhortés à se « resserrer autour des noms sacrés de Trieste et de Trente ». Mais Crispi avait interdit l’affichage et, le 19 juillet 1889, il dissout les Comités Trente et Trieste27, ainsi que les cercles Oberdan et l’Associazione in pro dell’Italia irredenta. Fortis, ministre de l’Intérieur, s’y opposa dans un premier temps. Mais « Crispi lui fit remarquer qu’il fallait prouver à l’Autriche que le gouvernement a la volonté et les moyens d’endiguer l’irrédentisme28. » Dans le même mouvement fut interdite une conférence qu’Imbriani devait prononcer à Pavie. La majorité de la presse approuva : « Depuis quelque temps, on se demandait si n’était pas venu le moment de prendre les mesures indispensables au maintien de l’ordre et de la paix29. » Crispi, qui semblait croire dur comme fer à une attaque imminente de la France30, avait besoin de l’appui de ses deux alliés.
La Dante Alighieri et la Lega nazionale
18Comment défendre la langue italienne dans les terres situées au-delà des frontières ? C’est pour relever ce défi que naquirent la société Dante Alighieri, à Rome, le 11 mai 1889 et, deux ans plus tard, en Autriche, la Lega nazionale.
La Dante Alighieri, s’inspirant de l’Alliance française, fondée par Melchior de Vogüé en 1883, se donnait pour but de « protéger et répandre la culture italienne hors du Royaume » en finançant des écoles, des bibliothèques, des conférences31. Menotti Garibaldi en était le président d’honneur, Guerrazzi32 son secrétaire. Ruggiero Bonghi, Carducci, Giuseppe Chiarini, Ernesto Nathan, Ettore Scocci, Giuseppe Abba, Antonio Fogazzaro, Benedetto Croce en furent membres. La Dante Alighieri se voulait apolitique, « absolument laïque, mais non anticléricale33 ». Ses présidents furent Ruggero Bonghi (de 1889 à 1895), puis Pasquale Villari (1895-1903), Luigi Rava (1903-1907) et Paolo Boselli, à partir de 1907.
19La référence à l’auteur de la Commedia, politiquement neutre, « disait tout sans compromettre rien34 ». Après tout, en son temps, Dante avait concilié l’italianité culturelle avec la loyauté à un Empereur germanique. Carducci affirmait : « Pour faire face à l’étranger, aucun autre nom ne serait plus compréhensible et plus significatif que celui de Dante Allighieri35, 36. » Il y eut d’ailleurs plus d’un malentendu à ses débuts, certains la prirent pour une société savante, vouée à l’étude de l’œuvre de Dante… Constatons à nouveau combien l’irrédentisme italien privilégiait les références culturelles et littéraires : Dante, bien sûr, mais aussi Pétrarque, Goldoni ; Carducci, Verdi parmi les contemporains. Et, après 1900, D’Annunzio. Alors qu’à la même époque, les revanchistes français se référaient à des hommes de pouvoir et de guerre, tels Napoléon, Turenne et Kléber…
20Le gouvernement italien ne cacha pas sa méfiance. Pour lui donner des gages de bonne volonté, la Dante affirma s’intéresser aux communautés italiennes émigrées (en France, aux États-Unis, en Amérique latine, sur le pourtour du Bassin méditerranéen) et non aux terres irrédentes. À ces conditions, Crispi et ses successeurs acceptèrent de l’aider, y voyant sans doute un moyen de mieux la contrôler. On se mit d’accord sur une règle tacite de bonne conduite : ne pas admettre d’éléments trop remuants, s’interdire des déclarations fracassantes qui susciteraient des incidents diplomatiques, ne pas avoir d’activités (au moins officielles…) dans les provinces irrédentes, les austro-hongroises tout comme le Tessin, la Corse ou Nice37.
21Et pourtant, on trouvait, parmi les membres fondateurs, Salvatore Barzilai (le seul politique professionnel), Salomone Morpurgo, Aurelio Salmona38, Giacomo Venezian39, tous les quatre issus de la communauté juive de Trieste et irrédentistes au point d’avoir fui leur ville natale pour l’Italie, ce qui ne manquait pas d’inquiéter les autorités, tant de Vienne que de Rome. Jamais la Dante ne put se départir d’une incontestable ambiguïté ; « Bonghi se montrait respectueux des formes diplomatiques et du droit international » et donc, de la Triplice ; mais il considérait celle-ci comme « un expédient pour traverser un laps de temps déterminé » alors que « l’aide à tous les efforts que nos compatriotes font pour sauvegarder leurs noms, leur langue et leurs sentiments d’Italiens », bien qu’ils soient « obstinément harcelés et persécutés » par ceux qui « s’acharnent à les désitalianiser40 », est, elle, bien au-delà des contingences de la politique internationale.
22Un de ses membres directeurs, Gian Francesco Guerrazzi, le reconnut après la guerre : « La Dante était effectivement politique et irrédentiste, exactement comme on l’en accusait. Il s’agissait donc de dire et de ne pas dire tout à la fois, afin de tranquilliser les timides et de ne pas décourager les plus hardis41. » Personne n’était dupe, et on sait que c’est d’avoir envoyé un télégramme « de salut, de félicitations et d’une entente affectueuse pour défendre la nationalité 42» à la Dante Alighieri qui motiva l’interdiction de la Pro Patria, par les autorités autrichiennes, le 10 juillet 1890.
23La Lega nazionale
24En Autriche où la Dante Alighieri s’était interdite, du moins officiellement, toute activité, la Lega nazionale, créée le 28 octobre 1891, reprit l’objectif de défense et de promotion de la langue italienne de la Pro Patria, dissoute l’année précédente. Mais les autorités avaient imposé deux conditions : que la Lega nazionale n’accepte pas de financement de l’étranger ; et que son action soit strictement limitée au territoire autrichien.
25La Lega était riche d’un budget de 746 000 couronnes (en 190843) et de 42 000 adhérents en 191344, répartis en 112 groupes, d’au moins trente adhérents chacun. Bien des notables des terres irrédentes considéraient comme allant de soi d’appartenir à la Lega nazionale.
Officiellement, celle-ci était financée par des dons, des cotisations (une demi-couronne par an), et… des allumettes. En Autriche, celles-ci n’étaient pas monopole d’État et la Lega y trouvait en même temps une source de revenus et un moyen de propagande. Sur la boîte, on pouvait lire cette phrase de Gioberti : « Si ricordi chiunque a cui cale che la morte della lingua è la morte della nazione (Que tous ceux à qui cela importe se rappellent que la mort de la langue est celle de la nation). » À Trieste, offrir des allumettes de la Lega à un Slovène (ou, inversement, de la Druzba Kirilla e Metoda, à un Italien) était plus qu’une insulte : une véritable provocation. « Allumer sa cigarette avec les allumettes de telle ou telle société étiquetait immédiatement les individus, même si beaucoup possédaient des boîtes de tous types, à sortir opportunément selon les circonstances45. »
26La Lega nazionale (société de droit autrichien ; elle n’était pas reconnue en Hongrie, ce qui l’empêchait, en particulier, d’être présente à Fiume) s’était engagée à ne pas accepter de financement venu d’Italie. Et pourtant, dès 1893, la Dante (société de droit italien) aidait (même si elle s’était engagée à ne pas le faire) financièrement et matériellement, la Lega, mais clandestinement, par l’intermédiaire de fiduciari qui étaient de véritables agents secrets.
Pour faire face aux insidieuses perfidies et aux violentes agressions des ennemis du nom italien, combattre l’œuvre permanente, subtile de dénationalisation, maintenir solide la cohésion des Italiens […] il fallait grande énergie et volonté, grandeur d’âme et d’intelligence et surtout, un plein et entier dévouement à la cause nationale46.
27Depuis l’Italie, la Dante déployait une activité double : l’une officielle, et publique. Et l’autre « très secrète, qui ne passait que par le Président et le Secrétaire47 ». Il semble même que la Dante « aida » les municipalités à rester italiennes… Ainsi en 1906, Roberto Ghiglianovitch (conseiller municipal « autonomiste », c’est-à-dire, pro-italien, de Zara), par exemple, écrivit à Ernesto Nathan48 : « Zara est encore à nous ; mais si vous saviez combien de sacrifices nous ont coûté les dernières élections qui ont eu lieu l’année dernière49 ! »
28Géographiquement, on considérait que Trieste était assez riche pour se suffire à elle-même50 et l’aide se concentrait sur le reste du Litorale et le Trentin. Quant à l’italianité de la Dalmatie, on l’aidait, tout en considérant son cas comme quasi désespéré…
La Dante ne respectait pas ses engagements et les gouvernements italiens ne pouvaient pas ne pas le savoir ; mais ils préférèrent fermer les yeux, quitte à mettre le holà quand les choses allaient trop loin. Leur soutien ne fut jamais ostentatoire ni inconditionnel.
L’étiquette d’irrédentiste obligeait les gouvernements italiens à une certaine réserve. La Dante était traitée par beaucoup d’hommes politiques comme certains traitent certaines jolies femmes : ils les aiment entre quatre murs, mais se gardent bien de se montrer, en public, en leur compagnie51.
29Quoi qu’il en soit, le succès fut incontestable. De 4 000 membres en 1895 à 1905, la Dante passa à plus de 30 000 adhérents en 1905, puis à 55 000 cotisants en 191352, dont de nombreuses personnalités de la politique, des affaires, de la culture. Presque subversive à ses débuts, la Dante Alighieri était devenue respectable, presque institutionnelle.
1890-1896 : l’ère Crispi
30Le 22 février 1890, à ceux qui protestaient contre la dissolution du comité Trente et Trieste, Crispi avait répondu vertement : l’irrédentisme (qu’il ne nommait pas) « n’est pas une manière d’aimer sa patrie. C’est un facteur de désordre, une manière de mettre en péril les institutions. Tant que je serai à mon poste, je ne permettrai pas que ces institutions soient mises en péril par vous53 ».
31Mais s’il avait engagé une lutte virulente contre les irrédentistes, Crispi essayait, discrètement, de faire son possible pour les « irrédents », multipliant les conseils de modération à Vienne.
Après la dissolution de la Pro Patria, il écrivit à Nigra, ambassadeur à Vienne, le 31 juillet 1890 :
Je suis très peiné des conditions difficiles faites au gouvernement italien. Tant que la flamme de l’irrédentisme était entretenue par les extrémistes, il ne me faisait pas peur. Mais les mesures [du gouvernement autrichien], ravivant le souvenir de nombreuses autres qui, de temps à autre, révèlent l’intolérance autrichienne, suffira, j’en ai peur, à troubler ou, du moins à refroidir les modérés et les pacifiques sur l’appui desquels le gouvernement savait pouvoir compter, jusqu’à maintenant […] L’alliance autrichienne, que moi seul pouvais défendre, aura contre elle toujours plus d’ennemis, et je ne sais pas si moi ou mon successeur aurons la force nécessaire pour la renouveler en 1892. […] Il faut donc que l’Autriche fasse oublier le passé et que, dans les mesures du gouvernement, elle évite de blesser le sentiment national encore vif chez les Italiens54.
Même si Crispi répétait dans la même lettre :
L’Italie a tout intérêt à ce que l’Autriche ne se désagrège pas. Pour nous, elle est une grande barrière qui fait face à d’éventuels adversaires qui seraient encore plus dangereux et qu’il faut tenir éloignés de nos frontières. […] Le problème des territoires frontaliers sera, un jour ou l’autre, résolu à l’amiable55.
Nigra lui répondit d’ailleurs : « S’il n’y a pas de sympathie parmi les Italiens pour l’alliance austro-italienne, ceci prouve que notre pauvre pays n’a pas encore été assez misérable et qu’il a besoin de leçons, plus atroces, plus humiliantes. Qu’il s’écarte de l’alliance actuelle et il les aura56. »
32Le banquet d’Udine et le discours de Florence (septembre-octobre 1890)
33Le ministre des Finances de Crispi, Federico Seismit Doda, était dalmate, né à Ragusa, en 1825 et réfugié en Italie dès 1848. Cet ancien combattant des guerres d’indépendance ne cachait pas sa sympathie pour les difficultés des Italiens d’Autriche-Hongrie, mais, réaliste, et soucieux de sa carrière, se tenait à l’écart de tout irrédentisme. Le 10 septembre 1890, toutefois, lors d’un banquet en son honneur, à Udine, un convive, rappelant que le ministre s’était rendu de Trieste à Venise, en 1848, lui souhaita de pouvoir faire « le voyage inverse sur un navire italien, avec le drapeau italien déployé victorieusement au vent57 ». Seismit-Doda accueillit ce toast sans y répondre.
Mais Crispi apprenant, et la teneur du discours, et la passivité de Seismit-Doda, ordonna à son ministre de démissionner. « Chef du gouvernement, je ne peux tolérer qu’on puisse douter de la loyauté avec laquelle sont exécutés les pactes internationaux. » Seismit-Doda tergiversant, Crispi le révoqua par décret le 19 septembre 1890, le remplaçant par Giolitti. Seismit-Doda, blessé jusqu’à l’âme, devait mourir moins de trois ans plus tard.
34Le 8 octobre 1890, Cripsi prononça un discours à Florence :
Depuis quelque temps, par des paroles enjôleuses, une dangereuse faction [l’irrédentisme] tente de capter l’âme des populations : celle qui crie en revendiquant les terres qui ne sont pas unies au Royaume […] Tout enveloppé qu’il soit d’un lyrisme chaleureusement patriotique, l’irrédentisme n’en est pas moins la plus grave des erreurs de l’Italie actuelle […] Ennemi à la fois de l’Unité et de la paix, son cri défie toute l’Europe ; c’est en effet un cri de guerre, guerre qui pourrait remettre en cause l’existence de la nation. Or, l’Unité est le premier des biens dont nous disposons, et dont tous les autres dépendent ; et nous avons, pour en profiter, besoin de paix. L’irrédentisme ne peut avoir pour seul but la libération de Trente et de Trieste, mais aussi l’union de Malte, de la Corse, du Tessin ; cela dresserait la moitié de l’Europe contre l’Italie. […] L’irrédentisme, c’est « la politique de la guerre à l’extérieur et de la débâcle à l’intérieur »58.
Imbriani et Barzilai : deux porte-paroles de l’irrédentisme à Montecitorio
35Dès mars 1889, lors d’une élection partielle, Matteo Imbriani, le parrain de l’irrédentisme, se fit élire député de Bari. Il devait être constamment réélu jusqu’à sa mort, en 1901. Avec Imbriani, « la cause de l’irrédentisme eut à la Chambre un soutien efficace, inflexible et pugnace59 ».
Le 10 mai 1889, il admonesta : « Représentant de la nation tout entière, de l’Italie comprise entre le cercle des Alpes et la triple mer, je m’enorgueillis de représenter les plus infortunées provinces d’Italie, celles des Pouilles [qui l’avaient élu] et les irrédentes de Trente et de Trieste60. » Au président de la Chambre, Giuseppe Biancheri, qui lui rappelait que l’Italie était alliée de l’Autriche, Imbriani rétorqua que le peuple italien, lui, ne l’était pas. Parallèlement au voyage du Roi en Allemagne, Imbriani était allé, en mai 1889, à Paris tenir un discours contre la Triplice et pour l’union des deux sœurs latines. « L’Europe aurait bien mérité de la civilisation si elle avait effacé l’Autriche, vu que l’Autriche et la Turquie sont les deux pôles de la contre-civilisation de l’Europe qui doivent disparaître, et ils disparaîtront avec le siècle61. »
36Des élections devaient se tenir le 23 novembre 1890. À Rome, les irrédentistes songèrent d’abord à présenter le Tridentin Egisto Bezzi62, puis le Triestin Giusto Muratti,63 mais républicains intransigeants tous les deux, ils refusèrent une candidature qui aurait été une compromission avec le régime monarchique. On présenta alors Salvatore Barzilai (1860-1939) qui fut triomphalement élu, puis réélu sans discontinuer jusqu’en 1920. Né dans une famille israélite de Trieste, Barzilai avait été arrêté, encore lycéen, dans sa ville natale le 6 octobre 1878, pour « propagande irrédentiste », avant d’être acquitté. Après des études de droit à Bologne, il s’était installé à Rome comme avocat et journaliste. Ses huit mois et demi de prison préventive le faisaient passer pour un martyr de l’irrédentisme, ce qui fut la principale cause de son élection64.
Barzilai siégea parmi les radicaux puis, à partir de 1897, les républicains. Dès son premier discours, le 17 décembre 1890, il rappela :
Souvenez-vous qu’il existe une famille italienne unique au-dessus des frontières, unie par la langue, par le sentiment, par la coutume, par la tradition ; c’est pourquoi l’offense faite à une partie d’elle, qu’elle vive en deçà ou au-delà des limites que les traités assignent, retombe sur la Nation tout entière et ne peut être tolérée65.
37Barzilai devait être un porte-parole pugnace et crédible pour l’irrédentisme qui, avec Imbriani et quelques autres députés, sut mener une véritable guerre de harcèlement contre tous les gouvernements triplicistes. « Aucun débat ne s’engageait à la Chambre sur la politique générale sans que l’extrême gauche ne fasse entendre ses protestations contre la direction imprimée à la politique extérieure et contre les charges militaires qui en étaient, selon elle, la conséquence obligée66. » Grâce à eux, l’irrédentisme, même en perte de vitesse dans l’opinion, resta toujours bien audible.
38Février 1891-novembre 1893 : l’intermède Rudinì-Giolitti
39Le 31 janvier 1891, Crispi dut donner sa démission : au cours d’un débat, il avait accusé la droite d’avoir mené « una politica servile verso lo straniero67 » ce qui était aller trop loin. Le 6 février, le baron Antonio Starabba di Rudinì lui succéda, assumant lui-même le portefeuille des Affaires étrangères. Le 4 mars, Rudinì déclara que l’Italie n’avait pas l’intention de « distendre les liens de la Triplice68 » considérée « comme le soutien indispensable de la politique de puissance italienne69 ». Le 6 mai 1891, l’alliance fut renouvelée.
40Mais le 28 juin 1891, alors que ce renouvellement venait d’être rendu public, un tumulte à Montecitorio, mené par Imbriani et Cavallotti, déboucha sur une véritable bagarre. L’ambassadeur de France Billot commenta : « Aucun débat sur la politique générale ne s’engageait sans que l’extrême gauche ne fasse entendre ses protestations contre la direction imprimée à la politique extérieure et aux charges militaires qui en étaient, selon elle, la conséquence obligée70. »
Un rapport de l’ambassade d’Autriche-Hongrie dénonçait le rôle de Carducci, et des intellectuels en général : « Il est devenu plus sérieux, plus tranquille, mais justement cette attitude ne fait que renforcer son influence nationale, le rendre beaucoup plus dangereux qu’un Imbriani ou un Cavallotti. […] Toute la poésie en Italie est irrédentiste71. »
41Le retour de Crispi au pouvoir
42Le 24 novembre 1893, Giolitti, arrivé au pouvoir le 13 avril 1892, démissionna, après le scandale de la Banca di Roma, et le 5 décembre, Crispi à 75 ans, revint au pouvoir. Dans le nouveau cabinet, il se réserva le portefeuille de l’Intérieur et confia les Affaires étrangères à Albert Blanc. Il avait été un moment question de nommer à la tête de la Consulta, Oreste Baratieri tridentin naturalisé ; mais Vienne avait fait savoir à Rome que la nomination de Baratieri « vu son origine, n’était pas conforme aux liens d’alliance et d’amitié entre les deux États72 ».
43En décembre 1894, en réponse à une énième interpellation de Barzilai, Crispi décrivit les rapports austro-italiens comme « très bons. Nous sommes très amis73 », provoquant l’hilarité de la Chambre. Car l’agitation irrédentiste poussait les Autrichiens à se faire de plus en plus menaçants envers les Irrédents. Kálnoky déclara publiquement :
À Rome, qu’on ne s’étonne pas si la minorité italienne devient de plus en plus impopulaire en Autriche, si elle perd peu à peu toute la sympathie qu’elle avait, en d’autres temps, à un si haut degré auprès du gouvernement impérial et royal. Trieste n’est pas italienne et ne le sera jamais74.
Le coup de tonnerre d’Adoua (1896)
44Depuis son arrivée au pouvoir, Crispi poussait, de toutes ses forces, à la conquête de l’Abyssinie, espérant y trouver, par une victoire facile, un surcroît de prestige qui le fortifierait dans l’opinion publique. Et aiderait à la détourner de l’irrédentisme.
Mais le 2 mars 1896, on apprit l’humiliante défaite d’Adoua, subie la veille par le général Baratieri face aux troupes du négus Ménélik II. Les Italiens déploraient quelque 6 000 morts (les deux tiers italiens, le tiers indigènes) et 1 800 prisonniers75. Sans même attendre d’être mis en minorité, Crispi démissionna, à nouveau remplacé par Rudinì. Dès le 10 mars 1896, celui-ci déclara devant la Chambre :
J’entends maintenir la Triplice, mais l’interpréter, je veux dire, conduire la politique du gouvernement de façon telle qu’elle n’altère en rien nos bons rapports avec la Russie et avec la France, rapports que je me propose de rendre toujours plus cordialement, toujours plus sincèrement, je dirais même presque plus affectueusement amicaux76.
Une nouvelle orientation se dessinait, avec un rapprochement, encore prudent, avec la France.
45Après la chute de Crispi, l’Italie sembla sagement renoncer aux mirages de grandeur peu compatible avec ses forces réelles, et se recueillir sur ses problèmes intérieurs. Or, dès juin 1894, l’ambassadeur d’Allemagne von Bülow avait justement averti que la destruction des rêves africains ressusciterait les revendications sur Trente et Trieste77.
Le 11 juillet 1896, le francophile Emilio Visconti Venosta revint aux affaires à la Consulta. « Nous avons besoin de dix ans de paix. », confia-t-il à l’ambassadeur Camille Barrère78, quand celui-ci vint présenter ses lettres de créance, début 1898.
D’où une nouvelle politique de « raccoglimento », de recueillement. Dans l’immédiat, il s’agissait de liquider (par le traité d’Addis-Abeba, signé le 26 octobre 1896) la désastreuse aventure éthiopienne et sauver ce qui pouvait l’être, la colonie de l’Érythrée, d’ailleurs bien défendue par le général Antonio Baldissera. Rudinì déclara à l’ambassadeur de France Billot, en novembre 1897 : « Je n’ai jamais vu quel avantage l’Italie pourrait tirer d’une politique coloniale. Si cela n’avait tenu qu’à moi, ce n’est pas seulement Kassala79, mais tout le reste de nos possessions en Afrique dont j’aurais ordonné la rétrocession. C’eût été la sagesse80. » On peut, en tout cas, avancer que Rudinì aurait été appuyé par 90 % de l’opinion italienne.
46L’esquisse d’un rapprochement avec la France
47Le 26 septembre 1896, le ministre français des Affaires étrangères, Gabriel Hanotaux81 et l’ambassadeur d’Italie à Paris, Giuseppe Tornielli82, signèrent une convention par laquelle l’Italie reconnaissait le protectorat français sur la Tunisie et renonçait aux capitulations (de toute façon suspendues depuis 1884) en échange d’avantages économiques et d’un statut privilégié pour ses nationaux ; la crise franco-italienne ouverte en 1881 pouvait être considérée comme close.
48D’autre part, les milieux d’affaires étaient soucieux de mettre fin à la désastreuse guerre douanière et de faire appel aux capitaux français. Visconti Venosta, le ministre des Finances, Luzzati, le marquis Rudinì (le « trio francophile ») et Théophile Delcassé (ministre des Affaires étrangères sans interruption de juin 1898 à juin 1905), les ambassadeurs Camille Barrère et Tornielli jouèrent un grand rôle dans ce rapprochement.
Le 21 novembre 1898, un accord commercial, rédigé par Luzzatti, mit fin à la guerre douanière. L’influence économique de la France en Italie connut alors un vigoureux renouveau, sans toutefois pouvoir égaler celle de l’Allemagne.
Notes de bas de page
1 Guerazzi Gian Francesco, 1922, Ricordi d’irredentismo. I primordi della Dante Alighieri (1881-1894), Bologne, Nicola Zanicchelli, p. 54.
2 Vivante Angelo, ouvr. cité, p. 126.
3 Cité en italien par Sandona Augusto, ouvr. cité, p. 113.
4 Cité par Huber Kurt, 1953, Der italienische Irredentismus gegen die Schweiz, Zurich, p. 38.
5 Cité par www.cronologia.it, 1886, p. 3 [consulté en septembre 2023].
6 Cité par Stefani Giuseppe, ouvr. cité, p. 60.
7 Billot Albert, ouvr. cité, p. 280.
8 En cas de guerre, le général, chef d’état-major Enrico Cosenz avait proposé une offensive italienne à travers les cols des Alpes mais Moltke lui avait fait remarquer que l’infériorité italienne en matière d’artillerie était telle que beaucoup plus efficace serait un appui italien sur la frontière franco-allemande. Selon la convention, en cas de guerre franco-allemande, l’Italie s’engageait à envoyer sur le Rhin six corps d’armée et trois divisions de cavalerie.
9 Chiffre donné par Bellavita Emilio, La battaglia di Adua, p. 46.
10 Friedrichsruh était la propriété personnelle de Bismarck, à vingt kilomètres à l’est de Hambourg. Y être l’hôte personnel du Chancelier était une rare faveur que se disputaient diplomates et hommes d’État.
11 Cité par Grillandi Massimo, 1969, Crispi, Turin, UTET, p. 403.
12 Cité par www.cronologia.it, 1887, p. 6 [consulté en septembre 2023].
13 Cité par Sandona Augusto, 1932, L’irredentismo nelle lotte politiche e nelle contese diplomatiche italo-austriache, Bologne, Zanichelli, p. 146.
14 Cité en italien par Sandona Augusto, ouvr. cité, tome III, p. 151 et 154.
15 Henry René, 1902, L’Italie, l’Autriche-Hongrie et l’Alliance franco-russe, Paris, Société d’éditions scientifiques et littéraires, p. 2.
16 Cité par www.cronologia.it, 1888, p. 3 [consulté en septembre 2023].
17 Inaugurée le 5 mai 1889, pour le centenaire de la Révolution, l’Exposition de 1889 est surtout restée célèbre pour avoir légué aux générations suivantes la tour Eiffel. L’Italie avait refusé, comme l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, d’y participer. Mieux, Luigi Menabrea, l’ambassadeur d’Italie à Paris, avait reçu de son gouvernement l’ordre de quitter Paris jusqu’au 31 octobre, soit la durée de l’Exposition. Officiellement, le refus était motivé par le risque couru par les visiteurs étrangers dans un Paris encore frémissant du nationalisme boulangiste.
18 Billot Albert, 1905, La France et l’Italie. Histoire des années troubles 1881-1899, Paris, Plon, p. 126.
19 En revanche, le prince de Naples, futur Victor Emmanuel III, assista, en août 1893, aux manœuvres allemandes qui avaient lieu en Lorraine. La tension entre Paris et Rome fut d’autant plus vive que cela coïncida avec le pogrom anti-italien d’Aigues Mortes.
20 Cité par De Franceschi Italo, 1956, « Irredentismo d’azione a Trieste negli anni 1880-1890 », dans Rassegna storica del Risorgimento, p. 734.
21 Comizio milanese per la pace al Teatro del verme ; voir le Corriere du 14 janvier 1889.
22 Gustave Rivet (1848-1936), d’abord connu comme poète et dramaturge, avait été élu, en 1882, député républicain, mais finalement assez modéré, de l’Isère.
23 Wilhelm Liebknecht (1826-1900). Converti au marxisme dès 1846, il fut un des fondateurs du SPD et l’un des piliers de la Seconde Internationale. Son fils Karl, fut le co-fondateur de la Ligue Spartakiste.
24 Eduardo Pantano (1842-1932) s’était engagé, encore adolescent, parmi les volontaires garibaldiens. Il fut d’Aspromonte, de la guerre de 1866 et de Mentana. Rallié du bout des lèvres à la Monarchie, il fut député de 1886 à 1921.
25 L’aventurier Amilcare Cipriani (1844-1918) avait participé à la 2e et à la 3e guerre du Risorgimento, à la bataille de Dijon, à la Commune. Il fut condamné à mort, gracié et déporté en Nouvelle Calédonie jusqu’en 1880 ; revenu en Italie, agitateur et révolutionnaire impénitent, il venait en 1889, de sortir de prison, gracié par le roi Umberto. En 1897, il fut encore volontaire pour la campagne de Crète.
26 De Franceschi Italo, article cité, p. 736.
27 Sur la dissolution des comités Trente et Trieste, voir le Corriere du 21 juillet 1889.
28 Corriere du 21 juillet 1889.
29 Italia du 20 juillet 1889.
30 Le 10 juillet 1889, Crispi avait écrit au ministre de la Guerre Ettore Bertolè : « La France a préparé, sur terre et sur mer, tout ce qu’il faut pour nous attaquer… Souvenez-vous que cette fois l’honneur de savoir se battre ne suffira pas, mais qu’il faudra vaincre à tout prix. » Il est vrai que plus loin il ajoutait : « Aucun homme d’État ne peut vouloir la guerre. Et moi je ne peux pas la vouloir parce que nous ne sommes pas assez forts et parce que, si nous l’étions, je n’oserais pas affronter les résultats d’un conflit, dont l’issue n’est jamais sûre. » (cité par www.cronologia.it, 1889, p. 4 [consulté en septembre 2023])
Bismarck, peut-être inquiet d’une éventuelle initiative de Crispi lui fit dire ne pas croire « à la possibilité d’une attaque… La responsabilité d’avoir déclenché la guerre en Europe par un acte de brigandage coûterait immensément cher à la France. Ce serait la finis Galliae. » (cité, en italien, par www.cronologia.it, 1889, p. 5 [consulté en septembre 2023]).
31 Son Manifesto agli italiani, rédigé par Giuseppe Chiarini, fut publié le 19 juin 1889.
32 Gian Francesco Guerrazzi (1865-1933) fut secrétaire de la société Dante Alighieri de 1890 à 1894. Encore plus revendicatif que ses pairs, Guerrazzi fit de la Dante une véritable arme de guerre « per la liberazione delle terre italiane ancore soggette allo straniero ». Bien que lui-même laïc, Guerrazzi préconisa une politique de main tendue envers les ecclésiastiques qui mécontenta la composante franc-maçonne alors dominante dans la société et amena sa destitution. Il devait toutefois, rester très actif dans les milieux irrédentistes jusqu’en 1918-1919.
33 Discours de Villari au congrès de Milan, octobre 1897 : « Con carattere assolutamente laico ma non anticlericale. » S’ils étaient, pour la plupart, laïcs et anticléricaux, les membres de la Dante pensaient, comme Gambetta, que « L’anticléricalisme n’était pas un article d’exportation. » (Gian Francesco Guerazzi, ouvr. cité, p. 205)
34 Cité par Pisa Beatrice, ouvr. cité, p. 56.
35 Cité par Guerazzi Gian Francesco, ouvr. cité, p. 76.
36 Carducci eut toujours la coquetterie d’écrire le nom de famille de Dante avec deux l et insista, en vain, pour que cela apparaisse dans le nom de l’Association.
37 La Dante Alighieri put cependant ouvrir une représentation à Nice en 1906, après avoir donné toutes les assurances nécessaires aux autorités françaises.
38 Aurelio Salmona (1850-1890), venu très tôt en Italie, avait été arrêté, en 1882, dans les remous de l’affaire Oberdan, dont on le soupçonnait d’avoir été un complice. L’affaire s’était conclue par un non-lieu et depuis, Salmona était logographe au Parlement italien.
39 Giacomo Venezian (1861-1915) s’était converti au catholicisme, moins par conviction religieuse, que par fidélité à l’ode de Manzoni, Marzo 1821, qui voulait l’Italie « una d’arme, di lingua, d’altare, di memorie, di sangue e di cor ». Incarcéré dans sa ville natale pour activisme irrédentiste, Venezian parvint à s’évader et à fuir en Italie, où il se fit professeur de droit.
Interventionniste parmi les plus ardents, Venezian tint à s’engager, malgré ses 54 ans et un manque total de formation militaire, et tomba sur le front de l’Isonzo, le 20 novembre 1915.
40 Cité par Grange Daniel, 1994, L’Italie et la Méditerranée 1896-1911, Rome, École française de Rome, p. 665.
41 Cité par Grange Daniel, ibid., p. 667.
42 Cité par Pisa Beatrice, 1995, Nazione e politica nella società Dante Allighieri, Rome, Bonacci, p. 48.
43 Redivo Diego, 2005, Le trincee della nazione: cultura e politica delle Lega Nazionale (1891-2004), Trieste, edizioni degli ignoranti, p. 48.
44 Chiffre de 1913 donné par Redivo Diego, ouvr. cité, p. 55. Sur les 18 000 italophones que comptait la Dalmatie, le tiers appartenait à la Lega.
45 Redivo Diego, ouvr. cité, p. 61.
46 Guerazzi Gian Francesco, ouvr. cité, p. 252.
47 Guerazzi Gian Francesco, ouvr. cité, p. 347.
48 Ernesto Nathan (1845-1921), né en Angleterre d’une mère italienne et d’un père allemand, était venu s’installer à Rome en 1870, n’obtenant la citoyenneté italienne qu’en 1888. Il siégea au conseil municipal de Rome à partir de 1898, en fut maire de 1907 à 1913. Franc-maçon et farouchement laïque, Nathan était un des meilleurs relais de l’irrédentisme en Italie même.
49 Redivo Diego, 2005, Le trincee della nazione: cultura e politica della Lega Nazionale (1891-2004), Trieste, p. 49.
50 Guerazzi Gian Francesco, ouvr. cité, p. 257.
51 Guerazzi Gian Francesco, ouvr. cité, p. 182.
52 Cité par Huber Kurt, Der Irredentismus gegen die Schweiz Zurich, 1953, p. 46.
53 Cités par www.cronologia.it, 1889, p. 10 [consulté en septembre 2023].
54 Cité par www.cronologia.it, 1889, p. 11 [consulté en septembre 2023].
55 Cité par Albertini Mario, ouvr. cité, p. 381-382.
56 Veronese Leone, ouvr. cité, p. 141.
57 www.cronologia.it, 1889, p. 12 [consulté en septembre 2023].
58 www.cronologia.it, 1889, p. 12-13 [consulté en septembre 2023].
59 Sandona Augusto, ouvr. cité, tome III, p. 168.
60 Cité par Ara Angelo, ouvr. cité, p. 186.
61 Melchiori Enrico, 1915, La lotta per l’italianità delle terre irredente 1797-1915, Florence, p. 159.
62 À l’éclatement de la guerre de 1859, Egisto Bezzi (1835-1920) avait fui l’Empire autrichien pour s’engager parmi les Cacciatori delle Alpi piémontais ; il avait été de l’expédition des Mille, avait commandé une troupe de francs-tireurs en Vénétie en 1866. Il s’était ensuite retiré, solitaire et austère, à Turin.
63 Giusto Muratti (1846-1916) avait lui aussi, mais en vain, tenté, à treize ans, de passer la frontière pour aller s’engager dans l’armée piémontaise. Par contre, il put participer, du côté italien, à la Troisième guerre d’indépendance, fut blessé mais refusa, fidèle à ses idéaux républicains, de faire carrière dans l’armée royale italienne. De façon un peu étonnante, la police autrichienne le laissa retourner s’établir dans sa ville natale où il déploya un activisme irrédentiste (ante litteram). Après l’affaire Oberdan, où il semble avoir été compromis, les pressions des autorités se firent telles que Muratti dut quitter Trieste pour Udine, où il acquit la nationalité italienne.
64 Voir Hahnekamp Johann-Rudolf, ouvr. cité, p. 64.
65 Cité par Dassovich Mario, ouvr. cité, p. 101.
66 Billot Albert, ouvr. cité, p. 432.
67 Voir Aflerbach Holger, 2002, Der Dreibund, Vienne, Böhlau, p. 293.
68 Cité par Dassovich Mario, ouvr. cité, p. 103.
69 Aflerbach Holger, ouvr. cité, p. 297.
70 Billot Albert, 1905, Les années troubles France Italie 1890-99, Paris, p. 432.
71 Stefani Giuseppe, ouvr. cité, p. 80.
72 www.cronologia.it, 1893, p. 1 [consulté en septembre 2023].
73 Veronese Leone, 1938, ouvr. cité, p. 198.
74 Cité par Sandona Augusto, ouvr. cité, tome III, p. 249.
75 Certains ascaris furent mutilés par leurs geôliers. Mais, et contrairement à une tenace légende urbaine, aucun document sérieux ne confirme que les Abyssins aient émasculé des prisonniers italiens.
76 Cité par www.cronologia.it, 1896, p. 2 [consulté en septembre 2023].
77 Voir Aflerbach Holger, 2002, Der Dreibund, Vienne, Böhlau, p. 362.
78 Camille Barrère (1851-1940), dont le père instituteur, avait été exilé sous le Second Empire, était entré dans la diplomatie à la fin des années 1870, de par la volonté de la IIIe République de recruter des diplomates républicains et d’origine modeste.
Il resta en poste au palais Farnese de 1897 à 1924, ce qui est tout de même anormalement long. Et montre combien il avait su se rendre indispensable.
79 Village soudanais que les Italiens avaient occupé en 1894, avec l’accord des Anglo-Égyptiens, et qui fut évacué en décembre 1897, sur l’insistance de Rudinì, alors que Londres était tout prêt à prolonger le mandat des Italiens.
Mais Rudinì, bon prophète, prévoyait que Français et Britanniques allaient se heurter au Soudan (comme cela devait effectivement, être le cas à Fachoda, l’année suivante) et ne tenait pas à y mêler l’Italie.
80 Cité par Billot Albert, ouvr. cité, p. 43.
81 Gabriel Hanotaux (1853-1944) fut ministre des Affaires étrangères de 1894 à 1898. Voyant en l’Angleterre, plus qu’en l’Allemagne, le véritable ennemi héréditaire de la France, il entama un rapprochement avec toutes les puissances européennes, y compris l’Italie. Il dut démissionner après Fachoda.
82 Giuseppe Tornielli (1836-1908), sénateur et doyen de la diplomatie italienne, resta en poste à Paris de 1895 à sa mort.
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