Descriptions linguistiques
p. 154-169
Texte intégral
1. Retour sur la structure du signe lexical
1Comme on l’a vu au chapitre 2, le signe lexical se décompose en quatre paramètres. Il est important de préciser ici que les paramètres ‘configuration’ et ‘emplacement’ sont clairement choisis en fonction de la « visée iconique » du signe. Le paramètre ‘orientation’ s’associe étroitement au paramètre ‘configuration’ pour atteindre cette visée iconique. Comme on l’a également vu chapitre 2, le paramètre ‘emplacement’ peut être neutre ou iconique, selon qu’il est situé devant le signeur (neutre) ou sur le corps ou la tête du signeur (iconique). Le ‘mouvement’ quant à lui peut être « non iconique » ou « peu iconique ». Dans ce cas, il ne sert qu’à articuler le geste et le sens, car le mouvement est nécessaire à la transmission du sens. Mais on notera que ce paramètre ‘mouvement’ contraint également l’orientation du signe. Par exemple, l’ ‘orientation’ suivra les variations liées à ce que l’on a caractérisé comme « mouvements manuels internes des signes » et sera adaptée aux possibilités des positionnements physiologiques des mains et des avant-bras.
2Cela étant, quelle que soit leur iconicité, les quatre paramètres participent à la « visée iconique » du signe. Cette notion de « visée iconique » est une notion importante pour comprendre l’économie des langues gestuelles. Il est évident que pour exprimer dans une langue gestuelle la notion de /rire/, on ne va pas se gratter l’épaule ou se pincer le bras. Prenons l’exemple du signe [rire] :
La configuration manuelle du signe figurera au mieux les lèvres, l’emplacement se fera au niveau de la bouche et le mouvement, peu iconique en soi, figurera cependant, au mieux également, le mouvement des lèvres de quelqu’un qui rit. L’orientation suivra, en quelque sorte, d’une part la visée iconique du signe (mains orientées vers l’intérieur, face à la bouche du signeur) et, d’autre part, le ‘mouvement’ qui implique une légère orientation des mains vers l’extérieur lorsque le signe est réalisé avec des variations d’intensité comme le montrent les exemples suivants.
3En effet, comme tout mouvement d’un verbe, le paramètre ‘mouvement’ peut subir des variations d’intensité ; s’il est amplifié on pourra le traduire par « rire aux éclats », s’il est plus contraint dans l’espace et que le signe [rire] est exécuté avec une mimique marquant un aspect dépité, on pourra le traduire par « rire jaune ».
4Il s’agit là de variations du mouvement qui se constituent comme des éléments de sens venant préciser la façon dont le verbe /rire/ est envisagé. Les éléments qui précisent la façon dont un verbe est envisagé sont des adverbes. Ces adverbes sont également supportés par la mimique, comme le montrent les dessins. Les « signes » [rire]-aux éclats et [rire]-jaune sont en fait constitués de deux unités : le verbe et l’adverbe qui vient modifier le sens premier.
5Si le signe [rire] est très iconique, en soi, le mouvement du signe ne l’est pas vraiment. On peut le faire varier pour introduire des adverbes qui viennent préciser son sens, mais on ne peut pas créer véritablement des familles lexicales à partir de ce mouvement. Il correspond ainsi au schéma suivant, où les deux premiers paramètres fondamentaux (‘configuration’ et ‘emplacement’, associés à ‘orientation’) sont sélectionnés pour satisfaire à la visée iconique du signe et où le paramètre ‘mouvement’ est là pour articuler l’ensemble des paramètres et, par là même, actualiser la visée iconique. Nous nous proposons de synthétiser cette structure fondamentale des signes dans le schéma suivant.
Dans d’autres cas, le mouvement est iconique et se laisse interpréter. Il permet alors de créer des familles lexicales en modifiant le mouvement initial pour créer des unités lexicales à part entière. C’est le cas du signe [bateau-avancer] comme on va le voir. Ce signe est la version verbale du signe [bateau] qui est un signe qui peut renvoyer au nom « bateau » ou au verbe « avancer » (pour un bateau) selon les contextes.
2. Comment se forment les familles lexicales en lsf ?
6Le vocabulaire d’une langue est l’ensemble des mots d’une langue ; on peut en faire un inventaire dans des dictionnaires. Ce vocabulaire est potentiellement infini, puisque l’on peut créer tout le vocabulaire dont on a besoin. Cependant, dans toutes les langues, ce vocabulaire n’est pas un grand sac de mots désordonné. Il s’organise et se constitue comme un « lexique ». Il s’agit bien d’un ensemble linguistiquement structuré de mots, dans lequel les mots entretiennent des rapports les uns avec les autres.
7Il existe tout d’abord des « familles lexicales ». Les familles lexicales sont des ensembles de mots qui sont reliés entre eux à la fois par la forme et par le sens. Pour le dire avec des termes linguistiques les signifiants sont formellement proches et les signifiés sont thématiquement reliés. Par exemple en français « mer », « marin », « maritime », « amerrir » sont reliés par les formes mer/mar et par la thématique de la mer. Il en va de même en lsf. On observe deux grandes façons de créer des familles lexicales en lsf : les flexions sur le mouvement et les dérivations à partir des paramètres ‘configuration’ ou ‘emplacement’.
Faire varier le mouvement pour créer du lexique : les flexions iconiques
8Les flexions sont définies en linguistique comme des variations de la forme apportant des informations supplémentaires. Dans les langues vocales, ces informations supplémentaires sont en général de type grammatical, comme par exemple la conjugaison qui apporte des informations sur le temps, la personne ou le mode.
9En lsf, le paramètre ‘mouvement’ supporte beaucoup de flexions qui vont apporter des informations de type lexical. Cette flexion particulière est dite « flexion iconique ». Ce procédé est dû en effet à l’iconicité de la langue. Il s’inscrit dans l’économie linguistique de la langue et relève de ce que nous appelons les « dynamiques iconiques » [voir la rubrique pour aller plus loin].
10En lsf, il très « économique » de faire varier un mouvement iconique, car le procédé est peu coûteux, mentalement et articulatoirement. Il est donc très efficace. Ainsi, à partir du signe [bateau-avancer], on va, en lsf, faire varier le mouvement pour obtenir une famille lexicale liée à la thématique véhiculée par ce signe.
11Les « dynamiques iconiques » permettent à un élément de changer de statut linguistique. Ici le paramètre ‘mouvement’ – mouvement iconique du mouvement de la mer – passe d’un statut phonologique (une unité non porteuse de sens) à un statut « sublexical », c’est-à-dire porteur d’une partie du sens du signe, à savoir la façon dont le bateau avance [voir la rubrique pour aller plus loin].
12On voit ici :
- qu’il s’agit de flexions (c’est-à-dire de variations porteuses de sens) sur le paramètre ‘mouvement’ qui structurent la famille lexicale ;
- que le lexique correspondant de la langue française ne s’organise pas du tout de cette manière. Tous les termes sont, en français aussi, reliés du point de vue du sens, dans ce que l’on nomme un « champ sémantique ». Mais ils ne constituent pas, en français, une famille lexicale, dans la mesure où, formellement, ils ne se ressemblent pas.
Maintenir un paramètre pour créer une famille lexicale : la dérivation iconique
13On a pu éprouver de manière intuitive cette notion de dérivation iconique dans la partie « pistes pédagogiques » du chapitre 2. On en reprend ici, de manière plus théorique les exemples pour en expliciter les principes.
Dérivation à partir du paramètre ‘emplacement’ (ou ‘ancrage’)
14On a observé que l’emplacement ‘tempe’ se charge d’un élément de sens renvoyant à des activités psychiques avec, entre autres exemples, les signes [penser], [rêver], [raison], [imaginer], [comprendre]. De même on a vu que sur l’emplacement du signe [cœur], on localisait des signes liés aux émotions tels, par exemple, [aimer], [vexer], [pitié], [désolé]. Tous ces exemples sont illustrés au point 1 de la partie « pistes pédagogiques » du chapitre 2.
15Dans ces deux séries d’exemples, le paramètre ‘emplacement’ devient une base de dérivation iconique. Dans la première série, il véhicule une « parcelle de sens » de type /activité psychique/, dans la seconde série, une « parcelle de sens » de type /émotionnellement chargé/. Ces parcelles de sens sont dénommées « unités sublexicales ».
16On soulignera que tous les signes réalisés sur l’emplacement ‘tempe’ ne seront pas liés à des activités psychiques. Par exemple, comme on l’a vu, bien des noms d’animaux, pour des nécessités iconiques, sont créés par métonymie en utilisant cet emplacement pour représenter iconiquement les oreilles ou les cornes des animaux que l’on veut nommer. Dans ce cas, l’emplacement n’a pas de sens particulier, il reste une unité « phonologique » dépourvue de sens. Il n’est choisi que parce que la visée iconique le rend nécessaire.
17À l’inverse, on notera qu’un même emplacement peut véhiculer des « parcelles de sens » différentes. Par exemple, sur le même emplacement que [cœur], pour des raisons iconiques différentes, on exécute aussi le signe [médaille].
18À partir du signe [médaille] l’emplacement va se charger d’une « parcelle de sens » référant à une notion de pouvoir, de puissance ou de prestige. Ainsi, un certain nombre de professions ou de fonctions, réputées socialement prestigieuses, vont s’y articuler comme on le voit dans les exemples suivants pour lesquels la « parcelle de sens » ou « unité sublexicale » est du type /prestige/.
Dérivation à partir du paramètre ‘configuration’
19Le maintien d’une configuration manuelle peut fonctionner de la même façon. C’est par exemple le cas de la configuration manuelle ‘V’ du signe [voir]. On remarque alors que toute une série de signes, en lien avec la notion de /voir/, sont créés avec cette même configuration ‘V’. Cette série inclut aussi le signe [regarder] qui inverse le mouvement du signe [voir].
20Ces deux signes permettent de créer une vaste série lexicale où la configuration ‘V’ maintient le sens. Cette série inclut les signes [lire], [aveugle], [dévisager], [examiner], [surveiller], [visiter], comme on a pu le découvrir dans la partie pédagogique du chapitre 2 dans laquelle tous ces exemples sont illustrés.
21Il s’agit d’un procédé iconique puissant pour organiser le lexique de la lsf. Mais attention, tous les signes avec une configuration en ‘V’ ne relèvent pas de cette famille. Par exemple [village] ou [vin], tout comme [vacances] vu précédemment, sont des signes initialisés. Parce qu’ils sont initialisés, ils utilisent cette configuration en ‘V’ – la première lettre des mots français correspondants – mais n’ont rien à voir avec le concept de /voir/.
Expliciter la définition de la dérivation iconique
22La dérivation iconique se caractérise donc par le maintien d’un paramètre dans une famille lexicale, spécialement les paramètres ‘emplacement’ et ‘configuration’.
23Dans les langues vocales, la dérivation consiste à adjoindre des préfixes et/ou des suffixes sur une base (ou « racine ») lexicale. Par exemple, en français, à partir de l’adjectif « local » on peut créer « localité », « localiser », « délocaliser », « localisation ». Ces préfixes et suffixes donnent des indications grammaticales (par exemple, c’est un nom (-ité), c’est un verbe (-iser) et/ou ajoutent des éléments de sens : (-isation) indique qu’il s’agit d’un nom impliquant une action ; (dé-) indique une action contraire.
24L’iconicité ne permet pas véritablement la création de préfixes et de suffixes. L’économie des langues gestuelles va alors s’appuyer sur les « dynamiques iconiques » qui permettent de changer le statut linguistique d’un élément. À partir d’un signe de base, en maintenant un paramètre, on confère à ce paramètre une partie du sens du signe de base. Le paramètre ainsi maintenu va pouvoir relier des pans de vocabulaires en créant ainsi des familles lexicales. Le paramètre passe alors d’une unité phonologique dépourvue de sens à une unité « sublexicale » véhiculant une partie du sens. On peut dès lors considérer que le paramètre, du fait des dynamiques iconiques, acquiert une « parcelle de sens » et, par là-même, un statut d’unité sublexicale.
25Du point de vue de la compréhension des bases linguistiques de la lsf, il est important de retenir que ce sont les dynamiques iconiques qui permettent la création des familles lexicales en favorisant le changement de statut de l’un des paramètres du signe [voir la rubrique pour aller plus loin].
26On note par exemple que les signes [frère], [sœur], [cousin(e)], [tante], [oncle], [neveu/nièce], étudiés dans la partie pédagogique de ce chapitre, présentent le même mouvement consistant à rapprocher les deux mains constituées de configurations initialisées (‘F’ pour [frère], ‘S’ pour [sœur] par exemple). On conviendra qu’il n’est pas aisé de trouver les traits iconiques de cette série. Cependant, on remarque que cette permanence du mouvement les relie entre eux. On actualise ainsi une famille lexicale au sein du « champ sémantique », plus vaste de… la famille.
3. Les champs sémantiques
27Au côté de ces « familles lexicales », le lexique est organisé en champs sémantiques. Les champs sémantiques sont plus larges que la famille lexicale, car ils ne relient les éléments lexicaux que par le sens. Le vocabulaire s’organise alors autour d’une notion, par exemple /les animaux de la ferme/, et on peut alors voir comment le vocabulaire des animaux de la ferme – les mâles, les femelles, les petits, les animaux châtrés – est organisé dans une langue donnée. Si l’on prend, par exemple, en français, le champ sémantique de la mer, on va avoir bien sûr toute la famille lexicale qu’on vient de voir, fondée sur la base -mer/mar. Mais on va pouvoir avoir aussi tout le vocabulaire qui peut être relié à la mer. Ce vocabulaire peut être composé de mots isolés ou organisés en familles lexicales. Par exemple, pour la mer : « phare », « jetée », « port » (port, portuaire), « plage » (plage, plagiste), « bateaux » et tout le vocabulaire que chacun peut relier à l’univers maritime. Dans les champs sémantiques les mots sont donc reliés par des affinités de sens qui se construisent en quelque sorte par « associations d’idées ».
28Ce qui nous intéresse ici est de voir comment, en lsf, un champ sémantique peut relier entre elles différentes familles lexicales. Nous nous basons sur le champ sémantique lié à la notion /eau/ et aux signes [eau] et [pluie], qui sont reliés par la notion /eau/ et par le paramètre configuration manuelle.
29Le signe [eau] possède un mouvement interne. Durant l’exécution du signe, on passe de la configuration ‘index’ à la configuration ‘crochet’. On peut se demander quelle est l’origine de ce signe, la notion d’eau étant assez abstraite et difficilement représentable iconiquement. Nous pensons que ce signe vient de [pleurer] qui utilise les mêmes configurations avec le même mouvement interne. En effet, lorsque l’on pleure, de « l’eau » coule des yeux. Ainsi en lsf, /pleurer/ et /eau/ sont reliés sémantiquement.
30À partir de ces deux configurations, deux variantes de [pluie] sont créées : l’une avec une configuration ‘5’, l’autre avec une configuration ‘griffe’. Le signe [eau] utilise un doigt, l’index, tandis que le signe [pluie] utilise les cinq doigts de la main, ce qui iconiquement marque le fait que la pluie, c’est beaucoup d’eau. On note d’ailleurs qu’il existe un signe pour exprimer [pluie-éparse] qui ne s’exécute qu’avec un seul doigt. Les deux signes [pluie] illustrés ici constituent deux variantes possibles.
Ensuite, à partir de ces deux configurations de [pluie] on va créer tout un vocabulaire lié à l’eau et à la pluie.
Ce champ sémantique réunissant plusieurs familles lexicales est particulièrement riche et bien structuré, comme l’illustre le schéma suivant où l’on voit comment, à partir des deux configurations présentes dans le signe [eau], des familles vont pouvoir se structurer.
4. Un lexique notionnel – entrée dans la grammaire de la lsf
31Le lexique de la lsf est iconique comme nous l’avons maintes fois souligné. Il est aussi « notionnel », c’est-à-dire qu’un signe peut renvoyer de façon très générale à un concept ou une notion, sans que l’on sache, au sein du vocabulaire, s’il s’agit d’un nom, d’un verbe, d’un adjectif ou d’un adverbe.
32Par exemple, en français, parce que la dérivation est possible, on a deux mots « balai » et « balayer ». Ces deux mots sont répertoriés à des endroits différents dans les dictionnaires. On dit qu’ils ont deux « entrées » distinctes dans le dictionnaire. L’un, « balai », est caractérisé comme un nom, l’autre, « balayer », est caractérisé comme un verbe.
33En lsf, parce que la dérivation ne trouve pas de traduction iconique, on aura un signe lexical qui renvoie à la notion globale de /balai/. Ce signe [balai] aura, selon le contexte, une valeur de nom ou une valeur de verbe. On pourrait d’ailleurs le gloser [balai/balayer].
34Ainsi, au niveau du lexique, la distinction des catégories grammaticales n’est pas faite. Dans leur forme de citation, c’est-à-dire telle qu’on peut la trouver dans les dictionnaires, les signes sont les supports d’une notion générale. C’est dans le discours, grâce à des procédés spatiaux et iconiques, que les différentes valeurs de la notion vont s’actualiser. Par exemple, le signe [chauffer] peut selon le contexte renvoyer à /chauffer/, /chauffage/ ou /chauffagiste/.
35On peut donc dire que, à partir d’une base commune, différents sens et différentes catégories grammaticales vont se construire dans le discours. On distingue deux catégories principales de bases lexicales : les bases verbo-nominales et les bases animo-locatives.
Les bases verbo-nominales
36Dans certains cas, il existe des signes différents pour les noms et verbes, dans ce cas noms et verbes n’ont pas tout à fait la même conceptualisation. Par exemple, en français, « don » et « donner » sont reliés, la terminaison « -er » marquant le verbe. En lsf, il semble que [don] et [donner] soient conceptualisés de façon différente : /donner/ figure ce qui part d’une personne vers une autre, le /don/ est ce que l’on sort de sa poche.
37Cependant, dans la plupart des cas le lexique ne distingue pas entre nom et verbe. On a donc ce que l’on appelle des bases verbo-nominales. Nous l’avons vu avec [bateau] qui peut, en contexte, signifier du verbal [bateau-avancer]. Les bases verbo-nominales sont très nombreuses en lsf. En effet, souvent, pour créer le signe iconique référant à un objet, on s’appuie sur l’iconicité liée au mouvement que l’on fait avec l’objet, c’est le cas par exemple de [fer à repasser/repasser], [échelle/monter à l’échelle], [poivre/moudre du poivre]. C’est aussi le cas avec des verbes dont le nominal correspondant est plus abstrait tels [nom/s’appeler] que nous avons vu dans les parties pédagogiques ou [travail/travailler] ou encore [chauffer/chauffage] qui sont également des bases verbo-nominales.
38L’actualisation du verbe implique un engagement corporel plus intense, comme c’est le cas dans les dessins proposés ci-après, qui illustrent une actualisation verbale du signe.
39Dans le dernier exemple, le signe [chauffage/chauffer] peut également renvoyer à un animé /chauffagiste/ ; c’est alors la syntaxe spatiale iconique qui va permettre de sélectionner l’une de ces trois valeurs.
40Nous verrons, dans les deux chapitres suivants, comment la distinction entre nom et verbe se fait au sein du discours en lsf et comment l’espace permet de sélectionner une valeur ‘animé’ ou ‘inanimé’, comme c’est le cas pour les bases lexicales dites « animo-locatives ».
Les bases animo-locatives
41Un autre type de base témoigne du fait que le lexique de la lsf est notionnel. Ce sont les bases animo-locatives. Il s’agit d’éléments lexicaux qui peuvent renvoyer soit à un animé soit à un lieu. C’est par exemple le cas pour des signes renvoyant à un pays et à ses habitants, ou à un métier et sa boutique.
42Là encore c’est dans la grammaire des phrases que la catégorie grammaticale sera sélectionnée comme nous le verrons au chapitre 7.
Distance entre la lsf et le français
43Du point de vue de l’organisation lexicale, lsf et français sont donc très éloignés. Les catégories grammaticales sont inscrites dans le lexique du français et ne le sont pas en lsf. Ceci ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y a pas de catégories grammaticales en lsf. Elles ne sont cependant pas exprimées dans le vocabulaire, mais dans la grammaire des phrases.
44Il s’agit là d’un procédé linguistique qu’il est important de transmettre pédagogiquement.
45Par ailleurs, deux phénomènes éloignent les deux langues, ce qui, pédagogiquement, est aussi important à souligner. Il s’agit tout d’abord des « verbes supports » du français, qui n’ont pas d’équivalents en lsf et, ensuite, des variations iconiques autour d’un concept.
Verbes supports
46Il existe dans la langue française, ce que l’on appelle des « verbes supports ». Il s’agit de verbes qui perdent leur sens premier et plein, pour former des locutions. Par exemple le verbe « faire » exprime une véritable action, mais dans « faire la cuisine », il perd de son sens premier et revient finalement à exprimer un verbe assez peu différent de « cuisiner ». Il existe en lsf un verbe [faire], mais qui garde son sens plein de /faire quelque chose/. On ne le retrouvera donc pas dans la traduction de l’expression « faire la cuisine ». [cuisine/cuisiner] est en lsf, une base verbo-nominale, et également locative, puisque le signe peut aussi renvoyer à l’espace de la cuisine.
47Un autre verbe support très fréquent en français est « prendre ». Par exemple, dans l’expression « prendre le bus », le verbe « prendre » n’est pas à interpréter dans son sens plein. Là encore, en lsf, comme on le verra dans la partie pédagogique, l’utilisation du verbe [prendre] serait inadéquate – sauf à créer un effet comique : « prendre le bus » sous son bras, par exemple. On note que « prendre le bus », qui, en français est une expression formée de deux éléments ; se traduit en lsf par une séquence de trois éléments. En effet, trois « signes » se succèdent : [bus] (à droite, en clair sur le dessin), [stf-bus] (tout à gauche dans le dessin) et [monter- dans] réalisé par la main droite, après le signe [bus].
48L’iconicité impose donc des règles morphologiques et sémantiques très différentes de celles du français. En français, les verbes supports, qui fonctionnent comme des auxiliaires, sont pratiquement vides de sens, ce qui est peu compatible avec la notion d’iconicité. C’est aussi cette notion fondamentale d’iconicité qui fait que certains concepts constants dans la langue française vont trouver des réalisations extrêmement variées en lsf.
Variations iconiques autour d’un concept
49Certes, comme nous l’avons vu, le lexique de la lsf est notionnel, mais il est aussi iconique. C’est ainsi que des concepts comme /ouvrir/ ou /fermer/ existent bien en lsf, en forme de citation.
50Ces deux signes sont liés à l’ouverture et la fermeture d’une porte et se sont imposés comme concepts généraux de l’ouverture et de la fermeture.
51Cependant, l’iconicité impose d’adapter les concepts aux contextes. Cela nécessite d’utiliser des paramètres servant la visée iconique du signe. Ainsi [ouvrir une fenêtre] se fera avec le même mouvement que le signe général [ouvrir], mais avec les configurations du signe [fenêtre]. On note d’ailleurs que [fenêtre] est une base verbo-nominale [fenêtre/ouvrir une fenêtre].
Dans d’autres contextes, comme « fermer la lumière », « fermer un parapluie », les paramètres du signe s’adaptent à l’iconicité. En effet, comme on l’illustre dans la partie pédagogique, tous les paramètres sont à ré-envisager en fonction de la visée iconique.
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