La médication par les eaux et le climat
Venise, station médicale et balnéaire au xixe siècle
p. 235-259
Texte intégral
1. Le pouvoir thérapeutique des eaux de la lagune
L’enthousiasme des médecins vénitiens
1Avec son réseau de ruelles et de canaux étroits et pittoresques, d’eaux saumâtres et d’habitations délabrées, la Venise du xixe siècle et son centre historique représentent un paradigme opposé à celui d’un modèle urbain fondé sur le respect des principes sanitaires. Pourtant, la ville devint, jusqu’à la fin du siècle, une des destinations favorites pour des milliers de touristes et de malades européens désireux de goûter aux effets bénéfiques du climat vénitien et de la balnéation dans la lagune. On a aujourd’hui peu conscience de l’ampleur d’un tel phénomène qui, sur l’onde de la mode et de l’enthousiasme collectif, bouleversa pour quelques décennies le visage de la cité lagunaire avec l’implantation à divers endroits de la ville de nombreux établissements destinés à la médication par les eaux et au bain dans les canaux. Les textes de médecins vénitiens que nous présenterons ici constituent les éléments déclencheurs d’un attrait collectif pour le climat de Venise et sont à l’origine de l’émergence, au milieu du siècle, d’un tourisme balnéaire dans le centre historique de la ville.
2Les ressources thérapeutiques, et notamment la mise en évidence de la capacité d’oxygénation des canaux liée au flux de la marée, forment le point de départ de l’apparition, à partir des années 1830, de toute une littérature médicale par laquelle les médecins proclament les propriétés bénéfiques du climat et des eaux lagunaires pour soigner diverses affections. Destinée aux touristes et aux malades, son but est de diffuser la connaissance des propriétés des ressources naturelles de Venise, qu’il s’agisse du rôle de l’eau de mer et des principes salins contenus dans l’air des lagunes ou des caractéristiques physico-chimiques des eaux de ses canaux. Variant peu leur discours, ces textes suivent une typologie commune assez proche, encore une fois, des topographies médicales. Ces derniers s’organisent essentiellement autour de plusieurs grands axes : présenter les caractéristiques positives du climat vénitien et la douceur de ses températures ; analyser de façon précise la nature des eaux de la lagune ; évoquer l’absence de certaines maladies épargnant les Vénitiens, un peuple particulièrement robuste et dont la longévité est exceptionnelle ; caractériser les diverses affections pour lesquelles le climat des lagunes et le traitement par les bains peuvent être indiqués ; et, enfin, définir un traitement adaptable à chaque malade, reposant sur des décoctions d’algues et sur la prise quotidienne d’eau de mer et d’eau de la lagune en boisson.
3Lorsqu’il fait paraître, en 1838, l’ouvrage intitulé Ischia e Venezia. Memoria sulla felice influenza del clima della città di Venezia1, le Dr Valeriano Luigi Brera a pour principale ambition d’informer le public sur la grande salubrité du climat de Venise et sur l’influence particulière que celui-ci exerce l’hiver dans le traitement des affections des voies respiratoires. Aussi souhaite-t-il proclamer une vérité « scientifique » méconnue ou injustement contredite par les étrangers séjournant dans la cité : l’atmosphère des lagunes est « médicinale » et se révèle particulièrement bénéfique dans le traitement de maladies aussi graves que la tuberculose. Il explique ce phénomène en insistant sur l’évaporation continue dans l’air des émanations salines et d’effluves iodurés, résultat de la décomposition des algues de la lagune :
L’essentiel de la condition bénéfique du climat vénitien est produite par le concours de l’évaporation plus ou moins énergique […] de l’eau de mer, par laquelle l’atmosphère vénitienne acquiert naturellement ces qualités salutaires qui s’exercent sur les organes respiratoires […]2.
4Le but du propos est ici de centrer l’action de cette combinaison chimique dont est empreint l’air des lagunes autour de ses effets sur l’appareil respiratoire. Aussi, l’auteur conseille-t-il « la cure vénitienne » tout particulièrement en hiver, afin de compléter le séjour à Bad Ischl3, une des stations climatiques les plus réputées dans le traitement de la phtisie pulmonaire :
Il advient parfois qu’un été à Ischl ne soit pas suffisant pour vaincre les maladies. […] Ainsi trouvera-t-on à Venise, pendant la saison la plus froide, […] les moyens pour continuer, compléter et renforcer les soins et traitements entrepris4.
5De même, dans l’ouvrage que le Dr Alessandro Tassinari consacre quelques années plus tard au climat de Venise, les propriétés antiphlogistiques de l’air des lagunes ne sont plus à prouver. Il en évoque les qualités exceptionnelles d’après sa propre expérience de malade :
Je suis tellement convaincu de l’action bienfaisante de ce climat dans les maladies de la poitrine, que je n’hésite pas à avancer que, nous autres médecins, nous n’avons que la faible part à la guérison des étrangers, due presque tout entière à l’influence salutaire de l’air […]. J’étais en proie à une inflammation vascularo-thoracique accompagnée d’une hémoptysie très grave, maladie qui dura pendant dix mois ; l’énergique cure centro-stimulante employée par mon ami le Dr Bertoia et par l’illustre Zannini pendant les deux premiers mois, et ensuite par le Dr Santo Turri, me sauva5.
6Selon ces auteurs, l’union d’un air tiède et modérément humide, avec l’action purifiante et antiseptique des émanations marines faisait de Venise la « station médicale » la plus apte au traitement de la phtisie pulmonaire. Mais cette dernière était aussi célèbre pour atténuer et guérir d’autres types de maladies, notamment par les bains pris régulièrement dans sa lagune. Cette « thalassothérapie » était particulièrement indiquée dans le traitement du rachitisme, des pathologies du système cutané et dans certaines maladies de peau – des dermatoses au psoriasis –, tout comme dans les maladies nerveuses ou dans certains types de névralgies et névroses. Enfin, les médecins conseillaient de pratiquer l’immersion dans les eaux lagunaires pour le cas de désordres concernant les organes génitaux féminins ou de troubles liés au disfonctionnement des viscères abdominaux. Définissant les saisons les plus propices à la guérison, le Dr Levi énumère ainsi la longue liste de maladies que le climat vénitien et les eaux lagunaires permettent de soigner :
D’ordinaire, les malades étrangers se rendent ici au cours de deux saisons de l’année ; c’est-à-dire en été et en hiver ; les premiers sont les scrofuleux, les rachitiques et les goutteux, auxquels il est particulièrement indiqué de prendre de l’eau de mer en boisson ainsi que des bains salés ; les seconds sont les phtisiques, hémophtisiques, […] marasmatiques, dont la constitution physique est frêle, les nerveux au plus haut degré […] cherchant à fuir les hivers rigoureux6.
7Les textes considérés insistent chacun à leur tour sur l’importance de cette cure dans les lagunes vénitiennes, aussi bien pour les effets directs exercés par « les principes hydrochloreux et iodurés » émanant des canaux dans les « affections de poitrine7 », que pour le repos physique et moral des patients. Car, pour les médecins, Venise est sans conteste, la ville du calme et du repos où les malades peuvent espérer jouir d’une excellente convalescence. Le rythme particulièrement serein de la vie vénitienne les met à l’abri du tapage et du « mauvais air » des grandes villes européennes, un facteur déterminant pour les spécialistes du traitement de la phtisie chez les sujets nerveux.
8En outre, si, pour le Dr Brera, l’air des canaux « anime l’esprit et rend l’âme hilare8 », il constitue également un excellent fortifiant ainsi qu’une source de vigueur dont la bonne santé des Vénitiens est la preuve. Cette croyance n’est pas nouvelle. Le mythe de l’extrême longévité des habitants des lagunes est aussi ancien que l’histoire de la ville elle-même. En effet, la tradition voulait que l’on exaltât à Venise la qualité de l’air, dont l’effet le plus évident était la vigueur et la force physique des personnes âgées. Au xvie siècle, Francesco Sansovino déclare dans sa Venetia città nobilissima et singolare que les étrangers sont eux-mêmes surpris de croiser très souvent dans Venise des « personnes d’un âge très ancien, pleines de chair, droites et robustes ». Ceci est tout naturellement dû, pour l’historien de la Sérénissime République, à l’air particulièrement sain qui règne dans les lagunes, « purgé par le flux et le reflux de l’eau9 ». Les uns après les autres, les spécialistes vénitiens du xixe siècle dont nous suivons les témoignages répètent inlassablement ce type de discours et notamment celui que diffuse dans l’Antiquité l’historien et géographe grec Strabon10, selon lequel, au temps des Césars, la lagune de Venise était devenue si célèbre pour les qualités exceptionnelles de son climat que les empereurs y faisaient régulièrement entraîner leurs gladiateurs pour qu’ils « demeurent sains et robustes11 ». La lagune vénitienne est donc bel et bien le lieu d’un miracle physique. Aussi, ce discours teinté de providentialisme réapparaît-il dans les textes de médecins où ces derniers se plaisent également à mettre l’accent sur les maladies et épidémies épargnant la ville, préservée du méphitisme par l’action conjuguée du vent et des vapeurs salines de la mer. Moisè Giuseppe Levi insiste lourdement sur ce fait et précise que, à Venise, il est rare de traiter des cas aussi graves que les « pneumonies hivernales », les « affections strumeuses » ou encore les « difformités ». De même, on rencontre peu de personnes atteintes d’« arthrite », « de la goutte » ou de « rhumatismes chroniques12 ». Enfin, Venise possède des ressources exceptionnelles plus qu’aucune autre ville ou station thermale : les eaux de sa lagune. C’est cette proximité constante avec l’élément aquatique que la science médicale va désormais mettre au premier plan. Élaborant des stratégies thérapeutiques pour utiliser l’eau marine et exploiter les qualités uniques au monde de l’eau des canaux vénitiens, les médecins vont à présent tenter de diffuser auprès du public européen l’extraordinaire pouvoir médicinal du milieu lagunaire. Dès lors, ceux-ci conseillent unanimement l’usage des bains comme adjuvant au traitement des maladies respiratoires et autres affections par le climat.
9Au sein même d’un contexte qui voit la pleine expansion des villes thermales européennes, l’efficacité des bains de mer dans le traitement de la scrofule, qui comprenait toute une série de pathologies liées à la tuberculose, ainsi soutenue dès 1750 par Russell dans son traité De Tabe Glandulari, sive De Usu Aquae Marinae in Morbis Glandularum Dissertatio (1750), ne faisait alors aucun doute pour les médecins vénitiens du xixe siècle qui adaptèrent les injonctions du médecin anglais dans l’environnement lagunaire de Venise. Or, la pratique du bain médical13 ne se limitait évidemment pas au seul traitement de la scrofule ou à d’autres pathologies infectieuses, mais à bon nombre de maladies face auxquelles la médecine du xixe siècle était encore impuissante. Aussi, tout au long du siècle, bains, douches et étuves sont employés également pour une quantité d’affections plus ou moins graves, dans des spécialités en gestation qu’on appellerait aujourd’hui dermatologie, vénérologie ou encore rhumatologie. Dans le cas de Venise, la saison des bains sera le plus souvent préconisée en été, période pendant laquelle la quantité d’émanations iodurées des canaux était considérée comme maximale. Outre les bains dont nous verrons dans ce qui suit la large gamme qu’en proposaient les établissements balnéaires, ces derniers pouvaient, selon les cas, avoir recours à la boisson d’eau de mer, particulièrement indiquée pour traiter les problèmes gastriques, faciliter la digestion, augmenter l’appétit et réguler l’intestin. Quant à l’eau des canaux, elle constituait elle aussi une excellente médication car, après avoir été examinée et analysée par de « patients chimistes », celle-ci s’était révélée infiniment plus bénéfique dans l’usage des bains ou en boisson, d’après Francesco Saverio Da Camino, « pour atténuer les humeurs et détendre les fibres14 » des personnes nerveuses. Les bains de Venise étaient devenus si célèbres qu'en 1846, Giuseppe Fracchia, pharmacien de Trévise, mit sur le marché une préparation15 pour les reproduire artificiellement, tandis que l’eau lagunaire elle-même, puisée dans un endroit bien précis du bassin de Saint-Marc, était commercialisée dans les principaux établissements balnéaires de la ville. Enfin, les médecins pouvaient aussi compléter le traitement en conseillant au malade la prise de décoctions d’algues ou, dans le cas des dermatoses, l’application cutanée de boues salées naturelles que l’on transportait alors d’Abano jusqu’à Venise, où de nombreux hôtels dotés de cellules balnéaires proposaient à leurs clients ce type de soins. Pour le Dr Tassinari, la prise quotidienne de décoctions d’algues de la lagune ainsi que l’application des boues minérales constitue sans nul doute la cure idéale pour des malades aussi gravement atteints que les phtisiques ou les paralytiques :
Quant aux substances médicinales, j’observerai que les algues de nos lagunes occupent le premier rang entre les remèdes indiqués dans les affections de poitrine. Elles contiennent à un haut degré une substance gélatineuse, très efficace surtout contre les tuberculoses pulmonaires à base scrofuleuse, et qui favorise en outre la nutrition, avec l’aide des ressources ordinaires de la thérapeutique. […] Les boues salées naturelles sont soit des boues minérales d’Abano qui arrivent tous les jours bouillantes à Venise, par le chemin de fer, soit des boues artificielles16.
10L’usage médical particulier des bains dans la lagune fit ainsi accéder Venise au rang des grandes stations thermales européennes. Dans un contexte où s’affirme la mode des cures17, l’extraordinaire potentiel des eaux lagunaires, redécouvert et mis en avant par les scientifiques européens, fut à l’origine de l’apparition d’une multitude d’établissements balnéaires dans le centre insulaire de la ville. L’immense structure flottante ancrée dans le bassin de Saint-Marc à partir de 1833, imaginée par le Dr Tommaso Rima, illustre de manière particulièrement éclatante cette utilisation des ressources naturelles de Venise.
Tommaso Rima et son Stabilimento galleggiante (1833)
11Par sa formidable entreprise, le Dr Tommaso Rima (1775-1843), chirurgien à l’Ospedale Civile de Venise, parvint à exploiter ce nouvel engouement pour les effets bénéfiques des eaux lagunaires, diffusé par la littérature médicale de la première moitié du siècle. Désormais, pour le grand public comme pour les innombrables malades qui venaient chaque année séjourner dans les lagunes, la ville développait sa propre activité balnéothérapique grâce à cette ample structure ancrée dans le bassin de Saint-Marc et destinée à concurrencer les établissements les plus réputés de Trieste18. Or, dans l’essor et le développement du potentiel balnéaire de Venise et de la Vénétie en général, le rôle de la monarchie habsbourgeoise – à la tête de la ville depuis 1815 – mérite ici d’être souligné. Si l’utilisation à des fins médicales des eaux de la lagune correspond bien à une réalité de la thérapeutique, dans un siècle marqué par ce que Jérôme Penez qualifie de « fièvre thermale19 », le cas vénitien demeure néanmoins fortement original car, à travers l’exploitation des ressources naturelles de Venise – qu’il s’agisse des eaux, des algues et autres boues minérales provenant d’autres stations thermales de Vénétie20 –, l’administration autrichienne eut pour principale ambition d’accroître l’activité touristique et économique de la ville, encourageant une longue série de projets balnéaires, de même qu’un développement des initiatives privées en favorisant la création de petites structures dévolues au bain dans le Grand Canal et les canaux du centre historique de la cité. Comme nous allons le voir dans ce qui suit, l’avènement de l’ère touristique à Venise fut également un facteur déterminant à l’origine d’une mutation des pratiques balnéaires où mondanité et plaisir prirent progressivement le pas sur la thérapeutique, évinçant ainsi peu à peu la dimension médicale accordée au bain.
12À Venise, ville aquatique par excellence, les bains dans les canaux, mais également la nage21 – largement diffusée parmi la population masculine –, étaient pratiqués depuis des siècles dans un but essentiellement préventif : il était en effet nécessaire de savoir nager dans une ville où l’on comptait chaque année un nombre fort important de noyés. Au xixe siècle, toutefois, la pratique du bain thérapeutique dans les canaux fut progressivement concurrencée par celle de la balnéation comme loisir, un plaisir nouveau auquel se livrèrent à Venise d’illustres voyageurs, comme Stendhal ou lord Byron, et qui séduisit également les dominateurs autrichiens, particulièrement férus de bains comme le prouve la démultiplication des stations hydrothermales sur le territoire de l’Empire des Habsbourg, qui, à l’image de celles de Karlsbad, Bad Ischl ou Baden, bénéficiaient à cette époque d’une célébrité internationale22. Les structures dévolues aux bains des militaires autrichiens – celui de Venise était ancré devant la Riva degli Schiavoni23 – participèrent ainsi grandement à la propagation du désir des bains de mer sur les côtes adriatiques.
13Bien avant l’entreprise de Rima, un premier établissement de bains fut inauguré dès 1823 dans le port de Trieste, sous l’initiative de la monarchie Habsbourg. Ainsi, Il Soglio di Nettuno, imaginé par Domenico Angeli et amarré devant le vieux lazaret, marque les prémices d’un cycle expérimental dans l’évolution de la civilisation balnéaire en Adriatique : celui des bagni galleggianti24 (bains flottants). Sur la base d’expérimentations conduites dans d’autres villes, le Dr Rima soumit à son tour à la municipalité de Venise25 un projet qui devait assurer sa célébrité pour de longues décennies, lequel fut aussitôt approuvé car il permettrait de doter la ville « d’un établissement dont le besoin se fait sentir depuis de nombreuses années26 ». Le Stabilimento galleggiante du Dr Rima, situé à proximité de la pointe de la Douane27, se présentait sous la forme d’une vaste structure de bois d’une longueur de 123 mètres sur 17 mètres de large, dotée d’alcôves, d’une cinquantaine de vestiaires et de cabines pour « bains froids et chauds, doux et tièdes, simples ou médicamenteux, à vapeur ou sous forme de douches28 ». Un ample bassin était destiné à accueillir les baigneurs qui, s’ils le souhaitaient, pouvaient ensuite se reposer dans la grande salle couverte ou à la terrasse du caffè29. Le succès fut tel que l’on créa des structures plus petites en forme de gondoles pour les femmes, dotées d’un petit bassin, d’une alcôve et d’un vestiaire. C’est dans l’une de ces sirene que Camillo Boito situe la première rencontre entre Livia et Remigio, les deux protagonistes de la nouvelle Senso :
J’avais pris pour habitude d’aller tous les matins au bain flottant de Rima, entre le petit jardin du Palais Royal et l’extrémité de la douane. J’avais pris pour une heure, entre sept et huit heures, une « sirène », c’est-à-dire une des deux vasques réservées aux dames et suffisamment grandes pour y nager un peu, et ma camériste venait pour me déshabiller et me rhabiller. […] La vasque, entourée de parois de bois, couverte d’une toile gris cendré […], avait un fond de planches placées à telle profondeur que les dames de petite taille n’avaient que la tête hors de l’eau. […] Je nageais autant que la longueur de la « sirène » me le permettait ; […] je m’allongeais sur le dos, […] j’aspergeais la camériste en fuite, je riais comme une enfant. Des ouvertures nombreuses et larges, au-dessous du niveau de l’eau, laissaient entrer et passer librement l’eau. Les parois, mal jointes, si on y appliquait l’œil, permettaient à travers les fissures de voir quelque chose du dehors : le campanile rouge de San Giorgio, […] un petit morceau du Bain militaire qui flottait à peu de distance de ma « sirène »30.
14Par la suite, le Dr Rima proposa également à ses clients l’usage de petites embarcations qui permettaient de jouir du massage énergique des eaux. Ainsi, sur l’onde de la mode des cures et de l’engouement pour l’hydrothérapie, la gondole vénitienne elle-même fut investie d’un rôle inédit dans l’entreprise de notre chirurgien : participer à la thérapie des patients. Dans une version revue et corrigée par le Dr Rima, ces gondoles – dont le fond était percé et recouvert d’une armature en fer – étaient munies d’une vasque pour la nage et l’hydro-massage : une fois immergé dans l’eau, on pouvait tourner dans toute la ville en nageant pendant que ramaient les gondoliers. Fort de son succès, le stabilimento fut considérablement agrandi en 1835 et doté progressivement des équipements les plus modernes pour les douches et pour les « bains vaporeux » pour lesquels notre ingénieux chirurgien parvint à « perfectionner la machine de Sales31 ». Cependant, le pulvérisateur portatif des liquides médicamenteux mis au point en 1858 par le Dr Sales-Girons n’était pas le seul à être couramment employé dans le Stabilimento Rima. Les pulvérisateurs à air comprimé et à vapeur étaient également utilisés par les curistes pour les inhalations d’eau marine. Après la mort de son fondateur en 1843, l’établissement fut racheté par le Dr Pietro Bertoia, successeur de Tommaso Rima32 à l’Ospedale Civile, qui continua de l’exploiter des mois de juin à septembre au même emplacement33.
15Avec ses bains, douches et étuves capables de répondre à toutes sortes de médications par les eaux ou la vapeur, avec son équipement sophistiqué, ses sirene et ses « gondolettes », la structure flottante du Dr Rima participait pleinement à cette expérience inédite née de la médecine moderne. Pourtant, celui-ci se révéla rapidement insuffisant, surtout pendant les mois les plus chauds. Une étude précise en vue d’un éventuel agrandissement du stabilimento fut mise en œuvre par la municipalité dès 1850. Après une longue série d’échanges entre les administrateurs des bagni et l’assesseur Pierluigi Bembo, un accord fut enfin signé. Ainsi, la municipalité s’engagea-t-elle à verser la somme de 12 000 lires autrichiennes pour des travaux de restauration qui auraient dû être bien plus coûteux34. D’après Tommaso Locatelli, les résultats des restaurations furent plus que satisfaisants. Ainsi, en été 1856, le stabilimento possédait à présent « une piscine pour nageurs confirmés de 99 pieds sur 35 et une pour débutants de 43 pieds sur 27 ». Il était aussi doté « d’une centaine de vestiaires, de seize bains pour femmes et de trente-trois pour hommes, d’un café et d’une vaste salle de réunion35 ». À côté des agrandissements réalisés, un effort fut également entrepris dans l’exploitation de toute la partie thérapeutique avec l’introduction de la cure d’algues. On proposa notamment aux clients du stabilimento des décoctions de « fucus et de sférocoque confervoïde36 » – une algue présente dans les lagunes – car cette dernière était la plus riche en iode et, par conséquent, la plus efficace dans le traitement des affections scrofuleuses.
16Le soin du corps, la valorisation des ressources du contexte urbain et de l’environnement trouvèrent donc dans le stabilimento du Dr Rima une heureuse synthèse. Celui-ci sut en effet y concilier de façon harmonieuse les buts thérapeutiques et hédonistes qui séduisirent tout particulièrement l’élite européenne venue séjourner dans la lagune vénitienne où, face à l’un des plus beaux panoramas de la ville, la cure du corps se conjuguait désormais avec la jouissance esthétique des merveilles architecturales. Néanmoins, l’établissement fut rapidement confronté à une demande croissante de la part des touristes attirés par toute la littérature médicale qui conseillait les bains dans la lagune pour diverses affections. Dans un journal satirique du milieu du xixe siècle, on se moque de ces populations de poitrinaires aisés, de cette « procession de bossus, d’estropiés, de phtisiques, de scrofuleux, d’asmathiques, d’hystériques, de paralytiques » qui déferlent dans les lagunes « venus de tous les pays alentours ». De sorte que Venise, poursuit notre journaliste, « se change en une clinique, et en un traité complet de pathologie37 ». Pour faire face à cet afflux de voyageurs sans cesse plus important pendant la saison estivale, on assista dès le milieu du xixe siècle à la naissance de plusieurs stabilimenti balneari dont certains étaient rattachés aux principaux hôtels implantés le long du Grand Canal et dans les secteurs les plus attractifs de la ville, tels que Saint-Marc ou le Rialto. C’est alors que le tourisme balnéaire parvint à investir peu à peu le cœur de la ville : le Grand Canal et les canaux adjacents.
2. Les bains de Venise ou les plaisirs de l’eau : du centre historique au Grand Canal
Quand la balnéothérapie marine investit le secteur hôtelier
17En proposant aux élites qui y séjournaient, ainsi qu’aux malades, des structures alliant luxe, confort et modernité, les richissimes hôtels du centre historique de Venise – progressivement gagnés par la mode des bains – jouèrent un rôle central dans le domaine de l’exploitation des eaux lagunaires. Ils constituent, en outre, l’un des secteurs caractéristiques de la nette évolution qui marque l’économie touristique de Venise au xixe siècle.
18Avec le xixe siècle s’ouvre un tout autre monde, celui de la bourgeoisie et de « l’exclusif ». La ville, devenue une étape obligatoire, un « miracle » à voir et à analyser avec un œil détaché, n’est plus une capitale où l’on puisse vivre une vie ordinaire. Aussi, les lieux d’accueil des étrangers deviennent-ils symboliques de ce nouvel état d’esprit. La pension – à présent appelée Albergo puis Hôtel, Hôtel-Royal et Grand-Hôtel – devient le point de rencontre de voyageurs qui ne s’intègrent plus à la ville, mais vivent leur vie à l’écart, formant une seule et même communauté38. Les récits de Chateaubriand, Byron, Musset ou encore Ruskin en témoignent : tous ont vécu dans le décor d’une Venise dont ils partageaient peu la vie quotidienne. La disparition des anciennes auberges marque donc la fin d’une époque, celle des fêtes et des soupers galants, celle des jeux et des conversations érudites où ambassadeurs et voyageurs de qualité côtoyaient la noblesse italienne. Les pensions encore existantes furent tenues de changer de nom. Les vieilles enseignes furent remplacées par d’autres, plus visibles, souvent rédigées en français et en anglais. Ce fut par exemple le cas pour l’Osteria della Luna qui devint le Grand Hôtel de la Lune ; pour Lo Scudo di Francia qui prit le nom de Gran Parigi ; ou encore de La Regina d’Inghilterra – l’établissement de prédilection des voyageurs anglais – qui devint l’Hôtel Vittoria en 1858.
19Toutefois, c’est en consultant les principaux guides de la ville que l’on peut mesurer pleinement l’écart qui sépare l’économie prospère des luxueuses auberges du xviiie siècle au secteur alors en pleine expansion de l’industrie hôtelière du xixe siècle39. Les uns après les autres, les guides réorganisent le discours sur les établissements de renom – souvent remis à neuf ou remaniés – et présentent aux touristes ceux apparus tout récemment, sans omettre, pour certains d’entre eux, d’enrichir leur propos de gravures ou d’affiches publicitaires. Désormais, ils mentionneront systématiquement la situation de l’hôtel et la vue qu’il permet d’apprécier sur la ville, la qualité de la nourriture, le type de service (à l’italienne, à la française…) et, surtout, la présence de commodités. Un auteur tel que Giannantonio Moschini, par exemple, ne tarit pas d’éloges sur l’Hôtel Europa tenu par Mme Marseille, situé « dans l’ancien palais Giustiniani […] dont la position est parfaite car placé entre le bassin de Saint-Marc et le Grand Canal, [et qui] offre la perspective d’édifices somptueux, des îles et de la mer40 ». De même, un établissement aussi prestigieux que l’hôtel Royal Danieli, sur la Riva degli Schiavoni, est unanimement salué par les guides de l’époque qui vantent le service « de qualité » et les « appartements grandioses » d’un hôtel qui ne tardera pas à devenir « la pension des princes41 ». Dans sa Nuova guida annuale di Venezia42, Andrea Querini Stampalia distingue, quant à lui, un établissement « tout juste ouvert » et où « sont adaptées toutes les commodités43 ». Il s’agit en fait du Grande Albergo Vittoria – tout près de la place Saint-Marc – qui vient tout juste de se doter des équipements répondant aux exigences de la modernité.
20En effet, face à une affluence touristique qui ne cesse de croître grâce au développement du transport ferroviaire et maritime à vapeur44, Venise dut se pourvoir de nouveaux complexes hôteliers aux structures susceptibles de répondre à la demande d’une clientèle aisée et exigeante. Dès lors, quelles furent les améliorations majeures dont bénéficièrent ces nouveaux hôtels ? Tout d’abord, l’hôtel étant souvent implanté dans un lieu préexistant, l’édifice qui l’accueille doit être totalement réaménagé. Aussi, les anciennes demeures patriciennes sont-elles réinvesties et adaptées à leur nouvelle fonction. On y multiplie les chambres, les lieux communs et collectifs, créant ainsi une spécialisation des pièces pour que la clientèle puisse bénéficier d’une condition plus individualisée du logement. Le second objectif est celui de répondre aux exigences de salubrité et de confort. Pour cela, les logeurs, désormais entraînés par la transformation industrielle, généralisent l’usage de l’eau et du chauffage, et mettent un point d’honneur à équiper leurs chambres d’une literie et d’un mobilier de bonne qualité. De ce fait, tous les efforts sont alors déployés pour assurer la propreté, l’hygiène et la sûreté. Ainsi s’affirment des établissements tels que L’Italia, à San Mosè, qui assumera successivement les noms de Grand Hôtel d’Italie, Bauer, Hôtel de Rome et Pension Suisse, ou encore l’hôtel Alla Stella d’Oro à Santa Maria del Giglio.
21Dans ce contexte de réaménagements successifs, de nombreux stabilimenti balneari rattachés aux principaux hôtels du Grand Canal firent alors leur apparition, tandis que d’autres établissements aménagèrent en leur sein des espaces spécialement dévolus à cet effet et dotés de cellules, de vasques et de tout l’équipement nécessaire à l’hydrothérapie45. Dès lors, il n’y eut pas un hôtel qui ne proposât à sa clientèle de jouir durant son séjour de bains chauds ou froids, mais aussi de fumigations et d’applications d’algues de la lagune46. Sur ce point, les guides vénitiens47 du temps nous sont une fois de plus d’une aide précieuse. En effet, ces derniers se font l’écho des mutations qui modifient le visage de la ville pendant les mois d’été avec l’installation de ces structures flottantes. Ils en mentionnent les tarifs, les horaires d’ouverture et toutes les prestations proposées aux clients48. Ainsi, nous savons par exemple que le Grand Hôtel de la Lune s’était doté de quinze « cellules balnéaires », ou encore que l’Aquila d’Oro en possédait dix-sept aux « vasques de pierre et de fer-blanc49 ». Andrea Querini Stampalia dénombre quant à lui seize hôtels, parmi lesquels on trouve L’Albergo Francese, à San Marco, L’Italia, à San Mosè et La Stella d’Oro, qui bénéficient de « bains chauds ou froids50 ». Cependant, comme nous l’avons souligné plus haut, ces structures hôtelières et hydrothérapiques ne fournissaient leurs services qu’à la noblesse et à la bourgeoisie, les pauvres, en revanche, pouvaient bénéficier des bains que fournissait gratuitement l’établissement hydrothérapique de l’Ospedale Civile par lequel médecins et autorités espéraient combattre les maladies causées par le manque d’hygiène51.
22Quelques rares récits de voyage font également état de l’aménagement et du décor, particulièrement luxueux, des établissements balnéaires de Venise. Un anonyme français du début du xixe siècle décrit l’une des vasques pour le bain de l’Hôtel Vittoria comme, « une baignoire d’une richesse telle que le doge le plus fastueux s’en seroit contenté52 ». Plusieurs décennies plus tard, en 1860, Louise Colet (1810-1876), femme de lettre et amie de Flaubert, expérimente à son tour l’un des bains à disposition de la clientèle fortunée de l’Albergo della Luna. Dans L’Italie des italiens, où la romancière reproduit l’itinéraire d’un voyage de deux ans qui la mène successivement de nord au sud de la péninsule, elle décrit avec précision la vasque dans laquelle elle put se délasser pendant un après-midi d’hiver à Venise :
Très lasse de mes longues excursions des jours précédents, je sors de Saint-Marc, et je cherche un bain à travers Venise ; on m’indique un établissement thermal à l’hôtel de la Luna. J’y trouve des baignoires de forme antique qui ont pour moi un charme de nouveauté. Je descends dans une grande piscine de marbre jaune où six baigneurs pourraient tenir à l’aise ; la grandeur de la vasque me fait frissonner, quoique l’eau soit tiède et fumante. Je sonne pour avoir du café ; un petit garçon se présente. Il est à mes ordres, me dit-il ; je lui demande de m’envoyer une cameriera, ajoutant qu’il est d’usage en France que les femmes aux bains soient servies par des femmes. […] Au bout d’un quart d’heure arrive une belle fille de Chioggia avec ses noirs cheveux massés sur la nuque : « Vous dormiez, lui dis-je. — Si, signora ; les officiers tudesques, ajoute-t-elle, se baignent le soir en sortant du café, et il faut être sur pied une partie de la nuit. — Vous les servez donc ? repartis-je. — Il le faut bien, répliqua-t-elle, il n’y a qu’eux à Venise qui viennent aux bains ; les Vénitiens se baignent l’été dans la lagune, mais en hiver ils ont peur de l’eau. » Ces paroles confirment pour moi une observation que j’ai déjà faite ; il n’y a pas de peuple qui se baigne moins que le peuple italien […]. À Pérouse et à Ravenne, je n’ai pu trouver en été un seul établissement de bains53.
23Ainsi, Louise Colet nous permet-elle, par son précieux témoignage, de mieux comprendre comment étaient conçues les cabines particulières dévolues à la balnéothérapie dans l’un des plus célèbres hôtels de la ville, mais aussi de saisir quel était le type de clientèle qui jouissait habituellement de ces bains, à l’exception des voyageurs étrangers, c’est-à-dire les Autrichiens eux-mêmes qui, soucieux de leur bien-être, avaient pour habitude de fréquenter ces établissements avec assiduité. Or, l’attitude de la voyageuse, qui déclare avoir cherché dans d’autres villes d’Italie des établissements balnéaires semblables pour y prendre des bains, confirme la banalisation de la pratique du bain thermal auprès des élites de la seconde moitié du xixe siècle. Objet de délassement, soin du corps ou source de guérison, le bain est désormais un plaisir répandu ainsi qu’une source d’agrément dans les pratiques du voyage puis du tourisme.
24Conjointement au phénomène de la balnéation dans les hôtels, la mode des stabilimenti balneari s’étendit également à l’investissement privé. L’initiative d’installer ces structures venait le plus souvent de bourgeois éclairés convaincus d’offrir à leur clientèle un produit novateur et rentable. Mis à part les galleggianti déjà existants, tels que ceux de Tommaso Rima ou de la marine militaire, on comptait en ville, en 1858, cinq établissements supplémentaires de bains flottants. Ces derniers pompaient directement l’eau dans les canaux pour alimenter les vasques individuelles destinées aux clients. Quant à l’eau douce, plus coûteuse, elle était régulièrement transportée depuis la terre ferme. Enfin, dans presque tous ces établissements, il était possible de bénéficier d’applications d’algues thermales et de bains sulfurés55. Même si l’absence de sources concernant ces structures ne nous permet pas de reconstituer leur histoire avec précision55, l’on sait néanmoins que de nombreuses autorisations furent accordées par la municipalité entre 1855 et 1860 aux particuliers désireux d’installer à leurs frais des établissements balnéaires flottants. Ce fut le cas du petit albergo termale ancré devant le cloître de l’Abbazia di San Gregorio, tout près de l’église de la Salute. Le propriétaire, Lorenzo Chitarin, avait obtenu en 1859 le permis de construire sa structure thérapeutico-hôtellière à condition, toutefois de respecter les injonctions de la municipalité, laquelle mettait un point d’honneur à surveiller de très près l’ensemble des établissements de bains de la ville – fréquemment visités par les inspecteurs de l’organe de la Sanità – ainsi que la pratique de la nage dans les canaux. Ainsi, la piscine galleggiante de Lorenzo Chitarin devait être fixée à 8 mètres maximum de la façade de l’Abbazia afin que celle-ci ne gêne ni le traghetto ni le petit négoce de vin d’Antonio Mazzaroli. De plus, la structure flottante devait être solidement fixée, demeurer « illuminée la nuit » et être immédiatement retirée dès que « la Regia autorità » en ferait la demande. Enfin, le propriétaire ne devait sous aucun prétexte entreprendre un quelconque agrandissement de son albergo termale, ni même le déplacer56. Ensuite, l’engouement pour la balnéation dans les canaux gagna également des particuliers, comme Antonio Querini qui soumit à la ville de Venise le projet d’ériger un « baraquement de bois pour le bain » sur le Fondamenta di San Leonardo, près de sa demeure57. Celui-ci fut approuvé à condition, là encore, que la petite construction « ne dépasse pas 2 mètres de long sur 1 mètre de large et qu’elle soit démontée à la fin de la saison estivale en cours58 ». En outre, parmi les nombreux galleggianti qui investirent le cœur de Venise dans les années 1850, les guides du temps vantent également l’établissement San Benedetto, sur le Grand Canal, ouvert par le Dr Fumiani. D’après la Guida ai bagni di mare nella laguna di Venezia de Claudio Barzilai, celui-ci était doté de petites pièces entièrement meublées avec seize vasques de marbre creusées sous terre. Quant au stabilimento de San Cassiano, ouvert dès 1852 en face du traghetto de San Felice, il était semble-t-il plus modeste, avec ses quinze vasques abritées par de « gracieuses cellules59 » dont deux servaient exclusivement au bain doux. Dans les dernières décennies du siècle, les structures balnéaires disparurent lentement du centre historique de Venise pour s’implanter sur la plage du Lido, nouveau pôle mondain du tourisme d’élite où commença, à l’extrême fin du siècle, la saison dorée des grands hôtels de luxe dont le plus célèbre d’entre eux, le Grand Hôtel des Bains, servit de décor à la nouvelle de Thomas Mann, La Mort à Venise (1912).
25Ainsi, l’émergence de la balnéothérapie marine dans le secteur hôtelier de Venise est un exemple intéressant et réussi de l’association de la médecine et du tourisme. Le luxe des établissements, les aménagements qui y sont effectués pour offrir à leur clientèle ce genre de prestations, prouvent la nette évolution qui s’opère à partir de la seconde moitié du siècle dans l’organisation des espaces dévolus à l’accueil et aux loisirs des étrangers sous l’impulsion du tourisme balnéaire dans la lagune. Au sein de cette mutation progressive du visage de la ville, le Palazzo Grassi devait lui aussi faire son entrée dans l’univers du tourisme lagunaire. Une structure aussi luxueuse que le Stabilimento Degli Antoni qui fut construit à proximité du palais présentait toutes les caractéristiques d’un établissement n’ayant pas pour seul effet de réunir les curistes désireux de se soigner, mais dans lequel l’on mettait un point d’honneur à satisfaire les moindres désirs d’une clientèle fortunée. Dès lors, prendre soin de son corps tenait autant de la prescription médicale que d’une nouvelle attention à soi.
Le Palazzo Grassi et le Stabilimento Degli Antoni
26Parmi les luxueux palazzi vénitiens qui assument, dans la seconde moitié du siècle, la fonction de « Grand Hôtel », le Palazzo Grassi – l’une des demeures les plus prestigieuses de la ville – est un cas tout particulier. Cédé en 1845 à Giuseppina Schöfft60, le palais Grassi, devenu L’Albergo Reale Hôtel de la Ville, fait partie des hôtels qui furent en quelque sorte valorisés par la proximité des stabilimenti galleggianti installés le long du Grand Canal. Le nouveau rôle qui lui fut assigné fut, semble-t-il, consolidé par un succès qui touchait cette fois à la totalité de l’aire de San Samuele. Nous faisons référence à la présence depuis 1842 du stabilimento per bagni de Francesco degli Antoni érigé tout près de là.
27En 1841, Francesco Degli Antoni soumit un projet de construction d’un stabilimento per bagni, tout près de son logement à San Samuele, à la Congregazione Municipale di Venezia. Pour mener à bien son entreprise, celui-ci fit l’acquisition d’un certain nombre d’habitations délabrées, pour lesquelles il obtint le permis de les démolir. Cependant, pour rassembler les deux corps de son stabilimento, et aussi pour que son habitation soit réunie aux maisons acquises, Degli Antoni jugea nécessaire d’obtenir la fermeture d’une des deux calli d’accès de la Calle Grassi au palais Moro Lin. Aussi, celui-ci demanda à la municipalité que lui soit cédée la petite Calle « detta Moro Lin », débouchant sur le Grand Canal, « pour un prix de 151,37 lires autrichiennes61 ». Pour que sa requête soit validée auprès des autorités de la ville, on insista, entre autres, sur le caractère « inutile de ce petit espace » et surtout sur l’avantage extraordinaire que retirerait la cité de la construction « d’un aussi grandiose établissement de bains publics62 ». Mais les protestations des propriétaires des habitations donnant directement sur la Calle Moro Lin – notamment celles du « Sig. Karaja » qui considérait que « l’établissement de bains de Francesco Degli Antoni et la fermeture de la calle constitueraient un obstacle à la porte d’entrée de sa maison63 » – retardèrent la procédure mise en œuvre par Degli Antoni. De même, dans le rapport effectué auprès de la municipalité par l’assessore Marcello, il est signalé que l’un des propriétaires des habitations du voisinage – M. Levi Muja – souhaitait « la réouverture de la calle menant au Palazzo Moro Lin pour des raisons de sécurité publique64 ». Par la suite, les autorités parvinrent à convaincre ce voisinage réticent à l’implantation du stabilimento65 en précisant que celui-ci « rendrait plus agréable par sa présence, l’entrée des habitations concernées » et qu’il assurerait aussi « la sécurité des habitants en remplaçant les maisons préexistantes qui jusque-là servaient de cachettes aux individus mal intentionnés66 ». En conséquence, il fut décidé en 1843 que Francesco Degli Antoni « méritait une faveur toute particulière pour l’établissement utile et somptueusement orné » qu’il avait construit. Ce dernier devint donc propriétaire de la « Calle Moro Lin a San Samuele » qu’il acquit à la municipalité « pour un prix fixé à 152 lires autrichiennes67 ».
28En effet, de l’avis de tous, Degli Antoni avait bel et bien créé « un édifice qui, par l’élégance de ses formes architectoniques » susciterait « l’envie de Vienne ou de Paris68 ». Giovanni Jacopo Fontana, auteur d’un Manuale ad uso del forestiere in Venezia, ajoute d’ailleurs, entre autres louanges, que le palais Grassi fut réellement « valorisé par un si précieux voisinage69 » entièrement dévolu à la santé de la population. Il s’agissait d’un double corps de bâtiment : le premier, antérieur, était inséré dans le petit hôtel particulier situé entre le palais Grassi et le palais Moro Lin ; le second, en retrait, était une création originale d’une conception véritablement révolutionnaire. C’était une sorte de cloître ou d’impluvium à l’antique, orné de colonnes, sur le modèle des « appartements de Diomède à Pompéi » et en mesure de garantir des « bains simples et tièdes, doux et mixtes70 », le tout dans un luxe éblouissant. Abondamment décrit et salué par la presse vénitienne de l’époque, le Stabilimento Degli Antoni, avec ses marbres et son décor élégant, était avant tout une création audacieuse et onéreuse, un gracieux petit temple dédié aux plaisirs d’une bourgeoisie venue apprécier Venise, non pas comme une « gloire » historique et architecturale, mais comme une subjective expérience des sens. De plus, le stabilimento mettait également l’accent sur les bienfaits du bain obtenus à partir d’eau prélevée « dans le site le plus pur du Grand Canal […] réchauffée par la vapeur et transmise aux bains à l’aide de machines mises en mouvement par la vapeur elle-même71 ». Le médecin Claudio Barzilai nous apporte de précieuses informations sur les cellules balnéaires de cet établissement :
Autour d’un ample cortile précédé d’un portique soutenu par des colonnes et orné de frises sont disposées les vingt-deux cellules balnéaires dans un décor des plus élégants. […] On y trouve une salle d’attente où l’on peut se reposer et lire les journaux pendant que l’on prépare votre bain. L’eau fraîche et pure est puisée directement dans le canalazzo […]. Qu’elle soit douce ou tiède, chaude ou froide, l’eau est distribuée dans tout le stabilimento au moyen de tubes métalliques : sur chacune des vasques on peut en voir quatre. C’est en ouvrant le robinet que le baigneur peut régler, à sa convenance, la température et la salinité […]72.
29Ainsi, au regard de projets aussi ambitieux que celui de Francesco Degli Antoni73, et dans le contexte plus large d’ouverture de l’hôtellerie vénitienne au tourisme balnéaire, est-il intéressant de noter combien, à partir du milieu du siècle, la « Venise autrichienne » cherche à conquérir elle aussi une place de choix parmi les évolutions économiques et technologiques internationales en exploitant les eaux de sa lagune à des fins touristiques. D’autre part, si l’on considère l’ampleur de la mode des bains dans le centre historique de la ville, à l’origine d’une importante affluence touristique à partir des années 1850, et la démultiplication rapide de l’initiative privée visant à proposer elle aussi une offre de qualité aux baigneurs, l’on peut dire que l’ambition des autorités conjointement à celle des médecins qui participèrent activement à la diffusion de l’information médicale auprès du public74 fut pleinement satisfaite. En réalité, il n’est pas abusif d’affirmer que le phénomène dépassa largement leurs espérances. Ainsi, pour pouvoir offrir une structure plus vaste capable de satisfaire cette nouvelle clientèle affluant massivement dans les lagunes pendant les mois d’été, la municipalité étudia la possibilité de créer un grand établissement thermal et hôtelier sur la Riva degli Schiavoni, un ambitieux projet entièrement consacré aux loisirs de l’élite qui, s’il avait abouti, aurait placé Venise au rang des grandes villes thermales européennes.
Un projet prestigieux non réalisé : les bains de Saint-Marc (1851)
30Les projets balnéaires marquent de manière récurrente l’Ottocento et le Novecento vénitien. Sur le chemin difficile de la modernisation, la fortune européenne des bains, des stations climatiques et des plages constitue pour Venise un véritable défi. Aussi, au sein du nouveau climat architectural post-révolutionnaire, la cité lagunaire voit-elle se multiplier les projets ambitieux et des entreprises innovantes dans les structures dévolues au tourisme que les autorités envisagent à présent comme un véritable moteur à la reprise économique de la ville, sévèrement mise à mal par la révolution de 1848. Le projet du vaste établissement balnéaire de Saint-Marc, qui devait métamorphoser le visage de Venise, constitue donc le premier volet d’une victoire aussi importante dans l’économie de la ville que le sera dans les dernières décennies du xixe siècle l’exploitation de l’étroite bande de terre du Lido.
31Dès 1851, l’assessore Bembo soumit au Conseil communal l’idée d’ériger un grand complexe balnéaire comprenant un café, un bazar, plusieurs salles de billard, ainsi qu’une grande salle de bal et de lecture. Celui-ci obtint aussitôt une délégation chargée de vérifier la possibilité concrète de donner vie à une telle entreprise. Cependant, l’idée de construire un stabilimento galleggiante dans le site central du bassin de Saint-Marc n’était pas nouvelle. La toute première proposition dans cette direction est un projet soumis en 1808 aux autorités françaises dirigeant la ville par l’architecte néoclassique Giannantonio Selva, un projet à insérer dans l’entreprise plus générale de restructuration radicale de la pointe orientale de la ville avec la création des jardins publics. À côté de ce que sont aujourd’hui les « Giardini » devaient se concrétiser les idées de Selva pour un « Gran fabbricato comprendente bagni salsi, luoghi di ricreazione per usi diversi »75, pour lequel celui-ci précise, dans la présentation soumise au podestà de Venise, que la structure aurait pour but principal « la santé de la population vénitienne76 ». Cependant, dans un contexte n’accordant que peu d’importance à la balnéation dans la lagune, le projet fut abandonné. Ce n’est que bien des décennies plus tard, en 1843, que l’idée de réaliser un « grande albergo cosmopolitano con bagni, bazar, caffé, bigliardi, sala da riduzione e da ballo77 » à proximité de la place Saint-Marc ressurgit sous la plume de Giovanni Battista Benvenuti qui précise, dans le petit opuscule qu’il soumet à la ville de Venise, que l’albergo devrait se trouver sur la Riva degli Schiavoni, entre le Ponte del Vino et le Ponte della Libertà, une des seules aires capables de contenir un tel édifice. C’est finalement cette option qui sera retenue et étudiée de très près par la municipalité au tout début des années 1850.
32Comme pour toutes les entreprises se voulant de grande magnificence, une commission municipale fut nommée en mai 1852 et chargée de recueillir tous les projets pour l’implantation du grand stabilimento bagni, consécutifs au concours organisé par la ville à partir du mois de juillet. Cette commission était composée d’experts hautement qualifiés sur la question, parmi lesquels il convient de mentionner le Dr Giacinto Namias – l’un des pionniers des études médicales sur les bienfaits de l’eau et des climats iodés –, l’assessore Pier Luigi Bembo, le podestà Giovanni Correr, Agostino Sagredo et le peintre Giambattista Meduna78. Le projet qui remporta le concours fut celui de l’entrepreneur Giovanni Busetto (dit « Fisola79 ») (1796-1887) – qui bénéficiait déjà d’une solide réputation, notamment pour son intense activité dans le domaine des travaux publics, des transports lagunaires et terrestres – et de son collaborateur l’architecte Ludovico Cadorin80. Sensible à une ouverture progressive des structures balnéaires vénitiennes de la lagune vers la mer et le Lido, Giacinto Namias fut l’un des premiers à insister sur l’importance d’une double direction dans la composition du grande albergo. Ainsi, à la proposition initiale de construire un vaste édifice au cœur de l’aire lagunaire s’en ajouta une autre : elle consistait à articuler le complexe en une double fonction résidentielle dans le centre historique de la ville, et une autre plus spécifiquement balnéaire sur la plage du Lido.
33Malgré les diverses entreprises mises en œuvre, le projet ne put aboutir et la proposition fut finalement rejetée par le délégué provincial pour motifs de sécurité militaire81. L’une des raisons de son échec reposait certainement sur l’envergure de ce pôle thermal et mondain, trop important par rapport au périmètre de la Riva degli Schiavoni. En effet, l’édifice devait mesurer plus de 600 mètres de longueur sur 46 mètres de profondeur et devait contenir, entre autres, un théâtre, une bourse, des ridotti, des jardins et surtout des bains publics avec vasques à l’air libre ou couvertes82. De plus, le projet initial prévoyait aussi une très large gamme de bains « doux, salés, à vapeur, sulfureux, etc83. », une médication efficace à laquelle venait s’ajouter l’usage de l’eau de mer grâce au second établissement du Lido. Par la suite, de nouvelles perspectives s’ouvrirent au tourisme balnéaire avec le transfert du projet Fisola du centre ville et lagunaire au littoral marin du Lido où fut implanté le stabilimento dès 1857. Avec la construction de cette immense structure sur cet espace de terre jusqu’alors désert et inexploité, l’entrepreneur Fisola participa à la naissance d’une ville balnéaire totale construite dans le seul but de satisfaire les désirs de la clientèle84.
34Le projet des bains de Saint-Marc, véritable couronnement d’une suite de réalisations destinées à faire de Venise une station balnéaire à part entière, permet d’observer combien l’exploitation des ressources naturelles de la ville put être aussi un véritable moteur à la naissance d’imposantes architectures consacrées à la célébration des « nouveaux rites mondains et des cérémonies thérapeutiques85 » du tourisme d’élite. Ainsi, grâce à l’action conjointe de la municipalité et de l’initiative locale, on a tenté, à Venise, d’utiliser les conditions climatiques particulièrement avantageuses du site lagunaire et de ses eaux médicamenteuses dans le traitement de plusieurs types de pathologies déterminées. L’entreprise correspondait à la promotion organisée dans n’importe quelle autre ville thermale ou station climatique européenne du xixe siècle. De plus, la grande attention avec laquelle se précisent les fonctions thérapeutiques et thermales dans la ville démontre la culture du corps qu’inspire le tourisme d’élite de la seconde moitié du siècle. Le plaisir physique de l’eau, dans les divers galleggianti, dans les bains des hôtels du Grand Canal ou sur la plage du Lido, illustre de manière frappante la recherche du bien-être comme accessoire coûteux de la santé, que la bourgeoisie associe désormais aux déambulations du voyage culturel. Devenu source de plaisir et objet de délassement, le bain comme mondanité supplante ainsi progressivement le bain thérapeutique. Dès lors, Venise devient un lieu de « repos » et de plaisirs pour le touriste et n’est plus seulement perçue comme un miracle d’art et d’histoire.
Notes de bas de page
1 V. L. Brera, Ischia e Venezia…, ouvr. cité.
2 Ibid., p. 15.
3 La station thermale autrichienne de Bad Ischl était aussi spécialisée dans le traitement des maladies de peau à base de bains d’eau salée ou d’eau de source sulfurée.
4 Ibid., p. 18.
5 A. Tassinari, Du climat de Venise et des ressources salutaires qu’il offre…, ouvr. cité, p. 9.
6 M. G. Levi, Venezia considerata sotto l’aspetto della medicina curativa e preservatrice, ossia avvisi salutari ai medici e malatti forestieri, Venise, G. Antonelli, 1850, p. 7.
7 A. Tassinari, Du climat de Venise et des ressources salutaires qu’il offre…, ouvr. cité, p. 13.
8 V. L. Brera, Ischia e Venezia…, ouvr. cité, p. 40.
9 F. Sansovino, Venetia città nobilissima et singolare, ouvr. cité, p. 2. Nombreux sont les chroniqueurs et les scientifiques vénitiens qui, à la Renaissance, vantent le climat des lagunes pour sa grande salubrité. Pour le xvie siècle, nous citerons également : A. Marini, Discorso sopra l’aere di Venezia giuntivi alcuni scritti…, ouvr. cité.
10 Strabon, Grec d’Asie Mineure, contemporain de Tite-Live (64-63 avant J.-C. - vers 20 après J.-C.), écrivit en grec une Histoire de Rome, aujourd’hui perdue, mais surtout une Géographie universelle en dix-sept livres, dans laquelle il décrit les lagunes vénitiennes.
11 G. Namias, « Delle condizioni di Venezia in ciò che riguarda la vita e la salute dell’uomo », art. cité, p. 305.
12 M. G. Levi, Venezia considerata sotto l’aspetto della medicina curativa, ouvr. cité, p. 13.
13 Du bain froid, dont le discours médical vante les bienfaits depuis le siècle des Lumières, exploitant entre autres les repères de résistance et de robustesse, au bain salé, en passant par les bains iodurés, l’éventail des possibilités offertes par la médecine du temps est immense. Sur ce point, voir G. Vigarello, Le Propre et le sale, Paris, Seuil, 1985, 3e partie, « De l’eau qui pénètre le corps à celle qui le renforce », p. 106-140, et J.-P. Goubert, La Conquête de l’eau. L’avènement de la santé à l’âge industriel, Paris, Laffont, 1986, p. 131-133. Voir fig. 16.
14 F. S. Da Camino, Venezia e i suoi bagni, Venise, Tipologia del Commercio, 1858, p. 21.
15 Les précieuses recettes du pharmacien furent rassemblées dans un petit opuscule intitulé Istruzioni sopra l’uso del bagno salso artificiale a domicilio col misto preparato dal farmacista Giuseppe Fracchia (Trévise, Tipografia Andreola, 1846).
16 A. Tassinari, Du climat de Venise et des ressources salutaires qu’il offre…, ouvr. cité, p. 13-21.
17 Voir J. Penez, Histoire du thermalisme en France au xixe siècle : eau, médecine et loisirs, Paris, Économica, 2004.
18 Pour une présentation des principaux établissements balnéaires de la côte Adriatique, voir F. Farina, Le sirene dell’Adriatico, 1850-1950, riti e miti balneari nei manifesti pubblicitari, Milan, Motta, 1995.
19 J. Penez, Histoire du thermalisme en France au xixe siècle…, ouvr. cité, p. 3.
20 Nous pensons notamment à la station thermale de Recoaro, située dans les alentours de Vicence, qui était alors célèbre pour ses eaux minérales et ferrugineuses.
21 Sur l’évolution des pratiques balnéaires à Venise, de la Renaissance au xixe siècle, voir N.-E. Vanzan Marchini, Venezia, i piaceri dell’acqua, Venise, Arsenale, 1997.
22 Voir A. Leonardi, « Agli albori della destinazione. Lo sviluppo dei “Kurorte” asburgici nel 19 secolo », dans K. Weiermair et H. Pechlaner (dir.), Destinazione Management. Fondamenti di marketing e gestione delle destinazioni turistiche, Milan, Touring University Press, 2000, p. 195-215.
23 En effet, pour l’occupant, la construction de ce type d’établissement était indispensable pour remédier au manque d’hygiène qui régnait dans les casernes.
24 Le terme bagno galleggiante définit une structure le plus souvent en bois constituée d’une série de cabines et de services disposés tout autour d’un grand bassin ouvert sur l’eau. Ils pouvaient être déplacés et ne permettaient toutefois qu’un rapport assez limité avec la mer.
25 Voir « Progetto Petrillo Pietro per l'erezione di uno stabilimento galleggiante di bagni salsi: lettera del Sig. Selvadoci alla Congregazione municipale della città di Venezia, 26 giugno 1822 », AMV, 1822, n° 13195, « Sanità ».
26 « Iniziative di Rima per attivare in Venezia uno stabilimento di bagni galleggianti: lettera della Reg. Delegazione Provinciale di Venezia n° 1291-1235, 15 giugno 1833 », AMV, 1833, n° 9201, « Sanità ».
27 Sur la demande du Dr Rima, la municipalité de Venise permettra par la suite qu’une gondole destinée à ce seul service assure régulièrement la liaison entre la Piazzetta et le stabilimento. Ce système sera maintenu lorsque la structure flottante sera cédée au Dr Pietro Bertoja, à partir de 1843 (« Bagni galleggianti Rima, servizio delle barche e dei traghetti: lettera di P. Bertoja al Comitato di Pubblica Sorveglianza, 16 maggio 1848 », AMV, 1845-1849, I, n° 1231).
28 « Bagni galleggianti in Venezia, privilegiati da S. M. l’Imperatore e Re Francesco I premiati dal R. Istituto Italiano », dans Supplemento al Nuovo Dizionario tecnologico o di arti e mestieri, Venise, G. Antonelli, 1845, p. 223 (voir fig. 17 à 21).
29 À la fin de chaque saison estivale, le stabilimento était transporté à l’Arsenal pour y être démonté et entreposé.
30 C. Boito, Senso. Carnet secret de la Comtesse Livia, traduction française de J. Parsi, Arles, Actes Sud, 1983, p. 15-18. La nouvelle inspira le film homonyme de Luchino Visconti dans lequel cette scène ne fut pas reproduite.
31 « Bagni galleggianti in Venezia, privilegiati da S. M. l’Imperatore… », art. cité, p. 223. Le Dr Sales-Girons, médecin inspecteur français, fut l’inventeur d’un système destiné à réduire en de minuscules particules l’eau minérale et marine afin de parvenir à l’introduire dans les bronches.
32 Sur la vie et l’œuvre du Dr Rima, voir L. Nardo, « In morte del Prof. Dott. Tommaso Rima chirurgo-primario anziano nell’Ospedale Civile provinciale di Venezia », Memoria della Medicina contemporanea, n° 9, 1843, p. 273-284, et C. Palumbo-Fossati, Nuovi documenti sul chirurgo Tommaso Rima, Bellinzona, A. Salvioni, 1973.
33 Le stabilimento demeurera ancré tout près de la Salute jusqu’en 1858. Par la suite, celui-ci occupera l’emplacement qui était celui des bains de la marine militaire, c’est-à-dire dans le bassin de Saint-Marc, entre la Piazzetta et le Ponte del Vino.
34 « Dichiarazione del progetto di uno stabilimento di bagni galleggianti in Venezia, Riflessioni… », 6 gennaio 1852, AMV, 1850-1854, IX, 3/23.
35 T. Locatelli, « Il bagno di Rima », Gazzetta Uffiziale di Venezia, 15 luglio 1856, p. 161.
36 C. Barzilai, Guida ai bagni di mare nella laguna di Venezia, Venise, A. Santini, 1853, p. 182.
37 « Il Dottor Bugia. Corrispondenza da Venezia », Il Pungolo, 25 aprile 1857, p. 80.
38 Sur ce point, et en particulier sur les différents aménagements de l’hôtel Royal Danieli devenu, au tout début du xixe siècle, le refuge de richissimes voyageurs européens, voir A. Zorzi, Venezia austriaca (1798-1866), Gorizia, Libreria editrice Goriziana, 2000 p. 348-352.
39 Sur l’évolution des structures d’accueil des étrangers dans la ville du xviiie au xixe siècle, voir L. Padoan Urban, Venezia e il « Foresto ». Situazioni, avventure, « meraviglie », quando i re alloggiavano in locande: osterie, locande e alberghi dal xiii al xix secolo, Venise, Centro Internazionale della Grafica di Venezia, 1990.
40 G. Moschini, Nuova guida di Venezia con XLVIII oggetti di arte incisi e un compendio della istoria veneziana, Venise, Vallardi, 1847, p. v.
41 Ibid.
42 A. Querini Stampalia, Nuova guida annuale di Venezia di utilità pratica del forestiere, Venise, G. Cecchini, 1856, p. 32.
43 Ibid.
44 Sur les lignes de navigation de l’Adriatique au xixe siècle, voir U. Del Bianco, Il Lloyd Austriaco e la marina postale dell’Austria e dell’Ungheria. Le linee dell’Adriatico, Trieste, Del Bianco, 1976.
45 Les hôtels qui proposaient à leurs clients des traitements hydrothérapiques étaient les suivants : Albergo della Luna (San Marco, Calle dell’Ascensione) ; Albergo All’Italia (San Marco, Calle Barozzi) ; Albergo della Vittoria (San Marco, Ramo Fuseri) ; Albergo alla Stella d’Oro (San Marco, Calle lunga S. Moisè) ; L’Aquila d’Oro ; L’Albergo Francese (San Marco) ; Il Leon Bianco ; La Regina d’Inghilterra.
46 L’éventail de l’offre thérapeutique s’étendit, non seulement à l’exploitation des eaux lagunaires, mais aussi à l’utilisation des eaux thermales de la station de Recoaro, quotidiennement acheminées depuis la terre ferme.
47 Sur les guides publiés à Venise dans la seconde moitié du siècle, voir A. Zannini, « La costruzione della città turistica », dans Storia di Venezia. L’Ottocento e il Novecento, Venise, Treccani, 2002, p. 1123-1149.
48 Dans les années 1850, certains guides de voyage publiés en français font état de cette évolution de l’économie touristique vénitienne. C’est notamment le cas de Venise et ses environs, de A.-C. Valéry (ouvr. cité), ou de Venise ou Coup d’œil littéraire, artistique, historique, poétique et pittoresque sur les monuments et les curiosités de cette cité, de Jules Lecomte (ouvr. cité), qui concourent à diffuser dans la France de la seconde moitié du xixe siècle le discours selon lequel Venise est une station climatique et balnéaire réputée. Par la suite, l’impact de ces deux publications se répercute également dans d’autres récits et guides consacrés à l’Italie à l’image du Voyage à Venise d’Arsène Houssaye (Paris, F. Sartorius, 1850), ou de l’Itinéraire descriptif, historique et artistique de l’Italie et de la Sicile d’Augustin Joseph du Pays (Paris, Hachette et Cie, 1855, 2 vol.), qui informent le voyageur français sur la présence de nombreux établissements balnéaires dans la ville.
49 C. Barzilai, Guida ai bagni di mare nella laguna di Venezia, ouvr. cité, p. 174.
50 A. Querini Stampalia, Nuova guida annuale di Venezia di utilità pratica del forestiere, ouvr. cité, p. 40 (voir fig. 22).
51 Fondé en 1859, l’établissement hydrothérapique de l’Ospedale Civile fut financé entièrement par l’administration autrichienne. Le comte Pier Luigi Bembo, assesseur à la municipalité de Venise de 1850 à 1857, nous apprend qu’il était en mesure d’assurer une moyenne de quatre cents bains par jour (voir P. L. Bembo, Delle istituzioni di beneficenza nella città e provincia di Venezia. Studii storico-economico-statistici, Venise, P. Naratovich, 1859, p. 211).
52 Anonyme, « Journal d’un voyage de Paris à Vienne… », art. cité, p. 324.
53 L. Colet, L’Italie des italiens, Paris, E. Dentu, 1862, 4 vol., t. I, p. 218-219. Poétesse et romancière, Louise Révoil épouse le musicien Hippolyte Colet en 1835. Elle publia quelques essais historiques ainsi que des romans autobiographiques, comme Une histoire de soldat (1856) ou Lui (1860), mettant en scène Musset et Flaubert avec lequel elle entretient une liaison de 1846 à 1855.
55 Voici la liste des stabilimenti balneari du centre de Venise en activité dans les années 1850-1860 : San Cassiano, Corte Correggio ; San Benedetto, Calle Benzon ; Santa Maria del Giglio, Ramo Squero ; San Samuele, Calle Ca’Grassi ; La Salute, all’Antica Abbazia di San Gregorio (voir fig. 23).
55 En effet, il ne reste que très peu de traces de ces stabilimenti à l’Archivio Municipale de Venise, la plupart des documents les concernant ayant malheureusement disparu.
56 « Canali, bagni, nuovi progetti di stabilimenti, ecc… », AMV, 1855-59, IX, 3/9, rubrica « Opere stradali ».
57 Antonio Querini soumit sa demande à la municipalité en 1856. Le fondamenta sur lequel devait être construite la structure de bois se trouve sur le Grand Canal, en face de la Riva di Biasio.
58 « Canali, bagni, nuovi progetti di stabilimenti, ecc… », art. cité.
59 C. Barzilai, Guida ai bagni di mare nella laguna di Venezia, ouvr. cité, p. 174-175.
60 En effet, entre 1845 et 1855, les papiers familiaux mentionnent la présence au palais Grassi d’une locandiera, qui y réside avec sa fille Paolina (voir G. Pavanello et G. Romanelli, Palazzo Grassi. Storia, architettura, decorazioni dell’ultimo palazzo veneziano, Venise, Albrizzi, 1986, p. 87-89).
61 « Cessione a Francesco Degli Antoni della Calle detta Ramo Lin a S. Samuele: lettera al Consiglio Comunale per l’estraordinaria seduta del 23 dicembre 1841 », AMV 1840-1844, II, 8/6.
62 Ibid.
63 Ibid., « lettera dell’assessore Nob. Dott. Marcello, 30 aprile 1842 ».
64 Ibid., 26 aprile 1842.
65 Les travaux de l’établissement de bains Degli Antoni commencèrent en 1842. Ce dernier ouvrit son stabilimento au public au mois de juillet de la même année.
66 Ibid., « lettera del Sig. assessore Nob. Dott. Marcello al Consiglio Comunale nell’estraordinaria sua seduta del giorno, 17 maggio 1842 ».
67 Ibid., « Deliberazione del Consiglio Comunale del 28 agosto 1842 ».
68 T. Locatelli, « I bagni del Sig. De Antoni in San Samuele », Gazzetta Privilegiata di Venezia, 4 agosto 1842, p. 174.
69 G. J. Fontana, Manuale ad uso del forestiere in Venezia compilato dal Nob. G. J. Fontana, Venise, G. Cecchini, 1847, p. 34.
70 Ibid. (voir fig. 24 et 25).
71 Ibid.
72 C. Barzilai, Guida ai bagni di mare nella laguna di Venezia, ouvr. cité, p. 171.
73 Adolfo Bernardello nous apprend que la structure attenante au palais Grassi, d’une ampleur de 1 060 m2, fut cédée en 1851 pour la somme de 122 349,48 lires autrichiennes aux Assurances générales qui avaient alors envisagé les perspectives exceptionnelles que pouvait représenter l’exploitation touristique à Venise (A. Bernardello, « Venezia 1830-1866. Iniziative economiche, accumulazione e investimenti di capitale », Il Risorgimento, n° 1, 2002, p. 50).
74 Certains médecins utilisent aussi la presse comme moyen de diffusion de leurs théories. Ainsi, dès 1837, le Dr Brera fait paraître de nombreux articles dans la Gazzetta Privilegiata di Venezia où il soutient le pouvoir thérapeutique et bénéfique du bain salé et du climat hivernal de Venise (voir V. L. Brera, « Ischl e Venezia », Gazzetta Privilegiata di Venezia, n° 203, 9 settembre 1837 ; n° 206, 13 settembre 1837 ; n° 208, 15 settembre 1837).
75 « Grand établissement comprenant bains salés et lieux de récréation pour usages divers ».
76 G. Selva, Illustrazione inviata al podestà di Venezia il 5 maggio 1808, AMV, 1807, « Giardini Pubblici a Castello I ».
77 « grand hôtel cosmopolitain avec bains, bazar, café, salles de billard, salle de lecture et salle de bal ».
78 Giambattista Meduna sera chargé d’exécuter les dessins du futur stabilimento, quant aux esquisses, elles seront confiées à Lorenzo Pigazzi.
79 Voir F. Cosmai, « Storie di imprenditori delle acque e strade a Venezia nell’Ottocento », dans L’ingegneria civile a Venezia. Istituzioni, uomini, professioni da Napoleone al fascismo, Venise, Marsilio, 2001, p. 171-191.
80 Le projet du « grande albergo termale » de Saint-Marc, œuvre de l’architecte Ludovico Cadorin, est exposé au musée Correr de Venise.
81 Voir AMV, 1850-1854, IX, 3/23. Les trois toiles de grandes dimensions que le peintre Luigi Querena consacre à ce projet donnent une idée de l’ampleur que devait avoir l’édifice sur la Riva degli Schiavoni (voir fig. 26).
82 AMV, 1850-1854, IX, 3/23, « Processi verbali della Commissione per lo Stabilimento di Bagni », Venise, 25 luglio 1853.
83 AMV, 1850-1854, IX, 3/23, « Proclama a stampa », 17 luglio 1852.
84 Sur le stabilimento de Fisola et la naissance du Lido, voir N. F. E., Cenni storico-descrittivi del nuovo stabilimento balneario sulla spiaggia dell’Adriatico presso Venezia del Sig. Giovanni Fisola, Venise, Tip. del Commercio, 1857, et G. Romanelli, « Dalla laguna al mare: l’“invenzione” del Lido », dans G. Triani (dir.), Lido e lidi, moda, architettura e cultura balneare tra passato e futuro, Venise, Marsilio, 1989, p. 76-106.
85 M. Savorra, « La città balneare del Lido », dans G. Zucconi (dir.), La Grande Venezia, Venise, Marsilio, 2001, p. 175.
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