Le diable et le crépuscule des Lumières : motif littéraire et critique idéologique chez Cazotte et Beckford
p. 183-208
Texte intégral
1Pour être d’abord de l’ordre de l’écriture – et plus encore de la réécriture, par la réitération d’un scénario originel indéfiniment réactualisé, modifié, parodié –, le mythe littéraire n’en est pas moins chargé d’une signification idéologique collective d’ordre social et politique. On connaît par exemple les implications polémiques du mythe de l’Atlantide à son origine, mise en garde contre l’évolution thalassocratique de la société athénienne que redoutait Platon, son créateur, et quelque deux millénaires plus tard sa mise au service de diverses revendications nationalistes ou idéologies ethnicistes1. Motif plutôt que mythe – car il lui manque un hypotexte fondateur unique clairement identifié –, la figure du diable, après avoir été longtemps un dogme religieux et parfois un fait social, devient au xviiie siècle un objet de fiction romanesque, mais aussi une arme, d’ailleurs hautement ambiguë, dans le combat idéologique des Lumières.
2À supposer que le diable n’existe pas (mais est-ce si sûr ?), il aurait de toute évidence fallu l’inventer au vu des services qu’il a pu rendre jusque vers la fin de l’Âge classique : il a offert une solution théologique simple au problème du Mal, assuré la cohésion de la société en focalisant sur lui les grandes peurs collectives2, cautionné à la fois les débordements de l’irrationnel et leur intelligibilité en apportant aux phénomènes dits surnaturels un cadre explicatif commode3. Avec le début des Lumières pourtant, le diable s’enfonce dans le discrédit. La sorcellerie glisse du terrain du judiciaire à celui du psychopathologique4. Les théologiens n’évoquent plus qu’avec une certaine gêne une croyance entachée d’hérésie manichéenne sinon de paganisme5 qui ne répond pas aux exigences de la nouvelle théodicée issue de la philosophie leibnizienne. Abandonné à la religion populaire, autant dire à la superstition, le diable ne fait plus peur. Le discrédit du démoniaque s’inscrit dans le mouvement de remise en cause des vérités révélées, d’autonomisation des consciences individuelles et de libre examen qui caractérise les Lumières, définies par Kant dans un opuscule célèbre comme une sortie de l’état d’enfance et un accès de l’humanité à sa majorité :
Les Lumières sont ce qui fait sortir l’homme de la minorité qu’il doit s’imputer à lui-même. La minorité consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui […] Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! Voilà donc la devise des Lumières6.
3Or, paradoxe, le triomphe des Lumières, qui aurait dû avoir pour conséquence l’élimination définitive de la figure du diable, coïncide au contraire avec le retour de cette dernière sur le devant de la scène littéraire, souvent au sein d’un genre nouveau, le fantastique7. Le diable est un protagoniste essentiel de nos deux récits, Le Diable amoureux de Jacques Cazotte (1772 pour la première version)8, Vathek de William Beckford (1787, mais le texte a été rédigé au début de 1782)9, auxquels on aurait pu ajouter Le Moine de Matthew Lewis (1795) et Le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki (commencé en 1797).
4La formule de Kant est-elle illustrée ou contestée par ce retour en force du surnaturel à partir des années 1770 ? Le diable doit-il être compris comme la figuration parodique de superstitions périmées ou comme l’affirmation de la réalité du Mal au cœur de la modernité ? Le retour du négatif dans la littérature de la fin du siècle marque-t-il l’ultime combat de la Raison contre l’« Infâme », ou au contraire la mise en cause insidieuse de l’orgueil du savoir et du « désenchantement du monde » induit par le prétendu triomphe des Lumières ? Peut-on y cerner les contours d’une poétique nouvelle du surnaturel qui répondrait à l’ambivalence du message idéologique ? Telles sont quelques-unes des questions à poser aux textes après les avoir situés dans la « crise des Lumières ».
*
5Nos deux auteurs offrent un profil atypique : un mondain adepte d’une littérature de divertissement élégante et sceptique, Cazotte, que la Révolution transformera en un visionnaire imprégné d’ésotérisme mystique ; un richissime aristocrate anglais comblé de tous les dons, William Beckford, qui cherche à transformer sa vie en une vision d’esthète et exprime sa dissidence intérieure en s’inventant – en français – un Orient rêvé. Les textes aussi ont quelque chose de singulier. Certes Le Diable amoureux se présente à peu près comme un roman du xviiie siècle dans sa forme canonique, puisqu’il s’agit du récit pseudo-autobiographique d’un héros narrateur s’exprimant à la première personne ; mais l’auteur ne fait guère d’efforts pour accréditer la véracité de l’aventure d’Alvare et, dans l’édition définitive (1776), il la donne pour franchement allégorique10, suggérant un code de lecture plus proche de l’apologue que du roman. Optant pour une fantaisie éloignée de tout réalisme, Vathek est un récit à la troisième personne qui relève du modèle du conte oriental, mais s’en distingue quelque peu par l’absence d’un encadrement narratif. Tous deux ont en commun une distance face à la réalité sociale contemporaine, dont la présence en arrière-plan fonde habituellement la mimèsis romanesque. Ici l’éloignement dans le temps ou dans l’espace permet au contraire un certain exotisme culturel : l’Orient islamique de Vathek communique avec un monde légendaire infiniment ancien, celui des sultans préadamites. La géographie du Diable amoureux est fortement idéologique : l’itinéraire d’Alvare est un parcours de l’Europe méridionale qui inclut Naples et Venise et s’achève en Estramadure, province natale du héros, où il est délivré (peut-être) des poursuites du démon, mais qui évite expressément Paris, capitale des Lumières, où Biondetta voudrait l’entraîner11. Lewis et Potocki ont également choisi l’Espagne, terre emblématique de la résistance catholique aux Lumières12, comme ancrage principal de leur fiction.
6Quant au contexte, c’est celui du « crépuscule des Lumières13 ». Le triomphe apparent de la Raison et de la Philosophie sur les puissances négatives de l’ignorance, du fanatisme, du préjugé, de l’obscurantisme religieux et du despotisme politique – en somme tout ce qui maintenait l’humanité dans un état d’aliénation l’empêchant de penser par elle-même – a eu pour conséquence inattendue une sorte de retour du refoulé. C’est par la même désignation métaphorique que l’époque s’est célébrée elle-même dans toutes les langues européennes : Lumières, Enlightenment, Aufklärung, Illuminismo, Illustración. Dans l’opposition de la lumière et des ténèbres, investie alors d’une forte valeur symbolique même lorsqu’elle se borne à désigner un phénomène physique concret14, la fascination de l’obscur a le sens d’une contestation ou d’une nostalgie. La réaction antiphilosophique a des aspects multiples15. Elle conduit Rétif ou Bernardin de Saint-Pierre à afficher face au matérialisme athée des d’Holbach ou Helvétius un rousseauisme de protestation16. D’autres, comme Cazotte, cultivent un spiritualisme mystique qui ne se confond pas nécessairement avec le christianisme : le courant illuministe issu de Martinès de Pasqually et de Louis-Claude de Saint-Martin est aussi influencé par un certain ésotérisme maçonnique (Cagliostro crée vers 1780 un ordre de maçonnerie « égyptienne »), voire par des entreprises parascientifiques comme celle de Mesmer, médecin et guérisseur, inventeur du « magnétisme animal17 ». Chez beaucoup, le séisme de la Révolution détruira l’édifice intellectuel des Lumières par une remise en cause radicale de la croyance dans le progrès politico-social et dans la perfectibilité humaine. D’où les conversions religieuses retentissantes de quelques-uns des héritiers des Philosophes comme le critique La Harpe, qui rapporta – mais après coup, comme il se doit – la célèbre (et fort douteuse) prophétie par laquelle Cazotte aurait annoncé en 1788 aux familiers d’un salon philosophique leur mort prochaine sur l’échafaud, plus la sienne propre18.
7De fait, pour Cazotte, en accomplissant l’impensable transgression de la mise à mort du roi, le cataclysme révolutionnaire trahit son origine surnaturelle, assurément infernale mais peut-être aussi divine : ce qui est l’œuvre de Satan peut également entrer dans un plan d’expiation providentielle19. Cette grille de lecture historique est-elle transposable à la période prérévolutionnaire ? C’est toute la question20. En 1772, personne n’a vu dans Le Diable amoureux autre chose qu’un « badinage ingénieux », selon l’expression d’Élie Fréron21, et la même remarque vaut pour Vathek en 1787. Si la figure polémique du « diable jacobin22 » n’est actualisée que bien après 89, et pour cause, la valeur idéologique et politique du démon peut être interrogée dès les années 1770. Pour cela, on laissera la parole aux différentes scènes où le diable intervient directement.
*
8Le Diable amoureux en comporte deux. La première ouvre l’aventure d’Alvare avec la séduisante Biondetta23, qui en est l’émanation. La seconde, précédant l’épilogue, referme symétriquement l’action avec la disparition de l’avatar féminin du diable24.
9Jeune officier espagnol en poste dans le royaume de Naples, Alvare, poussé par son tempérament étourdi et curieux, s’est décidé non seulement à devenir, à l’exemple de son camarade Soberano, un initié à la Cabale, mais aussi à aller par défi « [tirer] les oreilles au grand Diable d’enfer » (57), fanfaronnade qui le conduira plus loin qu’il ne pensait. La scène est encadrée par un prologue et un épilogue descriptifs : le décor est bien le même avant et après l’apparition, mais son aspect, et son éclairage surtout, ont subi entre-temps une complète transformation. Conformément à l’ordre canonique dans ce genre de récit, le noyau central de ce premier épisode s’ordonne en trois phases : évocation du démon, apparition, pacte. Ce qui en assure l’unité, c’est au premier chef l’instabilité de la réalité représentée. Métamorphose visuelle du décor d’abord : le lieu choisi pour l’évocation se trouve dans les ruines de Portici, l’antique Herculanum, enfouie en 79 sous les cendres du Vésuve et récemment redécouverte. Ce cadre chtonien – le mot de « caverne » est bizarrement employé pour désigner les ruines – peuplé d’une faune inquiétante de rapaces nocturnes est « si obscur, qu’aucune lumière extérieure n’y pouvait pénétrer » (57). Or, domaine de l’apprenti sorcier, la « caverne » initiale aux murs « ci-devant noirs, humides, couverts de mousse » s’est transformée à la fin en un élégant salon de marbre jaspé dont « l’architecture présentait un cintre soutenu par des colonnes » (60), le tout baignant dans une vive lumière, non toutefois sans quelque chose de factice dans cette transformation à vue qui évoque une salle de théâtre, et les girandoles de cristal qui l’illuminent vont évidemment dans ce sens.
10Métamorphose toujours, mais cette fois biologique, l’apparition du diable ouvre une progression de l’animal à l’humain et du hideux au gracieux. À l’appel de son nom, Béelzébuth se manifeste d’abord sous l’aspect d’une monstrueuse tête de chameau, ce qui à vrai dire ne correspond ni aux données de la démonologie ni à celles de la tradition populaire, qui figure plutôt le diable sous la forme d’un bouc25. Détail incongru – on y reviendra –, les « oreilles démesurées » (59) de la bête, alors que dans la réalité celles du chameau sont au contraire fort discrètes. Le second avatar, toujours animal – une gracieuse petite chienne épagneule –, répond à une volonté d’euphémisation qui suggère déjà une interprétation : le diable à l’état « naturel », si l’on ose dire, est horrible, mais Alvare le préfère agréable à voir et même séduisant. En intimant au démon l’ordre de « [prendre] une forme convenable et un ton soumis » (ibid.), il montre qu’il est déjà tout prêt à se tromper lui-même. Les métamorphoses, humaines cette fois, de la chienne en la cantatrice Fiorentina, de celle-ci en un jeune page et enfin du page en Biondetta prolongent ce mouvement d’humanisation-euphémisation au point d’en faire oublier presque l’origine démoniaque première, encore qu’à chaque maillon un détail ténu rappelle la continuité de la chaîne des métamorphoses : les « oreilles traînantes jusqu’à terre » de la petite chienne font écho à celles de l’horrible tête de chameau, le pelage blanc de l’épagneul se prolonge dans les cheveux blonds de ses avatars humains26.
11La plus riche de sens est la métamorphose intérieure du héros, de l’angoisse du fanfaron pris au mot, qui ne peut reculer sans perdre la face, à une assurance excessive et presque anormale. Laissé seul par ses compagnons dans l’obscurité, en proie à la terreur, il n’est sauvé – ou bien plutôt perdu ? – que par sa vanité, qui le contraint à dissimuler sa peur. Mais sitôt le diable apparu, « la révolution s’opère » (ibid.) ; un bouleversement intérieur dont la soudaineté, psychologiquement inexplicable, tient de l’action magique lui insuffle une audace qu’on est tenté de qualifier d’infernale, de sorte qu’en franchissant le cercle protecteur qu’il a lui-même tracé il se met entre les mains du diable alors qu’il croit lui commander, et avec quelle arrogance !
12Si cette dangereuse démesure atteste peut-être l’emprise du surnaturel, celui-ci coexiste avec les éléments habituels de la narration réaliste. La situation initiale du héros, jeune homme immature pris au piège de ses vantardises qui l’aliènent aux regards d’autrui, est d’un réalisme psychologique parfaitement banal. Quoique justiciable aussi d’autres interprétations – mais n’anticipons pas −, la minutie des indications d’éclairage de ce récit classiquement inséré dans l’espace et le temps – les ruines de Portici dans l’après-dîner – s’explique d’abord par des exigences de vraisemblance narrative en régime de focalisation interne : l’obscurité du lieu, qu’il faut pourtant bien décrire, oblige sous peine d’arbitraire le héros narrateur à allumer une bougie pour ce faire. Mais le code réaliste n’exclut pas le surnaturel, souligné par la soudaineté magique des actions – « À peine avais-je fini, une fenêtre s’ouvre… » (59) ; « À peine avais-je donné l’ordre, … » (ibid.) ; « Le chien avait à peine fini, qu’en tournant sur le talon, je vois mes ordres s’exécuter… » (60) – : nous sommes dans un univers où la puissance performative du langage réalise immédiatement le désir sitôt qu’il est énoncé. Suscitant grâce à la formule d’invocation l’apparition de la tête de chameau, puis toutes les métamorphoses qui frappent le décor, Alvare, grisé par sa puissance et que le diable appelle « Maître », croit s’être asservi les forces surnaturelles. Mais ce n’est évidemment qu’une illusion. La fameuse question « Che vuoi ? » (59) pose le cadre implicite d’un pacte, explicitement actualisé un peu plus loin par la question de la petite chienne blanche : « J’obéirai, maître, mais sous quelle condition ? » (60), à laquelle l’apparition apporte elle-même la réponse : « J’y mettrais peut-être l’unique condition de vous désarmer et de vous plaire » (ibid.).
13En apparence, c’est donc un contrat qui laisse son bénéficiaire libre de toute contrainte. En réalité, c’est l’annonce d’un pacte de séduction dont Biondetta sera l’instrument, et d’autant plus dangereux qu’il ne suppose d’autre engagement que la passivité implicitement consentante du partenaire. Comment interpréter cet épisode ? Le symbolisme sexuel de la tête de chameau aux « oreilles démesurées » dont le col s’allonge de seize pieds de long pour vomir quelque chose de blanc, vision hideuse et pour tout dire obscène, contraste avec la grâce de l’apparition seconde, l’épagneul qui vient quémander des caresses « en remuant la queue, et faisant des courbettes » (60) et qui ce faisant dévoile « cyniquement », c’est le cas de le dire, une identité sexuée, féminine en l’occurrence (« je vis que c’était une petite femelle », ibid.) ; deux figurations de la sexualité par conséquent, le masculin et le féminin, l’obscénité et la séduction ; mais aussi deux visages du démon, puisque les deux apparitions en sont pareillement l’émanation.
14Lumières et décors ouvrent un autre champ d’interprétation. Si le déroulement du rituel est en soi peu original – un cercle magique tracé par l’officiant pour sa protection, une formule d’invocation, le nom de Béelzébuth articulé trois fois : Cazotte se borne à suivre les traités de démonologie –, ce qui l’entoure est riche de sens. La scène a lieu « ailleurs », loin de la ville, à l’écart du monde social et du présent. Les ruines, « restes des monuments les plus augustes écroulés » (57), sont liées au monde romain enfoui, mais aussi à la présence des forces destructrices de la nature : le Vésuve est tout proche, même s’il n’est pas nommé. C’est donc le passé païen qui resurgit des profondeurs telluriques dans une soudaine illumination (« un torrent de lumière plus éblouissante que celle du jour », 59) coïncidant avec l’apparition infernale, après une angoissante station solitaire dans une pièce obscure selon le rituel de l’initiation maçonnique telle qu’elle est transposée par exemple dans La Flûte enchantée27. On y retrouve les décors à l’antique (ici plutôt romains qu’égyptiens) et la méditation solitaire du novice dans le « cabinet de réflexion » entouré d’objets funéraires. Tous ces motifs, popularisés dès 1731 par le récit de l’initiation égyptienne dans le Séthos de Terrasson, sont d’autant plus familiers à Cazotte qu’il a été lui-même initié à la franc-maçonnerie avant de l’être à l’illuminisme martiniste. Cependant, le cérémonial n’a pas pour enjeu ici la révélation libératrice des principes des Lumières, mais l’apparition du diable, agent de ce passage des ténèbres initiales à une clarté qualifiée, non sans intention, d’« éblouissante ». La mutation d’éclairage ne scande pas pour une fois le passage de l’ignorance à la connaissance, mais très paradoxalement le triomphe insidieux du négatif. Comme Alvare, l’homme des Lumières selon Cazotte s’aveugle en croyant s’éclairer et s’asservit à Satan en croyant dominer les forces du mal.
15La seconde apparition du diable (116-119), sans faire la clôture du livre, lui donne son véritable dénouement. Nous sommes cette fois en Espagne, pays natal d’Alvare, où ce dernier a réussi à entraîner Biondetta, malgré sa résistance, dans le but un peu étrange d’obtenir pour l’épouser le consentement maternel. À cinq lieues du château, un essieu rompu, dernier incident d’une série de retardements magiques, contraint le couple à passer la nuit dans une ferme isolée où, circonstance fatale, on lui offre une hospitalité de fortune dans une petite chambre munie d’un seul lit fort étroit.
16Le récit s’organise autour des trois « chutes » d’Alvare et des trois identités successives de sa compagne. La première, où Biondetta apparaît sous son visage « humain » de femme amoureuse, est évidemment la « chute » sensuelle du héros, soulignée plutôt que masquée par deux lignes de points de suspension fort éloquents. La seconde, toujours métaphorique mais cette fois d’ordre intellectuel, est l’allégeance au démon exigée par la jeune fille, qui lui a révélé ou plutôt confirmé sa nature diabolique. La troisième chute d’Alvare, littérale cette fois, le jette sous le lit en proie à la terreur tandis que Biondetta reprend son apparence originelle, celle de « l’effroyable tête de chameau » (119), et disparaît dans un éclat de rire en répétant le fameux « Che vuoi ? ». D’une vignette galante on passe donc à une vision terrifiante. La première « chute », celle d’un jeune homme naïf séduit par une fausse ingénue, est un poncif de la littérature libertine. Séduction d’abord purement physique : à la faveur d’un évanouissement probablement feint, Biondetta n’est plus qu’un corps offert dont la vie s’est retirée et qu’il faut ranimer, comme la statue de Pygmalion, avant de retrouver, avec la sensibilité, le « pouvoir des larmes » (117). Le baiser, « inoculation de l’amour » selon le titre d’une célèbre estampe de La Nouvelle Héloïse28, suggère plutôt ici l’image de la femme araignée voire du vampire ou du succube. Mais la séduction est aussi d’ordre intellectuel. Biondetta fait miroiter la promesse faustienne du savoir et du pouvoir :
Voudras-tu, mon cœur, être la créature la plus privilégiée, te soumettre avec moi les hommes, les éléments, la nature entière29 ?
17La seconde étape consiste pour elle à nommer ce pouvoir en se nommant elle-même, et par là à contraindre Alvare à entériner en pleine conscience ce nom redoutable que le récit s’était jusqu’alors ingénié à éluder :
Non, non, répliqua-t-elle vivement, Biondetta ne doit pas te suffire : ce n’est pas là mon nom : tu me l’avais donné : il me flattait ; je le portais avec plaisir : mais il faut que tu saches qui je suis… Je suis le diable, mon cher Alvare, je suis le diable30.
18Ultime étape, « l’effroyable tête de chameau » (119), qui referme brutalement le cycle des métamorphoses en réitérant l’apparition de Portici, fait donc de la jeune fille l’avatar transitoire et mensonger, effacé dans un éclat de rire, d’une identité diabolique cette fois affichée. Quant à Alvare, victime d’abord d’une « chute » purement sensuelle dont il n’est pas complètement responsable – son adversaire, beau joueur, reconnaît l’artifice du faux évanouissement –, il a commis, en pleine connaissance de cause cette fois, une « complaisance » (119) autrement plus grave. La formule « Mon cher Béelzébuth, je t’adore » (118) qu’on lui demande de répéter superpose au sens figuré du langage galant le sens propre, d’ordre dévotionnel sinon religieux, de même qu’à la figure gracieuse de Biondetta se surimpose celle, terrifiante, de Satan. Alvare a-t-il articulé la phrase fatale ? Le récit laisse planer un doute. Il semble bien que oui, puisque son lien avec le diable est proclamé « désormais […] indissoluble » (119). Comment en ce cas s’en est-il libéré ? Et d’ailleurs, s’en est-il vraiment libéré comme il le croit ? On retiendra pour le moment son refus de voir la réalité en face lorsque Biondetta lui révèle, ou plutôt lui rappelle, son identité diabolique :
Cesse, lui dis-je, ma chère Biondetta, ou qui que tu sois, de prononcer ce nom fatal [celui du Diable] et de me rappeler une erreur abjurée depuis longtemps31.
19Le « ou qui que tu sois » trahit la mauvaise foi de celui qui sait – en l’occurrence que Biondetta est bien le diable – mais préférerait ne pas savoir, sur le mode du freudien « je sais bien, mais quand même ». Et peut-on trembler devant le diable au point de n’oser prononcer « ce nom fatal » si l’on soutient qu’il n’existe pas ? Ce qui est visé, c’est la vulgate éclairée qui tient ou voudrait tenir cette croyance pour une superstition périmée. Le dénouement est une leçon de lucidité d’une ironie cinglante. Le Che vuoi ? répété dans un éclat de rire n’est plus une offre de service, mais un constat : Alvare a eu effectivement ce qu’il voulait ; il a couché avec le diable, mais se montre incapable d’en supporter la vue autrement que sous une enveloppe féminine gracieusement mensongère. La ridicule pleutrerie du personnage caché sous son lit, ébloui par les « jets de lumière phosphorique » (119) qui une fois de plus accompagnent l’apparition, et cette fois fermant les yeux pour ne pas voir, donne à l’épisode une dimension militante : c’est une condamnation des Lumières, de l’orgueil de la connaissance, de l’ambition prométhéenne d’une prétendue libération de l’homme.
20C’est donc un code de lecture allégorique qu’il faut appliquer, conformément à l’avertissement de l’auteur (128). Il permet d’ailleurs d’expliquer pourquoi Biondetta disparaît : un personnage allégorique cesse d’être perçu comme personnage dès lors qu’il est perçu comme allégorie. D’où l’éclipse de la trop belle jeune fille figurant la séduction diabolique, qui laisse brièvement la place à l’image hideuse du diable tel qu’il est vraiment avant que cette nouvelle allégorie ne se dissolve à son tour. Le roman s’achève sur cet effacement des représentations au profit d’un épilogue en forme de « morale du conte » formulée sur un mode mi-sérieux, mi-badin, mais non romanesque : le sermon de Don Quebracuernos, dont le nom – le Révérend-Père Brise-cornes – indique bien la fonction, tout en dissuadant de la prendre tout à fait au sérieux.
21La mésaventure d’Alvare, dont la curiosité est « la plus forte passion » (p. 54), est une leçon ironique adressée à un siècle épris « de jolies impiétés et de hardiesses philosophiques » (182), comme le suggère l’« Avis de l’Auteur ». Tel qui, plein de forfanterie, se flattait d’aller tirer les oreilles du diable, s’est laissé séduire pour avoir refusé de le voir tel qu’il est et s’est retrouvé, heureux d’en être quitte à si bon compte, ridiculement caché sous un lit, réponse cinglante au fameux sapere aude dont Kant fait la devise des Lumières.
22Que faire ? Comme Alvare peut-être, regagner le pays de l’enfance au lieu d’aspirer à une chimérique émancipation, prendre la route de l’Espagne, pays des anti-Lumières, rejoindre comme lui le giron maternel, autrement dit celui de l’Église. Apologue antiphilosophique d’une indéniable cohérence idéologique, à la condition d’admettre que la mystique réactionnaire des années 1790 est déjà en germe chez le conteur mondain et badin de 1772. Mais elle n’explique pas tout, notamment le flottement des identités (devenu « diable amoureux » ou plus précisément femme amoureuse, le diable est-il encore tout à fait le diable ?) et la « réalité » ou l’« irréalité » des faits relatés : comme dans l’anecdote classique du mandarin et du papillon, Alvare ne sait trop, au sortir de sa nuit agitée, s’il a dormi précédemment ou s’il est actuellement occupé à le faire, s’il a rêvé ce qu’il a cru vivre ou si au contraire ce qu’il croit être en train de vivre est « en réalité » un rêve32. Ce qui remettrait vertigineusement en question, avec le statut ontologique du récit, la « morale » à laquelle il est censé conduire…
*
23Avec Vathek, la problématique du surnaturel diabolique sort du contexte romanesque et donc de l’esthétique de la vraisemblance pour s’inscrire dans le cadre générique du conte merveilleux, où l’interpénétration de la nature et de la surnature n’est plus sentie comme un écart (générateur de fantastique), mais comme une norme. Le modèle du conte oriental dans la tradition de Galland33 induit un univers instable : le texte des inscriptions magiques qui donnent l’impulsion initiale au récit est aussi insaisissable que le Giaour envoyé des enfers, devenu une boule bondissante qui entraîne la foule derrière elle. Mais l’arbitraire des métamorphoses coexiste bizarrement avec le fatalisme : tout est inscrit sur le grand rouleau, ce qui laisse peu de place à la liberté personnelle ; dès l’origine, le calife Vathek est voué au crime et à la damnation, le Giaour émissaire d’Eblis – le Satan islamique – matérialisant cette irrésistible compulsion qui pousse vers l’enfer ce héros de la démesure avide de tous les plaisirs et de toutes les transgressions, dont les premières pages dressent le portrait.
24On peut s’arrêter un instant sur ce passage34, dont les trois mouvements successifs dessinent les trois plans spatiaux, politiques et spirituels entre lesquels se jouera la destinée du personnage : le plan terrestre (le calife Vathek dans son rôle de despote oriental face à ses sujets), le plan céleste (l’indignation que suscite sa conduite auprès du Prophète Mahomet au Paradis d’Allah), enfin le plan intermédiaire (la tour gigantesque que le souverain s’est édifiée pour y cultiver son aspiration au surhumain). Avec cette exagération stéréotypée des chiffres caractéristique du genre, la tour aux onze mille degrés relève du même registre que l’étonnante passivité du peuple de Samarah face aux caprices du souverain : dans l’imaginaire classique, le modèle politique du despotisme oriental suppose la confrontation dans une ambiance de fatalisme d’un pouvoir illimité et d’un esclavage illimité35. Excluant la mimèsis du réel, le conte oriental mêle aussi le naturel et le surnaturel : les génies ont prêté leur concours à la construction de la tour. Il arrive certes que ce genre d’interférence se produise chez Cazotte, mais elle suscite toujours une surprise qui est à l’origine de l’effet fantastique, tout à fait absent chez Beckford.
25Le conte est en principe un genre oral ; quoique les indices d’oralité ici soient ténus et le personnage du conteur jamais actualisé, le discours narratif en projette pourtant une certaine image à travers les épithètes respectueuses (« le grand Prophète Mahomet », 59), les jugements subjectifs (« son orgueil parvint à son comble… », ibid.), les appréciations platement sentencieuses (« Ce prince ne considérait pas, malgré toute sa science, que les succès de l’insensé et du méchant sont les premières verges dont il est frappé », ibid.) : l’image d’un bon musulman, choqué (ou prétendant l’être) par les impiétés et les provocations de Vathek. Le discours du conteur, porte-parole conventionnel de l’opinion commune, ne doit évidemment pas être confondu avec celui de l’auteur, suggéré par un infime décalage humoristique : ainsi nous explique-t-on que Vathek, qui adore la controverse mais ne supporte pas la contradiction, met au cachot « pour calmer leur sang » les savants qui s’entêtent à ne pas être de son avis, « remède qui souvent réussissait » (ibid.), ce qu’on croit volontiers !
26Baigné lui aussi du même éclairage composite, à la fois comique et tragique, Vathek, héros ogresque, boulimique de nourriture, de jouissance, de pouvoir et surtout de savoir, en proie à cette « inquiétude » si caractéristique de la fin des Lumières, est travaillé comme Alvare par une insatiable libido sciendi qui s’étend même aux « sciences qui n’existent pas » (58), autrement dit les sciences occultes. C’est « l’insolente curiosité de pénétrer dans les secrets du Ciel » (59) (comprenons sans doute la pratique de l’astrologie) qui attirera la colère de Mahomet sur le calife Vathek. À la transgression des sciences interdites s’ajoute celle de la solitude volontaire : la tour gigantesque est à la fois un observatoire pour l’étude des astres et un lieu de séparation sociale du haut duquel « les hommes lui paraissaient des fourmis » (59).
27Comme son héros, Beckford, qui a consacré une partie de son énorme fortune à la construction dans son domaine de Fonthill d’une tour d’une centaine de mètres de hauteur, est un amateur de hauts lieux accordés à son mépris aristocratique de la foule. En référence au mythe biblique de Babel, la tour aux onze mille degrés est une œuvre de démesure et d’orgueil, un appel narcissique à la surhumanité et même une tentation sacrilège d’autodivinisation. Dans l’espace intermédiaire entre ciel et terre, l’homme d’exception qui s’est élevé au-dessus de ses semblables cherche, comme Prométhée, à ravir aux dieux la connaissance de l’avenir, un avenir prédéterminé qu’il n’est pas question toutefois de modifier, mais seulement de déchiffrer : « il ferait rendre compte aux étoiles des arrêts de sa destinée » (59).
28Si le récit de Cazotte se déploie sur un axe horizontal, de Naples à l’Espagne, la géographie mythique de Beckford est verticale, prise entre ces deux postulations : le mouvement ascensionnel vers le ciel, figuré par le décor initial de la tour – et dans d’autres textes par les hauteurs sublimes des montagnes36 –, aspiration transgressive en ce qu’elle implique la séparation sociale et l’orgueil prométhéen de la surhumanité ; la descente vers les profondeurs interdites du monde souterrain à la rencontre d’Eblis, l’ange déchu, détenteur du savoir occulte qu’on ne peut acquérir qu’au prix de sa propre destruction. Mais revenons au plan céleste, celui de la surnature, d’où le Prophète Mahomet observe avec indignation les fantaisies impies de son calife :
« Laissons-le faire », disait-il aux génies qui sont toujours prêts à recevoir ses ordres : « Voyons où ira sa folie et son impiété ; s’il en fait trop, nous saurons bien le châtier. Aidez-lui à bâtir cette tour, qu’à l’imitation de Nembrod il a commencé d’élever ; non comme ce grand guerrier pour se sauver d’un nouveau déluge, mais par l’insolente curiosité de pénétrer dans les secrets du Ciel. Il a beau faire, il ne devinera jamais le sort qui l’attend37 ! »
29Le monde oriental de Vathek est en effet, on l’a vu, régi par une prédestination qui ne manque pas de soulever une difficulté : si tout est écrit, il n’existe aucun libre-arbitre individuel, donc ni responsabilité ni culpabilité. Le châtiment dont le Prophète menace son calife n’aurait de sens que si ce dernier était libre d’agir selon le bien et le mal, et du reste le sort qui lui est réservé – la damnation – est déjà arrêté. La contradiction renvoie à l’interrogation présente dans la fiction « orientale » depuis Zadig : la destinée l’emporte-t-elle non seulement sur la liberté humaine, mais aussi sur la toute-puissance divine ? Dans le premier cas, les actes individuels échappent au jugement moral, puisque chacun se borne à agir selon ce qui est écrit. Dans le second, la Providence se confond avec le Destin, puisque même Dieu ne peut faire que ce qui doit être ne soit point. En mettant les génies au service de la construction de la tour, non seulement le Prophète « laisse faire » son calife, mais il favorise même son dessein, l’encourage en somme dans son œuvre de démesure, le pousse encore un peu plus vers sa perdition, comme si la divinité n’avait de puissance que pour faire le mal, non pour l’empêcher. C’est en ce point que réside la dimension scandaleuse du texte : Mahomet y apparaît comme l’agent d’une volonté maligne qui, au lieu d’apporter à l’homme le secours de sa grâce, l’encourage à la transgression pour mieux l’en punir ensuite. À la différence du matérialisme athée des Lumières, dont Sade est idéologiquement tributaire, Beckford maintient l’existence de Dieu, mais en fait une puissance du mal ; « the supreme evil, God », dira Swinburne au siècle suivant. Dès lors le rôle de la Divinité et celui du Démon sont complémentaires, le second punissant des crimes que la première n’a rien fait pour empêcher, et l’on comprend mieux la tripartition des espaces dans cette fiction qui commence dans le ciel, se poursuit sur la terre et s’achève aux enfers.
30Entre la scène initiale, qui retrace le courroux du Prophète scandalisé par la construction de la tour aux onze mille degrés, et la scène finale de la confrontation avec Eblis dans son palais souterrain, se déploie en effet un voyage allégorique dont le scénario est celui du « conte d’avertissement » : une tentation, celle du savoir universel, détenu à l’origine des temps par les souverains préadamites ; un interdit, formulé par l’inscription magique : « Malheur au téméraire qui veut savoir ce qu’il devrait ignorer et entreprendre ce qui surpasse son pouvoir ! » (65) ; une transgression en forme de pacte : en échange du savoir suprême, Vathek abjure Mahomet et sacrifie cinquante enfants innocents ; un châtiment surnaturel : Vathek, sa mère Carathis et sa maîtresse Nouronihar, complices de ses crimes, parviennent au palais souterrain d’Eblis dont ils reçoivent les secrets, désormais inutiles puisqu’ils sont damnés ; enfin une moralité platement conformiste, la mise en garde contre la curiosité, l’ambition et l’orgueil, car « l’état de l’homme est d’être humble et ignorant » (p. 147) ; conclusion bien conventionnelle qu’il est difficile de prendre tout à fait au sérieux.
31La damnation intervient au terme d’un itinéraire semé d’impiétés et de crimes qui reprend sur un mode semi-parodique le modèle du conte philosophique en forme de trajet allégorique : comme dans Zadig (1747) de Voltaire ou dans Rasselas (1759) de Samuel Johnson, il s’agit d’un « voyage de la vie » conduisant soit à la conquête d’une sagesse, soit à un passage de l’illusion à la désillusion38. Ici, le désir de s’approprier les secrets occultes promis par le Giaour conduit Vathek de sa capitale Samarah jusqu’à Istakhar, l’ancienne Persépolis, où il séduit la fille de son hôte, Nouronihar, et l’enlève à son fiancé Gulchenrouz, puis s’enfonce avec elle dans les profondeurs souterraines jusqu’au palais d’Eblis, où les rejoint bientôt la mère du calife, la princesse Carathis, son inspiratrice et sa complice.
32Retournant ironiquement le scénario habituellement positif du récit d’éducation, Beckford fait de la rencontre avec le démon et par conséquent de sa propre damnation l’objet de la quête du héros, après la traversée d’un lac de sang, le franchissement d’un portail d’ébène et la descente jusqu’au centre de la terre par un escalier aux marches infinies. Très éloigné de l’apparition hideuse et grotesque de la tête de chameau chez Cazotte, l’Eblis de Beckford, probablement plus proche du Satan du Paradis perdu de Milton que de la tradition islamique, est un ange déchu doté d’une intériorité souffrante :
Sa figure était celle d’un jeune homme de vingt ans, dont les traits nobles et réguliers semblaient avoir été flétris par des vapeurs malignes. Le désespoir et l’orgueil étaient peints dans ses grands yeux, et sa chevelure ondoyante tenait encore un peu de celle d’un ange de lumière39.
33On peut voir dans cet éphèbe à la mélancolie luciférienne, qui est déjà un Satan romantique, une projection narcissique de Beckford lui-même, lequel a transposé dans les décors du palais infernal d’Eblis les mystères intimes des trois jours et trois nuits de fêtes données à la Noël 1781, à l’occasion de sa majorité, dans le château fermé de Fonthill. Vathek tente de perpétuer par l’écriture l’enchantement pervers d’un moment d’exception que l’auteur a considéré comme le sommet de sa vie. À la faveur du face-à-face final de son héros avec Eblis, Beckford par conséquent se rejoint lui-même et rejoint le monde qu’il a rêvé, avec ses architectures fabuleuses et cette « lumière étrange et nécromantique » qu’évoquera plus d’un demi-siècle plus tard, en 1838, sa relation des fêtes de Fonthill40. On comprend alors pourquoi, à la différence de ce qui advient chez Cazotte et plus tard chez Lewis, l’apparition du diable ne se produit qu’une seule fois, et au terme du récit : aboutissement d’une quête d’identité, elle correspond symboliquement à une conquête de soi, en même temps d’ailleurs qu’à une perte de soi, puisqu’elle est aussi une damnation. Ce qui nous conduit à l’interprétation à donner à Vathek à la lumière de sa conclusion :
Tel fut, et tel doit être le châtiment des passions effrénées et des actions atroces ; telle sera la punition de la curiosité aveugle, qui veut pénétrer au-delà des bornes que le Créateur a mises aux connaissances humaines ; de l’ambition, qui, voulant acquérir des sciences réservées à de plus pures intelligences, n’acquiert qu’un orgueil insensé, et ne voit pas que l’état de l’homme est d’être humble et ignorant.
Ainsi le Calife Vathek, qui, pour parvenir à une pompe vaine et à une puissance défendue, s’était noirci de mille crimes, se vit en proie à des remords et à une douleur sans fin et sans bornes ; ainsi l’humble, le méprisé Gulchenrouz, passa des siècles dans la douce tranquillité, et le bonheur de l’enfance41.
34Cette condamnation de l’orgueil humain et de la libido sciendi, incompatibles avec la soumission à l’ordre divin, valeur essentielle de l’Islam selon la tradition orientaliste classique (laquelle rappelle volontiers que le mot Islam signifie soumission), inscrirait donc la damnation de Vathek dans une moralité allégorique rejoignant la critique des Lumières et prônant le retour à la tradition religieuse qu’on peut dégager également du récit de Cazotte.
35Cette interprétation, toutefois, ignore l’ironie provocatrice du texte de Beckford, en particulier sur le plan religieux. Dans la personnalité du héros, adolescent attardé amateur de plaisanteries de potache, Beckford a mis une part de lui-même, dont Eblis constitue l’autre versant plus sombre. Dirigées contre l’autorité, la tradition et leurs représentants, ses farces de mauvais goût oscillent entre le blasphème plus ou moins scatologique42, la cruauté cynique43 et un humour saugrenu ou bizarre conférant au récit une tonalité autoparodique : comment prendre au sérieux, dans le tableau de l’incendie (89-92), ces « serpents au désespoir […] qui abandonnaient leur demeure avec des sifflements effroyables » ou ces bêtes féroces qui « avaient trop d’esprit pour ne pas s’être retirées au bruit d’un si horrible vacarme, ayant, du reste, soupé à merveille » ?
36Le conteur pour sa part, instance énonciatrice conventionnellement anonyme du conte oriental dont on se gardera évidemment de confondre la voix avec celle de l’auteur, relate l’histoire de son point de vue, celui d’un croyant choqué par les impiétés de Vathek. Mais la naïveté de ses indignations et la platitude de son conformisme font de ses commentaires une suite d’absurdités ; ainsi remarque-t-il : « les abeilles qui étaient bonnes musulmanes, se crurent obligées de venger la querelle de leurs chers maîtres » (132). Au détour d’une phrase – « Vathek, qui était honteusement tolérant, avait eu le soin d’ordonner de petits plats d’abomination qui scandalisaient les fidèles » (102) – apparaît ce qui pourrait bien être la véritable position de l’auteur, voltairienne, anticléricale, fidèle aux idéaux des Lumières. Vathek, esprit orgueilleux et libre, qui méprise le conformisme religieux, tourne en dérision le pieux bavardage de l’émir père de Nouronihar et se venge des sermons ennuyeux qui lui sont infligés en séduisant la fille de son hôte, bientôt devenue son âme damnée et la complice de ses crimes, est plus proche des personnages de Sade que du héros de Cazotte.
37Reste pourtant la question posée par le personnage de Gulchenrouz, ce jeune garçon efféminé, fiancé très peu viril de Nouronihar. À tous deux on a fait croire, pour les soustraire aux entreprises perverses du calife après leur avoir administré un narcotique, qu’ils étaient morts et transportés dans le monde de l’au-delà (113), épisode bizarre qui a sans doute le sens d’une épreuve initiatique. Nouronihar connaîtra en effet une nouvelle naissance et un éveil à la conscience par le choix du Mal, en devenant la maîtresse et la complice de Vathek. Gulchenrouz, lui, demeurera dans son état primitif d’innocence, mais maintenu dans l’ignorance de la vraie vie, puisqu’il n’a pas pris conscience de la mystification. L’innocence ne peut donc exister que dans le monde des limbes, dans une vie crépusculaire qui est à l’image de la mort ; d’où la valeur d’antiphrase ironique de la formule finale : « Ainsi l’humble, le méprisé Gulchenrouz, passa des siècles dans la douce tranquillité, et le bonheur de l’enfance » (147). L’innocence se confond avec l’ignorance, avec l’illusion et même avec la non-vie. Mais elle assure pourtant ce que l’auteur a appelé précédemment « le don d’une perpétuelle enfance » (129), aspiration de Beckford à l’époque où il s’apprête à écrire Vathek : « Comme je suis fermement résolu à rester à jamais un enfant ! » écrit-il dans une lettre à Alexandre Cozens du 16 novembre 178044. Ce « complexe de Peter Pan » dont il ne guérira jamais est sans doute l’autre face de ce désir de transgression qui conduit son héros vers l’enfer.
*
38Entre ces deux postulations idéologiquement divergentes que sont l’aspiration de l’homme à « sortir de sa minorité », selon la formule de Kant, et la nostalgie de l’innocence perdue de l’enfance, le texte de Beckford ne choisit pas vraiment. Suivre jusqu’au bout l’injonction kantienne – Sapere aude, « ose savoir » – au risque de l’angoisse de la liberté, du vertige du Mal et de la perte de soi ; ou bien revenir vers l’enfance, vers l’Église, vers l’ordre ancien, comme le suggère l’apologue de Cazotte et comme le théoriseront les grands penseurs réactionnaires des anti-Lumières tels que Joseph de Maistre ; c’est là en effet le dilemme du crépuscule des Lumières. Il inspire Paul et Virginie (1788), où le vert paradis de l’enfance est détruit par la chute dans la réalité adulte, comme les deux volets poétiques opposés de William Blake, les Chants de l’innocence (1789) et les Chants de l’expérience (1794).
39Faut-il pour autant considérer les deux attitudes comme absolument incompatibles ? Les textes en réalité sont ambigus. Celui de Beckford, on l’a vu, autorise jusqu’à un certain point une double lecture, même s’il fait clairement le choix de l’« expérience » contre l’« innocence » ; et chez lui le Sapere aude, loin de conduire à l’émancipation humaine et au bonheur universel promis par la philosophie des Lumières, est vécu – de façon au demeurant purement individuelle – comme une expérience perverse de la transgression, voire comme une aspiration luciférienne à la damnation. Le récit de Cazotte, lui, peut se lire allégoriquement comme un apologue dirigé contre les Lumières, position qui sera effectivement la sienne, mais beaucoup plus tard, par exemple dans cette lettre au marquis de Luchet le 6 février 1790 qui semble en être le commentaire :
Les hommes, mon cher ami, sont plus exposés qu’ils ne croient l’être. Leur présomption en faveur de leurs lumières augmente leur danger. Ils ont tout lu, tout calculé. Leur siècle est lumineux. Et, selon moi, pour peu qu’ils aient le nez long, sur les matières importantes ils ne voient pas le bout de leur nez45.
40Cette position pouvait-elle être celle de Cazotte en 1772 ? C’est à l’histoire littéraire d’apporter la réponse ; elle ne l’a pas encore fait avec certitude46. Reste, quelle que soit l’option idéologique, que le diable en cette fin de siècle n’est plus un dogme théologique tenu pour une réalité – de celles qui pouvaient envoyer au bûcher ses adorateurs supposés – mais une catégorie psychologique et esthétique. Comme l’Eblis de Vathek, bel adolescent mélancolique en qui Beckford projette sa propre image, le diable moderne est intérieur, il désigne métaphoriquement la présence de l’Autre en soi. L’intériorisation du démon équivaut à une intériorisation du Mal, à une prise de conscience de sa présence en chacun de nous. « Je vois la griffe sous votre joli soulier rose, il est en vous, il est en moi, il est là et partout », fait dire à Cazotte son amie Madame d’Hautefeuille47. Dès lors la figure du diable dans ses représentations traditionnelles ne saurait être autre chose qu’une image allégorique, et qui en tant que telle ne fait plus peur, d’une tentation intime autrement plus inquiétante, celle de la déshumanisation inhérente à la sacralisation de l’homme, dont les sociétés modernes découvriront progressivement les effets redoutables.
41Même chez les adversaires des Lumières, qui voudraient continuer d’y croire, cette croyance se dépouille de sa littéralité. De l’image du démon ne subsiste plus que l’arsenal un peu puéril d’un folklore obsolète, le souvenir d’un frisson perdu tout près de sombrer dans le kitsch. L’aboutissement de l’évolution sera l’esthétique gothique, dont Lewis, dans Le Moine, a parfaitement compris, comme un siècle plus tard Lautréamont, qu’elle est condamnée à l’outrance autoparodique et que sa réussite se situe sur une mince ligne de crête à la limite de deux modalités antagonistes, le terrifiant et le burlesque48.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Beckford William, Vathek [1787], éd. Maurice Lévy, Paris, Garnier-Flammarion, 1981.
10.1093/owc/9780199576951.003.0002 :Cazotte Jacques, Correspondance de Jacques Cazotte, éd. critique Georges Décote, Paris, Klincksieck, 1982.
Cazotte Jacques, Le Diable amoureux [1772], éd. Max Milner, Paris, Garnier-Flammarion, 1979.
Chadourne Marc, Eblis ou l’enfer de William Beckford, Paris, Pauvert, 1967.
Chailley Jacques, La Flûte enchantée, opéra maçonnique, Paris, Robert Laffont, 1991.
Chelebourg Christian, Le Surnaturel, poétique et écriture, Paris, Armand Colin, 2006.
Darnton Robert, La Fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, Paris, Perrin, 1984.
Décote Georges, « Note sur l’initiation de Jacques Cazotte », Dix-Huitième Siècle, no 4, 1972, p. 229-236.
Décote Georges, L’Itinéraire de Jacques Cazotte (1719-1792). De la fiction littéraire au mysticisme politique, Genève, Droz, 1984.
Delumeau Jean, La Peur en Occident, Paris, Fayard, coll. « Pluriel », 1993.
Didier Béatrice, Le Siècle des Lumières, M. A. Éditions, Paris, 1987.
Foucrier Chantal, Le Mythe littéraire de l’Atlantide (1800-1939). L’origine et la fin, Grenoble, ELLUG, 2004.
10.4000/books.ugaeditions.5802 :Grosrichard Alain, Structure du Sérail. La fiction du despotisme asiatique dans l’Occident classique, Paris, Éditions du Seuil, 1979.
Lévy Maurice, Le Roman « gothique » anglais, 1764-1824, Paris, Albin Michel, 1995.
Masseau Didier, Les Ennemis des Philosophes. L’antiphilosophisme au temps des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000.
Milner Max, Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire, 1772-1861, Paris, Corti, 1960, t. I.
Minerva Nadia, « Il diavolo giacobino », dans Michèle A. Lorguet & Ruggero Campagnoli (éd.), Robespierre & Co, Atti della ricerca sulla letteratura francese della Revoluzione, Bologna, CLUEB, 1988, p. 567-584.
Moravia Sergio, Il tramonto dell’illuminismo : filosofia e politica nella società francese (1770-1810), Bari, Laterza, 1968.
Mortier Roland, « Lumière et Lumières, histoire d’une image et d’une idée au xviie et au xviiie siècles », dans Clartés et ombres du siècle des Lumières, Genève, Droz, 1969, p. 13-59.
Niderst Alain, « Le Diable et les Lumières », dans Alain Niderst (éd.), Le Diable, Saint-Genouph, Nizet, 1998, p. 149-156.
Parreaux André, William Beckford, auteur de Vathek (1760-1844), Paris, Nizet, 1960.
Racault Jean-Michel, « Le paradoxe de Cazotte ou le diable tenté », dans Michèle Crogiez, Roger Marchal & François Moureau (éd.), Littérature et séduction. Mélanges en l’honneur de Laurent Versini, Paris, Klincksieck, 1997, p. 339-353.
Racault Jean-Michel, « Philosophie et antiphilosophie dans la crise des Lumières : le cas de Bernardin de Saint-Pierre », dans Didier Masseau (éd.), Les Marges des Lumières françaises (1750-1789), Genève, Droz, 2004, p. 153-176.
Racault Jean-Michel, « Poésie de la lumière, poésie des ténèbres dans La Flûte enchantée de Mozart », dans Madeleine Bertaud, François Moureau & Catriona Seth (éd.), L’Éveil des Muses, poétique des Lumières et au-delà, mélanges offerts à Édouard Guitton, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 381-397.
10.4000/books.pur.35414 :Revue des sciences humaines, no 245 (Homo Viator. Le voyage de la vie, xve-xxe siècles), janvier-mars 1997.
Rousseau Jean-Jacques, La Nouvelle Héloïse, « Sujets d’estampes ; Cinquième estampe : L’inoculation de l’amour », dans Œuvres Complètes, t. II, éd. publ. sous la dir. de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1961.
Todorov Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Éditions du Seuil, 1970.
Vidal-Naquet Pierre, « Athènes et l’Atlantide. Structure et signification d’un mythe platonicien », Revue des Études Grecques, t. LXXVII, no 364-365, janvier-juin 1964, p. 420-444. Article repris dans Le Chasseur noir, Paris, Maspero, 1981, p. 335-360.
Notes de bas de page
1 Voir, pour l’interprétation politique du mythe platonicien en son temps, l’étude classique de P. Vidal-Naquet, « Athènes et l’Atlantide. Structure et signification d’un mythe platonicien », Revue des Études Grecques, no 364-365, janvier-juin 1964, reprise dans Le Chasseur noir, 1981, p. 335-360. Pour la postérité du mythe à l’époque moderne, voir C. Foucrier, Le Mythe littéraire de l’Atlantide (1800-1939). L’origine et la fin, 2004.
2 Voir J. Delumeau, La Peur en Occident, 1993, notamment p. 304-506.
3 Voir la synthèse de C. Chelebourg, Le Surnaturel, poétique et écriture, 2006.
4 Le dernier sorcier brûlé sur le bûcher est exécuté à Bordeaux en 1718. Voir M. Milner, Le Diable dans la littérature française de Cazotte à Baudelaire, 1772-1861, 1960, t. 1, p. 28.
5 Ibid., p. 39-44.
6 E. Kant, Was ist Aufklärung ? [1784], cité par B. Didier, Le Siècle des Lumières, 1987, p. 248.
7 Parmi les innombrables études consacrées au genre, on retiendra, en raison de la place qu’il accorde à Cazotte, l’ouvrage classique de T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, 1970, et pour les textes anglais de la période, notamment Le Moine de Lewis, la thèse de M. Lévy, Le Roman « gothique » anglais, 1764-1824, 1995.
8 J. Cazotte, Le Diable amoureux, édition de M. Milner, 1979. Les citations renvoient à cette édition (pagination entre parenthèses après les citations). Les passages soulignés le sont par nous.
9 W. Beckford, Vathek, édition de M. Lévy, 1981. Les citations renvoient à cette édition (pagination entre parenthèses après les citations).
10 « Une allégorie où les principes sont aux prises avec les passions », Le Diable amoureux, ouvr. cité, p. 128.
11 « C’est à Paris, c’est à la cour que je voudrais vous voir établi », ibid., p. 103.
12 « C’est que les Français ne sont pas Espagnols », avance ironiquement Cazotte dans l’« Avis de l’auteur » de la première édition pour expliquer les ravages du diable dans sa nation, ibid., p. 182.
13 Formule empruntée à l’ouvrage de S. Moravia, Il tramonto dell’illuminismo : filosofia e politica nella società francese (1770-1810), 1968.
14 Voir R. Mortier, « Lumière et Lumières, histoire d’une image et d’une idée au xviie et au xviiie siècles », dans Clartés et ombres du siècle des Lumières, 1969, p. 13-59. Voir aussi notre article « Poésie de la lumière, poésie des ténèbres dans La Flûte enchantée de Mozart », dans M. Bertaud, F. Moureau et C. Seth (éd.), L’Éveil des Muses, poétique des Lumières et au-delà, mélanges offerts à Édouard Guitton, 2003, p. 381-397.
15 Voir D. Masseau, Les Ennemis des Philosophes. L’antiphilosophisme au temps des Lumières, 2000.
16 Voir notre article « Philosophie et antiphilosophie dans la crise des Lumières : le cas de Bernardin de Saint-Pierre », dans D. Masseau (éd.), Les Marges des Lumières françaises (1750-1789), 2004, p. 153-176.
17 Voir R. Darnton, La Fin des Lumières. Le mesmérisme et la Révolution, 1984.
18 La « prophétie de Cazotte », rapportée notamment par Gérard de Nerval dans une préface écrite pour une réédition du Diable amoureux (1845), appartient au genre des « prédictions » ex eventu suscitées par les événements révolutionnaires.
19 La formulation la plus nette se trouve chez Joseph de Maistre : « Il y a dans la révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra » ; voir Considérations sur la France, t. 1, p. 55, cité par M. Milner, ouvr. cité., t. 1, p. 158. Pourtant, l’idée est bien présente aussi dans les lettres que Cazotte écrit à partir d’octobre 1791 à son ami Pouteau.
20 Voir G. Décote, L’Itinéraire de Jacques Cazotte (1719-1792). De la fiction littéraire au mysticisme politique, 1984.
21 Dans son compte rendu de L’Année littéraire, Année 1772, t. II, p. 100 (cité par M. Milner, ouvr. cité, p. 10).
22 N. Minerva, « Il diavolo giacobino », dans M. A. Lorguet et R. Campagnoli (éd.), Robespierre & Co, Atti della ricerca sulla letteratura francese della Revoluzione, 1988, p. 567-584.
23 Le Diable amoureux, ouvr. cité, p. 57-62.
24 Ibid., p. 116-119.
25 M. Milner évoque cependant une tradition talmudique, recueillie dans Le Monde enchanté [1694] de Balthasar Bekker, ouvrage que Cazotte avait lu, selon laquelle Satan aurait pris cette forme (ouvr. cité, p. 44, n. 21). Dans Vathek, un chameau monstrueux nommé Alboufaki sert de monture à la sorcière Carathis, mère du Calife.
26 Sur la question de l’identité et notamment l’incarnation « humaine » du démon sous une identité féminine, voir notre article « Le paradoxe de Cazotte ou le diable tenté », dans M. Crogiez, R. Marchal et F. Moureau (éd.), Littérature et séduction. Mélanges en l’honneur de Laurent Versini, 1997, p. 339-353.
27 Voir J. Chailley, La Flûte enchantée, opéra maçonnique, 1991.
28 J.-J. Rousseau, La Nouvelle Héloïse, « Sujets d’estampes ; Cinquième estampe : L’inoculation de l’amour », dans Œuvres Complètes, t. II, Paris, 1961, p. 765.
29 Le Diable amoureux, ouvr. cité, p. 117.
30 Ibid., p. 117-118.
31 Ibid., p. 118.
32 « Dormirais-je ? me dis-je alors. Ai-je dormi ? Serais-je assez heureux pour que tout n’eût été qu’un songe ? » (Le diable amoureux, ouvr. cité, p. 120), se demande le héros en constatant que sa tenue au réveil ne coïncide pas avec ses souvenirs de la veille au soir. La discontinuité du réel oblige justement à en questionner la « réalité », mais sans permettre d’identifier clairement un monde de référence stable, ni le point de basculement du réel à l’illusion.
33 Voir, sur les sources de Vathek et la biographie de Beckford, l’ouvrage d’A. Parreaux, William Beckford, auteur de Vathek (1760-1844), 1960.
34 Vathek, ouvr. cité, p. 58-59.
35 Voir A. Grosrichard, Structure du Sérail. La fiction du despotisme asiatique dans l’Occident classique, 1979.
36 M. Chadourne mentionne une lettre à Alexandre Cozens du 13 octobre 1777 qui relate l’exaltation ressentie par Beckford au sommet du Mont Salève surplombant le lac Léman, « élevé au-dessus des multitudes qui grouillent dans la plaine ». Il s’interroge alors sur sa destinée : « Du coup je me sens empli de devenir. Idée terrible entourée de sublime et de terreur à m’en faire trembler. Que sera ma vie ? Quels malheurs dans l’obscurité me guettent ? Quelle gloire ? » Voir Eblis ou l’enfer de William Beckford, 1967, p. 32.
37 Vathek, ouvr. cité, p. 59.
38 Sur le thème du « voyage de la vie » et sa topique, voir le numéro de la Revue des sciences humaines intitulé Homo Viator. Le voyage de la vie (xve-xxe siècles), no 245, janvier-mars 1997.
39 Vathek, ouvr. cité, p. 139.
40 Le récit est reproduit dans l’édition de M. Lévy, ouvr. cité, p. 24-26.
41 Ibid., p. 147.
42 Ainsi reçoit-il à sa garde-robe les pieux mollahs venus de la Mecque lui apporter le balai sacré de la Kaaba, dont on peut deviner à quel usage il pourrait bien servir, ibid., p. 84-85.
43 Sa mère Carathis s’amuse à répandre des vipères et des scorpions dans la salle des banquets, quitte à administrer ensuite aux convives expirants des contrepoisons, « car cette bonne Princesse avait en horreur l’oisiveté » (ibid.).
44 Citée par M. Lévy, ouvr. cité, p. 20.
45 Correspondance de Jacques Cazotte, édition critique de G. Décote, 1982, p. 136.
46 La réponse se trouve liée en partie à la date de l’initiation de Cazotte à la doctrine illuministe de Martinès de Pasqually, que G. Décote situe au plus tôt vers 1778 ; voir G. Décote, « Note sur l’initiation de Jacques Cazotte », Dix-Huitième Siècle, no 4, 1972, p. 229-236. Mais, une fois de plus, les deux interprétations sont-elles incompatibles ? C’est ce que nie A. Niderst dans « Le Diable et les Lumières », A. Niderst (éd.), Le Diable, 1998, p. 155.
47 Cité par M. Milner, ouvr. cité, p. 43, n. 6.
48 Une première version, orale, de ce travail a été présentée dans le cadre du colloque de Cerisy-la-Salle intitulé L’écriture du surnaturel. Du déclin des Lumières à l’aube de la psychanalyse (2-9 juillet 2007), dont les actes n’ont pas été publiés. L’auteur remercie son organisateur, C. Chelebourg, qui a donné son accord à la publication de la présente version remaniée.
Auteur
Université de La Réunion
D.I.R.E. – EA 7387
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L’enfant-dieu et le poète
Culte et poétiques de l'enfance dans le roman italien du XXe siècle
Gilbert Bosetti
1997
Montagnes imaginées, montagnes représentées
Nouveaux discours sur la montagne, de l'Europe au Japon
André Siganos et Simone Vierne (dir.)
2000
Petit dictionnaire de mythologie populaire roumaine
Ion Taloș Anneliese Lecouteux et Claude Lecouteux (trad.)
2002
Le Sphinx et l’Abîme
Sphinx maritimes et énigmes romanesques dans Moby Dick et Les Travailleurs de la mer
Lise Revol-Marzouk
2008
Babel : ordre ou chaos ?
Nouveaux enjeux du mythe dans les œuvres de la Modernité littéraire
Sylvie Parizet
2010