Pline
p. 323-341
Texte intégral
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1Ce livre a connu 3 éditions dans la collection In usum Delphini, avec une tomaison variable :
La première (in-4°, 5 vol.) vit le jour à Paris, en 1685, chez François Muguet, imprimeur du Roi et de l’archevêque de Paris.
La seconde (in-f°, 2 ou 3 vol.) parut en 1723, à Paris, chez Antoine Urbain Coustelier, imprimeur du duc d’Orléans.
La troisième (1741) est posthume, et de ce fait nous n’avons pas jugé utile de l’évaluer.
L’éditeur-commentateur est le R.P. Jean Hardouin, s.j.
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2Jean Hardouin (1646-1729) est né à Quimper. Il était fils de libraire, et il a fait de solides études humanistes, qu’il a probablement parachevées chez les Jésuites. Il est, en effet, entré dans la Compagnie dès l’âge de 16 ans, et il y est resté jusqu’à sa mort qui survint à Paris. C’est probablement Montausier qui le recruta, par l’intermédiaire de Huet, en vue de l’édition de Pline.
3Les vingt dernières années de sa vie, il assumait les fonctions de bibliothécaire du collège Louis-le-Grand. L’âge et la maladie2 n’ont atteint ni son intelligence, ni ses extraordinaires capacités de travail. Son caractère semble avoir toujours été difficile, ce qui ne lui a pas fait que des amis3. Il avait, c’est le moins qu’on puisse dire, le goût du paradoxe, renforcé par un humour dévastateur. Pourtant son naturel n’était pas seul en cause. Quelle que soit la réputation qu’une tradition gallicane4 malveillante a tôt fait d’accrocher à la personnalité, puis à la mémoire du Jésuite – nous y reviendrons5 –, son travail est d’une importance majeure dans l’histoire du texte de Pline.
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PLACE DE CETTE ÉDITION DANS L’HISTOIRE DU TEXTE DE PLINE
4On voit tout de suite que l’édition des 37 livres de Pline par le R.P. Hardouin occupe une place à part dans les travaux qui furent publiés In usum Delphini, ne serait-ce que par le volume du texte concerné et le rôle d’encyclopédie6 qu’il a toujours joué depuis l’Antiquité. En conséquence, l’éditeur doit faire face à une tradition manuscrite colossale, mais dans laquelle n’apparaît pratiquement jamais l’ouvrage entier, alors que la variété des intérêts a suscité la sélection de fort nombreux morceaux pour des copies partielles. Cette diversité nécessite de la part de l’éditeur une curiosité et une culture panoramiques, qu’il est exceptionnel de trouver en un seul homme.
5Ce texte long, diffus, disert, « savant » et technique, est difficile à établir et à comprendre7. C’est pourquoi il nous a paru prudent de partager les recherches8 sur ce travail qu’Hardouin a pratiquement assumé seul9.
6Le bilan des éditions antérieures, très nombreuses, est présenté ci-dessous, à propos de l’usage qu’en a fait Hardouin pour établir la sienne.
7Le livre a connu, nous l’avons dit, trois éditions In usum Delphini : 1685 (4°), 1723 (f°), 1741. La date de la première offre une indication intéressante : le Dauphin s’étant marié en 1680, il est exclu que l’éditeur, lors de la première publication, ait eu réellement en vue l’éducation du prince, en langue et littérature latines. Or il a peut-être fallu deux décennies de travail acharné10 pour mener à bien cette somme d’érudition, et l’on peut imaginer que le Jésuite a pu faire connaître chemin faisant, à des fins pédagogiques11, des résultats provisoires, et amendables, de son travail. Ce n’est qu’une hypothèse. Au demeurant, le style très élaboré – pour ne pas dire torturé – de Pline, joint à son richissime vocabulaire technologique12, ne saurait être tenu comme un modèle pour un jeune latiniste, fût-il déjà bien avancé dans ses études13, et un écolier, même royal, n’a pas à être tenu au courant, dans le détail, de l’établissement du texte qu’on met entre ses mains : l’érudition ne sied pas à un prince. Pline, enfin, n’est pas un auteur qu’on lit de manière suivie ; il est de ceux qu’on consulte, mais la somme qu’il nous présente, toute vénérable qu’elle est, déjà sur certains points était obsolète au xviie siècle. Il apparaît donc tout de suite que l’œuvre de l’encyclopédiste n’a été considérée ni comme un outil pédagogique de langue et de style, ni comme un manuel de leçons de choses14, mais comme un monument culturel de haut intérêt, qu’il fallait faire revivre de la manière la plus scientifique possible. Nous sommes bien, toutefois, en présence d’une sorte d’édition officielle15.
8Au demeurant, Hardouin ne s’est pas considéré comme quitte de ses devoirs envers son auteur après la publication de la première édition. La seconde – 3 8 ans après la première – n’est pas un simple retirage, car de très nombreuses corrections ont été apportées16.
9Or Alberte Jacquetin a travaillé à la BN17 sur un exemplaire de l’édition de 1685, diligemment revu et annoté : elle espère, dans une autre contribution, ’aire un bilan de ces corrections apportées par Hardouin en vue de l’édition de I72 3, en les comparant avec l’édition elle-même.
10Une nouvelle édition parisienne de Pline en 6 volumes (1779) porte le seul nom de Brotier, mais l’édition vénitienne en 8 volumes (1784-1785) donne comme coéditeurs Hardouin et Brotier.
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TITRE DE L’ÉDITION DE 1685
Tome 1
CAII PLINII | | SECUNDI | | NATURALIS HISTORIAE | | LIBRI XXXVII | | INTERPRETATIONE ET NOTIS ILLUSTRAVIT | | JOHANNES HARDUINUS SOC. JESU, | | JUSSU | | REGIS CHRISTIANISSIMI | | LUDOVICI MAGNI, | | IN USUM | | SERENISSIMI DEL-PH1N1 | | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud FRANCISCUM MUGUET, Regis et Illustrissimi | | Archiepiscopi Parisiensis Typographum. | | [filet] | | MDCLXXXV. | | CUM PRIVILEGIO REGIS
Tome 2
CAII PLINII SECUNDI | | NATURALIS HISTORIAE | | TOMUS SECUNDUS | | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud FRANCISCUM MUGUET, Regis et Illustrissimi | | Archiepiscopi Parisiensis Typographum. | | [filet] | | M.DC.LXXXV. | | CUM PRIVILEGIO REGIS
11Les titres des tomes 3, 4, 5 sont identiques à celui du tome 2, hormis la ligne TOMUS SECUNDUS remplacée par TOMES TERTIUS, TOMUS QUARTUS, TOMUSQUINTUS.
TITRE DE L’ÉDITION DE 1723
Tome 1
CAII PLINII | | SECUNDI | | HISTORIAE NATURALIS | | LIBRI XXXVII | | QUOS INTERPRETATIONS ET NOTIS ILLUSTRAVIT | | JOHANNES HARDUINUS | | E SOCIETATE JESU, | | JUSSU REGIS CHRISTIANISSIMI | | LUDOVICI MAGNI, | | IN USUM SERENISSIMI DELPHINI | | Editio altera emendatior et auctior. \\TOMUS PRIMUS. | | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Typis ANTONII – URBANI COUSTELIER, Serenissimi | | Aurelianensium Ducis, Typographi. | | M.DCC.XXIII. | | CUM PRIVILEGIO REGIS
12Le titre des tomes 2 et 3 est identique, hormis la ligne TOMUS PRIMUS remplacée par TOMUS SECUNDUS et TOMUS TERTIUS.
FORMAT
134° pour l’édition de 1685 ; f° pour celle de 1723.
CONTENU DE L’OUVRAGE (ÉDITION DE 1723)
14Dans l’epistola, l’ouvrage est adressé « au sérénissime Dauphin, fils de Louis le Grand » – Serenissimo DELPHINO Ludovici Magni filio. La dédicace est conforme à l’attente : comme Pline a dédié son livre au fils de l’Empereur, Hardouin offre son travail au Dauphin ; le Roi, représentant de Dieu le Père, tient ses sujets pour ses enfants ; le Dauphin s’avance sur les pas de son père. On trouve aussi, respectueusement mentionnés, Montausier, Bossuet, Huet, mais le Dauphin et son éducation ne semblent pas au centre des préoccupations de l’éditeur. Le scrupule de ce dernier se manifeste déjà dans le soin qu’il apporte à noter, dans les marges, la référence des citations qui interviennent dans cette épître de bonne compagnie.
15Le choix qui est fait de Pline est justifié par « l’élégance de son latin, la majesté de ses phrases, les finesses de son style, enfin par la riche abondance de ses propos18 ». Hardouin lie son présent travail à son appartenance à la Compagnie.
16Le texte suivant, Lectori, présente un tout autre intérêt : nous l’étudierons ci-dessous, avec l’établissement du texte, car il contient, à travers le jugement porté sur les prédécesseurs, les principes méthodologiques d’Hardouin.
17Ensuite, on trouve deux célèbres documents qui lui paraissent pouvoir éclairer le caractère et l’œuvre de Pline l’Ancien. Il s’agit de deux lettres de Pline le Jeune : Epist. 3, 5 (à Macer) ; 6, 16 (à Tacite, sur l’éruption du Vésuve et la mort de Pline). Il y ajoute C. Plinii Vita, incerto auctore.
18Suivent aussi des testimonia divers concernant Pline et son ouvrage :
Ex Suetonii, ut vulgo creditur, libro de vins illustribus
Aulu-Gelle (3, 10 ; 9, 4 ; 9, 16 ; 10, 12 ; 17, 15)
Augustin (Civ., 15,9)
Alcuin, Epist. ad David Regem < Charlemagne >
Bède, De ratione temporum, chap. 28 – Tertullien, et alii.
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19Hardouin, qui ne veut pas s’approprier le bien d’autrui – un scrupule pas très répandu à l’époque – offre dans l’adresse au lecteur un conspectus des prédécesseurs dont il a utilisé les travaux : il les nomme non seulement testes « témoins », mais adstipulatores emendationum nostrarum (ce sont ici Chifflet et Dalechamp qui sont appelés comme « répondants de nos corrections »). Il les classe dans l’ordre chronologique19, mais en notant d’abord ceux qui se sont occupés de l’ensemble, puis ceux qui n’ont considéré que des fragments. Or c’est à travers ces jugements – souvent bien justifiés – qu’on peut chercher à retrouver ses principes méthodologiques.
20Les principes concernent surtout l’établissement du texte.
21Le premier devoir d’un éditeur selon Hardouin est une bonne recension : accurata primum ac diligens collatio adhibita (exceptionnellement, il parle ici de lui et de son travail réalisé). Il loue Pintianus d’avoir eu recours aux manuscrits de Tolède et de Salamanque, qui sont bons, mais malheureusement mutilés.
22Il décerne ensuite sa louange à Gelenius, qui a fondé ses nombreuses restitutions sur la comparaison des divers manuscrits : collatis inter se exemplaribus, non pauca restituit... Il est heureux de noter que son Regius 2 concorde – congruit – avec le manuscrit de Chifflet.
23Il admire aussi la capacité paléographique de Rhenanus, qui réussit parfois à retrouver la leçon authentique en déchiffrant les grimoires des vieux manuscrits, et sait trouver « l’or éparpillé dans le fumier20 ». Il rappelle la primauté du manuscrit sur l’édition, à propos de Barbaro, qui a négligé la tradition manuscrite et s’est trop fié aux travaux de ses prédécesseurs.
24Il fait observer, non sans raison, que la conjecture/correction est le fruit de la non-compréhension : aussi la plus grande prudence est-elle de mise. Ainsi, encore à propos du brillant Barbaro, il note avec un peu d’agacement : « Il a opéré de très nombreux changements de son propre chef, avec plus d’érudition que de prudence et de véracité, ou, si l’on veut, il a complètement noyé le problème, parce que, pour un très grand nombre de ses corrections, le texte n’était pas mauvais, mais mal compris21. » Il rapporte, du reste, un jugement de Pintianus, mais il assure que ce dernier a lui-même parfois tranché, quand il ne comprenait pas, dans un effort plus audacieux que louable – audaci magis quam laudando conatu. Rhenanus a fait de même, ainsi que Dalechamp. Parlant de ce dernier, il rappelle une remarque de Scaliger sur les faiseurs de conjectures : « Beaucoup de gens agissent ordinairement ainsi : lui, quand tel ou tel point ne lui sourit pas, il fait aussitôt une correction, et souvent il aggrave le cas22. » Il l’accuse de vaticiner, d’avoir énoncé des « conjectures petitement audacieuses », sans véritable bonheur, ce qui l’a forcé à croiser le fer avec lui23.
25Un éditeur, naturellement, doit également maîtriser une vaste culture. C’est encore Gelenius qui suscite ce propos : « En effet il met ses réflexions sous nos yeux, et il tire ses conjectures d’une cueillette diversifiée24. » Quant à lui, il souhaite s’exprimer longuement pour justifier sa solution, surtout lorsqu’il apporte du nouveau, même si la forme que prend le travail est, à ses yeux, secondaire. Ainsi, si l’on sent un peu de mépris pour Béroalde qui a griffonné ses « petites notes brèves » dans les marges de l’édition de Parme, ce qui donnerait tout juste trois petites pages25, il apprécie la diligence et la fiabilité des notes marginales de Chifflet.
26Mais Hardouin, comme le font les éditeurs modernes, présente son matériel textuel : il est riche et divers : – d’abord, des Codices manu scripti quibus usi sumus in Plinio perpurgando : 2 manuscrits royaux (Reg. 1 et 2) ; ce sont les enfants chéris d’Hardouin (Ernout a nommé le premier E et le second d. Respectivement B.N. 679526 et 6797). Hardouin ne les décrit pas, mais les date, ou plutôt donne leur âge. À propos de Reg. I il dit : DCC annorum (« du temps de Charles le Chauve ») ; Reg. 2 : quingentorum fere annorum. L’érudition moderne valide ses dires. Puis 3 manuscrits Colbert, I manuscrit de Thou (passé au fonds Colbert, dit-il) : il a 800 ans (c’est le Colbertinus 1315). Ici encore la datation est correcte ; c’est G ; puis un Parisiensis d’environ 600 ans, un Chiffletianus, annoté par Dalechamp (satis probatae notae), un Fuxensis, un manuscrit de la S.J. de Lyon, 7 manuscrits du Vatican (1950 à 1954 ; 3583 ; 9939). La Compagnie a pu lui apporter son aide27. Enfin, un de la bibliothèque Saint-Victor et un du monastère bénédictin de Redon ; – ensuite, les Editiones Plinianae praecipuae quarum collatione haec nostra editio prodit : Hardouin ne prétend pas être exhaustif, mais il sait reconnaître sa dette, envers les éditions de Rome, 1470 (f°) ; Venise, 1472 (P) ; Parme, 1476 ; Tarvisio, 1479 ; Parme 1481 ; Brescia, 1492-1493, avec des annotations marginales de Guillaume Pélissier ; Venise (3), 1519 ; Bâle (Gélénius), 1535 < noter qu’il ne mentionne pas l’édition d’Érasme, Bâle, 1525 > ; Venise (4) (8°) ; Bâle (3), 15 39 ; Paris, 1543 ; Bâle, Froben, 1545 ; Venise (5) (Paul Manuce, avec des corrections de Gélénius) ; Lyon, Junte (in-16), 1561 et 1563 ; Leyde, ex Petri Sanctandreani typis, 1582 ; Lyon (3) (ex recognitione Dalecampi) ; Francfort (avec un ajout aux notes de Dalechamp) ; Leyde, Elzevier, 1635 ; Leyde (3), 1669 (8° ; avec des commentaires divers ; en fait, dit-il, de Dalechamp et de Pintianus)28. Hardouin n’a pas fait ici la distinction entre les éditions proprement dites et les travaux critiques, par exemple les Castigationes Plinianae de Barbaro ; – enfin, les Plinianae versiones, Italica (Landino), Venise, 1476 ; Gallica (Antoine Du Pinet), Lyon, 1562 ; Germanica, Francfort (MCLXX : date erronée), probablement 1570 ( ?) ; Hispanica, Madrid, 1624 ; Anglica (P. Holland, avec une épigramme d’Owen). Mais si Hardouin connaît les traductions, il ne paraît pas en faire expressément usage dans l’établissement de son texte.
27Il ne s’est pas contenté d’adopter un texte, si l’on peut dire, tout fait, ni même un texte de seconde main à partir des seuls travaux de ses prédécesseurs : en tout état de cause, le texte présenté est le sien, dûment établi grâce à une méthode inaugurée par Politien, appliquée par les humanistes, et qui est encore la nôtre, même si les procédés d’exposition sont différents. Très rares sont les pages qui ne comportent pas de notes de critique textuelle ; il leur arrive de représenter de 20 à 25 % de l’ensemble de l’annotation. Il tient à se justifier, ce qui rend l’énoncé des résultats plus vivant – plus diffus aussi – qu’un apparat critique, où le lecteur est mis, en quelque sorte, devant le fait accompli.
28On le voit ainsi progresser laborieusement dans sa recherche ; souvent, avec la modestie du savant, il sait jouer du « peut-être » : « peut-être faut-il écrire festivitas », « forte scribendum festivitas », à cause d’un rapprochement avec AuluGelle, précise-t-il (p. 4, n. 17), (lib. I, n. III). Ailleurs, la discordance entre les manuscrits éveille sa suspicion, et il conclut à l’insertion possible dans le texte d’une glose marginale : « Il en va ainsi dans le Colb. 1. 2, et Parisinus ; Mais Reg. 1, 2 et Chiff. n’ont pas ces mots et Italia, que je suppose être passés de la marge dans le texte » ; il justifie alors l’origine de l’erreur29.
29Pourtant, sa certitude transparaît parfois à travers des termes commeperspicuum (« perspicace » lib. I, n. I), manifestum (« manifeste » p. 2, n. 2), certa plane emendatione (« correction tout à fait certaine », lib. XXXIV, n. IV). Par comparaison avec ses prédécesseurs humanistes, il sait user de ménagement : « Ici Turnèbe30 a lu cum dicerem naenias in hoc albo : son choix n’est pas véritablement heureux. » Les principes méthodologiques qui se déduisent de l’épître au lecteur sont bien présents31, en particulier le prix qu’il reconnaît à la tradition manuscrite. Nous donnons quelques exemples : In Eoum], Ainsi dans tous les manuscrits... Les éditions jusqu’à aujourd’hui portent in eam32 (p. 679, n. 7) ; Cambari.] Ita R. 1. 2. Colb. 1. 2. Paris. Chiffl. (p. 680, n. 8)33. Aussi ne manque-t-il pas de rappeler la responsabilité propre du correcteur : « Ceux qui substituent ici nuncupare, altèrent de leur propre responsabilité, sans aucune caution des manuscrits, la leçon authentique34. » Parfois le blâme est plus cinglant : « Je ne puis assez m’étonner des sornettes que les éditeurs de Pline font sortir hâtivement de son texte, sans avoir fait le tour de la question – ce qui est bien léger – contrairement au témoignage de toutes les copies35. » Pourtant, même devant le consensus des manuscrits, il fait encore appel au poids du contexte et ajoute : « Le texte même le demande » pour bien se démarquer d’une tradition éditoriale erronée36.
30Mais s’il ne se fie pas vraiment aux éditions, il va tout de même les voir : Dum maximo.] « Texte des éditions ancienne, qu’approuve aussi Turnèbe » ; ou : Iam Musae.] « C’est aussi la leçon des anciennes éditions, que Barbaro approuve aussi37. » On ne peut guère lui faire qu’un petit reproche : s’il a bien tout revisité, il ne détaille pas toujours dans son exposé les résultats de sa recherche. Par exemple : Defendimus.] « Tous les manuscrits anciens, et les éditions, ont defendimur38 » : il est impossible de savoir ici par lui l’option de chacun.
31S’il lui arrive de passer ainsi rapidement, ce n’est pas par mépris pour le travail des autres, car il peut aussi donner des explications détaillées sur une conjecture qu’il n’a pas voulu retenir, mais qui est amusante : « A iuratissimis.] [...] Rhenanus lit legit afuratissimis, c’est-à-dire à partir de ceux qui, ayant supprimé le nom de l’auteur, ont volé une œuvre : ce que fit Graecinus, qui a tout pris mot à mot de Celse, comme Pline le rapporte39... » En fait, il est à l’étroit dans les notae de bas de page, et il éprouve le besoin d’exposer plus généreusement son choix dans les notes proprement textuelles auxquelles il renvoie par la formule Vide Notam et Emend. (« Voir dans les Notes et Corrections, n°... »). Ces notes sont plus techniques que celles en bas de page : par exemple n. VIII (p. 487), qui montre un scrupule paléographique (avec un petit coup de patte à Saumaise) : « Version du manuscrit de Paris et de toutes les éditions. Reg. 1 a Sedper cuncta. Reg. 2, Sed cuncta. Saumaise, p. 306, Sed et fere cuncta. Si l’on trouve du plaisir à se laisser aller à la conjecture, je préférerais Sed super cuncta à fere cuncta, puisque ces mots se rapprochent davantage des vestiges de la leçon ancienne40. » Mais l’effort de vérification d’Hardouin ne s’arrête pas là. Ainsi, par exemple, pour un texte avalisé déjà à partir des manuscrits et de la sagacité de Gélénius, il s’appuie encore sur le commentaire de Solin (p. 435, n. 11).
32En effet, le recours généreux aux testimonia pour justifier son choix41 est caractéristique de la façon de procéder d’Hardouin42. Une fois ses matériaux recensés, il se forge une idée du sens, peut-être plus par intuition que par déchiffrage paléographique43. Il cherche alors à justifier le sens qui s’est imposé à lui, en se fondant sur d’autres textes, mais il ne se décide qu’en présence de preuves accumulées avec un soin maniaque : « Ut qui Bibaculus.]44 : Suétone affirme que Furius Bibaculus était un grammairien [...] Quintilien le place entre l’époque de Catulle et celle d’Horace ; Macrobe atteste qu’il a rassemblé les plaisanteries et les mots de Cicéron et d’autres orateurs anciens. Charisius le loue, puis parle dit que “le poète M. Furius, surnommé Bibaculues, est né à Crémone”. Pierre Pithou a rassemblé quelques-uns de ses vers, des épigrammes, des poèmes variés. » Ainsi encore, pour valider un texte pour lequel Reg. I est défaillant, ainsi que le commentaire de Solin, mais qui se lit dans Reg. 2, il fait appel à Suétone et à Sénèque (p. 401, n. 28). Ailleurs, en présence d’une tradition qui lui offre un texte corrompu (p. 733, n. 2), la lecture patiente de textes latins concernant l’huile, avec une référence à Martial (13, 98), lui permet une conjecture qu’a depuis confirmée le manuscrit Moneus45, mais ce dernier ne fut découvert qu’en 1853.
33On peut, sans doute, relever un certain nombre de points où l’érudition moderne l’a contredit46, mais il faut admettre que son travail d’établissement du texte témoigne d’une documentation considérable et variée, bien maîtrisée47, au milieu de laquelle il navigue généralement avec prudence, même si l’exposé, proche de celui des travaux d’humanistes, nous paraît parfois foisonnant et touffu.
34Enfin, Hardouin n’a pas fait subir à Pline le traitement qui a valu un sens très particulier à l’expression in usum Delphini. Si l’on donne à « intégrité » une signification plus générale, il a bien publié la totalité des 37 livres, y compris les résumés.
35L’impression des différents systèmes d’annotations est soignée : le texte lui-même est dans un corps assez petit, et à chaque page on trouve au moins autant de notes que de texte, et souvent beaucoup plus, dans un corps plus petit, sur deux colonnes.
36Trois types d’annotations sont mis en œuvre, dont deux en dessous du texte : -les interpretationes, avec appel dans le texte par une lettre minuscule, devant le mot expliqué. Leur nombre est très variable48. Elles sont généralement assez sèches : la plus longue n’atteint pas Io lignes, mais c’est une rareté. En fait, l’interpretatio est souvent redoublée dans les notae, et parfois même dans les notes textuelles, où elle intervient pour justifier un choix. Nous étudierons en détail, à propos des commentaires, les formes qu’elle revêt ;
37– les notae : avec appel en chiffres arabes, devant le mot à commenter. Elles sont très nombreuses, et en fait polyvalentes : elles font parfois double emploi avec l’interpretatio, mais leur vocation est de satisfaire les plus diverses curiosités du lecteur. Elles occupent à peu près la moitié de la page dans la plupart des livres, mais on note une « pointe » jusqu’aux 3/4 dans les livres III et IV. Le texte cité sous l’appel est en italique, bien séparé par le signe.]. Le corps de la note est en romain, et à l’intérieur les citations sont en italique49. Les différents styles donnent une présentation pratique, mais la taille rend la lecture pénible, surtout lorsqu’on est en présence d’un texte grec ;
38– les notae et emendationes : ces explications, censées être proprement textuelles, sont à la fin de chaque livre : Hardouin y renvoie dans ses notae50 ; elles sont introduites par des chiffres romains. On voit bien qu’il voudrait séparer les remarques textuelles, en créant cette section avec chiffres romains, mais en fait il n’y arrive pas, et l’avoue en nommant cette section notae et emendationes : les problèmes textuels sont omniprésents, et ce procédé lui permet de revenir sur les difficultés. L’imprimeur l’a peut-être poussé à agir de la sorte.
39Pour l'interpretatio, le terme, plus général, d’élucidation du sens, nous a paru plus conforme à la réalité complexe de l’édition. Même s’il arrive de rencontrer des amorces51 de traduction en langue nationale, il s’agit d’une rareté, car Hardouin a recours au français en désespoir de cause, quand son latin ne lui semble pas suffisamment éclairant. Ainsi pour Clathris ferreis.], désignant des grilles, l’explication latine est suivie d’un équivalent vernaculaire treilles de fer (p. 438, n. 7) ; pour Hordei succo.], il note d’abord : « cocta ex hordeo ptisana » ; puis il ajoute : « Gallice de l’orge mondé » (p. 439, n. 17). Il revient alors au latin, avant de renvoyer pour complément d’information à une longue note textuelle (qui ne l’est pas vraiment) de 36 lignes très érudites (n. XVIII, p. 487). Dans les livres traitant des arts, le recours au français (technique) est plus fréquent52, mais, d’une manière générale, c’est à la paraphrase ou à la glose qu’Hardouin a recours, et avec deux types d’appel différents.
40Les notes « d’interprétation » (appelées dans le texte, comme nous l’avons dit, par une lettre minuscule) ne sont pas très bien représentées ; en outre elles sont très inégalement réparties53. Elles ont toutes pour but de clarifier le sens de l’exposé, rarement le sens d’un mot54, plus souvent celui d’une phrase. L’interprétation explicite les dires de Pline : Inanes.] « Dépressions de l’air, et qui se gonflent moins55 ». Parfois, Hardouin ajoute une glose explicative, qui ne figure pas dans le texte-source, et il prend soin de l’écrire en italique :Alterno meatu.] « Mouvement alterné des vagues, tantôt précédant le soleil, tantôt le suivant56 ». Peut-être s’est-il plié à l’usage des éditions In usum Delphini, qui veut qu’on note aussitôt une interpretatio sommaire, mais, dans son cas, il est fréquent57 qu’elle soit doublée par une note, qui étoffe la paraphrase explicative : Quantum absit.]58 « Tout l’espace entre la Lune et la Terre » ; et dans la note : « L’espace, c’est-à-dire, comme nous l’avons dit, de 126 000 stades, ou 18 000 milles » ; l’interprétatio défriche le sens, la note quantifie et apporte un supplément d’information59. Enfin, dans les cas délicats, l’explication déborde encore dans les notes textuelles60.
41Généralement, l’interpretatio est présentée directement ; la note use aussi de cette paraphrase immédiate, mais Hardouin a également recours aux outils tels que hoc est, ou inquit qui isolent le contenu de l’explication et clarifient l’exposé, puisque la note a plusieurs finalités.
42Les commentateurs humanistes avaient plaisir à montrer, par des équivalents nombreux, l’étendue et la variété de leur vocabulaire, et ici la présentation de deux équivalents est extrêmement courante, mais l’on se voit même souvent offrir plusieurs synonymes. Ainsi, par exemple : Duriusculum se fecit.] « Il a voulu paraître en colère, offensé, amer61. » Hardouin traque la nuance.
43L’annotation est dans cette édition un commentaire d’érudition. En effet, si le commentaire proprement littéraire apparaît ici comme un parent pauvre, il est difficile d’en faire porter l’entière responsabilité à Hardouin, compte tenu des traits stylistiques de l’ouvrage de Pline. Quand le texte de son auteur s’y prête, les notes du commentateur sont bien inspirées. Telle sa définition de Narrare.] « Tisser le fil d’un récit historique, sans aucune ombre, sans ornements oratoires62 ». Il met bien en valeur l’absence de fard et d’ornements, qui sépare pour lui la narration historique et la narration oratoire. Il caractérise aussi le genre du vocabulaire rencontré : Lactis gallinacei.] « Proverbe sur une chose singulière, et rare63 ». Il fait des remarques métriques sérieuses, en rappelant la terminologie d’usage : « Nous disons changer les pieds, ou le rythme, non les syllabes64. » Pline, qui rédigea aussi des ouvrages d’histoire65 – qui ne nous sont pas parvenus - fait dans son Histoire naturelle des remarques historiques, qui appellent naturellement un commentaire. Les réflexions d’Hardouin sont pertinentes66, mais ses prédécesseurs humanistes n’étaient pas ignares, et il est évident qu’il ne pouvait guère innover dans ce domaine. Croyons-en Crevier, un critique qui ne lui voulait pas vraiment du bien : « Son Commentaire [...] est tout farci de citations d’auteurs anciens, et en particulier de Tite-Live, de Plutarque, de Suétone, de Tacite, de Dion, etc.67 » Dans la seule préface, lieu qui appelle plus qu’aucun autre des éclaircissements historiques, il fait appel à Tite-Live, à Florus, à Cicéron, à Tiron, à Pline le Jeune, à Quintilien, mais aussi à des poètes, sans parler de Clément d’Alexandrie, entre autres. Il ne manque pas d’apporter une précision, même à propos d’un personnage sans durable influence : C. Caesare.] « fils d’Aggrippa, adopté par Auguste68 ». Dans les livres traitant des arts, il appuie les affirmations de Pline en citant des historiens, par exemple Pausanias à propos de Polyclète et de Praxitèle (p. 649, n. 9 et 10), et encore de Phidias (p. 725, n. 18). Le texte grec (avec traduction latine) d’épigrammes de l’Anthologie69 accompagne la mention de certaines grandes œuvres louées par les anciens.
44Qu’il s’agisse d’histoire ou d’histoire littéraire, les références sont toujours patiemment notées70. Quand il est fait renvoi à un chapitre, il note la page de l’édition qu’il a choisie71 (les références bibliographiques sont données, rappelons-le, en tête de son ouvrage).
45Quand il commente, sa démarche se veut exhaustive. Ainsi, dans les livres géographiques, il se soucie régulièrement de rassembler, sur un point donné, les informations fournies par les différents géographes, Pomponius Mela, Ptolémée, Solin, voire celles qui proviennent d’auteurs ne traitant qu’accidentellement de géographie72. Ovide est évoqué, par exemple, à propos des Gorgones, mais il est aussi fait appel à un auteur plus « sérieux » : « Note à propos des Gorgones la fable des fils de Phorcus, qu’Ovide rapporte abondamment dans les Métamorphoses [...] Solin rapporte de même73... » Hardouin cite également des ouvrages médiévaux et modernes. Outre les noms célèbres de Bède, de P. Cluverius et d’Ortelius, on rencontre, dans tous les domaines, des érudits très divers74.
46Pourtant, il ne se contente pas d’accumuler des occurences, et c’est une documentation critique qu’il rassemble, par exemple, à propos, d’Eudoxe de Cyzique et de la circumnavigation de l’Afrique. Il réagit ici à une affirmation de Cornélius Népos (et distingue cet Eudoxe de son homonyme, le mathématicien). Il juge, du reste, l’entreprise possible en se fondant sur un texte d’Hérodote qui fait état d’un voyage de ce genre, réalisé par les Phéniciens sous le pharaon Néchao. Son allusion à la crédulité de Posidonius, moquée par Strabon, est également pertinente (p. 221, n. 2). S’il présente bien le jugement nuancé de Quintilien sur le Discobole, il a osé, auparavant, noter le sien, qui est plus chaleureux : « Cette statue exprime admirablement l’effort et la tension de l’homme qui s’apprête à lancer le disque75. » Tout en faisant état de ces témoignages anciens, il tient à ancrer son commentaire dans le monde moderne. Ainsi, à propos de la technique d’Hannibal dissolvant les masses calcaires par le vinaigre, au passage des Alpes, il note que le duc de Guise fit de même pendant l’expédition de Naples (p. 305, n. 20). Il s’efforce constamment de situer sur les cartes de son temps les lieux évoqués par Pline. Parfois l’équivalence est facile : Atrebates.] L’Artois (p. 483, n. 11) ; parfois il apporte un commentaire, comme à propos de Thulé76. Il donne alors une opinion nuancée dans le grand débat de la colonisation sur terre déserte : les Vikings qui débarquèrent en 874 n’ont trouvé personne, mais l’île était connue avant cette date (p. 481-482, n. 10).
47Il est tout naturellement pluridisciplinaire, et du reste le caractère encyclopédique du texte de Pline faisait de ce goût une nécessité. On le voit justifier une titulature impériale en décrivant deux deniers d’argent, un d’Auguste et un d’Aurélien : Deus illel.], p. 401, n. 36. Le recours au document épigraphique est plus rare, mais il fait allusion à une inscription de Bétique (p. 733, n. 5). Dans le domaine de l’art, ces références sont plus fréquentes, comme en XXXIV (p. 642, n. s 1 et 13) ; il est fait référence au Corpus inscriptionum (p. 337) de Gruyter. Il démontre l’existence d’un oppidum Rauracum, pas à Bâle même, mais non loin, à Augst, en faisant appel à l’épigraphie77 et à la numismatique78 : des fouilles archéologiques effectuées depuis ont corroboré son raisonnement.
48Pour l’index, nous faisons ici le bilan de l’édition de 1723, parce qu’elle est plus complète (mais celle de 1685 comporte déjà des index).
49On trouve au tome I un index des corrections à la fin de chaque livre, et un index général d’emendationum (p. 759-789) ∴, suivi d’emendanda vel addenda in Pliniano contextu (p. 789-790) ∴. Le tome 2 comporte une suite d’index généraux très importants, pour les deux volumes (p. 800-1290) ∴. Ces index constituent parfois le tome 3. Outre la suite de l’index emendationum, on trouve encore Index primus, geographicus (p. 836-875) ∴ ; Index secundus, nomina propria numinum, virorum, jeminarum (p. 876-891) ∴ ; Index verborum etsententiarum (p. 892-fin) ∴. L’ordre alphabétique est de rigueur (les erreurs d’agencement sont rarissimes). Hardouin ne relève pas les simples variantes orthographiques (il a pourtant tout relu – voire re-relu – en vue de la seconde édition).
50Il ajoute un Index auctorum praecipuorum qui in Plinianis notis citantur, illustrantur, emendantur. il comporte 7 pages in-P, d’Achille Tatius à Zenobius. Pour en montrer la très grande variété, nous donnons comme échantillon la lettre A : Albert le Grand, Alciat, Ammien, Apicius, Apollodore, Apollonios de Rhodes, Apulée, Aratos, Aristophane, Aristote, Arnobe, Arrien, Ascanius, Athénée, Avicenne, Aurelius Victor, Ausone, etc. Il offre après chaque titre les précisions bibliographiques nécessaires. Ainsi, par exemple, Aelianus : De historia animalium lib. XVII, Graece, et Latine Gyllio interprete, Genève, 1606 (in-16) ; Variae historiae lib. XIV, Vulteio interpretante, Genève, 1603 (in-16).
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51Le ton de la notice établie par un secrétaire de Lamoignon, Adrien Baillet (revue par La Monnoye), dans les Jugemens des Savans sur les principaux ouvrages des Auteurs79, est élogieux, même s’il est fait reproche à Hardouin « d’une industrie un peu trop ingénieuse », et l’on voit que la seconde édition est attendue comme un événement dans le monde des éditeurs de textes anciens. « L’équitable avenir » n’a pas rendu un jugement différent. Ainsi l’éminent latiniste Ernout, qui a lancé l’édition de l’Histoire naturelle dans la collection des Universités de France80, considère que le travail d’Hardouin ouvre la seconde période de l’histoire du texte de Pline :
c’est le premier commentaire complet ;
l’édition Lemerre, 10 vol., en 13 tomes (1827-1831) utilise ce texte ;
c’est la base de la traduction de Littré (qui a pu connaître aussi les premiers travaux de Zillig).
52Nous avons tenté de donner ci-dessus une synthèse des conclusions auxquelles nous sommes parvenues, au terme de recherches conduites séparément, mais il nous a paru intéressant de présenter ici, en outre, quelques remarques81 concernant la polémique qui opposa le R.P. Jean Hardouin, s.j., et celui qu’il faut bien, après inventaire, appeler un ennemi, Jean-Baptiste Crevier, professeur au collège de Beauvais82. L’ouvrage83 de ce dernier porte le titre de Lettres d’un Professeur de l’Université de Paris à M.*** sur le Pline du P. Hardouin.
53Il comporte en tout trois lettres, publiées chez H.D. Chaubert : les deux premières (1725 et 1726) sans nom d’auteur ; la troisième (1727) est signée. Malgré l’anonymat, Hardouin n’a peut-être pas eu trop de mal à reconnaître l’auteur de ces travaux84 ; en tout cas, il ne répliqua dans le Journal de Trévoux qu’après la seconde lettre, en octobre 1726.
54La lettre n° 1 comporte des critiques sur des points de détail85 de l’histoire romaine ; sur les erreurs mathématiques qu’aurait commises Hardouin (du genre de la quadrature du cercle, de la révolution copernicienne, mais sur ce dernier point les conclusions qui lui sont prêtées ne paraissent pas stupides) ; retour (p. 9) aux reproches historiques (essentiellement sur les généalogies, mais que celui qui n’a jamais péché sur celle des Julio-Claudiens – le terrain de prédilection de Crevier – lui jette à son tour sa pierre !) ; des remarques sur la numismatique (p. 16) semblent plus pertinentes. La conclusion (p. 18-20) reprend plusieurs des exemples cités, comme si l’auteur ne se résignait pas à s’arrêter de lancer des piques. La lettre est du « 10 May 1724 ».
55La lettre n° 2 commence par procéder de la même manière, avec des critiques ponctuelles, sur l’anachronisme (p. 5, puis p. 6, et encore p. 8) ; dans ce dernier cas, Crevier avoue son obsession86. En avançant il doit avoir pris conscience du caractère fragmentaire de ses remarques87. Aussi essaie-t-il de les ordonner quelque peu, mais cela ne va pas sans redites88. Il s’en prend ensuite aux compétences de l’éditeur en sciences naturelles89, puis revient, avec des fortunes diverses, à la critique ponctuelle : « Je pourrais finir ici. J’en ai dit assez, je crois [...] Mais pendant que nous y sommes... » (p. 23). Et les propos sur les Julio-Claudiens repartent90, suivis de réflexions sur les médailles.
56Dans sa réponse en 1726, dans le Journal de Trévoux (article XCIII), Hardouin renvoie sèchement, pour commencer, le censeur aux Errata (§ 1905), ce qui prouve que Crevier s’était rué assez imprudemment dans sa critique91. Puis il dit avoir sélectionné deux points sur lesquels Crevier92 veut attirer l’attention, mais le choix opéré n’est pas maladroit. Dans le premier cas, « le professeur » aurait adopté, pour un texte de Tite-Live, une conjecture que celui qui l’avait lancée, Gronovius, avait renoncé à maintenir (§ 1908 et suiv.). Le second point retenu est la critique de deux médailles, de Gallien et de Salonine (§ 1916 et suiv.).
57La troisième lettre est la plus longue93 : elle est une réponse aux propos d’Hardouin dans le Journal de Trévoux. Crevier avoue qu’il ne s’était pas reporté aux Errata (p. 5), récapitule tous les passages qu’il a critiqués antérieurement (p. 6), et en particulier revient sur le texte qui met en cause la conjecture de Gronovius (p. 7-19), ad satietatem, selon nous, pour finir par admettre que la dite conjecture ne le satisfait pas pleinement94. Au passage, il ne résiste pas à la tentation de faire un exposé de vulgarisation en onomastique (p. 23), sur le suffixe marquant l’adoption (-anus). Il est sans doute mieux inspiré quand il critique les conclusions d’Hardouin en numismatique (p. 27, 28, 29, 31, 32). De fait, en dehors d’une remarque contre Racine, cette lettre n’apporte pas grand’chose de nouveau, mais le ton est beaucoup plus agressif, et l’auteur interpelle sans cesse « mon Révérend Père », comme s’il redoutait que ce dernier ne s’échappe.
58En conclusion, si Hardouin est passé pour un illuminé, à tout prendre le professeur Crevier, qui a la réputation d’un bon historien de l’Antiquité95, n’était pas forcément toujours bien inspiré, lui qui n’a pas hésité à reprendre Montesquieu pour ses carences en histoire romaine. Par ailleurs, même si l’on tient compte des changements de mentalité dans la méthodologie historique, sa déclaration dans la préface de son Histoire de l’université de Paris..96 peut laisser rêveur : « J’avoue que je n’ai ni l’intelligence ni le courage nécessaires pour feuilleter ces registres, visiter des archives, et user mes yeux sur des papiers et parchemins poudreux et à demi effacés. » (p. XXIV-XXV) Ce propos, nous semble-t-il, n’est pas loin du fameux « Mon siège est fait » de l’abbé Vertot. Hardouin avait, c’est bien évident, un tout autre rapport aux documents.
59Aucune d’entre nous n’étant spécialiste du xviiie siècle, quand nous avons commencé ce travail nous ignorions à peu près tout de la légende qui fait du père Hardouin un songe-creux qui se hâte vers des conclusions affligeantes97. Aussi notre approche de l’édition de Pline a-t-elle été celle du lector candidus.
60Le bilan que nous présentons ici concerne d’abord le texte. Sans doute, celui que nous lisons aujourd’hui est très différent de celui d’Hardouin, mais ce n’est pas sa méthode qu’il faut mettre en cause, seulement sa documentation. En effet, des progrès significatifs n’ont pu s’accomplir dans ce domaine que par la découverte de nouveaux manuscrits, dans le courant du xixe siècle. Il est très remarquable que ceux qu’il nomme des vetustiores ne remontent pas au-delà du viiie siècle, et sont devenus pour nous des recentiores. Il ne pouvait avoir l’idée de chercher à établir un stemma,98 parce que, malgré la grande variété98 99de ses matériaux, il ne pouvait savoir, par exemple, que son Regius 2 était partiellement une copie du Vaticanus 3861 : il en connaissait pourtant sept autres, mais pas celui-là, précisément.
61Pour les commentaires, il a bénéficié des travaux sérieux de certains de ses devanciers, mais il présente, avec des références précises, une documentation très diverse, qui dépasse ce qu’on attend d’un humaniste cultivé, car il fait appel aussi à des textes techniques, à des auteurs spécialisés, qui ne font pas partie du bagage commun : par exemple, tout le monde n’a pas l’idée de citer le moine irlandais Dicuil. Dans les commentaires, même si ses conclusions sont parfois, pour certains domaines, hasardeuses ou erronées, sa méthode est, sur bien des points, novatrice.99
62Compte tenu des moyens dont il disposait et des critères de son époque, le Pline qu’il a publié, et s’est efforcé de remettre à jour, est un travail scientifique de qualité, qui a fait autorité pendant plus de cent cinquante ans et auquel on peut encore faire appel aujourd’hui.
Notes de bas de page
1 Nous nous appuyons essentiellement sur la notice de Moreri, la plus complète (éd. de 1759). Les dictionnaires (généraux ou spécialisés) ne font guère que ressasser les informations, la seule différence étant dans l’étendue de l’énoncé.
2 Il était pratiquement paralysé les six dernières années de sa vie (voir lettre de J. Hardouin, dans Mss. Fr. 9594, P 4 r° ; 5 r°).
3 Il finit même par se fâcher avec Huet, mais nous aimerions citer ici le mot de ce dernier, qui le connaissait bien : « Il travaille sans cesse à ruiner sa réputation, sans pouvoir en venir à bout. » (Citation qui termine la notice « Hardouin » de la Bibliographie universelle, par F.-X. Feller ; nous avons utilisé l’édition de 1867.)
4 Ainsi l’édition des Conciles, longtemps différée, fut interdite par le parlement de Paris, parce qu’elle « renfermait plusieurs maximes contraires à celles de l’Église gallicane » (ibid.). On est dans un climat polémique, et il faut en tenir compte, mais l’édition de Pline, quant à elle, est ici reconnue comme un ouvrage « exécuté d’ailleurs avec beaucoup de sagacité et d’exactitude ». C’est sans doute aux Jésuites que pense Crevier, quand il note que l’Université est « infiniment éloignée d’atteindre aux richesses que d’autres Sociétés qu’elle a vu naître ont accumulées en peu d’années » (Histoire de l’université de Paris, p. 9-10 ; voir n. 89). Quant à Vernet, professeur de théologie à Genève, qui qualifie Hardouin d’homo paradoxotatos et deliriis senex ; il n’y a pas à s’étonner qu’il n’ait rien noté de positif (cité par Feller, op. cit., voir ci-dessus, n. 3).
5 Voir ci-dessous, p. 335.
6 Dans une lettre de septembre 1766 (éd. Assézat, p. 141-189), Diderot - qui voit en Pline un prédécesseur - répond à l’« artiste » Falconet, qui l’avait traité de « petit radoteur ».
7 C’est bien l’avis d’Hardouin, qui note que les choses passablement difficiles à expliquer y sont en nombre presque infini – in Plinio [...] difficilioris explicatus [...] sunt propemodum inpnita (Lectori, à propos de Saumaise).
8 Geneviève Demerson a été chargée des textes liminaires et de la préface (un des textes qui a connu le plus d’éditions séparées). Monique Mund-Dopchie a traité des livres géographiques (livres II-VI), Alberte Jacquetin des autres livres. Dans ces deux dernières catégories un examen exhaustif étant impossible, il a été opéré des sondages significatifs.
9 Si c’est par l’intermédiaire de membres de la Compagnie qu’Hardouin, par exemple, a eu connaissance des manuscrits de Salamanque et de Tolède, il n’a pu s’agir que d’une aide ponctuelle sur des points délicats (il est vrai qu’il y en a beaucoup). Voir encore ci-dessous note 25 ; voir aussi « Gruterius noster [...] Raderus idem noster » (p. 767, n. 1). Pour les guillemets, voir n. 47.
10 En 1685, on trouve, par exemple, une trace de ce travail antérieur : ayant finalement choisi honoribus ineptis, Hardouin ajoute (p. 5, n. 2) : « Fuit aliquando tamen cum inemptis scribendum putarem, hoc est non suffragiorum corruptione emptis » – « il y eut cependant un temps où je pensais qu’il fallait écrire inemptis < qu’on n’a pas acheté par la corruption des suffrages > ». Nous avons utilisé les signes < > pour indiquer nos interventions, afin d’éviter la surcharge des signes de parenthèse. Le signe] est utilisé par Hardouin lui-même.
11 On pourrait, en effet, reconnaître des niveaux différents, non seulement en fonction des thèmes, mais comme si certains livres avaient été préparés en vue de fournir des éléments propres à piquer la curiosité et susciter la réflexion : c’est le cas des livres II, VII, VIII, IX, XI, et à un moindre degré XXVIII. On pourrait expliquer ainsi pourquoi les contes sur les baleines, les dauphins, sont assortis de notes si nombreuses, et pourquoi les notae et emendationes du livre VIII sont agrémentées d’un poème de Passerat sur les éléphants.
12 Pline demande qu’on l’excuse pour « ses mots rustiques et étrangers, voire barbares » (préf., 13).
13 Mme Dacier, dans la dédicace de son édition de Florus, évoque les exercices du Dauphin sur Térence, auxquels elle avait assisté, mais Térence jouait un rôle à part dans l’éducation humaniste : on l’utilisait comme une sorte de manuel de conversation.
14 Hardouin ne se soucie nullement de vulgarisation à bon marché : il apporte ce qu’on peut appeler un éclairage docte.
15 Les deux éditions furent publiées par ordre du Roi, pour l’usage du Dauphin ; au sujet des imprimeurs, voir ci-dessus, 1. Du reste, en 1723 Louis XIV est mort.
16 Pour les citations, nous avons été amenées à faire appel à l’une ou l’autre des éditions ; s’il s’agit de l’édition de 1685, nous n’indiquons rien ; les références à celle de 1723 sont notées. Hardouin ne s’y est pas borné à des addenda et corrigenda ; il est revenu sur ses ajouts avant la seconde publication, et il arrive même que certaines remarques manuscrites ne figurent pas dans la seconde édition. En outre, l’éditeur cherche à donner plus de confort au lecteur, en rendant, par exemple, les abréviations plus explicites.
17 BN Rés. S 502-506 (4°). Le travail de correction a été effectué sur les feuillets non reliés. Le massicotage postérieur a rogné le bas de certaines pages. On peut retrouver, presque toujours, les lignes qui manquent en se reportant à l’édition de 1723.
18 Sive Latini sermonis elegantiam, sive sententiarum majestatem, sive stili acumen, seu rerum denique uberem copiam desideres, unus omnium vicem praestare Plinius jure possit. On peut comprendre aussi « la hauteur de ses pensées ». Cicéron emploie les mots acumen stili, mais au sens propre (De Or., I, 151).
19 Aussi le premier cité est-il Johannes Andreas, évêque d’Aléria : ce précurseur, s’il a labouré le premier (1491), a laissé beaucoup d’épines.
20 ls e mendis pariter et ruinis veterum exemplarium germanam eruere scripturam quibusdam locis conatus est, hoc est aurum colligere ex stercore.
21 Plurima pro arbitrio, erudite magis quam caute ac vere mutavit, vel plane pessumdedit : cum plurima ex iis qui castigavit, non errata illa sint, sed parum intellecta.
22 Quod multi soient, si hoc illudve non arridet, statim immutat, ac saepe in deterius.
23 Et sunt sane omnes audaciusculae conjecturae, nec ullae omnino sunt felices [...] Vates fuit [.. ] conserendae nobis pugnae fuerunt.
24 Hic enim sua profert in medium, ductis ex multigena lectione conjecturis.
25 Qui notulas breves editioni Parmensi subjunxit, tribus ferme pagellis comprehensis.
26 Ce volume est si gros qu’on ne peut le consulter que debout.
27 Il mentionne, par exemple, le concours que lui a apporté Graevius pour la consultation d’un Palatinus (p. 3, n. 3) ∴
28 Nous n’avons pas relevé ici toutes les indications données par Hardouin, mais seulement celles qui semblaient présenter un intérêt particulier (éditeur, format, collaboration, etc.). Par exemple, l’existence d’un in-16 montre qu’il y avait un lectorat pour emporter sa sélection de Pline dans sa poche.
29 « Quidem Colb. 1. 2 et Paris. At Reg. 1. 2 et Chiff. his vocibus carent et Italia, quas ego suspicor e margine libri irrepsisse in contextum. » (p. 370, n. 7) Hardouin renvoie, pour justifier l’erreur, à deux autres passages de Pline (lib. 37, sect. 4, et lib. 3, sect. 9). L’éditeur de la CUF a retenu cette suggestion.
30 Turnèbe nous paraît jouer, chez Hardouin, un rôle sans rapport avec l’importance de ses travaux sur Pline ; le Jésuite fait preuve d’élégance en présence d’un ennemi passionné de son Ordre : Legit hoc loco Turnebus cum dicerem naenias in hoc albo, haud satis sane feliciter (p. 2, n. 13). On voit aussi Hardouin reconnaître l’intérêt des travaux de Samuel Bochart, un protestant, qui mourut en 1685, après avoir rompu avec Huet, qui l’avait longtemps protégé : la louange est donc désintéressée.
31 Ils peuvent même être rappelés clairement : « Verum consentientibus MSS. omnibus, editisque libris, quidquam inducere vel immutare, nobis religio est » (lib. I, n. V) – « Mais si tous les mss. et toutes les éditions sont d’accord, nous nous faisons un scrupule de rien introduire ou de rien changer ».
32 Ita MSS. omnes [...] Libri hactenus editi in eam.
33 Cette leçon est acceptée sans discussion, sur la base des manuscrits, par les éditeurs modernes.
34 Qui nuncupare hoc loco substituunt, genuinam lectionem, nullo suffragante codice, de suo marte interpolant (p. 1, n. 2).
35 Quas emendationum nugas mirari satis non possum adeo temere inexplorata re ab editoribus Plinianis statim arreptas, contra omnium exemplarium fidem (lib. I, n. IX).
36 Ipsa quoque oratio postulat (p. 679, n. 7). Voir ci-dessus, et n. 31.
37 Ita veteres editiones omnes, quas et Turnebus probat (p. I, n. 5) ; Regii codicis 2. et veterum editionum lectio est, quam et Barbarus probat (lib. I, n. VIII).
38 Vett. codd. omnes, editique libri, vel defendimur exhibent (p. 3, n. 1).
39 Rhenanus legit a furatissimis, hoc est, ab iis qui nomine auctoris suppresso, furati sunt opera : ut Graecinus fecit, qui ad verbum omnia sumpsit ex Celso, ut Plinius refert lib. 14, sect. 4. ut Macrobius ex Gellio multa, Solinus ex Plinio (39) (p. 4, n. 11).
40 Ita Paris, cod. et editi omnes. Reg. 1 Sed per cuncta. Reg. 2 Sed cuncta. Salmasius pag. 306 Sed et fere cuncta. Si quid juvat indulgere conjecturae, mallem Sed super cuncta quam fere cuncta, quoniam ad vestigia veteris scripturae propius accedat.
41 Mais il arrive que ce recours anéantisse les velléités de conjecture : Nos lectionem post testimoniis confirmatam repudiare non ausi sumus (lib. VIII, n. V). « Nous, nous n’avons pas osé rejeter une leçon confirmée ensuite par les testimonia » (p. 487).
42 La déclaration concernant l’index emendationum (tomi primi), p. 759, nous paraît apporter un éclairage intéressant sur la méthode d’Hardouin quand il corrige : « Partim ex Mss. codicum fide, Vatic. Reg. Colb. Thuan. Paris. Lugd. Rigal. Chiffl. Tolet. et Salmant. ; partim ex veterum Auctorum collatione, qui sunt in eodem argumento versati ; partim ex certissima conjectura, ut suis ostendimus locis. » Nous avons considéré, à titre d’échantillon, l’index de la préface : il comporte vingt et une entrées et la correction est présentée chaque fois dans son contexte ; huit sont opérées ex mss.
43 Hardouin est généralement docile aux leçons des manuscrits, mais il peut lui arriver de tenter de justifier à trois reprises un choix opéré par lui (peut-être, dans ce cas, cherche-t-il à se convaincre luimême) : « in setabis suis, sive sudariis » (p. 1, n. 7) ; « Setabis.] Setaba, sudaria sunt e lino setabo, quod a Setabi Hispaniae oppido nomen accepit... Setaba auctor simpliciter appellat, quae Catullus sudaria setaba » (p. 2, n. 1) ; « sed selabis certe, non syllabis Plinius scripsil, ut ex Catulli locis duobus a nobis allatisperspicuum est » (lib. I, n. I).
44 Pour Bibaculus l’apparat critique de l’édition de la CUF note tout uniment vulg., mais la comparaison avec les éditions humanistes révèle qu’il n’était pas facile d’en arriver là, et l’’emendatio IX montre que le débat n’était pas clos. Le texte d’Ernout est, par ailleurs, différent de celui d’Hardouin. « Grammaticum fuisse Furium Bibaculum significat Suetonius, lib. de illustr. Grammat, cap. 4, p. 120. Hunc inter Catulli et Horatii aevum Quintilianus collocat, lib. 10, Instit. cap. 1, p. 748. Ciceronis aliorumque veterum jocos et dicta ab eo collecta testatur Macrobius, lib. 2 Saturn. cap. 1, pag. 321. Laudat Charisius, cap. 1, pag. 102. Denique Hieronymus in Chronic. ad Olym. 169. an. 3. M. Furiuspoeta, cognomine Bibaculus, Cremonae nascitur. Carmina eius aliquot Petr. Pithoeus colligit, Epigrammata, poemataque varia, pag. 36. Vide Notas et Emend. num. IX (p. 5, n. 7). »
45 Le plus ancien des manuscrits de Pline : c’est un palimpseste, en onciale, mais il ne comporte que des éléments des livres XI à XV.
46 L’apparat critique de l’édition de la CUF note que les manuscrits donnent soit adverso, soit adversum, et fait d’adversam une correction d’Hardouin ; nous n’avons pas vérifié le texte des manuscrits, mais le sens auquel il aboutit n’est pas sensiblement différent de celui que donnerait adverso (p. 682, n. 2). Peu après (p. 682, n. 11) on le voit rejeter un texte (qu’il prend pourtant soin d’expliquer), en se fondant sur l’invraisemblance de ce chiffre, et sur un passage de Strabon, pour lequel les éditeurs des modernes dans la CUF ont une autre lecture (il s’agit d’un chiffre - texte vulnérable entre tous - et ils admettent toutefois qu’il est quelque peu exagéré). Il cite soigneusement (en grec, avec la référence) un texte d’Hannon, qu’il a reconnu comme source de Cornelius Népos (p. 746, n. 3) ; on sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un Pseudo-Hannon.
47 Les renvois internes montrent qu’il voit son travail de haut : ainsi, par exemple, au sujet de setabis (voir n. 40), il renvoie à un propos à venir : « ut dicemus, lib. XIX, sect. 2 » (lib. I, n. IX). Voir encore n. 3 6.
48 5 livres n’en comportent aucune ; 13 livres ont entre 1 et 20 interprétations ; 5 entre 21 et 40 ; 4 entre 41 et 60 ; 5 entre 62 et 80 ; 2 entre 87 et 100 ; 3 dépassent la centaine.
49 Nous adoptons ce système pour la présentation des notes du Pline. Comme le texte latin de la note elle-même n’est pas directement reconnaissable, nous avons dû ajouter des guillemets pour l’isoler.
50 Tous les livres en comportent, mais elles sont plus nombreuses dans ceux du début (le record appartient au livre VII, avec 180 notes de ce type) ; elles sont souvent disertes (une dizaine de lignes).
51 Par exemple un rapprochement est fait entre Sesculysses, « un Ulysse et demi » et la locution « à trompeur, trompeur et demi » (p. 5, n. 8) ∴.
52 Par exemple « Differentia colorum.]... Galli sic reddunt : les ombrages d’une peinture rehaussent les couleurs » (p. 684, n. 3) ; « Atramento illinebat.] Galli dicunt vernir, appliquer le vernis » (p. 698, n. 125) ∴.
53 Voir ci-dessus. Si certains livres n’en présentent aucune, le livre Il détient le record, avec une page qui en comporte six (p. 174) : c’est qu’il traite de difficiles problèmes de cosmographie, mais cet usage n’est pas systématique, car 62 pages n’en comportent aucune, et 36 n’en ont qu’une (ce livre compte 128 pages).
54 Elles vont de l’imprécis au précis : « Mundi.] Caeli » (p. 140b) ; de l’abstrait au concret : « Convexitatibus mundi] Caeli convexitati » (p. 159a) ; du recherché au banal : « Surculosas] Lignosas » (p. 164a) ∴ ; « Sideris vapore] Solis ardore » (p. 230b) ; « Algore.]. Hieme excepta » (p. 463a) ∴.
55 Depressiores aestus, ac minus tumentes (p. 244b). Le sens de l’adjectif inanis, « vain », est flou ; il fallait le clarifier : à l’époque envisagée, l’amplitude des marées est faible.
56 Alterno cursu vagum, modo solem antegrediens, modo subsequens (p. 250b). Meatu est remplacé par un mot plus banal, cursu, mais alors que Pline ne note que le caractère erratique du mouvement de Vénus, son interprète précise en quoi il l’est, la planète passant tantôt devant le soleil, tantôt derrière.
57 Mais la répartition de ces procédés est inégale. Ainsi, dans les livres géographiques, Hardouin procède plus rarement à ce redoublement.
58 Interpretatio : Totum illud spatium quod lunam inter et terram interjacet (p. 175a). Note : Hoc est, intervallum, ut diximus 126000 millium stad., sive milliarium 18 000.
59 Il arrive que ce supplément éclaire un non-dit du texte de Pline : ainsi après avoir réexpliqué plus longuement, en termes un peu différents, l’expression ambivalente studiorum otiosis, Hardouin ajoute en faisant parler directement Pline : « non tibi, Imperator, qui licet negotiis maximis et operosis implicatus, abundare tamen otio et studio videris » (p. 2, n. 12) ∴.« cela n’est pas pour toi, Imperator, qui, bien que tu sois pris par des affaires très importantes et pénibles, sembles pourtant avoir abondance de loisir pour ton étude ».
60 Voir ci-dessus, n. 45, pour le cas de Setabis, déjà expliqué à deux reprises dans les notes, et encore repris dans les notes textuelles.
61 Subiratus, offensus, amarioris ingenii voluit videri (p. 2, n. 2). Mais s’il est aussi disert, c’est ici qu’il tient à préciser la nouveauté de son explication, car il ajoute : Ut vocem eam duriusculum, non ad numeros, ut visum est bactenus eruditis, sed ad acerbitatem carminis et acrimoniam pertinere manifestum est.
62 Historicae narrationisfilo contexere, sine ullo fuco, sine ullis dicendi oratoriis ornamentis (p. 1, n. 2).
63 Proverbium de re singulari, et admodum rara [...] Vide etiam Erasmum, Cbiliad I. cent. 6. adag. 7. p. 179 (p. 9, n. 3).
64 Pedes enim, aut tempora, non syllabam mutari tum dicimus (lib. I, n. I).
65 Il y fait allusion dans la préface, § 20.
66 Il n’est pas inutilement bavard : « Ne Africanum] Livius lib. ;8, pag. 485. Morte Africani crevere inimicorum animi, quorumprincepsfuit M. Porcins Cato, qui vivo quoque eo allatrare ejus magnitudini solitus eratss (p. 6, n. 3) ∴. Parfois, l’essentiel paraît dit, mais il promet un complément d’information : « Nec Plancus.] L. Munatius Plancus, Orator et idem Ciceronis auditor, qui cum Caesare in Gallia militavit. de Asinio Pollione dicemus inferius in Auctorum Indice » (p. 6, n. ;) ∴.
67 Voir ci-dessous, 6.1, et n. 79.
68 Agrippae filio, quem Augustus adoptavit (p. 220, n. 8). Il s’agit d’un fils de Julie adopté par son grandpère Auguste, et qui, effectivement, organisa des expéditions en Orient (en 2 av. J.-C. et 4 après J.-C.).
69 Hardouin avoue qu’il juge ces textes pleins de charme-pervenusta (p. 728, n. 76) ∴.
70 « Sesculyssem.]... Sesqui-Ulyssem Varronis citat Nonius, cap. 2, num. 481. Eumdem in Flextabulis laudat, cap. 1, num. 109, et 113, et cap. 3, num. 171 » (p. 5, n. 8) ∴ ; pour les épigrammes, Planude, IX, « lib. 3, Anthol. cap. VII » (p. 728, n. 76) ∴.
71 Par exemple : « De Lucilio, Quintilianus, lib. 10, Instit., cap. 1, p. 748 » (p. 2, n. 17) ∴.
72 « Sunt autem XL] < sc. Orcades > Totidem Martiano, loc. cit. < sc. lib. 6. cap. Alla dimensio Europae >. Pomponio, lib. 3, c. 6. triginta. Jornandi XXXV. Ptolemaeo lib. 2. c. 3. Sunt eae supra Scotiam positae, modico ab ea freto disjunctae. Earum maxima Pomona, Mainland. » (p. 481, n. 4)
73 Nota de Gorgonibus Phorci filiis fabula, quam prolixe recitat Naso, lib. 4 Metamorph., sub finem. Refert haec pariter Solinus, cap. 56, pag. 88 (p. 746, n. 11).
74 Par exemple : Camden (p. 229, 481, 482) ;]. Mariana (p. 746) ; Dicuil (p. 474, 47 ;, 482), Gilles Laccary, S.J. (p. 483) ; Gruterus (p. 484), ainsi que la Table de Peutinger (p. 480), etc. ; voir encore Petau, Samuel Petit (p. 644, n. 5) ∴, avec des références précises, après en avoir appelé à Nonius, Diogène Laërce (traduit en latin), Pline lui-même et Hérodote ; voir aussi Scheffer, « lib. de arte pingendi, pag. 138 » (p. 684, n. 4) ∴ ; Louis de Montjoly, « tit. de pictura, pag. 14 » (p. 709, n. 2) ∴.
75 Quae statua mire expressit nixum et conatum hominis discum jacere molientis (p. 650, n. 6).
76 « Vltima] Haec iisdem verbis Martianus, loc. cit. < sc. lib. 6. cap. Alla dimensio Europae > et Solinus, c. 22. p. 42. Thule nunc Islandia appellatur, ut recte Cluverius animadvertit, 1. 3 Germ. antiq. c 39. Schetlandiam vult esse Camdenus, p. 850. at haec non quinque dierum navigatione a Britannia, ut vult Solinus, imo vix unius abest : nec senis mensibus dies ibi, ut in Islandia, et nox vices habent. » (p. 481, n. 10)
77 « Raurici.] Quorum mox dicenda Colonia Rauriaca : iidem Raurici alias appellad. Inscriptio Gruteri, pag. 339. » (p. 484, n. 12)
78 « L. MVNATIVS L.F. PLANCVS. COS IN GALLIA. COLONIAS DEDVXITLVGDVNVM. ET. RAVRICAM. Tiberii nummus apud Glotz. p. 237. COL. AVGVSTA. RAVRACOR. » (p. 484, n. 12) Mais ses travaux de numismatique (La Chronologie rétablie par les médailles), par ailleurs, ont nui à sa réputation.
79 Les Jugemens de Baillet (1649-1706), revus, corrigés et augmentés par La Monnoye, furent publiés chez Moetie, Le Clerc et alii, en 1722.
80 Édition CUF, tome 1, p. 33-34 ; il a d’entrée de jeu dressé un bilan apocalyptique de la codicographie de Pline (p. 20-21).
81 A. Jacquetin prépare un travail plus approfondi sur cette guerre inexpiable d’érudits, qui dépasse le cadre de l’étude sur les éditions In usum Delphini et, du reste, la vie du R.P. Hardouin.
82 J.-B. Louis Crevier (1693-1765) est né et mort à Paris. Il était fils d’imprimeur. D’après la Grande Encyclopédie (31 vol., s.d., sous la direction de Marcellin Berthelot), il était connu pour ses sympathies jansénistes. S’il lui est accordé ici un « grand esprit de tolérance », l’auteur de la notice ruine partiellement cette affirmation en déclarant que « son zèle l’entraîna parfois à de singulières erreurs ».
83 Ces publications (BN, S 2382-2384,4°, en un seul vol., d’environ 80 pages) nous ont été signalées par Catherine Volpilhac-Auger, que nous remercions ici.
84 Hardouin dit avoir « négligé la première Lettre comme une Critique hazardée par un inconnu ». La page de garde de l’exemplaire que nous citons porte l’attribution manuscrite « par le Sr. Crevier, professeur au Collège de Beauvais ».
85 Crevier ne se soucie pas de faire un exposé en forme et les transitions ne sont pas son fort. On passe, par exemple, de « Il est bien vrai » (p. 6) à « Il est vrai encore » (p. 7).
86 « Mais je ne puis m’ôter de la pensée que le P. Hardouin raisonne bien moins sur ce qu’il lit, soit dans les Livres, soit sur les Médailles, que sur ce qu’il voit pratiquer en son temps. » Ce propos paraît quelque peu inconséquent si on le met en parallèle avec les déclarations sur le « Commentaire, qui est tout farci de citations d’auteurs anciens » (p. 17).
87 Crevier évoque à propos de son travail « l’ennuyeux détail de tant de chiméres sur des choses qui ne sont nullement intéressantes par elles-mêmes » (p. 12) : on est bien tenté d’être de son avis.
88 Il accuse encore Hardouin du péché d’anachronisme (mais l’exemple qu’il prend a déjà servi, et du reste resservira) ; de conclure à la parenté de personnages qui portent le même nom et le même surnom (cela dépend, évidemment, de l’époque considérée) ; nouveaux reproches concernant l’onomastique ; Hardouin aurait eu le tort, enfin, de trop faire confiance à Pline, au détriment des autres auteurs, mais le texte incriminé n’est pas toujours précisé, et parfois compris superficiellement. Crevier, qui a entrepris une édition de Tite-Live (fondée sur le texte de Gronovius, elle fut publiée en 1748), reproche à Hardouin d’avoir vu « une fable faite à plaisir » (p. 16) dans l’épisode du viol et du suicide de Lucrèce (l’historicité des premiers livres est pourtant plutôt douteuse et Tite-Live, après Douris de Samos, ne manque jamais un épisode de « cherchez la femme », même à l’époque historique). La polémique sur Tite-Live entre Crevier et les Jésuites ne s’éteint pas avec la mort d’Hardouin.
89 Mais une fois (à propos de la génération spontanée, p. 17-18) il a mal lu Hardouin, et quand il s’agit de l’origine des nerfs et du rôle des poumons dans la circulation sanguine, c’est l’accusé qui paraît le plus proche de la vérité, telle qu’on pouvait l’appréhender à l’époque. Souvent Hardouin prend ses distances, et fournit une explication plus rationnelle que celle de Pline, ainsi, par exemple, à propos de la manière dont flottent les cadavres féminins : « Veram causam Physici aiunt esse quod... » (p. 385, n. 8) ∴
90 L’exemplaire de la BN souffre d’une erreur de brochage qui ajoute à la confusion.
91 Mais ce n’est pas la conclusion que tire Hardouin : il pense que Crevier a lu l’erratum, « mais a eû la circonspection de le dissimuler » (ibid).
92 On sent que l’anonymat l’a choqué. Il parle de « l’Anonyme » (§ 1905), d’un « auteur qui se cache » (§ 1912).
93 Crevier note : « Les occupations d’un employ laborieux [...] ne me laissent guéres la liberté d’examiner
à fond un gros ouvrage, et d’en discuter toutes les fautes » (p. 22-23).
94 Il ne s’attaque que deux fois à l’établissement du texte, mais sans se reporter à la tradition manuscrite, seulement en se fondant sur les conjectures d’un tiers (Saumaise ou Gronovius). En effet, il admettait dès le début, mais non sans acidité : « Je ne vous dirai rien sur la pureté qu’il prétend avoir rendue au texte. Je sai trop qu’il n’y faut point regarder après lui » (p. 6). Un peu plus tard il y revient: « Son ouvrage ne laisserait pas d’être utile, en supposant que par la collation des manuscrits et la confrontation des auteurs anciens qui ont parlé des mêmes choses que Pline, il eût assuré et prouvé les véritables leçons et le sens grammatical de son Auteur » (p. 18). On voit que c’est à peine si Hardouin accède au statut de grammaticus.
95 Il a pris la suite de Rollin, « avec moins d’éclat, mais plus de fond que son prédécesseur », dit le Nouveau Larousse illustré (du xixe siècle) ; la Nouvelle Biographie générale est du même avis, mais avoue à propos de l’Histoire des empereurs (qui « a eu longtemps le mérite de l’utilité ») : « Ce travail est loin d’être sans défauts. »
96 Paris, Desaint et Saillant, 1761. Cette œuvre « n’ajoutait aucun fait nouveau à celle de Du Boulay » (ibid.).
97 Ainsi il est dit à propos du Commentaire sur le Nouveau Testament. « un ouvrage rempli de visions et d’érudition comme tous ceux de l’auteur » (Biographie universelle < éd. 1867 >, p. 383-385) ; l’auteur, F0-X. Feller, ne craint pas ici de se contredire, puisqu’il met à part le Pline, précisément, et une édition de Thémistius.
98 Tâche pratiquement impossible, du reste, d’abord à cause du caractère foisonnant et lacunaire de la tradition manuscrite. En outre, beaucoup de textes ont été largement contaminés ; les feuillets ont été dispersés, de nouveaux volumes (parfois incomplets) reconstitués, etc. L’intérêt suscita aussi la naissance d’abrégés.
99 À titre de comparaison, Turnèbe disposait de trois manuscrits (tous parisiens) pour son édition de la préface de Pline ; voir G. Demerson, « Les Professeurs Royaux et la Préface de Pline », dans ALMA, 1994 (21), p. 97-103.
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La collection Ad usum Delphini. Volume I
L'Antiquité au miroir du Grand Siècle
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2000
Devenir roi
Essais sur la littérature adressée au Prince
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2001
L’Éloge du Prince
De l’Antiquité au temps des Lumières
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2003
La collection Ad usum Delphini. Volume II
L’Antiquité au miroir du Grand Siècle
Martine Furno (dir.)
2005
Des rois au Prince
Pratiques du pouvoir monarchique dans l'Orient hellénistique et romain (IVe siècle avant J.-C. - IIe siècle après J.-C.)
Ivana Savalli-Lestrade et Isabelle Cogitore (dir.)
2010
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
IIIe siècle avant J.-C. - Ier après J.-C.
Anne Bielman Sánchez, Isabelle Cogitore et Anne Kolb (dir.)
2016
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
iiie siècle av. J.-C.-ier siècle apr. J.-C.
Isabelle Cogitore, Anne Bielman Sánchez et Anne Kolb (dir.)
2021