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Tacite

p. 411-419


Texte intégral

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1– 1682 pour le tome I ; 1684 pour le t. II ; 1686 pour le t. III ; 1687 pour le t. IV (achevé d’imprimer du 4 octobre 1687 pour le dernier volume ; privilège de 10 ans du 14 décembre 1681, registré le 14 septembre 1682) ; exemplaires consultés : BM de Grenoble, F 6036, pour les 4 volumes et BM Lyon, 108 757, pour les 3 premiers, le 4e étant porté manquant

2– lieu d’édition : Paris

3– libraire : apud viduam Claudii Thiboust et Petrum Esclassan

4– commentateur dauphin : Julien Pichon.

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5Il ne nous pas été possible de trouver le moindre renseignement sur « Julianus Pichon, abbas ». Le seul élément qui pourrait apporter quelque lumière est la mention élogieuse de Lenain de Tillemont, présenté comme collaborateur de l’édition : Pichon aurait-il évolué dans les milieux jansénistes ?

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PRINCIPALES ÉDITIONS ANTÉRIEURES

6– 1515, Philippe Béroalde le Jeune

7– 1574, Anvers, Juste Lipse

8– 1598, Gruter

9– 1609 et 1622, Amsterdam, Pichena

10– 1672-1673, J. et J.-F. Gronovius.

ÉDITIONS ET RÉÉDITIONS

11– C. Cornelii Taciti Opera, interpretatione perpetua et notis illustravit Julianus Pichon... in usum serenissimi Delphini... – Venetiis, apud N. Feltrini, 1707, 4 vol. in-4° [même répartition que dans l’édition originale]

12– C. Cornelii Taciti Opera. Nova editio, ad exemplar ejusdem authoris editum ad usum serenissimi Delphini, diligenter collata... – Parisiis, sumptibus J. Barbou, 1733, in-12, pièces lim., 554 pages et l’index. Contient les mêmes œuvres, à l’exception du Dialogus de oratoribus, éditées sans notes critiques, « ad usum scholarum », avec quelques-unes des pièces de Juste Lipse.

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TITRE

Tome I

13C. CORNELIJ | | TACITI | | OPERA. | | INTERPRETATIONE PERPETUA | ET NOTIS ILLUSTRAVIT | | J ULIANUS PICHON ABBAS. \\JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINI. | | TOMUS PRIMUS. | | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud Viduam Claudii Thiboust, | | ET | | Petrum Esclassan, Jurat. Bibliopol. Universit. ordin. | | viâ D. Joan. Lateran. è regione Collegij Regij. | [filet] | | M.DC.LXXXII. | | CVM PRIVILEGIO REGIS.

Tome II

14C. CORNELIJ | | TACITI | | OPERA. | | INTERPRETATI ONE PERPETUA | ET NOTIS ILLUSTRAVIT | | JULIANUS PICHON ABBAS. | | JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINI. | | TOMUS SECUNDUS. | | [marque d’imprimeur| | | PARISIIS, | | Apud Viduam Claudii Thiboust, | | ET | | Petrum Esclassan, Jurat. Bibliopol. Universit. ordin. | | viâ D. Joan. Lateran. è regione Collegij Regij. | | [filet] | | M.DC.LXXXIV. | | CVM PRIVILEGIO REGIS.

15(En fait, les tomes I et II sont consacrés aux Annales.)

Tome III

16C. CORNELIJ | | TACITI | | HISTORIARUM | | LIBRI QUINQUE | | HOS INTERPRETATIONE PERPETUA | | ET NOTIS ILLUSTRAVIT | |JULIANUS PICHON. | | JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINI. | | TOMUS TERTIUS. \\ [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud Viduam Claudii Thiboust, | | ET | | Petrum Esclassan, Jurat. Bibliopol. Universit. ordin. | | viâ D.Joan. Lateran. è regione Collegij Regij. | | M.DC.LXXXVI. | | CVM PRIVILEGIO REGIS.

Tome IV

17C. CORNELIJ | | TACITI | | DE SITU, MORIBUS, | | ET POPULIS | | GERMANIAE, | | LIBELLUM, | | JULIIAGRICOLAE VITAM, | | ET DE ORATORIBUS DIALOGUM, | | INTERPRETATIONE ET NOTIS ILLUSTRAVIT | | JULIANUS PICHON. | | JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINI. | | TOMUS QUARTUS. | | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud Viduam Claudii Thiboust, | | ET | | Petrum Esclassan, Jurat. Bibliopol. Universit. ordin. | | viâ D. Joan. Lateran. è regione Collegij Regij. | | M.DC.LXXXVII. | | CVM PRIVILEGIO REGIS.

FORMAT

18In-4°.

CONTENU

Tome I

19– Pièces liminaires non paginées (signatures en minuscules, voyelles tildées) :

  • [Epistola] Serenissimo Delphino, signée Julianus Pichon (10 pages)
  • praefatio (36 pages)
  • Ex Balthasare Bonifacio de Romanae historiae scriptoribus (4 pages)
  • Ex Gerardo Vossio de historicis latins (3 pages)
  • C. Cornelii Taciti Vita per Justum Eipsium conscripta (3 pages)
  • Veterum scriptorum de Tacito Testimonia vel ejusdem fragmenta (4 pages)
  • Emendanda in Notis Tillemonii (1 page ; concerne l’annotatio)
  • privilège (1 page)
  • Nomina interpretum qui laudantur in commentariis [et] Versiones quae praecellant (1 page)

20– puis vient le texte paginé 1-731 (signatures en majuscules), qui comprend les Annales, livres I-IV.

Tome II

21Le texte paginé 1-1026, qui contient les Annales, livres IV-V et XI-XVI, est suivi de pièces complémentaires :

22 Notae addendae tomo primo operum Cornelii Taciti (p. 1027-1 03 3)

23 Emendanda in Notis Tillemonii ad tomum secundum Cornelii Taciti (p. 1033)

24 Index alphabeticus notarum geograpbicarum ad Annales Cornelii Taciti (p. 1034-1041).

Tome III

25La jonction entre l’époque à laquelle s’achèvent les Annales et celle où commencent les Histoires est réalisée par les Supplementa traduits de John Savile (III-XIX) ; (XX) : privilège.

26– Le texte paginé 1-834, contient l’intégralité des Histoires.

27– Pièces complémentaires :

  • Index alphabeticus notarum geograpbicarum ad Annales Cornelii Taciti (sur le modèle de celui qu’on trouve au tome II, mais non paginé, 5 pages)
  • Emendanda in Notis Tillemonii ad tomum secundum Cornelii Taciti (voir tome II ; 1 page).

Tome IV

28Le volume s’ouvre avec 6 pages, paginées ( :o :), la dernière portant ( :o ?) : Curae secundae ad libros Annalium. Puis vient le texte, ainsi réparti :

  • p. 1-162, Germania
  • p. 163-322, Vita Agricolae
  • p. 323-410, De oratoribus sive de caussis corruptae eloquentiae Dialogus, qui ab aliis Corn. Tacito a quibusdamM. Fab. Quintiliano tribuitur, une note, de la page 323 a la page 329, commente le titre, en reprenant les témoignages et les avis des critiques, et discute de l’attribution de l’œuvre. Le texte commence réellement page 330. La discussion reprend de la page 410 à la page 421 (même corps que pour les notes), pour démontrer que le Dialogus est de Quintilien (ce qui correspond cette fois à une position personnelle du commentateur)
  • p. 422 et 423, mêmes pièces complémentaires qu’aux tomes précédents, auxquelles s’ajoute, à partir de (p. 424), Index vocabulorum omnium quae in Tacito leguntur. ; 190 pages non paginées.

29Pour la présentation matérielle des volumes, le texte est divisé en chapitres mais sans retour à la ligne comme pour César (P. Le Petit, 1678), Tite-Live (Frédéric Léonard, 1679), Boèce (Roulland, 1680).

30L’édition n’est pas exempte de coquilles, y compris dans la praefatio, que l’on s’imaginerait pourtant avoir été particulièrement soignée.

31On a pu formuler l’hypothèse que les 3 premiers volumes aient été antidatés ; or il n’en est rien, comme le révèlent les exemplaires de la BM de Lyon : ceux-ci proviennent du collège de la Trinité, à qui ils ont été offerts par le père de La Chaise. Le tome I a été inscrit au catalogue en 1683, le tome II en 1685, le tome III en 1688.

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32L’établissement du texte de Tacite n’est pas chose facile, surtout pour une œuvre comme la Germania ; Pichon le sait, et il se vante dans la praefatio d’avoir considérablement amendé, « nettoyé » le texte (abstersimus), restitué des mots manquants, et surtout d’avoir fait disparaître les étoiles qui désignaient des lacunes qu’il juge inexistantes mais qui défiguraient le texte, repoussant les lecteurs. Il se pose donc en véritable philologue. Mais ses conjectures ou corrections n’ont laissé aucune trace dans la tradition philologique (voir ci-dessous, 6). En fait, Pichon, qui ne mentionne pas de manuscrits et reprend bien souvent ses prédécesseurs, même pour en dénoncer les faiblesses, semble surtout s’être fié à ses intuitions, déclarant que la nécessité de donner une interpretatio continua (qu’il appelle versio continua) l’a beaucoup aidé à lui faire comprendre l’historien – donc sans doute à lui faire modifier le texte en fonction de son interprétation.

33Il a pour principe, conformément aux éditions traditionnelles, de garder dans l’annotation (voir ci-dessous) les leçons admises par d’illustres prédécesseurs, même quand il les juge fautives ; dans ce cas il donne une double note ; ainsi en A, I, I, au deterrerentur que porte le texte répond d’abord en appel de notes detererentur, avec le commentaire suivant : « ita recte, non deterrerentur », selon Juste Lipse ; puis, s’ouvrant avec ingenia deterrerentur :« Vera et germana Taciti lectio », le tout appuyé par une longue citation de Dion Cassius. En tout cas c’est à un argument historique, et non pas philologique, qu’il a recours.

34Un de ses principes mérite d’être remarqué : il considère que, comme d’autres mots-outils, mainte conjonction ou préposition a été ajoutée (horribile dictu !) par les premiers commentateurs ; or il est inutile, voire nuisible (voir ci-dessous) de souligner lourdement ce que Tacite sous-entend ou suggère, en un silence mire facundum. C’est (entre autres) ce silence qu’il prétend restaurer.

35Le texte n’a pas subi de coupes, même dans les passages qui auraient pu être tenus pour scabreux, comme ceux qui évoquent les turpitudes sexuelles de Tibère ; il est vrai que, selon les principes de la censure (analysés par M. Wolff), ce sont les termes crus et les descriptions jugées complaisantes qui font l’objet de l’expurgatio – ce qui n’est pas le cas chez Tacite.

36Tout en se plaçant dans la lignée de ses prédécesseurs, puisqu’il reprend les écrits de Juste Lipse, B. Boniface et G. Vossius, parmi les pièces liminaires, Pichon affirme dans l’epistola une position personnelle destinée à faire florès au siècle suivant : le grand mérite de Tacite est d’avoir été formé à la guerre et aux affaires, et donc au contact du réel ; c’est un écrivain, et ce n’est pas pour autant un homme de cabinet, cela le rend donc plus capable que César d’enseigner la disciplina regnandi. Le même thème est repris dans la praefatio, où Tacite est opposé aux Sylla, César, Auguste et autres Tibère, eux aussi auteurs d’ouvrages de caractère historique, car il est le seul à avoir vraiment possédé l’art d’écrire, et à avoir uni, comme Polybe, les qualités de l’homme d’Etat et celles de l’écrivain. D’où une longue digression sur l’historien grec (cum laudo Polybium, laudo Tacitum, simul et comparo), loué d’avoir fourni des analyses politiques qui, comme celles de Tacite, ne gagneraient pas grand-chose à être connues en entier : leurs ouvrages seraient plus longs, mais pas plus parfaits.

37Pichon n’a cependant pas la tâche facile, car il doit défendre un historien de sinistre réputation, dont on dénonce le pessimisme constant : il offre une bien piètre image de la nature humaine. Mais pouvait-il en être autrement ? Ce n’est pas lui qui a vu le mal partout, c’est le mal qui était partout ; et comme c’est aux mœurs et aux esprits qu’il s’intéresse, il est normal qu’il ait été amené à dénoncer ce qu’il voyait et analysait si bien1. Il a fait des erreurs historiques ? Certaines sont graves en effet, puisqu’il parle fort mal des Juifs, qu’il ne connaît guère (voir la digression qui leur est consacrée dans les Histoires, V, 2-9) – ce qui lui a valu la vindicte de Tertullien, et la réprobation durable des chrétiens. Pichon n’y insiste pas et trouve le seul moyen de l’excuser : ses erreurs sont celles de son siècle et ne lui sont donc pas propres.

38Un autre reproche de taille est littéralement retourné par le commentateur : Tacite ferait un usage particulier de la langue latine, se rendant insupportable au lecteur par son obscurité, due à la fameuse concision qui a fait sa réputation. Pichon n’y voit que de nouvelles occasions de le porter aux nues. Certes, Tacite a l’éloquence de son siècle ; mais il s’agit surtout de montrer que là réside une originalité qui fait la grandeur de l’historien. Aurait-il été influencé par Thucydide ? En fait il a son propre génie. La brièveté qui le caractérise (et qui choque tant à une époque où l’on considère l’ampleur de Tite-Live comme une des principales caractéristiques du style historique) est aussi ce qui fait naître la gravitas de son discours ; et la majesté est en fait la plus haute qualité de l’historien2. Et l’obscurité ? Bien souvent on hésite en effet sur le sens d’une phrase. Pichon ne minimise pas la difficulté – c’est elle précisément qui fait le mérite de son travail ; mais il en fait une clé de lecture : quand il y a ambiguïté, celle-ci est voulue, et il faut quelque intelligence pour la pénétrer, car Tacite n’a pas voulu se rendre accessible à tous3. Pichon a une conception « aristocratique », ou plutôt élitiste, de son auteur4.

39On n’est pas étonné de le voir saluer dans la praefatio les trois puissances tutélaires que sont Bossuet, Huet (decus Academiae franciscae) et Montausier, celui-ci semblant cependant faire l’objet d’une vénération particulière : amo, veneror, admiror. On notera surtout la mention particulière de Ferdinand de Fürstenberg 1626-1683), (évêque de Paderborn puis de Münster (1678) – que l’on sait par ailleurs fort ami des lettres5. Il est vrai qu’il est « de la nation d’Arminius ». Cet intérêt pour les puissants de ce monde prend un nouveau relief dans la mesure où les gouvernants apparaissent au commentateur dauphin comme les meilleurs interpretes de Tacite : signe que c’est bien une lecture politique qui doit en être faite – ce qui n’étonne pas en cette fin du xviie siècle.

40L’interpretatio est continue, sans doute en raison de la difficulté reconnue du latin de Tacite, elle se caractérise évidemment par l’ajout fréquent de mots jugés nécessaires à la parfaite compréhension du texte ; ceux-ci ne sont pas systématiquement signalés en romain, comme ils devraient l’être – sauf quelquefois des noms propres, qui figurent entre parenthèses (par exemple t. I, p. 143, à propos de Crispinus). Le romain est aussi utilisé pour le discours direct.

41L’annotatio offre un caractère particulier dans la collection, dans la mesure où elle juxtapose les commentaires précédents, suivant l’usage traditionnel (voir ci-dessus, pour la critique philologique, ou prétendue telle) – alors qu’un des principes de la collection était de faire la synthèse, ou de tirer la substantifique moelle, de tout ce qui avait été écrit auparavant. On voit ainsi revenir, outre bien sûr le nom de Juste Lipse, ceux de Vertranius, Muret, Casaubon, Salinerius, Pichena... La liste des commentateurs est finalement importante, et leur présence n’est pas de pure forme.

42Un cas particulier : la présence de notes de Sébastien Lenain de Tillemont, salué dans la praefatio comme le commentateur indispensable pour toute « description des lieux, de provinces, des places fortes », et désigné comme un collaborateur de l’édition6. Celui qui bientôt deviendra le célèbre érudit janséniste que l’on sait est omniprésent : dès les premières pages du tome I (voir ci-dessus), Pichon donne une liste d’emendanda de ses notes, et il en est de même pour les deux tomes suivants. Celles-ci ne sont pas forcément des notes savantes : ainsi apprend-on grâce à Tillemont que le Tibre passe dans le grand-duché de Toscane et dans les Etats de l’Église. Note typique d’eruditio, à finalité éducative (il faudra y revenir). La mission de Tillemont, en l’occurrence, semble bien avoir été de jeter un pont entre géographie ancienne et géographie moderne, énonçant une définition des vents étésiens (t. III, p. 472, à propos d’Histoires, II, 99), et surtout donnant systématiquement la localisation moderne des peuples, pays ou villes évoqués : Catti [...] hodie comitatus Waldeck, pars Landgraviatus Hassiae, nec non abbatiae Hirschfeld et Fuld, in circulo Rheni superioris.

43La conséquence de ces diverses interventions est que l’annotatio occupe une place considérable : la première phrase d’Annales, I, 1, donne lieu à 5 notes ; le mot Romam (deuxième mot du texte) suscite 32 demi-lignes, sur le nom de la Ville, accompagné d’une citation de Solin, puis sur sa situation géographique et surtout historique : Rome continue à être la tête du monde, puisque elle est à la tête de la chrétienté. Et Pichon d’énumérer les évêchés du monde entier, en 18 demi-lignes... La première page de texte (p. 3) comporte en tout et pour tout 21 mots (jusqu’à biennium), la seconde (p. 4) 37. Les notes occupent au moins autant de place que le texte, mais généralement beaucoup plus – ne serait-ce pas une originalité de ces volumes ?

44L’annotatio est aussi le lieu où l’on peut exposer toutes les hypothèses d’interprétation envisageables, que l’interpretatio a contraint à supprimer. On a alors affaire à une véritable explication de texte. Ainsi, en H, III, 18 (t. II, p. 515), l’expression forte victi appelle trois notes ; la première est une justification du texte, où l’éditeur refuse de voir une difficulté de compréhension, explicable par une lacune : Pro genio Taciti nihil ibi deesse putem, ce qui entraîne une glose de 25 demi-lignes ; puis il suggère de lire victores au lieu de victi (suivent 10 demi-lignes d’explication) ; et enfin il propose une autre interprétation, d’après une versio Hispana, qui n’entraîne que 2 demi-lignes. Ce sont donc 37 demi-lignes (sans compter l’interpretatio) qui sont consacrées à l’élucidation de cette expression.

45On a beau savoir, grâce à B. Bureau, que « le nombre des notes et donc la densité de l’annotation semblent être laissés à la discrétion de l’éditeur et de sa propre conception de ce qui est nécessaire à la compréhension du texte7 » on peut s’interroger sur les raisons d’un tel choix éditorial : intention pédagogique doublée d’une ambition encyclopédique, qui permette de faire figurer le monde moderne dans une collection de classiques anciens ? Ou simple désir de faire du remplissage, comme Montausier en soupçonnait l’auteur du Stace8 ? Les dauphins étant payés au nombre de volumes, ils pouvaient facilement être suspectés d’être quelquefois animés par de bas intérêts matériels.

46Cette impression est confirmée quand on regarde les notes qui donnent lieu à des rapprochements entre historiens – ou plutôt pour lesquelles Pichon estime légitime d’opérer de tels rapprochements : rien n’est fait pour alléger le commentaire ; Plutarque est cité en grec, puis en latin ; Dion Cassius, cité souvent en latin seulement, l’est aussi parfois en grec. Pichon préfère toujours donner le texte intégral d’une citation, et pas seulement ses références, même quand il s’agit du texte de Tacite lui-même... La confrontation avec Suétone et Dion Cassius est presque systématique. Ainsi, sur les circonstances exacte de la mort d’Agrippa Posthumus (p. 16), il reprend d’abord l’exposé (rapide) de Juste Lipse, puis le développe en citant intégralement Suétone (Rem totam sic narrat Suetonius, Tib. 22), et il confronte point par point les deux récits. Parfois le développement fait appel à de plus nombreuses sources : ainsi, de la page 63 à la page 66, une très longue note s’accroche aux mots largiora stipendia pour débattre de la question classique et inépuisable de la solde chez les Romains.

47Un point particulier : on peut se demander dans quelle mesure les dauphins sont animés de « l’esprit d’équipe », autrement dit s’ils se réfèrent à d’autres ouvrages, parus ou à paraître, de la collection9. En Annales, I, 77, le mot lucar suscite une page entière d’annotation, avec renvoi à Scaliger et Saumaise, et citation de Festus, mais sans renvoi particulier à l’édition quasi contemporaine de Dacier. Mais d’un volume à l’autre du Tacite semble régner la même indépendance : certes il existe des renvois internes aux tomes I et II dans les Notae addendae du tome II, mais à la fin de la praefatio Pichon remet peut-être (forte) au deuxième volume des notes sur les interpretes (ici sans doute au double sens de commentateurs et de traducteurs) et leurs notes, en français, espagnol, italien, allemand et anglais. Il s’intéresse sans doute moins à la critique philologique qu’à l’école tacitiste, à l’époque même où s’élabore la monumentale traduction commentée d’Amelot de La Houssaye (Lyon, puis La Haye, 1690-1735), dont le Tibère. Discours politique sur Tacite est rigoureusement contemporain de cette édition (1683) – sans doute même Pichon en avait-il eu vent et souhaitait-il en rendre compte. Mais on en retire surtout l’impression d’une relative improvisation, le commentateur dauphin annonçant aussi l’éventualité d’un excursus « très nécessaire » qui permette de dresser un tableau des événements historiques – ce qui n’a pas été fait.

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48L’impression que l’on pouvait avoir en lisant l’annotatio se confirme : on a souvent affaire à du remplissage ; quant à l’apport philologique, il paraît bien mince. L’esprit de la collection aurait-il disparu ? N’en subsistent que les aspects les plus discutables, interprétés de la manière la plus paresseuse qui soit : renvois systématiques d’un auteur à l’autre, recopiage, accumulation de commentaires parfois contradictoires

49Peu d’éditions Ad usum Delphini auront fait aussi peu de bruit que le Tacite. Certes celle-ci est reprise par deux fois : mais l’entreprise de Barbou (1733) consiste à reprendre les textes des historiens latins, non à distinguer particulièrement le Tacite. Seul témoignage d’un intérêt particulier : l’édition vénitienne de 1707. En tout cas les critiques seront d’une sévérité constante, comme Lenglet-Dufresnoy : « Toutes les éditions latines de cet auteur que nous avons indiquées sont bonnes, à l’exception de celle qui a été faite pour Monseigneur le Dauphin, qui n’est ni estimée ni estimable10 » ; dans sa Bibliotheca latina, Fabricius11 estime ce jugement trop sévère, et la présente comme luculenta (remarquable ? solide ? faisant autorité ?). Mais, dans l’édition revue et augmentée par Ernesti, elle est seulement mentionnée. Et d’ailleurs le même Ernesti12, dans son édition de Tacite13, est très sévère pour Pichon, comme pour tous ses prédécesseurs et successeurs français, il est vrai.

50Par la suite, jamais les procurateurs du texte de Tacite, évoquant la tradition éditoriale, n’accorderont la moindre louange, voire le moindre intérêt aux Opera Taciti de Pichon.

Notes de bas de page

1 On relève au passage une dénonciation des astrologues et autres fauteurs de troubles, ce qui n’est certainement pas indifférent à l’époque de l’Affaire des poisons.

2 L’argument lui paraît tellement important qu’il y revient, quand il parle du travail des interpretes qui l’ont précédé.

3 Unum verum, certum et determinatum sensum habeat, si bene et recte intelligatur, quod non datur omnibus, et statim.

4 Alors que le xviiie siècle reprendra ces arguments, mais pour y voir un moyen d’échapper à la tyrannie et de tourner une éventuelle censure.

5 Il fait partie de ceux auxquels Montausier fait parvenir les ouvrages dauphins : voir AuD I, « Lettres dauphines », no 104, du 25 janvier 1679.

6 Descriptionem locorum, provinciarum, oppidorum nobis amico animo subministravit Tillemonius, vir stirpe, doctrina et opibus praecellens, etiam et pleraque alia, quibus Tacitus illustraretur.

7 B. Bureau, « Typologie des notes... », dans L’Antiquité au miroir..., p. 243.

8 « Lettres dauphines », no 150, du 22 septembre 1684.

9 D’après Huet, au moins dans les premiers temps, les dauphins se réunissaient chez lui pour travailler. (Mémoires, livre V, p. 110)

10 Lenglet-Dufresnoy, Méthode pour étudier l’histoire, avec un catalogue des principaux historiens et des remarques sur la bonté de leurs ouvrages, Paris, 1713 ; nous citons d’après la « nouvelle édition », Paris, 1735, t. VII, p. 444.

11 Fabricius, t. I, p. 603.

12 Bibliotheca latina, nunc melius delecta [...] et aucta diligentia JA. Ernesti, Lipsiae, 1773, t. II, p. 397.

13 1re éd., 1752 ; nous citons d’après l’édition de 1777.

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