Synthèse
Comprendre, enseigner, apprendre
p. 311-316
Texte intégral
1Cette synthèse constitue une conclusion qui met en évidence et qui rassemble les éléments fondamentaux de la démarche et des descriptions proposées, tant dans les développements linguistiques que dans les pistes pédagogiques. Pour les apprenants, ces deux volets, linguistique et pédagogique, constituent les outils utiles par lesquels les bases de la grammaire de la lsf sont explicitées. Les apprenants pourront, dans les propositions pédagogiques, trouver des outils de mémorisation des signes et des supports afin d’exercer, de maîtriser puis de parfaire leur pratique de la langue.
2Les développements linguistiques permettent une compréhension en profondeur de l’iconicité de la lsf, des dynamiques iconiques qu’elle autorise et du rôle essentiel de la spatialité de la langue. Pour l’apprenant, il s’agit de comprendre en quoi la gestualité construit des langues dont l’économie se distingue fondamentalement de celle des langues vocales et d’appréhender les mécanismes de base propres au lexique et à la syntaxe de la lsf.
3Les pistes pédagogiques proposées tout au long de cet ouvrage couvrent l’essentiel des éléments linguistiques liés à la pratique de la lsf. Notre objectif a été, d’une part, d’ancrer les descriptions linguistiques dans la réalité de l’enseignement de la lsf, mais aussi de donner des approches, des repères et des exemples propices à favoriser la création d’applications dans le cadre de son enseignement/apprentissage. Nous nous sommes appuyées sur le bo lsf ainsi que sur le cecrl qui, ensemble, ont offert une double dimension, à savoir entrer dans cette langue visuo-spatiale et gestuelle en abordant sa pratique de manière actionnelle et en découvrir la dimension historique et culturelle. Notre fil conducteur a été de construire une progression en partant du lexique pour entrer dans la syntaxe en explicitant le phénomène fondamental des dynamiques iconiques, à savoir le glissement des paramètres, sources de l’économie des langues gestuelles.
1. Entrer dans la langue des signes française
4Il s’agit tout d’abord, dans les chapitres 1 et 2, de prendre conscience de la multiplicité des pratiques communicatives humaines et d’appréhender la façon dont les langues vocales – comme le français – et les langues gestuelles – comme la lsf – s’inscrivent comme langues à part entière dans ces pratiques.
5Par ailleurs, pour appréhender la lsf comme langue, il convient pour l’apprenant novice, d’une part, de se départir de ses éventuelles idées reçues sur la langue et, d’autre part, d’intégrer les principes fondamentaux de la formation des signes. Chaque signe, selon sa visée iconique, sera constitué des paramètres adéquats qui permettront de représenter visuellement le référent – spécialement en considérant sa forme et son mouvement.
6Pour permettre à l’apprenant cette entrée dans ces logiques nouvelles iconiques, spatiales et corporelles, les pistes pédagogiques des chapitres 1 et 2 ont été présentées sous forme de séquences. Ce choix instaure une confrontation immédiate aux bases de la langue visuo-spatiale et gestuelle. Par ailleurs, c’est à travers l’histoire de la lsf que nous avons montré en quoi les procédés de formation des signes lexicaux étaient en constante création dans le monde d’aujourd’hui, que ce soit dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’informatique ou dans le monde professionnel en général, témoignant de la reconnaissance de la communauté Sourde dans la société. Pour l’apprenant, se voir attribuer un prénom en signe l’immerge dans un univers culturel et linguistique différent, et se confronter aux critères de ce nouvel univers l’amène à sortir de la logique linéaire des langues vocales. De ce point de vue, la sensibilisation aux quatre paramètres de construction des signes – configuration, orientation, emplacement et mouvement – est fondamentale. Leur mise en pratique fait apparaître l’importance d’expérimenter leur fonctionnement et permet de comprendre combien leur intégration est centrale dans l’usage de la langue.
2. Comprendre le fonctionnement du lexique
7La compréhension du lexique est la base de la compréhension des principes fondamentaux de la lsf. En effet, c’est à partir des paramètres de formation du signe lexical que se fondent les dynamiques iconiques de la langue, chacun des paramètres – hormis l’orientation – pouvant glisser vers un autre statut linguistique : morphologique ou syntaxique.
8Dans le chapitre 3, nous avons vu comment classer ces signes lexicaux, comment en apprécier et en catégoriser l’iconicité. Nous avons ensuite rendu compte de quelques signes particuliers : chiffres, lettres, index, tracés et signes initialisés que l’apprenant découvre et mémorise. Ensuite, par quelques exemples d’homonymie, de polysémie, de néologismes et de création de noms propres, nous avons montré qu’il n’y avait absolument pas de correspondance terme à terme entre langue française et lsf. Ceci est évident dans le cadre de l’apprentissage de langues étrangères vocales, mais doit faire l’objet d’une réelle prise de conscience pour l’apprenant lsf. Nous avons également montré que, comme toute langue, la lsf permet de créer tous les signes dont les locuteurs ont besoin : qu’il s’agisse de la création de vocabulaire rendu nécessaire par de nouveaux contextes ou de la création de noms propres.
9Dans le chapitre 4, en reprenant la structure paramétrique du signe lexical, nous avons vu comment se structurait le lexique en lsf. Par des jeux iconiques, les paramètres glissent pour permettre les flexions iconiques et les dérivations iconiques à même de créer des champs sémantiques. Il est important de comprendre que le vocabulaire d’une langue est organisé et que, au-delà des regroupements thématiques que l’on peut en faire, la langue met les éléments lexicaux en relation les uns avec les autres par des procédés plus formels.
10Concernant les pistes pédagogiques, les chapitres 3 et 4 ont couvert les principaux thèmes du lexique courant et la façon dont on peut les enseigner et les apprendre. Leurs contenus s’intégrant dans toute séquence et à tout moment dans la progression, ils n’ont pas fait l’objet de séquences particulières. Nous avons proposé des applications incitant les apprenants à se familiariser avec quelques pans thématiques du vocabulaire et permettant à l’enseignant de faire des variations propres sur ces thèmes. Dans cet esprit, le chapitre 3 a présenté, d’une part, le lexique des fruits et des légumes, et celui de l’habitation où l’iconicité joue un rôle primordial, et, d’autre part, sur une thématique géographique, le lexique des pays qui se signe souvent par métonymie. Nous avons également inclus dans ces applications les signes particuliers de quantité ainsi que la dactylologie et leurs utilisations. Ce chapitre constitue une mine de réflexions pour l’apprenant qui découvre les principes iconiques des signes, qui les visualise et les mémorise grâce aux nombreuses illustrations. Il s’agit là de « planches pédagogiques lexicales » regroupées thématiquement qui sont autant d’outils d’enseignement/apprentissage. Dans le chapitre 4 nous avons présenté la façon dont s’organise le lexique dans deux champs sémantiques : celui des couleurs et celui de la famille. Cela nous a permis d’explorer l’économie linguistique qui régit ces champs et qui est propre à la lsf. Cette compréhension est un atout pour l’apprenant qui élargit son lexique à partir du support d’un seul paramètre qui se maintient dans l’organisation des familles lexicales et des champs sémantiques. En explorant ensuite quelques exemples liés à la conceptualisation lexicale, nous avons permis à l’apprenant de prendre conscience que le français et la lsf sont des langues qui n’ont pas les mêmes façons d’organiser ni de nommer le réel. Ces chapitres offrent ainsi un panel d’expérimentations et d’exercices d’application, déclinables à l’infini selon les thèmes abordés et les aptitudes des apprenants, ouvrant sur une large étude du vocabulaire.
3. Appréhender les bases de la syntaxe
11La syntaxe est au cœur des trois derniers chapitres. Concernant les développements linguistiques, le chapitre 5 a présenté les deux catégories fondamentales de toute langue, à savoir les noms et les verbes. Il est important que l’apprenant prenne conscience qu’en lsf, le lexique ne distingue pas nécessairement nom et verbe, mais que dans les phrases, des procédés syntaxiques permettent de savoir si la valeur du signe est nominale ou verbale. Nous nous sommes intéressées ensuite aux différents statuts linguistiques que peuvent acquérir les configurations manuelles. On est ici au cœur des dynamiques iconiques puisque les formes de main peuvent composer ce que l’on nomme des spécificateurs de taille et de formes (stf) d’une part et, d’autre part, s’incorporer aux signes avec une fonction pronominale devenant ainsi des proformes manuelles (prM). L’apprenant a été ensuite invité à comprendre la grammaire spatiale de la lsf et les deux éléments qui lui sont, intimement liés : les pointages et les locus, deux éléments de base de la syntaxe de la phrase simple.
12Comme son intitulé l’indique « Du lexique à la syntaxe », le chapitre 5 a présenté les stf caractérisés par le glissement des paramètres et plus particulièrement par celui du paramètre ‘configuration’, glissant d’un statut phonologique à un statut morphosyntaxique. Nous avons pu alors introduire la description, celle des visages, celle des vêtements et celle des drapeaux de plusieurs pays. La deuxième partie du chapitre s’est attachée à la spatialisation en montrant la nécessité de la création d’un cadre de référence dans lequel sont créés des locus où les stf jouent un rôle descriptif fondamental : ce que l’on a illustré par deux applications concernant, d’une part, la description des continents et, d'autre part, celle d’un paysage. Enfin la troisième partie a présenté la notion de planification sans laquelle l’activité langagière ne peut être ni clairement exprimée ni clairement comprise.
13Le chapitre 6 a approfondi les utilisations possibles de l’espace. L’apprenant est amené à comprendre le fonctionnement des espaces dits « pré-sémantisés » qui permettent d’assigner des rôles sémantico-syntaxiques aux éléments de la phrase et de construire les notions de pluriel et de pronoms. Nous avons terminé par une autre grande fonction de l’espace, celle de marquer le temps du discours, en termes de présent, passé, futur. Tous ces espaces sont fondamentaux pour construire des phrases simples et organisées autour de différents types de verbes.
14Quant à la partie pédagogique, elle a proposé des pistes d’exercices en vue de l’appropriation pratique de ces notions afin que l’apprenant maitrise, dans des phrases simples, tous les éléments spatiaux décrits. Il s’agit de faire comprendre en quoi l’espace de signation devient tout d’abord un espace grammatical traversé par l’axe du temps, puis comment il est investi par des espaces « pré-sémantisés ». Pour amener l’apprenant à la maitrise de ces espaces, nous avons présenté quelques applications autour des verbes de déplacement comme [partir] et des verbes à trajectoire comme [donner].
15Le chapitre 7 a été consacré au rôle du corps dans la lsf. Là encore, il s’agit d’un élément fondamental, que l’apprenant doit maîtriser au fur et à mesure de sa progression dans la langue. On explique d’abord la distinction entre « instance de dialogue » et « instance de récit », puisque le corps et le regard y sont utilisés différemment en prenant ou pas en compte le point de vue du personnage. La notion de proforme corporelle est ici centrale et la maitrise des mimiques est indispensable tant pour exprimer les modalités de la phrase que le point de vue du personnage.
16Les pistes pédagogiques se sont articulées autour de ces notions clefs. L’apprenant a été d’abord confronté à un certain nombre de types de phrases qui nécessitent une expression faciale relativement codifiée. Ensuite, à partir d’un support d’images séquentielles, il a été invité à construire une narration en adoptant le point de vue des différents personnages de l’histoire évoqués par ce support. Il s’agit d’investir de façon pratique la notion de « proforme corporelle ». La maitrise de la narration exige de l’apprenant une planification linguistique précise qui demande à être exercée sur la durée par un entrainement soutenu compte tenu de la difficulté des stratégies à mettre en œuvre.
17L’enseignant, tout en transmettant ces notions, continue de construire sa progression pédagogique vers un objectif final actionnel. La différence entre l’enseignant de lsf et les autres enseignants de langue, c’est l’absence de la dimension vocale – qui exclut, pour les apprenants, la prise de notes en simultané – et le fait que c’est le corps entier qui devient le nouveau et seul support de langue. Il lui faudra, oscillant entre rigueur et bienveillance, s’adapter aux aptitudes et aux personnalités des apprenants en stimulant leurs essais, en éveillant leur curiosité pour un approfondissement des possibilités communicatives de la gestualité, en contournant d’éventuels blocages, en rassurant en cas d’échec et en valorisant leurs progrès de manière individuelle ou collective. De cette façon, l’enseignant guidera les apprenants vers une réelle appropriation de la lsf en développant les qualités d’aisance corporelle, de fluidité de rythme, de stratégies de planification et, tout en consolidant ainsi leurs compétences, il leur permettra de gagner en confiance en tant que locuteurs signants.
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