Quinte-Curce
p. 143-157
Texte intégral
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1– 1678 (achevé d’imprimer le 27 septembre 1677, privilège de 20 ans du 20 août 1674 ; le travail s’est fondé sur le microfilm d’un exemplaire de la BN de Paris, cote J 3131)
2– lieu d’édition : Paris
3– imprimeur : Frédéric Léonard
4– commentateur : Michel Le Tellier s.j.
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5Michel Le Tellier – ou le Tellier – est né à la paroisse du Vast (près de Vire en basse Normandie), le 16 décembre 1643. (On évitera de le confondre avec un homonyme célèbre, Paris, 1603-1685, père de Louvois.) D’origine très modeste, paysanne, ce dont il n’a pas honte, il fit ses études à Caen, entra au noviciat en 1661 et enseigna à Louis-le-Grand où il fut professeur de grammaire, d’humanités, de rhétorique, de philosophie pendant 4 ans, et d’Ecriture sainte pendant 28 ans. En 1708, il devient Provincial de France de son ordre avant d’être nommé, en 1709, confesseur du roi et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. À la fin du règne de Louis XIV, il se déclare pour le duc du Maine contre le duc d’Orléans ; il connaît alors un exil à Amiens, puis à La Flèche où il meurt le 2 septembre 1719. Il collabora à la traduction du Nouveau Testament du père Bouhours, à la continuation des Dogmes théologiques du père Petau et aux Mémoires de Trévoux. Il est l’auteur de nombreux ouvrages théologiques.
6Ainsi donc, bien après son édition de Quinte-Curce (1678), Michel Le Tellier devint un personnage considérable après sa nomination comme confesseur du roi en 1709, en remplacement du père de La Chaise, et jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Il poussa le Roi aux mesures contre les protestants et contre les jansénistes, avec en particulier la destruction de Port-Royal-des-Champs en 1711, et aurait obtenu du pape Clément XI la bulle Unigenitus (1713). Par ses écrits, il participa à d’autres querelles religieuses.
7Le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, en dresse un portait physique et moral peu flatteur1. Quelques vers vengeurs, inspirés par Le Tellier, permettent de mesurer l’intensité des conflits dans lesquels il intervint :
« Viens, Pluton, viens, suivi de ta troupe infernale,
Emporter Le Tellier et sa noire cabale ;
Viens sur ce moine affreux épuiser ta fureur,
Mettre son corps en cendre et déchirer son cœur.
De ce monstre cruel viens délivrer la terre2... »
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PRINCIPALES ÉDITIONS ANTÉRIEURES
8– 1470 ou 1471, editio princeps, Venise, Vindelin de Spire.
9– 1579, Cologne, F. Modius à qui on doit une importante amélioration du texte.
10Parmi les très nombreuses éditions, nous en citons trois qui ont comblé les lacunes en se basant sur Arrien, Diodore, Justin, Plutarque, Strabon... ; en effet, les livres I et II, la fin du livre V et le début du VI, ainsi que des parties du X manquent :
1545, Bâle, C. Bruno (Le Tellier dit ne pas l’avoir vue)
1648 et 1670, Strasbourg, J. Freinshemius, 2 vol., avec commentaires. Cette édition marqua également un progrès dans l’établissement du texte et fut souvent reprise ; elle est très appréciée par Le Tellier
1688, Leipzig, C. Cellarius qui juge Bruno trop sec et Freinsheim trop prolixe.
11Michel Le Tellier lui-même mentionne, de manière parfois imprécise, 27 éditions parues entre 1474 et 1664, dont la traduction « de M. de Vaugelas à Paris chez Augustin Courbé au palais » (1647).
ÉTAT DES ÉDITIONS AD USUM DELPHINI
12La liste des éditions qui reprennent ou qui se revendiquent de celle-ci est très longue :
1705, puis 1725, Londres, A. et J. Churchill : Q. Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni, cum supplementis Freinshemii. Interpretatione... Delphini, in-8°, 417 pages et l’index. Repetitio editionis, Paris, 1678
1719 et 1764, Amsterdam : Curtius, historie van Alexander met vervullingen van Freishemius ; uit het latyn door J. H. Glazemaker ; overzien, enz. door Le Tellier, in 8°
1764, Paris, J. Barbou : Q. Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni libri decem, notis illustrati, capitibus distincti, et juxta editionem ejusdem Auctoris editam ad usum serenissimi Delphini. Ex recensione Valart, in-12, 396 pages
1787, Venise, Remondus : Curtius Rufus Q. / Le Tellier, Michel, De rebus gestis Alexandri Magni, Basani, in-4°, 510 pages
1810, Paris, apud Aug. Delalain, D. Barbou et Lallemant successorem : Q. Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni, Libbi [sic] decem, Notis illustrati, Capitibus distincti, et juxta editionem ejusdem Auctoris editam ad usum serenissimiDelphini. Ex recensione Valart, in-12, 436 pages
1812 et 1813, Paris, A. Belin : Q. Curtii Rufi..., in-12, 413 pages. Editio stereotypa Herhan
1814, Rouen, S. Mégard, in-12, 448 pages.
1817, Paris, apud Aumont viduam Nyon, in-12, 311 pages
1819, Paris, Dabo, Tremblay, Feret et Gayet, in-12, 413 pages
1820, Paris, A. Delalain, in-12, IV-504 pages
1820, Paris, T. Dabo, (une faute dans le titre : « Libei [sic] decem »), in-12, 413 pages
1823, Avignon, J.-A. Fischer, in-I 2, 309 pages
1825, Paris, Vve Dabo, in-12, 413 pages
1826, Paris, chez Mme Dabo-Butschert, in-12, 413 pages
1827, Paris, A. Delalain, 1827, in-12, IV-507 pages
1825, Londres, A. J. Valpy : De rebus gestis Alexandri Magni libri superstites ex editione Frid. Schmieder cum supplementis et notis et interpretatione in usum Delphini variis lectionibus notis variorum recensu editionum et codicum et indice locupletissimo accurate recensiti, 1825, in-8°, 3 vol. (La division en chapitres n’est pas celle de l’Ad usum de 1678.)
13Nombre d’éditions se proclament « juxta editionem ejusdem Auctoris editam ad usum serenissimi Delphini » mais on se gardera de prendre cette affirmation au pied de la lettre. Voici quelques observations opérées sur les éditions de 1810, Delalain et 1820, Dabo. Dans une courte praefatio, nous lisons en effet : « Puisque chez les auteurs, même très faciles, se présente un nombre non négligeable de choses qui peuvent paraître un peu difficiles pour des latinistes en formation, on a veillé ici à ce que tout soit d’accès aisé en reprenant au bas de chaque page les interprétations qui ont beaucoup contribué à faire apprécier l’édition de Quinte-Curce destinée à l’usage du Dauphin3. » Pourtant, une rapide étude oblige à nuancer ; en réalité, l’examen des notes mises en bas de page révèle un grand éclectisme : certaines sont en effet tirées de l’interpretatio, quelques-unes des notae et d’autres ne viennent pas de l’Ad usum, par contre, beaucoup de remarques de l’interpretatio sont omises. En outre, contrairement à l’édition de Le Tellier, qui reprenait le supplément de Freinshemius pour les livres I et II, on a fait appel au supplément de C. Bruno, beaucoup plus court, qui compte une vingtaine de pages. Pour le choix de l’édition enfin, « puisque de l’avis général, l’édition de Snakenburg est de loin la plus remarquable, nous avons estimé devoir la suivre, à cette réserve près que la nôtre est plus correcte, au moins en un petit nombre d’endroits4 ». Toutefois, la division en chapitres est celle de Le Tellier. Dès lors, que reste-t-il, sauf le label (de qualité ?) de l’édition Ad usum ? Quelques demi-lignes au bas de chaque page. À l’inverse, à Amsterdam, ex typographia Blaviana, on trouve, dès 1684, soit six ans après sa parution, la reprise systématique de l’interpretatio – pas des notae – de Le Tellier, sans que son travail soit signalé : « Q. Curtii Rufi Historia Alexandri Magni cum notis selectis, variorum, Raderi, Freinshemii, Loccenii, Blancardi, etc. Editio novissima cui accessit locorum difficiliorum interpretatio. » (Elle cumule les suppléments de Freinshemius et de Bruno pour les livres manquants5.)
14On pourra prendre la mesure de la complexité des liens entre les différentes éditions et de la tendance à l’effet « boule de neige » de ces reprises successives, dont celle de Le Tellier, dans le titre de l’édition de Snakenburg de 1724, qui se vante de comporter tous les commentaires antérieurs : Q. Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri M. regis Macedonum libri superstites. Cum omnibus supplementis, variantibus lectionibus, commentariis ac notis perpetuis Fr. Modii, V. Acidalii, T. Popmae, Joh. Freinsheimii, Job. Schefferi, Chrisp. Cellarii, Nic. Heinsii, selectis et excerptis Ph. Rubenii, J. Rutgersii, C. Barthii, Joh. Loccenij, M. Raderi, Cl. Salmasii, J. Fr. Gronovii, Tellierii, Christop. Aug. Heumanni, itemque Jac. Perigenii vindiciis et aliorum observationibus, auctioribusque indicibus.
15L’édition de Londres, 1825, A. J. Valpy, en 3 volumes mais avec numérotation en continu, se compose de préliminaires, p. 1-65, puis du texte latin avec interpretatio et notae de l’Ad usum, plus un abondant apparat critique, où apparaît quelquefois le nom de Tellerius, p. 66-785, et enfin des « Notae variorum in Q. Curtium Rufum » (livres III à X), « ex ed. H. Snackenburgii, Delphis, 1724 », p. 789-1560. La source de chaque note est signalée, on trouve principalement, dans un ordre décroissant d’importance, Freinshemius, Snackenburgius, Cellarius, Modius, Raderus, Loccenius, puis Popma, Heinsius, Acidalius... Le Tellier n’apparaît que rarement et dans une discussion à l’intérieur d’une note, par exemple p. 837, 842...
16Les reprises sélectives peuvent d’ailleurs déboucher sur des incohérences, lorsqu’une modification n’est pas opérée de façon conséquente. Ainsi, l’édition de Londres, 1825, adopte parfois un autre texte que celui de Le Tellier, ce qui apparaît aisément pour les passages contestés qui font l’objet, dans les notae, d’une discussion critique : la leçon reprise en note est alors suivie, entre crochets droits, de la leçon, refusée, de Le Tellier, ainsi par exemple en IV, 2, 19 pour le mot montis. Nous avons confronté les remarques critiques présentes dans les notes des pages 69 à 177 de l’Ad usum (livre III et IV) avec celles de l’édition de Londres : cette dernière choisit 20 fois une leçon différente mais modifie très rarement la note qui explique le choix de la leçon, d’où des incohérences. Ainsi, Le Tellier, p. 136, a retenu Ostio, et s’en explique dans une note, l’édition de Londres, 1825, par contre, choisit Orio dans son texte latin, IV, 7, 4 et indique en note Orio. Ostio... mais elle reprend, sans la modifier, l’explication de Le Tellier qui se termine ainsi : « Nam Orio sive Onio, quod vulgo legitur, omnino corruptum est. » Ou encore, Le Tellier p. 165 « Orestae. Sic legendum docti merito censuerunt, non Orestes... » ; Londres, IV, 13, 28 : Orestes. Orestae avec reprise de la note de Le Tellier qui écarte la leçon Orestes !
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TITRE
17Q. CURTII | | RUFI | | DE REBUS GESTIS | | ALEXANDRI MAGNI | | Cum Supplementis Freinshemii. | | INTERPRETATIONS ET NOTIS ILLUSTRA VIT | | MICHAEL LE TELLIER è Societate JESU | | JUSSU CHRISTIANISSIMI | | REGIS, | | IN USUM SERENISSIMI | | DELPHINE | | [marque d’imprimeur] | | PARISIIS, | | Apud Fredericum Leonard, Regis, Serenissimi | | Delphini, & Cleri Gallicani Typograpgum, viâ Jacobeæâ. | | [filet] | | M.D.LXXVIII. | | CUM PRIVILEGIO REGIS.
18D’après Sommervogel, « À la bibliothèque des Etudes religieuses, à Paris, on conserve une lettre autographe du P. Le Tellier, datée de Rennes, 29 décembre 1677 ; elle est relative à son Quinte-Curce et adressée probablement à un savant, le censeur peut-être, qui lui avait envoyé des observations sur certains points de son livre ; il les réfute. D’après cette lettre, on voit que la première édition est antidatée, car le P. Le Tellier dit qu’il a dû faire des cartons “pour remédier à quelques fautes” ; il aurait profité des corrections, s’il avait “eu à faire une nouvelle édition, a quoy je ne m’attens pas”6. » L’epistola qui précède le texte est datée du début août 1677 : nous ne voyons pas en quoi « la première édition », de 1678, serait « antidatée », d’autant qu’on trouve la mention « Achevé d’imprimer le 27 septembre 1677 » au bas de l’« Extrait du Privilege du Roy ».
FORMAT
19In-4°, pièces liminaires non paginées mais avec feuillets signés alphabétiquement [aii - [4], e, i, o [4], ui - ii]. Texte de Quinte-Curce avec les suppléments de Freinshemius, p. 1 à 417 ; un index de 132 pages, non paginé mais avec signature alphabétique (Gggii - Z22 [4]).
CONTENU
20Les pièces liminaires sont nombreuses, on compte : l’epistola, dédicace au Dauphin, de 6 pages, datée des Kalend. August. anno salutis MDCLXXVII, une praefatio de 13 pages ; des jugements sur Quinte-Curce, Illustrium virorum judicia de Curtio, 3 pages ; la liste des manuscrits et des éditions, Exemplaria tam Mss quam édita Curtii ex Freinshemio, 1 page et demie ; une généalogie, Alexandri Magnigenealogia ex Reineccio, 2 pages ; une Q. Curtii Synopsis chronologica de 5 pages ; un extrait du privilège du Roi, de six lignes seulement, suivi, sur la même page, d’une liste d’errata.
PRÉSENTATION DU TEXTE
21On sait que les deux premiers livres de Quinte-Curce ont été perdus et qu’il existe en outre une lacune à la fin du livre V et au début du livre VI, ainsi qu’au livre X. Plusieurs savants, et principalement Freinshemius, en 1648, ont tenté de combler ces manques en rédigeant un supplementum. Cette réfection, reprise par Le Tellier, est dépourvue de notes et d’interprétation mais elle est accompagnée de très nombreuses références, en marge extérieure, à des auteurs anciens qui l’ont inspirée.
22On remarquera que cette édition adopte une répartition en chapitres (il n’y a pas de paragraphe) qui ne correspond pas à celle des autres éditions : ils sont courts, environ d’une page. Une comparaison avec l’édition de la collection des universités de France fait apparaître une différence de trois à un dans le nombre des chapitres : ainsi par exemple, pour les livres III et IX, l’édition Ad usum présente respectivement 35 et 34 chapitres, contre 13 et 10 dans la CUF. Fabricius signale l’édition « In usum Delphini » de « Mich. Tellerius, Paris, 1678, in-4° », en ajoutant qu’elle est très peu commode en raison d’une distinction en chapitres différente de celle des autres éditions7.
23Le titre courant occupe le dessus de chaque page : à droite : « Quinti Curtii », à gauche : le numéro du livre, par exemple « liber quartus ». La page compte habituellement trois zones :
le texte (caractères plus grands), dont les lignes sont numérotées 5, 10, 15, 20, 25, 30
l’interpretatio, en deux colonnes séparées par une ligne, avec appel par lettre a, b, c... dans le texte, avant le mot ou l’expression, et reprise dans l’interpretatio. Parfois il n’y a pas de colonne mais un texte en continu sur une seule ligne
les notae, en deux colonnes, avec appels numérotés en chiffres arabes, placés avant le mot ou l’expression, avec reprise au numéro 1 à chaque chapitre.
24Parfois il n’y a pas de note interprétative ; il arrive quelquefois que l’interpretatio ou une note soit en continu d’une page à l’autre.
25Sur la base de trois sondages de 15 pages, on peut proposer les résultats suivants pour la répartition de l’espace disponible entre, dans l’ordre, le texte, l’interprétation et les notes (les chiffres successifs indiquent le nombre de lignes occupées par chacune des trois composantes) :
moyennes | extrêmes | |
p. 80-94 | 22,1 ; 4,1 ; 17,6 | 13 à 29 ; 1 à 8 ; 6 à 28 (livre III) |
p. 260-274 | 24,3 ; 1,8 ; 18,7 | 4 à 36 ; 0 à 4 ; 6 à 46 (livre VII) |
p. 355-369 | 27.8 ; 2.3 ; 13,8 | 14 à 37 ; 0 à 6 ; 4 à 35 (livre IX) |
26Un Index vocabulorum omnium quae in Quinto Curtio leguntur de 132 pages porte trois colonnes. Toutes les formes sont reprises.
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27L’édition de Londres 1825 distingue 4 âges dans son « Recensus editionum » qui occupe les pages 1595 à 1613 et 1618 à 1620 : « Aetas I Natalis 1470-1517 ; Aetas II Erasmo-Aldina 1518-1579 ; Aetas III Modiana 1579-1639 ; Aetas IV Freinshemiana 1639-1801 ».À la page 1608, il rapporte que Le Tellier aurait été aidé par Huet dans l’édition de Quinte-Curce.
28Le Tellier connaît et apprécie les éditions de Modius, 1579, de M. Raderus, 1618, l’édition avec commentaires et suppléments de Freinshemius (mais il la date de 1638), ainsi que l’édition elzevirienne8.
29Aucune coupure n’a été pratiquée. Cela ne veut pas dire que le texte pouvait être mis entre toutes les mains, comme en témoigne l’édition suivante : Q. Curtii Rufi [...] Libri decem, Selectissimis noctis [sic] illustrati, capitibus distincti, mendisque in pluribus locis et obscoenitatibus expurgati, Ad usum scholarum, editio omotypa, Tulli-Leucorum, Typis josephi Carez, bibliopolae, 1823.
30L’epistola constitue principalement un éloge grandiloquent du Dauphin et de son père, supérieurs à Alexandre et à Philippe. On reconnaîtra cependant que le personnage d’Alexandre semble particulièrement indiqué pour l’édification d’un futur roi. Dans le récit de l’histoire d’Alexandre, dit Le Tellier, le Dauphin découvrira des traits à admirer, beaucoup à imiter, davantage à surpasser et tout le charmera. Dans l’image d’Alexandre, il reconnaîtra la sienne pour de nombreux aspects. Des rapprochements sont possibles avec l’époque contemporaine, mais Louis le Grand l’emporte sur Philippe, la France sur la Macédoine. D’ailleurs le Dauphin peut se passer d’exemples étrangers à imiter, il a son père qui représente le meilleur modèle à suivre. Dans Alexandre le Grand, il apprendra à apprécier et à suivre Louis le Grand. Il se trouvera certainement des écrivains pour célébrer les mérites du Dauphin, comme Alexandre a trouvé Curtius pour vanter les siens.
31Le Tellier considère sa tâche comme un travail d’explication, noster in eo explanando labor, dont il ose espérer qu’il sera agréable.
32La préface traite de trois sujets : Quinte-Curce, son œuvre et les commentaires apportés par Le Tellier.
33Sur Quinte-Curce, on peut s’étonner, avec Acidalius, que deux livres soient perdus et deux autres mutilés. Curtius est un auteur méconnu et jamais cité avant le xe siècle, au point qu’on a même supposé que c’était une œuvre apocryphe, un écrit beaucoup plus récent, rédigé après la « renaissance des lettres », et faussement attribué à un auteur ancien. Mais l’œuvre de « Gualteri Belgae », l’Alexandreïs, du xiie siècle, ainsi que de nombreux manuscrits anciens, parfois mutilés, réfutent cette hypothèse.
34Les savants ont beaucoup discuté pour savoir de quel siècle était Curtius et qui il était. On part d’un passage du livre X, 23 (X, 9,3-6 dans la collection des universités de France). Il y est question principalement d’une nuit qui faillit être la dernière pour le peuple romain, sauvé par son prince, astre nouveau ; l’avenir s’annonce plutôt rassurant puisque, sauf accident, lui succédera une postérité de la même maison. Quelle fut cette fameuse nox ? Des interprétations différentes ont été avancées. Von Barth a même pensé à Théodose mais ce n’est pas fondé. On a parlé de Auguste et Tibère, cette hypothèse ne peut être retenue ; Trajan doit également être écarté car il n’a pas de postérité et il faut en outre considérer la langue de Curtius, « la pureté de son style et son élégance tout à fait digne du siècle d’or de la latinité9 ». On aurait tort par ailleurs de surestimer le silence de Quintilien ; dès lors, il reste Vespasien et Claude. Le Tellier penche pour Claude, pour les circonstances historiques et aussi parce que la langue de Curtius semble avoir des points communs avec celle de Sénèque. Il réfute longuement la thèse de Rutgerius, appuyé par Freinshemius et Vossius, qui pense que la fameuse nox fait allusion à la victoire de Vespasien à Bédriac contre Vitellius. Par contre, Le Tellier s’accorde avec Lipsius sur le nom de Claude et argumente longuement : c’est la nuit qui a suivi - ou la nuit de – la mort de Caligula.
35Qui est ce Curtius ? Le nom apparaît chez Cicéron mais ce personnage aurait 100 ans ; on le trouve aussi chez Tacite et Pline le Jeune (lettre 23 du livre VII à Sura). Pour le style on devrait préférer le rhéteur Q. Curtius Rufus repris par Suétone dans son traité des rhéteurs illustres. Les anciens manuscrits donnent d’ailleurs le surnom de Rufus.
36De l’œuvre de Quinte-Curce, les livres I et II sont perdus, sur un total de dix, bien que certains aient parlé de douze livres et donné un découpage autre. Malgré des erreurs en géographie et en histoire, l’œuvre a fait l’objet de témoignages élogieux qui sont repris après la préface.
37Le Tellier ne méconnaît pas ces défauts de l’historien latin : « Il a plus d’une fois commis des erreurs dans des notions de géographie et d’histoire, il s’est montré trop peu averti dans les descriptions de bataille, il n’a pas séparé le vrai du faux avec un discernement suffisamment poussé, il s’est plus attaché à ce qui était pittoresque qu’à ce qui était avéré, il a recherché un peu trop les formules qui frappent, il a introduit des tours poétiques dans ses descriptions et une tonalité déclamatoire dans ses discours. Mais, bon Dieu, que ces reproches sont légers, si on les met en balance avec le nombre et l’importance des qualités : éclat de la langue, agrément et pureté d’un style exempt de tout artifice, art admirable pour décrire, mieux même pour peindre, les choses et les sentiments, magnificence des formules, et tout particulièrement la concision si dense des discours et leur élégante nervosité, pour ainsi dire sans égale. »
38Toujours d’après Le Tellier, on peut mesurer, d’après ce que l’on possède, le dommage que représente pour la littérature la perte des deux premiers livres. On a entrepris de combler ce manque et les lacunes des livres V, VI et X, en partant de passages de Justin, Arrien et Diodore, et on a joint ce supplément à l’œuvre ; un des premiers à le faire fut Christophorus Bruno (Bâle, 1545). Mais ensuite un savant exceptionnel, Joannes Freinshemius, comme il l’a fait pour Tite-Live, a entrepris pour Curtius des nova supplementa remarquables dont il serait regrettable de priver le présent ouvrage – on trouvera donc ces suppléments ici. Ce Freinshemius n’a pas égalé la suavitate styli de Curtius mais il ne lui doit rien pour la rerum copia jointe à une virili sermonis gravitate.
39Déjà avant lui existaient des notes et des scholies, d’Érasme, de Glareanus, de Modius, d’Acidalius, de Loccennius et du plus abondant de tous, noster Raderus10. Mais le fameux Freinshemius, a fait mieux que tous : on ne le louera jamais assez, nec satis pro merito laudandus, lui qui a repris à ses prédécesseurs ce qu’il y avait de mieux et qui a ajouté des remarques excellentes. De ses commentaires, principalement, est issue la compilatio Batavica dite « Variorum », apud Elzevirios.
40On remarquera la grande indulgence de Le Tellier pour les faiblesses de Quinte-Curce historien : ses erreurs relatives à la géographie, à l’histoire, à l’art des batailles, l’abus de rhétorique... semblent bien légers en comparaison des qualités du style. Bientôt, avec l’ars critica de Le Clerc, le jugement va changer : l’exigence critique « moderne » mettra l’historien ancien à distance et montrera « que le brillant du discours ne saurait excuser les faiblesses de la méthode historique11 ».
41À propos du commentaire, Le Tellier précise qu’il s’est chargé du « labor explanandi », à l’instigation – « auctor » – de l’illustre duc de Montausier, savant remarquable choisi par Louis le Grand pour l’éducation du Dauphin en collaboration avec Bossuet, très illustre dans toute la « Gallia » par son éloquence sacrée. Il s’agit d’une nova commentariorum ratio (« nouvelle méthode de commentaire »), pour laquelle Montausier et Bossuet ont eu en vue bien sûr les études privées du Dauphin mais aussi la gloire qui rejaillira sur lui en raison de l’utilité publique de ce travail ; car, si le travail a été entrepris à son intention, il sera cependant utile à d’autres, surtout que lui désormais, en particulier pour cet auteur, n’a plus besoin de l’aide d’aucun commentaire. C’est dans cet esprit que Le Tellier a composé les notes et l’interprétation : ne pas tout refaire à neuf, ne pas s’en tenir à compiler les autres. Il va donc reprendre les explications des autres dans la mesure où elles sont utiles pour l’intelligence de Curtius, non pour faire montre d’érudition ; il ajoutera ce qui, omis par ses devanciers, est cependant nécessaire pour éviter des retards au « lecteur moins savant ».
42Pour le texte il s’est attaché à fournir le plus correct en suivant de près l’édition de Schrevelius, Elzeviriana, qui diffère peu de celle de Strasbourg de Freinshemius. Il s’en écarte parfois, convaincu par d’autres leçons ou l’autorité de savants, en particulier Gronovius. Pierre-Daniel Huet, célèbre partout par les productions de son talent, lumière de l’érudition sacrée et profane, l’a bien aidé et lui a témoigné sa bonté. Il s’excuse d’erreurs commises par les typographes, en son absence, surtout dans le livre IV.
43L’ensemble des pièces liminaires comprend :
44– Pour les jugements de personnages illustres sur Quinte-Curce, nous citons le début des deux premiers : Antonii Panormitae in Facetiis Alphonsi regis [...] Ex Bartholomaei Merulae Epistola Curtio praefixa... ; suivent onze autres témoignages dont celui de Guillaume Budé, De asse, lib. 3 : « ... verbis ipsius Curtii auctoris tersi et elegantis... » Ce sont souvent ces termes qui reviennent : « elegantissime... suavitas... tersus... nitidissimus... in sermone facilitas... in narrationibus lepor... argutus in sententiis12 »...
45– Manuscrits et éditions : trois manuscrits de Heidelberg et une dizaine d’autres sont signalés ; pour les éditions, on se reportera supra.
46– La généalogie d’Alexandre se présente comme suit : « Alexander Magnus originem suam hinc ad Herculem inde ad Achillem retulit per has successiones ; paternum genus :[...] maternum genus... »
47– La synopsis chronologique comprend la datation d’après la naissance du Christ, depuis la fondation de Rome, selon les Olympiades et depuis la naissance d’Alexandre.
48Par exemple, pour le livre I :
Ante Christum | Urbis cond | Olymp. | Alex. Aetat CVI |
323 | 398 | CVI | 1 |
49Les dernières dates de la fin du livre X sont respectivement :
Ante Christum | Urbis cond | Olymp. | Alex, Aetat 7 |
356 | 431 | CXIV | 33 Regni 13 imp. |
50On y trouve en outre une sorte d’argument livre par livre, de I à X.
51– L’Extrait du privilège du Roi, de six lignes, signé Desvieux, Versailles le 20 août 1674.
52– Figurent enfin des errata, répartis entre le texte, « Errata in Curtio sic emendabis » (une quinzaine de lignes), et le paratexte, In commentariis. I. Interpretationem N. Notas c. columnam L. lineam significant (une trentaine de lignes).
53Les notes forment une matière très volumineuse et variée. Nous passerons en revue successivement les notes de compréhension, en distinguant celles relatives au sens du texte de celles qui portent sur la langue de Quinte-Curce, les notes d’érudition, les notes de critique textuelle ; nous y joindrons deux petits développements, l’un sur les dénominations en langues vernaculaires, l’autre sur les références à la traduction française de Quinte-Curce réalisée par Vaugelas. L’ampleur de l’échantillon fourni ne correspondra pas à la répartition quantitative des notae : nous donnons proportionnellement beaucoup d’exemples pour les aspects qui dépassent l’exégèse philologique habituelle, et pour ceux qui traitent de compréhension et d’érudition. Pour les extraits un peu complexes, nous fournirons occasionnellement une traduction française en note.
54Comme nous venons de le dire, les notes de compréhension sont abondantes ; en général, elles fournissent une explication du sens ou relèvent un trait de langue. Nous citons d’abord quelques exemples du premier type : p. 178, « Sous la conduite. Comment donc ces opérations ont-elles été accomplies sous la conduite d’Alexandre alors qu’il les a menées à si grande distance, sans être présent, par l’intermédiaire d’autres personnes ? Lisons donc Antipater au lieu d’Alexandre-, en pleine nuit. C’est donc avec la plus grande rapidité qu’il a parcouru dans sa fuite six cents stades, c’est-à-dire septante-cinq milles en seulement quelques heures13. »
55Les notes relatives à la langue de Quinte-Curce expliquent un terme, relèvent une particularité, tentent une étymologie et peuvent prendre l’allure d’un petit développement philologique ; ainsi : p. 100, « Discrimen vient de discerno, “je sépare” et signifie à proprement parler “différence”, en traduisant un peu plus librement, “partage”, “distance”, “intervalle”. Mais cernere veut également dire “combattre”, de là vient semble-t-il que discrimen est synonyme de certamen (“lutte”), bien que, à ma connaissance, discernere ne soit jamais pris au sens de certare (“lutter”). On lira çà et là discrimen pris dans ce sens par Quinte-Curce, au lieu de pugna14 ». Relevons encore un éloge marqué du style de Quinte-Curce, à la page 74, « On peut en outre observer ici la variété de l’expression grâce à laquelle l’excellent auteur historique évite l’ennui dans la description des différents peuples, de leur nombre, de leur tenue, de leur succession. En d’autres lieux également il se signale par un talent admirable15. »
56Le Tellier s’appuie volontiers sur des emplois comparables chez des auteurs comme Ovide, Virgile, Tite-Live, Tacite, Salluste... ainsi par exemple : p. 3 5 4, « Vulgum : Salluste emploie ainsi ce mot au masculin, alors qu’on l’écrit le plus souvent au neutre16. »
57On joindra encore à ces notes de compréhension les nombreux renvois internes à des passages du texte ou à des notes infra ou supra. Le nombre va naturellement croissant au fur et à mesure de la progression dans l’œuvre17.
58L’histoire d’Alexandre comporte quantité de déplacements dans des régions lointaines et des confrontations avec nombre de peuples peu connus. Des renseignements érudits sont dès lors indispensables, tout au long de l’œuvre ; les notes les plus fréquentes portent sur la géographie, physique et humaine, qu’il s’agisse de région, de lieu, de ville, de fleuve, de montagne, de peuple, de coutumes, de distances parcourues... Parfois le nom fait l’objet d’une explication étymologique et quelquefois la dénomination contemporaine est fournie. Dans ses explications, où souvent l’histoire se mêle à la géographie, le commentateur renvoie fréquemment à des auteurs anciens qui ont parlé des mêmes réalités, Arrien, Plutarque, Strabon, Diodore, Justin... ; les divergences ou les convergences avec notre texte sont signalées et discutées. Dans la masse de documentation, nous nous en tenons à quelques exemples : p. 76, « Gordium. » fait l’objet d’une longue explication d’allure historique ; p. 283, « Abiorum. Graecum hoc nomen esse dubium non est ; sed quae nominis significatio quaeve causa sit, non ita certum... », (« Abiorum est sans nul doute un nom grec ; mais la signification de ce nom, et sa raison, rien n’est certain... », et suit une longue discussion)18.
59Malgré son indulgence pour Quinte-Curce, Michel Le Tellier ne peut laisser passer les erreurs ou les inconséquences. Il aimerait pouvoir rejeter la faute sur les copistes mais encore faudrait-il que la tradition manuscrite offrît des indices en ce sens : p. 193, « Je préférerais que cette erreur fût des imprimeurs que de Curtius, s’il se présentait quelque leçon différente19 » ; parfois, on peut penser que la bonne foi de notre auteur a été surprise : p. 181, « Puisqu’il ne se présente ici aucune leçon différente, il faut croire que l’erreur vient de Curtius lui-même plutôt que des imprimeurs, et qu’il a été trompé, comme souvent en d’autres passages, par Diodore20 ». Ce sont surtout les connaissances géographiques qui sont sujettes à caution : p. 70, « L’erreur de Curtius est ici relevée par tous, parce qu’il confond le Marsyas avec le Lycius, le fleuve le plus important de cette même Lycie. Celui-ci, né du mont Ortus, n’arrose pas Apamée, comme le Marsyas, mais Laodicée21 ». Force est aussi de reconnaître que l’historien ne brille pas non plus dans le domaine de la stratégie militaire : p. 96, « La droite. Les savants ont constaté depuis longtemps que dans les descriptions de bataille Quinte-Curce manifestait une connaissance insuffisante, ce défaut apparaît bien dans tout ce récit. D’abord en effet, comment l’aile droite d’Alexandre a-t-elle pu être contournée, elle qui se déployait jusqu’à la montagne... tout en lui reconnaissant beaucoup de raffinement et de compétence pour le reste, on avouera en tout cas, en étant attentif à ce passage et à d’autres du même genre, que Quinte-Curce n’est pas très expert en matière de combats22. »
60Les notes de critique textuelle sont relativement nombreuses et prennent parfois la forme d’une petite discussion ; dans la constitution de notre échantillon, nous avons essayé de donner une idée des critères de choix, implicites ou explicites sur lesquels se fonde Le Tellier : p. 77, « Distrinxerant. D’autres lisent distraxerant ce qui ne plaît pas moins23 » ; p. 106, au terme d’une petite note critique où sont présentées plusieurs leçons, Le Tellier conclut : « Nous avons reproduit la leçon adoptée par d’autres afin de laisser à chacun le libre choix » ; on observera qu’il s’agit d’une conception fort moderne de l’intérêt d’une l’édition critique24.
61Des dénominations contemporaines, françaises ou étrangères, interviennent souvent pour des noms de lieu ; on lit parfois aussi un mot en français, utilisé pour traduire un terme latin plus rare. Ainsi par exemple : p. 69, « Peloponneso [...] Hodie Morea vulgo nuncupatur »... « Menteseli Turcis vocatur »... « Caramaniam hodiernam efficiunt » ; p. 71, « Granicum hodie Lazzara [...] Ponticum mare hodie Mer Noire » ; p. 187, « Huic vulgo nomen Bagdet sive Bagdad » ; p. 192, « testudo tortuë » ; p. 197, « Eluvies.... vorago, une fondrière » ; p. 22 5, « convasare, dicitur, plier bagage » ; p. 236, « A Phasi dicti sunt Phasiani, aves exquisitae, des Faisans » ; p. 240 (= CUF, VI, 6, 30), « Une énorme fumée. Les historiens de la Guerre sainte rapportent que la ville de Jérusalem aurait été prise par les Chrétiens grâce à un stratagème assez semblable : Godefroid de Bouillon aurait fait lancer du feu de différents endroits25... »
62Enfin, nous avons cru utile de regrouper un certain nombre de remarques de Le Tellier en rapport avec la traduction de Vaugelas, antérieure d’une trentaine d’années ; le traducteur est régulièrement désigné par l’appellation « Gallicus Interpres26 » Par exemple, p. 191, « Puteos : le traducteur français les appelle des mantelets, crates, des gabions, je crois parce qu’il n’y avait dans notre langue aucun mot qui fût plus propre27 » ; p. 243, « Armamentarium. Lieu dans lequel les armes et les autres instruments ayant trait à la guerre sont rangés, un arsenal. Mais le traducteur français tourne en la garde-robe, car... » et il critique cette traduction, ce que fait aussi l’Académie française ; p. 220, « Il y a dans l’original, Metron qui estoit chargé du soin des armes du Roy28 ».
63L’interpretatio occupe jusqu’à 8 lignes, avec une moyenne de 3 lignes par page. Il s’agit souvent d’une reformulation, avec des synonymes, d’une courte expression ou d’une phrase de Quinte-Curce ; on compte en moyenne sept mots d’interpretatio pour en expliquer cinq ou six du texte ; exemples : IV, 13, 4 « furto, non praelio opus esse » devient « Insidiis, non aperto certamine utendum esse » ; VI, 9,7 « particeps sceleris destinabatur » debient « Designabatur conjurationis socius29 ».
64Pour l’index, le système de renvois est clairement décrit : « Le premier chiffre indique la page, le second ou les suivants, jusqu’au petit trait, indiquent la ou les lignes de la page. L’astérisque placé çà et là signale que la signification du mot ou le mot lié à la chose sont expliqués à cet endroit. » Ce système de renvoi aux notes où l’on peut retrouver l’explication détaillée d’un mot est d’une efficace simplicité30. Par exemple, en réponse à « Arbela, neutr. 147 : *14... », on trouve une explication en notes de la page 147 ; à « ... bitumine. 119 : 9/133 : 3/182 : *2/183 : 1/184 : 9 » (en réalité c’est 8), correspond une explication du terme dans une note de la p. 182. Chaque nouvelle lettre fait l’objet d’un petit titre et l’initiale de la première occurrence figure dans un petit cadre ; on notera que les mots commençant par i et j d’une part, u et v d’autre part, sont mélangés dans une seule liste, ainsi par exemple, jamque précède ibant, vixisset précède ulceribus. Au terme de l’index, vient une page et demie d’addita (uniquement pour les trois premières lettres de l’alphabet) : sous A, environ 60 mots, sous B, 7 mots, sous C, environ 60 mots.
6
65Michel Le Tellier, s.j., éditeur à 35 ans de Quinte-Curce, est devenu dans la suite un représentant influent de la Compagnie, par ses écrits et plus encore par sa position de confesseur du roi Louis XIV.
66Son édition n’est pas particulièrement originale mais sérieuse et bien informée ; il indique beaucoup d’éditions antérieures et des devanciers dont il s’est inspiré. Nous n’avons découvert aucune trace de censure ni de moralisme. Le destinataire officiel est bien entendu le Dauphin mais le travail sera surtout utile à d’autres car le Dauphin, alors âgé de 17 ans, n’a plus besoin d’aide pour un auteur dont le latin est simple, comme Quinte-Curce.
67Beaucoup d’éditions se revendiqueront de l’Ad usum mais elles reprendront plus l’interprétation et les notes que le texte lui-même. D’ailleurs, à cet égard, chacun se fournit chez ses devanciers selon ses besoins. Au fil du temps, par enrichissements successifs, se constitue une masse d’annotations et d’éléments adventices dont le volume finit par dépasser celui du texte initial, en tout cas pour un auteur comme Quinte-Curce qui, après une longue éclipse, connut pendant quelques siècles un nombre d’éditions considérable.
68Le Tellier n’ignore pas les faiblesses de l’œuvre : erreurs géographiques ou historiques, description approximative des combats, mélange de vrai et de faux, goût pour les détails étonnants plus que véridiques ; dans les notes de son édition, Le Tellier ne manquera pas de relever et de corriger les fréquentes erreurs de Quinte-Curce. Il ne s’aveugle pas non plus sur certains défauts du style : recherche excessive du trait, ton déclamatoire dans les discours... Toutefois, ces faiblesses et imperfections semblent bien légères en face des nombreuses et admirables qualités de langue et de style : éclat, agrément, pureté sans fard, brièveté, élégance, art de peindre choses et sentiments... (Bientôt, les jugements portés sur les historiens anciens se feront plus critiques et éviteront soigneusement de mettre en balance la valeur historique et la qualité littéraire.)
69Le travail d’annotation prétend viser l’utilité du lecteur peu expert plus que l’érudition ; malgré ces dires, l’érudition occupe une place énorme, justifiée en partie par l’abondance de notations géographiques peu familières. Un certain nombre de remarques portent sur la langue de Quinte-Curce et manifestent le souci de la norme classique avec laquelle l’auteur latin prend parfois quelque liberté. Les notes critiques sont assez abondantes et permettent parfois de discerner les critères de choix des leçons.
Notes de bas de page
1 Voir notamment, dans les volumes de la Pléiade, t. III, p. 342 et suiv., 632, 986, 1019 ; IV, p. 309-311, 703 ; V, p. 281, 309 ; VII, p. 387 et l’index du vol. VIII, 1988, p. 1757-1758, s.v. « Tellier » ou « Le Tellier ».
2 Texte d’un rimeur anonyme, sans doute un janséniste, cité par le père Bliard, Les Mémoires de SaintSimon et le P. Tellier ; confesseur de Louis XIV, Librairie Plon, Paris, 1891, p. 399. Pour la biographie, voir Michaud, t. 24, p. 3 39-342 ; Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, t. X, Paris, Larousse, 1873 ; N. Oursel, Nouvelle Biographie normande, Paris, Alphonse Picard, 1886-1912, 4 tomes en 2 volumes, t. II, p. 168 ; Sommervogel, t. VII, 1896, colonnes 1911-1919.
3 « ... cum apud Scriptores vel facillimos occurrant non pauca, quae Latine discentibus subdifficilia videri possint, hic curatum est ut ea omnia plana essent, subjectis in imâ quâque pagina interpretationibus iis quae Curtianam editionem ad usum Serenissimi Delphini non parum commendarunt. »
4 « Cum autem Snakenburgiana omnium judicio sit longe praestantissima, eam nobis sequendam duximus : sic tamen ut haec nostra sit, in paucis quidem, emendatior. »
5 « On publie aux moindres frais un texte repris dans des éditions antérieures, avec une annotation extrêmement restreinte, et le plus souvent anonyme », D. Morineau, La Réception des historiens anciens dans l’historiographie française, fin xviie-début xviiie siècle, thèse, Paris 4, 1988, p. 338, se fondant sur H.-J. Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au xviie siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, 2 vol., p. 190-191.
6 Sommervogel, col. 1912.
7 I. A. Fabricius, Bibliotheca latina, t. II, Leipzig, 1773, p. 352.
8 En général, voir S. Dosson, Étude sur Quinte-Curce, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1887.
9 « ... styli puritatem atque elegantiam aureo Latinitatis seculo plane dignam.
10 Matthieu Rader est qualifié de « noster Raderus », sans doute parce qu’il appartenait lui aussi à la Compagnie de Jésus ; voir Sommervogel, t. VI.
11 D. Morineau, La Réception des historiens anciens..., op. cit., p. 350 ; voir aussi p. 349-353 et 397-400.
12 « ... les paroles de Curtius en personne, un auteur soigné et élégant... avec une très grande élégance... le charme... soigné... particulièrement brillant... la souplesse de la langue... l’agrément de ses récits... plein de finesse dans ses formules... ».
13 « Ductu. Quomodo autem ductu Alexandri gesta sunt, quae tam procul absens per alios gessit ? Ergo pro Alexandri lege Antipatri » ; « Media nocte. Summa ergo celeritate sexcenta stadia, hoc est milliaria quique et septuaginta, fuga emensus est, intra paucas horas ». Voir aussi par exemple : p. 273, « Abominor. Ominari praesentire est, ac praedicere : abominari, rem funestam, ne eveniat, aversari ac deprecari » ; p. 35 5, « Insignes. Hoc est notabili quopiam vitio corporis deformes » ; « Lapilli. Margaritae sive uniones, des perles... ut apud Silium lib. 12, v. 229... » ; « Berylli. Lapidis pretiosi genus est subviride ac pellucens... cujus varias species enumerat Plinius lib. 37, c. 5 » ; p. 358, « Cumpaucis-. Haec per ironiam dicta » ; p. 387, « quinque millia. Supple, cum bis erant, vel aliquid simile. Aliam exercitus partem qui sub Parmenione fuerat, jamdudum occupaverat Alexander in Arachosia l. 7, c. 9 » ; « E provincia : Cleander et Sitalces Mediae praefuerant. Agathone. Hic si Parmenionis caedi interfuit, diversus ab illo Agathone est qui arci Babyloniae praesidere jussus erat lib. 5, c. 6 ».
14 « Discriminis. Discrimen a discerno, quod est distinguo, ductum, proprie differentiam significat ; nec longinqua translatione, divisionem, distantiam, intercapedinem. Sed quoniam cernere, pugnare quoque signifïcat, inde factum videtur ut discrimen idem sit ac certamen ; quamvis discernere nusquam, quod sciam, pro certare sumatur. Atque hoc sensu passim a Curtio usurpatum leges discrimen pro pugna » ; voir aussi p. 288, « discrimen. Usum hujus vocis apud Curtium explicuimus lib. III. cap. 30 » ; p. 103, « Eum. Pro se, quomodo saepe, usurpat Curtius », cf. p. 25 5, « Eum f...] pro se positum est, quod Curtio non infrequens, ut iam notavimus 1. 3, c. 34 » ; p. 217, « Maceratus. Consumptus, confectus, exhaustus. Alias macerare est aqua vel alio liquore durius quidpiam mollire paullatim ac dissolvere » ; p. 236, « trecentis (feminarum). Hellenismus pro trecentis feminis » ; p. 281-282, « Lucos [...] a luce dictos esse lucos consensu traditur : sed alii per antiphrasim accipi volunt quod minime luceant [...] alii sine antiphrasi dictos volunt, quod nocturno sacrificantium lumine lucerent » ; p. 288, « Aruspicibus. Ita scribendum sine aspiratione non quia ex ara ductum sit vocabulum [...] sed quod... », suit une longue discussion.
15 « Hic porro animadvertere licet qua orationis varietate optimus historiae scriptor in describendo variarum gentium numero, cultu, ordine, fastidium vitarit. Quod aliis quoque locis mira arte praestitit. »
16 Sic quoque usurpat Sallustius genere masculino, cum plerumque neutro scribatur » ; voir aussi p. 356, « Gangaridas. Eadem quoque vox apud Virgilium Georg. 3, v. 27 » ; p. 366, « Ne committeret. Ne inchoaret omnino obsidionem, aut certe... Nam commitendi verbum ita quandoque significat, ut apud Virgilium, 1. 5 Aeneid. Et tuba commissos medio canit aggere ludos ».
17 Quelques exemples suffiront : p. 178, « Quae interim. De his vide Freinshemii supplementum initio libri sexti, et quae ibi supersunt ex Curtio... Arbelam. Quamquam verius est, ut supra diximus, Arbela, orum\ tamen singulari quoque numero usus est Curtius, ut aperte constat ex lib. 9, c. 6 » ; p. 354, « Corona. Vide lib. 4, c. 24 » ; p. 356, « Gangem max. Consule quae diximus ad 1. 8, c. 28 » ; p. 387, « Qui Parmen. Supra lib. 7, c. 7 ».
18 Voir aussi : p. 140, « Smaragdo. Opportune, nam circum ea loca nasci smaragdum testis est Plinius, 1. 37, c. 5. » ; p. 285, « Longiorem obsidionis narrationem texit Arrianus lib. 4. » ; p. 356, « Plura transc(ribo) qu(am) credo. Et tamen eadem uno ore affirmant Diodor. 1. 17 Ol. 113, 2. Strabo lib. 15, Aelianus hist. anim. 8, Plinius 1. 8, c. 4. Plutarchus de sol. anim. etc. » ; p. 363, « Alteram urbem. Brachmanum ex urbibus eam fuisse Arrianus tradit ».
19 « Malim hic errorem esse Librariorum quam Curtii, si qua occurreret lectionum varietas. »
20 « Cum hic nulla occurrat lectionum varietas credibilius ipsum errasse Curtium, quam librarios, deceptum, ut alias saepe, a Diodoro. »
21 « Notatur hic ab omnibus error Curtii quod Marsyam cum Lyco ejusdem Lyciae majoris fluvio confundit. Hic enim ex Cadmo monte ortus, non Apameam, ut Marsyas, sed Laodiceam alluit. »
22 « Dextrum. Parum scienter in describendis proeliis versatum esse Curtium et a doctissimis vins animadversum est jam pridem, et in hac narratione tota satis apparet. Primum enim quomodo circumiri dextrum Alexandri cornu potuit, quod ad montem usque perineret... haec aliaque hujusmodi qui attendent, politissimum cetera ac prudendssimum dixent quidem Curtium, proeliorum certe non peritissimum fatebitur. »
23 « Distrinxerant. Legunt alii distraxerant, quod non minus placet » ; voir aussi p. 79, « Alterum Nini. Sic egregie a Scaligero emendatum cujus conjecturant et sensus probat et ipsa veterum librorum scriptura adjuvat » ; p. 84, « Non expetunt. Melius alii forte, non expectant » ; p. 95, « Hic porro cum Radero vocem impur expungendam putavi quam et alii multi non agnoscunt » ; p. 96, « ... inde viri docti suspicati sunt non populantium, ut multis placuit, sed postulantium esse legendum quippe, inquiunt, quod... » ; p. 98, « Nos hanc lectionem cum Freinshemio, si non veram, certe verae proximam arbitramur » ; p. 104, « Merito censuit Freinshemius non nobiles viros, sed nobilium virorum legendum esse. Nam et... ».
24 « ... lectionem, quae aliis placuit, ita repraesentavimus, ut liberam cuique optionem relinquamus. »
25 « Fumus ingens. Simili ferme stratagemate captam a christianis Jerosolymam referunt belli Sacri scriptores ; cum Godefridus Bullionius ignem [...] coniici iussisset. »
26 Voir récemment : W. Ayres-Bennett et P. Caron, Les Remarques de l’Académie française sur le QuinteCurce de Vaugelas, 1719-1720, Paris, Presses de l’ENS, 1996.
27 « Puteos. Interpres Gallicus appellavit des mantelets, crates, des gabions, opinor quia nullum erat nostrae linguae vocabulum quod propius accederet... », cf. Vaugelas, p. 166.
28 Locus in quo arma ceteraque ad bellicum apparatum spectantia reconduntur, un arsenac. Sed Gallicus Interpres vertit la garde-robe quod... Voir aussi p. 246, « Sustinuit. Il eut bien le courage de etc », cf. Vaugelas, p. 223 ; p. 275, « Sesama. Gallicus Interpres reddidit Sesame », cf. Vaugelas, p. 25 5 ; p. 276, « Siderum [...] Nam quod Gallicus Interpres sic explicat quasi has nebulas vend excitent, hoc nescio quam verum sit... », cf. Vaugelas p. 256, avec cette remarque de l’Académie française : « Qu’à cause que ces vents excitent des vapeurs ». On n’entend pas bien tout cet endroit... ; p. 281, « Velamentis [...] quod Gallicum Interpretem fugerat, cum ita transtulit quasi scriptum esset a Curtio aut supplicum lamentis precibusque etc. », voir Vaugelas p. 261. Et encore p. 86, cf. Vaugelas, p. 73 ou encore p. 387.
29 Voir aussi VIII, 12, 8 « discedere in cornua »>« Utrimque abire ad phalangis cornua » ; X, 5, 26 « juste aestimantibus regem liquet, bona naturae ejus fuisse »> « Qui recto judicio Alexandrum considérant, agnoscunt eximias ejus dotes ab indole ipsius ortas fuisse ».
30 « Prior numerus paginam, alter vero, vel alii ad proximam usque lineolam, paginae lineam vel lineas significant. Astericus* passim interjectus indicat eo loco vim vocis, aut subjectam rei vocem explicari. »
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