Antigone à New York de Janusz Głowacki : une « inflexion » comique du mythe tragique
p. 273-290
Texte intégral
1Dans le mouvement conclusif de son article sur « Le mythe au fil des genres : cristallisations et inflexions », Chantal Foucrier observe que « la question du traitement comique et parodique des grands mythes tragiques » au xxe siècle reste encore largement inexplorée1. L’Antigone à New York de Janusz Głowacki (1993)2 fournit sans doute un exemple pertinent pour partir dans cette direction, puisque l’auteur polonais présente lui-même sa pièce comme une « petite comédie du désespoir3 », avec des personnages de “homeless”, selon l’expression des critiques. Plus particulièrement, je voudrais aborder cette réécriture de l’Antigone de Sophocle à partir de la notion de lieu, à laquelle font référence aussi bien le titre que cette première définition des protagonistes.
2Que le théâtre élabore un ensemble de relations avec l’espace est une évidence : pas de représentation sans lieu pour le jeu des acteurs et place pour le public ; pas de fiction théâtrale sans un ancrage dans un endroit, à la fois représenté sur scène, commenté par les personnages, et en tension avec un « hors scène » (en continuité immédiate ou non avec la scène) ; pas d’effet du théâtre qui ne puisse s’envisager comme type de connexions entre l’espace du jeu et celui de la salle, éventuellement séparés par le « quatrième mur ».
3Or le refus de sépulture, au cœur de l’intrigue de l’Antigone de Sophocle, redouble cette importance du lieu au théâtre : quand il prive Polynice de tombeau, parce que celui-ci a marché avec une armée étrangère contre sa cité, Créon l’exclut de l’espace commun, aussi bien concrètement que symboliquement, et il continue d’associer, même dans la mort, droit de séjour et valeur de la personne.
4Que se passe-t-il quand, à la faveur de la réécriture, les personnages de la tragédie se retrouvent dans une communauté précaire d’immigrés à la rue, n’ayant pour tout territoire qu’un jardin public, soumis à la double menace des violences internes et de la répression policière ?
5Pour examiner la manière dont la comédie reconfigure le lieu tragique, je me propose d’étudier les contours précis que Janusz Głowacki assigne au Tompkins Square Park4 où se déroule l’action, puis les écarts ainsi introduits avec la tragédie de Sophocle mais également un certain retour à la matière narrative du mythe, avant de m’interroger sur l’adresse au public que vise la pièce.
Le banc des sans domicile fixe
6Dans sa préface à l’édition polonaise de Antygona w Nowym Jorku, Jan Kott fait ce constat : « Une découverte théâtrale est parfois seulement une nouvelle adresse, dans ce cas ce banc, et une nouvelle association : Les Bas-fonds de Gorki sur un banc5. » Telle est, de fait, l’image scénique sur laquelle s’ouvre le prologue, avant l’entrée en scène d’Anita/Antigone (qui ne fait que passer silencieusement6), puis du policier (qui harangue le public). Ce lieu primordial est décrit ainsi :
Un parc new-yorkais. Deux bancs près d’un point d’eau. Un buisson. À leur côté, un tas de détritus avec canettes vides, boîtes et plastiques qui flottent dans le vent du soir. L’un de ces bancs, accolé à un arbre nu et givré, est couvert d’une montagne de chiffons, de journaux et de sacs. (9)
Après le départ du policier, l’ensemble de la scène 1 consiste en une animation progressive :
Sur le banc, le tas de chiffons se met à remuer. En émerge Sacha, un homme de quarante ou cinquante ans (difficile à préciser), aussi chaudement habillé que possible pour lutter contre le froid hivernal.
Il porte plusieurs vestes, des écharpes, un bonnet de ski et des gants. Il s’assied, s’étire et fouille sa veste pour en sortir un petit magnétophone. Sacha met en marche son appareil et on entend sa chanson favorite, Strangers in the Night. (11)
7Le décor pourrait sembler introduire un point de vue subjectif sur le parc, celui des SDF qui ont élu domicile sur ce banc, mais l’habituelle supériorité par laquelle l’homme détermine les sens de l’espace où il évolue et qu’il voudrait maîtriser est ici mise à mal, tant par la contiguïté entre Sacha et le tas de détritus, avec sa possible valeur métaphorique, que par la parole du policier, qui se conclut sur un « je reviendrai » à la fois programmatique et menaçant. La construction de la pièce confirmera ce dernier effet de sens, puisque le même personnage nous apprend dans la scène finale qu’Anita s’est pendue à la grille d’entrée et qu’une rafle de police a « nettoyé le parc » (73). Le processus d’exclusion qui a mené les SDF sur le banc ne cesse donc de produire ses effets et l’asile de Tompkins Square ne pouvait être que temporaire, selon le bon vouloir des autorités.
8C’est dans ce contexte qu’intervient le souhait d’Anita d’ensevelir dignement Paulie/Polynice, son compagnon d’infortune, emmené anonymement au cimetière des indigents. À la scène deux, Sacha le lui révèle, dans un dialogue où les détails de la dénomination des lieux méritent analyse :
Anita : Mais où ? Où ils l’ont emmené ? – Sacha : À l’île du Cerf. – Oh mon Dieu, oh mon Dieu… mais pourquoi ? – La police a dit qu’il est mort de froid. Alors ils l’ont emmené au champ du Potier. – Tu as dit à l’île du Cerf. – C’est la même chose. Le champ du Potier se trouve sur l’île du Cerf. (20)
9« L’île du Cerf » traduit Hart Island, île dépendant de l’arrondissement du Bronx. Il aurait été préférable de ne pas transposer en français mais de garder cette évocation d’un lieu réel qui abrite les tombes des « laissés-pour-compte », pour reprendre une expression d’Anita (21). Celle-ci s’indigne car elle comprend qu’elle ne pourra pas voir le mort, puisque l’île est aussi « une prison » et qu’on ne la laissera pas entrer. Au point de vue factuel, la pièce triche ici un peu avec la réalité : Hart Island n’est pas Rikers Island, dont les prisonniers sont chargés d’enterrer les corps, sous la direction du New York City Department of Correction. Sur le plan symbolique, en revanche, la superposition entre le cimetière et la prison suggère que le pauvre est facilement perçu comme délinquant et que l’un comme l’autre sont l’objet de mesures d’ostracisme. Les connotations attachées à « Champ du Potier » prolongent cette dévalorisation. On sait que l’expression provient de l’évangile de Matthieu, 27, 7, et désigne le terrain qu’achètent les principaux sacrificateurs avec les trente deniers de la trahison du Christ que leur a remis Judas, avant de se pendre : estimant que la somme ne peut rejoindre le trésor sacré car elle est le prix du sang, les prêtres décident de l’utiliser pour ensevelir les étrangers. Anita, portoricaine et catholique, rappelle cet arrière-plan évangélique à Flea et à Sacha, avant de les charger d’aller rechercher le corps de Paulie, pour l’enterrer dans le parc, qu’elle perçoit encore comme le territoire de leur communauté. Mais, lois de la comédie obligent, l’entreprise échoue : une fois sur Hart Island, Flea est victime d’une attaque d’épilepsie tandis que la vue de Sacha est limitée par « ses lunettes déglinguées » (44) ; ils se trompent de cadavre et reviennent avec celui d’un homme dont la couleur de peau n’est pas la même que celle de Paulie !
10Toutefois, autant que la tragédie, la comédie pose, de diverses manières, la question du jugement moral au centre de la parole théâtrale, comme le souligne Chantal Foucrier :
demeure cette relation forte entre trois composantes : une matière mythique narrative, une problématique de type moral, une mise en forme théâtrale. Avec des variantes, bien sûr (drame, tragi-comédie, etc.), celle-ci place de facto l’action représentée sous le signe du crime et du châtiment, de la vengeance et du procès, bref, sous le signe d’une hybris qui génère la faute ou du moins l’aveuglement du personnage face à ses propres transgressions7.
Anita proteste donc contre la relégation injuste dont est victime Paulie :
Mais là-bas [l’île du Cerf], on met seulement les criminels, les minables, les laissés-pour-compte. Paulie, c’était un véritable Américain blanc protestant anglo-saxon […] il avait la nationalité, il faisait partie de l’Amérique. Un vrai Américain. Ça ne devrait pas se passer comme ça. Ils ne devraient pas l’emmener là-bas. (21)
La naïveté des propos d’Anita peut faire sourire, dès lors qu’elle assimile nationalité et valeur de la personne, dans une intériorisation de sa situation d’immigrée marginalisée. Mais elle invite aussi à se demander comment la pièce s’interroge sur la norme, sur le juste et l’injuste. Le Créon de Sophocle a tort et s’obstine dans sa faute (hamartia) ; du moins est-il capable d’exposer au chœur les raisons de sa décision, aux vers 182-183 : « qui s’imagine qu’on peut aimer quelqu’un plus que son pays [tês hautou patras], à mes yeux, ne compte pas [touton oudamou legô8]. » Il n’y aurait donc de parfait amour que celui de la patrie, ce qui disqualifie aussi bien Antigone, coupable de préférer un frère, que Polynice qui, en parfait égoïste, réclame par les armes son droit à régner sur sa cité. Significativement, l’expression par laquelle Créon exprime son rejet est polysémique : on traduit souvent oudamou comme un génitif de prix (« ne compte pas »), mais s’y superpose un génitif locatif (« homme de nulle part »), les deux aspects se combinant dans l’esprit borné du dirigeant politique. Ennemi, Polynice n’est plus citoyen et il serait illégitime et même illogique de l’enterrer sur le sol de ses pères. Il n’y a pas d’équivalent de Créon dans Antigone à New York. Toutefois, la question du lieu d’appartenance y est présente, dans son association avec celle de la valeur, on l’a vu. Anita, Flea et Sacha sont tous trois des immigrés : venue à New York, Anita y a travaillé dans un atelier de couture avec sa mère dans de telles conditions qu’elles sont tombées malades et que sa mère en est morte, ce qui amorça la ruine d’Anita à cause des dépenses « pour l’enterrer à Porto Rico » (56) ; de Flea, qui forme avec Sacha un couple sadomasochiste un peu sur le modèle de Wladimir et Estragon, on sait juste qu’il a vendu un rein à Varsovie pour venir à Manhattan (35), à moins qu’il n’affabule sur ce point, tant il est à la fois l’homme de tous les expédients et de tous les mensonges (y compris à lui-même) ; Sacha est un ancien artiste peintre soviétique, attiré à New York par la vente de l’une de ses toiles à un Américain, après que Brejnev eut craché dessus, et avant que des infortunes diverses (conjugales entre autres) n’aient raison de sa combativité d’hypersensible. On peut porter tous les jugements que l’on veut sur ces personnages mais aucun n’est sans mérite ni droit à la sympathie. Ils incarnent, comme l’a bien observé Jan Kott, une humanité moyenne9 dont la trajectoire et la marginalisation ne peuvent se justifier en toute rigueur.
11Dans une tragédie grecque, le rôle du chœur est entre autres d’assurer cette instance du jugement moral, même si son avis n’a rien d’absolu10. Son avatar dans Antigone à New York pourrait être le policier, extérieur à l’action principale sans en être totalement coupé, et qui analyse le sort des protagonistes et les évalue. On verra plus loin que sa parole est néanmoins d’autant plus cynique qu’elle se présente comme pragmatique, et qu’elle nous tend le miroir de la violence ordinaire. En l’absence de Créon (au sens strict11) et du chœur (dans l’une de ses fonctions essentielles), seule demeure Anita pour adopter une perspective réellement éthique chez J. Głowacki.
Les principes d’une Antigone marginalisée
12Les citations qui précèdent auront déjà commencé à montrer que le discours d’Anita est volontiers sentencieux, assertif, généralisant et que l’usage du verbe « devoir » y réintroduit le sens d’une urgence éthique dans un horizon marqué par les difficultés de la vie concrète. Par-delà le renouvellement des personnages et le changement radical de la construction dramatique, transparaît le souvenir de plus d’un vers de Sophocle et notamment de deux scènes, le prologue et l’affrontement avec Créon. Sacha devient alors un avatar d’Ismène face à Anita qui lui demande son aide pour rechercher le corps de Paulie sur l’île du Cerf :
Sacha : Anita, tu te rends compte de ce que tu dis ? C’est un crime. – Anita : C’est un crime d’enterrer les gens là-bas. – Ils ont des gardiens. Ils vont nous arrêter. – Dieu vous [Flea et Sacha] protégera. (41)
Les mots de la sœur craintive, aux vers 44 et 56-57, revivent ici. Quant à l’interdiction énoncée par Anita, « Faut pas enterrer un homme dans une prison. Mauvais pour son âme12 » (39), elle a été éclairée trois pages plus haut :
Un homme dans une tombe sans sa famille reste seul pour toujours. Quand tu es vivant, tout peut arriver. Mais à ta mort, c’est différent, chacun a le droit à sa propre tombe. (36)
De même, face à Créon, Antigone estimait que la mort efface les distinctions qui, de leur vivant, séparent l’ami de l’ennemi, avant de conclure qu’elle était « née pour aimer » et non pour haïr (vers 519-523). À l’instar de la tragédie sophocléenne, où le verbe « symphilein » indique que l’amitié, ou l’amour (« philein »), est indissociable d’une proximité, ou d’une appartenance (préfixe « syn- »), Anita a une conception élargie de la famille : Paulie n’est pas son frère, peut-être son amant, à coup sûr son ami et son frère en épreuves, et cela suffit pour qu’il soit membre de la « famille », qu’il ait droit à un lieu à lui dans la mort, en échappant à l’anonymat du carré des indigents, et qu’il puisse recevoir des visites de ses proches. Le flou sémantique qui entoure ici la notion de « famille » reprend la conception grecque du « philos » comme « allié », « ami », « membre de la famille » ou « chéri »13.
13Bien entendu, et les commentateurs l’ont relevé, la transformation de l’Antigone tragique en personnage comique, ou tragi-comique, s’accompagne de caractérisations quelque peu ridicules. Ainsi, le sentiment religieux d’Anita n’est pas exempt de superstition et, remplaçant Tirésias sur un mode dégradé, elle lit la volonté divine dans le vol des pigeons :
Alors je me suis dit : si le nombre de pigeons est pair, alors Dieu ne veut pas que je m’en mêle. Mais si le nombre est impair, Dieu attend quelque chose de mieux pour Paulie. (36)
La liturgie qu’elle suit lors de l’enterrement de Paulie (ou plutôt de son substitut) n’a rien non plus de très orthodoxe :
Anita [à Sacha] : Anita sort de son Caddie deux tasses en plastique, des crackers, du fromage et un paquet de chocolat en poudre : Regarde ce que j’ai apporté. On devrait faire une neuvaine pour lui et prier pendant neuf jours mais on n’a pas le temps. (54)
Une part de sentimentalisme entre également dans sa « symphilia » : interprétant n’importe quelle marque de respect ou de gentillesse comme une preuve d’amour, Anita est prompte à croire en de nouveaux « nous » et, par exemple, à espérer former un couple avec Sacha, vers la fin de la pièce (65). Le démenti est rapide et cruel : succombant à l’influence de Flea et fin saoûl, Sacha est incapable d’intervenir lorsqu’Anita se fait violer derrière un buisson, non loin de lui. On peut donc souscrire à la remarque d’Anna Krajewska-Wieczorek : « il y a un autre degré de folie dans le cas d’Anita, qui rend son acte un peu flou14. »
14Au-delà de la référence à Sophocle, retravaillée sur le mode comique, Janusz Głowacki revient à la matière narrative du mythe et à des éléments que la tragédie d’Antigone avait laissés de côté. Anita, en tant qu’incarnation « des exclus, des déshérités ou de l’Autre dans la société15 », mène la vie d’exilée et de mendiante de l’héroïne mythique, partant sur les routes avec Œdipe. Est-ce parce qu’elle est supposée avoir connu cette expérience de l’errance que l’Antigone de Sophocle se décrit par deux fois comme « metoikos16 », aux vers 852 et 868 ? Ce n’est pas impossible. Mais le mot, porté par l’émotion des adieux, évoque surtout l’entre-deux d’un moment où Antigone n’appartient déjà plus au monde des vivants et pas encore à celui des morts, tout comme sa tombe n’en sera pas entièrement une, puisqu’elle y sera enfermée vivante. L’accent mis ici par Głowacki sur ce qui n’existe qu’en filigrane chez Sophocle, dans la prophétie de Tirésias aux vers 449-456 de l’Œdipe-Roi, par exemple, ou dans la situation initiale d’Œdipe à Colone, est typique d’un mode actuel de retour à l’histoire des Labdacides. En effet, depuis une trentaine d’années environ, au théâtre17 ou sous une forme romanesque18, les auteurs insistent volontiers sur la pauvreté d’Antigone et sur sa marginalité, qu’Henry Bauchau imagine d’ailleurs choisie et assumée. Plus largement et plus récemment, les tragédies grecques ont fourni un arrière-plan d’histoires, d’images et de situations pour aborder la question des réfugiés de guerre, comme l’ont fait Marina Carr dans sa version d’Hécube pour la Royal Shakespeare Company, à Stratford-upon-Avon, en 2015, et Elfriede Jelinek, la même année, à Vienne, dans son utilisation scénique des Suppliantes d’Eschyle19.
15Qu’il s’agisse d’un pur effet de mode ou, plus profondément, de l’incessant mouvement par lequel une culture revient dans une perspective renouvelée à des textes jugés primordiaux, à chaque fois, la représentation théâtrale manie l’allusion à l’actualité, s’interroge sur la possibilité d’un espace commun et cherche une manière spécifique de s’adresser au public.
Parabases sur une scène théâtrale « nettoyée »
16Ce sont également ces réalités sociales immédiates qu’a en tête Janusz Głowacki, même si le spectateur/lecteur non américain peut ne pas y être sensible d’emblée. Jan Kott nous guidera dans la perception de ces enjeux et ce, dès le titre de sa préface, « Antigone se pend à Tompkins Square Park », qui adopte un ton journalistique afin de réduire l’écart entre fiction et réalité. Mieux, il se présente comme ayant fréquenté le parc où, naguère, il emmenait jouer sa petite-fille, dont les parents habitaient à trois blocs de distance, dans le même immeuble que Głowacki. Le lieu est proche mais inhospitalier, méritant à peine l’appellation de parc, nous dit Jan Kott, sale, sans végétation ni même de banc. Une « tribu de sans-abri20 » s’y était installée sur une estrade en bois et y menait toutes les activités d’une vie ordinaire (dormir, manger, changer les couches des bébés, tomber malade et mourir, précise-t-il) : « Il y a un an, la police a chassé les sans-abri du parc21 ». L’East Village, jadis quartier populaire accueillant les émigrés, de l’Europe de l’Est entre autres, ne fait plus place aux marginaux : « Résultat de l’embourgeoisement du quartier, un jour la police expulsa les sans-abri à l’aube22. » Le texte répète l’information pour que nos esprits ne la balayent pas aussitôt. Dans un geste de déni ? De bonne conscience ? Ou de peur ?
17Un article du New York Times, daté de 1989, donne une image quelque peu différente de l’endroit : « Des mondes s’affrontent à Tompkins Square Park23 ». Insistant sur la sectorisation du lieu, en fonction des origines des migrants, et donc sur les dissensions plus que sur l’appartenance à une « tribu », John Kifner explique aussi quelles forces externes agissent sur la destinée du parc : « la drogue et la propriété foncière24 ». Et il évoque la spéculation immobilière dans les environs, qui expulse, par exemple, les locataires incapables de racheter leur appartement aux sociétés ayant acquis l’ensemble de l’immeuble. C’est là que la réalité rejoint à nouveau la fiction. Voici la fin de la dernière tirade du policier, et donc de la pièce :
Juste quelques mots encore, qui pourraient vous intéresser. Les statistiques disent que le nombre de SDF dans New York augmente considérablement et que d’ici la fin de l’année, sur trois cents New-Yorkais, il y aura un SDF. Ce qui veut dire que dans ce théâtre, il y a au moins une personne qui se retrouvera dans la rue d’ici peu. Cette personne saura certainement se reconnaître. Je vous souhaite une bonne soirée. (73)
John Kifner met un nom et un visage sur ces statistiques : celui de M. Hunter Jr., « un homme noir doux, aux propos intelligents et à la barbe grise25 ». Incapable de résister aux pressions pour lui faire quitter son logement s’il n’en devenait pas propriétaire, et ayant trouvé refuge dans Tompkins Sq. Park, M. Hunter Jr. craint désormais d’en être délogé.
18C’est donc par le policier que la réalité fait retour dans l’œuvre de Janusz Głowacki. Il serait trop limitatif d’envisager celle-ci simplement comme réécriture de Sophocle ou dans sa filiation avec Beckett, ou comme une fable sur l’héroïsme au quotidien, et au féminin26 : Antigone à New York parle des villes où nous vivons. Ces villes qui ont choisi le policier comme porte-parole, observe Jan Kott : « Comme le chœur dans une tragédie grecque, il est la Cité. La voix de la Cité27. » Cela est à la fois juste et faux. Faux, car le modèle de la parabase, dans laquelle le chœur s’adresse directement à la salle, vient en fait de la comédie, et non de la tragédie28. Juste, car le type de raisonnement du policier, sa langue, ses stratégies discursives font de lui le relais d’un discours habituel sur les pauvres – assez éloigné néanmoins du point de vue moral du chœur tragique, j’ai déjà commencé à le suggérer. Un des modes d’énonciation qui a la préférence du policier est en effet la dénégation, articulée autour d’un « mais » :
Sincèrement, j’aimerais aider ces gens-là. J’aimerais. Mais, vous savez, en fait, l’expérience montre que d’une manière ou d’une autre, ils doivent réapprendre à se débrouiller seuls (10) […] J’ai pitié de ces pauvres types mais j’ai mon boulot à faire. (59)
Son idéal est celui de l’efficacité pragmatique, où les personnes sont les éléments d’un problème auquel il faut trouver une solution :
J’ai un rendez-vous important en ville avec le maire. Il a des nouvelles idées pour résoudre le problème du Tompkins Square. […] je lui fais crédit pour l’instant. Il essaye de trouver des solutions. C’est tout ce qu’on peut faire, pas vrai ? (59)
Et peu importe que la rationalité ait ses limites ou ses erreurs : si Flea et Sacha, en Pieds nickelés de l’enlèvement de cadavres, se trompent de corps et emportent un Noir, les agents de police ne doivent pas être plus avisés ou organisés puisqu’ils estiment avoir retrouvé le cadavre dérobé, pourtant « blanc et barbu » (59). Au passage, on apprend que leur enquête leur a valu de découvrir six autres corps abandonnés – tous Noirs29. Ce qui achève de ruiner les déclarations d’égalité démocratique du policier :
Tout le monde possède les mêmes droits et les mêmes responsabilités. […] Si le président des États-Unis venait dans le parc, allumait un feu, se couchait sur un banc et commençait à boire une bouteille d’alcool, sans un sac autour pour la dissimuler, il aurait les mêmes ennuis que n’importe lequel de ces clochards. (31)
C’est alors le discours commun qui se fait fiction.
19Chez Sophocle comme chez Głowacki, il y a un dérèglement politique de l’espace, auquel Antigone et Anita tentent en vain de remédier : en laissant un cadavre pourrir au soleil et en enfermant sa nièce vivante dans un tombeau, Créon a interverti les justes places de chacun, garanties par les dieux, et il a introduit le désordre30, comme le lui signifie Tirésias aux vers 1067-1071 ; à New York, la seule réponse du maire (qui n’apparaît pas sur scène) est de repousser plus loin les SDF, tant vifs que morts, et d’attendre de faire de même avec ceux qui ne manqueront pas de surgir à nouveau. La principale différence est donc dans la résolution dramaturgique de cette crise de la cité envisagée comme espace à partager. On aura peut-être observé que, dans les deux pièces, la scène se vide peu à peu, respectivement avec les morts d’Antigone, d’Hémon et d’Eurydice, et avec l’expulsion de Flea et de Sacha et le suicide d’Anita, et que demeure celui qui incarne l’autorité, directement (Créon) ou indirectement (le policier). Ces présences ultimes ont toutefois une signification opposée chez Sophocle et chez Głowacki : Créon reconnaît sa « folie » devant le chœur et réclame d’être emmené au loin31 ; satisfait, le policier fanfaronne à l’adresse des spectateurs, dont certains, prédit-il, fourniront les prochains « homeless ». Dans les deux cas, la violence politique a fait ses ravages, mais elle prend fin chez Sophocle32, tandis qu’elle est systémique chez Głowacki.
20Dans les deux œuvres examinées, la scène représente l’espace de la cité, mais, dans Antigone, même avec retard, les dialogues imposent une solution qui ne saurait être trouvée chez Głowacki, où le policier et Anita ne se rencontrent que brièvement, à la scène 3, avant que le policier n’intime l’ordre de « ficher le camp » (32), sans qu’ils aient abordé aucune question de fond. Et de fait, les personnages de Sophocle manient des arguments et se réfèrent à des valeurs antagonistes ; ils maintiennent ainsi un horizon éthique ayant presque totalement disparu de la pièce de Głowacki, où Anita est la seule à ne pas le perdre de vue. Janusz Głowacki est très lucide sur ce point :
Le ciel est tellement couvert que Dieu devient invisible et la loi humaine est remplacée par l’ordre, c’est pour cette raison que Créon dans ma pièce est représenté par le policier33.
21Ce projet de l’auteur polonais modifie en profondeur à la fois la projection sur scène de l’espace de la cité, et la relation qui s’établit entre l’œuvre et le public rassemblé pour le spectacle. Dans le cas de la tragédie antique, en l’absence de décor, la scène est définie de façon abstraite mais elle figure tout de même la cité dans sa dimension éthique et symbolique, dont les citoyens peuvent débattre, comme le fait Créon successivement avec le chœur, son fils et Tirésias. Le relais sur scène du public est en partie le chœur, qui assiste à l’histoire et juge les personnages, non sans se tromper parfois, ce qui maintient les spectateurs dans la position active souvent décrite par les hellénistes34. De plus, on peut donner une valeur cathartique au départ final du « fou », aveuglé dans son hamartia, qui libère la cité de la faute commise en la reconnaissant, en la réparant autant que possible, et en souhaitant disparaître loin des regards35. Dans le cas de la comédie contemporaine, la scène renvoie à un endroit réel et familier aux spectateurs, même s’il est stylisé ; la figuration de la cité comme lieu de débats entre valeurs antagonistes disparaît puisqu’Anita reste sans interlocuteur réel ; il n’y a pas catharsis, mais prolongement de la violence dans l’espace effectif du théâtre, où les spectateurs sont menacés par le tenant d’un ordre, qui ne saurait relayer leur voix que s’ils se font complices d’une conception policière de la cité comme lieu à « nettoyer ». Dans cette hypothèse, la question de l’aveuglement se déplace et quitte le pur domaine de la représentation : l’aveugle n’est plus sur scène mais dans la salle et, comme le héros tragique, il risque de comprendre à ses dépens, trop tard.
*
22Il est sans doute temps de revenir de ces considérations génériques vers la mythocritique, au sens restreint du terme. Que dire de la place d’Antigone dans ces deux œuvres, et ces deux genres ?
23Elle s’y définit toujours comme marginale, étrangère à la voix du pouvoir dans la cité. Soit en tant que femme, issue, qui plus est, d’une famille monstrueuse et maudite, une femme dont on ne sait trop si les principes sont absolus (le « symphilein » du vers 523) ou révisables en fonction d’une casuistique établissant que le frère est le seul être digne de sacrifice, une femme en tout cas qui existe par son refus. Soit en tant qu’étrangère, à la rue, un peu chimérique et fantasque, mais qui affirme un ensemble de convictions dans un monde en déshérence, dont le seul mode de régulation est un pragmatisme ne s’interrogeant pas sur ses fondements.
24L’Antigone de Janusz Głowacki subit une « inflexion » qui porte la marque de l’époque. La resémantisation sociale de « metoikos » l’atteste, on l’a vu, ainsi que l’attention aiguë portée à la politique de l’espace dans la cité, qui redécouvre d’ailleurs des aspects longtemps minorés du texte tragique et/ou de la matière mythique. On a relevé aussi une conception plus univoque de l’héroïsme, puisqu’elle limite la part d’ombre et d’inclination vers la mort présente dans l’Antigone de Sophocle, au bénéfice d’un principe d’espérance, au premier plan chez Henry Bauchau également. Mais, victime d’une impuissance qui ne doit rien aux dieux, Anita meurt sans rien obtenir, ni que Paulie soit enterré dans la dignité, ni que la cité adopte une autre ligne de conduite.
25Échappant à l’ambiguïté tragique, souvent à la frontière du ridicule, Anita incarne la précarité de bien des habitants des villes occidentales. Devenu tragi-comique, son parcours peut déranger le spectateur, directement apostrophé, et l’inciter à prendre conscience de réflexes sociaux adoptés sans distance et par docilité. Ce qui permet de laisser le mot de la fin à Jan Kott :
Je ne cesse jamais de m’étonner que l’écriture dramatique s’achemine vers un nouveau réalisme en partant directement de ce que l’on a peut-être trop imprudemment désigné comme théâtre de l’absurde36.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bauchau Henry, Œdipe sur la route, Arles, Actes-Sud, 1990.
Bauchau Henry, Antigone, Arles, Actes-Sud, 1997.
Bauchau Henry, Journal d’Antigone, Arles, Actes-Sud, 1999.
Demarcy Richard, Les Voyageurs et les Ombres, Avant-Scène Théâtre, 1er février 1994, no 943.
Foucrier Chantal, « Le mythe au fil des genres : cristallisations et inflexions », dans Michèle Guéret-Laferté & Daniel Mortier (éd.), D’un genre littéraire à l’autre, Mont-Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2008, p. 27-37.
Głowacki Janusz, Antygona w Nowym Jorku, préface de Jan Kott, New York, Bicentennial Publishing Co. Inc, 1994.
Głowacki Janusz, Antigone in New York, trad. anglaise par l’auteur et Joan Torres, New York, Samuel French Inc., 1997.
Głowacki Janusz, Antigone à New York, trad. française Olivier Cohen et Urzula Mikos, Montreuil-sous-Bois, éditions Théâtrales / Maison Antoine Vitez, 2005.
Kifner John, « Worlds Collide in Tompkins Sq. Park », The New York Times, 31 juillet 1989.
Kosicka Jadwiga, « Antigone Hangs Herself in Tompkins Square Park », Slavic and East European Performance, XIII, 1, 1993, p. 44-47.
Krajewska-Wieczorek Anna, « Two Contemporary Antigones », New Theater Quarterly, volume 10, 4, 1994, p. 327-330.
Loraux Nicole, Introduction à Antigone, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Classiques en poche », 2006.
Pavis Patrick, Dictionnaire du théâtre [1996], Paris, Armand Colin, 2002.
Sophocle, Antigone, dans Sophocle, t. 1, trad. Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France » [1955], 1967.
10.1163/9789004675087 :Stobierska Agnieszka, « Antigone des “homeless” dans la “comédie du désespoir” de Janusz Głowacki : Antigone à New York », dans Rose Duroux & Stéphanie Urdician (éd.), Les Antigones contemporaines (de 1945 à nos jours), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2010, p. 229-241.
Urdician Stéphanie, « Antigone. Du personnage tragique à la figure mythique », dans Véronique Léonard-Roques (éd.), Figures mythiques : fabriques et métamorphoses, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 69-94.
Vernant Jean-Pierre, « Tensions et ambiguïtés dans la tragédie », dans Jean-Pierre Vernant & Pierre Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1972, t. 1, 1986, p. 21-40.
Wilmer Steve, « Greek Tragedy as a Window on the Dispossessed », New Theatre Quarterly, vol. 33, 3, 2017.
10.1017/S0266464X17000318 :Notes de bas de page
1 C. Foucrier, « Le mythe au fil des genres : cristallisations et inflexions », dans M. Guéret-Laferté & D. Mortier (éd.), D’un genre littéraire à l’autre, 2008, p. 37.
2 Le site bilingue (en anglais et en polonais) consacré à Janusz Głowacki (1938-2017), http://www.januszgłowacki.com/, indique que la pièce fut créée en 1993 à l’Arena Stage de Washington D.C., dans une mise en scène de Larry Maslon. Le texte paraît en 1994 chez Bicentennial Publishing Co. Inc, à New York, sous le titre Antygona w Nowym Jorku, avec une préface de Jan Kott. Je me référerai à la traduction française de la pièce, proposée par Olivier Cohen et Urszula Mikos : Antigone à New York, Montreuil-sous-Bois, 2005. Les numéros de page seront donnés entre parenthèses à la suite des citations. Il existe aussi une traduction en anglais, Antigone in New York, réalisée par l’auteur et Joan Torres, et parue en 1997 à New York, chez Samuel French Inc.
3 Voir la note 35 de l’article d’A. Stobierska, « Antigone des “homeless” dans la “comédie du désespoir” de Janusz Głowacki : Antigone à New York », dans R. Duroux & S. Urdician (éd.), Les Antigones contemporaines (de 1945 à nos jours), 2010, p. 229-241.
4 La traduction française introduit la variante Thompkins Square que je corrige pour respecter l’appellation américaine.
5 Je cite la préface de Jan Kott, rédigée en juillet 1992 et parue en 1994 (voir plus haut p. 215, n. 2), à partir de sa traduction en anglais, due à Jadwiga Kosicka : « Antigone Hangs Herself in Tompkins Square Park », Slavic and East European Performance, XIII, 1, 1993, p. 44-47, et accessible en ligne sur http://www.januszglowacki.com/. Je remercie vivement Anne Faivre-Dupaigre d’avoir vérifié avec moi la stricte correspondance entre le texte polonais et cette traduction, à laquelle je me réfère dans sa présentation en ligne, non paginée : « A dramatic discovery is sometimes only a new address, in this case, that bench and a new connection : Gorky’s Lower Depths on a bench. »
6 A. Stobierska (art. cité, p. 232) signale à ce sujet une différence intéressante entre la version polonaise et la version française : dans la première, Anita arrive seulement à la scène 2, avec un ordre d’entrée qui manifeste davantage encore sa position subalterne.
7 C. Foucrier, « Le mythe au fil des genres : cristallisations et inflexions », art. cité, p. 31.
8 Traduction de Paul Mazon aux Belles Lettres.
9 J. Kott, préface à Antygona w Nowym Jorku (voir plus haut n. 2 p. 216) : « What are Głowacki’s heroes like ? Like everybody else. Like all of us. » « À quoi ressemblent les héros de Głowacki ? À tout un chacun. À nous tous. »
10 Ainsi que l’ont montré, par exemple, les travaux de J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet.
11 On peut se demander si cette disparition de Créon n’est pas mise en abyme par un détail de la vie de Sacha : « la peinture sur laquelle Brejnev avait craché, je l’ai vendue très cher, à un correspondant américain et c’est comme ça que je suis venu à New York où j’ai exposé avec un autre Russe. J’espérais que George Bush viendrait et cracherait aussi dessus, mais personne n’est venu. » (63) Le capitalisme avance sans visage.
12 L’idée apparaît une première fois à la page 22 : « Tu [Flea] peux pas enterrer un être humain dans une prison où personne ne peut le voir. Mauvais pour son âme. »
13 Mais cela s’oppose à un autre passage, où Antigone fait valoir qu’elle ne se serait pas sacrifiée pour un autre que son frère (vers 907 à 914). Sur ce point, lire S. Urdician, « Antigone. Du personnage tragique à la figure mythique », dans V. Léonard-Roques (éd.), Figures mythiques : fabriques et métamorphoses, 2008, p. 69-94, et en particulier la page 73 : « or c’est là que les œuvres contemporaines impriment leur différence en déplaçant l’acception du frère : le frère, c’est l’Homme. Antigone est la sœur de tous les hommes, de tous les morts sans sépulture ».
14 A. Krajewska-Wieczorek, “Two Contemporary Antigones”, New Theater Quarterly, vol. 10, 4, 1994, p. 327-330 : « there is another level of insanity in Anita’s case, which makes her act look blurry » (p. 329).
15 S. Wilmer, « Greek Tragedy as a Window on the Dispossessed », New Theatre Quarterly, vol. 33, 3, 2017, p. 277-287. Nous nous référons au passage suivant : « an emblematic figure to embody the excluded, the dispossessed, or the Other in society », p. 278.
16 On se rappelle que ce terme, généralement traduit par « métèque », désigne dans son emploi premier l’étranger qui vient s’installer quelque part.
17 Citons par exemple Les Voyageurs et les Ombres de R. Demarcy, Avant-Scène Théâtre, 1er février 1994, no 943.
18 Pensons aux œuvres d’H. Bauchau : Œdipe sur la route, 1990 ; Antigone, 1997.
19 Voir S. Wilmer, art. cité, n. 14.
20 J. Kott, préface à Antygona w Nowym Jorku (voir plus haut n. 2 p. 216) : « A tribe of the homeless […] ».
21 Ibid. : « A year ago the homeless were driven out of the park by the police. »
22 Ibid. : « As a result of gentrification, one day the police chased the homeless at dawn. »
23 J. Kifner, « Worlds Collide in Tompkins Sq. Park », The New York Times, 31 juillet 1989.
24 Ibid. (« drugs and real estate »).
25 Ibid. (« a gentle, shrewd-spoken, gray-bearded black man »).
26 Ce qui n’empêche nullement de remarquer qu’Anita est portée dans son combat par un optimisme sans équivalent chez Sophocle : « Nous [Sacha et elle] y arriverons. Nous y arriverons. Quand je me concentre sur quelque chose… vraiment fort… ça arrive. » (65) Cette détermination absolue, qui ne fait aucune place à l’attirance vers la mort, peut être rapprochée de la conception d’H. Bauchau, pour qui Antigone est celle qui « transmet l’intraitable espérance » (Journal d’Antigone, 1999, p. 239).
27 J. Kott, préface à Antygona w Nowym Jorku (voir plus haut n. 2 p. 216) : « Like the Chorus in a Greek tragedy, he is the City. The voice of the City. »
28 De la comédie ancienne (Aristophane) et non moyenne (Ménandre), pour être précise. Voir P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, [1996], 2002, p. 239.
29 Observons que, dans Œdipe-Roi, la ville aussi est emplie de cadavres laissés à l’abandon, la crise tragique s’accompagnant donc d’un bouleversement dans l’occupation des lieux (vers 179 à 181) : « Et la Cité se meurt en ces morts sans nombre. Nulle pitié ne va à ses fils gisant sur le sol ; ils portent la mort à leur tour, personne ne gémit sur eux. »
30 Dans la note 3 de son édition d’Antigone, 2006, p. 4, N. Loraux remarque d’ailleurs une anomalie dans la sanction initialement prévue par Créon pour ceux qui lui désobéiraient, à savoir la lapidation. Elle s’étonne : « En règle générale, la lapidation, en raison de l’impureté particulière des criminels à qui ce supplice est réservé, a lieu hors des murs de la ville. On se demande pourquoi le châtiment aura lieu sur l’acropole. » Sans prétendre apporter d’explication réelle, je me bornerai à relever que la question du lieu est encore une fois posée.
31 Voir le vers 1339, que P. Mazon traduit ainsi « emmenez loin d’ici le fou ».
32 Où Polynice est du moins enterré. Anita, elle, devient un nouveau Paulie puisque sa dépouille est emportée sur l’île du Cerf.
33 Interview du 31 janvier 2003 dans Gazeta Wyborcza, que je cite dans la traduction d’A. Stobierska (art. cité, p. 236).
34 Par exemple par J.-P. Vernant dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 1973, p. 35-36 : « Le chœur, le plus souvent, hésite et oscille, rejeté successivement d’un sens vers un autre, ou parfois pressentant obscurément une signification demeurée encore secrète, ou la formulant, sans le savoir, par un jeu de mots, une expression à double sens. C’est seulement pour le spectateur que le langage du texte peut être transparent à tous ses niveaux, dans sa polyvalence et ses ambiguïtés. »
35 C’est encore plus clairement ce qu’il advient du protagoniste d’Œdipe-Roi.
36 J. Kott, préface à Antygona w Nowym Jorku (voir n. 2 p. 216) : « I never cease to be amazed that the dramatic road to a new realism comes directly from what has perhaps too recklessly been labeled the theatre of the absurd. »
Auteur
Université de PoitiersFoReLLIS, EA – 3816
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L’enfant-dieu et le poète
Culte et poétiques de l'enfance dans le roman italien du XXe siècle
Gilbert Bosetti
1997
Montagnes imaginées, montagnes représentées
Nouveaux discours sur la montagne, de l'Europe au Japon
André Siganos et Simone Vierne (dir.)
2000
Petit dictionnaire de mythologie populaire roumaine
Ion Taloș Anneliese Lecouteux et Claude Lecouteux (trad.)
2002
Le Sphinx et l’Abîme
Sphinx maritimes et énigmes romanesques dans Moby Dick et Les Travailleurs de la mer
Lise Revol-Marzouk
2008
Babel : ordre ou chaos ?
Nouveaux enjeux du mythe dans les œuvres de la Modernité littéraire
Sylvie Parizet
2010