Chapitre 1
Tour d’horizon des enjeux des luttes féministes dans le monde depuis 1995
p. 25-58
Texte intégral
1La conférence mondiale de Pékin de 1995 a été un moment clé des mobilisations féministes dites de la troisième vague. Cette vague fait suite aux deux précédentes ayant lutté à partir du xixe siècle pour les droits civils et politiques puis pour le droit à disposer de son corps. Depuis les années 1990, le féminisme transnational s’est consolidé. Ce féminisme a porté l’égalité de genre* — et l’introduction d’une perspective de genre — à l’ordre du jour des agendas étatiques nationaux à travers le monde ainsi qu’au sein de l’ONU.
1. Théories et activisme féministes au xxe siècle
2Le féminisme est un mouvement social ainsi qu’un point de vue sur l’état du monde. Il est une combinaison de recherche scientifique (les théories) et d’engagement politique (les pratiques) et il convient ainsi d’en parler au pluriel. Le(s) féminisme(s) n’ont pas commencé en 1995, de nombreux mouvements, luttes et théories ayant vu le jour auparavant. Les féminismes contemporains auxquels ce livre s’intéresse se situent dans leur continuité et construisent leurs luttes en rapport avec ce qui a été réalisé auparavant. C’est pourquoi nous commencerons par contextualiser certains aspects centraux du féminisme depuis le xixe siècle.
1.1. Les « vagues » du féminisme
3On distingue de manière classique trois vagues du féminisme en Occident — aux États-Unis et en Europe principalement — dans l’histoire récente. La lecture de l’ouvrage Women’s human rights de Niamh Reilly (2009) et d’autres ont permis de retracer ici ces vagues et leurs caractéristiques.
4La première vague du féminisme a débuté au xixe siècle et se situe jusqu’à la première moitié du xxe siècle. Olympe de Gouges est une précurseuse de ce féminisme. Elle a rédigé en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en écho à l’androcentrisme* de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui exclut les femmes de la participation à la vie politique. Dans cette lignée, la première vague du féminisme est celle qui s’est concentrée sur l’égalité juridique, sur les droits civils et politiques. On peut prendre pour exemple les suffragettes britanniques qui, au début du xxe siècle, ont lutté pour l’obtention du droit de vote. Cette première vague est celle du féminisme dit « libéral » ou « réformiste ». Il se fonde sur l’idée que la division entre l’espace public et l’espace privé est un produit des rôles sexués différenciés. Les discriminations et inégalités de genre pourraient être résolues principalement en travaillant à l’intérieur du système existant, par des améliorations du cadre législatif. Sa logique perdure encore comme avec les actions de discrimination positive (favoriser l’accès de certaines personnes à certains espaces/fonctions en inscrivant un quota minimum — par exemple la parité de genre sur les listes électorales), l’inscription de l’égalité des droits dans la constitution ou les politiques d’égalité des chances. Ce courant du féminisme a pu être critiqué, car il n’aurait pas suffisamment questionné les fondements de l’oppression de genre et déconstruit la répartition genrée des rôles sociaux traditionnels. Il a même parfois pu participer à l’essentialisation des genres en mettant en avant des qualités « féminines » — comme la maternité, le soin des autres — pour obtenir les droits recherchés.
5La deuxième vague est celle qui, à partir des années 1960, a conceptualisé et refusé le système patriarcal. Révolutionnaire, cette vague refusait de faire des compromis et souhaitait démanteler le patriarcat* ou la domination masculine. En France, elle s’est exprimée notamment dans le Mouvement de libération des femmes (MLF), fer de lance du militantisme féministe de cette époque. Les luttes se sont concentrées sur l’autonomie économique, le droit à disposer de son corps (contraception, avortement), la critique de la maternité et de la famille soumise à l’autorité du patriarche et aliénant les femmes. On peut distinguer plusieurs sous-mouvements dans cette vague, listés ci-dessous :
- Le féminisme « universaliste » dont une figure de proue est Simone de Beauvoir (de Beauvoir, 1949), s’intéresse et met en avant ce que les femmes ont de commun, principalement leur expérience des discriminations et des inégalités de genre. La célèbre phrase « on ne naît pas femme, on le devient » exprime en des termes accessibles à tous/toutes la construction sociale et non naturelle des rôles attribués aux femmes et hommes dans toute société. Ce féminisme est aussi celui qui s’intéresse au cadre des droits humains pour parler des droits des femmes.
- Le féminisme dit « socialiste » ou « marxiste » a été plébiscité en Europe dans les années 1970. Le rôle social des femmes est analysé comme une production du patriarcat combiné au capitalisme, ce qui explique les différences de pouvoir et de privilège dans la société. L’exploitation des femmes, de leur corps et de leur travail, a lieu à la fois sur le lieu de travail (sous-valorisation financière et symbolique) et dans l’espace domestique. Cette mouvance féministe critique notamment le fait que le travail domestique* ne soit pas reconnu comme un travail. Selon ce féminisme, la destruction du capitalisme permettra celle du patriarcat. Le capitalisme peut ainsi être perçu par certain.es comme le système de domination principal, et les dominations de genre et de race seraient alors secondaires.
- Le féminisme dit « radical » intègre les sexualités à l’analyse féministe. Il a notamment été à l’origine de la phrase « le privé est politique » dans les années 1970. Ce slogan a pu être attribué à l’essayiste féministe Carol Hanisch, bien que l’origine de cette expression ne soit pas réellement connue. Ce mouvement explique que c’est bien la domination masculine qui est à l’origine des inégalités de genre, et non la domination de classe. Pour ses militant.es, les moyens de contrôle de la fécondité ont une importance cruciale. Le lesbianisme* dit « radical » ou « politique » appartient également à ce mouvement.
Féminismes : opposés ou complémentaires ? L’exemple du féminisme matérialiste et du féminisme queer en France
En France, la conjonction des féminismes marxiste et radical a eu une résonance particulière puisqu’il a donné naissance dans les années 1970 au féminisme dit « matérialiste », incarné par Christine Delphy, Colette Guillaumin ou encore Nicole-Claude Mathieu. De nombreuses féministes françaises s’en réclament encore aujourd’hui, particulièrement en France. Les apports de cette mouvance féministe ont été cruciaux pour comprendre le genre comme une construction sociale et la domination de genre comme un système qui hiérarchise la société en deux catégories (hommes et femmes) créant des inégalités dans tous les domaines sociaux. Il s’est particulièrement intéressé à la division sexuée du travail. Le féminisme matérialiste est fréquemment opposé au féminisme queer, perçu comme trop déconstructiviste, relativiste et utopique (Noyé, 2014), individualiste et ayant un focus exclusif sur les identités et la sexualité. Ce clivage entre un féminisme matérialiste et queer doit cependant être nuancé et peut être dépassé si on s’intéresse davantage à leurs points de convergence. Réunir leurs luttes permettrait d’abolir les structures concrètes créant et perpétuant la domination de genre tout en subvertissant les catégories de genre et de sexualité (Noyé, 2014).
6Les féminismes de la première et de la deuxième vague en Occident ont été menés en majorité par des femmes blanches issues de la classe moyenne. Ils ont été critiqués pour avoir insuffisamment pris en compte les expériences et intérêts différents des femmes en fonction de la classe, origine sociale ou nationale et avoir été trop confinés aux enjeux des nations occidentales industrialisées. Le débat sur le droit à l’avortement, par exemple, était centré sur les lois qui affectent le droit d’une femme à choisir l’avortement — sans prendre suffisamment en compte les capacités économiques pour y accéder.
7Aux États-Unis, le féminisme s’est développé en parallèle des mouvements de défense des droits civiques des personnes afro-américaines. Mais cette lutte féministe était elle aussi principalement incarnée par des femmes blanches, issues du mouvement de libération des femmes.
8Le féminisme dit de la troisième vague, qui apparaît dans les années 1980-1990, a été défini en 1992 écrit par Rebecca Walker, une jeune femme noire bisexuelle de 23 ans née dans le Mississippi, fille de l’activiste Alice Walker. Ce courant met en avant les voix des femmes du Sud mais aussi celles des féministes dites intersectionnelles*. Le féminisme dit « intersectionnel », initié par la chercheuse Kimberlé Crenshaw dans les années 1990, est celui qui veut désoccidentaliser le féminisme. Il explique que l’analyse féministe majoritaire est construite selon le point de vue d’une féministe occidentale blanche de la deuxième vague notamment. Pour ces féministes, la catégorie sociale « femme » est insuffisante pour expliquer les vécus des discriminations et saisir les identités multiples. D’autres éléments tout aussi nécessaires sont intégrés à l’analyse : l’origine sociale, l’appartenance raciale, l’orientation sexuelle*, l’appartenance religieuse, etc. Qu’il s’agisse de l’ONU, des systèmes juridiques des droits humains ou encore de la recherche en sciences sociales et humaines, cette approche est aujourd’hui de plus en plus utilisée. C’est le cas de la campagne Génération Égalité d’ONU Femmes (2020) qui promeut un féminisme intersectionnel dans ses documents et au sein des coalitions d’action. Nous reviendrons dans le troisième chapitre de cet ouvrage sur ce courant et son actualité.
9On parle aujourd’hui d’une quatrième vague du féminisme, que nous analysons dans le dernier chapitre du livre. Le terme « féminismes » (au pluriel) permet donc de mieux prendre en compte la diversité de pensées des féministes.
10À côté de l’évolution sociohistorique des féminismes, ceux-ci sont également marqués, au niveau mondial, et depuis le xxe siècle, une ligne de démarcation géographique. Celle-ci s’inscrit dans des systèmes de domination coloniaux et néocoloniaux* : il s’agit de la distinction entre féminisme dit des pays du Nord* et des pays du Sud*.
1.2. Clivage nord-sud des mouvements féministes dans le monde au xxe siècle
11Un clivage omniprésent au sein du féminisme est celui entre les pays du Nord et les pays du Sud, celui qui distingue un féminisme « blanc » et occidentalo-centré et un féminisme « racisé* » venant plutôt des pays anciennement colonisés. Ce clivage, qui construit un féminisme binaire, se situe sur le plan théorique, mais s’ancre dans des réalités concrètes. En effet à la suite des vagues de décolonisation des années 1960, les féministes des pays décolonisés ont pu réinterroger la fabrication de leurs sociétés sous le double prisme du genre et de la décolonisation. Elles ont ainsi démontré que le féminisme prôné jusqu’ici et conceptualisé comme universel était pensé par des femmes blanches des pays occidentaux, pour des femmes blanches, issues de la classe moyenne et se reconnaissant dans les normes d’une société hétérosexuelle. Les féministes postcoloniales et décoloniales souhaitent ainsi ouvrir le champ des possibles du féminisme en intégrant les femmes racisées et les oppressions auxquelles elles font face.
12Les féministes décoloniales, dont les figures de proue universitaires sont des féministes latino-américaines (Maria Lugonès, 2007 ; Gloria Anzaldúa, 1987) et indiennes américaines (Chandra Talpade Mohanty, 2003 ; Gayatri G. Spivak, 1988), ont démontré les dimensions sexistes, genrées et patriarcales des projets coloniaux et leur rôle dans la construction des inégalités de genre dans les sociétés coloniales et postcoloniales. Elles ont par exemple montré comment les violences sexuelles et de genre* ainsi que la maîtrise des corps des personnes racisées ont été utilisées pour soutenir les projets coloniaux d’éradication des populations natives ou justifier des expérimentations violentes et oppressantes. Elles critiquent également le féminisme blanc et sa construction stéréotypique des femmes dans les pays du Sud, qui les pensent et positionnent comme éternelles victimes et en incapacité de parler pour elles-mêmes.
13L’ensemble de ces critiques s’inscrivent dans le vécu des femmes racisées et indigènes qui font face à des discriminations fortes et ne se retrouvent pas dans les livres d’histoire. En mettant en lumière les discriminations spécifiques faites aux femmes racisées, perpétuées par la société patriarcale et raciste dont les femmes blanches bénéficient en tant que personnes blanches, elles nous obligent à faire face à notre passé colonial et à la construction raciste de nos sociétés. Pour la poétesse et féministe Audre Lorde (Lorde, 1984), sans ce travail et la volonté d’écoute et de changement au sein des mouvements féministes (blancs), le féminisme ne pourra pas avancer.
14Après avoir posé quelques balises permettant de situer les grandes tendances historiques et géographiques des féminismes, il importe maintenant, pour bien comprendre la suite de l’ouvrage, de présenter, définir et clarifier un concept central du féminisme contemporain développé au xxe siècle : le genre.
1.3. Le genre, la dénaturalisation des identités, rôles et relations femmes-hommes
15Pendant la majeure partie du xxe siècle, le discours féministe s’est concentré, dans les pays occidentaux, sur l’accroissement des droits octroyés aux femmes. Mais au cours du siècle, un basculement s’opère pour élargir le focus féministe des femmes au concept de « genre ».
De manière classique, on distingue le sexe biologique* du genre*, qui serait sa facette socialement construite. L’Organisation mondiale de la santé définit ainsi les deux termes :
Le mot « sexe » se réfère davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes. Le mot « genre » sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. (Organisation mondiale de la santé, 2002, disponible en ligne)
Cependant, les choses sont un peu plus compliquées que cela. Les intellectuel.les des études sur le genre ont apporté chacun.e à leur tour différentes dimensions analytiques à ce concept. Ce champ universitaire étudie les dynamiques recouvertes par le terme « genre » (les femmes, les hommes, le féminin et le masculin) de manière interdisciplinaire à travers la sociologie, l’histoire, l’ethnologie, la littérature, le droit et les sciences politiques. L’utilisation même du terme de « genre » (au détriment de « rapports sociaux de sexe » ou de « différence des sexes ») a questionné les militant.es et chercheur.ses des études sur le genre avant de s’imposer. Mais qu’est-ce que le genre ?
Le manuel Introduction aux études sur le genre en propose une définition :
[Le genre serait] un système créateur de hiérarchies, fondées sur la différence entre les sexes (hommes-femmes) et sur les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin-féminin). (Bereni, Chauvin, Jaunait & Revillard, 2020, p. 8)
16Ainsi, réfléchir avec le genre, c’est rendre visibles ce système hiérarchique et les différentes relations de pouvoir* en son sein. Bereni, Chauvin, Jaunait & Revillard (2020) distinguent quatre caractéristiques centrales de ce système hiérarchique fondé sur le genre.
Le genre est premièrement une construction sociale. Il a d’abord été conceptualisé comme le « sexe social », la part socialement construite du sexe. Les études sur le genre ont cherché à démontrer que les caractéristiques attribuées (de manière différenciée) aux femmes et aux hommes, bien que souvent reliées à des caractéristiques biologiques ou naturelles, étaient des constructions sociales. Elles ont ainsi permis de déconstruire les visions essentialistes de la « différence des sexes ». L’apport de Simone de Beauvoir dans son ouvrage Le deuxième Sexe en 1949 a été déterminant. Sa formule « On ne naît pas femme, on le devient » illustre cette position : elle permet de déconstruire l’idée d’une « essence féminine » et d’affirmer le caractère construit (et non biologique) du féminin. « Être une femme » selon la chercheuse Françoise Collin (Collin, 2001) consiste en un réel apprentissage, une transmission de comportements, de manières de penser et de savoir-être/savoir-faire socialement attendus (la socialisation*).
Le genre désigne, deuxièmement, un processus relationnel qui produit la répartition binaire femmes-hommes. Étudier le genre signifie ainsi, aussi bien s’intéresser aux hommes qu’aux femmes, au masculin qu’au féminin. Jusqu’aux années 1980, la distinction entre le sexe (biologique) et le genre (social) reste peu interrogée dans la société, exception faite de certaines penseuses comme de Beauvoir. Ainsi, les traits, goûts, comportements et rôles associés à la féminité* ne devraient être performés* que par des personnes socialement identifiées comme femmes, ce qui dans le discours commun désigne les personnes ayant à la naissance des attributs sexués féminins (notamment une vulve et un vagin). Certain.es chercheur.ses des études sur le genre vont ensuite déconstruire cette idée en démontrant que le sexe est lui aussi une construction sociale. Thomas Laqueur, dans La Fabrique du sexe (Laqueur, 1990), explique que la « différence des sexes » (deux sexes biologiquement différents) serait une invention socioculturelle située historiquement. L’organisation de nos identités dans nos sociétés occidentales serait passée d’un continuum entre deux pôles (masculin et féminin) à deux sexes fondamentalement différents qui définiraient le genre à partir du xive siècle avec le développement de la médecine et de la biologie dite moderne. Les chercheuses Ilana Löwy et Hélène Rouch (Löwy & Rouch, 2003) soulignent l’importance des évolutions scientifiques et médicales qui ont fait naître puis ont déconstruit cette distinction entre sexe et genre. L’idée de sexe biologique se voit par exemple contrariée par la découverte de la possibilité pour les femmes et les hommes de sécréter à la fois des hormones dites féminines et masculines. Si les corps dits féminins et masculins sécrètent les mêmes hormones, on se retrouve dans l’incapacité de parler de deux sexes biologiques clairement distincts et opposés. Les critères médicaux de la féminité et de la masculinité* sont variables dans l’histoire. Le sexe serait une construction sociale, car il donne une importance sociale à des traits physiologiques qu’il pourrait importer ou non de catégoriser. Leur donner une valeur relève d’un processus et d’un choix social et culturel.
L’intersexuation et le continuum du sexe biologique
L’intersexuation est le terme utilisé pour désigner les personnes dont le sexe, d’un point de vue anatomique, n’est pas déterminable selon une grille de lecture binaire femmes-hommes. Comment se détermine le sexe d’une personne ? Les débats montrent qu’il est difficile de tracer une ligne claire : est-ce l’anatomie ? Les hormones ? L’ADN et les chromosomes ?
Les critères utilisés pour déterminer le « vrai » sexe d’une personne sont variables à travers le temps et l’espace. Un exemple connu est les critères du Comité international olympique (CIO) pour déterminer de l’appartenance des sportives au genre féminin en les soumettant à un test de féminité (vérifiant par exemple la présence de seins dans les années 1930 jusqu’aux examens génétiques à la recherche du gène SRY [Sex-determining Region on Y en anglais, gène présent sur le chromosome Y] dans les années 1990).
La volonté sociale de catégoriser les personnes de manière binaire poussait — et pousse encore parfois — même les médecins à opérer des bébés (dont l’anatomie sexuelle ne serait pas clairement identifiable) pour modifier leur anatomie afin de les assigner à un des genres binaires (garçon-fille). Dans ce cas particulier, les normes de genre construisent le sexe et non l’inverse.
Ces opérations de « correction » sont dans le viseur des associations de personnes intersexuées, comme l’association nord-américaine d’intersexué.es (ISNA), le Mouvement pour les droits des personnes intersexuées (IRM) ou le Collectif Intersexes et allié.es en France. Ces violences médicales, tout comme la pathologisation des corps intersexués sont aujourd’hui vivement critiqués.
Les corps sexués ne peuvent ainsi pas être réduits à une dualité stricte, mais se rapprochent davantage d’un continuum biologique, bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Troisièmement, le genre est un rapport de pouvoir et désigne le système qui perpétue et légitime la domination des hommes sur les femmes. Le genre n’est pas seulement un système de différenciation, mais aussi de domination. Dans le système du patriarcat, les ressources matérielles et la valorisation symbolique sont attribuées inégalement entre hommes et femmes. Ce rapport asymétrique se fait en faveur des hommes dans la mesure où le genre crée les conditions de l’infériorisation des femmes par rapport aux hommes. Colette Guillaumin (Guillaumin, 1978), une féministe dite matérialiste parle de « sexage » pour désigner la nature spécifique de l’oppression du groupe de sexe (la classe) des femmes par le groupe de sexe (la classe) des hommes qui se traduit par l’appropriation et l’exploitation de la force de travail et du corps des femmes. Cette appropriation est permise par un « coup de force permanent des hommes » : les femmes sont dominées économiquement et physiquement notamment par les violences de genre. Elle se décline aussi politiquement : la justification idéologique naturalisante — les femmes seraient différentes et « moins » que les hommes — expliquerait que les femmes seraient reléguées à la sphère domestique et la maternité, loin des sphères de décision* politique. Pour Françoise Héritier (anthropologue féministe), la valence différentielle des sexes (c’est-à-dire la valeur sociale supérieure attribuée au genre masculin sur le féminin) date de l’époque préhistorique (Héritier, 1996).
Quatrièmement, le genre est imbriqué dans d’autres rapports de pouvoir. Les études sur le genre se sont enrichies en participant au développement des approches intersectionnelles croisant le genre et d’autres rapports de pouvoir comme la sexualité, la classe, la race, etc. Cette perspective permet de déconstruire l’idée de classes de genres homogènes. Les femmes n’ont pas toutes le même vécu selon qu’elles sont blanches ou noires par exemple. De multiples catégories d’analyses (l’âge, l’orientation sexuelle, etc.) peuvent ainsi être mobilisées pour formuler les expériences sociales dans leur complexité. Le concept de « genre » permet aussi d’englober les multiples identités de genre (suivant un « continuum du genre ») et les discriminations faites dans un monde social hétéronormatif*, niant l’existence et l’égalité aux groupes dont les orientations sexuelles sont non-hétérosexuelles (queer, pansexuelles*, homosexuelles, lesbiennes, etc.).
Le continuum de genre : la pluralité des identités
Le concept de continuum de genre permet de représenter le genre sous la forme d’un spectre où les personnes sont libres de s’auto-identifier et de se situer comme elles le veulent : le masculin et le féminin se situent aux deux extrémités et une pluralité d’identités se trouve entre ces deux pôles. Certaines personnes ne se reconnaissent ni homme ni femme et ne s’identifient à aucune de ces deux catégories. Il en va ainsi pour les personnes non-binaires notamment. Pour d’autres personnes, les personnes transgenres, leur genre ne correspond pas à celui qui leur a été assigné à la naissance (contrairement aux personnes cis-genres). Ce continuum permet de sortir d’une conception binaire et naturalisante du genre.
Judith Butler et son ouvrage Trouble dans le genre (Butler, 1990) ont marqué le développement d’une pensée queer. L’autrice interroge la notion de genre, le présentant comme une « performance* » quotidienne (la présentation de soi, la façon de s’habiller, de parler, de se comporter), comme un jeu social qu’on peut s’approprier comme le font les drag queen, drag king et artistes queer notamment.
Ainsi, si le concept de genre est issu du monde académique, il n’en est pas pour autant déconnecté des mouvements pour une libération des identités de genre et des personnes s’identifiant au-delà de la binarité des genres (ne s’identifiant pas dans les catégories du masculin et du féminin). Les militant.es nourrissent la réflexion académique sur le genre et permettent d’étendre sa portée. Les mouvements queers ont par exemple donné naissance aux queers studies et black queers studies. En retour, la théorie, les concepts peuvent aider les militant.es à mieux comprendre leurs identités et porter leurs revendications.
2. 1995 : une fenêtre d’opportunité mondiale pour les droits des femmes
17La fin des années 1990 a marqué une véritable fenêtre d’opportunité mondiale pour le développement des engagements et normes internationales relatives aux droits humains et à l’égalité de genre, en particulier grâce aux conférences mondiales. Cette fenêtre s’est progressivement refermée au début des années 2000 avec la montée des conservatismes et le renversement du rapport de force favorable aux droits humains sur la scène internationale (Reilly, 2009).
2.1. Le rôle moteur de l’ONU pour l’égalité femmes-hommes
18Atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes et éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes font partie des objectifs que l’Organisation des Nations unies (ONU) s’est fixés dès sa création.
La non-discrimination de genre, valeur centrale dès la création des Nations unies
Adoptée en 1945, la Charte des Nations unies définit comme l’un de ses objectifs « de réaffirmer la foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine [et] dans l’égalité des droits des hommes et des femmes ».
L’article premier de la Charte stipule que l’un des objectifs des Nations unies est de promouvoir le respect des droits et des libertés fondamentales « sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion* ». Cette interdiction de la discrimination fondée sur le genre est répétée dans deux autres articles.
Cette priorisation inédite à une époque où l’égalité n’est pas inscrite dans les législations nationales de la majorité des États membres est le fruit du travail de conviction d’un groupe de femmes sous la houlette d’Éléanor Roosevelt.
Les femmes de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)
Eleanor Roosevelt, Première dame des États-Unis de 1933 à 1945, a été nommée, en 1946, déléguée à l’Assemblée générale des Nations unies par le président des États-Unis Harry S. Truman. Elle a été la première présidente de la Commission des droits de l’homme et a joué un rôle déterminant dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Hansa Mehta, de nationalité indienne, seule autre femme déléguée à la Commission des Nations unies aux droits de l’homme en 1947, a été une fervente militante des droits des femmes en Inde et à l’étranger. Elle est reconnue pour avoir changé l’expression de l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « Tous les hommes sont nés libres et égaux » en « Tous les êtres humains sont nés libres et égaux ».
Minerva Bernardino, diplomate et leader féministe originaire de République dominicaine, a porté le plaidoyer en faveur de l’introduction des droits des femmes et de la non-discrimination fondée sur le sexe dans la Charte des Nations unies, qui en a fait le premier accord international à reconnaître l’égalité de droits des hommes et des femmes.
Begum Shaista Ikramullah, d’origine pakistanaise, a défendu l’idée de l’introduction de l’article 16 sur les droits égaux au regard du mariage. Elle le considérait comme un moyen de lutter contre le mariage des enfants et les mariages forcés.
Ces portraits peuvent être approfondis ici : https://news.un.org/fr/story/2018/12/1031351 [consulté le 27/08/2022].
En 1979, un cadre normatif global, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations envers les femmes (CEDAW en anglais), est adopté sous l’impulsion politique d'une première conférence mondiale (Mexico, 1975). Elle est, à ce jour, le seul cadre normatif global sur la question des droits des femmes. Cependant, cette convention entrée en vigueur en 1981 manque d’efficacité juridique en raison des réserves émises par les États. Ces réserves la dénaturent et la vident de son contenu et de tout caractère contraignant. C’est sans doute l’échec de cette approche normative qui a motivé les Nations unies à adopter une approche plus politique de la question des inégalités hommes-femmes.
L’activisme concerté des militant.es de la société civile* au sein des sphères institutionnelles s’est employé à intégrer les idées féministes aux enjeux globaux, telles que la paix et la sécurité, les droits humains, l’environnement, la justice pénale internationale et le développement. Les femmes se sont regroupées et ont fait pression pour influencer l’agenda mondial, notamment lors des conférences sur les droits des femmes. Chacune des quatre conférences mondiales sur les droits des femmes sous l’égide des Nations unies (Mexico en 1975, Copenhague en 1980, Nairobi en 1985 et Pékin en 1995) a été un lieu critique où les femmes se sont réunies, ont débattu de leurs différences et sont progressivement et partiellement parvenues à les dépasser pour créer un mouvement mondial.
Cet effort a aussi eu lieu lors d’autres événements mondiaux comme le sommet environnemental de Rio en 1992 et la conférence mondiale sur les droits humains à Vienne en 1993. L’intention était de changer le débat en y introduisant une vision inclusive des droits humains. C’est à la conférence de Vienne que les droits humains des femmes ont été enfin décrits et explicitement réaffirmés comme des droits humains grâce notamment à l’action de groupes de militantes féministes sur ces questions. La création de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998 (entrée en vigueur en 2002) a également été marquée par une forte implication féministe permettant l’introduction dans le texte d’une nouvelle série de crimes sexuels en droit pénal international, constitutifs de crimes de guerre, crime contre l’humanité et génocide.
La pensée législative des Nations unies s’est d’abord fondée sur le socle conceptuel de l’universalisme avant d’évoluer vers une meilleure prise en compte de l’intersectionnalité grâce aux collaborations interculturelles. Le contexte des conférences mondiales des Nations unies a permis aux femmes des pays du Sud de s’engager avec les femmes des pays du Nord, et donc de contester et d’influencer les orientations du féminisme dans le monde. C’est grâce à un tel engagement dans la pratique, et pas seulement en théorie, que s’est structuré le mouvement féministe mondial.
Ces associations et mouvements féministes coordonnent leurs efforts sur l’ensemble des enjeux de l’agenda global (Agenda 2030), et en particulier les enjeux climatiques et de développement humain (santé, lutte contre la pauvreté, les discriminations, et le développement soutenable et durable). Ce plaidoyer concerté et coordonné est rendu possible par une diversité de réseaux nationaux, régionaux et globaux. Ce « fédéralisme féministe » mondial s’illustre notamment à travers le Women’s Major Group, une entité de plus de 1 300 organisations membres à travers le monde. Les membres issues des pays du Sud de ce réseau sont particulièrement actives et bien représentées, avec des figures comme l’écrivaine indienne Arundhati Roy.
2.2. Le paradigme des droits humains
19Le mot d’ordre « Women’s rights are human rights » (« Les droits des femmes sont des droits humains ») popularisé par Hillary Clinton en 1995 lors de son discours à la conférence de Pékin, participe à faire de la lutte féministe un enjeu global. Les femmes et militant.es des droits humains de divers pays ont utilisé le cadre des droits humains (textes et organes législatifs) pour développer leur plaidoyer au plan mondial, régional et local. Ce cadre permet de légitimer comme principe juridique non négociable et irréfutable qu’en tant qu’êtres humains, les femmes sont — à égalité avec les hommes — détentrices des droits humains. C’est sur ce principe, particulièrement à partir de la Décennie des Nations unies pour les femmes (1976-1985), que des femmes de tous horizons ont commencé à s’organiser pour améliorer la condition des femmes partout dans le monde.
20C’est à Vienne en 1993 que les féministes remportent une nouvelle victoire mondiale avec la reconnaissance explicite des violences faites aux femmes comme une question de droits humains. Les juristes n’avaient jusque-là pas considéré les droits humains des femmes comme une question à part entière malgré toute sa spécificité. En conséquence, les violations commises envers les droits des femmes restaient de fait en dehors des mécanismes de protection internationale.
21En effet, dans la compréhension classique des droits humains en droit international, le sujet typique de référence est un homme. C’est par exemple visible à travers l’utilisation de l’expression « droits de l’homme » plutôt que « droits humains ». Ces derniers sont définis par Amnesty International comme suit :
Les droits humains sont les droits inaliénables que possède chaque individu. Leur but est de protéger la dignité humaine contre l’arbitraire des États. Les droits humains sont indivisibles, inviolables et applicables à tous, indépendamment de toute appartenance étatique ». (Amnesty International, 2022, disponible en ligne)
De plus, les mouvements féministes et l’approche dite des « droits humains » ont permis de remettre en question la distinction privé/public classique du droit, qui empêche de cibler de manière juridique des comportements relevant du privé (ceux au sein du couple ou de la famille en particulier).
22Pour Niamh Reilly les expériences des femmes ont pu être intégrées dans les pratiques de droit international des droits humains, grâce à l’approche féministe (Reilly, 2009) et les principes onusiens de non-discrimination et d’égalité répondent à ces demandes. Mais certains textes qui n’ont pu être modifiés continuent d’être aveugles au genre (gender blind). C’est notamment le cas de la Convention de Genève pour les réfugié.es* de 1951 qui a été critiquée pour son androcentrisme : les critères pour accéder au statut de réfugié.e font référence à un besoin masculin de protection et ne prévoient pas que les discriminations de genre justifieraient aussi l’octroi d’un tel statut. La définition telle que prévue à l’article 1 alinéa 2 de la convention est la suivante :
Le terme de réfugié s’applique à toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
C’est au cas par cas et par la jurisprudence que les demandes d’octroi fondées sur le genre ont pu être acceptées.
23La capacité du cadre conceptuel des droits humains à mettre fin aux oppressions de genre est en débat au sein de la sphère féministe : les féministes dites « universalistes » pensent qu’il s’agit d’un cadre de référence pertinent et efficace, à partir duquel il est possible de contester les inégalités de genre. Au contraire, certaines féministes « multiculturalistes » ou « postmodernistes » critiquent cet universalisme supposé pour elles, puisque ce système juridique resterait dominé par une approche occidentalo-centrée, néolibérale et définie par une expérience masculine. Ces normes internationales ne permettraient pas de renverser l’ordre de genre, mais perpétueraient les inégalités de genre et la marginalisation de groupes non blancs.
24Les nouvelles formes d’engagement féministes tendent parfois à prendre de la distance vis-à-vis de ces normes et enceintes internationales. Elles privilégient la pratique concrète et l’action collective (voir chapitre 3).
2.3. Pékin : une conférence mondiale marquant l’histoire de la diplomatie et des droits des femmes
25Le début des années 1990 a permis le développement du rôle des acteur/trices de la société civile à l’ONU et pas seulement des militant.es féministes. La quatrième Conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en 1995 est celle qui est restée dans l’histoire du féminisme mondial.
26L’une des principales réalisations de Pékin a été l’élaboration de La Déclaration et du Programme d’action de Beijing, la première feuille de route mondiale en faveur des droits des femmes et la consécration des questions relatives aux femmes en tant que droits humains. Pour évaluer l’importance de cet événement, il faut se souvenir qu’il n’était pas le début, mais plutôt le point culminant d’une longue période d’organisation et d’effervescence féministes dans le monde entier ayant commencé bien avant la conférence de Pékin (voir partie ci-dessus).
27Il est remarquable que 189 gouvernements aient accepté ce programme d’action détaillé et jugé comme ambitieux, et se soient engagés à le respecter. C’est pourquoi ce texte constitue toujours une référence pour les activistes féministes. En septembre 1995, un nombre historique de 17 000 participant.es et 30 000 activistes se sont réuni.es à Pékin à l’occasion de l’ouverture de cette quatrième Conférence mondiale sur les femmes. Venant des quatre coins du monde, elles et ils incarnaient la diversité et partageaient un objectif commun : l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles, partout dans le monde.
S’en sont suivies deux semaines de débats politiques, houleux par moments, puisque les représentant.es des gouvernements élaboraient des engagements d’une portée historique. Les militant.es d’organisations non gouvernementales ont tenu un forum parallèle et sont parvenu.es à maintenir la pression par leurs actions de plaidoyer et en retenant l’attention des médias internationaux.
En tant que cadre de référence pour le changement, le Programme d’action contient des engagements complets en réponse à 12 domaines critiques qui sont : les femmes et l’environnement ; les femmes et la prise de décisions ; la petite fille ; les femmes et l’économie ; les femmes et la pauvreté ; la violence à l’égard des femmes ; les droits fondamentaux des femmes ; l’éducation et la formation des femmes ; les mécanismes institutionnels ; les femmes et la santé ; les femmes et les médias ; les femmes et les conflits armés. Vingt ans plus tard, ce programme d’action constitue encore une source d’orientation et d’inspiration.
Un suivi des progrès accomplis dans la mise en œuvre du Programme d’action de Pékin a lieu tous les 5 ans. Celui-ci a permis de maintenir un certain élan à travers le rôle moteur des associations féministes qui n’ont cessé de suivre les progrès accomplis et, également les trop nombreuses promesses non tenues et les inégalités et obstacles persistants.
3. L’après Pékin : comment atteindre l’égalité de genre à un niveau international ?
28Si la conférence de Pékin a permis de reconnaître à une échelle mondiale l’existence et les conséquences des inégalités de genre, l’après-Pékin interroge la prise en compte concrète de ces enjeux. Comment se sont matérialisés et se matérialisent les politiques et instruments pour en finir avec les inégalités de genre ? Et quel regard porter dessus aujourd’hui ?
3.1. Le gender mainstreaming : un outil central des politiques d’égalité de genre
29Le gender mainstreaming* (politique transversale du genre) est un terme anglo-saxon développé au sein des institutions internationales.
Intégration d’une perspective de genre
Le Conseil Économique et social des Nations unies (Conclusions concertées de l’ECOSOC, 1997, p. 2) définit l’intégration d’une perspective de genre de la manière suivante :
« Intégrer une démarche d’équité entre les [genres], c’est évaluer les incidences pour les femmes et pour les hommes de toute action envisagée, notamment dans la législation, les politiques ou les programmes, dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Il s’agit d’une stratégie visant à incorporer les préoccupations et les expériences des femmes aussi bien que celles des hommes dans l’élaboration, la mise en œuvre, la surveillance et l’évaluation des politiques et des programmes dans tous les domaines — politique, économique et social — de manière que les femmes et les hommes bénéficient d’avantages égaux et que l’inégalité ne puisse se perpétuer. Le but ultime est d’atteindre l’égalité entre les [genres] ».
Il a été, et est encore promu, comme une des méthodologies clés pour parvenir à l’égalité entre les genres et l’empouvoirement* (empowerment en anglais) des femmes et des filles à travers le monde. Il admet que les politiques publiques et de développement sont généralement construites via un prisme « masculin » ayant des impacts non adaptés aux besoins des femmes et aux filles, pouvant ainsi leur être néfastes.
Le gender mainstreaming doit aussi prendre en compte les multiples identités et différents vécus des femmes ainsi que des diversités de genre. II est intersectionnel par nature. Cependant, il est souvent critiqué pour confondre genre et femmes.
C’est lors de la conférence de Pékin que le gender mainstreaming est cité comme la méthode à déployer par les États pour parvenir aux objectifs d’égalité de genre. Il est depuis utilisé par les Organisations non gouvernementales (ONG), les institutions financières internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale), les agences de développement, associations, etc. Le gender mainstreaming a aussi été largement adopté par des États et les institutions supranationales comme la Commission européenne, par des entreprises ou encore des collectivités locales. C’est un outil qui a été vu comme révolutionnaire à sa naissance, tant pour sa portée théorique que pratique. Il révèle une dichotomie entre d’une part les textes et lois ancrant l’égalité entre tous/toutes et d’autre part les pratiques sexistes empêchant l’éradication des inégalités de genre et l’empouvoirement des femmes. Face à cette réalité, la nécessité de mesures spécifiques et adaptées est justifiée pour permettre de modifier les relations de pouvoir et assurer la réalisation des droits de toutes.
Mais le gender mainstreaming est aussi un outil pratique, une méthodologie visant à la recherche concrète de l’égalité, à travers un questionnement — l’analyse de genre — qui permet d’identifier à toutes les phases d’un projet ou d’une politique publique les impacts différenciés sur les hommes, les femmes, les filles et les garçons, ou tout autre groupe.
De ce même objectif découle le fait que le gender mainstreaming vise à changer le discours autour de la « vulnérabilité » des femmes et l’idée que les politiques publiques et programmes serviraient uniquement à les protéger. Au contraire, il cherche à corriger les effets des politiques devenues synonymes des besoins des hommes et à mieux intégrer les besoins des femmes en amont. Il faut analyser les potentielles conséquences et effets de ces mêmes politiques avant leur mise en place. L’analyse de genre avec des référent.es genre et des équipes sensibilisées et formées aux questions de genre permet cette compréhension contextuelle.
Le gender mainstreaming promeut le développement de politiques offrant de meilleurs accès et opportunités pour les femmes via des interventions pratiques dans les domaines où elles subissent des discriminations.
Le gender mainstreaming est toujours perçu comme un outil efficace pour les politiques publiques, notamment sur les sujets économiques et domestiques avec la promotion d’une répartition égale du travail non rémunéré* entre femmes et hommes, l’introduction de clauses dans le monde du travail pour une meilleure combinaison entre travail salarié et travail domestique, une amélioration des services sociaux liés aux enfants (notamment la garde des enfants) et la mise en place de budgets genrés (Elson, 2002).
Les programmes d’ajustements structurels et les conséquences négatives pour les femmes : un plaidoyer pour une approche gender mainstreaming
Dans la période des années 1970-1990, la Banque mondiale a déployé de nombreux programmes d’ajustements structurels dans les pays du Sud. Ces programmes consistaient en la mise en place de politiques néolibérales dictées par la Banque mondiale, condition sine qua none pour que ces mêmes pays puissent obtenir une révision de leurs dettes publiques. Parmi ces conditions, on retrouve l’ouverture de l’économie aux capitaux étrangers, la dérégulation de l’économie et la diminution voire la suspension des aides sociales.
Ces programmes ont été critiqués pour avoir trop souvent augmenté le niveau général de pauvreté et ont eu des effets délétères sur les conditions de vie et les droits des femmes. Ces dernières se sont notamment substituées à l’État dans le domaine social. C’est à elles qu’est revenue la charge, en plus du travail domestique et de leur emploi, de devoir créer des cuisines collectives, soigner leurs proches, gérer la garde des enfants, etc. Augmentant ainsi leur charge de travail sans aucune rémunération supplémentaire. Dans ce cadre, une approche gender mainstreaming aurait permis la prise en compte des activités spécifiques et du rôle des femmes au sein de leurs communautés pour anticiper et atténuer les conséquences de ces programmes d’ajustements structurels sur elles.
30Développer des politiques de gender mainstreaming découle d’une volonté politique (plans stratégiques, communication, indicateurs de performance sexo-spécifiques). Par exemple, les indicateurs onusiens appelés Objectifs de développement durable (ODD) prennent en compte la dimension genrée dans leurs objectifs. Sur les 17 indicateurs, 11 incluent des cibles genrées avec, par exemple, l’augmentation du nombre de filles à l’école pour l’objectif concernant l’éducation. Cependant, les institutions manquent de personnel et d’expertise sur les questions de genre. Les cultures organisationnelles restent souvent masculines et les attitudes oppositionnelles nombreuses (résistance face à l’intégration du genre, idée courante que c’est « quelque chose en plus » à ajouter à la charge de travail, ou que ce travail relève du « bon sens », « va de soi » et ne nécessite aucune ressource ou expertise particulière).
Exemple de questionnaire pour mettre en place un processus de gender mainstreaming
Égalité de genre dans les procédures
• Quels sont les objectifs de genre que l’organisation veut promouvoir ?
• Est-ce que des entretiens sont menés avec les personnes visées ? Est-ce que les besoins des femmes et des hommes sont exprimés ? Qui aura accès aux ressources produites ?
Égalité de genre dans les activités
• Comment développer des activités de soutien aux femmes avec des stratégies de prise de pouvoir et de positionnement ?
• Est-ce que les ressources financières sont adéquates et dirigées pour répondre aux enjeux d’égalité de genre ?
Monitoring et évaluation genrée
• Est-ce que des audits de genre sont réalisés tout au long du projet ?
• Est-ce que des indicateurs spécifiques, qualitatifs et quantitatifs en lien avec le genre sont mis en place et remplis ?
31Certaines villes, et non plus uniquement les États, s’en sont emparées, comme en Suède, où une approche genrée du déneigement a été promue et adoptée par plusieurs municipalités. On peut noter l’intérêt de plus en plus fort pour la budgétisation sensible au genre, une approche émanant du gender mainstreaming.
Un budget genré à la mairie de Lyon et de Rennes
Un budget genré consiste à analyser si les dépenses engagées sont neutres ou non en termes de genre. La question étant : les financements ont-ils un impact négatif ou neutre sur une partie de la population en termes de genre et si oui, lequel ? Ce n’est pas la construction de budgets séparés (un pour les femmes et un pour les hommes) dont il est question, mais la réévaluation des fonds et de leur utilisation de manière pertinente pour corriger les inégalités.
Le budget genré propose plusieurs niveaux d’analyses : une analyse genrée des politiques (quel impact des politiques sur les femmes et les hommes), une analyse des bénéficiaires (que pensent les femmes et les hommes des effets des politiques sur leurs vies ?) et une analyse de l’incidence des dépenses publiques (qui bénéficie de quoi ?).
En France, c’est notamment auprès des collectivités locales que le budget genré fait son apparition. Ainsi, les villes de Lyon et de Rennes se sont engagées à développer des budgets genrés en 2021. Leurs premières interventions viseront sans doute la politique urbanistique avec l’analyse de l’utilisation de l’espace public par les femmes et les hommes et les inégalités potentiellement induites par les services en place. Par exemple, les villes construisent souvent des skate parks, des terrains de football et basketball ou des espaces de gym en plein air, surutilisés par les hommes (en 2022, la ville de Genève présente dans son enquête Genre et sports « que 70 % des ressources allouées aux activités sportives subventionnées sont utilisées par des hommes »). Comment proposer des équipements neutres, favoriser un accès équitable et pourquoi ne pas créer un espace vert avec une utilisation plus mixte à la place ?
32La pratique ou la mise en place effective du gender mainstreaming est sans doute le point sur lequel les critiques sont les plus fortes.
33Les bilans pointent la difficulté à rendre concrets l’intersectionnalité, les problèmes organisationnels et le fait que les institutions et organisations ne se sont pas donné les moyens de leurs ambitions. Par exemple, au niveau étatique, on retrouve souvent un ministère des droits des femmes chargé de déployer le gender mainstreaming au niveau national. Or, cela confine les problématiques de genre au sein d’une seule entité, ce qui ne répond pas à la nécessité de promouvoir le gender mainstreaming de manière transversale comme le nécessiterait cette approche. Puisque les inégalités sont visibles dans et impactent tous les domaines, le genre ne devrait pas être séparé des autres problématiques sans être traité également par les autres ministères. Enfin, les ministères des droits des femmes étant souvent ceux disposant des plus petits budgets, il est compliqué, dans ce cas, de proposer des mesures impactantes à grande échelle.
34Les acteurs publics et privés s’approprient de plus en plus le gender mainstreaming, selon une logique utilitariste contraire aux objectifs d’émancipation initialement promus. C’est ainsi le cas lorsque des États mettent en place des politiques pour augmenter la participation des femmes au marché du travail, cela dans un but (souvent revendiqué) d’accélération de la croissance économique et des résultats de l’entreprise sans attention portée aux conditions de travail ou aux inégalités de genre de manière générale. Ou bien, lorsque dans le cadre d’élections politiques, les femmes sont placées sur les listes de candidat.es en position non éligible, de manière à respecter les exigences de parité, mais que, dans le cas d’une victoire électorale, elles n’accèdent pas au pouvoir.
35Une question centrale est de savoir si les stratégies mises en place ont réellement permis d’améliorer l’égalité de genre. Les indicateurs comme les Objectifs de développement durable sont de bons outils, mais manquent d’une dimension qualitative permettant d’évaluer des changements plus profonds tels que les rapports aux normes de genre, la capacité à prendre des décisions, etc. Par ailleurs, l’intention de départ des indicateurs sexo-spécifiques est ambitieuse, mais ils sont encore trop peu renseignés. ONU Femmes dans son rapport sur l’agenda 2030 estime que seuls 47 % des données requises pour suivre les progrès en vue de l’atteinte de l’objectif 5 de l’Agenda 2030 qui porte sur l’égalité de genre sont disponibles à l’heure actuelle. ONU Femmes souligne aussi la sélectivité faite par les États des indicateurs de genre : aucune donnée n’a été communiquée pour les femmes survivantes de violences sexuelles, sur les femmes vivant en dessous de 50 % du revenu médian et du seuil de pauvreté national, et sur la rémunération horaire des femmes salariées (ONU Femmes, 2022).
3.2. Agenda 2030, Objectifs de développement durable (ODD) et égalité de genre
36Le développement international est appréhendé par la communauté internationale (notamment l’ONU) comme étant la mise en commun de ressources et moyens pour parvenir à l’amélioration des conditions de vie pour tous/toutes dans le monde. Il se concentre souvent dans les pays où les systèmes politiques, sociaux et économiques sont fragiles et n’arrivent pas à répondre aux besoins de base de leur population. Étant donné la subjectivité que peuvent représenter les termes « amélioration des conditions de vie », il est central pour la communauté internationale de partager un consensus sur leur signification. C’est ce que propose l’Agenda 2030. Il est la seconde « feuille de route » globale des Nations unies et propose des objectifs clairs et chiffrés à atteindre au cours de la période 2015-2030.
37L’Agenda 2030 s’inscrit dans la lignée des huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), objectifs qui sont arrivés à expiration en 2015. L’Agenda 2030 se veut plus ambitieux avec 17 objectifs à atteindre (d’ici 2030): les Objectifs de développement durable. Cet agenda a trois dimensions interconnectées (économique, sociale, environnementale) et met l’accent sur l’éradication de la pauvreté et la protection de la planète et souhaite que « personne ne soit oublié.e » (no one left behind). Cela, grâce à l’intégration de la société civile et des activistes dans sa conception qui ont par exemple permis de développer l’objectif n°5, dédié à l’égalité de genre.
38Pour atteindre cet objectif à part entière, les États s’engagent à lutter pour une égalité réelle entre les genres et à autonomiser les femmes et les filles. Les objectifs ne sont pas contraignants, mais permettent au moins de rendre visibles les sujets d’égalité de genre et d’obtenir un certain transfert de fonds et de moyens (physiques, intellectuels).
39Le concept d’égalité de genre est également transversal, car il a été pensé au sein des autres objectifs. Par exemple, l’objectif n° 6 « eau propre et assainissement » ne peut faire l’impasse sur la question des règles et la nécessité d’accéder à l’eau courante propre pour les personnes menstruées. Parmi les ODD, l’objectif n° 4, concernant l’éducation, est un cheval de Troie pour les féministes et l’intégration du genre. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) décrit l’éducation des adolescentes comme un « cercle vertueux » en se fondant sur le principe que les filles éduquées seront plus résilientes et plus informées pour utiliser des moyens de contraception, obtenir un emploi, lutter contre les violences domestiques, etc. Selon la Banque mondiale, l’éducation des adolescentes réduirait de 5 % par an au minimum un mariage avant 18 ans en 2017. Cependant, la qualité de l’éducation reçue par les filles et les femmes est peu souvent discutée, standardisée en termes de contenus (et potentiellement eurocentrée) et peut donc être questionnée pour son adéquation à répondre aux besoins des filles et des femmes.
40Bien que l’Agenda 2030 soit reconnu par la communauté internationale, de nombreux efforts restent à faire pour parvenir à sa réalisation. En 2020, les Nations unies ont alerté sur les « progrès » trop lents et appelé à un « réveil » pour les dix dernières années de l’Agenda. Une lenteur exemplifiée par le fait que certains des objectifs présents dans la déclaration de Pékin sont toujours inachevés, 25 ans après, et donc toujours présents dans l’agenda 2030. Les féministes pointent, elles, l’absence de contrainte de temps et de budget dédié pour répondre à l’objectif d’égalité de genre, donnant la possibilité aux États de simplement mettre en place certains outils en faveur de l’égalité, sans chercher à les actionner. En effet, sans des changements structurels profonds, l’égalité de genre ne pourra pas être atteinte. On peut donc craindre, avec l’épidémie de coronavirus et la diminution des fonds alloués au système onusien, que ces objectifs ne soient à nouveau pas atteints. Se poseront alors les questions suivantes : faut-il un nouvel agenda ? Faut-il des moyens plus contraignants pour que les États respectent leurs positions ? Faut-il trouver des alternatives au développement international ?
3.3. La montée en puissance d’une diplomatie féministe au bilan mitigé
41On entend depuis quelques années l’expression « diplomatie féministe » et un nombre croissant d’États s’en prévalent. Mais en quoi consiste cette diplomatie féministe ? S’agit-il d’un investissement réel pour la question ou peut-on parler de pink washing* (littéralement « laver en rose » ou « repeindre de rose ») de la diplomatie ? Quels sont les États les plus engagés sur la thématique ?
42La diplomatie féministe, ce sont tout d’abord les importants plaidoyers féministes portés par des organisations de la société civile (associations, ONG, etc.) au niveau international pour inscrire la lutte pour l’égalité de genre à l’agenda global. Une des définitions que l’on pourrait donner de la « diplomatie féministe » est celle-ci : un engagement considérant l’avancée de l’égalité de genre comme une priorité de l’action diplomatique et s’efforçant à travers le soft power (influence dite « douce », s’illustrant à travers les produits culturels et les échanges) de sensibiliser à la question. Les États pourraient faire d’un engagement minimum pour l’égalité une condition nécessaire à toute collaboration avec d’autres pays. Ils pourraient de la même manière limiter les alliances avec les pays bloquants voire œuvrant à la régression des droits des femmes, des diversités de genre et d’orientation sexuelle au niveau national et international. Dans cette perspective, l’engagement pour les droits fondamentaux et l’égalité de genre ne serait pas sacrifié au détriment d’intérêts économiques ou militaires. Cela n’est pas le cas à l’heure actuelle, car les États, notamment industrialisés comme la France, priorisent leurs intérêts économiques et stratégiques aux enjeux des inégalités, des droits humains et du genre en particulier.
43Un autre moyen pour évaluer l’engagement féministe d’un pays consiste à mesurer sa politique de genre et le financement associé, notamment sur les enjeux internationaux de « genre et développement » dans le cadre de l’aide au développement. Il s’agit de mesurer le nombre de projets dédiés au « genre » dans le cadre de l’aide au développement et d’évaluer les fonds alloués à ces projets. Les projets d’aide au développement avec une composante de genre ne sont que de 26 % pour la France contre 42 % en moyenne pour les pays de l’OCDE (Haut Conseil à l’égalité, 2020). Cela nuance fortement l’engagement féministe de la France et permet de recontextualiser les avancées du fait de moyens limités. La France a 75,5 points sur 100 et est placée 5e de l’Union européenne en 2022 sur le Gender Equality Index de l’Institut européen pour l’égalité de genre (EIGE). Dans le classement Global Gender Gap Index du Forum économique mondial disponible depuis 2006, le pays en première position, et ce depuis 12 ans, est l’Islande. On trouve la France seulement à la 16e position sur 146 pays évalués en 2022. Bien que correctement placée, la France n’est pas le pays leader en termes d’indice et a encore des efforts à faire en la matière. Sur certains indicateurs, comme l’égalité salariale, la France se classe même en fin de classement au 127e rang sur 152 pays en 2020. De plus, la France régresse dans cet indice depuis quelques années (elle était en 12e position en 2018).
44Il faut reconnaître que les luttes féministes ont pris de l’ampleur et ont gagné en visibilité sur la scène internationale. Cette dynamique, insufflée par la société civile, a été rejointe par les États. Réel engagement ou manœuvre politique ? Dévouement à une cause ou opportunisme ? Les situations ne sont peut-être pas si manichéennes. Il faut d’abord noter l’évolution positive qui a lieu concernant l’utilisation d’un vocabulaire autrefois perçu comme « trop radical », à savoir celui de se présenter comme « féministe », ainsi que de la visibilité grandissante de cette thématique. Vingt-cinq ans après la conférence de Pékin lancée par ONU Femmes et co-organisée par le Mexique et la France en partenariat avec les associations féministes et de la jeunesse, la volonté de créer un nouvel espace comme le Forum Génération Égalité, rassemblement mondial en faveur de l’égalité de genre est importante et peut être appréciée comme une volonté de redynamiser les efforts internationaux.
45Il faut pourtant garder un esprit critique et ne pas s’arrêter aux discours de façade afin de pouvoir mesurer les efforts réels en faveur de l’égalité de genre. Les États qui développent un discours de la « diplomatie féministe » à l’étranger ne s’engagent pas tous sur la question en interne. L’égalité de genre peut être instrumentalisée pour redorer l’image d’un pays : on peut alors parler de pink washing. Le féminisme est alors détourné de son essence même pour servir les intérêts privés ou encore les intérêts nationaux de certains pays industrialisés — intérêts qui peuvent être analysés comme néo-libéraux et néocoloniaux.
46De nombreuses féministes mettent ainsi en cause la capacité même des États actuels à promouvoir une diplomatie réellement féministe. Selon l’analyse des féministes anarchistes, marxistes, décoloniales et radicales, et tous/toutes ceux/celles remettant en cause le pouvoir patriarcal, les États restent des expressions de nos systèmes intrinsèquement patriarcaux et sont donc voués à leur perpétuation. Ils ne seraient ainsi pas des alliés valides pour lutter contre les inégalités de genre.
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