Pour aller plus loin
p. 305-310
Texte intégral
Développements et approfondissements linguistiques
Différenciation des instances énonciatives : synthèse
1On a vu que les différences d’instances énonciatives étaient très structurantes pour la lsf. On peut résumer, sous la forme d’un tableau synthétique, les implications linguistiques de cette distinction dialogue/récit.
Précisions à propos des pronoms
2En linguistique générale, on nomme « déictique » tous les éléments qui n’ont de sens qu’en contexte. Ce contexte peut être situationnel : dans ce cas, les déictiques, comme nous l’avons vu, feront sens dans la situation de communication. Il peut aussi être textuel, c’est-à-dire que la référence s’organise au sein même du discours, et le sens des déictiques se déduira du discours prononcé. Les déictiques référant à la situation de communication sont dits « exophoriques », ceux référant au discours sont dits « endophoriques ».
3En lsf, cette distinction est importante, car la réalisation des pronoms ne sera pas la même. Comme on l’a vu, un « il », un « nous » ou un « vous », exophoriques pointeront loin, excédant le cadre ordinaire de l’espace de signation, tandis qu’un « il » endophorique pointera sur les espaces pré-sémantisés 3a et/ou 3b.
4Pour les endophoriques, les pronoms seront nommés « anaphoriques » ou « cataphoriques » selon qu’ils sont placés après ou avant ce à quoi ils réfèrent. On observe que tous ces mécanismes référentiels sont présents en lsf, comme on le voit dans les exemples donnés dans la synthèse suivante.
Précisions à propos de la référence
5Dans la communication humaine, les unités linguistiques peuvent renvoyer au réel ou à d’autres signes linguistiques présents dans le message. Ce renvoi au contexte se nomme « référence ». Les langues sont des outils pour assurer cette référence qui, à son tour, assure la compréhension entre les individus.
6Cette communication peut se faire en présence des individus communiquant, dans un lieu et dans un temps donnés. La communication est faite dans une situation de communication qui va permettre de faire du sens ensemble, quelle que soit la langue utilisée. La référence est dite alors « situationnelle ».
Référence situationnelle : deux interlocuteurs, dans une situation donnée, voient un arbre. L’un des interlocuteurs dit :
« Regarde cet arbre, comme il est beau ! »
Le mot « arbre » réfère alors à l’arbre présent dans la situation. En français, la phrase sera accompagnée d’un geste montrant l’arbre. En lsf, c’est bien l’arbre situé dans le monde réel que l’on pointera et non pas le signe [arbre] donné en début de phrase.
7Mais, il existe de nombreux cas où les signes linguistiques renvoient à des éléments du discours lui-même et non pas au réel. La référence est dite alors « textuelle ».
8Référence textuelle : un locuteur fait un récit où il parle d’une femme qui embrasse un arbre. Dans un récit – une narration décrochée de T0, rendue en français par l’utilisation de l’imparfait et du passé simple –, il dit :
Et il ajoute :
Dans ce cas, « elle »/[prC-femme] et « le »/[prM-autour de l’arbre] ne renvoient pas au réel, ils font référence respectivement à « la femme »/[femme] et à « l’arbre »/[arbre], énoncés auparavant dans le discours.
9La référence est un principe fondamental des langues qui sont faites pour dire les mondes réels ou imaginaires, et bien sûr les langues gestuelles, de ce point de vue, fonctionnent comme les langues vocales.
10Les signes linguistiques sont donc des unités de la langue qui portent des significations. Les significations peuvent se construire soit dans l’interaction grâce à tous les éléments présents dans la situation de communication soit, comme c’est le cas pour l’écrit par exemple, à l’intérieur du discours lui-même.
Doubles et triples proformes
11Concernant les proformes, il convient de préciser que l’on peut distinguer entre proforme simple, proforme double et proforme triple. Comme on l’a vu dans de nombreux exemples, on peut trouver des proformes manuelles ou corporelles simples. Dans l’exemple que nous avons donné du papillon qui se pose sur un chien, on peut parler de double proforme, puisque la proforme manuelle réfère au papillon, tandis que la proforme corporelle réfère au chien. On peut enfin parler de proforme triple, quand le corps supporte une proforme corporelle et chacune des deux mains une proforme manuelle différente. C’est le cas par exemple, lorsque dans une narration, une petite fille mange quelque chose dans un bol, avec une cuillère, comme dans le conte Boucle d’or et les trois ours. On obtient alors une structure phrastique que l’on peut transcrire comme suit :
Verbal et non verbal
12On distingue en général dans les énoncés entre verbal et non verbal. Le verbal correspond à l’utilisation de la langue : les structures de phrases, le vocabulaire de la langue principalement. Le non verbal correspond à l’utilisation de procédés de communication extérieurs à la langue, mais importants dans l’élaboration de la signification générale du message transmis. En français, par exemple, tout ce qui est exprimé par des gestes est extérieur à la langue, et donc, considéré comme non verbal. En lsf, la question est plus difficile. On peut sans doute considérer que tous les sons de type onomatopée prononcés pendant un discours en lsf sont du non verbal, mais ce n’est pas très fréquent.
13À part cette utilisation marginale du son, la lsf étant une langue gestuelle, il est difficile de distinguer entre une gestualité verbale et une gestualité non verbale. On l’a vu avec les mimiques, il semble qu’il y ait des mimiques intégrées complètement dans la grammaire de la langue et d’autres qui relèvent de l’expression individuelle du locuteur. Cela étant, même si la question reste entière, il est important de garder en mémoire que l’on considère, depuis les travaux de McNeill, que la faculté de langage s’exerce tout à la fois dans le verbal et le non verbal.
Bibliographie
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Benveniste E., 1974 [1966], Problèmes de linguistique générale, tomes 1 et 2, Paris : Gallimard, coll. « Tel. » [sur la distinction dialogue/récit (discours/récit) ; sur la situation de communication (l’appareil formel de l’énonciation)]
Cuxac C., 2000a, « La langue des signes française - les voies de l’iconicité », Faits de langues, vol. 15-16, Paris : Ophrys. [sur la notion de transfert - ce que nous avons appelé « proforme »]
McNeill D., 1992, Hand and Mind, what gestures reveals about thought, Chicago : University of Chicago Press. [sur l’importance de la gestualité dans la faculté de langage]
10.1515/9783110874259 :Millet A., 2019, Grammaire descriptive de la langue des signes française, UGA éditions [sur les pronoms (chapitre 9 : p. 275-305)]
10.4000/books.ugaeditions.15959 :Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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