Réflexions sur les Dauphins in-quarto. Savoir, tradition et bibliophilie
p. 511-524
Texte intégral
1Notre propos n’est pas de reprendre des éléments déjà connus (sauf quand il est nécessaire de les reprendre sur de nouvelles bases), mais de réfléchir sur l’institutum Delphinicum d’un autre point de vue, de proposer des interprétations qui peuvent paraître radicales, ou choquantes, pour mettre sous un nouveau jour un thème ancien et montrer que l’influence des Dauphins n’a pas connu de limites chronologiques ou géographiques. Comment en juger au xxie siècle, quand le statut du savoir et son rapport au pouvoir sont foncièrement différents ? À l’époque des auteurs dauphins, on attend d’eux plus de complaisance que d’initiative – or c’est l’initiative qui aujourd’hui constitue le point de départ de la démarche érudite. Montausier voulait faire tirer la charrue par ses bœufs de labour, non améliorer la qualité du terrain. Or les viri eruditissimi de l’étranger, restés à l’écart de ce projet et au mépris de son objectif premier, ont porté sur les moyens mis en œuvre un regard très critique.
2Sous Louis XIV le soleil luit à Paris, mais celui de la respublica litterarum se lève aux Pays-Bas, et c’est là qu’il faut aller chercher les jugements portés par les contemporains sur les éditions dauphines, non sans les passer au crible, car ils sont loin d’être impartiaux. Mais cela ne peut tenir lieu de critère unique : la tradition créée par Huet et Montausier a prospéré pendant un siècle et demi, pour le meilleur et pour le pire, à l’étranger souvent mieux qu’en France ; un coup d’œil jeté sur ce qui est advenu en Angleterre et en Amérique aux xviiie et xixe siècles éclairera l’évolution des textes dauphins et mettra en lumière ce qui est dû aux pères fondateurs d’une institution qui réapparut souvent, et fut tout aussi souvent accablée de mépris. Quant à la bibliophilie, elle n’est guère compatible avec le savoir. Les bibliophiles ne s’attachent au livre que pour son apparence ; mais ils ne doivent pas oublier que sous les tranches dorées et une page de titre couverte de poussière il y eut d’obscurissimi homines, chevaux de trait sans gloire, qui, de leur vivant ou à la génération suivante, ne méritaient pas d’être sacrifiés sur l’autel de l’érudition latine.
ERUDITISSIMI VS OBSCURISSIMI
3Aux ides de mars 1676 fut établi un plan pour sauver les humanités latines1. Montausier demandait à Nicolas Heinsius son approbation pour un projet qui n’avait apparemment pas réussi à faire impression sur Graevius sept ans plus tôt2. Le jeune Dauphin avait la lourde responsabilité d’y lier son nom ; mais Montausier n’aurait-il pas compris usum Delphini « l’usage du Dauphin », comme le meilleur moyen de faire bon usage du Dauphin ? Car si les ouvrages sont bons pour le Dauphin, ils sont assez bons pour le public – « public en profitera » –, et Montausier aussi, en établissant un véritable empire des humanités. Mais supposons que c’est bien pour la sauvegarde de ces humanités latines qu’a œuvré Montausier.
4Était-il possible qu’Heinsius s’y intéressât ? Malgré tout le respect qu’il portait au responsable des opérations, il n’y avait pas la moindre chance qu’il s’abaissât à y participer ; il n’avait d’ailleurs rien à y gagner. Il savait qu’en 1673 Graevius y avait été entraîné, et il voyait bien que sa propre réputation pouvait être compromise. On ne sait quelles conclusions il tira des spécimens qui lui avaient été envoyés en 16763, mais pourquoi se serait-il engagé dans une entreprise qui avait peu de raisons de susciter l’optimisme de fluet et de Montausier ?
5Elzevier, qui n’avait pas eu de contacts avec Montausier depuis 1669, n’aurait pas pu reprocher à Heinsius d’offrir ses conseils à un projet de moindre envergure, puisqu’il n’avait plus grand chose à proposer à ses talents4. De plus, au vu des premiers ouvrages dauphins, il était clair que ceux-ci n’entraient nullement en concurrence avec ses propres éditions savantes. Ils seraient difficilement commercialisables hors de France ; Elzevier, enthousiaste à l’origine, comprit clairement que les obscurissimi viri recrutés par Huet ne pourraient jamais susciter de ventes sur un marché dominé par les vivi eruditissimi. Les libraires de Hollande pouvaient bien importer ces curieuses productions françaises et les mettre à l’étalage, au bénéfice des apprentis latinistes qui jusqu’ici avaient été privés d’un accès facile aux auteurs latins, ou des amateurs qui prendraient pour argent comptant les ambitions qu’ils affichaient. Mais on ne pouvait garantir les ventes et, comme on va le voir, il ne manquait pas de bonnes raisons pour que ces ouvrages ne quittent jamais leurs étagères.
6L’élève d’aujourd’hui n’a jamais l’occasion d’être confronté à une édition Teubner ou Loeb avant de fréquenter l’université. Son accès au latin est facilité par des textes simplifiés pourvus de notes, d’illustrations et de lexiques. Rien de tel n’existait au xviie siècle jusqu’à l’apparition de la collection dauphine. Cela peut rendre compte de la relation entre maître et élève à une époque où le bâton est plus visible que la carotte et où l’appel à l’aide d’un enfant est considéré comme un acte de défiance. Quelques réserves que l’on puisse faire sur ses ambitions personnelles, si Montausier n’avait pas fait preuve de cette obstination à poursuivre son projet, une génération entière d’étudiants aurait été perdue pour la cause. Montausier, héros improbable des études classiques, doit se voir reconnaître peut-être autant de mérite pour avoir lancé l’entreprise que Huet pour avoir fait avancer la science. Mais l’ironie du sort a voulu que l’invention d’une formule capable de rendre le latin plus accessible et plus agréable pour les débutants et les « médiocres » à la fois en France et dans toute l’Europe fût tenue par les savants étrangers jusqu’à la génération suivante, au mieux avec suspicion, au pire avec dédain. Depuis leurs tours d’ivoire d’Amsterdam, d’Utrecht et de Leyde, les professeurs hollandais auraient dû sauter sur l’occasion d’encourager l’étude du latin pour une future moisson d’étudiants, au lieu de critiquer les Français pour avoir fait preuve d’une initiative dont ils étaient eux-mêmes incapables. Leur échec à comprendre les intentions de Montausier ne justifie pas les attaques acerbes de savants de haute réputation. Une des plus sévères condamnations des Dauphins de Huet est due à Burmann, à propos de l’édition de Velleius Paterculus par Riguez : Ex illis provincia Velleium novo more interpretandi obtigit Roberto Riguezio Jesuitae, qui Parisiis A. MDCLXXV cum in lucem elaboratas suas curas protulisset, non maiorem consortibus suis laudem apud eruditos reportavit, sed plebeia interpretatione et notis undecunque corrasis risum extern praebuit. (« Parmi eux <les auteurs dauphins> la charge de commenter Velleius de la nouvelle façon est échue au jésuite Robert Riguez, qui en produisant ses travaux à Paris en 1645 n’a Pas remporté une plus grande gloire que ses collègues auprès des érudits, mais a fait bien rire avec son interpretatio vernaculaire et ses notes ramassées de tous côtés5. »)
7Il est certain que Burmann avait lu les Mémoires de Huet et qu’il avait discuté librement avec Graevius de la collection dauphine. Huet était encore vivant en 1719 et il avait de quoi être mortifié de l’attaque au vitriol d’un ancien élève de Graevius. Burmann était tout simplement jaloux que les Français aient lancé une collection complète, une bibliothèque, selon ses termes, et qu’une équipe de savants, bien qu’obscurissimi, ait mis en commun leurs capacités pour rendre le latin plus facile aux non-savants que n’intéressait pas l’examen des manuscrits. Il ne comprenait pas qu’Ad usum Delphini signifiait aussi « à l’usage des jeunes gens », et non à l’usage des érudits. La mort de Graevius en 1703 avait marqué la fin de la relation difficile entre Paris et Utrecht ; désormais, on pouvait dire ce qu’on pensait. Mais cela justifiait-il une telle attaque6 ? Burmann était un critique particulièrement odieux, dont la plume empoisonnée avait jeté le trouble chez des savants d’une autre envergure que les recrues de Huet. Mais il vaut d’être remarqué qu’il publia quelques années plus tard une série d’in-quartos pourvus de frontispices et de pages de titre soignés, et de commentaires prétentieux, pour dissimuler la faiblesse de son érudition. Il est encore plus intéressant de savoir que, dans son édition de Pétrone, il décida d’inclure un index vocabulorum. On peut se demander comment l’idée lui en était venue... L’existence d’index vocabulorum n’était certes pas nouvelle : Erythraeus, Treter, Tuscanella et d’autres en avaient donné l’exemple. Mais il est frappant de constater qu’à la suite de la collection dauphine, les index vocabulorum fleurirent en Hollande et en Italie, particulièrement pour les poètes latins7.
8Moins excessif, mais tout aussi critique que Burmann, Snakenbourg, dans la préface de son édition de Quinte-Curce8, ne raille pas l’auteur dauphin ; il peut sembler quelque peu condescendant pour Le Tellier, mais le place sensiblement au-dessus de ses collègues. Snakenbourg n’ignorait pas que les éditions dauphines n’étaient pas le fait d’hommes eruditione imbutis, et que les notae variorum ne faisaient pas partie du programme éditorial. Si Tellier reprenait des notes sans signaler leur origine, on ne peut dire qu’il les revendiquait comme siennes. Tout savant digne de ce nom devait en identifier la source. Mais Snakenbourg, comme Burmann, n’arrive pas à prendre en compte les impératifs destinés aux débutants qui ont désespérément besoin d’une interpretatio pour mieux comprendre les textes. Peu importe aux jeunes gens l’élégance et le raffinement du latin de Quinte-Curce : c’est Alexandre le Grand qu’ils veulent connaître.
9L’insuffisance des recherches menées par les auteurs dauphins est aussi stigmatisée, comme on le voit dans l’édition de Properce procurée par Broekhuyzen9 qui avait l’assurance de Graevius et l’arrogance de Burmann. La plupart des commentateurs hollandais avaient eu la courtoisie d’ignorer leurs prédécesseurs français, que l’imprudence de Montausier et de Huet avaient exposés à de telles critiques. Bientôt la guerre de succession d’Espagne devait faire disparaître tout respect pour Louis XIV : c’est alors que les critiques se déchaînent. Dans la guerre que les érudits se livraient, tout leur était bon ; et les auteurs dauphins étaient exposés en première ligne.
10Il arriva aussi que les libraires-imprimeurs hollandais, à défaut des éditeurs scientifiques, reconnaissent les mérites des éditions dauphines. Arntzenius, avec une belle misogynie, se plaint dans son édition d’Aurelius Victor d’avoir été ainsi contraint d’ajouter les notes d’Anne Lefèvre : « des notes vulgaires et sans aucun poids d’une très belle femme. Si l’affaire avait été de mon jugement, ce livre se serait passé d’une grande partie d’Anne10 ». Les éditeurs étaient autorisés à reprendre les notae variorum, pourvu qu’elles soient reprises intégralement, intéressantes et attribuées à leur auteur11. Dans son édition de Florus, Duker ne montre pas le même cynisme envers une femme : il critique Anne Lefèvre pour s’être trop appuyée sur l’édition de son propre père, alors qu’elle aurait dû consulter les éditions Elzevier et celles de Freinsheim à Strasbourg : « Je dirai seulement que ni je ne la loue grandement, ni je ne la méprise tout à fait. Car dans ses notes il y a beaucoup de choses ressassées et pas mal d’erreurs, et d’un autre côté certaines ne sont assez bien observées12. » Le jugement est condescendant, mais équilibré : pour les savants étrangers, Anne Lefèvre est « le joyau de la couronne » dauphine ; ses insuffisances sont compensées par une érudition remarquable et un charme non négligeable... En réponse à la plainte d’Anne Lefèvre, « Pour l’Eutrope, je n’ai eu aucune aide ; personne n’a rien limé dans cet auteur13 », Haverkamp lui reproche de n’avoir pas utilisé Vinet, Cellarius et Glareanus, dont les commentaires sont inestimables. Puis vient le compliment : « Que cela soit concédé à cette femme très érudite, qui non seulement a devancé les autres femmes de son siècle par son amour des lettres, mais également a éclipsé beaucoup d’hommes savants, et qui mérite d’être reconnue comme unique exemple du sexe féminin dans les sciences humaines14. » Compliment à double tranchant, qui permettait surtout à Haverkamp de prendre sa revanche sur son pire ennemi, Burmann.
11Graevius, pensionné du roi de France, pouvait difficilement prendre position publiquement sur une collection à laquelle il avait été invité à travailler. Il laisse néanmoins transparaître son avis à propos de Cantel, éditeur de Justin : « Joseph Cantel, qui a édité à Paris en 77 un Justin Ad usum Delphini, en se donnant le rôle non tant de corriger le texte que de l’expliquer avec des notes d’histoire et de géographie, n’a pas conservé notre projet15. » « Notre projet » : la différence est donc immense entre le projet dauphin et celui que servait ce Janus, qui savait si bien compartimenter sa vie d’auteur pensionné par la France et de professeur à Utrecht sous la coupe de Guillaume d’Orange16...
12Pourquoi un tel acharnement ? L’entreprise collective des dauphins était en tout opposée à la pratique savante des Hollandais, qui entretenaient entre eux une concurrence sauvage et se souciaient peu des lecteurs, qui risquaient d’être déroutés par la complexité de leurs éditions variorum. Leur refus d’y participer eut pour conséquence que tous les auteurs dauphins furent français, et que parmi eux beaucoup étaient quasi inconnus, y compris en leur pays. C’est en fait le procès de l’érudition française qui était alors instruit.
LES NOUVELLES VIES DE L’ÉDITION
13Autre raison de l’échec : d’un côté la collection Ad usum Delphini offrait un ensemble d’auteurs latins qui convenaient à tous les goûts, de l’élève à l’esthète, de Florus à Apulée. De l’autre, son format in-quarto la rendait peu maniable : la barque destinée à sauver les humanités latines a sombré parce qu’elle était trop lourde... Aux xviiie et xixe siècles, en fait, presque toutes les rééditions AuD, en Europe comme en Amérique, ont eu pour format l’in-octavo, comme celles que connaît le héros éponyme du roman de Thomas Hardy, Jude/’Obscur : « Les seuls exemplaires qu’il avait pu avoir en mains étaient les éditions dauphines, car elles étaient dépassées, et donc bon marché17. » Les éditions Valpy dont nous allons parler n’étaient cependant pas obsolètes : d’autres collections avaient vu le jour au xixe siècle, mais aucune n’offrait un choix aussi large, et les marques datées de propriétaires montrent qu’elles ont été en usage jusqu’à la fin de l’ère victorienne. Mais au temps du Grand Roi, le seul format possible était l’in-quarto, pour éclipser les in-12 et in-8° des Elzeviers, et pour montrer que Paris était un centre d’édition capable de rivaliser avec Amsterdam, la ville où se perpétuaient les traditions fondées par Alde et Plantin18. En 1818 Thomas Jefferson, latiniste émérite comme devrait l’être un président des États-Unis, rejette l’édition Doujat de Tite-Live comme « d’un format impossible à manier19 ».
14En 1686 l’Angleterre vit paraître la première reprise anglaise d’une édition dauphine, celle du Virgile de La Rue20. Réduite à l’in-octavo, c’était une pâle image de son illustre parente. La page de titre en rouge et noir qui avait distingué l’Ovide lyonnais de Crespin, et devait embellir la génération suivante des in-quartos hollandais, était un vrai désastre typographique, comme le livre en son entier. L’impression se faisait souvent illisible et parfois disparaissait complètement. Le papier, proche du papier-buvard, était celui qu’on utilisait pour les journaux. C’était le début d’une longue décadence qui devait durer un siècle. Les éditeurs ne firent aucun effort pour créer une collection conforme à l’original, faute de financement, et parce qu’ils préféraient vendre plutôt que s’intéresser à ce qu’ils vendaient. Les meilleurs éditeurs de Londres, comme Tonson et Watts, ne devaient jamais daigner toucher aux Dauphins. Ces Elzeviers anglais ne voulaient pas, comme auparavant leurs cousins de Hollande, se salir les mains en publiant à l’usage de la jeunesse, alors que de sordides tractations s’effectuaient pour mettre sur le marché la dernière mouture des Dauphins. Les restrictions du droit de copie (il existait un droit de copie « honoraire » ou officieux) pouvaient aisément être tournées par des suggestions aussi absurdes que celle-ci : « Si l’on pouvait, selon un accord tacite, obtenir la propriété [i.e. préparer pour la publication] du Virgile Dauphin, sans une seule ligne de la main de Virgile, de La Rue ou du Dauphin, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas garder l’usage de tous vos livres comme auparavant [i.e. de manière à les réimprimer sans restrictions]21. »
15Était-ce sérieux ? La contrefaçon des éditions dauphines au xviiie siècle ne risquait pas de prospérer quand les éditions originales arrivaient à peine à survivre.
16Le xixe siècle vit la résurrection des Dauphins sous la forme la plus complète. Valpy, à la différence de Montausier, était à la fois un véritable savant22 et un éditeur qui ne dédaignait pas les profits. Bientôt le nom de « Dauphin » en vint à désigner exclusivement les productions de Valpy : seul un dernier carré de bibliophiles continuait à connaître les in-quartos de Montausier. Pour satisfaire le lectorat le plus vaste, depuis l’écolier jusqu’au candidat à l’université, Valpy choisit d’inventer une nouvelle formule en reprenant, sous un format plus maniable23, le principe des Dauphins d’origine, combiné avec les meilleures notes des variorum, tout en gardant le grand nombre d’auteurs de la collection. Mais, à l’intention des savants plus exigeants, il y intégra également les « améliorations » textuelles dues à l’érudition la plus récente24 : il dépeça donc les éditions d’Oudendorp, Oberlin, Doering et bien d’autres – mais sans guère de vérifications, et les erreurs se multiplièrent. Quant au nombre d’auteurs concernés, les productions de Valpy restèrent très en deçà des éditions publiées à Deux-Ponts vingt ans plus tôt. Les editiones bipontinae, quoique privées d’index et de notes, avaient en effet surtout l’avantage d’inclure Sénèque, Ammien Marcellin, Végèce, Frontin, etc., et proposaient des bibliographies complètes pour chaque auteur. Leur catalogue, plutôt que leur qualité, ne pouvait avoir d’équivalent avant les éditions Teubner, Budé et Loeb. La malchance des éditions des Deux-Ponts fut que beaucoup d’entre elles étaient assemblées chez l’imprimeur et que bien souvent des pages d’un auteur sont insérées au milieu d’un autre, ou que des ouvrages sont incomplets. Le mérite des éditions Valpy était de s’appuyer sur le lectorat « d’en bas » ; c’est ce qui en prolongea durablement l’existence.
17L’Amérique coloniale n’avait pas à innover en matière d’érudition latine. Les auteurs latins, Delphini ou variorum, venaient toujours par bateau de la mère-patrie25, quand la connaissance du grec et du latin constituait le seul moyen d’accéder à Harvard, Yale ou Princeton. John Adams (professeur de latin) et Thomas Jefferson faisaient volontiers étalage de leur latin en toute occasion, avant comme après la révolution. Mais malheureusement les universités américaines ne produisaient pas l’équivalent des Huet, des Voorbroek ou des Hemsterhuys : pas une seule édition d’auteur latin ne sortit alors des mains de leurs professeurs. Privés d’une société de savants qui auraient reconnu leurs mérites, éloignés des manuscrits, ils étaient vaincus d’avance, et préféraient ne pas participer à la compétition. Les libraires de Boston ou de Philadelphie préféraient importer des éditions de Londres, y compris les ignobles rééditions in-8° des Dauphins. Les Métamorphoses dauphines d’Ovide (réimprimées dix fois à Londres entre 1708 et 1765) étaient au programme des écoles de Nouvelle-Angleterre comme en Europe. Le voyage de Jefferson en Europe le fit sans doute réfléchir à la question. Si la révolution américaine était sans effet sur l’érudition, elle ne pouvait l’être sur l’édition. En 1804, sous la présidence de Jefferson, eut lieu un événement d’importance : les premiers Dauphins américains virent le jour. Montausier en aurait été fier. La terra incognita devenue Lousiane au nom du roi de France l’année du Tacite (1682) contribuait à la survie de l’entreprise. Comme en Angleterre au xviiie siècle, les éditeurs évitèrent les auteurs les moins connus ou les plus prolifiques : Ovide, Cicéron, Tite-Live et Tacite furent sacrifiés, le seul ouvrage publié d’Ovide étant les Métamorphoses. Comme en Angleterre, les risques commerciaux étaient partagés entre éditeurs.
18Celui qui finança le Dauphin américain fut l’éditeur de Philadelphie William Poyntell. Avec ses associés anonymes, il réimprima dans son Officina classica les éditions dauphines de Virgile, Horace, César, Juvénal et Perse, Salluste, tous en in-octavo26. Ils apportaient la preuve imprimée du triomphe de l’Amérique sur la Grande-Bretagne en proclamant in hac editione Americana pleraque Londiniensis errata, diligentissime animadversa, corriguntur (dans cette édition américaine la plupart des fautes de Londres, soigneusement relevées, sont corrigées). Pourtant le travail de Poyntell, un Anglais27, était tout sauf soigneux. La prima Editio Americana fit grand bruit, mais la qualité des textes ne se mesure pas à leur publicité. Une lettre que Jefferson écrivit le Ier avril I818 à des éditeurs plus consciencieux28 révèle les difficultés des Dauphins et le sentiment de Jefferson : il se dit rebuté (disgusted) par les éditions dauphines de Philadelphie et New York, pleines de fautes d’impression (une par page29, contre une en treize pages pour les nouvelles éditions), et d’un format décourageant. Du Tite-Live de Doujat, il retient néanmoins les notes et les suppléments de Frensheim, avec en marge les références aux autorités, absentes d’une bonne édition comme celle de LeClerc ?30 : une édition américaine qui reprendrait ce que Doujat et LeClerc apportaient de meilleur ferait particulièrement honneur à son pays.
19Jefferson envisage non pas de dépasser l’Europe, tout au plus de l’égaler ; mais il n’est pas question d’érudition, seulement de qualité éditoriale – en cela il rejoint Montausier. Et si au fil de cette lettre il évoque les variorum, cela montre qu’il était peu au fait des progrès de l’érudition réalisés à Leipzig dans le dernier quart du xviiie siècle. En tout état de cause, ce n’est pas avec la reprise d’une édition dauphine que les États-Unis d’Amérique pouvaient s’imposer face à l’édition européenne. L’idée n’était pas réaliste. Le fait que Jefferson soit forcé d’avoir recours à des éditions procurées par des savants européens montre bien que, comme à Londres cinquante ans plus tôt, le secteur éditorial hésitait à prendre un risque financier pour un public limité. En moins de dix ans, Valpy avait inondé le marché, et les Dauphins d’Amérique tombèrent dans l’oubli31.
20La même époque vit l’ascension du grand bibliographe Thomas Dibdin, qui parcourut l’Europe pour découvrir les trésors que contenaient les bibliothèques aristocratiques ?32. Il n’avait que mépris pour les éditions dauphines, mais il montrait beaucoup de considération pour Huet (toujours tenu en haute estime à 1’étranger) et son édition de Manilius, ainsi que pour le Pline du père Hardouin – peut-être surtout à cause de l’édition en grand papier et des trois exemplaires imprimés en vélin (signe que les éditeurs français, un demi-siècle après la publication des premiers Dauphins, avaient compris l’intérêt du marché bibliophilique). Dibdin devait beaucoup à l’ouvrage plus resserré, mais complet, de Harwood33, qui lui-même s’appuyait sur De Bure, mais présentait sa matière par auteurs, ce qui la rendait plus accessible aux bibliophiles anglais. Harwood, plus charitable que Dibdin, consacrait deux pages aux Dauphins et à leurs prix, depuis 5 shillings pour Eutrope jusqu’à 18 guinées pour Stace. Seule une compétition entre gentlemen bibliophiles, comme les Heber, Beckford et Drury, permettait la survie d’ouvrages devenus décoratifs et signes extérieurs de richesse.
21Quel pouvait être le destin de la collection dauphine à l’époque moderne ? Les rééditions in-octavo de Valpy, reliées en demi-maroquin, n’avaient que peu d’intérêt pour les savants, aucun pour les bibliophiles ; c’était un boulet au pied des libraires. Les in-quartos avaient mieux vieilli mais les progrès de la philologie dus d’abord à Bentley puis prolongés par Lachmann, Wilamowitz et Housman les reléguaient bien loin dans le passé. Restent surtout les index vocabulorum, dont aucune collection moderne d’auteurs latins n’a encore produit l’équivalent, et où plus d’un chercheur a trouvé son salut quand les concordances modernes étaient inutilisables. Aujourd’hui cette Cendrillon de la littérature latine se couvre de poussière dans les bibliothèques, alors que ses demisœurs hollandaises en grand papier sollicitent l’attention des amateurs éclairés. Il est temps de la faire revenir au jour. Le bibliophile a raison de conserver précieusement ses in-quartos dauphins ; en tout cas il en sait maintenant un peu plus sur leur histoire, les progrès du savoir et la tradition qui permettent de les comprendre.
Annexe
ANNEXE 1
Les dauphins français devant les « gens profonds en science » : la correspondance latine des Viri eruditissimi
Le premier volume de La Collection Ad usum Delphini s’appuie sur les Lettres dauphines (p. 295-389), écrites en français, échangées par Montausier, Huet, et un certain nombre de savants et d’autres personnages importants en relation avec Montausier. Cela représente essentiellement le point de vue français ; d’où la nécessité de donner en contrepoint quelques extraits ou mentions de l’avis des viri eruditissimi étrangers, qui peuvent jeter une lumière nouvelle sur le projet dauphin. Cette correspondance a été conservée par Burmann dans les quatrième et cinquième volumes de sa Sylloge epistolarum a vins illustribus scriptarum, publiée à Leyde en 1727. Il ne nous a pas été possible de reproduire toutes ces lettres : nous avons choisi de résumer sommairement celles qui illustrent les relations entre les savants étrangers et les initiateurs de l’entreprise dauphine, Montausier et Huet, et de ne reproduire intégralement que celles qui évoquent directement la collection elle-même ou ceux qui y collaborèrent. Parmi ceux-ci, la seule à obtenir quelque considération est Anne Lefèvre, et l’ensemble de la collection n’a guère suscité d’avis favorables.
Nous présentons les lettres par ordre chronologique, avec éventuellement un renvoi aux Lettres dauphines (ci-après : LD).
– (1) 5 mars 1663, à Utrecht, de Graevius à Heinsius [Syll. tom. 4, epist. 26, p. 41], sur l’envoi de l’ouvrage de Huet sur la traduction (voir LD I).
– (2) 6 janvier 1666, Stockholm, de Heinsius à Van Waal sur Montausier [Syll. tom. 3, epist. 19, p. 875].
– (3) 2 septembre 1666, à Utrecht, de Graevius à Heinsius ; Graevius envisage de dédier son édition d’Hésiode à Montausier [Syll. tom. 4, epist. 28, p. 45].
– (4) 5 octobre 1666, à Stockholm, de Heinsius à Graevius ; Graevius encourage cette dédicace en faisant l’éloge de Montausier (vir litteraturae humanioris summe studiosus) [Syll. tom. 4, epist. 29, p. 47].
– (5) Ier novembre 1666, à Utrecht, de Graevius à Heinsius ; sur la publication prochaine de l’édition d’Hésiode et son envoi à Chapelain [Syll. tom. 4, epist. 30, p. 48].
– (6) 2 septembre 1668, à Utrecht, de Graevius à Heinsius ; il est émerveillé de l’érudition que Huet déploie dans son travail sur Origène [Syll. tom. 4, epist. ; 5, p. 74-75].
– (7) 15 mars 1669, à Stockholm, de Heinsius à Scheffer [Syll. tom. 5, epist. 114, p. 118] : De Elzevirio nihilaudivi prorsus, ex quo in Gallias ante hasce hebdomadas est profectus (« Je n’ai eu aucune nouvelle d’Elzevier depuis qu’il est parti pour la France il y a quelques semaines34 »).
– (8) 17 janvier 1671, à Utrecht, de Graevius à Heinsius ; il a reçu l’ouvrage de Huet « sur l’origine des romans », qu’il juge très élégant [Syll. tom. 4, epist. 63, p. 90].
– (9) 31 janvier 1673, à Cologne, de Heinsius à Graevius, sur ses difficultés avec la Cour de France [Syll. tom. 4, epist. 118, p. 160].
– (10) 24 février 1673, à Cologne, de Heinsius à Graevius–, il s’inquiète pour Chapelain et évoque sa pension35 [Syll. tom. 4, epist. 122, p. 166-167].
– (11) 24 mars 1673, à Utrecht, de Graevius à Heinsius-, il cite intégralement la lettre que lui a adressée Chapelain [Syll. tom. 4, epist. 126, p. 176].
– (12) 16 juin 1673, de Graevius à Heinsius, à Utrecht, sur l’envoi de son Suétone (La Haye, 1672), à Montausier36 [Syll. tom. 4, epist. 107, p. 157].
– (13) 12 novembre 1673, à Utrecht, de Graevius à Heinsius [Syll. tom. 4, epist. 146, p. 204] ; l’entreprise dauphine est ici sommairement décrite dans son ensemble, pour Heinsius qui en entend parler pour la première fois. Graevius Heinsius de rechercher en Italie des manuscrits de Columelle et Palladius ; cette recherche peut-elle avoir été réellement suscitée par sa participation à la collection AuD ? Il est permis d’en douter37.
– (14) 23 novembre 1673, à Utrecht, de Graevius à Heinsius-, ils doivent discuter du projet « de Montausier38 » [Syll. tom. 4, epist. 147, p. 205].
– (15) 11 décembre 1673, à Utrecht, de Graevius à Heinsius-, il demande avec insistance des renseignements sur les manuscrits des Agronomes dans les bibliothèques d’Italie39 [Syll. tom. 4, epist. 150, p. 209].
– (16) 18 octobre 1674, à Utrecht, de Graevius à Heinsius [Syll. tom. 4, epist. 127, p. 301] ; un « homme du Holstein », peut-être Maquard Gudius (1635-1689) demande les notes de Heinsius sur Dictys de Crète pour Anne Lefèvre, requête apparemment restée sans effet.
– (17) 23 mars 1675 à Utrecht, de Graevius à Heinsius [Syll. tom. 4, epist. 261, p. 3 37] ; annonce de l’achèvement de plusieurs volumes (Térence, Plaute, Phèdre, Salluste, Cornelius Nepos, Velleius Paterculus, Tite-Live, Claudien)40.
– (18) 3 avril 1676 à Utrecht, de Graevius à Heinsius, sur une lettre de Montausier41 [Syll. tom. 4, epist. 344, p. 417].
– (19) 27 avril 1676 à Utrecht, de Graevius à Heinsius, sur les livres envoyés par Montausier42 [Syll. tom. 4, epist. 351, p. 423].
-(20) 21 juin 1676, à La Haye, de Heinsius à Graevius, sur les remerciements qu’il doit à Montausier43 [Syll. tom. 4, epist. 363, p. 440].
– (21) 19 décembre 1676, à La Haye, de Heinsius à Graevius ; comme nouvelles sans grand intérêt, il signale la parution de l’édition de Claudien, nescio cujus Cadomensis Professoris44 [Syll. tom. 4, epist. 393, p. 470].
– (22) 5 mai 1677, à Vianen, de Heinsius à Carpzov45 [Syll. tom. 5, epist. 253, p. 294] ; remarque laudative sur Anne Lefèvre.
– (23) 12 février 1679 à Vianen, de Heinsius à Carpzov [Syll. tom. 5, epist. 268, p. 316] ; Heinsius rappelle qu’Anne Lefèvre lui a réclamé ses manuscrits pour Dicys de Crète ; il « ne saurait dire si le livre est paru46 ».
– (24) 8 septembre 1679, à Utrecht, de Graevius à Heinsius, Huet a obtenu une belle abbaye [Syll. tom. 4, epist. 5 57, p. 614].
– (25) 25 septembre 1679, à Utrecht, de Graevius à Heinsius–, Montausier lui a reproché de ne pas avoir dédié au Dauphin son édition des Epistolae ad familiares de Cicéron, et le presse de lui offrir autre chose47 [Syll. tom. 4, epist. 563, p. 619].
– (26) 12 novembre 1679, à Leipzig, de Carpzov à Heinsius-, il s’est enfin procuré le Florus d’Anne Lefèvre [Syll. tom. 5, epist. 273, p. 326].
– (27) 23 mars 1680, à Utrecht, de Graevius à Heinsius [Syll. tom. 4, epist. 601, p. 649] ; nouvelle demande de la part d’Anne Lefèvre des notes d’Heinsius pour le Dictys de Crète.
– (28) 24 mars 1680, à Utrecht, de Graevius à Heinsius [Syll. tom. 4, epist. 602, p. 650] ; annonce de l’aide apportée par Schnebelius à Anne Lefèvre pour Dictys48.
– (29) 19 mai 1680, à Utrecht, de Graevius à Heinsius ; Schnabel lui a appris qu’Anne Lefèvre avait publié son Dictys, favorablement reçu du Roi49 [Syll. tom. 4, epist. 615, p. 660].
– (30) 29 octobre 1680, à Utrecht, de Graevius à Heinsius ; sur une leçon de Manilius (I, 245) due à Huet et jugée (à juste titre) erronée [Syll. tom. 4, epist. 643, p. 685].
– (31) 18 novembre 1680, à Vianen, de Heinsius à Perizonius ; il signale la publication du Valère Maxime [Syll. tom. 4, epist. 50, p. 820].
– (32) 5 janvier 1681, à Leipzig, de Carpzov à Heinsius ; il n’a pas encore pu se procurer le Dictys [Syll. tom. 5, epist. 280, p. 339].
– (33) 16 mars 1681, à Vianen, de Heinsius à Perizonius ; il n’a pas encore vu le Valère Maxime50 [Syll. tom. 4, epist. 52, p. 822].
ANNEXE 2
Bibliographie des premières éditions américaines « in usum Delphini »
CÉSAR NC001121751. – C. Julii Caesaris quae extant, interpretatione et notis illustravit Johannes Godvinus. [...] in usum Delphini. Juxta editionem Londiniensem. Editio prima Americana, qua plurima Londiniensis errata, diligentissime animadversa, corriguntur. Philadelphiae. Ex Officina Classica ; impensis W. Poyntell et soc., 1804, in-8°.
CICERON NC 0428224. – Cicero : orationes quaedam selectae, cum interpretatione et notis quas in usum serenissimi Delphini edidit P Carolus Merouille. Editio tertia Americana. Novi-Eboraci ; impensis E. Duyckinck, etc., 1814, in-8°.
HORACE NH 0518520. – Q. Horatii Flacci opera, interpretatione et notis illustravit Ludovicus Desprez in usum serenissimi Delphini, ac serenissimorum principum Burgundiae, Andium et Biturigum. Huic editioni accessere vita Horatii cum Dacerii notis, eiusdem chronologia Horatiana, et praefatio de Salira Romana. In hac editione Americana pleraque Londiniensis errata, diligentissime animadversa, corriguntur. Philadelphiae. Ex Officina Classica ; impensis W. Poyntell, 1804, in-8°.
JUSTIN NJ 0203590. – Justinus De historiis Philippicis, et totius mundi originibus. Interpretatione et notis illustravit Petrus Cantel |...] in usum serenissimi Delphini. Editio prima Americana, quinta Londina [sic], ad cuius exemplar etiamsi expressa, multis emendatior. Accessere Jacobi Bongarsii Excerptiones Chronologicae, ad Justini historias accommodatae. Philadelphiae ; impensis M. Carey, Johnson et Warner, E. Parker, 1815, in-8°.
JUVENAL NJ 0204907. – D. Iunii Juvenalis et A. Persii Flacci Satirae. interpretatione ac notis illustravit Ludovicus Prateus [...] iussu Christianissimi regis in usum
serenissimi Delphini. Ed. prima Americana. Philadelphiae ; impensis M. Carey, 1804, in-8°.
OVIDE NO 0178141. – Publii Ovidii Nasonis Metamorphoseon libri XV, interpretatione et notis, illustravit Daniel Chrispinus Helvetius ad usum serenissimi Delphini. In hac editione Americana pleraque Londiniensis errata, diligentissime animadversa, corriguntur. cura Joannis Andrews. Philadelphiae. Ex Officina Classica ; impensis Wm Poyntell et soc., Philadelphia 1805, in-8°.
SALLUSTE NS0061011. – C. Sallustii Crispi opera omnia quae extant, interpretatione et notis illustravit Daniel Crispinus in usum serenissimi Delphini. In hac editione Americana pleraque Londiniensis errata, diligentissime animadversa, corriguntur. Philadelphiae. Ex Officina Classica ; impensis Ex Officina Classica ; impensis Wm. Poyntell et soc., 1804, in-8°.
VIRGILE NV 0103432. – P. Virgilii opera interpretatione et notis illustravit Carolus Ruaeus, jussu Christianissimi Regis ad usum serenissimi Delphini. Juxta editionem Londiniensem editio prima Americana, qua plurima Londiniensis errata diligentissime animadversa, corriguntur. Philadelphiae. Ex Officina Classica ; impensisW Poyntell et soc., 1804, in-8.
Notes de bas de page
1 Lettres dauphines (ci-après LD) 66a.
2 Lettre de Chapelain à Graevius, LD 2.
3 Florus, Salluste (1674), Térence, Virgile, Cornelius Nepos, Phèdre et Velleius Paterculus (1675), voir LD116. Il reçut aussi de Montausier les Panegyrici veteres, Manilius, Claudien et Plaute. Heinsius mourut en 1681 et sa bibliothèque fut vendue en 1683. Le catalogue de vente, établi en 1682, signale sept Dauphins in-quartos (Bibliotheca Heinsiana sive Catalogus Librontm quos magno studio & sumtu, dum viveret, collegit vir illustris Nicolaus Heinsius, Lugd. Bat. 1682, Litt. Quart, p. 12, n° 130, Poet. Quart, p. 7 ;-76, n° 104-109 ; c’est le catalogue évoqué dans les Lettres dauphines, n° 151).
4 La dernière production de Heinsius dans les classiques Elzevier, mis à part le Virgile (1676, mais repoussé de trois ans), fut son édition de Velleius Paterculus (1678). Ses problèmes de santé le conduisirent à passer chez Wetstein qui publia son Valerius Flaccus en 1680. Les relations entre Heinsius et Elzevier n’avaient jamais été faciles.
5 Velleii Paterculi quae supersunt ex Historiae Romanae voluminibus duobus cum integris scholiis, notis, et variis lectionibus et animadversionibus doctorum curante Petro Burmanno, Leyde, 1719, p. 11-12 (préface). Pieter Burmann (l’Ancien, 1668-1741), fut un éditeur prolifique d’éditions variorum in-quarto. Il pourrait bien refléter l’attitude de son maître, Graevius, dont les véritables sentiments pour ses homologues français resteront à jamais inconnus.
6 Westerhoff jugeait lui-même sévèrement Burmann et consorts (Préface de Terentii Afri Comoediae Sex[...] curavit Am. Henr. Westerhovius, La Haye, 1726, p. xvii). Westerhoff soutenait LeClerc, victime d’une attaque concertée de la part de Burmann et de Bendey.
7 Juvénal, éd. Henninius, Utrecht, 1685 ; Horace, éd. Bentley, 2e éd., Amsterdam, 1713 (avec l’index de Treter) ; Properce, éd. Broekhuyzen, Amsterdam, 1702, éd. Volpi, Padoue, 175 5 ; Ennius, éd. Hessel, Amsterdam, 1707 ; Tibulle, éd. Broekhuyzen, Amsterdam, 1708, éd. Volpi, Padoue, 1749 ; Catulle, éd. Volpi, Padoue, 1737 ; Virgile, éd. Masvicius (incorporant celui d’Erythraeus et reconnaissant sa dette à La Rue pour la tabula consulum), Leuwarden, 1717 ; éd. Burmann, Amsterdam, 1746 ; Ovide, éd. Burmann, Amsterdam, 1727 ; Phèdre, éd. Burmann (3e éd.) Leyde, 1727.
8 Quinti Curtii Rufi de Rebus Gestis Alexandri Magni libri superstites [...] curavit et digessit Henricus Snakenburg, Delft et Leyde, 1724, Préface, p. 6.
9 Propertii Elegiarum libri quattuor, éd. Broukhusius (Jan van Broekhuyzen, 1649-1707), Amsterdam, 1702, p. 16. Michel de Marolles avait traduit Properce en 1654. Signalons l’estimation donnée par un bibliographe anglais : « £2.2s, mais pour un savant, pas un sou » (Harwood,^T Viervof the Various Editions of the Greek andlxitin Classics, 4e éd., Londres, 1790, p. 115). À comparer avec Tite-Live, £2.155 ; Dictys et Darès, £4 ; Tacite, £6.12s ; Prudence, £4.16s 6d ; Stace, £21.1os 6d. Schweiger est tout aussi cinglant pour l’ouvrage de Dubois, « absolument sans valeur » (Handbuch der Classischen Bibliographie, vol. 1, Leipzig, 1832,p. 82).
10 Sexti Aurelii Vidons Historia Romana cum notis integris Dominici Machanei, Eliae Vineti, Andreae Schotti, Jani Gruteri, necnon excerptis Frid. Sylburgii & Annae Fabri filiae, curante Joanne Arntzenio, Amsterdam et Trajecti ad Rhenum, 1733, p. 8 : vulgares et nullius hodie momenti notas [...] bellissimae Feminae. Si res mei fuisset iudicii, magna parte [...] Annae caruisset hic liber.
11 L’Honoré, auteur dauphin des infortunés Opera philosophica de Cicéron, critique ces éditions variorum (Praefatio, p. xx-xxi), et implicitement celle du De officiis par Graevius, que celui-ci avait dédiée l’année précédente au Dauphin. Cela plaça Huet en position difficile, surtout que dans sa préface L’Honoré déclarait que son édition serait « plus exacte que toutes les autres éditions publiées jusquelà » (p. xii). En fait il n’en vint jamais à bout.
12 Flori Epitome Rerum Romanarum cum integris Salmasii, Freinshemii, Graevii et selectis aliorum animadversionibus recensait, suasque adnotationes addidit Carolus Andreas Dukerus, Leyde, 1744 (2e éd.), Préface, p. 11. Sur le jugement d Heinsius, voir annexe 1, lettre 22 : Tantum dicam, me eam nec magnopere laudare necplane spernere. Nam in notis eius pleraque protrita nec pauca errata, et rursus quaedam non male animadversa sunt.
13 Voir la préface de son Eutrope, p. 2 : in Eutropio vero nullum mihi auxilium fuit : nemo enim in hunc scriptorem aliquid exaravit.
14 Eutropii Breviarium Hstoriae Romanae cum Metaphrasi Graeca Paeanii et notis integris Eliae Vineti, Henrici Glareani, Tanaquilli & Annae Fabri, Thomae Hearnii, item selectis Frid. Sylburgii & Christ. Cellarii. Accedunt Sexti Rufi Breviarium [...] recensait Sigebertus Havercampus, Leyde, 1729, p. 2-3. Texte cité : verum detur hoc eruditissimae feminae, quae non modo literarum amore omnes sut saeculi mulieres praeteriit, verum multis etiam doctis viris praeluxit, unicum certe muliebris sexus in Literis Humanioribus vocari meretur exemplum.
15 Préface à l’édition de A. Gronovius, Justini Historiae Philippicae, Amsterdam, 1719 : Josephus Cantel qui in usum Serenissimi Delphini Justinum Parisiis anno LXXV1I edidit, cum non tam emendandi, quam historicis & geographicis annotationihus explicandi partes sihi imposuit, nostro instituto non servit.
16 Voir annexe I, lettre 25 et note.
17 Londres, 1896, chap. 5 (notre traduction).
18 Cinquante ans plus tard, Montausier aurait peut-être compris ce qu’il y avait à espérer de la bibliophilie, alors en son enfance, et il aurait fait imprimer des séries limitées sur papier fin.
19 Lettre à son libraire Nicholas Dufief, libraire à Philadelphie, 9 janvier 1813.
20 Ce fut ensuite le tour de Térence (1688), Juvénal et Cornelius Nepos (1691), Florus (1692), César (1693), Eutrope (1694), Salluste (1697) et Horace (1699). Les Métamorphoses d’Ovide parurent à Oxford en 1696. Ces publications étaient dues à des associations d’éditeurs.
21 Dr Wallace’s Manu script, 2 avril 1774 (Bargains between Booksellers, éd. G. Birkbeck Hill, Oxford, 1888).
22 Abraham John Valpy (1787-1854), Fellow of Pembroke College, Oxford.
23 Le passage à 141 in-octavos ne procède pas seulement de l’addition de notes, c’est aussi une source de bénéfices. L’in-quarto de Virgile se transforme en 10 in-octavos, Apulée comme César en 7, Horace, Suétone, les Panegyrici veteres, en 5.
24 Près de trente savants y participèrent.
25 C’est en 1728 que des montagnes américaines surgit un souriceau, ou plutôt une souricière (Muscipula) inspirée par la Batrachomyomachie homérique, autrement dit le premier poème latin imprimé en terre américaine, dû à E. Holdsworth, Annapolis, 1728 ; cf. J.E. Sandys, History of Classical Scholarship, vol. 3, p. 451, Cambridge, 1908.
26 Voir annexe 2.
27 William Poyntell (1759-1811) avait émigré en 1774. « In 1803 he engaged upon a work of great public utility, namely the establishment of a printing office for the sole purpose of printing the Greek and Latin classics [...] all of them handsomely and correctly printed on superior type and paper after the most useful form, the Delphin edition in 8 vols, for the use of schools and American universities », Gentlemen’s Magazine, vol. 92 (1811), pt. 2, p. 294.
28 Wells et Lily, de Boston, qui publièrent Cicéron en vingt volumes (1815-1816) : ce fut l’editioprima Americana. Ils continuèrent dans la même voie quand Poyntell lâcha prise (Tacite, 3 vol., 1817).
29 Y compris dans les pages de titre ; ainsi pour Ovide : illustravit Daniel Chrispinus. Quant à l’édition de Justin, elle est dite à la fois editio prima Americana, quinta Londina. Les bibliographes modernes ne font pas mieux, eux qui anglicisent le nom de l’éditeur de Juvénal (Louis Desprez) en « Ludovicus Parkus » (American Bibliographe) : a Preliminary Checklist for 1804, Ralph R. Shaw and Richard H. Shoemaker, New York, 1958, p. 102).
30 Jean LeClerc (1657-1736), qui procura une édition de Tite-Live en 10 volumes (Utrecht, 1710) ; c était en fait une piètre reprise de l’editio Gronoviana, son principal intérêt venant des cartes qui figuraient dans le dernier volume.
31 Ils ne suscitèrent aucune réaction en Europe, semble-t-il ; ils n’apparaissent pas dans les bibliographies classiques de Schweiger, Graesse ou Brunet ; et ils sont totalement absents du catalogue de la British Library...
32 An Introduction to the Knowledge of the Rare and Valuahle Editions of the Greek and Latin Classics, Londres, 1827 (4e éd.).
33 Voir ci-dessus note 9.
34 Cf. LD 2. Elzevier était en France depuis janvier et avait parlé personnellement à Montausier de la possibilité d’imprimer les éditions dauphines (ce dont Heinsius ne dit rien à Scheffer) ; sans doute ne savait-il rien du projet jusqu’à ce que Graevius lui en parle en 1673 (voir lettre 13). Peut-être Graevius ne voulait-il pas le faire connaître à Heinsius jusqu’à ce que son propre rôle dans l’entreprise ait été confirmé en octobre 1673 (LD 21) – à moins qu’il n’ait été embarrassé de dire à son ami qu’il était passé du sublime (Hésiode) au ridicule (Ad usum Delphini). Johann Scheffer (1621-1679) était professeur d’éloquence à Upsala. En 1674 il dédie son édition d’Hygin à Heinsius.
35 Cf. LD, 116a.
36 Il avait été question en 1669 de le dédier au Dauphin (cf. LD 2). Voir aussi LD 10a, note 38.
37 Voir aussi LD 21.
38 Heinsius est en position difficile : c’est lui qui a présenté Graevius à Montausier ; la défaillance de Graevius dans l’entreprise dauphine aurait de fâcheux effets sur son ami hollandais.
39 Cela viendrait-il d’une insistance de la part de Huet ? Voir LD 21 : « Ce sera d’un grand poids pour l’achèvement du projet tout entier. »
40 Les vin obscurissimi, dont le nom est reproduit plusieurs fois incorrectement (Nicolas Le Camus, Pierre Danet, Jean Doujat, Pyrrhon), ont achevé leur travail, ce qui n’est pas le cas du vir eruditissimus. Six semaines plus tôt, Huet l’a réprimandé pour cela (LD 44). Sur l’éventuelle publication du Tite-Live en 1674, voir LD 26 et note 66.
41 Heinsius en a reçu une de Montausier, envoyée le 15 mars 1676 (LD 66a). Montausier aurait-il essayé de convaincre un des savants d’influencer l’autre, ou est-ce simplement la confirmation que les ouvrages envoyés ont bien été remis ?
42 Voir LD 66a ; Montausier avait coutume d’envoyer les mêmes ouvrages aux deux savants (LD 116 et 117). Ce sont probablement les sept ouvrages dauphins dont Montausier parle dans sa lettre.
43 Il s’agit des livres qu’il a finalement reçus le 21 juillet ; Montausier n’envoyait rien sans espoir d’un retour.
44 Cet obscurissimus professeur de Caen est Guillaume Pyrrhon ; il n’est pas plus estimé par Burmann le jeune, dans son édition de Claudien (Amsterdam, 1760, p. xxiv). En fait l’ouvrage paraît en 1677 (voir LD 77). L’édition de référence restait la propre édition de Heinsius (1650, reproduite cum notis variorum en I665).
45 Johann Benedikt Carpzov (1639-1699), professeur de littérature hébraïque à l’académie de Leipzig.
46 Sed an liber in lucem sit prolatus haud dixerim. L’ouvrage sur Darès et Dictys devait paraître l’année suivante. Anne Lefèvre ne semble pas avoir reçu d’aide de Heinsius (cf. ci-dessus lettre 16) : elle n’en dit rien dans sa préface. Curieusement cette édition ne resta pas ignorée des éditeurs hollandais ; son Dictys bancal fut renforcé d’une dissertation de Perizonius (autre correspondant de Heinsius : voir cidessous lettre 3 3) et des notis variorum.
47 Cf. LD 44 et 86. L’ouvrage devait d’abord être dédié à Guillaume d’Orange ; quand Graevius voulut revenir sur cette décision pour le dédier au Dauphin, Guillaume d’Orange en fut très mécontent (sur cette intrigue, voir Syll. tom. 4, epist. 385, p. 463 et 404, p. 479). Le Compendium est l’Epitome de Florus, finalement dédié lui aussi à Guillaume d’Orange en 1677. Le Ier janvier 1683, Graevius offrit finalement au Dauphin (et non à Montausier, comme le dit la note 240, LD 149), ses Epistolae ad Atticum (ouvrage publié l’année suivante à Amsterdam chez Blaeu et Wetstein).
48 Cela signifie sans doute que Heinsius a refusé d’être associé à l’édition ; serait-ce parce qu’il avait été froissé par des commentaires déplaisants de Tanneguy Lefèvre à propos de Daniel Heinsius, son père ?
49 Le privilège du Dictys n’a pas été registré avant le 28 juin ; Anne Lefèvre avait certainement envoyé à Huet une première version en mai (LD 121 quater et 122).
50 Publié en 1679.
51 Les références sont au National Union Catalogue (N), avec l’initiale de chaque auteur.
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La collection Ad usum Delphini. Volume I
L'Antiquité au miroir du Grand Siècle
Catherine Volpilhac-Auger (dir.)
2000
Devenir roi
Essais sur la littérature adressée au Prince
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2001
L’Éloge du Prince
De l’Antiquité au temps des Lumières
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2003
La collection Ad usum Delphini. Volume II
L’Antiquité au miroir du Grand Siècle
Martine Furno (dir.)
2005
Des rois au Prince
Pratiques du pouvoir monarchique dans l'Orient hellénistique et romain (IVe siècle avant J.-C. - IIe siècle après J.-C.)
Ivana Savalli-Lestrade et Isabelle Cogitore (dir.)
2010
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
IIIe siècle avant J.-C. - Ier après J.-C.
Anne Bielman Sánchez, Isabelle Cogitore et Anne Kolb (dir.)
2016
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
iiie siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C.
Isabelle Cogitore, Anne Bielman Sánchez et Anne Kolb (dir.)
2021