Pour aller plus loin
p. 262-264
Texte intégral
Développements et approfondissements linguistiques
Le schéma actanciel et sa traduction syntaxique
1Sur le plan sémantique, un verbe se définit par son schéma actanciel, c’est-à-dire par les personnes ou les objets impliqués par le sens du verbe. Le verbe est alors caractérisé comme « procès » et les personnes et/ou objets qui lui sont liés sont nommés « actants ». Les actants se distinguent des « circonstants » qui ne sont pas liés au verbe, mais expriment les circonstances du procès (ou de l’action exprimée par le verbe si l’on préfère). Ces circonstants peuvent exprimer essentiellement le lieu, le temps, la manière ou l’instrument. Un verbe comme /prêter/ peut, de ce point de vue, être schématisé de la façon suivante :
Dans les différentes langues du monde, vocales ou gestuelles, ce schéma actanciel va trouver des traductions syntaxiques différentes. En français, il va générer une structure syntaxique que l’on peut schématiser dans la formule {sujet, verbe, complément direct, complément indirect}. En lsf, il va impliquer une trajectoire verbale et générer une structure {objet, agent [verbe]bénéficiaire} que l’on qualifiera de « sémantico-syntaxique ». En effet, la compréhension de l’abstraction de la structure nécessite de conserver les rôles sémantiques. On voit ici que, en lsf, le lien avec la sémantique est beaucoup plus fort qu’en français. Ceci est dû à l’iconicité de la langue : en effet si l’on peut rendre iconiques, par des trajectoires notamment, les relations entre agent et bénéficiaire (ou patient), on voit mal comment rendre iconiques les relations strictement syntaxiques établies entre un sujet et un complément.
Le rôle sémantique de l’instrument
2Le rôle sémantique de l’instrument se définit comme tout instrument ou outil nécessaire au procès (à l’action si l’on préfère). En lsf, contrairement à ce que l’on observe dans bien des langues, cet instrument est très souvent intégré au verbe. C’est par exemple le cas, dans la série des verbes référant au concept de
/couper/, tel qu’il a été étudié dans la partie pédagogique du chapitre 4. En effet, si en français on utilise en général des compléments considérés comme non essentiels aux verbes – « couper avec des ciseaux », « couper à la hache », par exemple – en lsf, l’instrument recompose le lexique. Ainsi, les configurations manuelles des verbes vont référer iconiquement à cet instrument, comme on le voit dans les illustrations du chapitre 4. Le statut conceptuel de l’instrument est donc linguistiquement différent en français et en lsf. Il semble qu’en lsf, il soit clairement considéré comme faisant partie du schéma actanciel de certains verbes – spécialement ceux impliquant une préhension.
Trajectoires verbales inversées
3Il existe en lsf quelques verbes directionnels qui inversent la trajectoire. Le point de départ n’exprime plus l’agent, mais le bénéficiaire ou l’objet et le point d’arrivée n’exprime plus le bénéficiaire, mais l’agent. C’est par exemple le cas des verbes [inviter] ou [emprunter]. Les phrases « Je l’invite. » ou « Je t’emprunte un livre. » seront signées respectivement comme suit :
4Ces exceptions ont été observées dans plusieurs langues gestuelles. Il s’agit en fait d’un conflit d’iconicité. En effet, dans le cas des verbes impliquant d’amener quelque chose vers soi (comme /inviter/ par exemple), c’est le fait d’amener vers soi qui impose son iconicité. Les verbes de préhension comme /prendre/ en sont d’ailleurs l’archétype. Cette trajectoire prime alors sur l’iconicité de la relation agent/bénéficiaire ou agent/objet, qui impliquent une trajectoire vers un tiers. On peut donc dire qu’il existe, pour les verbes directionnels, deux trajectoires différentes selon que le verbe implique ou non l’idée d’amener quelque chose ou quelqu’un vers soi, ce que nous synthétisons dans le schéma suivant.
Bibliographie
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Meir I., 2002, « A cross-modality perspective on verb agreement », Natural language and linguistic theorie, no 20, p. 413-450 [sur les verbes inversés]
Millet A., 2019, Grammaire descriptive de la langue des signes française, Grenoble : UGA éditions [sur les verbes (chapitre 11, p. 339-367) ; sur l’expression du pluriel (p. 260- 274)]
10.4000/books.ugaeditions.15959 :Riegel M., Pellat J. C. & Rioul R., 1994, Grammaire méthodique du français, Paris : PUF [sur les rôles sémantiques : p. 123-126]
Tesnière L., 1988 [1959], Éléments de syntaxe structurale, Paris : Klincksieck [sur une syntaxe s’appuyant sur les notions sémantiques de procès, d’actant et de circonstant]
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