Ciceron. Opera philosophica
p. 465-483
Texte intégral
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1– 1689 : le privilège, annoncé à l’adresse, est absent de l’ouvrage : sans doute devait-il figurer au tome II, non paru (voir infra).
2Trois exemplaires ont été consultés en BN, qui témoignent de deux états différents du texte : sous la cote Réserve Z 15952, un premier état présente un ensemble de 5 parties paginées séparément et réunies en un volume ; sous les cotes Réserve Z 1596 et Réserve R 434, un état manifestement postérieur présente en pagination continue un ensemble corrigé en un certain nombre de points et modifié dans son contenu comme dans sa présentation (voir infra). Il s’agit bien de deux éditions différentes, avec recomposition intégrale du texte. À l’évidence, l’état Z 1595 a servi de base à l’édition de Z I596 et R 434, mais on reviendra plus loin sur la qualification du second état (voir infra) ; R 434 est l’exemplaire principalement utilisé pour la présente étude.
3– lieu d’édition : Paris
4– libraire : Veuve Claude Thiboust et Pierre Esclassan
5– commentateur : François L’Honoré, s.j.
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6François L’Honoré, né à Quimper le 6 septembre 1651, entré au noviciat le 29 septembre 1667, enseigna les humanités et la philosophie à Bourges et la théologie à Caen ; il mourut à Paris le 21 janvier 17093. Sa carrière fut surtout marquée par le scandale d’une thèse qu’il fit soutenir à Caen le 30 janvier 1693, attirant sur lui la fureur de ses supérieurs. La thèse posait en effet « qu’il n’est pas évident qu’il y ait au monde une vraie religion ; que la religion chrétienne soit de toutes la plus vraisemblable ; que la divinité de J.-C. ait été manifestée aux apôtres ; que les miracles qu’on rapporte de lui soient véritables ». Ayant reçu un ordre de rétractation publique, François L Honoré tenta de se justifier dans un Pharmacum scandali accepti sed non dati, publié la même année, mais qui ne l’empêcha pas d’être démis de ses fonctions ; il écrivit alors de La Flèche une lettre qui satisfit enfin la faculté de théologie de Caen. La thèse incriminée, mise à l’index du 19 mai 1694, figure parmi les livres de Jésuites condamnés le 12 février 1762 par le parlement de Rouen à être supprimés.
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PRINCIPALES ÉDITIONS ANTÉRIEURES
7Les éditions de Cicéron antérieures à 1689 se comptant par centaines, il ne saurait être question d’en donner ici un catalogue exhaustif, même réduit aux œuvres philosophiques. Pour celles-ci et donc à l’exclusion des discours, des traités de rhétorique et des lettres, on proposera plutôt un choix des éditions les plus importantes dont François L’Honoré s’est servi pour son propre travail.
8La pièce maîtresse est, de l’aveu de François L’Honoré, l’édition de Paul Manuce (Paolo Manuzio, 1512-1574) : M. Tullii Ciceronis de philosopha, prima pars, id est, Academicarutn quaestionum editionis primae liber secundus, editionis secundae liber primus ; de Finibus bonorum et malorum libri V ; Tusculanarum quaestionum libri V – M. Tullii Ciceronis de Philosopha volumen secundum, id est, de Natura deorum libri III ; de Divinatione libri II ; de Fato liber I ; de Legibus libri III ; de Universitate liber I, Q, Ciceronis de Petitione consulatus ad Marcum fratrem liber I. La première édition parue à Venise en 1541 fait partie de l’ensemble plus vaste de l’édition de l’œuvre en 10 volumes, échelonnée sur les années 1540-1546. Elle a connu de multiples reprises, notamment à Paris. L’édition utilisée par François L’Honoré est celle de 1555 (Venise également). Les textes philosophiques non compris dans cette édition ont été édités par Manuce dans : Marri Tullii Ciceronis Officiorum libri tres ; Cato major, vel de Senectute ; Laelius, vel de Amicitia ; Paradoxa stoicorum sex ; Somnium Sripionis, ex libro sexto de Republica, Venise, 1555 (également nombreuses reprises).
9François L’Honoré s’est également servi de l’édition des Tusculanes par Filippo Beroaldo (« Beroaldus », 1453-1505) : Commentarii quaestionum Tusculanarum editi a Philippo Beroaldo, cum Ciceronis textu, Venise, 1499, ainsi que de celle de Joachim Kammermeister (« Camerarius ») : Commentarii explicationum in M. T. Ciceronis Tusculanarum quaestionum libros V, Joachimo Camerario [...] autore, quorum primo et secundo adJulium Pflugum copiosa est inserta disputatio de imitatione, defensaque utilitas atque bonitas, et ratio quaedam quasique via demonstrata illius, una cum epistola ad Joannem Oporinum qua Apollonii Tyanei de imitatione quoque sententia declaratur, cum Ciceronis textu, Bâle, 1538.
10Pour le De finibus, mention est faite du travail de Pedro Juan Oliver (« Olivarius », dates incertaines) : Mar. Tull. Ciceronis de Finibus bonorum et malorum libri quinque, cum brevibus annotationibus Petri Joannis Olivarii Valentini, Paris, 1537, ainsi que de celui de Guillaume Morel (« Morelius », 1505-1564), Observationum Gulielmi Morelii, [...] in M. T. Ciceronis libros quinque de Finibus bonorum et malorum commentarius..., Paris, 1545.
11Une autre grande référence de l’érudition cicéronienne est l’édition d’ensemble de Denys Lambin (« Lambinus », 1519-1572) : M. Tullii Ciceronis opera omnia quae exstant a Dionysio Lambino emendata. Ejusdem D. Lambini annotationes, seu emendationum rationes, singulis tomis distinctae, Paris, 1565-1566 (les œuvres philosophiques forment le tome IV). On peut douter cependant que François L’Honoré ait directement travaillé sur cette édition. Il semblerait plutôt qu’il ait eu recours à une reprise telle que l’édition combinant le travail de Lambin et celui de Fulvio Orsini (« Fulvius Ursinus »), publiée par A. Scot à Lyon en 1608-1610 (8 tomes en 7 volumes dont les œuvres philosophiques forment le dernier).
12De la même manière, il convient de mentionner l’édition des Tusculanes procurée par Érasme (1469-1536) : M. T. Ciceronis Tusculanae quaestiones, per D. Erasmum, [...] diligenter emendatae et scholiis illustratae, Bâle, 1523 ; cependant là encore François L’Honoré a manifestement eu recours à une reprise rassemblant plusieurs travaux, sans doute M. T. Ciceronis. Tusculanarum quaestionum libri V : ad vetustissimum exemplar manu scriptum summa diligentia correcti et emendati, ac commentants [...] Georgii Vallae, Philippi Beroaldi et Joachimi Camerarii, deinde Erasmi [...], Jani Pagnini et Pauli Manutii variis lectionibus et scholiis illustrati..., Paris, 1549.
13Semblablement, François L’Honoré n’a sans doute connu le travail de P. Vettori (« Victorius », 1499-1585), M. Tullii Ciceronis opera, omnium quae hactenus excusa sunt castigatissima, nunc primum in lucem edita (a Petro Victorio), Venise, 1534-1537, que Par le biais d’une autre reprise importante due à Léger Duchesne (« Leodegarius a Quercu ») : M. T. Ciceronis Tusculanarum quaestionum lib. V, ad vetustiss. exemplaria manuscripta, nunc summa diligentia correcti et emendati, ac commentants clariss. virorum Philippi Beroaldi et Joachimi Camerarii, deinde Erasmi Roterodami, Pauli Manutii et Petri Victorii variis lectionibus et annotationibus illustrati. Quibus nunc primum accessit doctissimi cujusdam viri commentarius, cum annotationibus Eeodegarii a Quercu, Paris, 1558.
14Des grands noms de l’humanisme, mention doit être faite d’Adrien Turnèbe qui proposa d’importantes éditions et commentaires de Cicéron (lettres, discours, traités) ; les œuvres philosophiques concernées sont les Académiques I : Marci Tullii Ciceronis Academicarum quaestionum lib. I. In eundem commentarius, Adriano Turnebo auctore, Paris, 1553 ; le traité du destin (.De fato) : Marri Tullii Ciceronis liber de Fato, in eundem commentarius, Adriano Turnebo auctore, Paris, 1552 ; le traité des lois (De legibus) : M. T. Ciceronis de Leg. lib. III, in eosdem commentarii, Adr. Turnebo auctore, Paris, 1552. Seul de ces trois textes le livre I des Académiques figure dans le volume édité par François L’Honoré, tandis que les deux autres auraient dû figurer au tome IL Cela peut être la raison du silence de L’Honoré sur Turnèbe dans les passages du paratexte évoquant ses prédécesseurs ; en tout cas, au moins le travail sur les Académiques n’est pas ignoré, puisqu’il y est fait allusion en note sur un point de commentaire (p. 1, n. 1), mais on peut douter que François L’Honoré ait vraiment travaillé dessus.
15De même, l’édition des œuvres de Cicéron en Io volumes publiée d’après Janus Gruter (1560-1627) par Abraham et Bonaventure Elzevier à Lyon en 1642 (les tomes VII à IX comprenant les œuvres philosophiques) ne semble pas avoir fait l’objet d’un examen attentif, bien qu’une note de Gruter sur le texte du Lucullus, § 10 soit reprise p. 27, n. 1 (voir infra, n. 8).
16En revanche, en marge de ces travaux importants, il convient enfin de mentionner une édition mineure, mais dont François L’Honoré reconnaît s’être servi pour le De natura deorum (et qu’il critique en préface, p. XXVI-XXVII) : Pierre Lescalopier, s.j., Humanitas theologica, in qua M.T. Cicero de Natura deorum argumentis, expositionibus, illustrationibus nunc primum insignis in lucem prodit.Paris, 1668.
ÉDITION AD USUM DELPHINI
17L’édition procurée par François L’Honoré, laissée inachevée (manque le second tome) et, pour le tome paru, d’une qualité médiocre, ne paraît pas avoir été reprise.
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18Il convient de distinguer les deux états recensés plus haut : les renseignements fournis dans ce descriptif s’appliquent au second état (exemplaire BNF Réserve R 434) ; ils sont suivis de l’indication des principales caractéristiques divergentes de l’état antérieur (exemplaire BNF Réserve Z 1595).
TITRE
19Identique pour les deux états :
20M. TULLII | | CICERON IS | | OPERA PHILOSOPHICA. | | INTERPRETATIONE AC NOTIS ILLUSTRAVIT | | FRANCISCUS L’HONORE E SOC. JESU. \ | JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINI. | | TOMUS PRIMUS. \ | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud Viduam CLAUDII THIBOUST, | | ET | | PETRUM ESCLASSAN, Jurat. Bibliopol. Universit. Ordin. | | via D. Joan. Lateran. è regione Collegii Regii. | | [filet] | | M.DC.LXXXIX. | | CUM PRIVILEGI0 REGIS.
FORMAT
21Les deux états sont au format in-4°. Dans l’état R 434 la page de titre occupe le premier folio du premier cahier, puis suivent 30 pages de pièces liminaires (épître dédicatoire au Dauphin et préface au lecteur), numérotées de [III] à XXXij, puis le texte de Cicéron paginé de [I] à 614. Dans l’état Z 1595, on trouve un premier cahier comportant trois feuillets blancs puis la page de titre, puis les pièces liminaires occupent les 32 pages suivantes, signées a [4] – e – i – o [4], présentant l’épître au Dauphin et la préface au lecteur dans une mise en page plus aérée que la version suivante ; ensuite, le texte de Cicéron ne présente pas de pagination suivie : chaque traité forme un ensemble paginé en chiffres arabes à partir de I (cependant les deux premiers livres du De officiis, qui ferment le volume, sont paginés séparément, voir infra) ; les ornements gravés sur bois (bandeaux, cul-de-lampe) qui ornent l’ouvrage sont différents de ceux de l’état postérieur ; la typographie change également, bien que les caractères restent très proches.
CONTENU
22Le volume comporte, avant le texte, l’épître au Dauphin (Z 1595 : 8 pages, a [I] r° – a [4] v° ; R 434, 8 pages, [III]-X) et une préface au lecteur (Z 1595 : 24 Pages, e M r° – o [4] v° ; R 434, 22 pages, XJ-XXXIJ). Le texte lui-même comprend les traités suivants :
23– p. I-20 (R 434 et Z 1595) : Marci Tullii Academicarum Quaestionum Liber Primus ad Varronem [= Academica Posteria I] ; le texte est précédé d’une lettre de Cicéron à Varron sans référence (il s’agit de Adfamiliares IX, 8)
24– p. 21-86 (R 434 et Z 1595) : Marci Tullii Academicarum Quaestionum Liber IV qui inscribitur Lucullus [= Lucullus = Academica Priora II]
25– p. 87-258 (R 434) ; p. 1-172 (Z 1595) : De Finibus Bonorum et Malorum, ad Brutum (en 5 livres)
26– p. 259-454 (R 434) ; p. 1-196 (Z 1595) : Marci Tullii Tusculanarum Quaestionum ad Brutum Lib(ri) [= Tusculanes] ; l’intitulé de chaque livre est assorti d’un sous-titre ajouté par l’éditeur :
27• De contemnenda morte
28• De tolerando dolore
29• De aegritudine lenienda
30• De reliquis animiperturbationibus
31• Virtutem ad beate uiuendum se ipsa esse contentam
32– P-455-614 (R 434) ; p-1-160 (Z 1595) : De Natura Deorum, ad M. Junium Brutum (en 3 livres).
33Il est remarquable que l’état antérieur Z 1595 comporte, en plus et à la suite des traités précités, les deux premiers livres du De officiis (le traité cicéronien, conservé dans son intégralité, en comprend trois), signe d’un travail en cours et loin de son état d’achèvement (pour ces deux livres, l’interpretatio quasi absente et l’annotation nettement plus légère que pour les autres traités confirment ce jugement). De plus, alors que les livres des autres traités formant des ensembles achevés sont paginés en continu, les deux livres du De officiis sont paginés séparément l’un de l’autre (p. 1-55 [+ 1 page blanche] et p. 1-32 [+ 2 P blancs]), preuve supplémentaire d’une publication intermédiaire, sinon hâtive.
34Pour tous les titres, le texte de R 434 est assorti d’une numérotation des paragraphes (à gauche) et des lignes (de 5 en 5, à droite). (Le texte antérieur de Z 1595 est disposé en miroir, numéros de paragraphes à l’extrémité extérieure des pages, numéros de lignes au centre du côté de la reliure.) L’interpretatio se place sous le texte, l’annotation sous l’’interpretatio, l’annotation est disposée sur deux colonnes. La numérotation des notes recommence à chaque page, cependant il subsiste quelques traces d’une numérotation continue, vraisemblablement antérieure à la mise en page définitive4. Les appels de note sont alphabétiques pour l’interprétatio, chiffrés pour l’annotation ; dans les deux cas, l’appel précède le terme ou le passage désigné ; dans un petit nombre de cas, l’appel est manquant. Dans l’annotation, le numéro de note est suivi de la reprise du mot ou des premiers mots du passage concerné, en italique, citation fermée par crochet droit. L’édition comporte un certain nombre de fautes, y compris dans les titres (Fin. II, p. 315) et la numérotation des pages et des paragraphes ; les fautes sont fréquentes sur les mots ou passages cités en grec. Le volume ne comporte pas de pièces annexes.
35Certaines fautes dans la numérotation des paragraphes ne sont pas seulement ponctuelles, mais entraînent un décalage de toute la numérotation subséquente dans le livre par rapport au système de référence standard. Ces fautes interviennent aux endroits suivants :
- en Fin. III, reporte le numéro 23 à « ut enim histrioni » (= § 24 dans la numération standard), d’où décalage d’un numéro dans la suite
- en Fin. IV, deux erreurs : comme précédemment, reporte le numéro 28 a « cuiuscumque enim » (= § 27 standard), d’où un premier décalage d’un numéro, puis reporte le numéro 44 (dans sa numérotation déjà décalée) à « Minime uero illud » (= § 46 standard), d’où finalement deux numéros de décalage ; on notera que cette seconde erreur procède sans doute d’une correction maladroite du premier état : en Z 1595, déjà fautif, le numéro 44 (qui, compte tenu du premier décalage, aurait dû correspondre au numéro 45 standard) est absent : la correction de R 434 a en fait introduit ce numéro à tort en lieu et place du suivant
- en Tusc. IV, le § 35 dans la référence standard est numéroté 36 (manque le numéro 35), avec décalage subséquent d’un numéro (l’état R 434 corrige cependant une erreur de Z 1595, où le numéro 37 est appliqué deux fois, d’où un deuxième décalage) ; vers la fin du même livre, le numéro 79 (avec décalage) est appliqué à « Eorum uiscera apponit » (passage compris dans le § 77 standard) et un nouveau décalage est introduit par l’application du numéro 80 au § 78 standard (en Z 1595 l’application des numéros présente de légères différences – de quelques lignes – sur les ultimes paragraphes de ce livre).
36Dans sa préface (p. XI), François L’Honoré annonce la parution prochaine d’un second tome, qui n’a pas vu le jour. Celui-ci aurait compris :
- De diuinatione
- De fato
- De legibus
- De universitate I (traduction cicéronienne du Timée de Platon)
- De officiis
- De senectute
- De amicitia
- Paradoxa stoicorum
- le. Somnium Scipionis avec les fragments du De republica (le Songe de Scipion est un fragment du livre VI perdu)
- la traduction par Cicéron des Phénomènes d’Aratos.
37De fait, l’annotation du premier tome renvoie fréquemment à celle du second, en particulier à l’annotation du De officiis ; la préface présente également quelques remarques destinées à figurer dans l’annotation du De senectute. Comme indiqué précédemment, les deux premiers livres seulement du De officiis ont fait l’objet d’une première publication dans l’édition Z 1595, représentant un travail encore inabouti (voir supra).
38Pour dresser un bilan de ces deux états, on peu dire que l’antériorité de l’état Z 1595 sur l’état R 434 ne fait aucun doute, mais il convient de revenir sur la qualification de ce second état. L’hypothèse d’une contrefaçon est envisageable, mais certains indices n’y sont pas favorables. Les principaux éléments du dossier sont les suivants :
39– Jacques-Charles Brunet souligne dans sa bibliographie (t. II, col. 16) l’extrême rareté du premier état : « Des circonstances restées inconnues sont venues interrompre l’impression de cette partie du Cicéron ad usum, de laquelle le seul volume existant n’aura probablement pas été mis en vente, et aura même été détruit, à l’exception de quelques exemplaires. Voilà pourquoi ce volume (il s’agit de l’édition originale) est certainement le plus rare de tous ceux de la série ad usum... » Brunet parle alors de « seconde édition » pour décrire l’état R 434.
40De fait, on attendrait d’une contrefaçon une reprise plus ou moins servile de l’édition originale ; or à plusieurs égards, comme l’a montré l’étude de détail, l’état R 434 manifeste une claire intention d’amélioration tant de la présentation (pagination notamment) que du contenu (corrections) : cela porte plutôt la marque d’une intervention auctoriale ou éditoriale. La publication rapide (la même année) d’une nouvelle édition corrigée et jugée définitive explique alors la rareté, et l’éventuelle destruction, des volumes de l’édition originale.
41La modification la plus importante, avec le changement de pagination, est bien entendu la disparition des deux premiers livres du De officiis : en fait, l’édition de ces deux seuls livres, séparés du troisième, constituait une aberration qui ne pouvait se justifier que par le caractère d’ébauche d’un premier état appelé à être rapidement remplacé par une édition ultérieure définitive. On peut imaginer qu’un contrefacteur prenne l’initiative d’amputer un ouvrage d’un traité incomplet, mais il paraît plus vraisemblable que ce soit le fait de L’Honoré lui-même : celui-ci a très bien pu proposer dans l’édition originale un premier tirage, non définitif, de son travail encore inachevé sur le De officiis, et exclure celui-ci d’une édition voulue définitive du premier tome de son édition : de fait, la préface (p. XI) annonce clairement que le De officiis devait paraître non pas dans le premier volume, mais dans le second, ce qui justifie son exclusion de l’état R 434. Quant aux circonstances restées inconnues pour Brunet de l’inachèvement des Opera philosophica, le Journal des savants de novembre 1727 explique l’abandon du travail en cours et la non-parution du second volume par « la mort de M. de Montausier qui fournissait aux frais de l’impression5 ».
42Aucun autre volume de la collection Ad usum Delphini n’a fait l’objet de contrefaçon. Deux traits exceptionnels cependant ont pu valoir un tel privilège au travail de L’Honoré, si l’on songe que tout ouvrage peut être contrefait dès lors qu’il se vend : d’une part, la réputation sulfureuse de L’Honoré lui-même (voir présentation, supra), d’autre part, l’inachèvement de son travail, s’il est vrai (voir la notice de Brunet) que le volume édité par L’Honoré n’a pas connu une diffusion normale, une contrefaçon a pu être proposée pour compléter la collection. Ces arguments peuvent toutefois paraître insuffisants pour confirmer l’hypothèse de la contrefaçon, alors que les éléments précédemment évoqués suggèrent plutôt une nouvelle édition proposée par L’Honoré ou son éditeur.
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43L’établissement du texte représente un travail personnel dont François L’Honoré expose les principes dans sa préface. Ainsi annonce-t-il suivre l’édition de P. Manuce, parue à Venise en 1555, mais enrichie des scholies et conjectures manuscrites de Marc-Antoine Muret (« Muretus »). Cependant, il revendique le droit de puiser son bien chez d’autres éditeurs également (voir liste supra) et de soumettre tous ses prédécesseurs à un rigoureux examen. Mais il est difficile d’isoler au juste la contribution personnelle de François L’Honoré ; celui-ci précise en effet qu’il ne signalera pas toutes ses corrections, il entend ainsi se conformer aux prescriptions des commanditaires en proposant une édition érudite mais non critique, et par là même se distinguer de ses prédécesseurs qui ont surchargé leur texte de notes critiques « jusqu’à la nausée6 ». La lecture de l’ensemble laisse voir que les corrections de détail sont passées sous silence, tandis que les remaniements importants, ainsi que les corrections mettant en cause le sens d’une phrase ou l’identité d’un personnage, font l’objet d’une note prévenant du caractère corrompu du passage7. Deux méthodes sont utilisées conjointement : soit la note donne les lectures concurrentes de celle proposée dans le texte, avec mention de leur auteur, et, éventuellement, discussion8 ; soit le texte est celui d’une édition antérieure (le plus souvent sans identification explicite), et dans ce cas la note peut proposer les lectures d’autres éditeurs, François L’Honoré avançant éventuellement une hypothèse personnelle9. En tout cas, aucune mention n’est faite des manuscrits10, et le choix d’une lecture, lorsqu’il est justifié, s’appuie volontiers sur des considérations historiques ou prosopographiques extérieures à la logique du texte (voir infra). Évaluée dans sa globalité, l’édition procurée par François L’Honoré n’apporte rien de significatif au travail accompli par les éditeurs du siècle précédent dont elle constitue une sorte de synthèse, agrémentée de variantes parfois heureuses, mais souvent fantaisistes. Le contenu de ces textes philosophiques n’appelait pas de censure.
44L’épître et la préface sont pour François L’Honoré l’occasion d’exposer sa méthode et de souligner ce qui l’intéresse dans les œuvres philosophiques de Cicéron.
45L’epistola développe la rhétorique d’usage dans un cadre inspiré de l’œuvre présentée : le thème principal en est celui, très cicéronien, de l’otium cum dignitate. Le rôle pédagogique qui revient au procurateur d’une telle édition s’accommode volontiers d’une valorisation de l’étude, à laquelle le Dauphin est invité à faire toute sa place. L’exemple cicéronien – Versailles comparé à Tusculum – est également complété d’autres modèles, plus conformes sans doute au contexte moderne : à côté d’un renvoi au héros romain Fabricius, François L’Honoré développe un parallèle entre l’éducation du Dauphin selon les intentions du Roi et celle voulue par Philippe de Macédoine pour son fils Alexandre. L’épître s’achève sur un appel à ne pas négliger la philosophie, dans l’idée platonicienne que « l’État connaîtra le bonheur, lorsque les rois philosopheront et que les philosophes régneront11 ». Mais la philosophie telle que l’entend François L’Honoré n’a pas grand-chose de platonicien – ni même de cicéronien. Le Dauphin et à travers lui le lecteur sont surtout invités à développer leur culture générale, avec les Opera philosophica comme outil et la philosophie comme prétexte. C’est en tout cas ce que suggère également la préface, en anticipation de l’effet produit par l’imposante annotation.
46La préface au lecteur est consacrée, dans sa plus grande partie, à la justification de l’établissement du texte (voir supra) et des choix d’interprétation proposés dans l’annotation. Dans la présentation de son travail de correction, François L’Honoré revendique trois types d’intervention :
- rejet d’une interpolation ancienne : illustré par un exemple relatif à la carrière de Caton (p. XIII-XIV)
- rejet d’une lecture proposée par un éditeur antérieur : exemple de Tusc. III, 46, contre Béroalde (p. XV-XVI)
- correction des confusions et des erreurs de Cicéron lui-même : les pages XVI-XX fournissent ainsi divers exemples de contradictions ou d’impossibilités d’ordre prosopographique ou chronologique.
47Ce dernier point est revendiqué par François L’Honoré comme l’une des marques distinctives de son travail, par opposition à l’excessive révérence avec laquelle ses prédécesseurs ont abordé le texte cicéronien (p. XX). Il convient cependant de noter que dans l’ouvrage, en règle générale, ces corrections sont proposées en note et non intégrées dans le texte. Ces éléments relèvent en fait du commentaire plutôt que de la « correction » et de l’établissement du texte proprement dit : sans doute le fait que le procurateur ne distingue pas rigoureusement les deux domaines est-il significatif du faible degré de scientificité de son travail. Il est manifeste que François L’Honoré s’est avant tout soucié de rassembler une impressionnante érudition autour, plutôt qu’au service, du texte cicéronien, comme le confirme la présentation qu’il fait de son commentaire.
48Cette présentation ne pose pas de principes généraux, mais fournit de nombreux exemples d’une démarche consistant pour l’essentiel à corriger les erreurs de détail des commentaires précédents, en particulier dans l’identification de tels ou tels personnages (également quelques notations topographiques ou institutionnelles). Les pages XXIII à XXVII passent ainsi successivement en revue Alde Manuce, Fulvio Orsini et Lescalopier. Les sources secondaires sont également évoquées, principalement, chez les Anciens, Pline dont François L’Honoré relève certaines erreurs, et chez les Modernes, P.j. Cantel, commentateur de Valère-Maxime s’en rapportant souvent aux œuvres philosophiques de Cicéron (p. XXVIII-XXX ; voir infra). En anticipation, sans doute, de l’annotation du tome II, car la référence (p. XXI) est faite à un passage mal compris du début du De legibus II, François L’Honoré entend également corriger ce qui lui semble la plus insigne des erreurs véhiculées par tous ses prédécesseurs réunis, et démontrer que Cicéron n’est pas originaire d’Arpinum...
49La préface s’achève sur les éloges de rigueur adressés aux commentateurs, jouant du parallèle avec la culture antique – Montausier comparé à Caton l’Ancien, Bossuet à Augustin et Huet à Varron.
50L’annotation, qui a concentré l’essentiel de l’attention du procurateur, confirme l’impression laissée par la préface. On peut dès l’abord distinguer notes philologiques et notes de commentaire. Les premières, déjà évoquées plus haut, sont, sans surprise vu la nature de la collection, nettement minoritaires et souvent laconiques, sauf là où le point d’établissement du texte donne à François L’Honoré l’occasion de manifester son érudition dans le domaine de la prosopographie ou des realia12. Pour ce qui concerne les notes de commentaire, l’ensemble frappe par l’hétérogénéité des types de notes selon les traités ainsi que par la variété des contenus. Il est clair que le procurateur n’a pas défini pour l’ensemble de l’œuvre un système d’annotation homogène, mais a varié dans sa méthode selon la nature des textes auxquels il était confronté (et peut-être aussi selon une évolution dans le temps, un certain nombre d’indices laissant penser à une composition discontinue) ; d’autre part, il n’a semble-t-il pas craint de prendre de grandes libertés par rapport aux principes directeurs de la collection, accordant une nette priorité à ses propres préoccupations.
51Il convient tout d’abord de préciser qu’en règle générale, l’annotation est abondante, et composée de notes souvent détaillées. Une telle prolixité laisse cependant apparaître des orientations privilégiées. On peut ainsi distinguer, outre les notes portant sur l’établissement du texte, les types de notes suivants :
52– Ouvrant l’annotation de chaque traité, les notes introductives tiennent lieu de notices liminaires, mais le type de renseignements fournis varie selon l’œuvre : pour les Académiques, la note détaille les circonstances de la rédaction, et esquisse un tableau du corpus philosophique de Cicéron ; l’ouverture du De finibus fait l’objet d’une note brève sur la date de composition du traité et les circonstances de la dédicace à Brutus ; une note brève explique également le titre des Tusculanes et date le traité ; la première note du De natura deorum présente seulement le dédicataire Brutus (meurtrier de César), déjà dédicataire du De finibus et des Tusculanes. À cet ensemble on peut ajouter la deuxième note des Tusculanes, qui présente les principaux commentaires antérieurs que François L’Honoré a utilisés pour son propre travail.
53– Les notes historiques, biographiques et culturelles représentent la partie la plus considérable du travail de François L’Honoré. La multiplicité des références au contexte historique et culturel dans le texte cicéronien justifie un tel soin, toutefois on sent également le commentateur mû par l’intention de développer la culture de son lecteur en lui fournissant maintes informations que n’appelle pas forcément le texte commenté. Quatre domaines sont particulièrement privilégiés :
54• la biographie des personnages historiques : Aucun détail du cursus honorum ou de la prosopographie n’est laissé de côté. Il arrive que la notice personnelle évolue vers le portrait moral, volontiers édifiant : par exemple Tusc. I, 5, p. 262, n. 4-8, sur les orateurs romains ; Fin. II, 30, p. 128, n. 1, illustrant l’insignis modestia de M. Curius ; Luc. 15, p. 31, n. 2 : portrait de Fannius qui n’intervient pourtant que comme témoin à propos de Scipion Émilien (de même sur Libo, Acad. Post. 3, p. 4, n. I) ; Tusc. III, 21, p. 354, n. 4 sur Callisthène donné en martyr de la liberté et de la franchise. Inversement, l’information sans commentaire l’emporte dans le catalogue de personnages, par exemple les Sept Sages ou les rois de Macédoine (Tusc. V, 7, p. 414, n. 2 et Tusc. V, 34, p. 424, n. 3). Il est remarquable qu’en Fin. II, 54-67 l’annotation soit abondante pour les figures romaines évoquées, mais absente pour les personnages grecs (§ 67) ;
55• l’histoire ancienne : elle donne lieu à des explications parfois très détaillées : voir Fin. V, 64-70, p. 246-248 ; Tusc. I, 89, p. 298, n. 1-8 ; Tusc. V, 54-56, p. 430-431 ; ND II, 6-15, p. 509-515. Le traitement de l’information historique (et cela comprend les éléments biographiques évoqués précédemment) se partage souvent entre deux orientations, soit l’attention à l’anecdote, soit la valorisation de l’héroïque : dans le premier sens, voir Fin. Il, 7, p. 118, n. 1 (sur les Sept Sages) ; Fin. II, 90, p. 150, n. 2 et Tusc. I, 71, p. 289, n. 4 et p. 290, n. 1 (sur Socrate) ; Fin. V, 3, p. 221, n. I (sur le procès de Sophocle) ; Tusc. IV, 25, p. 389, n. 3 (sur Timon) ; Tusc. IV, 79 (numéroté « 81 »), p. 410, n. 2-3 (Clytus et Alexandre) ; dans le second sens, voir Tusc. I, 101 (numéroté par erreur « 110 »), p. 305, n. 2et6 (récit de la bataille des Thermopyles, complété par la citation de l’épitaphe des héros) ; Fin. II, 112, p. 158, n. 3 et p. 159, n. 1 et 2 (sur l’armée perse de Xerxès et ses prouesses lors de l’invasion de la Grèce) ; Tusc. II, 52, p. 338, n. 1 et p. 339, n. 1-2 (récits détaillés des morts héroïques de Zénon d’Élée, d’Anaxarque et de Calanus, à mettre en parallèle, dans le mythe, avec celui de la mort d’Hercule, Tusc. II, 19, p. 321, n. 3) ;
56• les realia et les pratiques culturelles : abondance de précision, là encore, lorsqu’il s’agit d’éclairer les références aux choses anciennes – architecture, urbanisme, archéologie : par exemple ND I, I, p. 455, n. 3 sur les gymnases athéniens ; ND I, 15, p. 462, n. I sur les « balcons » – et aux aspects de la vie quotidienne qui s’y rapportent : par exemple sur l’exercice de la rhétorique et de la philosophie (Fin. II, I, p. 115, n. 4 ; ND II, I, p. 506, n. I) ; sur les cuisiniers et la gastronomie à Rome (Fin. II, 23-25, p. 124-126) ; sur les fêtes romaines (ND I, 15, p. 461, n. 6) ; sur le calcul des votes et les modes de calcul anciens en général chez divers peuples (Fin. II, 60, p. 138, n. 4) ;
57• la mythologie : L’annotation éclaire les moindres allusions à la fable ; voir en particulier l’impressionnante annotation de ND II (consacré à la théologie stoïcienne, avec de multiples citations poétiques et références au mythe), et aussi celle de ND III, mêlant anecdotes, listes de personnages (Muses, ND III, 54, p. 593, n. 3), variantes, analyses étymologiques et réalités géographiques. On rencontre en Tusc. V, 8, p. 414, n. 7 une intéressante tentative de rationalisation du mythe (sur Prométhée) ; dans le même esprit est dénoncée la fiction du chant du cygne, en Tusc. I, 73, p. 290, n. 3.
58– Les notes explicatives apportent un éclairage précis sur un point particulier ; deux types d’explication sont requis :
59• l’allusion : souvent à un personnage qui n’est pas explicitement nommé (par exemple les philosophes Calliphon et Diodore en Fin. II, 42, p. 131, n. 3-4), mais aussi à un événement particulier (Acad. Post. 11, p. 8, n. 3 : mort de Tullia, fille de Cicéron) ou au contexte historique (Acad. Post. 2, p. 3, n. 2 : dictature de César). L’annotation identifie en particulier les tenants de doctrines sans attribution explicite (par exemple Tusc. I, 18, p. 268, n. 1-5 exposant diverses opinions sur la mort ; Tusc. 1,50, p. 281, n. 1, explicitant plurimi comme Epicurei et Diagoraei) ;
60• le vocabulaire : ce type de note satisfait pleinement à l’objectif pédagogique de la collection. Les termes rares ou jugés trop techniques font l’objet d’une explication succincte, assortie d’éventuelles considérations étymologiques, historiques ou culturelles, avec à l’occasion le parallèle terme latin/terme(s) grec(s) : voir minutus, Fin. I, 61, p. 111, n. 1 (d’après Muret) ; mulsum, Fin. II, 17, p. 121, n. 6 (sens et nature grammaticale du mot) ; menae, Fin. II, 91, p. 150, n. 5 (différend entre Nonius et Pline sur la question) ; euitari, Tusc. I, 85, p. 295, n. 11 (note de vocabulaire sur les mots de la même famille).
61– Ensuite, les notes philosophiques révèlent l’esprit du travail entrepris. Les textes de Cicéron, associant information doxographique et réflexion personnelle, appelaient un appareil important d’annotation à destination d’un lecteur non spécialisé. L’intention pédagogique du commentateur se lit dans une annotation essentiellement factuelle et synthétique ; et les limites de son entreprise sont aussi celles de sa compréhension du texte, et, plus généralement, des problèmes philosophiques. On peut ainsi distinguer :
62• notes biographiques et historiques : François L’Honoré prend soin d’identifier les philosophes évoqués par Cicéron (voir supra, « Notes explicatives »). Selon une volonté évidente de consolider la culture du lecteur en matière d’histoire de la philosophie, ces identifications sont souvent assorties de précisions sur l’histoire des écoles : par exemple sur le dénombrement des « Académies » (Acad. Post. 13, p. 9, n. I et Luc. 16, p. 3I,n. 3), ou bien sous la forme (d’ailleurs ancienne) de listes de succession de scholarques ou plus simplement de philosophes de même obédience (les Socratiques en Luc. 75, p. 54, n. 5). Un soin particulier est mis à distinguer les homonymes : toute occurrence (ou presque) d’un nom de philosophe donne lieu au dénombrement de ceux-ci, souvent avec présentation des plus importants ; la note reprend alors en substance Diogène Laërce, qui termine toujours de la sorte ses notices personnelles. Parmi tant d’exemples, on retiendra surtout la note à « Dionysus » en Luc. 71, p. 52, n. 4, qui développe des considérations chiffrées sur la multitude des homonymes connus dans le domaine de la philosophie ancienne (Pythagore, Hippocrate, Socrate, Platon, Aristote, Héraclite), précisant que Dionysus bat tous les records (50 homonymes), et s’achève sur une collation des différentes versions relatives au personnage évoqué par Cicéron (Denys d’Héraclée). Il est à noter que le même philosophe peut faire l’objet de notes différentes, fût-ce à peu de pages de distance, comme c’est le cas pour Arcésilas, en Fin. V, 10, p. 224, n. 2 (notice biographique) et Fin. V, 94, p. 257, n. 3 (synthèse philosophique) ;
63• notes doctrinales et de synthèse : Elles constituent le pendant de la catégorie précédente ; il s’agit d’éclairer le propos cicéronien par un résumé sommaire du point de doctrine évoqué ou de la pensée du philosophe cité (par exemple Fin. III, 20-21, p. 170, n. 1-5, notes avec nombreuses citations et termes grecs synthétisant la théorie morale stoïcienne). La note peut viser au-delà de l’éclaircissement du texte commenté, apportant un complément d’information : ainsi en Fin. III, 32, p. 175, n. 3 et Fin. III, 54, p. 182, n. 2 et 3, l’exposé cicéronien est-il complété de l’information fournie par Diogène Laërce sur le point concerné. De manière générale, le commentaire tend à donner une information de culture générale souvent enrichie de référence à d’autres textes, soit proprement philosophiques (essentiellement Platon) soit doxographiques (Diogène Laërce) ; le vocabulaire philosophique latin créé par Cicéron est le plus souvent explicité par citation des termes techniques de la philosophie grecque (cela est particulièrement vrai dans le De finibus pour les lexiques épicurien et stoïcien ; en logique, voir par exemple Acad. Post. 19-20,p. 11, n. 2-3).
64L’annotation philosophique révèle cependant ses limites. Globalement, on peut dire que le goût de l’anecdote, qui triomphe par exemple dans la notice sur Héraclide du Pont (Tusc. V, 8, p. 415, n. I), l’emporte sur l’approfondissement de la pensée. À l’évidence, François L’Honoré ne se sent à son aise que dans le domaine de la philosophie morale, tandis que la logique (théorie de la connaissance) et la physique ou métaphysique ne l’inspirent guère, d’où un déséquilibre notable dans l’économie générale du volume de ce point de vue : l’annotation de cet ordre est abondante et détaillée sur les textes de doxographie éthique (De finibus), rare et laconique sur les textes comme les Académiques ou le De natura deorum. à titre d’exemple, les § 31 à 42 du Lucullus (p. 37 à 41) n’ont droit qu’à une seule note, et encore sur un problème textuel ; les pages métaphysiques de Tusc. I, 53-56 n’ont de même inspiré aucune note au commentateur ; même dans le domaine de la philosophie morale, la troisième Tusculane, consacré au problème du chagrin dans l’optique stoïcienne, ne reçoit pratiquement aucune note de nature philosophique (le travail sur ce livre paraît rapide et assez peu soigné). Des aspects pourtant capitaux des doctrines évoquées ou bien de l’argumentation cicéronienne sont ainsi passés sous silence : en Luc. 49, p. 44, n. 1, la référence à l’argument dit du « sorite », essentiel dans l’argumentation anti-stoïcienne dont il est ici question, ne donne lieu qu’à une explication de vocabulaire, alors qu’on doute que le lecteur moyen soit de luimême suffisamment armé pour comprendre le passage. Les notes d’explication elles-mêmes manquent parfois d’éclairer l’essentiel, en des points où l’on peut légitimement soupçonner le commentateur d’ignorance : ainsi en Acad. Post. 5, p. 4, n. 3-4, la présentation des philosophes Amafinius et Rabirius omet le point crucial, à savoir leur adhésion à l’épicurisme, alors que c’est précisément cet épicurisme à succès qui est la cible de Cicéron dans ce passage. Du reste, François L’Honoré a parfois la franchise de reconnaître ses lacunes, qui sont aussi souvent celles de son époque. Il est clair que l’histoire très confuse de la fin de l’Académie historique, avec le conflit entre Philon de Larissa et son ancien disciple Antiochus d’Ascalon, échappait largement aux savants de l’époque ; cela a pour effet de laisser dans l’obscurité bien des aspects importants du texte cicéronien : ainsi par exemple de la question des livres romains de Philon, évoqués en Luc. 11, et dont François L’Honoré avoue « qu’[il] n’[a] trouvé nulle part quels étaient ces livres » (nuspiam comperi, qui essent ii libri, p. 27, n. 6) ; une ignorance analogue, de portée beaucoup plus limitée, est avouée à propos de la théorie d’Ariston en Fin. IV, 42, p. 206, n. I (ignorance également avouée par Morel). À l’ignorance se joint aussi parfois l’erreur ou l’incompréhension : exemple net, en Fin. II, 68, p. 143, n. 4, François L’Honoré rejette à tort la leçon Themista proposée avec raison par Lambin, pour lui substituer un Themistocle qui ôte tout sens à l’argumentation de Cicéron, car il n’a pas compris (« Que Themista a-t-elle à faire ici ? », Quid enim Themista ad rem ?) que celui-ci mentionnait cette disciple d’Épicure, femme de Léonteus de Lampsaque, pour dénoncer le peu de sérieux des références épicuriennes. Un dernier point mérite d’être souligné : François L’Honoré s’est montré particulièrement avare de jugements de valeur. Quelques notes égratignent en passant Épicure, son caractère et sa doctrine (Fin. II, 6, p. 117, n. 3 ; ND I,61, p. 479, n. 4 ; ND I, 93, p. 493, n. 8), ou encore soulignent la justesse de la réfutation d’Hérillus par Lactance (Fin. II, 43, p. 132, n. 1-2), mais pour l’essentiel son commentaire paraît dépourvu de toute intention polémique à l’égard des pensées antiques.
65– Enfin, un nombre non négligeable de notes prennent prétexte d’un terme ou d’un passage du texte cicéronien pour présenter une information qui n’est pas indispensable à la compréhension du passage. De telles notes n’ont parfois qu’un rapport lointain avec le passage concerné, comme ces notices détaillées sur deux consuls mentionnés uniquement comme éponymes de l’année en Tusc. I, 3, p. 260, n. 8-9, ou bien la longue évocation des circonstances de la représentation et de l’édition de l’Andrienne en Fin. I, 4, p. 89, n. 7 ; la plupart ne sont cependant pas dépourvues de raison d’être : on y lit l’intention du procurateur d’accroître les connaissances du lecteur, soit en matière de vocabulaire, soit dans divers domaine du savoir (ainsi des considérations de géométrie en ND I, 24, p. 465, n. 2-4, qui n’éclairent pas la théorie de la sphéricité du dieu exposée dans le texte mais qui pourraient constituer un exemple de discours scientifique en latin), soit encore dans l’ordre de la culture générale (ainsi de la note, inutile par rapport au texte, consacrée à l’invention de la musique en Luc. 91, p. 62, n. 2 ; même chose en Tusc. I, 62, p. 285, n. 1-2 sur les arts). François L’Honoré a ses domaines de prédilection : ainsi tout ce qui a trait à l’astronomie (Luc. 82, p. 58, n. 1-2), à la climatologie et plus généralement à la géographie (voir p. 509-515 ; p. 527-529), mais aussi à la zoologie (Luc. 80, p. 57, n. 3 sur les taupes, avec revue des théories savantes d’Aristote à Scaliger ; Tusc. V, 117, p. 452, n. 6 sur la cantharide ; ND I, 101, p. 497, n. 1 et 3 sur divers animaux égyptiens ; surtout l’abondante annotation à ND II, 121-130).
66À cette catégorie se rattache un type de notes par lequel le commentateur a voulu satisfaire à l’ambition pédagogique de la collection : il s’agit d’attirer l’attention sur l’origine ou la signification d’un adage ou d’une expression idiomatique qui ne se trouve pas dans le texte cicéronien (en ce sens la note dépasse sa fonction stricte), mais se rencontre dans d’autres textes latins, ou bien appartient (ou doit appartenir) au bagage culturel du lecteur moderne. Ainsi, dès Acad. Post. I, p. 2, n. I, l’évocation de la ville de Cumes donne l’occasion d’abord de distinguer Cumes en Campanie (dont il s’agit dans le texte) et Cumes en Asie mineure, puis d’expliquer par la réputation de sottise des habitants de cette seconde ville l’adage Cumani sero sapiunt (les gens de Cumes « sont longs à la comprenette ») ; de même, à deux reprises (Fin. II, 15, p. 121, n. 4 et Tusc. I, 38, p. 277, n. 1), l’annotation explique par référence à l’obscurité notoire de la théorie mathématique du Timée l’expression Platonis obscurius numeris (« plus obscur que les nombres de Platon »).
67De manière générale, l’annotation s’inscrit clairement dans une tradition d’érudition qu’on ne peut comparer à nos méthodes modernes. À cette tradition se rattache également une pratique plus ou moins commune à tous les types d’annotation du volume, consistant à prendre occasion du texte lu pour donner à lire d’autres textes anciens, toujours sans doute dans le même esprit d’accroissement de la culture générale du lecteur. Il n’est pas jusqu’aux notices biographiques qui ne fournissent une telle occasion, ainsi par exemple la note consacrée à Marius en Luc. 13, p. 30, n. 3, qui donne le texte intégral d’une inscription poétique honorant le héros romain. Deux types de citations peuvent être distingués :
68– la citation d’éclaircissement : le plus souvent en contexte philosophique, elle donne le texte généralement bref d’un auteur source (Platon, Epicure ou Diogène Laërce) ; lorsqu’il s’agit d’un texte grec, la citation peut être donnée soit en grec (par exemple Platon en Fin. I, 47, p. 107, n. I), soit en traduction latine (par exemple Épicure, Lettre à Hérodote, en Fin. II, 117, n. 1) ;
69– la citation pédagogique ou d’ornement : souvent poétique (Virgile, Horace, Juvénal, Ovide sont les auteurs les plus cités) elle ne vise pas à conforter la compréhension du texte, mais donne à lire un texte apparenté au texte cicéronien par le sujet ou seulement par la récurrence d’un même terme, sans autre fin obvie que cette lecture même. Le procédé est étendu à d’autres textes cicéroniens, que le commentateur juge opportun de faire connaître au lecteur (ainsi une Lettre à Quintus, en Tusc. II, 62, p. 343, n. 6 ; de même la longue citation de la Lettre ad fam. XV, 16 en Fin. I, 21, p. 97, n. 4). Une variété particulière de ce type complète la présentation d’un auteur évoqué dans le texte par la citation d’un jugement porté sur lui par un autre auteur : par exemple ceux d’Augustin sur Varron (Acad. Post. 2, p. 3, n. 3), de Sénèque sur Théophraste (Acad. Post. 32, p. 15, n. 3), de Cicéron lui-même (dans le Brutus) sur les Origines de Caton (Tusc. I, 3, p. 261, n. 3).
70Enfin, François L’Honoré fournit des indications de sources relatives à la littérature secondaire utilisée pour l’annotation. En préface (p. XXVIII) il reconnaît avoir eu ample recours à une édition commentée de Valère-Maxime, étant donné l’importance des emprunts faits par cet auteur aux œuvres philosophiques de Cicéron. L’édition en question est celle procurée dix ans plus tôt par Pierre Joseph Cantel (« Cantelus ») pour la collection Ad usum Delphini (voir supra, p. 197). Une autre référence majeure, dans le domaine de l’onomastique et de la prosopographie dont on a vu la place dans l’annotation, est le travail de Johann Glandorp (« Glandorpius », 1501-1564), Onomasticon historiae romanae, Joanne Glandorpio auctore [...] Editionis post auctoris mortem adornatae occasionem et rationem [...] docet Reineri Reineccii praefatio, Francfort, 1589.
71À côté de ces deux références majeures, et, bien entendu, des éditions antérieures évoquées plus haut, mention est faite, dans le cours de l’annotation, d’un nombre assez importants de travaux secondaires auxquels François L’Honoré renvoie sur tel ou tel point précis. Il serait fastidieux d’en donner une liste exhaustive, difficile du reste à établir étant donné le caractère souvent laconique des références mêmes, qui ne mentionnent le plus souvent que le nom latinisé, avec dans certains cas une mention du thème, volontiers abrégée (par exemple, « Mercurialis de re gymn. », p. 26, n. 6). Plus commodément, on peut regrouper les principales références sous les catégories suivantes :
72– les annotateurs : à côté de Cantel cité plus haut, on rencontre des figures de l’humanisme classique comme Marcus Vertranius Maurus (floruit c. 1550), cité pour son travail sur Varron tout comme Denys Godefroy l’Ancien (1549-1622) ; les références à Diogène Laërce renvoient à l’occasion au travail de « Aldobrandinus », sans qu’il soit possible d’établir s’il s’agit de Tommaso Aldobrandini (ca. 1540-1572), frère du pape Clément VIII, ou de son neveu Pietro (1571-1621), archevêque de Ravenne, l’un et l’autre ayant travaillé sur le doxographe ; Antonio Costanzi (« Antonius Constantius », 1436-1490) est cité pour le prologue à son commentaire des Fastes d’Ovide ; une référence à « Pighius », dans une note sur Cinna, renvoie vraisemblablement à un travail sur Valère-Maxime par Stephanus Winandus Pighius (1520-1604) ; parmi les éditeurs mentionnés plus haut, on retrouve notamment Manuce, Gruter, Vettori, Kammermeister, Orsini ;
73– les archéologues : sous ce titre on peut rassembler les travaux se rapportant à l’archéologie proprement dite et plus généralement aux realia ; référence est
74ainsi faite sur la topographie et l’archéologie italiennes à Michelangelo Biondi (« Blondus », 1500-1565 c.), à Georg Fabricius (1516-1571) ; sur Délos, à Wolfgang Lazius (1514-1565) ; sur les gymnases, à Girolamo Mercuriale ; sur les sacrifices, à Johann Wilhelm Stucki (1542-1607) ; sur les banquets, à Pierre Boulenger (« Bulengerus », mort en 1589) ; sur la loi des XII Tables, à François Hotman (1524-1590) ; sur le mobilier, Jean Guichard (floruit xvie s.) ;
75– les grammairiens : les renvois sont faits, pour éclaircissements philologiques, à Gerardus Joannes Vossius (1577-1649) ; sur les questions de métrique, Erasme, Scaliger, Kammermeister et André Alciat ; à propos de poésie et de poètes, référence est également faite à Giglio Gregorio Giraldi (1479-(1479-1552) ;
76– les philosophes : quelques références éparses sont faites aux travaux de Gassendi sur Épicure, de Marsile Ficin sur Platon, de Juste Lipse sur le stoïcisme ; les allusions au pythagorisme sont éclaircies par référence notamment à Jan de Meurs (ou Joannes Meursius, 1579-1639) ;
77– les savants modernes sont à l’occasion invoqués en complément des antiquisants : ainsi sur les questions de zoologie, ou d’astronomie (Copernic, p. 58, n. 2).
78À la différence de l’annotation, l’interpretatio n’a guère intéressé le procurateur, qui s’acquitte de cette obligation imposée par le format de la collection avec une certaine désinvolture. Aussi bien la répartition des notes interprétatives est-elle très inégale dans le volume. Des pans entiers des œuvres éditées en sont dépourvus, sans qu’une facilité particulière justifie en rien cette absence, tandis que d’autres parties, notamment les passages du De naturel deorum comprenant de nombreuses citations poétiques, sont mieux loties. Il faut ainsi attendre le § 19 du Lucullus pour voir apparaître une interpretatio sur ce texte qui ne passe pas pour le plus limpide de Cicéron ; de même sur le De finibus I, aucune interpretatio n’est proposée pour les § 10 à 72, soit sur les pages 93 à 114 : pareillement sur Fin. III, pour les § 31 à 75 (p. 175 à 190) ; Tusc. I, pour les § 30 à 98 (p. 273 à 302) ; Tusc. IV, pour les § I à 43 (p. 381 à 395) ; même les citations poétiques de Nat. deor. sont souvent dépourvues d’interpretatio, nonobstant leur difficulté (voir ND II, 65 ; 114 ; III, 65-66 ; 73 ; 80).
79Lorsqu’elles existent, les notes interprétatives accusent une hétérogénéité où ne se reconnaît aucun principe directeur, surtout pas de ceux censés présider au travail d’interpretatio dans l’esprit de la collection. Il est ainsi exceptionnel que l’interpretatio reprenne une phrase ou un fragment de phrase en substituant mot à mot un lexique plus courant à celui qui crée la difficulté de lecture, comme c’est par exemple le cas en ND I, 106, p. 499 : frequenti intuitu mouentur animi glosant crebra facie pellantur animi. Plus couramment, la note se contente de donner un synonyme pour un seul terme relevé dans le texte : par exemple Tusc. III, 53, p. 368 : dies = tempus ; ND I, 33, p. 469 : replicatione – reuolutione ; ND II, 54, p. 529 : inerrantes – fixae ; la substitution peut à l’occasion être d’ordre grammatical, ainsi le classique qui expliqué par l’équivalent quomodo (Luc. 22, p. 35). Il n’est pas rare en revanche que l’interpretatio se borne à reproduire la phrase sans grand changement, n’introduisant qu’un ordre plus clair des mots (Acad. Post. 7, p. 6 ; Luc. 53, p. 45). La substitution peut cependant représenter une réécriture de la phrase, mais souvent sans souci de faire correspondre les deux versions terme à terme : par exemple en Luc. 51, p. 44 : omnium deinde inanium uisorum una depulsio est devient praeterea, uisa omnia inania uno eodemque modo rejiciemus. En fait, plutôt qu’une véritable interpretatio, la note interprétative, lorsqu’elle se borne à éclairer un passage jugé difficile, propose souvent une explicitation du contenu par développement de la construction grammaticale : il n’est ainsi par rare que la note reprenne le texte concerné, mais en le complétant par restitution de termes que le latin ne juge pas nécessaire de préciser ; c’est notamment le cas des éléments introducteurs de propositions interrogatives indirectes, comme en Luc. 86, p. 60, où jam iliapraeclara, quanto... devient jam uero praeclara sunt ea quae dixisti cum disputares quanto ; de la même manière, des tournures aussi typiquement latines que l’ablatif absolu ou l’emploi du relatif dit de liaison donnent lieu à une note explicitant le tour en question : par exemple en Fin. II, 85, 148 (perfecto enim et concluso devenant postquam enim perfecimus et conclusimus) pourl’ablatif absolu ou fin. IV, 45, p. 207 (quibus natura iura responderit devenant sed uobis ad naturam reuertentibus, natura...) pour le relatif de liaison. La construction par parataxe peut aussi appeler un éclaircissement de ce type, par exemple en Fin. II, 10, p. 118 : sed tu istud dixisti bene latine, parum plane explicité comme sed tu istud dixisti bene quidem latine, sed parum clare (noter le remplacement de plane par clare). Enfin, les raccourcis d’expression de la langue parlée sont également éclairés par une formulation plus explicite (voir par exemple Acad. Post. 10, p. 7 ; 18, p. n, note b ; 41, p. 18 ; Fin. V, 85, p. 253 ; Tusc. II, 67, p. 345 ; ND III, 3, p. 574). En tout cela se lit l’intention, non pas d’obéir à un système d’interprétation rigide, mais de remplir une fonction pédagogique en rendant la lecture plus aisée et en facilitant l’acquisition de tours et d’expression propres à la langue latine. Dans cet esprit, le souci d’éclaircir le texte conduit souvent le commentateur à proposer dans ses notes interprétatives une réécriture prosaïque de textes poétiques cités par Cicéron. Parmi de nombreux exemples, on retiendra la note de Tusc. IV, 69, p. 406, qui présente la particularité de paraphraser en prose le texte poétique, mais en style indirect à partir d’une proposition d’introduction absente dans le texte original (Caecilius existimat...).
80Cependant, l’ambition de François L’Honoré dépasse souvent les limites étroites de l’interpretatio pour laisser plus libre cours à son goût du commentaire. D’une manière marginale, il s’agit d’abord d’introduire des précisions qui ne concernent pas en fait l’expression, la construction ou le lexique du passage, et à ce titre relèverait de l’annotation plutôt que de l’interpretatio. ainsi en Tusc. IV, 73, p. 408 la note interprétative précise-t-elle qui sont les interlocuteurs du dialogue (inquit amator ille insanus [...] inquit Tullius) ; en Tusc. V, 118, p. 453, primo die, terme qui de lui-même ne pose aucun problème de compréhension, donne lieu à une note précisant qu’il s’agit d’un renvoi à la discussion de la première Tusculane (in prima disputatione Tusculana). Au-delà de ces notations marginales, la note interprétative peut aller jusqu’à usurper le rôle d’une note de commentaire : ainsi en Luc. 125, p. 76, qui explique le rapport entre Démocrite et la nobilitas ; de même en Fin. V, 6, p. 222, où l’expression rapiorilluc (« je suis entraîné de ce côté-là ») est glosé par ad Academiam nouam cuius princeps est Carneades (« vers la Nouvelle Académie dont le maître est Carnéade »). Cette tendance à déborder le cadre de l’interprétatio est fâcheuse lorsqu’elle conduit à proposer des explications philosophiques erronées rendant du même coup la compréhension du passage impossible, comme en Luc. 40, p. 40, note b (deinde illa duo exponunt, Ium quid possit percipi, 2um quid possit comprehendi) qui renvoie à ce qui précède en dissociant percipi et comprehendi, alors que illa duo annonce en réalité les deux principes qui vont ensuite être posés.
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81Au terme de l’étude de détail, il est difficile de porter un jugement d’ensemble sur le travail de François L’Honoré sans tenir compte des contraintes imposées à son travail et aussi de l’esprit du temps. Dans son inachèvement, l’édition Ad usum Delphini des œuvres philosophiques de Cicéron laisse une impression d’abondance assez brouillonne, entachée d’un certain défaut de maîtrise. Sans doute n’est-elle pas à la hauteur d’un travail scientifique sérieux en matière d’édition de texte, devant son bien au labeur des érudits antérieurs et ses défauts à la fantaisie parfois presque baroque du procurateur – mais sans doute aussi n’était-ce pas l’ambition de la collection que de reprendre l’étude du texte à nouveaux frais. Le paratexte en revanche, avant tout l’annotation, offre un intérêt réel pour un lecteur contemporain, par l’effort de synthèse que représente la fusion des annotations savantes antérieures avec des considérations plus modestes ou marginales, destinées à satisfaire aux exigences pédagogiques de la collection. Il n’en reste pas moins que le texte cicéronien des Opera philosophica, qui n’est pas d’une lecture toujours aisée, ne sort pas véritablement éclairci de cet agglomérat de savoir. La lettre du texte est souvent laissée à sa difficulté, voire à son obscurité, là où le lecteur aurait le plus besoin d’assistance : la faute en est à la rareté d’une authentique interpretatio s’attachant au détail de l’expression, mais aussi à l’hétérogénéité du commentaire qui bien souvent contourne les véritables problèmes de compréhension pour accoler en fait aux fragments du texte des notes de synthèse, non certes dépourvues d’intérêt pour beaucoup d’entre elles, mais peu propres à faire la lumière sur ce que dit le texte lui-même. Au bout du compte, on en vient à s’interroger sur le lecteur auquel ce travail est destiné : ni un véritable érudit, qui ne se satisferait sans doute pas de cette compilation, ni un authentique écolier, qui risquerait fort de perdre pied par défaut de secours. Ni somme scientifique ni outil pédagogique à proprement parler, l’édition de François L’Honoré pourrait être représentative d’un temps où les humanités classiques, malgré la survivance des apparences, cessent peu à peu d’occuper à elles seules le panthéon du savoir et où le latin et ses grands maîtres reculent à petits pas sur le terrain de la formation des jeunes esprits. Le soupçon naît que le véritable destinataire en soit déjà ce fantôme de « l’honnête homme », honnête bourgeois achetant en gros volumes reliés d’honorables collections de classiques, consacrées par de respectables autorités, pour tapisser sa bibliothèque.
Notes de bas de page
1 M. Nicolas Petit, conservateur en chef à la Réserve des livres rares de la BNF, m’a apporté une aide précieuse aux différentes étapes de mon travail, notamment dans l’examen des deux éditions de 1689, et m’a suggéré à plusieurs reprises d’importantes corrections : qu’il en soit chaleureusement remercié.
2 Il s’agit d’une addition récente au fonds de la réserve, correspondant à l’ancienne cote Z 1595, pour laquelle le catalogue informatisé de la BNF indique à tort un ouvrage manquant après récolement.
3 Renseignements biographiques d’après Sommervogel, t. IV, col. 455-456 (art. « Honoré, François (U) ») et t. II, col. 508, n. 18 (art. « Caen »).
4 Voir p. 5, dans l’interprétatio renvoi à « note 18 » (il s’agit en fait de la 17e) ; de même p. 48, n. 3.
5 Cité dans Sommervogel, loc. cit.
6 P. XV :... quod jam ad nauseam ab aliis factitatum est.
7 Voir par exemple dans le Lucullus, § 13, p. 29, n. 6 : longue note détaillée pour justifier (avec raison) la lecture L. Cassius contre la lecture Sp. Cassius défendue par F. Orsini (de même De finibus I, 5, p. 90, n. 3 : lecture Licinius défendue avec raison contre la lecture Lucilius d’Orsini) ; § 44, p. 42, n. I : la note justifie, par comparaison avec un passage parallèle de Tusc. II, la conservation d’une lectio antiqua contre la correction de Manuce, mais le texte ainsi proposé (uisa et progressa) pose un réel problème de sens que la note, fournissant un substitut d’’interpretatio, ne résout guère (l’éditeur moderne Rackham lit plus justement nisa et progressa) ; § 126, p. 77, n. 2 : pour, ce passage jugé locus corruptissimus, la note donne différentes leçons proposées par les éditeurs antérieurs.
8 Voir dernier exemple donné dans la note précédente, et, toujours dans le Lucullus, § Io, p. 27, n. 1 (détaille les différentes corrections proposées de ce locus mendosus, avec reproduction de la note afférente de Janus Gruterus) ; § 30, p. 37, n. I (corrections de Manuce, Lambin, Fulvio Orsini) ; etc. En De natura deorum II, 89, p. 542, n. 4, L’Honoré donne en intégralité la reconstitution différente de la citation poétique par Pieter Schrijver (« Petrus Scriverius », 1576-1660).
9 À titre d’exemple, en Acad Post. I, 44 (sur les antécédents de la méthode sceptique d’Arcésilas), p. 19, n. 2 : L’Honoré édite et ueluti amantes Socrates, que sa note, confinant à l’ interpretatio, explique comme une image ; cependant il ajoute qu’il serait lui-même plutôt d’avis qu’on lût et multo ante Socratem, lecture, de fait, beaucoup plus satisfaisante (édition Rackham : et iam ante Socratem). Autres exemples de propositions personnelles avancées en note, en Tusc. II, 33, p. 329, n. 2 (passage compliqué par l’inclusion d’une citation poétique), et, dans le De natura deorum I : § 25, p. 466, n. 5 ; § 28, p. 467, n. 3 ; § 85, p. 490, n. 1.
10 Exception en préface, p. XV-XVI : mais pour préciser qu’il ne retient pas les corrections introduites par les commentateurs qui s’en rapportent à une variante manuscrite.
11 P. X : Tunc beatam fore Rempublicam cum et reges philosophabuntur et philosophi regnabunt. Référence à Platon, République V, 473 c-d.
12 Voir par exemple le maintien (justifié) de hedrycum contre la correction cedrum (chez Beroaldo) en Tusc. III, 46 (exemple d’ailleurs repris avec une fierté manifeste en préface, p. XV-XVI).
Auteur
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La collection Ad usum Delphini. Volume I
L'Antiquité au miroir du Grand Siècle
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2000
Devenir roi
Essais sur la littérature adressée au Prince
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2001
L’Éloge du Prince
De l’Antiquité au temps des Lumières
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2003
La collection Ad usum Delphini. Volume II
L’Antiquité au miroir du Grand Siècle
Martine Furno (dir.)
2005
Des rois au Prince
Pratiques du pouvoir monarchique dans l'Orient hellénistique et romain (IVe siècle avant J.-C. - IIe siècle après J.-C.)
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2010
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
IIIe siècle avant J.-C. - Ier après J.-C.
Anne Bielman Sánchez, Isabelle Cogitore et Anne Kolb (dir.)
2016
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
iiie siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C.
Isabelle Cogitore, Anne Bielman Sánchez et Anne Kolb (dir.)
2021