Pistes pédagogiques
p. 283-304
Texte intégral
1En lien étroit avec tout ce qui vient d’être décrit dans la partie linguistique, ce dernier volet des « pistes pédagogiques » va se centrer sur le rôle du corps – et donc des mimiques – qui est essentiel dans la grammaire de la lsf. On explore ici des possibilités de séquences et d’applications particulières permettant aux apprenants d’exprimer les émotions du locuteur ou des personnages ainsi que l’intention que le locuteur donne sur ce qu’il dit par l’expression corporelle et faciale – ou mimique.
2Les premières propositions pédagogiques concernent l’instance de dialogue, tandis que la fin de ce volet se concentre sur la narration. Il s’agit de faire appréhender à l’apprenant comment le corps entier devient grammatical et porte en lui-même les instances énonciatives et, en instance de récit, les points de vue narratifs.
1. Maîtrise de l’expression faciale
3L’apprentissage de la lsf amène une nouvelle expérience de l’utilisation grammaticale de son corps.
4Il existe en lsf, comme en français, quatre types fondamentaux de phrases : la phrase déclarative, la phrase interrogative, la phrase exclamative et la phrase impérative qui ont chacune une forme affirmative et une forme négative. Dans la langue française, la modalité se traduit par les modes verbaux (indicatif ou conditionnel par exemple), mais aussi très souvent par l’intonation de la voix. En revanche en lsf, c’est la mimique qui est l’élément fondamental qui exprime la modalité et, comme il n’y a pas de conjugaison, ce sera l’ensemble de la phrase qui sera structurée en fonction de l’intention choisie. Ces phrases vont se construire en regard de la phrase déclarative affirmative puisque cette dernière est considérée comme la phrase de référence corporellement neutre. Le travail pédagogique consiste alors à rassembler les différentes modalités autour du noyau commun qu’est l’expression faciale, en l’expérimentant, en l’analysant et en systématisant son usage en contexte langagier. Pour les apprenants entendants, c’est un travail complètement nouveau, et la mimique est un constituant de la lsf, plus difficile à acquérir qu’on ne pourrait le croire.
5Nous nous centrons ici sur quatre structures de phrases relevant de différentes expressions faciales : la phrase exclamative, la phrase interrogative, la phrase conditionnelle et la phrase déclarative négative. Les mimiques qui leur sont liées ont été schématisées ci-dessous de façon plus intégrée au corps du signeur que dans la partie linguistique puisque nous les relions à la notion de phrase.
La phrase exclamative
6L’exclamation se travaille dès le début de l’apprentissage. Nous commençons par la phrase exclamative, car c’est la plus directe en termes d’expression faciale. Cette mimique se doit d’être en étroite relation avec le sens de l’exclamation. En effet, les exclamations « Que ce paysage est beau ! », « Comme c’est bon ! », « Bah ! C’est mauvais ! » impliqueront pour chacune des mimiques adéquates. Notons aussi que dire « C’est chouette ! » [youpi] sans montrer de la joie, ou dire « C’est pas de chance ! » [dommage] avec un grand sourire n’est pas cohérent, sauf pour une intention ironique volontaire. L’enseignant veillera à la variété des exclamations, de manière à ce que les apprenants jonglent avec cohérence entre mimique et contenu du message.
La phrase interrogative
7Cette modalité se travaille également dès le début de l’apprentissage, car elle permet de mettre l’apprenant en situation d’interaction, sous forme de question/réponse. La mimique accompagne et soutient l’intention : la question lsf se signe avec les sourcils levés, le buste en avant vers l’interlocuteur, en attente d’une réponse. Pour modifier la structure neutre – déclarative affirmative – on transforme l’ordre de la phrase : le mot interrogatif se place alors après le verbe, en dernier. Quant à l’expression faciale, elle couvre la phrase entière, soit en soutenant le mot interrogatif, soit en posant à elle seule la question.
8Voici trois exemples d’interrogations avec la mimique seule ou les mots interrogatifs [ou] [qui] [quoi].
Avec les mots interrogatifs [ou] et [qui] on peut construire les deux phrases simples suivantes.
9Pour le dernier exemple, on propose face à la phrase avec [quoi], une phrase simple, de sens proche dont l’interrogation est supportée par la seule mimique.
10On reprend pour ces trois interrogatifs, sous la forme d’un tableau incluant les transcriptions des phrases, les deux façons de construire des phrases interrogatives en lsf.
11Les exercices pédagogiques se déclinent sous plusieurs formes : tout d'abord en production/réception, par l’entraînement à la mimique interrogative où l’apprenant va explorer ses capacités physiques pour traduire dans les traits de son visage la modalité interrogative, de façon à ce que celle-ci soit effective, clairement perçue et reçue par l’interlocuteur. La deuxième forme d’application consiste à expérimenter la structure interrogative en invitant l’apprenant à formuler des questions à partir de propositions de réponses. Ainsi [gare] – « gare » répond à la question [où] ; [chocolat] – « chocolat » répond à la question [toi] [aimer] [quoi] – « Qu’est-ce que tu aimes ? » « Qu’aimes-tu ?«
12Enfin, pour approfondir les potentialités de l’expression faciale, les questions sont à formuler sans mot interrogatif, uniquement avec la mimique, comme on l’a vu dans les exemples donnés plus haut. Ces exercices sont appréciés des apprenants, car ils sont vivants et parfois drôles au vu des confusions inévitables au début. Ainsi, une prise de conscience se fait et les apprenants mesurent l’importance du rôle de la mimique.
La phrase conditionnelle
13La modalité d’« incertitude » – liée à la condition, la supposition ou l’hypothèse – s’aborde rapidement dans l’apprentissage, mais de façon progressive, au fur et à mesure de la constitution du bagage langagier des apprenants. En lsf, l’expression de cette modalité nécessite impérativement l’utilisation de la mimique qui fait porter cette idée d’éventualité sur la phrase entière. Suivant les types de phrases, cette modalité s’exprime de différentes manières.
14Dans une phrase simple, un adverbe modalisateur nuance la phrase affirmative neutre de base. Nous proposons ci-après quelques-uns de ces adverbes.
15Ces adverbes modalisateurs se signent plutôt à la fin de la phrase – avec ou sans question rhétorique – car ils portent sur l’ensemble de la proposition.
16Dans une phrase complexe, le conditionnel, par exemple, s’exprime non seulement par la mimique, mais aussi par une spatialisation des deux propositions principale et subordonnée. En effet, ces deux propositions sont signées dans deux espaces distincts, gauche et droite, et c’est le corps qui, par une rotation plus ou moins marquée du buste, les relie et les hiérarchise. La subordination est marquée par une pause dans le rythme de signation et par une mimique renforcée sur la proposition subordonnée qui, soulignons-le, se signe en début de phrase. »
17Dans cet exemple, le conditionnel n’est donc exprimé que par la mimique et le balancement du buste. Notons qu’en français aussi, des procédés intonatifs peuvent suffire comme dans « Il pleut, je prends mon parapluie. ».
18En lsf, on trouve aussi des phrases avec des unités exprimant explicitement la condition, tel « si » en français. Pour la lsf, on trouve souvent le signe glosé par [au cas où], signe par lequel la subordonnée est introduite explicitement, comme dans l’exemple illustré suivant.
Application 1 : le portrait chinois
19Sur le plan pédagogique, l’enseignant propose le jeu du « portrait chinois ». Il s’agit de se décrire avec la structure répétitive [au cas où] ou bien par simple placement spatial et utilisation de la mimique :
« Si j’étais un animal, je serais… ; si j’étais une couleur, je serais… ; si j’étais un chiffre, je serais… ; si j’étais une lettre, je serais… ; si j’étais un pays, je serais… ; si j’étais un aliment, je serais… ; si j’étais une pièce de la maison, je serais… ; si j’étais une saison, je serais… ; si j’étais un vêtement, je serais… »
20Tout en travaillant les structures conditionnelles, ce jeu ouvre sur une révision du lexique, développant la compétence « Parler de soi et de son environnement proche », inscrite au bo (niveau A2). Ce jeu est toujours animé et investi par les apprenants, au vu de leurs propositions imaginatives.
Application 2 : situations d’invention
21Dans un deuxième volet d’application, l’objectif de l’enseignant est d’approfondir et d’étoffer les productions des apprenants avec des attendus différenciés selon leur niveau. L’enseignant propose alors des situations imagées suffisamment explicites et concrètes dont voici quelques exemples :
- imaginer les raisons d’une dispute entre deux personnes ;
- proposer à quelqu’un de malade des solutions pour aller mieux ;
- terminer des débuts de phrases avec ses propres envies – « si j’avais une voiture… » ;
- discuter à partir de documents autour de thèmes de société en pesant le pour et le contre : écologie, réseaux sociaux, éducation, arts, médecine, etc.
22Dans cet ensemble de pistes pédagogiques, les apprenants développent non seulement les différentes manières d’exprimer le conditionnel, mais ils enrichissent aussi l’éventail de leurs productions. Enfin, l’enseignant amène petit à petit les apprenants à justifier leurs réponses et à les argumenter, accédant ainsi aux pensées abstraites, ce qui ouvre l’expression de l’esprit critique et du rôle de la personne en tant que citoyen. C’est un travail bien perçu par les apprenants qui prennent plaisir à réfléchir et échanger sur les différents thèmes de société dans une langue étrangère.
La phrase négative
23Dans l’enseignement/apprentissage, la négation – [non], [y’a pas] – se travaille aussi dès les premières séances. La logique négative porte, comme pour l’interrogation, sur l’ensemble de la phrase, et [non] se signe également en fin de phrase après le verbe. Quant à la mimique, elle est capitale pour rendre cohérent le contenu du message.
24Sur le plan pédagogique, nous proposons un travail en deux temps. D’abord, il s’agit en français de s’assurer de la distinction entre un nom commun où s’applique en lsf la négation [y’a pas], et un verbe où s’applique en lsf la négation [non], puisque, comme on l’a vu, le lexique notionnel ne distingue pas ces deux catégories. On en donne un exemple supplémentaire avec le signe [chaise/s’asseoir].
25Dans un deuxième temps, une liste d’une dizaine de signes lsf intégrant la dimension négative sont à apprendre par cœur : [pas fini], [pas encore], [pas besoin], [pas là], [ne pas aimer], [pas possible], [ne pas savoir], [ne pas connaître], [ne pas vouloir], [pas sûr]. Chacun de ces signes peut être intégré dans une paire associant le signe à valeur positive et le signe à valeur négative, comme c’est le cas dans l’exemple suivant.
La formulation de la négation en lsf se signe de trois manières :
- soit par le signe manuel négatif que nous venons de voir ;
- soit par un comportement corporel – de retrait ou d’écartement – avec un mouvement négatif de la tête et une mimique adaptée ;
- soit par la combinaison des deux : signe et corps.
26Les exercices pédagogiques se déclinent sous plusieurs formes. Tout d’abord en application directe de la leçon, les apprenants transposent des phrases affirmatives en phrases négatives et l’enseignant veillera à l’entraînement des trois structures de négation afin d’en améliorer la pratique. Ensuite, les apprenants échangent en interaction par binôme autour de thèmes de leur choix en respectant la consigne de formuler des négations et en en variant les manières d’expression liées aux modalités. Enfin l’enseignant incite les apprenants à ajouter aux structures négatives une intention, un ressenti, par une expression faciale supplémentaire à puiser en chacun d’entre eux pour qualifier la négation : colère, ironie, déception, regret, surprise, incompréhension, etc. À la question « Nous allons tous manger au restaurant, viens-tu avec nous ? », voici deux réponses qui nuancent la négation, une excuse « Je ne viens pas, je n’ai pas le temps. » ou un regret « Non je ne viens pas, je suis malade. ». Ces mimiques sont précises, complexes et s’avèrent parfois spontanées. Elles sont à pratiquer en production par l’entraînement, et en réception pour en comprendre clairement le message.
27Ces échanges se construisent autour de réponses négatives, en associant la négation à une interrogation ou à une affirmation. L’apprentissage des modalités et de la négation se faisant simultanément, l’enseignant poussera les apprenants vers des essais de plus en plus réussis afin qu’ils maîtrisent les codes des différentes mimiques, qu’ils naviguent entre elles selon les besoins, et qu’ils les pratiquent de manière agréable.
28Pour conclure ce point 1, nous insistons sur le rôle primordial de la mimique. Elle transforme la structure neutre, elle apporte à la communication en lsf l’intention, elle couvre l’ensemble de la phrase quelle qu’en soit la modalité. Nous rendons compte ici de l’importance de la justesse à trouver lors de sa recherche, de sa finesse, de sa fluidité et de son aisance dans ses réalisations, puisqu’elle fait partie intégrante du sens dans ce qu’énonce le locuteur. Cette mimique envisagée ici dans l’instance de dialogue est aussi fondamentale dans l’instance de récit.
2. Maîtrise de la narration
29Après avoir exposé la modalité par les mimiques ou expressions du visage des différents types de phrases, nous allons présenter la narration avec, comme fil conducteur, le champ des émotions. La progression pédagogique qui suit est composée de quatre étapes : la première introduit le lexique des émotions par leur expérimentation. La deuxième amène à circonstancier les émotions en exposant les causes qu’elles suscitent dans un contexte donné. La troisième étape est le travail discursif de la narration, focalisé sur les différentes actions et émotions d’un seul personnage. Enfin, la quatrième étape consiste à élargir la production d’une narration aux différents points de vue des autres personnages.
Étape 1 : jeu expressif du visage
30La première étape met en pratique les émotions par le jeu expressif du visage (et/ou du corps) : la joie, la surprise, la colère, la peur et la tristesse. Les illustrations qui suivent la description des mimiques montrent à la fois la mimique et le signe correspondant à l’émotion :
- pour la joie, le sourire est de rigueur, les yeux sont rieurs avec des plis au coin ;
- pour la surprise, les yeux sont grand ouverts, c’est l’étonnement, la bouche est ouverte avec un mouvement de recul ;
- pour la colère, le visage est fermé, renfrogné, le front est plissé, les yeux sont plissés et la bouche en moue ;
- pour la peur, le visage et le haut du corps sont recroquevillés comme repliés sur soi ; le front est plissé et les yeux grand ouverts ;
- pour la tristesse, la bouche est inclinée vers le bas, les yeux sont au bord des larmes.
31Le champ s’ouvre ensuite plus largement sur des expressions de ressenti ou de sentiment comme être déçu, fatigué, malade, écœuré, indifférent, impassible, inquiet, rêveur, enthousiaste, amoureux, etc.
32D’abord, les apprenants expérimentent ces sensations en explorant les traits distinctifs de chaque émotion et ressenti. Puis ils les pratiquent en binôme, d’une part dans leur interprétation, et d’autre part dans leur reconnaissance. L’enseignant guide la recherche de la justesse de l’expressivité. Il sait que la production spontanée immédiate est naturelle, mais il sait aussi qu’une réelle prise de conscience est nécessaire pour tendre vers la systématisation de l’expressivité en contexte. Il aura deux objectifs d’exigence pour réduire l’écart entre ce que l’apprenant pense montrer et ce qu’il montre effectivement : l’expression doit être réussie et bien visible, mais également elle doit être comprise de manière juste. Ce travail prépare à la complexité de la production d’une histoire ou d’un récit, la narration. Le corps intègre alors les intentions propres aux personnages et chacun aura une expression si caractérisée qu’elle permettra de la reconnaître immédiatement. Le locuteur passe d’un personnage à l’autre, ou endosse le rôle du narrateur, en changeant d’expression.
33Toutes les mimiques ou expressions du visage ne sont pas qu’un complément comme c’est le cas dans une narration en langues vocales, mais c’est un matériel linguistique appartenant de manière intrinsèque au schéma grammatical. La lsf pose comme support linguistique à la fois le visage, le corps et les deux mains pour exprimer simultanément plusieurs éléments en les superposant. Le passage à l’instance de récit nécessite que le corps du signeur en tant que locuteur s’efface au profit de l’identification ou incorporation du ou des personnages. Cette structure s’appelle la proforme corporelle. On en a donné deux exemples dans la partie linguistique, à savoir : « Elle ouvre la porte, regarde autour d’elle et s’assoie. » – point de vue interne et « Il [le chien] marche avec un air triste (et fatigué). ». L’illustration suivante permet de faire la différence entre une proforme corporelle et les proformes manuelles correspondantes référant à un chien – exemple donné dans la partie linguistique – et celles référant à un humain.
34Cet exemple représente une entité, certes décomposable, mais qui se signe dans une forme totalement globalisée que l’apprenant doit apprendre à maîtriser. On notera que, dans ce contexte d’effort, le verbe [marcher-pour un être humain] peut s’exécuter avec les pouces vers le bas, il s’agit d’une variante avérée qui n’introduit pas de différence de sens.
Étape 2 : expression de la cause
35La deuxième étape démarre avec un apport grammatical : en partant de la question « Pourquoi ? » et en y répondant, les apprenants se saisissent de la structure de la cause pour justifier leurs émotions et élargir leurs propos en stimulant leur imagination. En lsf, il existe un signe [parce que], mais qui, selon une très large majorité de locuteurs, relève du français signé et non de la lsf. La construction grammaticale reconnue consiste à utiliser [pourquoi] en répondant à la question posée « dans la foulée ». Ce procédé syntaxique se nomme « fausse question » ou plus largement « question rhétorique ». On en donne un exemple ci-dessous.
36Dans ce travail, l’enseignant a comme objectif, d’une part, l’apprentissage de la structure de la cause avec la gymnastique mentale qu’elle demande et, d’autre part, une pratique affinée, en faisant détailler des causes plus subtiles que la cause première évidente. Pour mettre en pratique cette gymnastique mentale, on propose, pour exemple, trois images, l’apprenant devant, dans un travail en petit groupe, expliciter la cause des situations représentées.
37La consigne est de développer un discours à partir de ces images, en intégrant des émotions ainsi que des structures de cause permettant d’expliciter le contexte. Une mise en commun des travaux regroupe, enfin, toutes les propositions. Ainsi, avec une même situation illustrée sous plusieurs aspects, le résultat collectif montre une vraie richesse créative.
38Un autre travail consiste en début de cours à interpeler chaque apprenant avec : « Quel est votre ressenti du jour ? Comment allez-vous aujourd’hui ? Et dites-moi pourquoi. ».
39La première question amène l’apprenant à s’exprimer sur son ressenti du moment, tout en se dévoilant devant les autres. La deuxième question, travaillée en binôme, permet à l’enseignant de vérifier la justesse de l’emploi de la structure de cause.
Étape 3 : séquence sur la narration
40Nous prenons comme support une narration illustrée par quatre images. Pour les besoins de la narration, nous présentons dans un premier temps la situation d’énonciation, c’est-à-dire le cadre dans lequel se déroule l’histoire. Ensuite, pour les deux personnages principaux, nous en présentons plus précisément le physique et leur attribuons un prénom.
Voici l’histoire :
Émile [3épis] demande à ses parents une glace, et il est tout heureux avec sa glace à deux parfums, vanille/fraise. Soudain, il voit un autre enfant, Albert [cheveux-brosse] qui se délecte, lui, avec une triple glace. Émile [3épis] est contrarié, car sa glace à deux parfums est plus petite. Il poursuit néanmoins son chemin, boudeur, tout en mangeant sa glace.
41À partir de ces images, bien des points de vue et des possibilités s’offrent à l’apprenant. On en propose une ici qui adopte essentiellement le point de vue d’Émile [3épis]. Dans les traductions que nous proposons des séquences signées, nous optons pour une traduction en « je » pour exprimer le point de vue d’Émile, et pour une traduction en « il » pour le point de vue d’Albert.
42Cette troisième étape de la séquence se focalise sur le personnage principal Émile [3épis]. À partir d’un travail collectif, la classe décrypte les actions et les ressentis successifs d’Émile [3épis]. Les propositions de chaque apprenant seront prises en compte :
- dans la description de la situation d’énonciation : le moment et le lieu ;
- dans les différentes actions d’Émile [3épis] : il marche, il demande une glace, il la mange, et il remarque Albert [cheveux-brosse] ;
- dans ses émotions successives : il est joyeux, surpris, contrarié puis boudeur.
43La production s’alimente grâce à la richesse apportée par les détails et par les structures de cause, et tend ainsi vers une narration complète.
44Pour ce faire, en lsf, le locuteur apprenant prend le rôle d’Émile [3épis] en s’identifiant à ce qu’il fait et à ce qu’il ressent au niveau corporel et au niveau du discours signé : le corps du signeur, son expression et son regard sont alors en proforme corporelle d’Émile [3épis] – prC-Émile. Parallèlement, l’espace de signation crée des locus propres à cette histoire : un premier locus place Albert [cheveux-brosse], quant à la trajectoire d’Émile [3épis], elle se dessine en suivant son parcours dans le parc, en passant par le locus-Albert [cheveux-brosse] pointé et activé par le regard.
Étape 4 : travail sur les points de vue
45La quatrième étape travaille les changements de points de vue des personnages dans la narration. Notre histoire permet d’en proposer plusieurs : les apprenants pourront s’identifier soit à Émile [3épis], soit à l’un de ses parents, soit à Albert [cheveux-brosse], soit au marchand de glaces, soit au narrateur omniscient. Les narrations seront à confronter, car c’est la même histoire qui est vécue et racontée par différents protagonistes :
- le point de vue du marchand de glace est le plus distancié avec un discours neutre, il voit la scène de l’extérieur : deux enfants lui achètent tour à tour des glaces, l’un en sweat semble envieux de l’autre qui porte un T-shirt ;
- le point de vue d’Émile [3épis] est celui qui a été exposé dans la troisième étape ;
- le point de vue d’Albert [cheveux-brosse] est un point de vue interne. Le locuteur prend le rôle d’Albert [cheveux-brosse] dans ce qu’il fait et ce qu’il ressent : il achète une triple glace et la savoure avec délectation ;
- le point de vue d’un parent d’Émile [3épis], la mère par exemple, est un point de vue interne. Le locuteur s’identifie à la mère : elle est contente d’offrir une glace à son fils Émile [3épis], elle poursuit son chemin et peut par exemple se demander pourquoi son fils semble insatisfait et pourquoi il boude ;
- le point de vue le plus complexe sera celui du narrateur omniscient, car il donne accès à l’ensemble des faits, gestes, et pensées de chacun.
46C’est le changement d’expression et de proforme corporelle qui va marquer le changement de personnage. Le narrateur peut également intervenir au cours de la narration pour glisser une remarque, faire une digression, ou pour interpeler l’interlocuteur à qui il raconte l’histoire. Dans ce dernier cas, c’est le regard qui marquera le changement d’instance, insérant brièvement un commentaire adressé, en instance de dialogue, à l’interlocuteur.
3. Maîtrise de la planification
47Dans la narration, plus que dans toute autre activité communicative, il s’agit pour l’apprenant de savoir maîtriser la planification. En effet, la narration est une tâche complexe qui nécessite de recourir à tous les éléments de la langue qui ont été étudiés dans les précédents chapitres et la planification en est l’épicentre. Pourquoi ? Parce que la narration, pour être organisée, doit anticiper et prendre en compte simultanément une demi-douzaine de critères :
- choisir un point de vue en s’identifiant à l’un des personnages par la proforme corporelle adéquate, c’est-à-dire superposer les éléments du visage, du corps, du discours (des mains) dans ce que le personnage fait et ressent. Celui-ci aura un prénom en signe, préalablement décidé par les apprenants, pour pouvoir être nommé et repris comme référence pendant la narration ;
- situer la scène spatialement avec la création des locus nécessaires, les maintenir et y référer selon les besoins tout au long de la narration ;
- ajouter les éléments descriptifs (stf) des personnages et des objets ;
- étayer la scène et la contextualiser en respectant les modalités de phrases et les structures de cause, dans le but d’enrichir la production ;
- veiller à respecter les structures syntaxiques et l’ordre de la phrase signée ;
- porter une attention particulière au regard dans ses différents rôles. En effet, ce dernier caractérise un personnage dans sa proforme corporelle, il signifie une émotion, il porte la mimique pour l’expression d’une modalité ou d’une valeur adverbiale ou adjectivale, il pointe et active les locus, il fait changer d’instance dialogue/récit.
48La narration doit se dérouler jusqu’à son terme dans une certaine fluidité, même lente, et cela oblige le locuteur à une vigilance continue tout au long de sa production. Il est amené à s’autocorriger pour être cohérent et pour atteindre son objectif, qui est de susciter l’intérêt.
Pour conclure sur l’ensemble de ces étapes, on comprend forcément mieux pourquoi les stratégies de planification sont nécessaires et primordiales. Elles se construisent progressivement par phase, et demandent de la concentration et de la mémorisation. Leur accompagnement n’est possible que s’il repose sur des bases solides que l’enseignant aura instaurées en amont et qui pourront de ce fait être réinvesties selon les besoins dans une narration déterminée.
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LSF, grammaire pratique
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