Chapitre 4 : Le guidage en DVP : apport de l’analyse interlocutoire et des verbalisations en autoconfrontation
p. 103-114
Texte intégral
1. Introduction
1Lors d’une étude antérieure (corpus capitalisé par Auriac-Slusarczyk & Fraczak, 2011-2014), les fonctions que les comportements enseignants permettent d’accomplir en DVP (discussion à visée philosophique) ont été identifiées (Saint-Dizier de Almeida, Specogna & Luxembourger, 2013). Certaines fonctions s’inscrivent dans la sphère socioémotionnelle (faire cesser du brouhaha, gérer des prises de paroles…), les autres dans la sphère instrumentale de la tâche (rappeler la question amorce, rendre intelligible des énoncés d’élèves – en reformulant ou en demandant des reformulations –, guider/orienter les élèves dans leur cheminement). Si l’on s’intéresse à cette dernière fonction, on observe généralement qu’elle se matérialise à travers un mot, un groupe de mots ou une intervention. La lecture du dialogue philosophique intitulé « Destin » a permis d’identifier une séquence au cours de laquelle le guidage va occuper plusieurs tours de parole. Notre objectif est d’essayer d’éclairer ce qui se passe au cours de cette séquence. Pour cette étude, nous proposons de conduire une analyse interlocutoire de la séquence en question et de recourir à un entretien d’autoconfrontation auprès de l’un des deux enseignants impliqués dans l’animation de cette DVP.
2À travers cette étude, l’enjeu est d’améliorer la compréhension de ce qui s’est produit au cours de cette séquence. Il s’agit également de mettre en exergue les apports de l’analyse interlocutoire et l’importance d’avoir recours à d’autres méthodologies de recueil, en l’occurrence l’entretien en autoconfrontation.
2. Cadre théorique et méthodologique
2.1. L’analyse structuro-fonctionnelle de la discussion
3En amont de l’analyse et pour mieux cerner le contexte de la séquence, nous opérons une analyse structuro-fonctionnelle de la DVP dans son entièreté et en respectant sa dimension séquentielle. Cette analyse repose sur la thèse selon laquelle toute communication possède une organisation, une architecture qui se façonne et se révèle au gré des productions langagières. Plus précisément, la communication est organisée en différentes strates conversationnelles (Kostulski & Trognon, 1998). L’unité minimale de cette organisation est l’échange qui associe des actes de langage ou des interventions qui entretiennent des relations illocutoires et interactives (Roulet et coll., 1985). La combinaison de ces échanges forme des structures qui peuvent remplir différentes fonctions comme porter une négociation, prendre une prise de décision, résoudre une tâche, argumenter une thèse, etc. (Kostulski & Trognon, 1998). Ces structures intermédiaires sont organisées dans des macrostructures conventionnalisées que sont les transactions (ici la DVP) – « une transaction est une situation d’interlocution comme la négociation commerciale, les psychothérapies […] » (Kostulski & Trognon, 1998, p. 60). Ainsi la communication possède une macrostructure qui dépend de la transaction dans laquelle elle prend place. Elle comporte des phases et des séquences articulées linéairement ou hiérarchiquement à d’autres (Roulet et coll., 1985 ; Moeschler, 1989).
4L’étude de la structure fonctionnelle de l’activité consiste alors à identifier des phases et séquences qui reflètent le processus de résolution de la tâche dans sa dimension chronologique. La délimitation des phases/séquences/interventions qui composent cette structure repose sur une analyse combinant un processus inductif – basé sur les productions émises – et déductif – fondé sur la tâche à résoudre (Rogalski, 1998). L’identification des articulations entre phases/séquences/interventions et leur représentation schématique repose sur le modèle de Genève (Roulet et coll., 1985).
5Ainsi, cette analyse effectuée en amont remplit deux objectifs : d’une part que l’analyste soit baigné – autant que faire se peut – dans l’espace interactionnel, et d’autre part qu’il puisse mieux cerner le contexte d’apparition de la séquence à analyser finement.
2.2. L’analyse interlocutoire
6Comprendre ce qui s’opère au cours d’une séquence d’interactions langagières requiert un cadre permettant une analyse fine n’élaguant pas la dimension interactionnelle des échanges parlés. Dans cette optique, nous mobilisons l’analyse interlocutoire qui permet des analyses fines prenant en compte la dimension processuelle des échanges et le modèle de Genève (Roulet et coll., 1985) qui fournit un formalisme permettant de restituer spatialement les relations entre les composants du discours que l’analyse interlocutoire permet d’identifier.
7L’analyse interlocutoire repose sur une approche pragmatique et dialogique du discours (Trognon & Ghiglione, 1993) et sur la théorie de l’enchainement conversationnel (Trognon & Brassac, 1992) qui développe que le processus d’intercompréhension est au cœur de la dynamique conversationnelle. Théoriquement, le processus opère en trois temps : T1 est le premier tour de parole où le locuteur L1 produit un énoncé E1 ; T2 est le deuxième tour de parole où un autre locuteur produit un énoncé E2 par lequel il communique son interprétation en acte de l’énoncé E1 ; T3 est le troisième tour de parole par lequel le locuteur initial L1 rectifie ou non l’interprétation en actes que L2 a fait de son énoncé E1 initial. Ainsi le processus d’intercompréhension et d’intelligibilité des actes se réalise en plusieurs temps et nécessite de la part de l’analyste une étude pragmatique et dialogique des séquences. Par ce travail, il devient possible d’accéder aux valeurs illocutoires sur lesquelles les partenaires s’accordent ou plus précisément celles à propos desquelles ils réagissent et qu’ils font exister de fait dans l’espace de l’interlocution. Les énoncés produits ne sont pas uniquement considérés comme la trace de l’interprétation en actes de ce qui précède ; ils reflètent également la pensée du locuteur, plus exactement la pensée qu’il revendique, exprime dans l’espace conversationnel. La logique interlocutoire permet donc l’étude de l’engendrement conversationnel et l’identification de l’articulation des actes de langage produit en conversation. Pour permettre au lecteur de visualiser ces articulations, nous aurons recours au modèle de Genève qui fournit un formalisme permettant de faire apparaitre sous forme d’arbre les relations hiérarchiques et linéaires qu’entretiennent les composants du discours. Le processus d’analyse consiste en une étude pragmatique et dialogique des séquences : une étude prospective et rétrospective des énoncés qui permet d’identifier les prémisses exploitées par les locuteurs pour produire leur acte, d’identifier si elles sont extraites de ce qui a été produit antérieurement et par qui, et si elles ont subi ou non des modifications. L’analyse interlocutoire permet d’identifier si un acte a pour fonction de rectifier une production antérieure, la confirmer, l’invalider, l’approfondir… et d’apprécier ce qui se stabilise dans l’espace de l’interlocution. L’approche du niveau interlocutoire permet l’identification de ressources mobilisées, de raisonnements sous-jacents à la production d’énoncés et de rendre compte de phénomènes langagiers complexes (résolution d’un malentendu, gestion d’un conflit…). Ce type d’analyse étant coûteux, ce sont généralement des séquences qui sont analysées et non le corpus dans son entier.
8L’analyse interlocutoire permet de mettre en exergue ce qui se stabilise dans l’espace communicationnel, elle ne permet pas d’accéder directement aux intentions effectives, mais permet en partie de les inférer à partir de ce qui a été coconstruit au cours du processus communicationnel.
2.3. Les verbalisations en entretien d’autoconfrontation
9La méthode de l’entretien d’autoconfrontation est une méthode impliquant la collaboration du chercheur et du professionnel. Cette méthode est mobilisée en ergonomie pour extraire de l’expertise, pour susciter des prises de conscience, pour développer des contenus de formation. Ici, elle est mobilisée pour instruire l’aspect non manifeste de l’activité, en l’occurrence pour accéder aux intentions qui n’ont pas pu être inférées de l’analyse interlocutoire, car ne transparaissant pas dans l’espace interactionnel coconstruit par les interactants. Comme toute méthodologie, l’autoconfrontation n’est pas exempte de biais, par exemple elle suscite des excès de rationalisation. En ergonomie, on suggère de mobiliser conjointement l’analyse des productions langagières et l’autoconfrontation pour réduire leurs biais respectifs (Valléry et coll., 2005).
10En entretien d’autoconfrontation, le professionnel est aidé par le film de son activité ou sa transcription et par le chercheur. L’aide du chercheur peut se traduire, en début de séance, à travers la communication d’une consigne par laquelle il va préciser ses attentes (que l’opérateur mentionne ses buts, ses intentions, les techniques utilisées, etc.). Les relances du chercheur permettent des approfondissements, des explications, des explicitations pouvant porter sur les objets du discours (registre référentiel) ou sur l’attitude du professionnel (registre modal), les interventions du chercheur peuvent également mettre le focus sur la dimension comportementale de l’activité (Saint-Dizier de Almeida, 2015).
3. Le questionnement
11Dans le cadre de cette étude, le focus est mis sur la fonction de guidage. Si le guidage peut se traduire à travers un comportement langagier pouvant se réduire à la production d’un ou deux mots (« et alors ? », « et donc ? » « pourquoi ? »…), il peut également s’accomplir sur plusieurs tours de parole. L’enjeu est d’apprécier si une analyse interlocutoire des productions langagières et le recours aux verbalisations produites en entretien d’autoconfrontation peuvent améliorer la compréhension de ce qui s’est opéré au cours de cette séquence. La séquence étudiée est extraite de la DVP « Qu’est ce que le destin ? » (Fournel, 2018). Cette DVP a été réalisée avec une classe de 6e composée en temps normal de 24 élèves. La classe est habituellement divisée en deux groupes (1 enseignant par groupe d’élèves). Cette DVP a été réalisée en fin d’année scolaire et de nombreux élèves étaient absents. Les enseignants ont fait le choix de coanimer cette DVP auprès d’une dizaine d’élèves.
4. Analyses et résultats
4.1. La localisation de la séquence
12L’analyse structuro-fonctionnelle de la DVP sélectionnée pour en extraire la séquence qui nous intéresse peut être schématisée ainsi :
Figure 1 – La localisation de la séquence par rapport au corpus entier.

13La séquence succède la phase qui vise à définir « ce qu’est le destin » et constitue l’amorce de la phase qui vise à identifier « ce que n’est pas le destin ».
4.2. L’analyse interlocutoire de la séquence
14Pour plus de visibilité, nous mobilisons le modèle structuro-fonctionnel développé par l’École de Genève (Roulet et coll., 1985) qui permet de restituer spatialement la façon dont les composants du discours s’articulent entre eux.
Figure 2 – Analyse structuro-fonctionnelle de la séquence « qu’est-ce que le non-destin ».

15On observe (figure 2) que l’intervention qui va conduire à un énoncé d’un élève qui sera repris par les enseignants a nécessité 26 tours de parole, on notera un énoncé produit par une élève en Tdp no 191, mais qui ne donnera lieu à aucun enchainement. Si l’on étudie les énoncés des enseignants qui précèdent ces deux interventions d’élèves, on observe la présence d’indices visant à guider les élèves. Au niveau de cette séquence, des marqueurs déductifs ont été mobilisés par les enseignants, en l’occurrence « qu’est-ce que ça implique » qui a été émis à deux reprises en Tdp no 187 et en TdP no 192.
16On note que l’enseignant donne un indice quant à la prémisse à mobiliser, en l’occurrence en énonçant Tdp no 190 « On avait dit que… », il mentionne que la prémisse à convoquer a déjà été actée collectivement.
17Si maintenant on étudie les enchainements des élèves, on notera tout d’abord que la première réaction a été émise au tour de parole no 191. Au vu du contenu de l’énoncé de cette élève, on note qu’elle a compris qu’il fallait changer de registre grâce aux indices « implique » et/ou « par contre ». Comme le registre mobilisé avant était définitionnel ou référentiel, elle en propose un autre : le registre moral : elle propose de questionner/interroger la dimension morale du destin (le destin c’est bien ou pas bien).
18Le premier énoncé considéré par les enseignants est produit en Tdp no 200 via l’introduction du cas des actions contrôlées. À travers cet énoncé, on identifie que l’élève comprend sans doute grâce à l’emploi du « par contre » qu’il faut proposer quelque chose entrant en contradiction avec quelque chose qui a déjà été dit. Comme lors de la phase définitionnelle, il a été question d’actions non contrôlées, il propose alors une proposition qui entre en contradiction avec « actions non contrôlées », en l’occurrence : le cas des actions contrôlées.
19Un enseignant va alors intervenir pour questionner les élèves à propos de cet attribut : est-ce que les actions contrôlées sont un attribut de Destin ou non ? Cette demande conduira trois élèves à poser que les actions contrôlées ne relèvent pas du destin, mais de la réflexion ; pour un autre élève, les actions contrôlées relèvent du destin.
4.3. Les verbalisations en autoconfrontation
20Nous avons, en amont de la confrontation à la séquence, questionné l’enseignante volontaire sur sa pratique des DVP ou encore sur les formations qu’elle a pu suivre. Ce type d’entretien préalable à l’autoconfrontation permet de recueillir des données permettant de mieux cerner les acteurs, leur expérience… et de mieux comprendre le contexte d’interaction. Pendant ce temps d’échange, l’enseignante a donc pu nous informer que la DVP qui nous intéresse a été produite en fin d’année scolaire. L’année en question est la première année de pratique des DVP dans le cadre de son enseignement (français). Elle mentionne que l’enseignant 2 avec qui elle a coanimé est professeur d’histoire. Ils ont tous deux suivi des formations à la communauté de recherche philosophique (CRP) au cours de l’année en question. Elle précise qu’elle a préparé la séance avec son collègue.
4.3.1. Résultats de l’étude des verbalisations en autoconfrontation
21Pour présenter la séquence en question, nous apportons à l’enseignante des éléments contextuels facilitant la remémoration de cette DVP en nous basant sur l’analyse structuro-fonctionnelle de la DVP (cf. figure 1). Elle prend ensuite le temps de relire la séquence en question et elle est invitée à la commenter. Dans sa première prise de parole, elle communique que sa visée dans cette séquence est que les élèves évoquent, mobilisent la notion de liberté, mais que cela n’a pas fonctionné.
22Puis elle explique qu’en formation, elle a appris qu’il fallait tout d’abord conduire les élèves à définir précisément la notion mobilisée (ici destin) et une fois la définition stabilisée, alors on peut aller plus loin et guider les élèves vers l’investissement d’une autre notion. En d’autres termes, l’enseignante mobilise un schème acquis en formation : si la définition d’une notion est stabilisée, alors on peut orienter, guider les élèves vers une autre notion.
23Ainsi pour l’enseignante, son intervention marque une nouvelle phase où elle souhaite que les élèves échangent autour de la notion de liberté. Pour cela, elle tente de les conduire à avoir à l’esprit la question suivante : si le destin renvoie à des actions qu’on ne contrôle pas/maitrise pas, alors est-on vraiment libre ? Dans cette optique, elle nous dit mobiliser des gestes professionnels acquis en formation comme utiliser les termes « implique », « par contre ». Elle précise aussi que dans cette séquence, cela n’a pas fonctionné. Les propos des élèves traduisent des problèmes de compréhension de ce qu’est le destin, elle estime que la définition coconstruite par les élèves n’est pas bonne. Voici ce que dit l’enseignante lors de la séance d’autoconfrontation :
Du coup ça avait pour conséquence que, que chacun avait donc un futur écrit, déterminé et que du coup sur lequel il a pas de prise, donc y’a pas de liberté par rapport à son futur ; enfin voilà, moi je pense que j’avais ça en tête et que du coup je pensais les amener à la question est-ce qu’on est libre si on a un destin ou pas ?
24On déduit de ses dires que la « bonne » définition vers laquelle les animateurs de la séance souhaitent conduire les élèves est la suivante : soit on croit au destin alors toutes nos actions relèvent du destin, soit on ne croit pas au destin et, dans ce cas, nos actions ne relèvent pas du destin.
25Ainsi cette phase dont l’initiation visait à investir une nouvelle notion aura permis aux enseignants de sanctionner chez certains élèves (3 sur les 4 qui se sont exprimés) une erreur définitionnelle en référence à la définition que les enseignants estiment juste. Plus que cela, les propos tenus par ces élèves vont permettre aux enseignants d’établir un diagnostic, en l’occurrence il manque aux élèves la notion de croyance. Ce diagnostic les mènera à conduire les élèves à un travail de conceptualisation autour de la notion « croyance », puis de la notion de « savoir ». Dans cette DVP, la notion de liberté ne fera pas l’objet d’une conceptualisation.
4.3.2. Confrontation des résultats de l’analyse de la séquence et des verbalisations en autoconfrontation
26L’analyse interlocutoire seule ne permet pas d’identifier avec exactitude que l’intention de l’enseignante était de conduire les élèves à investir la notion de liberté (le destin renvoie à des actions qu’on ne contrôle pas, qu’est-ce que ça implique en termes de liberté ?). Cette intention ne se traduit pas discursivement, ce qui révèle les limites de l’analyse interlocutoire : ne mettre en exergue que ce qui s’est discursivement coconstruit dans l’espace de l’interlocution. Les verbalisations en autoconfrontations ont en effet permis d’accéder à une intention de l’enseignante qu’on ne pouvait pas entrevoir à travers l’analyse des comportements produits en situation. Comme mentionné, l’autoconfrontation présente également des biais ; ce type de situation, surtout lorsqu’elle a lieu plusieurs mois après que l’activité à commenter se soit déroulée (ce qui est le cas ici), peut favoriser des excès de rationalisation, en d’autres termes peut conduire à construire des explications, justifications distantes de l’activité réelle. En matière de biais, on peut également mentionner les phénomènes de désirabilité sociale (Beckers et Leroy, 2010) par lesquels l’enseignant cherche à revendiquer une bonne image.
27Concernant, l’intention de susciter une discussion autour de la notion de liberté, elle n’a pas été induite par nos relances (puisque nous n’avions pas à l’esprit ce déplacement notionnel) – de « destin » à « liberté » –, l’analyse des comportements ne l’ayant pas révélée. Aussi l’enseignante nous a transmis ses supports de préparation, ce qui a permis d’attester que l’intention de faire parler sur la liberté avait bien été établie avant la DVP.
28L’entretien conduit avec cette enseignante et ses verbalisations en autoconfrontation corroborent les résultats de l’étude d’Alaric Kohler dans ce même ouvrage. Certains comportements enseignants accomplis dans cette DVP ne traduisent pas un étayage au sens de Bruner (focalisation sur les propos des élèves pour les guider dans leur propre raisonnement), mais un guidage réfléchi a priori (en l’occurrence quelles notions faire aborder ou, en reprenant la terminologie d’Alaric Kohler, vers quelle schématisation faire converger les élèves).
5. Conclusion
29Les résultats d’analyse (combinant résultats de l’analyse interlocutoire et des données produites en entretien d’autoconfrontation) révèlent que nous avons affaire ici à la régulation d’un incident-critique au sens de Faulx, c’est-à-dire un évènement non anticipé (Faulx, 2008) : les élèves coconstruisent une connaissance que les enseignants posent comme étant erronée. En l’occurrence, les élèves considèrent que, chez un même individu, certaines actions relèveraient du destin (car non prévues par la personne concernée), les autres actions quant à elles ne relèveraient pas du destin, mais de décision/réflexion de l’individu lui-même. Cependant, la connaissance visée par les enseignants est la suivante : le destin renvoie à une croyance. Soit on croit au destin, et dans ce cas, tous nos actes relèvent du destin, qu’ils soient réfléchis ou non ; soit, on ne croit pas au destin et dans ce cas, nos actes ne renvoient pas au destin. Le seul recours à l’analyse interlocutoire de la séquence n’aurait pas permis d’identifier cet incident-critique mais nous aurait permis d’identifier uniquement un guidage relativement fastidieux.
30Ce type d’étude mobilisant des méthodologies croisées (entretien préalable, analyse des comportements, entretien en autoconfrontation) permet d’améliorer la compréhension de séquences d’interaction, mais fournit également des ressources dans une visée de formation (le cas de la gestion d’incident-critiques en DVP).
6. Bibliographie
31Beckers Jacqueline & Leroy Charlène, 2010, « Entretien d’autoconfrontation dans un dispositif de formation initiale des enseignants : mise au point d’une méthode et premiers résultats », Actualité de la recherche en éducation et en formation (actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation, septembre 2010), Genève, Éd. de l’Université de Genève.
32Faulx Daniel, 2008, « Animatique des groupes », Les Cahiers internationaux de psychologie sociale, vol. 78, no 2, p. 95-103.
33Roulet Eddy, Auchlin Antoine, Moeschler Jacques, Rubattel Christian & Schelling Marianne, 1985, L’articulation du discours en français contemporain, 2e éd., Berne, Peter Lang.
34Saint-Dizier de Almeida Valérie, 2015, « L’utilisation conjointe de l’observation et l’auto-confrontation à travers l’étude d’une vente à domicile », Le Travail Humain, vol. 78, no 1, p. 307-334.
35Saint-Dizier de Almeida Valérie, Colletta Jean-Marc, Auriac-Slusarczyk Emmanuelle, Specogna Antonietta, Simon Jean-Pascal, Fiema Gabriella & Luxembourger Christophe, 2016, « Study activities that take place in speech interactions: a theoretical and methodological framework », International Journal of Qualitative Studies in Education, vol. 29, no 5, p. 686-713.
36Saint-Dizier de Almeida Valérie, Specogna Antonietta & Luxembourger Christophe, 2016, « L’activité communicationnelle enseignante lors des discussions à visée philosophique » Revue recherches en éducation, no 24, p. 54-64.
37Specogna Antonietta, 2013, « Énonciations d’élèves et tentative de construction collective de l’enseignante » Cahiers du LRL, no 5, p. 95-114.
38Trognon Alain & Brassac Christian, 1992, « L’enchaînement conversationnel », Cahiers de linguistique française, no 13, p. 76-107.
39Valléry Gérard, Boucheix Jean-Michel, Leduc Sylvain & Cerf Marianne, 2005, « Analyser les situations de service : questions de méthodes » dans M. Cerf & P. Falzon (dir.), Situations de service : travailler dans l’interaction, Paris, Presses universitaires de France, coll. « le travail humain », p. 21-40.
Auteurs
Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences (2LPN, EA 7489), Université de Lorraine, Nancy
Yasmina Kebir est doctorante en psychologie du travail à l’université de Lorraine. Elle est membre du 2LPN (Laboratoire lorrain de psychologie et neurosciences de la dynamique des comportements). Elle traite dans le cadre de sa thèse des analyses plurielles de séquences d’interactions dans l’objectif d’extraire des patterns de gestion émotionnelle en consultations de suivi de pathologies chroniques. Son travail est basé sur des courants théoriques et méthodologiques inspirés de plusieurs disciplines telles que la psychologie sociale, la pragmatique ou encore l’ergonomie de l’activité.
Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences (2LPN, EA 7489), Université de Lorraine, Nancy
Vincent Boutet est psychologue du travail. Formé plus spécifiquement en psychologie ergonomique à l’Université de Lorraine par Valérie Saint-Dizier de Almeida et Antonietta Specogna, il s’intéresse aux activités produites en contexte professionnel. Il recourt aux méthodologies de la psychologie ergonomique et s'est spécialisé dans l'étude des interactions langagières au moyen desquelles l'activité s’accomplit. Il mobilise des méthodologies d'analyses structuro-fonctionnelles, des analyses de contenus et des analyses interlocutoires. Son mémoire de master recherche portait sur l’instruction de l’activité réelle des professionnels de la petite enfance autour de l’enfant et ce, dans le cadre d’un travail manuel où les comportements de guidage et d’étayage sont prédominants.
Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences (2LPN, EA 7489), Université de Lorraine, Nancy
Antonietta Specogna est maitresse de conférences de psychologie sociale à l'Université de Lorraine. Elle est membre du 2LPN (Laboratoire lorrain de psychologie et neurosciences de la dynamique des comportements). Elle étudie les interactions verbales en situations de travail et/ou d'apprentissages. Elle applique la psychologie sociale complétée par la didactique professionnelle aux différentes activités réalisées par les interlocuteurs. Ses travaux de recherche sont menés dans le monde de l'éducation pour appréhender la pratique d'enseignement/formation et pour rendre compte du développement et de la construction des compétences chez l'apprenant. Depuis plus de 20 ans, ses travaux de recherche ont pour objet les discussions à visée philosophique.
Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences (2LPN, EA 7489), Université de Lorraine, Nancy
Valérie Saint-Dizier de Almeida est professeur à l’Université de Lorraine en psychologie ergonomique. Elle est membre du 2LPN (Laboratoire lorrain de psychologie et neurosciences de la dynamique des comportements). Elle s’est spécialisée dans l’étude des activités qui se matérialisent à travers des interactions langagières. Elle recourt à des théories, modèles et méthodologies mobilisables dans un cadre paradigmatique systémique et dialogique dans le but d’instruire ce type d’activité dans des visées compréhensive et formative. Elle a participé à différentes recherches ayant pour objet les discussions à visée philosophique en contexte scolaire en axant ses contributions sur l’animation de ce type de discussions.
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