Chapitre 10 : « Pourquoi on se pose des questions ? » : communauté de recherche philosophique et théories épistémiques de la démocratie
p. 249-270
Texte intégral
1. Introduction
1Qu’est-ce qui nous prouve que la démocratie est un modèle d’organisation politique plus légitime que les autres ? À cette question, certaines réponses peuvent appartenir au champ de la morale (délibérer ensemble est plus juste, chacun a le droit de participer à des lois, etc.) et d’autres appartiennent au domaine de l’épistémologie (la prise de décision est plus efficace, les choix faits sont meilleurs, les citoyens sont aptes à se prononcer, etc.). Ainsi, les théories produites en épistémologie en faveur de la démocratie1 tentent de justifier cette dernière en élaborant des arguments prouvant sa supériorité « épistémique » sur les autres modèles d’organisation (tyrannie, oligarchie, populisme, technocratie, etc.) au nom d’une rationalité plus grande de sa part. Or, pour cette démarche, la tradition philosophique occidentale n’est pas vraiment une alliée.
2En effet, depuis Platon jusqu’à Tocqueville en passant par Locke ou Kant, la plupart des philosophes ont plutôt eu tendance à se méfier de la démocratie en faisant d’elle le règne des ignorants, de la foule imbécile, du béhémot populaire (Hobbes, 1679, p. 41) et à lui préférer la figure du roi-philosophe, du conseil des sages ou encore la république « éclairée » des intellectuels. De plus, cette agoraphobie est souvent corrélée chez les philosophes de l’éducation à l’évidence de l’ignorance naturelle et de la bêtise animale de l’enfant. Il suffira de se rappeler que pour Kant, le peuple et les enfants sont tous les deux « mineurs » et attendent de recevoir les lumières de la raison pour devenir « majeurs » et responsables. Si cette corrélation est combattue en France, avec une certaine élégance littéraire dans le Maitre ignorant de Jacques Rancière, un autre courant philosophique, le pragmatisme, s’était bien plus tôt attaché à la remettre en cause.
3En effet, de l’autre côté de l’Atlantique, John Dewey travailla, sur le terrain de la politique et de l’éducation, à questionner cette « évidence » de la tradition philosophique. Le pragmatisme peut ainsi être considéré dès le début du xxe siècle, comme un courant philosophique américain promouvant avec ferveur la nécessité mutuelle et complémentaire de l’éducation et de la démocratie. De plus, ce courant philosophique est également connu par l’importance de son apport en sciences de l’éducation, notamment en termes de pratiques pédagogiques, dont l’une et non des moindres est celle imaginée par Matthew Lipman. Ce dernier, philosophe et pédagogue pragmatiste, fut, avec Ann Margaret Sharp, à l’initiative de ce que l’on appelle désormais les communautés de recherche philosophique. De là notre hypothèse : peut-on considérer ces communautés de recherche philosophique (CRP) comme un outil pédagogique pertinent pour réaliser les ambitions démocratiques du travail philosophique de John Dewey ? Ou pour le dire autrement : En quoi la pratique des CRP, dans une perspective pragmatiste, peut-elle nous rendre sensible la supériorité épistémique de la démocratie par rapport à d’autres pratiques éducatives non démocratiques ?
4Pour répondre à ce problème, nous nous inscrivons dans le cadre théorique du pragmatisme et aux croisements des champs de l’histoire des idées politiques et éducatives et de la philosophie de l’éducation. Dans un premier temps, nous présenterons un (très) rapide panorama des relations qu’entretiennent, dans la tradition philosophique, la supériorité politique des modes d’organisation et la supériorité épistémique de leurs acteurs, de façon assumée ou implicite. Puis, nous montrerons en quoi le pragmatisme cherche volontairement à renverser ces prétendues supériorités en faveur du mode d’organisation particulier qu’est la démocratie, et comment les CRP peuvent être considérées comme des outils pédagogiques et démocratiques d’un tel renversement. Ici, ce sont les travaux en sciences de l’éducation sur les CRP qui nous fourniront la littérature nécessaire à notre argumentation. Enfin, pour illustrer notre raisonnement, avec toute la prudence nécessaire, nous verrons comment l’analyse des échanges produits lors d’une séance choisie du corpus peut servir à exemplifier notre hypothèse. Cela dans le but de montrer comment on peut rendre compte de la capacité des enfants à questionner à leur tour leur prétendue ignorance et illégitimité à connaitre d’eux-mêmes ce qui est en leur pouvoir de comprendre et de décider. Ainsi, l’enjeu de ce chapitre est de comprendre comment les principes éducatifs pragmatistes de Dewey peuvent s’incarner dans une pratique pédagogique particulière, les CRP, imaginée par Lipman, et ce, à partir d’une des ambitions du pragmatisme : la défense de la valeur épistémique de la démocratie.
2. Cadre conceptuel : la démocratie comme politique et éducation
2.1. Le paysage des théories épistémiques de la démocratie
5Si la question du bien-fondé de la démocratie est quasiment aussi vieille que celle de la politique en Occident, cette question prit une nouvelle forme à partir des années 1980 en sciences politiques (Held, 2006) lorsque le débat entre le socialisme et le libéralisme se déplaça vers l’opposition entre le populisme et la démocratie libérale (Cohen, 1986). Ce qui signifie, sur le terrain épistémique de ces débats, que l’on s’interroge sur la supériorité soit de la démocratie (comme gouvernement de tous pour tous ?) soit de l’épistocratie (comme gouvernement des experts). À partir de ce moment, la question du bien-fondé se formula ainsi : En quoi la démocratie est le meilleur système pour donner la plus grande connaissance à chacun des moyens de diriger la décision politique ? En quoi nos choix sociaux sont meilleurs en démocratie plutôt qu’ailleurs ?
6À cette question, l’histoire des idées politiques avait déjà fourni la position suivante : la démocratie permet de prendre les bonnes décisions politiques grâce à une pluralité de moyens de communication entre les citoyens (débats, votes, suffrages, presse publique, principe de majorité, etc.). Il revient à Jürgen Habermas l’honneur de défendre cette position en 1981 dans son ouvrage Théorie de l’agir communicationnel avec ces deux arguments : (a) plus les décideurs sont nombreux et plus la décision sera jugée juste, car fondée sur un partage des valeurs de chacun, et (b) le système démocratique permet de faire appel à la compétence individuelle de chaque citoyen grâce à ses moyens de communication (contrairement à un régime monarchique ou fasciste). Ce second argument, qui hérite en partie des travaux de Condorcet (1785) sur la compétence citoyenne fut néanmoins attaqué par le contre-argument suivant : il est facile de prouver l’incompétence politique moyenne des électeurs. La propension de ces derniers à voter de manière traditionnelle, à se laisser berner par une information orientée ou à faire peu d’effort pour se forger une opinion cohérente ne manque pas d’exemples criants (Achen & Bartels, 2016) au sein de la littérature de sciences politiques depuis Walter Lippmann (2005).
7À ces critiques antipopulistes, un nouvel argument fut avancé dans les années qui suivirent, notamment par Bernard Manin (1985). Cet argument revient à dire que la compétence politique est une propriété « émergente » d’un collectif. C’est par la pratique, par l’échange d’information et des raisons, c’est-à-dire par la mise en œuvre d’un processus délibératif, que vont peu à peu s’éduquer les citoyens et acquérir ainsi les compétences nécessaires pour prendre les bonnes décisions et affiner progressivement leurs choix politiques. Ce nouvel argument, caractéristique de la démocratie délibérative chère à John Rawls et Jürgen Habermas, repose sur l’idée forte qu’il existe une vertu épistémique de l’expérimentation politique, mais également de la diversité des opinions de départ des citoyens. Plus les citoyens auront des opinions différentes avant la délibération et plus son processus a de chance d’aboutir à une décision intelligente, car cette diversité permet de multiplier les expérimentations, et in fine de réaliser celle qui parait être la plus convenable au plus grand nombre (Landemore, 2017). On remarquera que cet argument peut particulièrement s’incarner au sein des CRP, mais n’anticipons pas.
8Cependant, là aussi un nouveau contre-argument sera avancé par la suite : cette diversité si prometteuse pour le bien-fondé des délibérations démocratiques est dans les faits limitée et donc inopérante véritablement (Bohman, 1999 ; 1997). Ces limites sont, entre autres, celles de deux biais théorisés par la psychologie sociale et relus par les sciences politiques. Le premier est le biais de confirmation où l’on aura tendance à nier ce qui vient s’opposer ou mettre en tension nos propres croyances. Et le second est celui de la polarisation des opinions au sein d’un groupe. C’est-à-dire qu’au sein d’une délibération, les membres d’un groupe ont tendance à radicaliser leurs positions pour mieux les identifier parmi celles qui émergent de la délibération. Aussi, à plus d’un titre, les conséquences politiques de ces biais sont explorées depuis une vingtaine d’années pour décrire les délibérations réalisées sur des réseaux sociaux (on pensera à l’élection de Donald Trump aux États-Unis ou au vote du Brexit). Ainsi, il devient de plus en plus malaisé de savoir ce que pourrait signifier (et comment réaliser) une compréhension commune de ce qu’est une « bonne décision politique ».
9Face à cette ligne de contre-arguments qui vient ébrécher la supériorité épistémique de la démocratie comme système politique, le doute peut s’installer et la démocratie ne plus sembler si souhaitable que cela. Face à un système politique se fondant sur des experts (ayant une démarche attentive aux biais mentionnés) et ayant le temps d’expérimenter des choix prudents et calculés, la délibération démocratique semble fragile. Bien évidemment ce débat reste ouvert et se poursuit actuellement sur le terrain des sciences politiques (Roussin, 2019). Toutefois, il nous semble que l’on peut, dans ce débat, apporter un nouvel argument en faveur de la démocratie, et ce, grâce aux écrits philosophiques et pédagogiques de John Dewey et Matthew Lipman.
2.2. L’argument culturel de John Dewey et Matthew Lipman
10Au risque d’être caricatural, il est possible d’établir un consensus autour de John Dewey et de la plupart des penseurs pragmatistes au sujet d’une conception émergentiste de l’intelligence (Point, 2019). Il s’agit de dire qu’il n’existe pas d’aristocratie de l’intelligence, pas de « naturel » bon gouvernant, ni aucun innéisme politique. Ainsi, sans moyen de sélection a priori des « bons » citoyens, chacun peut potentiellement devenir apte à participer à l’élaboration d’une décision politique. Or, cette possibilité nécessite ici le travail de l’éducation, car le pragmatisme de John Dewey justifie d’emblée la légitimité de chacun au travail politique, mais au prix d’une aussi nécessaire éducation à ce travail2.
11Mais sur quoi repose un tel postulat ? Ne s’agit-il pas d’une simple conviction morale comme semblent le penser Cheryl Mizak et Robert Talisse ? Postuler cette sorte de parité épistémique de chacun permet certes de ne préjuger d’aucun citoyen et donc de n’exclure a priori personne, mais comment valider un tel postulat ? L’expert, dans sa conception classique (le sage) ou moderne (le technocrate) peut légitimement douter de cette égalité des intelligences. Et c’est pourquoi, grâce à John Dewey, nous pouvons proposer un nouvel argument, que nous qualifions de « culturel », car il fait le pont entre les arguments épistémiques et les arguments moraux.
12Il s’agit de dire qu’il existe une corrélation entre la démocratie et l’éducation qui permet sur le long terme de mieux partager les convictions entre les citoyens. Cela signifie que l’éducation comme fait social crée une culture plus efficace pour prendre des décisions communes (à condition que ce processus éducatif permette de lutter contre les biais mentionnés précédemment)3. Ce processus éducatif permet de familiariser les individus à la diversité des opinions (et in fine des options possibles à un problème politique), ce qui forme la première étape pour rendre possible l’argument de l’efficacité épistémique de la diversité. Faire croire et faire accepter par le plus grand nombre possible d’apprenants l’idée d’une égalité des intelligences (en tant que conviction morale) augmente la légitimité des opportunités démocratiques (en tant que processus délibératif où la participation de tous est reconnue comme une vertu épistémique4).
13Pour le dire simplement, si on ne se prononce pas sur la validité épistémique ou morale de l’idée d’une égalité des intelligences, mais que nous l’enseignons en classe par exemple, alors cette idée va devenir une conviction « culturelle » de plus en plus partagée dans la population (Roussin, 2020). Partage qui va alors alimenter la quête d’un système politique en accord avec cette conviction « culturelle », et ainsi donner une préférence aux systèmes démocratiques. Cette promotion culturelle ne peut alors s’avérer que plus efficace qualitativement et quantitativement que les promotions d’autres régimes plus élitistes. Ainsi, l’expert n’est plus légitime a priori si chacun croit que le problème politique en question est à la portée d’un groupe de citoyens qui réfléchit ensemble dessus (et avec les bons outils d’information, de communication et de délibération). C’est pour cette raison que les référendums, consultations citoyennes, et autres dispositifs délibératifs déclenchés à l’initiative des citoyens sont de plus en plus réclamés au sein des démocraties occidentales. De plus, même si on ignore à l’avance quels sont les bons critères de la décision politique, on croit qu’ensemble on résoudra mieux nos problèmes que seuls ou avec des experts. Cette performativité de cette conviction éducative (en un autogouvernement collectif, processuel et expérimental) corrélée avec son influence « culturelle » devient alors un atout épistémique pour la démocratie.
14Peut-être prendrons-nous ensemble une mauvaise décision, mais nous serons plus nombreux à la trouver bonne et à accepter de la modifier par un processus délibératif au cas où l’expérience la jugera inefficace ou non pertinente, car nous croyons en cette capacité collective à faire émerger une intelligence politique. Cette conviction « culturelle », aux frontières de la morale et de la science, transforme la performativité culturelle d’une vertu morale en une vertu épistémique. Ainsi, les pratiques pédagogiques (comme les CRP) prônées dans cette perspective pragmatiste, si elles se défendent de véhiculer la moindre des certitudes, doivent minimalement transmettre cette conviction culturelle en la démocratie. C’est en ce sens que l’incarnation politique et l’incarnation pédagogique de la démocratie se rejoignent sur le plan théorique, en se justifiant mutuellement.
15Toutefois, cela pose néanmoins la question de l’éducation à une telle conviction. Comment éduque-t-on des enfants pour leur partager cette conviction des vertus épistémiques de la délibération démocratique ?
3. Questionnement, hypothèse et méthodologie
3.1. Comment rendre compte méthodologiquement d’une conviction ?
16Poursuivons notre perspective pragmatiste5 pour rendre compte du problème de l’éducation à la conviction culturelle de la démocratie : comment mettre en évidence, à partir de traces langagières, les processus de pensée mobilisés attestant de la présence de certaines convictions de la part des participants ? Deux hypothèses et une remarque nous semblent ici indispensables pour se doter d’une méthode d’analyse appropriée.
17Notre première hypothèse peut se formuler ainsi : l’expression d’une conviction se manifeste par des activités métacognitives fournissant un certain nombre d’indices langagiers qu’une analyse d’un échange lors d’une CRP peut révéler. Une partie de ces activités métacognitives correspondent à des habiletés de pensée (Lipman, 1995 ; Sasseville & Gagnon, 2012), et c’est leur combinaison par le locuteur qui rend compte, selon nous, de la manifestation d’une conviction. Ainsi, même si cette manifestation n’est jamais prouvée, mais seulement rendue probable par les indices langagiers6, il nous semble que les ressources verbales d’un échange dont on dispose pour l’analyse permettent d’assurer convenablement cette probabilité (Auriac-Peyronnet, 2007). Ces dernières comportent à la fois des verbes, adverbes et semi-auxiliaires modaux, des locutions adverbiales et des propositions en incises spécifiques à chaque habileté de pensée. La manifestation d’une conviction, en tant que combinaison de plusieurs habiletés de pensée, devra rendre compte d’un certain nombre de ces indices langagiers.
18De plus, gardons également à l’esprit, que ; (a) en plus de ces ressources verbales, l’analyse d’une CRP, dans cette perspective de recherche, pourrait s’enrichir des indices que laissent l’intonation, les mimiques, les gestes des participants, mais également l’ensemble des comportements langagiers (ratures orales, hésitations, etc.), pour mieux observer l’expression de ces convictions. Et (b) la répétition et la fréquence de l’expression de cette conviction au sein d’un échange d’une CRP permettraient de renforcer, ou non, la probabilité de cette dernière pour les participants. Cependant, ces indices quantitatifs ont été écartés pour notre analyse, car l’expression d’une conviction nous semble aussi dépendre de la présence d’un moment opportun (kairos) d’un échange. Or, penser, et rendre compte par l’observation, du kairos (Pierrisnard, 2017) de la manifestation d’une conviction au sein d’une CRP demanderait d’autres efforts de conceptualisation que ceux déployés ici.
19Ensuite, une seconde hypothèse est nécessaire pour notre projet et consiste à distinguer épistémologiquement ce qui est de l’ordre d’une conviction (belief) et ce qui relève d’une simple idée (idea). En effet, un participant d’une CRP peut très bien énoncer une idée lors d’un échange sans que celle-ci soit pour lui une réelle conviction. Aussi, bien que là aussi les ressources verbales permettent souvent de les distinguer (on pensera à tous les indices relevant des habiletés de pensée relatives à l’énonciation d’hypothèse, de la nuance ou encore de la problématisation), il convient de les distinguer pour notre méthodologie. C’est pourquoi, toujours dans une perspective pragmatiste, nous distinguons ici la conviction de l’idée7 au sens où la conviction nécessite un engagement de l’acteur dans un travail de cohérence entre ses idées et ses actions (Dewey, 1930, 1939). Là où une idée énoncée peut rester orpheline de toutes pratiques et de toute cohérence avec d’autres convictions, l’importance d’une conviction se jugera à son implication pratique et sa cohérence pour l’acteur. De plus, cette différence entre conviction et idée s’étendra à mesure que, dans la durée, la conviction s’inscrira dans une habitude (mentale et pratique), ce que n’aura pas tendance à faire l’énonciation d’une « simple » idée (Stitzlein, 2014). Ainsi, lors de la pratique d’une CRP, et ce d’autant plus que cette pratique est répétée sur un temps long, on jugera de la probabilité de la manifestation ou non d’une conviction, à la fois par l’implication du participant dans son énonciation, mais également par sa cohérence avec les autres idées formulées par ce même participant.
20Enfin, une dernière remarque nous semble nécessaire pour clarifier la relation que le pragmatisme établit entre une discussion d’une CRP, un processus délibératif et le partage de la conviction démocratique (décrite précédemment). Soutenir que la pratique des CRP à l’école contribue à l’apprentissage et à la valorisation du processus délibératif (nécessaire à l’idéal démocratique) ne signifie pas que toute CRP doit mener à une prise de décision commune. Il y aurait ici un risque de réduire l’apprentissage de la discussion à visée philosophique et démocratique des CRP à une seule de ses formes : la délibération. Au contraire, avec les philosophes pragmatistes de l’éducation, nous soutenons l’idée que l’apprentissage de ses discussions « prépare » celui de la délibération. C’est-à-dire que les habiletés de pensée et la valorisation des manifestations (que nous déclinons plus bas) de la conviction démocratique forment la base épistémique et éthique indispensable à l’apprentissage de la délibération démocratique. En somme, avant que les enfants, futurs citoyens, excellent et soient convaincus de l’efficacité du processus délibératif pour résoudre leurs problèmes plutôt que de faire usage de la force ou de la manipulation, il faut leur transmettre l’habitude et le gout de ces discussions collectives. Lors des CRP, on doit donc se garder de prôner certaines convictions (scientifiques, culturelles ou politiques) plus que d’autres auprès des enfants… à part celle, démocratique, qui rend justement possible et souhaitable aux yeux des participants le déroulement de cette pratique. C’est d’ailleurs pourquoi il est généralement conseillé de commencer une CRP, et ce surtout si cette pratique est nouvelle pour les enfants, par leur énoncer un certain nombre de « règles » régissant et assurant la qualité de la discussion collective, sans pour autant interdire ou prôner telle ou telle opinion. Ces « règles » sont ainsi la traduction didactique de cette conviction culturelle en la démocratie, elles n’interdisent pas, mais au contraire permettent l’expression de tous et de toutes.
3.2. Justification du choix du corpus sélectionné pour l’analyse
21Maintenant que les hypothèses du cadre méthodologique de notre analyse sont présentées, il nous faut rendre compte du choix de la CRP choisie ici pour les illustrer. Notre objectif de donner un exemple de la manière dont une CRP peut s’avérer être un outil pédagogique pertinent pour éduquer les enfants, quel que soit leur âge, à la conviction culturelle en la démocratie. Pour ce faire, précisons qu’il est évidemment possible d’étudier l’intérêt des CRP pour l’éducation démocratique de nombreuses manières (Beaudry, 2019 ; Herla, 2013 ; Duclos, 2014) grâce à de nombreuses méthodes d’analyse (ten Dam & Volman, 2004). Cependant, pour notre part, nous nous en tenons à une perspective pragmatiste proche de celle déployée par Joëlle Zask (2019), perspective où les convictions culturelles sont des valeurs s’exprimant au cours de l’action des individus au niveau des choix réalisés entre plusieurs expériences, au sein du schème de l’enquête. Par le langage donc, on peut observer des choix d’expérimentation réalisés par les participants d’une discussion.
22C’est pourquoi la méthodologie employée nous pousse à chercher les habiletés de pensée déployées par les participants d’une CRP, et ce, à partir des ressources verbales de cet échange. C’est pourquoi nous proposons d’observer dans notre extrait la conviction culturelle en la démocratie à partir de quatre de ses manifestations8 : l’expérimentalisme, l’hospitalité épistémique de la diversité, le méliorisme et le faillibilisme collectif. Nous définirons (succinctement) chacune de ses manifestations au moment même de son analyse, au moment où elle apparait dans le corpus. Ce dernier est issu de la thèse de Anda Fournel (2018), Analyse pragmatique et actionnelle de l’acte de questionner. Le questionnement chez des élèves de primaire et de collège pratiquant la philosophie à l’école. Et plus particulièrement, c’est la séance « Pourquoi on se pose des questions » qui a retenu notre attention, car on peut y observer au moins une apparition probable des quatre éléments de la conviction culturelle en la démocratie dans les paroles des participants. Elle servira donc de support pour nos exemples.
23De plus, le choix de cette séance se justifie par une autre raison que celles de son point de départ « Pourquoi se pose-t-on des questions ? ». En effet, l’échange de cette séance montre particulièrement bien la « coconstruction d’idées » (Lebas-Fraczak, 2016) par les participants à partir de l’enquête guidée par l’enseignante. Cela est d’autant plus notable que ce sont les enfants qui relèvent en premier les obstacles à l’enquête commune. C’est-à-dire que la difficulté de se poser des questions ensemble, de comprendre les questions ou les réponses d’autrui, ou d’en apprécier la portée apparait rapidement lors de l’échange. Ainsi, ce sont les obstacles à cet idéal de délibération démocratique qui stimulent le travail et l’apparition des manifestations de la conviction culturelle démocratique. Ces dernières sont alors moins des revendications individuelles affirmées que des résultats d’une réflexion sur un problème commun. Nous espérons ainsi, avec toute la prudence nécessaire à une analyse sérieuse, pouvoir repérer les quatre manifestations évoquées de la conviction culturelle en la démocratie, au sein de cette séance du corpus9.
4. Analyse et résultats : la communauté de recherche philosophique et l’éducation à la démocratie
4.1. Hospitalité épistémique de la diversité
24Ce troisième temps de notre chapitre se donne pour objectif de rendre compte de la manière dont une communauté de recherche philosophique peut s’avérer être un outil pédagogique pertinent pour éduquer les enfants, quel que soit leur âge, à cette conviction démocratique.
25Cependant, avant de se livrer à l’analyse des paroles de ces enfants, remarquons tout d’abord un élément qui marque profondément ces discussions et qui s’avère également indispensable à l’éducation de notre conviction démocratique. Il s’agit d’un point essentiel de l’argument épistémique de la démocratie et qui appartient autant à John Dewey qu’à Matthew Lipman. Ce point de partage, encore peu travaillé par la recherche, est celui de l’ « hospitality of mind » (Dewey 1924, p. 201) que l’on peut traduire par hospitalité épistémique (Point, 2020). Cette expression signifie une vertu où l’on reconnait les différences d’opinions des participants d’une discussion, et ce dans une diversité originelle dont on se doit de prendre soin et qu’on doit enrichir. C’est dire que l’on considère cette diversité comme un avantage épistémique pour mener à bien une délibération, car on considère, plus ou moins consciemment, que cette diversité d’opinions participe à l’émergence des compétences politiques (ici, plus simplement dialogique) de chacun10. Ainsi, l’une des manifestations les plus conséquentes de la conviction culturelle en la démocratie est donc celle de l’hospitalité épistémique de la diversité. Celle-ci apparait au moins une fois dans la séance sélectionnée du corpus, lors d’un échange entre un élève et l’enseignant :
Extrait 1.
223 | Laurent | voilà et aussi il faut pas les garder pour soi les questions |
225 | Laurent | il faut le dire les dire |
(…) | ||
236 | Enseign. | (…) il peut y avoir plusieurs réponses donc on peut nous trouver notre réponse et on peut essayer de voir un peu ce que les autres pensent // c’est ce qu’on fait en philosophie // c’est ce qu’on fait maintenant // on pourrait être chez soi tout seul en train de se dire tiens pourquoi on se pose des questions, mais c’est encore mieux d’être là ensemble et de se poser la question tous ensemble // non ? // c’est ce que tu voulais dire Laurent ? |
237 | Laurent | oui |
26Lors de cet échange, à des niveaux différents d’expression orale suivant la parole de l’élève ou de l’enseignant, se trouve exprimée l’importance du partage des questions pour leur résolution. Ici, on peut supposer que la différence des points de vue et la capacité des uns et des autres à accepter cette différence sont valorisées par les participants. De plus, on remarquera que cette valorisation de l’hospitalité envers autrui au sein du processus d’enquête n’est pas présentée comme une nécessité morale, mais comme la condition d’un gain épistémique (ensemble, on se posera de meilleures questions). On peut donc interpréter comme l’indice d’une validation de la vertu de l’hospitalité épistémique la déclaration de Laurent : « il faut pas garder pour soi les questions ».
4.2. L’expérimentalisme
27La deuxième manifestation de la conviction étudiée, découlant de la première, est également extrêmement importante pour les philosophes et pédagogues pragmatistes, il s’agit de l’expérimentalisme. Ce dernier comporte de nombreuses implications épistémologiques et pédagogiques au sein du pragmatisme, mais peut néanmoins se comprendre dans l’idée que la plus haute autorité épistémique réside dans l’expérimentation d’un sujet. Ni une autorité morale, religieuse ou politique, ni l’évidence ou le bon sens, ni l’acharnement ou la répétition ne permettent, pour les pragmatistes, de former une méthode d’enquête supérieure épistémiquement à celle qui inclut dans sa démarche l’expérimentation (Peirce, 1877). Ainsi l’importance de l’expérience (même comme expérience de pensée) en philosophie pour enfants a été soulignée par Matthew Lipman (1980, p. 26), et fait de cette pratique un dispositif pédagogique servant à reconstruire une expérience commune11 entre les participants (au moyen, entre autres, d’un support narratif en début de CRP). L’intérêt de cet expérimentalisme semble apparaitre deux fois au sein de notre séance de manière probable. La première fois lors d’un échange entre Laurent et l’enseignante portant sur l’intérêt de se poser des questions pour ne pas commettre d’erreur :
Extrait 2.
14 | Enseign. | d’accord // est-ce que c’est vraiment connaitre des choses ça le fait de pas refaire une bêtise |
15 | Laurent | ça fait euh : d’apprendre des choses |
16 | Enseign. | d’accord // apprendre // alors on met pas connaitre on met apprendre ? {pause} // {en s’adressant à Laurent} donc là ce serait apprendre d’une expérience ? |
17 | Laurent | oui |
28De plus, lors de sa deuxième apparition (portant sur l’alimentation des écureuils), l’expérimentalisme est présenté par un enfant, dans ses mots bien évidemment, comme un principe scientifique permettant de distinguer une croyance vraie d’une fausse :
Extrait 3.
156 | Mathéo | je voulais revenir sur ce qu’avait dit Sophia ben:: y avait sur internet c’était un documentaire et y avait / y avait des / y avait des écureuils qui mangeaient les oiseaux et à un moment je me suis dit, mais un écureuil c’est pas carnivore et tout // j’y croyais pas et en fait c’est je sais plus si c’est à la fin ben il y avait écrit euh c’était des gens et tout qui avaient fait des expériences plein plein plein // et en fait bah c’était vrai et en fait j’y croyais pas // donc des fois aussi ça peut être vrai // c(e) qu'on croit pas |
29Dans les deux cas, faire des erreurs pour apprendre et se corriger grâce à une expérience, relève d’un processus autocorrectif au sein de la CRP. Cet expérimentalisme contredit alors logiquement l’idée qu’une décision peut être bonne a priori, ou décidée en amont d’une délibération par un expert omniscient. Cette importance de l’expérience dans l’apprentissage permet la remise en cause des certitudes, quelles que soient leurs origines, et rend possible le débat démocratique entre les participants sur leurs convictions.
4.3. Le faillibilisme collectif
30La troisième manifestation de la conviction démocratique combine les deux premières pour former le principe du faillibilisme collectif que l’on peut énoncer ainsi : le partage de l’enquête entre les individus permet de multiplier les formulations du problème, les hypothèses de résolution, les expérimentations et les retours réflexifs à partir des résultats de ces dernières. De plus, cette multiplication des essais permet une amélioration quantitative et qualitative du processus d’enquête (un plus grand nombre d’hypothèses expérimentées en un temps plus bref que lors d’une enquête solitaire). Cette idée, chère à John Dewey, est pour lui à la fois un argument central en faveur de la démocratie et contre une épistocratie (Dewey, 1927), et un acquis conséquent de l’enquête comme processus logique (Dewey, 1938). C’est pourquoi cette idée sera également présente dans les écrits de Matthew Lipman sur les vertus de la philosophie pour enfants (Abel, 2008, p. 201). Compris ainsi le faillibilisme collectif apparait de manière probante dans les paroles des participants lorsqu’ils évoquent l’importance de partager à autrui les questions que l’on se pose soi-même :
Extrait 4.
28 | Enseign. | d’accord // donc euh il y a des choses qu’on ne sait pas et si on pose pas : la question on reste dans l’ignorance c’est ce que tu veux dire ?// d’accord// Théo |
29 | Théo | ben en fait c’est un peu pareil que les fautes qu’elle avait dit Emma que quand tu fais une faute après // vous nous corrigez et après on apprend // c’est pareil |
30 | Enseign. | hum hum // oui / oui hein quand on pose une /une question parce qu’on connait pas euh un mot c’est important de la /la poser // et c’est aussi important de faire des/des erreurs comme ça après on peut les corriger // d’accord ? |
31 | Théo | et les apprendre après |
32 | Enseign. | et on apprend de ses erreurs oui // Lila |
(…) | ||
51 | Alice | […] donc en fait on a des questions un peu tout le temps et du coup ça sert à / à apprendre des choses et euh /et à / à / à devenir un peu plus intelligent chaque jour parce qu’on apprend beaucoup plus de choses en posant des questions qu’en gardant euh :: en soi la question il faut la dire parce que sinon on va jamais euh :: on va jamais pouvoir y répondre tout seul |
31De part et d’autre de cet échange entre Théo, Alice et l’enseignante, on peut comprendre que les participants finissent par partager l’idée que le principe de l’enquête (où l’expérimentation est un processus constant et quotidien de questionnement) permet de s’améliorer, et ce d’autant plus si le processus est partagé. Pour ces enfants, il semblerait que ce sont les questions d’autrui qui rendent possible la progression des réflexions personnelles. Les interrogations, et leurs « améliorations » émergent du dialogue délibératif, et permettent in fine de prendre de « bonnes décisions ».
4.4. Le méliorisme
32Le quatrième et dernier marqueur de la conviction démocratique présenté ici se construit à partir des trois manifestations précédentes. Leur combinaison donne ainsi lieu à un méliorisme qui sera le dernier exemple de notre propos. Le méliorisme est, dans une perspective pragmatiste, une conviction que toute situation problématique ou difficile peut s’améliorer au prix d’un effort quotidien, collectif et réfléchi, et ce de manière constante et sans se conclure dans un achèvement idéal ou parfait. C’est l’idée que l’enquête (menée démocratiquement ou non) est un outil permettant de rendre meilleur ce qui nous occupe12. Le méliorisme devient un objectif pédagogique pour Matthew Lipman (1989), au sens où l’éducation progressiste (que permet la pratique des CRP) doit avoir, parmi d’autres objectifs, celui d’améliorer le jugement des enfants, pour qu’ils soient plus tard, de meilleurs citoyens dont la démocratie a besoin (Lipman, 1989, p. 12). Voyons comment ce méliorisme peut s’incarner, en complétant l’hospitalité épistémique envers la diversité, l’expérimentalisme et le faillibilisme collectif, au sein d’une discussion issue de notre séance :
Extrait 5.
367 | Théo | euh:: mais Sophia avait dit que {regarde Sophia} que c'est / quand a des fautes / les fautes / mais en faites les fautes c'est bien parce que après // les fautes // quand tu fais une faute en fait après tu fais plus les fautes {Rémi: ça veut rien dire euh} bah sur internet // internet c'est faute et après si tu les [crois] à l'école quand tu fais cours de philosophie tu fais une erreur et après si tu fais le truc euh // comme ça après (il) y a plusieurs personnes après qui peuvent continuer // elles vont dire leur chose sur / sur la réponse de / sur la réponse de Sophia de::: euh ou d'une autre personne |
368 | Enseign. | est-ce que tu veux dire que c'est bien que sur internet (il) y a plusieurs choses différentes qui soient pas vraies // c'est ça que tu veux dire |
(…) | ||
371 | Théo | et si on fait des fautes // ça fait rien parce qu'après tu / tu peux continuer |
372 | Enseign. | faites des fautes // faites-en {plusieurs voix} // c'est pas des fautes (xxxx) fautes ça veut dire on essaie // même si on n'est pas sûrs on essaie |
373 | Théo | de faire les choses// c'est pas ça une faute |
374 | Enseign. | on essaie de faire plutôt que de pas faire // au risque de faire des erreurs |
375 | Théo | on espère de faire le mieux qu'on peut |
33Ici, il nous semble que l’échange entre Théo et l’enseignante illustre bien comment et pourquoi la diversité apparait, pour Théo, comme étant une ressource indispensable à l’expérimentation et au faillibilisme collectif apparu précédemment. En effet, comme chacun « espère faire du mieux qu’il peut » (conviction méliorative), et que chacun a des réponses différentes (diversité épistémique) alors, s’il existe des lieux d’échange, comme le « cours de philosophie » ou « internet » où les individus s’écoutent [hospitalité épistémique], on est en droit d’espérer qu’il est possible d’améliorer ses réponses si « on essaie » [expérimentalisme] et que l’on corrige ensemble des pratiques concrètes (faillibilisme collectif).
5. Conclusion
34Reprenons nos interrogations initiales : Les enfants pratiquant la philosophie pour enfants à l’école croiront-ils davantage que les autres enfants en la légitimité de la démocratie par rapport à d’autres régimes plus autoritaires ? Et la conviction de ces enfants en elle renforcera-t-elle la supériorité épistémique de la démocratie sur ces régimes ? Répondre positivement à ces deux questions relève d’une véritable gageure, et ce n’est pas notre prétention ici. Cependant, nous avons voulu montrer ici la relation qu’entretenaient ces deux questions et rendre ainsi compte d’un des espoirs les plus connus de la CRP : être un outil pédagogique d’une éducation démocratique. Le travail réalisé ici est donc davantage de l’ordre de la suggestion que de la démonstration, en apportant cependant un élément nouveau : celui de la possibilité de rendre compte de cette relation à partir de la manifestation en CRP d’habiletés de pensée qui incarnent des valeurs propres à un ethos démocratique réel, selon la philosophie pragmatiste.
35Ainsi, nous avons exposé le rapport classique d’implication mutuelle qui lie la démocratie et l’éducation des citoyens : d’une part, la démocratie ne sera jugée légitime (ou supérieure à d’autres régimes) par les citoyens, si et seulement si, ces derniers sont éduqués et sensibilisés à ses bienfaits politiques. Et, d’autre part, une éducation à la démocratie, pour remplir sa finalité, doit montrer aux citoyens tout l’intérêt des processus démocratiques où tous participent en visant un bien commun à tous. À partir de ce rapport d’implication mutuelle, nous sommes parvenus à l’idée que les pratiques pédagogiques se réclamant d’une telle éducation démocratique doivent logiquement attester dans leur pratique de la transmission et du partage des convictions épistémiques appartenant à cette visée démocratique. Nous nous sommes alors demandé si les CRP pouvaient revendiquer une telle visée, et si oui, par quels moyens en rendre compte. Ici, de nombreuses réserves nous sont apparues sans que, toutefois, la possibilité de rendre compte du partage de la conviction démocratique, par la manifestation de l’hospitalité épistémique envers la diversité, l’expérimentalisme, le faillibilisme collectif et le méliorisme ne soit complètement réfutable. Nous avons donc, dans un dernier temps, illustré cette possibilité de recherche par des exemples pris dans une séance précise du corpus collectif.
36À la suite de notre propos, et avec toute la prudence nécessaire, il conviendrait de prolonger cette perspective pragmatiste et de se demander, parmi les multiples manières de mener des CRP, lesquelles seraient les plus adaptées à cette transmission « en acte » de la valeur d’une démocratie délibérative et éducative (plutôt qu’une démocratie des « sachants ») auprès des enfants.
6. Bibliographie
37Abel Gilles, 2008, « Chapitre 11. À l’horizon de la philosophie avec les enfants : la démocratie comme attitude », dans C. Leleux (dir.), La philosophie pour enfants, vol. 2, Bruxelles, De Boeck Supérieur.
38Achen Christopher H. & Bartels Larry M., 2016, Democracy for Realists: Why Elections Do Not Produce Responsive Government, Princeton, Princeton University Press.
39Auriac-Peyronnet Emmanuèle, 2007, « Effet de discussions à visée philosophique sur le processus de génération d’idées », Enfance, vol. 59, no 4, p. 356-370.
40Beaudry Nadia, 2019, « La philosophie pour les enfants, éducation à la démocratie : l’importance de la pensée créative », Revista do NESEF vol. 8, no 2, disponible en ligne sur https://revistas.ufpr.br/nesef/article/view/70927.
41Bohman James, 1997, «The Moral Costs of Political Pluralism: The Dilemmas of Difference and Equality in Arendt’s “Reflections on Little Rock” », dans Hannah Arendt: Twenty Years Later, Studies in Contemporary German Social Thought, Cambridge, Mass., MIT, p. 53-80.
42Chetty Darren. « Racism as ‘Reasonableness’: Philosophy for Children and the Gated Community of Inquiry », Ethics and Education, vol. 13, no 1 (2 janvier 2018), p. 39‑54.
43Cohen Joshua, 1986, « An Epistemic Conception of Democracy », Ethics, vol. 97, no 1, p. 26-38.
44Daniel Marie-France, 2008, « Chapitre 2. Présupposés philosophiques et pédagogiques de Matthew Lipman et leurs applications. », dans C. Leleux (dir.), La philosophie pour enfants, vol. 2, Bruxelles, De Boeck Supérieur.
45Dewey John, 1920, « The reconstruction in Philosophy », dans The Middle Works of John Dewey, 1899-1924, vol. 12, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
46Dewey John, 1924, « The Prospects of the Liberal College », dans The Middle Works of John Dewey, 1899-1924. vol. 15, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
47Dewey John, 1927, « The Public and Its Problems. An Essay in Political Inquiry », dans The Later Works of John Dewey, 1925-1953, vol. 2, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
48Dewey John, 1929, « The Quest for Certainty. A Study of the Relation of Knowledge and Action. », dans The Later Works of John Dewey, 1925-1953, vol. 4, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
49Dewey John, 1930, « What I Believe. Living Philosophies », dans The Later Works of John Dewey, 1925-1953, vol. 5, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
50Dewey John, 1938, « Logic: The Theory of Inquiry », dans The Later Works of John Dewey, 1925-1953, vol. 12, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
51Dewey John, 1939, « I Believe », dans The Later Works of John Dewey, 1925-1953, vol. 14, Charlottesville, Southern Illinois University Press.
52Duclos Anne-Marie, 2014, « La Philosophie pour enfants comme approche subversive face à la logique néolibérale en éducation », Éthique en éducation et en formation. Les Dossiers du GREE 1, no 3, p. 75‑97.
53Estlund David, 2011, L’autorité de la démocratie : une perspective philosophique, trad. fr. Y. Meinard, Paris, Hermann.
54Field Terri. « Philosophy for children and the feminist critique of reason », Critical and Creative Thinking 3, no 1 (1995), p. 9‑12.
55Frega Roberto, 2006, John Dewey et la philosophie comme épistémologie de la pratique, Paris, L'Harmattan, coll. « La philosophie en commun ».
56Gasparatou R., 2016, « Philosophy for/with Children and the Development of Epistemically Virtuous Agents », dans M. Gregory, J. Haynes & K. Murris (dir.), The Routledge International Handbook of Philosophy for Children, Abingdon, Routledge, p. 103‑110.
57Habermas Jürgen, 1981, Théorie de l’agir communicationnel, tome 1, Paris, Fayard.
58Held David, 2006, Models of Democracy, 3e éd., Stanford, Stanford University Press.
59Herla Anne, 2013, « La discussion philosophique en classe : une pratique de l’émancipation », Tracés. Revue de sciences humaines, no 25, p. 103-124.
60Hobbes Thomas, 1679 (1990), « Behemoth », Oeuvres, tome IX, Paris, Vrin.
61Landemore Hélène, 2017, Democratic Reason: Politics, Collective Intelligence, and the Rule of the Many, Princeton, Princeton University Press.
62Lebas-Fraczak Lidia, 2016, « Les opérations intellectuelles des élèves et la perception de l’enseignante dans trois DVP en classe de CP », Recherches en éducation, no 24 (Les ateliers-philo en contexte scolaire), p. 1-12.
63Lipman Matthew, 1995 (2006), A l'école de la pensée. Enseigner une pensée holistique, 2e éd., Bruxelles, De Boeck Supérieur.
64Lipman Matthew, 1989 (2005), « Renforcer le raisonnement et le jugement par la philosophie », dans C. Leleux (dir.), La philosophie pour enfants. Le modèle de Matthew Lipman en discussion, Bruxelles, De Boeck, p. 11-24.
65Lipman Matthew, 1980, Philosophy in the Classroom. 2e éd., Philadelphia, Temple University Press.
66Lipman Matthew, Sharp Ann Margaret, 1978, Growing up with Philosophy, Philadelphie, Temple University Press.
67Lippmann Walter, 2005, The Good Society, New Brunswick, Transaction Publishers.
68Manin Bernard, 1985, « Volonté générale ou délibération : esquisse d’une théorie de la délibération politique », Le Débat, 1985/1, no 33, p. 72-94.
69Pierrisnard Christine, 2017, « Quels aspects temporels critiques pour une discussion à visée philosophique réussie ? », dans J.-P. Simon & M. Tozzi (dir.), Paroles de philosophes en herbe. Regards croisés de chercheurs sur une discussion sur la justice en CM2, Grenoble, UGA Éditions, p. 131-147.
70Peirce Charles Sanders, 1877, « The Fixation of Belief », Popular Science Monthly 12, no 1 (1877), p. 1-15.
71Point Christophe, 2019a, « Enseigner pour apprendre : un défi pragmatiste ? », dans Qui éduque qui ? Pour une pédagogie inverse en philosophie, Éditions Lambert Lucas, coll. « didac-philo », p. 93-112.
72Point Christophe, 2019b, « Pratiquer la philosophie : expérimenter au lycée», Chronique Sociale, Lyon.
73Point Christophe, 2020, « Hospitalité épistémique et pédagogie universitaire : l’égalité et ses problèmes », Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, no 58.
74Point Christophe, « Faire de la démocratie une éthique et une pédagogie ». Éthique en éducation et en formation. Les Dossiers du GREE no 4 (2017), p. 76‑91.
75Roussin Juliette, 2019, « Deux conditions de la légitimité démocratique », Philosophiques 46 (1), p. 45-66.
76Roussin Juliette, 2020, « La démocratie épistémique : une perspective condorcétienne », Cahiers philosophiques, no 160, p. 55-74.
77Sasseville Michel & Gagnon Mathieu, 2012, Penser ensemble à l’école : Des outils pour l’observation d’une communauté de recherche philosophique en action, 2e éd., Québec, Presses de l’Université Laval.
78Stitzlein Sarah M., 2014, « Habits of Democracy: A Deweyan Approach to Citizenship Education in America Today », Education and Culture, vol. 30, no 2, p. 61‑86.
79Ten Dam Geert & Volman Monique, 2004, « Critical thinking as a citizenship competence: Teaching strategies », Learning and Instruction, vol. 14, no 4, p. 359-379.
80Zask Joëlle, 2019, « L’enquête et ses obstacles », Recherche formation, vol. 92, no 3, p. 83‑94.
Notes de bas de page
1 Pour un panorama récent de ces théories, on consultera Estlund, 2011 et Landemore, 2017.
2 C’est pourquoi, chez cet auteur, la démocratie n’est pas seulement un système politique, mais une « forme de vie » collective qui s’acquiert au moyen d’une éducation (au sens large), ce qui justifie théoriquement le besoin de penser également la démocratie en tant que perspective pédagogique (Point, 2017).
3 Sur ce point, il convient de distinguer l’éducation comme processus général d’apprentissage des êtres humains au sein de toutes sortes de situations, de ceux, plus étroits, relevant de la scolarisation ou de l’instruction (qui se limitent généralement aux situations scolaires ou académiques).
4 Sur ce point, il convient de rappeler que faire de la délibération une vertu épistémique nécessaire à toute « bonne » éducation n’est pas exempt de tout soupçon de biais colonialiste. C’est pourquoi la littérature scientifique des chercheurs et chercheuses travaillant sur les effets politiques des CRP montre ainsi une certaine sensibilité aux effets du racisme systémique sur les délibérations menées par les enfants dans ce cadre-là (Gasparatou, 2016 ; Field, 1995 ; Chetty, 2018).
5 On notera qu’il est possible de mener des CRP sans cette perspective pragmatiste. Cependant, cela reviendrait à mener un dialogue entre les enfants, sans partager ou faire partager la conviction aux participants de ce dialogue que ce dernier ait une valeur épistémique particulière. Dans ce cas, le dialogue peut être mené au nom d’autres intérêts (le développement individuel du jugement critique, la découverte de la vérité, le bien-être procuré par la communauté, etc.) mais ces derniers sortent alors du champ de notre étude.
6 Gardons à l’esprit que, par prudence méthodologique, nous ne pouvons prétendre observer ce qui se passe uniquement dans la tête d’un participant, mais, tout au plus, rendre compte des signes et des modes de reconnaissance que nous interprétons comme activité mentale spécifique.
7 Bien entendu, il ne s’agit pas ici d’établir un dualisme épistémologique strict, mais d’obtenir un rapport de différentiation par degré entre ces deux concepts. De plus, nous distinguons du concept de conviction [belief] celui de certitude [certainty], au sens où cette dernière ne permet pas l’enquête collective et tente plutôt de s’extraire de la critique du dialogue que de s’en nourrir (Dewey, 1929).
8 Nous écartons volontairement de notre propos, par souci d’efficacité, l’argumentation établissant le déploiement de la conviction démocratique en ces quatre critères. Pour une présentation de cette argumentation, voir Frega, 2006 ; Point, 2019a, 2019b. Rappelons seulement que ces quatre critères sont nécessaires mais non suffisants, qu’ils se réalisent dans une pratique quotidienne et ordinaire, et se renforcent réciproquement (Stitzlein, 2014) car ils se rendent mutuellement possibles et crédibles. C’est pourquoi nous les présenterons dans un certain ordre qui rendra visible cet effet cumulatif de renforcement de la conviction démocratique.
9 Gardons toutefois à l’esprit que la même méthode pourrait également être appliquée pour chercher des manifestations de convictions opposées à celle sur laquelle nous travaillons actuellement. Faire ce travail pourrait ensuite mener, dans d’autres recherches, à une analyse qualitative (dynamique de la défense des unes et des autres) et quantitative (robustesse ou faiblesses des convictions observées) de l’opposition de ces convictions entre elles lors des échanges de la CRP.
10 Ainsi, le processus d’une CRP n’est pas de découvrir la Vérité, de se mettre d’accord sur un seul point de vue, ou de défendre son opinion contre celle d’autrui. Au contraire, pour Matthew Lipman, l’un des objectifs de ces CRP est le développement d’une pensée où aucune autorité n’est supérieure à cette diversité épistémique lors du processus délibératif.
11 « What children lack is experience of the world; their logical powers are sufficient to process adequately the information they acquire. Thus, education should concentrate on giving children this experience » (Lipman & Sharp, 1978, p. 10).
12 « Le méliorisme est la conviction que les conditions spécifiques qui existent à un moment donné, qu'elles soient comparativement mauvaises ou comparativement bonnes, peuvent dans tous les cas être surmontées. Elle encourage l'intelligence à étudier les moyens positifs du bien et les obstacles à leur réalisation, et à mettre en avant les efforts pour l'amélioration des conditions. » (Dewey, 1920, 181-182.)
Auteur
Christophe Point est professeur adjoint à l'Université de Sherbrooke, docteur en philosophie de l'éducation qualifié en sections CNU 17 et 70. Il est auteur d’une thèse intitulée « John Dewey : propositions pour une reconstruction démocratique de l'université » réalisée en cotutelle sous la direction d'Eirick Prairat (Université de Lorraine, France) et de Luc Bégin (Université Laval, Québec). Codirecteur du GREE (Groupe de Recherche Éthique en Éducation et en Formation) et membre régulier du CRIFPE (Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante) ses travaux de recherche portent sur l'histoire des idées éducatives, l'éthique professionnelle de la personne enseignante, et la philosophie pour enfants.
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