Darès le Phrygien et Dictys de Crète
p. 237-249
Texte intégral
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1– 1680
2– lieu d’édition : Paris
3– imprimeur : Lambert Roulland
4– commentateur : Anne Lefèvre.
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5Voir la notice sur Florus, p. 35.
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PRINCIPALES ÉDITIONS ANTÉRIEURES
6Dictys :
7– Historia trojana Dictys Cretensis, Mediolani, Masello Beneventano editore, 1477, in-4°
8– Id., Cologne, Ulrich Zell, s.d., in-4°
9– première édition en traduction française, due à Jan de La Lande, Paris, Groulleau, 1576, in-8° ;
10Darès1 :
11– Historia de origine Trojanorum Daretis Phrygii, Venetiis, c. 1472, in-4°
12– Id., Cologne, U. Zell, s.d., in-4°
13– Dares Phrygius de Excidio Trojae, Parisiis, 1520, in-4° ;
14– Id., Nicolai Crispini, Parisiis, 1524, in-4° ;
15Darès et Dictys sont publiés ensemble à partir de 1498 (Messanae, in-4°), puis :
16– Lugduni, S. Grypheus, 1552, in-I 2
17– Parisiis, ex off. R. Stephani, 1618, in-12
18– Amstelodami apud G. Blaeuw, 1630, in-12.
19À la BM de Grenoble2, on peut voir un petit ouvrage, à reliure parchemin, dédié à François Ier, daté de 1569 : Dictys Cretensis et Daretis Phrygii De Bello Troiano (avec trois déclamations de Libanios), Lugduni, apud Antonium Gryphium (Dictys : p. 9 à 148, Darès, « Cornelio Nepote interprete », p. 149-193) avec une Vita Dictys et un bref paragraphe sur Darès. Le texte est le même que celui de notre édition et dans le paratexte se trouve la même lettre de Q. Septimius que chez Anne Lefèvre3.
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TITRE
20DICTYS CRETENSIS | | DE BELLO TROJAN O, ET | | DARES PHRYGIUS | | DE EXCIDIO TROJAE. | | INTERPRETATIONE ET NOTIS | | ILLUSTRAVIT | | ANNA TANAQUILLI FABRI FILM | | JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINI. | | [marque d’imprimeur] | | LUTETIÆ PARISIORUM, | | Apud Reginae Christianissimae | | Typographium atque Bibliopolam, viâ jacobeâ, | | sub Scuto Reginae. | | [filet] | | M.DC.LXXX | | CVM PRIVILEGIO REGIS.
FORMAT
21In-4°, pièces liminaires non paginées, puis texte de Dictys paginé de 2 à 140, puis page de titre non paginée : Daretis Phrygii de excidio Troja Historia, puis pièces liminaires concernant Darès paginées de 143 à 146 (In Daretem Phrygium praefatio : 143-144, Cornelius Nepos Sallustio Crispo S. : 145, Daretis Phrygii historici ex Volaterrano vita : 146), et texte de Darès paginé de 147 à 177. En outre, 51 pages d index non paginées pour Dictys (Index vocabulorum omnium quae apud Dictym leguntur), 17 pour Darès (Index vocabulorum omnium quae apud Daretm leguntur). Je n’ai pu faire que des sondages sur leur complétude, mais le omnium semble vérifié.
CONTENU
22Pas de page de frontispice ni de page de privilège, bien que le privilège royal soit mentionné en page de titre, sur l’exemplaire disponible à la BM de Grenoble. Sur la page de titre, gravure représentant deux personnages ailés tenant une draperie au-dessus de la couronne royale et de l’écusson de la monarchie (fleurs de lys et croix).
23Les premiers feuillets comportent avant le texte :
24– la page de titre, 4 pages dédicacées suivant le modèle traditionnel « Serenissimo Delphino) S.P.D. Anna Tanaquili Fabri filia », avec en titre courant « Epistola » ;
25– 4 pages adressées « Ad lectorem », avec en titre courant « Praefatio ». La première page de dédicace comporte au-dessus de l’adresse un bandeau gravé (écusson aux fleurs de lys sur une sorte de monument décoré, entouré de deux femmes assises d’allure allégorique, probablement la paix et la guerre). La première lettre (le T de Troiani Belli...) de la dédicace Serenissimo Delphino est ornée de fleurs et feuillages ;
26– 8 pages reproduites de Scaliger à propos de la chronologie, 2 pages reproduites de Vossius sur Dictys et Darès, une page et demie reproduisant les doutes de Mercerus (Censura de hujus historiae auctore, ex Josia Mercero : voir en particulier « De auctore ipso nihil certi dici potest » au milieu de la première page) ;
27– une praefatio qui se présente comme une biographie de Dictys, « Crétois originaire de la ville de Cnossos, contemporain des Atrides, expert en langue et lettres phéniciennes [...], compagnon d’Idoménée et de Mérion » et qui présente le texte lui-même comme issu d’un contrat d’annaliste de la guerre de Troie confié à Dictys ;
28– une lettre attribuée à un Romain « Q. Septimius Romanus » et présentée comme adressée par lui à un autre Romain : « Q. Arcadio s.d. » explique les circonstances de la découverte du texte originel réputé phénicien et de sa transcription en lettres grecques, puis de sa traduction en latin, sur l’ordre de Néron et occupe une page de l’édition. On retrouve p. 1 sous le titre et 1 indication « Liber primus », une mention de ce « traducteur » (Q. Septimio interprete).
29Le texte de Dictys, de la page I à la page 140, sous le titre « Dictys Cretensis de bello Troiano », repris après un bandeau pour chacun des six livres, est présenté de manière continue pour chaque livre, avec numérotation des pages en chiffres arabes et numérotation des lignes de 5 en 5 à chaque page, ce qui est conforme à la norme. Les notes occupent en moyenne la moitié de la page. On retrouve une présentation similaire pour Darès, avec page de titre intercalée « Daretis Phrygii de excidio Trojœ historia » de la page 142 à la page 177, les notes occupant en moyenne moins de place dans la page pour Darès que pour Dictys.
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30L’édition par elle-même n’a pas, me semble-t-il, de valeur à proprement parler éditoriale : Anne Lefèvre reproduit le texte publié antérieurement, en exprimant dans la préface « Ad lectorem » ses doutes sur l’identité de l’auteur (« Habes igitur, Lector, Pseudodyctum istum historicum, sed utilem tamen & eruditum »), en analysant les positions antérieures sur ce point et en reproduisant successivement après cette préface les remarques de Scaliger (« De Ilii excidio ex Iosepho Scaligero de emendatione temporum libro quinto » : 7 pages dans notre édition), de Vossius (« De Dicty grœco ex Joanne Vossio de historicis grœcis » : une page et demie, et « De Dicty latino ex eodem Vossio de historicis latinis » : fin de la deuxième page) et de Mercier (« Censura de hujus historiœ auctore, ex Jozia Mercero » : une page et demie). Les éditions modernes4 ne mentionnent même pas l’édition d’Anne Lefèvre5.
31Pourquoi a-t-on choisi d’éditer ces textes dans la collection du Dauphin ? Nous n’avons pas trouvé de document permettant de répondre à cette question au nom des promoteurs de l’édition. Si l’on peut toutefois se permettre de hasarder des hypothèses, il me semble que les réponses résident en partie dans le paratexte de l’édition, tout d’abord dans la préface « Serenissimo Delphino » : le Dauphin doit connaître de près les premiers temps de l’histoire (« les périodes les plus anciennes et les plus proches des premiers temps », antiquiora quoque illa & ultimis retro temporibus propiora). Il faut surtout lui donner le plaisir de la lecture et sans doute le modèle des héros homériques, même si la forme encomiastique de cette dédicace affirme que ces héros sont déjà inutiles à la vertu du prince : « C’est pourquoi j’ai pensé que rien ne pouvait être plus adapté à ton plaisir que de te mettre sous les yeux cette histoire, pour que tu emplisses ton âme de cette lecture fort agréable, non pour que tu y puises les fondements de la vertu ; à quoi, en effet, pourraient te servir, Sérénissime Dauphin, Achille, Hector et Diomède, ces héros si courageux ? Tu les vaincs déjà tous par ta valeur6... » Suit alors une page d’éloge sans surprise, mais on note l’intérêt de la mention de Palamède parmi les meilleurs exemples de la vertu de prudentia, Palamède qui justement n’était pas dans l’Iliade et l’Odyssée...
32De plus, la date de l’achevé d’imprimer de l’édition (Parisiis I. Kal. Mart. 1680) montre que le texte est édité peu de temps avant le mariage du Dauphin, qui ne peut donc manquer d’être salué par quelques vers d’épithalame inspirés de Catulle.
33La préface Ad lectorem, elle, semble impliquer que l’éditeur a reçu l’ordre - et le grand honneur - d’éditer Dictys et Darès, avec une formule qu’elle emploie plusieurs fois : « Après avoir édité Florus à l’usage du Dauphin, Lecteur, j’ai reçu l’ordre de m’attacher à la Guerre de Troie de Dictys de Crète7. » Anne Lefèvre essaie aussi de préciser l’intérêt des textes qu’elle édite : « Tu as donc, Lecteur, cet historien, le Pseudo-Dictys, utile cependant, et savant. Il a parcouru avec diligence les auteurs anciens traitant de l’expédition des Grecs et de leur retour. Il a coupé toutes les fictions poétiques, ou bien les a transformées de telle façon selon la crédibilité historique que rien ne pèche contre la vraisemblance. Il suit particulièrement Homère, avec lequel cependant il est quelquefois en désaccord, comme sur l’époque même de l’expédition8. »
34Mais l’intérêt essentiel de Dictys de Crète et de Darès de Phrygie réside probablement dans le problème de l’auteur et dans le statut du texte par rapport au genre littéraire en question. Est-ce de l’histoire, comme la version en prose des deux textes et le style sec, souvent maladroit du récit le suggèrent, et comme la lettre de Septimius pour Dictys, la signature de Cornelius Nepos pour Darès, semblaient le confirmer ? C’est ainsi que l’on a lu Dictys et Darès au Moyen Âge9 et encore au xviie siècle. Si étonnant que cela puisse nous paraître aujourd’hui, selon Isidore de Séville, le premier historien païen était Darès10.
35Pour Dictys, le problème de la traduction par Q. Septimius Romanus appartient à la tradition du texte et Anne Lefèvre la reproduit fidèlement en insistant dans ses notes sur l’identité du destinataire supposé, Quintus Arcadius11, sur le terme générique ephemeridem qu’elle conteste, impliquant l’allure d’un « journal12 » ; en renvoyant à la préface pour le thème des lettres phéniciennes (litteris punicis) et sur celui de la forme et du support des livres antiques (ex philyra), toutes mentions dont les éditeurs modernes du texte reconnaissent l’habileté s’il s’agit d’accréditer la thèse de l’auteur phrygien que l’auteur de la lettre aurait transcrit et transposé en latin13.
36La préface de Darès pose un problème similaire, avec cette différence que la traduction attribuée cette fois à un écrivain latin célèbre par ailleurs, Cornelius Nepos, rend l’attribution a priori fort suspecte14.
37L’interprétatio semble au prime abord très réduite : en fait, elle augmente au fil des pages dans l’édition, du moins en ce qui concerne Dictys. L’intérêt véritable de l’édition réside surtout, comme cela semble être le cas pour la plupart des volumes de la collection, dans l’annotatio.
38Un premier point me semble mineur, la critique du style de son auteur par l’éditeur, ainsi page 119, dans l’épisode du partage du butin troyen au livre V, le texte porte « quippe quibus magis libido desideriumque in femina, quam summa militiae potiora forent », ce qui semble signifier, dans un emploi non classique de magis et de in, « puisqu’ils avaient mis leur désir pour une femme au-dessus de la guerre », et Anne Lefèvre commente en qualifiant le latin de son auteur de « barbare » : « libido desideriumque in femina. Barbare loquitur Dictys. » Le phénomène est rare15, mais mérite d’être noté. Exceptionnellement, l’éditeur fait l’éloge du style de Dictys, ainsi page 97, note I, sans fioriture : « In luce belli.] Elegantissime. »
39Plus importante est l’attitude de « comparatiste » de l’éditeur, phénomène récurrent tout au long de l’édition : plusieurs notes montrent que l’éditeur compare soigneusement le texte de Dictys à d’autres, celui de l’Iliade et de l’Odyssée bien sûr, mais aussi de nombreux auteurs postérieurs, grecs ou latins, incluant plusieurs auteurs byzantins.
40Par exemple, à propos de l’enlèvement d’Hélène16, Anne Lefèvre commente dans ses notes de la manière suivante : sous l’appel de note 7 qui suit la première mention du nom d’Hélène, un commentaire sur la fameuse beauté de l’héroïne se développe sur trois colonnes de l’annotatio, p. 4-5, citant pêle-mêle 1/Dares Phrygius, 2/Cedrenus, 3/Meziriaeus ( ?) 4/Ovidius, 5/Homère, Pindare et Eustathe, pour faire alors une place importante à un autre Byzantin dont elle cite le texte en grec, qu’elle traduit ensuite en latin bien qu’elle y trouve du verbiage : « Sur la beauté d’Hélène, le meilleur des auteurs serait Constantin Manassès, si on n’y trouvait pas des redites17. » Pour la mention des deux parentes de Ménélas enlevées avec Hélène, Anne Lefèvre commente (note 2, p. 5) en s’appuyant sur les Héroïdes d’Ovide et sur Homère : « Ovide les mentionne dans la lettre de Paris à Hélène,... de nouveau dans celle d’Hélène à Paris, et Homère les mentionne aussi18. » Au terme désignant les deux femmes comme parentes de Ménélas, Anne Lefèvre adjoint une note qui commence par une paraphrase (attendue donc suivant les principes de la collection dans l’interpretatio plutôt que dans l’annotatio), et continue par un commentaire généalogique et mythologique : « Il dit ici qu’ils étaient parents, et cela est certain pour Ethré, qui était la fille de Pithée, et Pithée le fils de Pélops. Pithée a engendré Ethré, Atrée a engendré Plisthène. Ainsi Ethré et Plisthène étaient consobrini, cousins germains19 »
41L’éditeur profite de la mention d’Ixion, autre parent de Ménélas, dans la suite de sa note, pour développer la note sur les deux colonnes et donner un tableau généalogique de la descendance de Jupiter. Elle montre parfois, mais de manière presque incidente, comme Dictys, avec d’autres auteurs tardifs, diverge d’avec le texte homérique : ainsi dans le Catalogue des chefs grecs, p. 15, rencontrant dans le texte « Demophoon atque Achamas », elle annote : « issus de Thésée et de Phèdre, mais Homère ne les mentionne pas. Cependant Plutarque dans la Vie de Thésée, Pausanias, un scholiaste d’Euripide, Quintus Calaber, Tryphiodore et d’autres affirment qu’ils ont participé à la guerre de Troie » et la note 9 commente le texte « cuncti ex origine Pelopis », « tous de la race de Pélops » par : « Je ne sais sur quels auteurs le nôtre se fonde pour dire que tous ces chefs sont issus de Pélops ; car cela est absolument faux, voir au moins Apollodore, Hygin, etc. »
42Le phénomène le plus important est que plusieurs des épisodes racontés par Dictys ne se trouvent ni dans l’Iliade ni dans l’Odyssée et posent donc pour les critiques – anciens et modernes—le problème délicat des sources anciennes désormais disparues mais que la tradition orale ou des textes en partie naufragés auraient conservées jusqu’à l’époque de l’Empire romain inclus. Dans l’ordre proposé par les six livres du Dictys latin selon Septimius20, il s’agira successivement de Palamède, de Nothos, de la blessure de Philoctète, de Polyxène, de Penthésilée et de Memnon, du Palladium, du cheval de Troie, des Nostoi et de la mort d’Ulysse.
43La présence de Palamède dans l’expédition achéenne à Troie ne figure pas chez Homère : chez Dictys, ce personnage se rencontre dès le livre I, à propos d’une réunion à Sparte des chefs grecs décidés à venger Ménélas et demander raison aux Troyens de l’enlèvement d’Hélène. Anne Lefèvre le rattache à la légende de la folie d’Ulysse21, à juste titre semble-t-il selon les auteurs modernes, et conteste la présence d’Ulysse avec lui à Sparte justement à cause de cet épisode rapporté dans les Cypria (pour celle d’Homère) et chez Apollodore : « Il est certain que Palamède, Ulysse et Ménélas furent en ambassade à Troie, mais Dictys semble avoir introduit ici Ulysse avec les autres à Sparte, ce qui est faux, car Homère et d’autres auteurs rapportent qu’Agamemnon et Ménélas vinrent chez Ulysse en Ithaque pour l’associer à leur expédition. Comme Ulysse refusait en simulant la folie, en semant du sel avec un attelage formé d’un cheval et d’un bœuf, Palamède mit son fils Télémaque sous le joug, il se trahit et partit pour la guerre22. »
44Une note de l’éditeur revient plus loin sur le personnage de Palamède d’une manière encore plus artificielle, qui met bien en évidence le souci essentiellement pédagogique de l’édition : Palamède est envoyé en ambassade auprès de Priam et le choix de l’ambassadeur est expliqué par Dictys dans une parenthèse par ses qualités de réflexion, « lui qui exerçait en ce temps la plus grande influence aussi bien en privé qu’à la guerre » (cujus maxime in ea tempestate domi bellique consilium valait), et Anne Lefèvre commente par les inventions diverses attribuées dans l’Antiquité à Palamède : « La réputation privée et militaire de Palamède n’était pas usurpée, car il avait inventé beaucoup des lettres grecques, la science des nombres, des poids et de la mesure. En outre, pour éviter l’affaiblissement de l’armée par l’inaction, il inventa aussi le jeu de dés23. »
45L’intérêt pour la généalogie déjà mentionné plus haut est récurrent dans l’annotatio, à propos par exemple de tous les chefs grecs et troyens de l’expédition : les notes de la page Io sont pratiquement entièrement consacrées à de tels renseignements, sous les titres « Belus genuit », « Agenor genuit », « Ex Electra », « Ex Taigeta ». Il semble parfois que l’essentiel de l’intérêt des notes mythologiques réside justement dans la généalogie et dans les problèmes de légitimité qui pourraient expliquer l’intérêt des précepteurs du Dauphin pour Dictys par la légende des origines troyennes de la monarchie française24.
46Mais Anne Lefèvre y manifeste aussi une réflexion sur la transmission des textes, qui ont parfois fait surgir des fantômes, par exemple page 2, pour la phrase de Dictys disant qu’Atrée avait laissé en partage aux fils de ses filles son or, son argent et son bétail, réservant à Idoménée et Mérion le pouvoir et les territoires, en précisant que l’un était fils de Deucalion, l’autre de Molus (« Deucalionis Idomeneus alter Moli »), l’éditeur met deux notes :
d’abord « Je ne trouve nulle part que Mérion participa au pouvoir sur la Crète avec Idoménée, et je ne vois pas d’où Dictys a pu déduire cela, à moins qu’il n’ait cru cela pour avoir lu chez Homère que Mérion était chef des Crétois avec son parent Idoménée25 » ;
puis : « Creteus et Deucalion étaient frères, fils de Minos. Deucalion eut pour fils Idoménée, Cretes, Nothus et Molus ; Apollod. [...] Ce passage d’Apollodore me semble suspect, car on ne saurait lire ailleurs que Deucalion eut un fils du nom de Nothos. Il faut lire, comme d’autres l’ont enseigné, “et Nothos Molos”. Cela signifie que Molum n’est pas légitime mais bâtard. Ce qui explique que Mérion fils d’un bâtard eut moins de pouvoir qu’Idoménée, fils légitime de Deucalion26. »
47La philologue se manifeste ici par la confrontation de textes divers et la constatation que Nothos, fils de Deucalion, mentionné chez le seul Apollodore, pourrait n’être qu’un fantôme venu d’une mauvaise lecture d’un adjectif apposé à Môlos, qualifié donc de « bâtard », et compris à tort comme un nom propre indépendant.
48Les notes montrent aussi que le récit de Dictys est l’occasion de faire une sorte d’histoire de la littérature : au livre II intervient l’histoire de la blessure de Philoctète par un serpent au cours d’un sacrifice qui, selon Dictys, aurait eu lieu dans le sanctuaire d’Apollon Smyntheus : la note 4 revient sur les diverses versions de la légende et ses localisations en utilisant les scholies d’Homère, de Sophocle et de Virgile d’une manière claire et concentrée : « Il dit que Philoctète fut mordu par un serpent près de l’autel de Chrysa de Troade. Mais d’autres placent cette Chrysa à Lemnos. Ainsi un commentateur d’Homère. D’autres près de Lemnos, comme celui de Sophocle. [...] Philostrate dans ses Imagines écrit que Philoctète fut blessé près de l’autel de Chrysa à Lemnos, mais il dit que cet autel fut élevé non par Hercule mais par Jason sur le chemin de la Colchide. D’autres, Stéphane de Byzance, Suidas, racontent que cela se fit dans l’île de Naea entre Lemnos et l’Hellespont, [...]. Certains racontent qu’il fut blessé par la chute d’une flèche, voir Servius sur l’Énéide. Théocrite, à ce que je sache, est le seul à écrire que Philoctète fut mordu par un serpent tandis qu’il admirait le tombeau de Troïlus tué par Achille, tombeau situé dans le temple d’Apollon de Thymbre27. »
49Dictys rapporte l’amour d’Achille pour Polyxène, au livre III, dans des termes qui s’apparentent pour nous au style du roman d’amour28 : « C’est à ce moment qu’Achille tourne les yeux vers Polyxène, et se trouve fasciné par la beauté de la jeune fille. Au fil des heures, son désir s’accroît et c’est sans que son esprit ait pu retrouver la paix qu’il regagne les vaisseaux. Quelques jours se passent, mais ils ne font que rendre son amour plus vif. Il appelle alors Automédon, lui révèle sa flamme, et finit par lui demander d’aller plaider sa cause auprès d’Hector. Mais Hector lui fait savoir qu’il ne lui donnera sa sœur que s’il lui livre l’armée tout entière. Achille promet alors que, contre la main de Polyxène, il obtiendra l’arrêt complet des hostilités29. »
50Or on peut s’étonner de ne trouver dans notre édition aucune note sur cette version romanesque de la guerre de Troie, si ce n’est la très brève note 4, « Nescio unde hoc Dictys », « Je ne sais d’où Dictys tire cela ». En revanche, la critique philologique semble ici en éveil, d’ailleurs apparemment avec le besoin d’un soutien extérieur, livresque dans le premier cas, probablement plutôt un conseil oral dans le second : p. 67, note 1 : « Ausus visere : vulgo volens visere. Manuscripti adveniens visere. Id est cupiens. Ioz. Mercer. », « Désireux d’observer : dans la langue usuelle “souhaitant observer” ». Des manuscrits donnent : « venant observer » (Achille va à Troie pour observer une cérémonie religieuse). Sur ce point où Dictys s’éloigne manifestement du modèle homérique pour se rapprocher des topoi romanesques de l’Antiquité hellénistique et tardive, Anne Lefèvre ne prend pas position, mais laisse peut-être à ses lecteurs le plaisir de découvrir Achille si proche des héros de Gomberville ou des Scudéry...
51Un autre roman d’amour tragique se rencontre au livre IV, p. 88 entre Achille et Penthésilée qu’il a blessée à mort et qu’il admire « à demi-morte » (seminecem), comme tous ceux qui viennent voir le spectacle de cette femme extraordinaire (ad postremum ipsa spectaculum dignutn morihus suis praebuit, « elle donna dans l’extrémité un spectacle digne de ses manières »).
52Les notes d’Anne Lefèvre sur ce passage ne s’attardent pas plus que pour l’épisode de Polyxène sur l’aspect sentimental du récit. De manière étonnante, elle ne mentionne d’ailleurs ici ni Virgile ni Quintus de Smyrne par lesquels bien avant les écrivains allemands Penthésilée a atteint la gloire, mais seulement le commentaire de Tzetzès à Lycophron, probablement parce que notre éditeur dépend très étroitement de « Joz. Mercer. » cité dans la note 2, alors que nous renverrons pour notre part évidemment à En. I, 490-493 pour Penthésilée. La réalité de l’influence de Virgile sur le texte de Dictys me semble d’ailleurs d’autant plus probable que les deux épisodes de Memnon et Penthésilée se succèdent immédiatement, sur les basreliefs de Carthage selon Virgile comme dans le récit de Dictys (Memnon-Penthésilée chez Virgile, ordre inverse chez Dictys) : Anne Lefèvre a pensé à Virgile pour Memnon (p. 88, note 5 : « Ingentibus Indorum atque Aethiopum : Virgil. I. Aeneid. Eoaque actes et Nigri Memnonis arma ») mais elle l’a oublié pour Penthésilée, peut-être parce que Dictys ne développe pas le thème de l’amour d’Achille pour sa victime mourante comme d’autres acteurs l’ont fait.
53Après l’épisode de la mort de Penthésilée, Dictys place celui de la mort du jeune fils de Priam, Troïlus, rendu célèbre par la pièce de Shakespeare Troïlus et Cressida, puis la mort d’Achille, qu’il lie à l’intrigue amoureuse concernant Polyxène : selon Dictys, Paris-Alexandre aurait attiré Achille dans un piège avec la complicité de Déiphobe, et l’aurait tué désarmé, dans le temple d’Apollon. Avant de mourir, Achille aurait révélé à Ulysse et Ajax le piège sacrilège. Anne Lefèvre, sans évoquer d’autres versions de la mort d’Achille30, évoque les sources anciennes concordantes, toutes tardives par rapport à l’Iliade et l’Odyssée : deux vers de Virgile sur la flèche de Paris sont cités dans la note I, page 93, avec renvoi à Darès de Phrygie et longue citation de Hygin, Fab.
54Au livre V, l’histoire du Palladium – sans doute connue du Pseudo-Dictys par le Cycle épique – donne lieu à une longue note (no 7, p. 107-108) qui décrit la statue de Pallas Athéna, qui semblait en marche, brandissant une lance du bras droit, les symboles des arts du tissage du droit, avec abondance de références contradictoires, toutes tardives d’ailleurs. Notre éditeur ne semble pas vouloir prendre position sur ce que ces références31 semblent impliquer pour la formation de cette légende probablement postérieure aux poèmes homériques32.
55Le traitement de Darès montre un moindre intérêt d’Anne Lefèvre pour son auteur que pour Dictys : pas d’interpretatio du tout, et une annotatio beaucoup plus réduite que pour Dictys. Cette appréciation différente semble confirmée par l’ensemble de la tradition – le Moyen Âge excepté —, jusqu’aux critiques modernes, sans doute à cause de la maladresse du style33 et à cause de l’absence de cohérence dans le parti pris idéologique34 qui a déjà été notée, par exemple page 152, note 6, mais en en rejetant la responsabilité sur Euripide, ce qui n’est pas une justification valable pour Darès : « Rien d’étonnant à ce que Priam s’appelle ici lui-même barbare. Car, chez Euripide, Hécube et Hector s’appellent eux-mêmes barbares et cette dénomination n’avait pas alors de valeur négative35, comme certains s’en persuadent à tort. »
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56Dictys et Darès ont l’immense avantage, au xviie siècle comme au Moyen Âge, de dire au public tout ce qu’il faut savoir sur la guerre de Troie, du début jusqu’à la fin et « dans l’ordre des faits », tout ce que nous ne pouvons pas trouver chez Homère, qui comme chacun sait ne commence pas au début et ne finit pas à la fin, et de le dire en latin, et qui plus est en prose lisible pour tous ; ce qui était vrai pour le Moyen Âge reste vrai pour le Dauphin et pour ses contemporains, c’est-à-dire pour le large public cultivé à qui s’adresse la collection. C’est à mon sens la seule justification possible du choix éditorial de Dictys et Darès pour la collection Ad usum Delphini aux dépens de l’Ilias latina, version latine abrégée mais fidèle à son modèle grec, l’Iliade, donc en vers latins et avec les lacunes dans la narration des « faits » de la guerre de Troie que le modèle comportait, et les inconvénients supplémentaires de l’abrégé.
57Depuis le début du xxe siècle, la trouvaille de deux paryrus grecs a prouvé que le texte de Dictys traduit en latin n’est pas une invention pure et simple, même s’il ne remonte pas à l’époque de la guerre de Troie et s’il n’a probablement pas été écrit en « lettres phéniciennes », comme l’affirme la lettre de Septimius, mais en caractères grecs. Le topos du « manuscrit trouvé », qui pour Dictys a acquis une vraisemblance que le xviie siècle ne pouvait guère imaginer, correspond probablement pour Darès à une sorte de fantasme de l’authentique qui pourrait justifier l’existence, à partir du modèle de Dictys, du texte de Darès : tous deux se présentant comme des témoins directs de la guerre de Troie ; comme un récit au jour le jour ou presque36 ; à partir du moment où l’on disposait d’un texte grec donnant sur la guerre de Troie le point de vue grec37 et de sa traduction latine, il semblait quasiment nécessaire de trouver, et au besoin d’inventer, un texte similaire donnant le point de vue adverse, celui des Troyens vaincus, d’autant que Rome se donnait depuis la réussite de la propagande d’Auguste comme l’héritière de Troie à travers la famille d’Énée, de Romulus et de Julii : la fin du De excidio, bien que les notes de l’édition Ad usum Delphini ne le soulignent pas – peut-être l’éditrice était-elle pressée d’en venir au bout ? – est suffisamment claire sur ce point : « Enée partit avec ses navires, laissant le territoire à Anthénor [...]. Darès le phrygien nous a laissé son récit écrit en grec jusqu’à ce point seulement. Car il est resté sur place avec les partisans d’Anténor38. »
58Que le siècle de Louis XIV ait lu ces textes comme de l’histoire ne fait aucun doute. Mais si l’on pense qu’à la même époque, on lisait la Cyropédie de Xénophon de la même manière et l’on en tirait la matière du roman probablement le plus lu de ce temps, Artamène ou le Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry, on est amené à se reposer la question, et à s’interroger sur les raisons qui font que les deux épisodes sentimentaux mettant Achille face à l’amour ennemi, Polyxène et Penthésilée, ne donnent précisément lieu à aucune note sur l’origine de ces ajouts majeurs à la trame de la guerre de Troie telle qu’Homère la connaît. Histoire ou roman ? Si les modernes ont tendance aujourd’hui à conclure du côté du roman, la vérité est probablement beaucoup plus nuancée : le succès de Dictys et de Darès tient justement pour nous à cette ambiguïté, qui fait que, du premier poème épique, on soit passé aux apparences d’un récit fait par l’un des acteurs de la Grande Guerre. Dès l’Antiquité, il s’agit peut-être d’une littérature de « consommation39 », ce qui expliquerait la médiocrité du style. L’amour d’Achille pour Polyxène et son émoi devant Penthésilée à demi-morte, voilà des épisodes que le public d’Homère ne connaissait peut-être pas, mais que le public médiéval du Roman de Troie et celui d’Artamène ou le Grand Cyrus, celui-là même qui pouvait se procurer le volume Ad usum Delphini publié par la future Anne Dacier, devait apprécier.
Notes de bas de page
1 Les deux titres différents existant pour Darès selon les éditions s’expliquent par le fait que l’auteur commence son histoire par un exposé sur la race de Pélias et Éson, la quête de la Toison d’or par Jason, le fils d’Éson et son voyage en Phrygie (§ 1 et 2 des éditions modernes), puis par les aventures d’Hercule et Télamon, la première attaque de Troie par des Grecs, la mort du roi Laomédon, sa fille Hésioné donnée à Télamon comme butin (§ 3) et le retour de Priam avec sa famille (§ 4) : c’est probablement ce que certains éditeurs appelaient « Historia de origine Trojanorum ». Darès le Phrygien est censé être un proche d’Anténor, personnage connu dans l’Iliade comme l’un des sages vieillards troyens (en particulier au chant III, dans le passage connu sous le nom de Teichoscopie).
2 Bien que le commentaire de Jean de Sponde disponible à Grenoble mentionne Darès dans la page de titre (Homeri quae extant omnia, Ilias, Odysea, Batrachomyomachia, Hymni, Poematia aliquot cum Latina uersione omnium quae circumferuntur emendatis, aliquot locis, iam castigatiore, Io. Spondani commentariis. Pindari quinetiam Thebani Epitome Iliados Latinis uersib. & Daretis Phrygii de bello troiano libri, a Corn. Nepote eleganter latino versi carmine), on ne trouve pas le texte de Darès dans le volume.
3 Voir ci-dessous dans notre réflexion sur l’intérêt de ce paratexte par rapport au texte de Dictys.
4 Deux volumes séparés dans la Teubneriana : Dictys Cretensis Ephemeridos belli Troiani a Lucio Septimio ex Graeco in Latinum sermonem translad, W Eisenhut éd., Leipzig, Teubner, 1973 (2) (Ire éd., 1958), Dam Phrygius De Excidio Troiae Historia, Lipsiae, Teubner, F. Meister rec., 1873, réimpr. I99I.
5 Pour juger honnêtement les qualités d’éditeur d’Anne Lefèvre pour Dictys et Darès, il faudrait toutefois au moins confronter l’édition Ad usum avec l’édition publiée en 1704 par le même éditeur à Amsterdam, disponible à la BNF, ce que je n’ai pas pu faire.
6 « Nihil itaque ad delectationem tuam aptius putaui, quam hancce tibi historiam ob oculos ponere, ut iucundissima eius lectione animum tuum expleas, non ut inde petas rudimenta uirtutum. Quid enim, Delphine Serenissime, Achilles, Hectoe et Diomedes ? heroes illi fortissimi, tibi prodesse possint ? eos omnes robore iam vincis. »
7 « Postquam L. Florum, in usum S. Delphini, edidi, Lector, Dictym Cretensem de bello Trojano aggredi jussa sum. »
8 « Habes igitur, Lector Pseudodictym istum historicum, sed utilem tamen & eruditum. Is sane ueteres scriptores de expeditione Graecorum, deque eorum reditu, diligenter peruoluit... Is poetica omnia figmenta resecuit, vel ea ad historiae fidem sic immutavit, ut nihil contra verisimilitudinem peccet. Homerum praecipue persequitur, a quo tamen saepius dissentit, ut vel de tempore ipso expeditionis. »
9 Sur Darès au Moyen Âge, voir M. R. Jung, La Légende de Troie au Moyen Age. Analyse des versions françaises et bibliographie raisonnée des manuscrits, Bâle-Tübingen, Francke Verlag, 1996, et « L’histoire grecque : Darès et les suites », dans Entre fiction et Histoire : Troie et Rome au Moyen Âge, études recueillies par E. Baumgartner et L. Harf-Lancner, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1997, p. 185-198.
10 M. R. Jung, op. cit., p. 186. Selon le même Isidore, le premier historien de notre tradition était Moïse,
11 1 Quinto Arcadio] Qui sub Constantino Imp. Consulatum gessit anno urbis CICLXVIII. Unde si genuina esset Epistola, sequeretur hunc auctorem scripsisse ipsius Constantini aetate.
12 Note 2. Ephemeridem.] Minus proprie hanc historiam vocant Ephemeridem, neque enim actus diurnos continet. « C’est très peu justement qu’on appelle cette histoire Éphéméride, car elles ne contient pas des actions relatées au quotidien. »
13 G. Fry, p. 309 : « Les termes utilisés : philyra, tilia, désignent la membrane qui se trouve entre le bois et l’écorce du tilleul. [...] Cette indication n’a rien de fantaisiste, le souvenir de livres en fibre de tilleul subsistera jusque dans le Digeste (32, 52, Prologue. Extrait d’Ulpien, début du iiie siècle). » Voir aussi Élien, Histoire variée, 14, 12.
14 Mon opinion sur ce point ne semble pas concorder avec celle de Gérard Fry, op. cit., note 1, p. 376 : « Les deux historiens sont les garants de l’authenticité du texte retrouvé, rôle qu’ils assument avec moins de poésie mais plus de crédibilité que les bergers de la Lettre et du Prologue de l’éphéméride. [...] Cornélius Népos est en effet le découvreur idéal d’une œuvre comme celle de Darès... »
15 Voir un commentaire analogue p. 94, note 6 : Summa militiae.] Barbare loquitur Dictys, neque enim scribi posse arbitror summam rem orbari & ratio in promptu est.
16 Texte de Dictys, éd. Ad usum, p. 4-5-6 : Per idem tempus Alexander Phrygius, Priami fïlius, cum Aenea aliisque ex consanguinitate comitibus, Spartae in domum Menelai hospitio receptus, indignissimum facinus perpetraverat. Is namque ubi animadvertit regem abesse, quod erat Helena praeter caeteras Graeciae foeminas miranda specie, amore ejus captus, ipsamque multaque opes domo ejus aufert, Aetram quoque & Clymenam Menelai adfïnes, quae ob necessitudinem cum Helena degebant. [...] Quibus cognitis Menelaus, etsi abstractio conjugis animum permoverat, multo amplius tamen ob injuriam affinium, quas supra memoravimus, consternabatur. Remarquons que Dictys semble assez étrangement suggérer que Ménélas aurait éprouvé davantage de peine de l’enlèvement d’Aethra et Clymena que de celui d’Hélène, ce que l’éditeur n’essaie pas d’expliquer.
17 « Sed de Helenae pulchritudine omnium optime Constantinus Manasses, nisi in eo tautologiam reprehendas. » Constantin Manassès naquit à Constantinople au xiie siècle, il est l’auteur d’une Chronique universelle en vers, « ouvrage historique mêlé d’éléments romanesques » selon le Dictionnaire des auteurs grecs et latins de l’Antiquité et du Moyen Age.
18 « Earum meminit Ovid. in Epist. Paridis Helenae [...]. Rursus in Epistola Helenae Paridi [...]. Earum meminit & Homerus. » Il s’agit d’Il. 3, 143-144. L’éditeur cite en grec les deux vers d’Homère qu’elle traduit en latin : Et illam una famulae duae sequebantur. Aethra Pittheifilia Clymeneque pulchra. L’édition de l’Iliade par Mazon donne la note suivante à ce passage : « Éthré est la mère de Thésée. Sa présence à Troie est sans doute un souvenir du rôle qu’elle jouait dans une autre légende, selon laquelle Thésée, ayant ravi Hélène toute jeune, l’avait ensuite confiée à sa mère Ethré. [...] Mais cette légende est une invention de poètes du Cycle. Le vers n’a donc pu être introduit qu’assez tard dans l’Iliade. » Dans l’édition Ad usum, tout se passe comme si tous les auteurs qui ont cité de tels noms propres étaient sur le même plan, et Anne Lefèvre passe allègrement des deux vers de l’Iliade à Hygin, comme on le faisait en général à l’époque.
19 Affinem hic cognatam dicit & de Aethra quidem certum est, quae filia fuit Pitthei, Pittheus autem Pelopis filius, Atrei frater. Pitheus genuit Aethram, Atreus Plisthenem. Sic Aethra & Plisthenes erant consobrini, cousins germains. N. i, p. 5-6.
20 Nous avons renversé l’ordre de mention des épisodes pour Palamède et Nothos, afin d’insérer la remarque sur ce dernier dans une remarque plus générale sur l’intérêt de l’éditeur pour les généalogies.
21 N. 6, p. 6-7.
22 Certum est & Palamedem, Ulissem & Menelaum ad Troiam legatos, sed hic Dictys videtur innuere Ulyssem cum aliis Spartam convertisse, quod falsum est, nam Homerus & alii auctores tradunt Agamemnonem & Menelaum in insulam Ithacam ad Ulyssem venisse ut eum sibi militae suae socium asciscerent. Id cum recusaret Ulysses insaniam simulans salemque ferens equo & boue ad aratrum iunctis, Palamedes ei Telemachum filium aratro subjecit, seque ita prodidit & ad bellum ivit.
23 Neque immerito domi militiaeque cluebat Palamedes, qui & multas litteras Graecas invenerat, & scientiam numerorum, ponderum et mensurae. Praeterea ne exercitus otio corrumperetur invenit & ludum tesseratum [...] N. 2, p. 8, avec un commentaire sur la non-équivalence entre le jeu inventé par Palamède et le « triquetrac » (en français dans le texte) de ses contemporains.
24 On peut cependant s’étonner à ce propos que Darès ait été relativement négligé par Anne Lefèvre au profit de Dictys : il semble que la légende des origines troyennes des « Francs » soit venue du texte latin de Darès par l’intermédiaire d’une Historia Daretis Frigii de origine Francorum conservée dans sept manuscrits datables du ixe au xie siècle, et dans un manuscrit du xve siècle, et connue de Fréchulf de Lisieux, auteur de la première « histoire universelle dans le royaume des Francs », lequel met d’ailleurs en doute les origines troyennes au profit d’une origine germanique, mais s’appuie cependant fortement sur Darès (M. R. Jung, « L’histoire grecque : Darès et les suites », dans Entre fiction et Histoire, op. cit., p. 185-198 et 190-191 pour le point qui nous intéresse ici).
25 N. 2 « Haec quippe Idomeneus cum Meriona jussu eius S.H.] Nullibi reperio Merionem Imperii Cretensis cum Idomene participem fuisse, neque video unde illud expiscari potuit Dictys, nisi ita esse crediderit quod apud Homerum legisset Merionem cum patruo Idomeneo Cretensium ducem fuisse.
26 Deucalionis Idomeneus.] Creteus & Deucalion fratres fuere, Minois scilicet filii, Deucalio filios habuit Idomeneum, Cretem, Nothum, & Molum. Apollod. Lib. 3. Bibliothec. Δευκαλίωνι δὲ έγένοντο Ἰδομενεύς τε καὶ Κρήθη καὶ Νόθος καὶ Μῶλος. Qui locus Apollodorii mihi mendi suspectus est, neque enim legas alibi Nothum ullum nomine Deucalionis filium fuisse, legendum, ut & alii monuere, καὶ Νόθος καὶ Μῶλος. Ut Molum non genuinum sed Nothum esse significet. Unde etiam colligere est Merionem nothi filium Idomeneo legitimo Deucalionis filio minime regni participem fuisse.
27 Ait Philoctetam morsum fuisse juxta aram Chrysae Troadis. Verum alii hanc Chrysam in Lemno ponut. Ut interpres Homeri. Alii prope ILemnum scholiastes Sophoclis [...]. Philostratus in imaginibus scribit juxta Chrysae aram in Lemno vulneratum Philoctetam, sed eam aram non ab Hercule sed a Jasone excitatam dicit cum Colchos pergeret. Alii in Naea insula inter Hellespontum & Lemnum hoc factum narrant, Stephanus, Suidas. Alii alibi : ut neque a serpente morsum omnes scribunt. Sunt enim qui narrant cum Sagittae unius casu vulneratum, vide Serv. I, Aeneid. Solus, quod sciam, Theocritus scribit morsum a serpente Philoctetam cum contemplaretur sepulchrum Troili ab Achille occisi, quod erat in templo Apollinis Thymbraei.
28 Sur les pathè erôtika dans les romans grecs et la naissance du genre romanesque, voir F. Létoublon, Les Lieux communs du roman, Leiden, E. J. Brill, 1993. Comme dans les romans, la scène se passe dans le cadre d’une fête religieuse, et l’amour d’Achille naît du regard.
29 Ac tum forte Achilles versis in Polyxenam oculis, pulchritudine virginis capitur : auctoque in horas desiderio, ubi animus non lenitur, ad naves discedit. Sed ubi dies pauci fluxere, & amor magis ingravescit, accito Automedonte, aperit ardorem anim : ad postremum quaesiit, uti ad Hectorem virginis causa iret. Hector vero daturum se in matrimonium sororem mandat, si sibi universum excercitum proderet. Dein Achilles, soluturum se omne bellum Polyxena pollicetur. Edition AUD, p. 67. Traduction de Gérard Fry, Récits inédits sur la guerre de Troie, Paris, Les Belles Lettres, 1998.
30 Je pense à celle de l’immortalité conférée à son enfant par le bain de Thétis et au point de fragilité, le tendon du pied, qu’aurait provoqué le fait qu’elle n’avait pas pu plonger le corps de l’enfant complètement dans la baignoire magique.
31 Apollodore, Strabon, Eustathe, Tzetzes, Suidas, Denys d’Halicarnasse.
32 Question homérique pour laquelle la même Anne Lefèvre, devenue l’épouse d’André Dacier, devait jouer plus tard un rôle capital, aussi bien par ses traductions d’Homère que par ses ouvrages défendant le poète contre ses détracteurs, et précisément contre ceux qui osaient mettre en doute l’identité de l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée : voir la bibliographie dans notre ouvrage Homère en France après la Querelle (F. Létoublon et C. Volpilhac-Auger éd.), Paris, Champion, 1999. Je pense que le rôle d’éditeur de Dictys et Darès a joué un rôle non négligeable dans la formation d’homériste d’Anne Lefèvre.
33 Voir G. Fry, op. cit., p. 238 : « L’auteur renonce ainsi à qualifier, il fait l’économie des adverbes, adjectifs, substantifs apposés, ainsi que des relatives. [...] Les récits de bataille standardisés tels qu’on les observe entre les paragraphes 19 et 33 [...] montrent ad nauseam à quoi aboutit une pareille pratique lorsqu’elle est utilisée à une grande échelle », et p. 241 : « Le latin de l’Histoire de la destruction de Troie est d’une pauvreté et d’une brutalité qui déroutent. Peut-être simplement dues à l’incapacité de l’auteur à faire mieux, celles-ci [...] sont sans doute aussi idiosyncrasiques que volontaires. »
34 Darès, censé en tant que Phrygien adopter le point de vue troyen, ne montre aucune cohérence idéologique, voir G. Fry, op. cit., p. 240 : « ... Darès ne parle que très peu de ce qui se passe à Troie, alors qu’il s’étend largement sur un très grand nombre d’événements particuliers aux Grecs et dont un Troyen n’aurait pu avoir connaissance. » Il traite même parfois ses prétendus alliés de barbares.
35 Je pense que la valeur péjorative du terme était à l’époque grecque classique très forte, mais je ne peux entrer ici dans le problème complexe du contexte des emplois de ce terme chez Euripide. Texte : « Ne Barbaros.] Ne mireris hic Priamum se ipsum Barbarum vocare. Nam sic apud Euripidem Hecuba & Hector se ipsos vocant barbaros neque tunc male sonabat appellatio ilia, ut male quidam sibi persuadent. »
36 C’est ainsi que l’on explique le titre d’Ephemeris pour Dictys, même s’il ne s’agit pas d’un « Journal » au sens moderne : voir la note d’Anne Lefèvre citée ci-dessus, exprimant son étonnement devant l’emploi de ce terme.
37 Dictys utilise presque constamment pour marquer ce point de vue partial les pronoms et adjectifs de première personne du pluriel « nostri, nos », etc., et le terme Barbari pour désigner les Troyens.
38 Aeneas cum suis omnibus navibus proficiscitur, Antenori terram tradidit. [...] Hacte, nos Dares Phrygius Graecis litteris mandavit : nam is ibidem cum Antenoris factione remansit.
39 Hypothèse développée en détail en italien par G. F. Gianotti (1979 et 1996) et par S. Timpanaro (1987)-
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La collection Ad usum Delphini. Volume I
L'Antiquité au miroir du Grand Siècle
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2000
Devenir roi
Essais sur la littérature adressée au Prince
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2001
L’Éloge du Prince
De l’Antiquité au temps des Lumières
Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.)
2003
La collection Ad usum Delphini. Volume II
L’Antiquité au miroir du Grand Siècle
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2010
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2016
Femmes influentes dans le monde hellénistique et à Rome
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