Pistes pédagogiques
p. 47-56
Texte intégral
1Ce que nous avons développé dans l’introduction (point 4) est primordial pour garder en mémoire comment en lsf tout s’articule dans ce triangle « langue/histoire/culture » que nous venons d’évoquer et sur lequel reposent les programmes du bo dans lesquels s’exerce toute activité langagière. Le bo propose ainsi de nombreux thèmes qui interrogent la place de la personne Sourde dans notre société, la façon dont elle s’y intègre, et le regard par lequel elle perçoit le monde.
2Tout d’abord, nous traiterons de « Comment entrer en communication avec une personne Sourde » dont la séquence s’articulera autour de l’interpellation. Puis nous présenterons la simultanéité inhérente à la modalité gestuelle avec, comme support, la séquence de salutation. Enfin, nous aborderons la question de l’attribution d’un prénom en lsf qui marque une forme forte d’entrée dans la langue.
1. Entrer en communication avec une personne Sourde
Une langue visuo-spatiale et gestuelle
3Les programmes d’enseignement de l’Éducation nationale de la lsf L2 posent, dès le préambule, le cadre d’un enseignement différent de celui de langues vivantes ordinaires. La lsf est :
Une langue qui se comprend en réception par la vue et se produit en expression par le geste contrairement aux langues audio-vocales comme le français qui se reçoivent par l’audition et se produisent par la voix. (bo, p. 1)
4Lorsque l’apprenant est entendant, il évolue depuis l’enfance dans un bain de langue oral et vocal. Or « [en] lsf, l’audition et la voix ne sont pas mobilisées » (bo, p. 1). C’est pourquoi l’apprenant doit alors changer de perspective et plonger dans la culture Sourde, en entrant dans une langue visuo-spatiale et gestuelle portée par la vue et développée dans l’espace par le corps :
[La lsf] n’est donc pas soumise aux mêmes contraintes qu’une langue vocale. Ainsi en langue des signes, grâce aux mains, au visage, aux épaules, il est possible de signifier plusieurs choses simultanément, alors que la voix oblige à enchaîner les mots les uns à la suite des autres. (bo, p. 1)
Pour ce faire, dès ses premiers cours, l’enseignant instaure les bases de cette langue visuo-spatiale et gestuelle :
La mise en place d’activités d’expression corporelle ou d’entraînement peut permettre à l’élève de se familiariser avec les différents paramètres […] et [de] les coordonner simultanément. (bo, p. 3)
5Ces particularités de l’enseignement de la lsf portent à la fois sur la langue, le modèle et la pratique qui en découlent, mais aussi sur des critères ergonomiques :
[…] le regard est le premier souci avant de s’exprimer ou s’écouter visuellement. Ce paramètre crucial nécessite un agencement de la disposition des chaises de la classe […]. (bo, p. 5)
6Ainsi, la disposition traditionnelle de la classe n’est pas adaptée, car elle ne permet pas de rendre accessible une communication en lsf. C’est pourquoi une disposition en U ou en « deux rangées de chaises disposées à bonne distance les unes des autres » (bo, p. 5), en face-à-face, représente des solutions matérielles pour l’intégration et la pratique d’un bon fonctionnement visuel de la lsf.
7C’est pour sensibiliser les apprenants sur cet aspect de la lsf en tant que langue visuo-spatiale et gestuelle que l’on développe une séquence pédagogique spécifique qui s’intitule « Entrer en communication avec une personne Sourde ». À travers une tâche communicative simple – Comment interpeler une personne Sourde ? – on vise, d’une manière générale à faire découvrir et éprouver à l’apprenant les moyens de communication qui sont à sa disposition pour entrer dans la communication visuo-spatiale et gestuelle, puis à en intégrer les éléments. Il s’agit pour l’apprenant d’apprendre à sortir du canal audio-vocal et de prendre la mesure des différences impliquées par le canal visuo-corporel, telles qu’on a pu les décrire dans la partie linguistique.
Précisions sur la séquence, attendus du professeur et objectifs à atteindre pour l’apprenant
8Cette séquence pédagogique s’inscrit dès les premiers cours d’enseignement de la lsf et a pour objet l’interpellation. Elle met en scène l’espace, le corps et la vue – spécialement le regard –, éléments nécessaires à la pratique de la lsf. Elle permet à l’apprenant, non seulement de découvrir les codes de communication en langue des signes, mais aussi de découvrir ses propres capacités gestuelles.
9Elle incite l’apprenant à explorer d’autres ressources sensorielles que celles fournies par le canal audio-vocal. Le professeur instaure une situation physique de départ par la mise en situation réelle de jeux de rôles qui permet ainsi aux différentes solutions d’émerger. Ces dernières naissent des essais et des erreurs des apprenants qui testent puis affinent les possibilités d’interpellation, de salut ou de contact. Le professeur oriente alors les mises en situation pour approfondir les propositions des apprenants, ou pour amorcer une réflexion sur de nouvelles idées. Les solutions relèvent d’abord du regard, mais aussi du toucher et des vibrations.
10L’objectif est de mettre en évidence les différents moyens et stratégies de communication qui ont pour but l’interpellation dont nous détaillons ci-après quatre modalités.
11L’interpellation passe par exemple par le toucher en tapotant le coude, le bras ou l’épaule de quelqu’un qui a le dos tourné afin de capter son regard quand il se retourne.
12Elle passe également par les vibrations du sol ou de la table en tapant sur le support pour provoquer un ressenti physique et faire se retourner la personne interpelée ou pour que cette dernière lève la tête.
13Actionner un interrupteur peut aussi jouer ce rôle d’interpellation : en entrant dans une pièce, et pour prévenir de son arrivée dans un groupe de personnes occupées, le locuteur va allumer ou éteindre la lumière pour signifier sa présence. Le changement visuel et lumineux va s’avérer efficace et les personnes se retournent.
14Enfin, l’interpellation peut passer par une tierce personne avec qui on établit un contact physique ou un contact par le regard. Le regard a une place essentielle dans cet exercice, car regarder quelqu’un et le saluer est une solution première spontanée, que la personne soit à proximité ou à distance. Si le contact visuel est établi avec ce tiers, pointer la personne avec qui l’on veut communiquer permet à celle-ci de lever la tête ou de se tourner pour être, elle aussi, en contact visuel.
Compétences générales visées par la séquence
Compétences discursives
15Cette séquence met en pratique des compétences discursives grâce à des activités diverses :
- la mise en situation par des jeux de rôle entre personne Sourde/personne entendante ;
- les activités communicationnelles : interpeler quelqu’un, saluer, montrer quelque chose, entrer dans une pièce ou dans une salle de cours.
Compétences linguistiques
16Les compétences linguistiques mises en place sont liées à deux éléments fondamentaux de la communication :
- le continuum geste/signe ;
- le pointage spontané, comme outil de communication.
L’appréhension du continuum entre geste et signe permet à l’apprenant de prendre conscience de ses potentialités puisque, dans toute communication, les gestes, c’est-à-dire des signes non linguistiques, sont toujours présents, que la langue de communication soit une langue vocale ou une langue gestuelle.
17Par ailleurs, la prise de conscience du rôle primordial du pointage dans la communication est une première étape pour apprécier l’efficacité de ce simple geste qui assure des fonctions linguistiques essentielles en lsf.
Compétences culturelles
18Les compétences culturelles qui sont à développer sont liées à l’appréciation de la façon dont l’expression corporelle et spatiale fonctionne :
- la simultanéité des gestes/signes ;
- la mise en œuvre de tout le corps : mains/visage/regard/buste ;
- la dimension spatiale de la lsf : l’utilisation de l’espace matériel, les gestes à distance, le pointage pour les pronoms personnels ;
- l’appel à d’autres moyens de communication : l’expressivité faciale, la kinesthésie.
2. Entrer dans la simultanéité inhérente à la modalité gestuelle – la communication en lsf
Une langue portée par le corps
19La globalité qui, comme on l’a vu dans la partie linguistique, est inhérente à la modalité gestuelle, implique la combinaison simultanée de plusieurs éléments portés par le corps pour que la communication fasse sens : les gestes, les signes, l’expression faciale, le regard, les mains, les épaules et le buste. Utiliser son corps comme outil linguistique doit être vécu par l’apprenant pour être intégré et permettre le développement de cette langue :
En lsf directe, le professeur doit s’exprimer à un débit adapté aux élèves tout en vérifiant leur compréhension. En ce sens, il doit utiliser de façon régulière le continuum de la gesticulation qui mène à la gestuelle coverbale puis chemine par la pantomime et arrive finalement à la lsf. […] Le professeur doit aussi expliciter ce continuum pour que l’élève puisse dissocier la lsf et la pantomime. (bo, p. 4)
En effet mobiliser son corps, et entrer dans une communication spatiale n’est pas évident pour les apprenants :
[L’]activité [d’expression corporelle] est d’ailleurs bénéfique, d’une part pour favoriser la motricité du corps, notamment les bras, les doigts, le buste et le regard, et d’autre part, pour libérer plusieurs parties du corps porteuses de sens que certains élèves sont peu enclins à mobiliser. (bo, p. 5)
20L’apprenant doit accepter son corps comme porteur de sens et de langue, et accepter de le mettre en avant au service de la communication.
21Ainsi pour amener les apprenants à utiliser leur corps comme outil linguistique, nous développons la séquence pédagogique intitulée « Entrer dans la modalité gestuelle ». Il s’agit de mettre en scène une interaction courte pour se saluer sans pour autant en connaître le lexique lsf.
Précisions sur la séquence, attendus du professeur et objectifs à atteindre pour l’apprenant
22Les moyens gestuels pour se saluer sont nombreux, ce sont des pratiques gestuelles communes que tout entendant peut avoir :
- un coucou de la main ;
- une poignée de main ;
- un signe de tête ;
- un salut type militaire avec une main sur la tempe.
Le geste s’accompagne souvent d’un sourire plus ou moins marqué, que l’on soit content de voir son interlocuteur ou par simple politesse.
Concernant la question « Ça va ? », là aussi plusieurs possibilités existent. D’abord au niveau des gestes :
- [pouce vers le haut] est un geste signifiant quelque chose de positif, pour demander à quelqu’un qu’on suppose aller bien si « Ça va bien ? » ;
- [main horizontale, paume vers le bas, mvt gauche-droite de rotation répété] est un geste signifiant quelque chose d’approximatif, pour demander « Comment ça va ? » à quelqu’un qu’on suppose être moyennement en forme ou dont on sait qu’il ne va pas très bien.
Ensuite au niveau de l’expression faciale ou mimique : l’objectif est là de poser une question à son interlocuteur, et il est important d’y associer une expression/mimique interrogative [sourcils vers le haut], mimique qui attend une réponse. L’apprenant doit s’essayer à exprimer sur son visage cette intention. La question à l’interlocuteur est adressée par le regard. Cela peut être explicité par le professeur, mais c’est ordinairement spontané pour le locuteur novice. Le [toi] peut être ajouté.
Là encore, le pointage vers l’interlocuteur semble naturel, car il est un outil communicatif partagé.
23Parallèlement à la mimique interrogative, l’expression est porteuse d’un deuxième sens, elle soutient le geste auquel elle est associée pour demander si ça va :
- la mimique doit être souriante associée à [pouce vers le haut] pour questionner une bonne forme ;
- la mimique est hésitante associée à [main horizontale mvt gauche-droite répété] pour questionner un état moyen ;
- la mimique est négative associée à [non] pour questionner une évidente mauvaise forme.
À partir des interactions jouées par les apprenants, il est important que le professeur accepte toutes les pratiques gestuelles et qu’il note pour lui-même les différentes mises en œuvre présentées. Puis le professeur présentera une interaction-type de salut avec le lexique lsf adéquat, avec les expressions appropriées du visage et ses mimiques marquées. Le lexique de salut ne sera donné qu’en fin de séquence, une fois que l’expérimentation et les retours auront été faits. Le lexique est simple, outre les signes [bien], [toi] et [non] déjà vus, les signes suivants [bonjour] [ça va] [oui] [moi], constituent un bagage, bien évidemment non exhaustif, mais suffisant pour une interaction simple :
24Enfin, filmer ces différents exercices présente deux intérêts majeurs : l’enregistrement vidéo permet à l’apprenant la visualisation de son travail à la fois dans l’expressivité, mais également dans la focalisation des signes plutôt que des gestes. D’autre part, au fil de ses productions, l’apprenant assiste à l’évolution de son propre comportement corporel avec, certes, les imperfections à corriger, mais aussi avec tous les progrès réalisés. Ces vidéos font partie intégrante de l’enseignement/apprentissage de la lsf.
Compétences générales visées par la séquence
Compétences discursives
25Cette séquence met en pratique des compétences discursives grâce aux activités suivantes :
- saluer quelqu’un, dire bonjour ;
- poser une question sur l’humeur ou la santé de son interlocuteur (« Ça va ? ») avec une mimique appropriée.
Compétences linguistiques
26Les compétences linguistiques s’articulent autour de :
- la simultanéité inhérente à la modalité gestuelle ;
- le continuum geste/signe ;
- la mimique faciale avec expressivité interrogative, affirmative ou négative.
Compétences culturelles
27Les compétences culturelles, quant à elles, se vivent physiquement par le biais de la découverte de la dimension corporelle de la lsf, avec l’usage du corps, du regard, du visage et des expressions. Pour l’apprenant, cette compétence culturelle le met en jeu sur le plan physique, psychologique, personnel et collectif. Son corps, mis ainsi au service de la lsf, devient alors un véritable outil pour communiquer.
3. Une nouvelle identité : un prénom en lsf
Une langue orale signée
[…] la langue française est une langue vocale qui a une forme orale et une forme écrite. La langue des signes française est une langue gestuelle foncièrement orale puisqu’elle ne dispose pas de forme écrite instituée. La ls-vidéo, expression lsf sur support vidéo est toutefois considérée comme une forme écrite [de la lsf]. (bo, p. 2)
28Si nous prenons comme thème le prénom, dire son prénom révèle des ponts entre les deux langues, français et lsf. En langue française, le prénom, c’est l’identité d’une personne pour se présenter et pour être identifiée. En langue des signes, le (pré)nom en signe se substitue au prénom français et établit un lien entre le nouveau locuteur et la communauté Sourde signante.
29Pour illustrer notre propos, la séquence pédagogique qui suit sera : « Savoir se présenter suivant les codes de la lsf en se nommant par son prénom en lsf. »
Précisions sur la séquence, attendus du professeur et objectifs à atteindre pour l’apprenant
30Cette séquence porte sur la notion identitaire qu’est le prénom, notion commune aux deux langues. Le prénom en signe marque une entrée immédiate dans la culture Sourde comme si l’apprenant se « baptisait » avec ce nom signé. Le principe d’économie de la lsf s’exprime ici par la sélection d’un seul trait caractéristique de la personne et ce trait suffira pour l’identifier. C’est une sorte de concentré d’identité que la personne signe pour se présenter. Cela se fait par :
- une caractéristique physique : cheveux, taille, tic facial ou particularité (cicatrice, grain de beauté…) ;
- une caractéristique morale, trait plus ou moins positif : souriant, têtu, entreprenant… ;
- une habitude : tic répété (mèche derrière l’oreille, yeux qui clignent…), bijoux, style vestimentaire, couleur préférée… ;
- un loisir : un sport, un art, une passion (botanique, astronomie…), une activité particulière (cuisine, bricolage…).
- Français et lsf offrent ensemble quatre manières de présentation du prénom :
- la diction du prénom avec le français oral ;
- l’écriture du prénom avec le français écrit ;
- le prénom en signe avec la langue des signes directe ;
- un court enregistrement vidéo de son prénom (« ls-vidéo »), considéré ici comme une « forme écrite » de la lsf.
À partir du développement de la séquence ci-dessus, nous avons trois points de comparaison à évoquer entre les deux langues.
31D’abord, la comparaison entre français écrit et lsf se fait entre les deux formes écrites : la phrase écrite prendra au moins une ligne avec un certain nombre de caractères scripturaux alors que, dans le principe d’économie de la lsf, la vidéo, elle, ne prendra que quelques secondes.
32Ensuite, on note que les mots « nom » et « s’appeler » correspondent à un signe unique en lsf qui, selon les contextes, aura valeur de nom ou de verbe. Ce signe unique est le premier élément de comparaison entre les deux langues qui questionne les apprenants. Pour proposer une éventuelle traduction, ce serait alors « Mon nom est X » ou « Je m’appelle X ». Mais nous y reviendrons plus tard, quand nous aborderons la distinction nom/verbe.
33Le dernier point concerne la dactylologie qui est l’écriture gestuelle de l’alphabet français. C’est parce qu’il est primordial de plonger dans la culture Sourde que cet alphabet gestuel – qui servirait à épeler son prénom – reste secondaire, car c’est le nom en signe qui prévaut. Ainsi la dactylologie n’est pas abordée dans cette séquence et son apprentissage sera donc développé ultérieurement.
Compétences générales visées par la séquence
Compétences discursives
34Cette séquence met en pratique les compétences discursives suivantes :
- trouver les caractéristiques physiques, morales, des traits d’habitude ou des loisirs pour se définir soi-même ;
- sélectionner le plus pertinent et le transformer en un signe significatif ;
- donner son nom en signe pour se présenter.
Compétences linguistiques
35Les compétences linguistiques s’articulent autour de l’utilisation :
- du lexique : outre [moi] déjà vu, [nom/s’appeler] et [nom signe] ;
- de la syntaxe : être capable de signer une phrase simple courte ; être capable de poser une question simple en utilisant la mimique interrogative qui est comparable à celle utilisée à l’oral en français : yeux grand ouverts, sourcils levés.
Compétences culturelles
36Les compétences culturelles, quant à elles, établissent la base de la reconnaissance de l’apprenant par la communauté Sourde signante. Sa nouvelle identité, créée par lui-même par le choix de son nom en signe, reflète cette appartenance à ce groupe. Cela se traduit par :
- le principe d’économie en lsf qui concentre en un seul signe le nom-signe ;
- l’emploi du nom en signe ;
- l’emploi des noms-signes des membres du groupe.
En conclusion, nous avons vu que la lsf, langue visuo-spatiale et gestuelle, met en jeu le corps, les mains, le regard et les expressions faciales et que cela représente les codes à acquérir pour tout locuteur communiquant en signes. L’apprenant a découvert aussi une première dimension culturelle de la langue par la création de son nom en lsf, nouvelle identité par laquelle il se nommera – et sera nommé par les membres du groupe. Le rôle du professeur, quant à lui, est d’amener les apprenants à acquérir des compétences pratiques par le biais d’expériences de situations d’interactions simples.
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