Pour aller plus loin
p. 187-192
Texte intégral
Développements et approfondissements linguistiques
Interprétation de l’iconicité des paramètres
1Dans la série [bateau-avancer], le mouvement, parce qu’il est iconique, peut s’interpréter et varier iconiquement. Si un signe, dont le mouvement n’est pas très iconique, ne permet pas de créer de véritables familles lexicales, au sein d’un signe dont le mouvement est iconique, le mouvement garde sa fonction première d’articuler le geste et le sens. Mais si le mouvement est iconique, il acquiert une autre fonction, celle de pouvoir, grâce à l’interprétation de l’iconicité, créer des familles lexicales.
2Cette possibilité de créer des familles lexicales est d’ailleurs présente pour les deux autres paramètres fondamentaux : ‘configuration’ et ‘emplacement’, le paramètre ‘orientation’ étant essentiellement le résultat de contraintes d’agencement du signe. Ainsi, les trois paramètres fondant la visée iconique du signe, s’ils sont, au niveau du lexique, dépourvus de sens, peuvent, du fait de leur charge iconique, devenir le support de familles lexicales et, grâce aux « dynamiques iconiques générales des paramètres » changer de statut linguistique, ce que résume le tableau suivant.
Statut des « familles lexicales » liées au mouvement et opérations de traduction
3Les variations sur le mouvement iconique des verbes posent une question redoutable. Nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit de familles lexicales créées en langue, c’est-à-dire intégrant le vocabulaire de la lsf, comme nous l’avons vu avec le signe [bateau-avancer]. Une autre hypothèse est possible : ces variations n’appartiendraient pas au lexique, mais seraient, au niveau du discours, des variations morpho-syntaxiques de type adverbiales. Par exemple, à partir de [lire], on peut avoir [lire-en diagonale], [lire-tourner les pages très vite] ; à partir de [écrire], on peut, par exemple, avoir [écrire-de gauche à droite] [écrire-gribouiller]. La flexion est sans aucun doute d’origine adverbiale, toute la question est de savoir si, linguistiquement, ces signes sont lexicalisés ou constituent pour le moins des expressions correspondant à ce que l’on nomme, en linguistique « expressions figées » (ou « collocations »). Il convient pour répondre à cette délicate question de se méfier terriblement des opérations de traduction. Ainsi en français « lire en diagonale » peut être considéré comme une « expression figée », « gribouiller » est lexicalisé, tandis que « écrire de gauche à droite » est plutôt à analyser comme un verbe suivi d’un adverbe. On ne peut plaquer ces analyses sur la lsf. Des études restent donc à mener pour répondre à cette question d’analyse et de catégorisation linguistiques.
Dynamiques iconiques, économie linguistique : maintien et glissement des paramètres
4Ce que nous avons appelé « dynamiques iconiques » est l’un des principes moteur de l’économie linguistique des langues gestuelles.
5Dans les langues vocales, l’économie linguistique se définit, entre autres, par le fait qu’avec un petit nombre d’unités dépourvues de sens, les phonèmes, on peut créer tous les mots et toutes les phrases utiles à la communication humaine. Pour la description de la langue française, ces phonèmes, qui se réalisent sous forme de sons dans la langue orale, sont au nombre de trente-six. Ainsi avec 36 unités pertinentes, indépendamment de la façon dont les sons sont réalisés d’un locuteur à l’autre, la langue française peut se déployer – dans les limites de l’intercompréhension bien sûr !
6Dans les langues gestuelles, les paramètres du signe sont ces unités de type « phonologique ». Les paramètres étant des classes d’unités, on comprend bien que le nombre de ces unités est bien supérieur à celui des langues vocales. En effet, si l’on additionne toutes les configurations, tous les emplacements, toutes les orientations et tous les mouvements possibles, on est plus proche des trois cents voire cinq cents que des trente. Des études restent à mener sur ce point.
7Le nombre élevé de ces unités est dû à la gestualité qui s’exprime en trois dimensions. L’économie linguistique des langues gestuelles – et donc de la lsf – va donc devoir s’organiser autrement. De fait, elle s’organise grâce à l’iconicité. En effet, l’iconicité permet qu’un élément dépourvu de sens, présent dans le lexique, un paramètre donc, puisse changer de statut linguistique. C’est l’essence même des dynamiques iconiques. Un paramètre maintenu dans sa forme glisse d’un statut à l’autre. C’est ce que l’on observe dans la dérivation iconique. Les paramètres ‘emplacement’ ou ‘configuration’ glissent d’un statut « phonologique » à un statut « sublexical », porteur d’une « parcelle de sens ». Quant aux mouvements iconiques, ils supportent des modifications : les flexions iconiques qui sont aussi un élément majeur de l’économie linguistique. On présente dans le tableau ci-après les différences fondamentales d’économie linguistique entre les deux types de langues.
Dynamiques iconiques liées à la création des familles lexicales
8Pour la création des familles lexicales, les dynamiques iconiques permettent à un élément « phonologique », un paramètre du signe, de se charger d’une parcelle de sens (ce que l’on nomme en linguistique un « trait sémique ») et de devenir ainsi une unité « sublexicale ». L’ensemble des modifications de statut des paramètres est résumé dans le tableau suivant.
Bibliographie
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Cuxac C., 2000, « Compositionnalité sublexicale morphémique-iconique en lsf », Langage et Surdité, Recherches linguistiques de Vincennes, no 29, Presses universitaires de Vincennes, p. 55-72. [sur la question du sens des paramètres et la notion de « parcelle de sens »]
Millet A., 1997, « Réflexions sur le statut du mouvement en lsf - aspects lexicaux et syntaxiques », LIDIL, no 15 (Langues gestuelles, quels enjeux pour les Sourds ?). [sur le double statut du mouvement]
Millet A., 2019, Grammaire descriptive de la langue des signes française, UGA éditions. [sur la structuration lexicale (chapitre 3 : 55-99)]
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