L’image de Charlemagne dans la Correspondance d’Alcuin
p. 137-167
Texte intégral
1L’établissement de la monarchie carolingienne en 751, l’ascension des Francs, l’élévation de Charlemagne à la dignité impériale servent de toile de fond à la correspondance d’Alcuin, clerc originaire de Northumbrie, qui, dans ce monde qui se pensait comme « Rome d’or renouvelée et renée »1, a été le principal artisan de la mise en place des fondements d’un status regni.
2C’est dans sa correspondance, riche de plus de trois cents lettres adressées pour la plupart à de hauts dignitaires ecclésiastiques ou laïcs, au nombre desquels se trouvent les rois de Northumbrie et de Mercie et le souverain franc, destinataire direct de 36 missives, que nous étudierons l’image de Charlemagne2 ; nous tâcherons de mettre en évidence, dans une première partie portant sur les caractéristiques de l’éloge, l’élargissement typologique, au sens exégétique du terme, de la figure de Charles ; puis, dans une deuxième partie, nous signalerons combien l’insertion de la célébration dans une correspondance qui annonce le genre littéraire du Miroir pose le problème de l’élaboration d’un portrait du souverain chrétien idéal, avant de montrer, dans une troisième et dernière partie, comment l’on passe dans ces lettres d’une célébration à une admonition du souverain.
CARACTÉRISTIQUES DE L’ÉLOGE
LES QUALITÉS D’UN SOUVERAIN
3Les lettres d’Alcuin à Charlemagne présentent des éléments d’un basilikos logos de plus en plus marqué au fur et à mesure que le souverain franc se rapproche du couronnement impérial. La révérence et l’admiration de l’épistolier s’expriment dans des missives adressées directement à Charles ou dans des lettres envoyées à des tiers. Une première lecture permet d’opérer un relevé de concepts renvoyant aux qualités ou vertus qui structurent, d’après Alcuin, la personnalité de Charlemagne et qui alimentent le topos des « actions », dans la mesure où ils signalent les aretai propres au discours encomiastique.
4Qualités : aequitas ; auctoritas (prudentissima) ; benignitas ; deuotio ; eloquentia ;fides ; humilitas (religiosissima) ; iustitia ; misericordia ; nobilitas ; pietas ; potentia (amabilis) ; ratio ; sapientia (affluentissima ; mirabilis) ; scientia (acutissima) ; sensus ; sollertia (sanctissima) ; sollicitudo ; ueritas
5Qualification adjectivale : beatissimus ; christianissimus ; christus (Domini) ; desiderabilis ; desiderantissimus ; deuotissimus ; dignissimus ; dilectissimus ; dulcissimus ; electus (a Deo) ; excellentissimus ; gloriosus ; honohono-randus ; inuictus ; laudabilis ; magnifiais ; maximus ; nobilissimus ; optimus ; pacifiais ; piissimus ; praestantissimus ; sagacissimus ; sanctus ; serenissimus ; uenerabilis ; uictoriosissimus
6Qualification fonctionnelle (noms communs) : amator (ueritatis et salutis multorum) ; decus (imperii) ; defiensor (ecclesiae/ecclesiarum) ; doctor ; dux ; imperator ; pater patriae ; praeceptor (in Christo) ; rector (ecclesiarum) ; rex ; triumphator ; tutor (ecclesiae) ; uictor
7Qualification fonctionnelle (noms propres) : Augustus ; David ; Salomon
8Les qualifications adjectivales et fonctionnelles s’insèrent dans une rhétorique épidictique qui repose sur l’hyperbole, comme en témoignent les formes superlatives (adjectifs, adverbes au superlatif absolu, en particulier adverbes comme maxime, verbes à préfixe prae – comme praecellere ou praeferre –), les expressions de la totalité (recours à omnis), les adverbes marquant la plénitude (abundanter).
9La fréquence de l’emploi du champ sémantique de l’admiration (dont mirabilis est le parfait exemple) associé à celui de la singularité de l’objet loué (specialis, incomparabiliter), souvent corroboré par le recours au déictique ecce pour attirer l’attention sur l’élément singulier, et confirmé par l’abaissement de l’encomiographe3 proportionnel à l’élévation de l’objet loué, inscrit donc certains passages de ces lettres, par les topoi et les formules employés, dans le genre de l’éloge.
10On pourrait même considérer que le schéma fondamental de la lettre 171, exemple qui n’est pas isolé, qui mentionne sous forme d’ablatif absolu les hauts faits du souverain soucieux de l’orthodoxie et célèbre par les verbes praelatus et praecellis l’exaltation personnelle de Charles avant de brosser un tableau de la situation des sujets du souverain sous forme d’acclamation (felix populus qui tali principe gaudet) rappelle la grille de composition d’un basilikos logos4. La particularité de cette écriture, enfin, qui oscille entre la prose d’art rimée et rythmée et un énoncé formellement plus proche de la poésie, quitte à suspendre l’une pour introduire l’autre au sein d’une même missive, comme le montrent les lettres 171 et 1725, pourrait être également lue comme un élément inhérent au genre de l’éloge.
11Toutefois la stylisation obtenue, dont l’adresse de l’epistula 155 – omni uirtutum genere nobilissimo atque omni sapientiae decore clarissimo – est la manifestation, repose moins sur des réminiscences païennes d’une idéologie royale, que, d’une part, sur la célébration véhiculée par le Panégyrique de Constantin d’Eusèbe, où l’empereur, interprète du Logos, incarne un ensemble de vertus, déjà formulé pour les rois hellénistiques, réinterprété toutefois à la lumière du monothéisme chrétien et, d’autre part, sur la glorification des Pippinides par les papes, comme le montrent les prédicats et titres honorifiques attribués par le pape Constantin Ier à Pépin, le pape Hadrien Ier à Charlemagne ; on peut ainsi relever excellentissimus, gloriosus, inuictus, sanctus. Aux Virtutes regiae de la tradition chrétienne, de Iustitia et de Pietas, Alcuin joint Misericordia et aequitas et les décline dans les passages de célébration.
12Au souverain, Alcuin reconnaît la sagesse, la possession d’un savoir qu’il peut enseigner, y compris aux prédicateurs ecclésiastiques6, la foi, la piété et le souci de l’orthodoxie de la doctrine7, des qualités guerrières enfin, liées à l’expansion de la foi. La lettre 110 de 796, écrite après la victoire sur les Huns, en donne un exemple et montre dans le dernier paragraphe comment les praxeis « actions accomplies » ne sont pas relatées pour elles-mêmes mais interviennent à titre d’indices des vertus constituant ici les rubriques de l’éloge :
Gloire et louange à Dieu le Père et à Notre Seigneur Jésus-Christ, car dans la grâce du Saint Esprit – avec le concours de la sainte foi et de la bonne volonté qui sont les vôtres – Il a étendu le royaume de la chrétienté et la connaissance du vrai Dieu et a détaché nombre de peuples répandus à travers le monde de l’erreur de l’impiété pour les ramener sur le chemin de la vérité. Quelle gloire sera la tienne, roi bienheureux entre tous, au jour de la récompense éternelle, lorsque tous ces peuples, qui grâce à tes bons soins ont été détournés du culte des idoles pour se tourner vers la connaissance du vrai Dieu, te suivront au moment où tu te tiendras devant le tribunal de Notre Seigneur Jésus-Christ pour recevoir ta récompense bienheureuse et que la récompense, la béatitude éternelle, sera augmentée de tous ces peuples. Voici que tu t’es efforcé en montrant une grande dévotion et de bonnes dispositions de propager le nom du Christ, d’attendrir la dureté de l’infortuné peuple saxon en lui conseillant le salut véritable... Toi qui aimes la Vérité et le salut du plus grand nombre, tu as vu le Christ décider de récompenser ta bonne volonté en t’octroyant une gloire et une louange plus grandes. Les nations et les populations des Huns, que leur férocité et leur courage rendaient depuis longtemps redoutables, le Christ les a soumis à ton sceptre qui luttait pour Son honneur. Par un effet de Sa grâce, Il a courbé sous le joug de la foi sacrée leurs nuques longtemps si raides et dans leurs esprits aveuglés depuis bien longtemps il a répandu la lumière de la vérité.8
13La lettre 171, de 799, adressée à Charles lui-même, appelé omni sapientiae decore praefulgido, dresse le catalogue de ses qualités :
À David, roi béni et nimbé de l’éclat d’une sagesse accomplie, Flaccus Albinus adresse son salut dans le Christ.
Bien que j’aie récemment adressé deux lettres à votre clémence – l’une pour remplir son rôle de salutation, l’autre pour exercer un droit de réponse – comme j’ai reçu une lettre de votre béatitude, il convient que je réponde. Et c’est avec respect que j’ai reçu cette lettre pleine de lumière, de recherche de science et de vérité ; et tout en rendant force action de grâces, j’ai béni Dieu qui emplit de la puissance de la foi et de la maîtrise de la raison le cœur de votre béatitude, si bien qu’en votre cœur l’on voit resplendir – prérogative sacerdotale - la volonté de dispenser la doctrine en même temps que la puissance de la piété royale : c’est ainsi que la foi catholique, qui se doit d’être une et identique chez tous, par votre très sainte sollicitude, une fois les erreurs schismatiques engourdies du sommeil de la mort, est connue pour être prêchée et lui devoir sa vigueur. Et tu es d’autant plus à la tête du pouvoir impérial que tu devances tous les hommes par la sagesse qui t’est parure et la sainte religion dont tu brûles. Heureux le peuple dont un tel Prince fait la joie, de la prospérité duquel le salut de tous tire son existence, du bonheur duquel le cœur de tous tirera sa joie, comme il est dit : « dans le bonheur du roi est la vie » ; dont le trône chasse l’iniquité [...] car ce qu’autrefois les pères apostoliques ont accompli par les écrits qu’ils avaient adressés aux diverses parties du monde pour affermir la foi catholique, cette tâche, votre très sainte sollicitude ne cesse de l’accomplir. Célébrons le don admirable et tout particulier que te fit Dieu dans Son amour, don qui te voit à l’intérieur purifier et protéger les églises du Christ des doctrines d’hommes sans foi avec un zèle égal à celui que tu montres à l’extérieur dans la défense contre les ravages des païens. C’est de ces deux glaives que la puissance divine arma la droite et la gauche de votre vénérable excellence. C’est à eux que tu dois d’être un vainqueur digne d’éloge et un triomphateur glorieux. Voilà pourquoi tu as voulu faire appel au zèle de mon humble personne pour mener une lutte intérieure. Et c’est bien volontiers que je me suis livré à un combat difficile, comme on pourra le voir dans le petit ouvrage que je viens d’adresser à votre piété.9
14Dans sa lettre 308 de 801-804, envoyée en réponse à Charles qui l’a interrogé sur une hymne après la Cène, Alcuin ouvre son texte en célébrant l’étendue des compétences royales :
Par la grâce du Christ Dieu, Roi des Rois, au roi Charles, empereur à jamais, Auguste, très Bon, Très Grand, l’humble et pauvre Alcuin adresse pour toujours une salutation lui souhaitant la gloire céleste. Nous avons parcouru en détail la lettre de votre admirable sagesse et nous y avons trouvé l’éclat resplendissant de l’éloquence, la subtilité que lui donne la profondeur du raisonnement et le charme que lui apportent vos interrogations. D’où l’on pourra aisément comprendre que le pouvoir impérial de votre sagesse vous a été conféré par Dieu, non seulement pour diriger le monde mais surtout pour défendre l’Eglise et faire montre de votre sagesse ; et pour dégrossir, grâce à votre très sainte habileté, l’esprit des jeunes gens qu’engourdit une paresse honteuse et les amener à montrer une intelligence pénétrante. Car au-delà des soucis de l’Empire et de l’État, vous nous demandez
[...] d’éclaircir des questions sur les évangiles. Ce qui me pousse à comprendre que je trouve même plus d’enseignement dans vos questions que votre grande sagesse ne saurait en trouver dans ma réponse. Car poser de sages questions, c’est enseigner.10
15Nous avons là un écho des exclamations de la préface du De rhetorica et uirtutibus :
Dieu, mon seigneur le roi Charles, t’a illuminé de la pleine lumière de la sagesse et t’a fait parure de l’éclat du savoir, afin de te permettre non seulement de suivre promptement l’esprit de tes maîtres mais encore de les devancer en bien des domaines par ta rapidité ; l’éclat de mon pauvre esprit a beau ne rien pouvoir ajouter à la lumière étincelante de ta sagesse, par crainte de me voir accusé de désobéissance, je me hâte de répondre à tes questions.11
16Alcuin aime à préciser que la sagesse de Charles trouve à s’employer dans des domaines qui débordent la simple sphère strictement polipolitique ; il est celui qui pose des questions d’ordre théologique et met un soin tout particulier à superviser les traités dogmatiques, à l’exemple de ceux que rédige Alcuin pour réfuter les arguments hérétiques des adoptianistes dont Félix d’Urgel est le chef de file : la lettre 172, datée de 799, mentionne en ces termes le fait que Charles, non content d’avoir lu le traité, l’ait renvoyé pour correction à son auteur :
Au seigneur roi très pieux et très puissant, à David.
Nous rendons grâces à votre vénérable piété d’avoir fait porter à la connaissance de votre sagesse le petit ouvrage que nous vous avons envoyé, conformément à l’ordre que vous nous aviez enjoint, d’avoir donné l’ordre de noter les erreurs qu’il comportait et de nous l’avoir retourné pour correction. Il aurait toutefois pu être corrigé par vos soins, car, quelle que soit l’uvre concernée, c’est le jugement d’autrui qui a du poids et de la sagesse, bien plus que celui de l’auteur lui-même. Et pourtant vous l’avez fait moins que ne l’eût exigé le plein exercice du devoir de charité : les avis qui n’avaient pas été convenablement émis ou qui n’avaient pas été rédigés conformément à la foi catholique, vous avez, dans l’un et l’autre cas, refusé de les signaler. Si bien que je soupçonne quelque peu qu’il ne faille lire entre les lignes de votre sage missive que ce qu’on vous a lu n’a point reçu votre approbation pleine et entière. Vous avez donné l’ordre d’envoyer à votre excellence des défenseurs pour cette même œuvre, alors que les écrits de mon humble personne ne sauraient avoir de meilleur défenseur ou meilleur correcteur que vous-même. Car le poids de celui qui commande doit défendre le zèle de celui qui obéit.12
17La lettre s’achève sur la célébration de la sagesse royale, à même de professer :
Que votre autorité instruise les jeunes gens du palais, afin qu’ils sachent à merveille porter tout ce que votre sagesse, dans sa si limpide éloquence, aura dicté, afin que partout la lettre du roi montre la noblesse de la sagesse royale.
Puisse fleurir en toi le don divin de la sagesse
Afin que perdurent pour toi louange, honneur, empire.
Tout ce que tu contiens, ma lettre, de salutations saintes,
Donne-les au doux David, mon amour.13
18Le travail d’écriture d’Alcuin se signale cependant par l’emploi qu’il fait du thème de la lumière pour nourrir la célébration. Or, la place de la lumière, comme nous l’avons démontré ailleurs14, témoigne moins d’une utilisation d’une topique banale que de la particularité du style et de la pensée d’Alcuin, auteur élevé dans un monde marqué par le goût irlandais pour ce thème, et profondément imprégné de lectures scripturaires ; les textes vétéro-testamentaires lui fournissent deux significations du mot lumière pris comme image fonctionnelle du divin, d’une part, et lumière sapientielle, d’autre part. Du Nouveau Testament, Alcuin relève notamment Jean 8, 12 et certains versets des Synoptiques15 Des différentes lectures théologiques du thème16, Alcuin exploite celle qui lui permet de définir le saint et le Christ. Reprenant la théologie de la lumière d’Augustin, selon laquelle la lumière dit Dieu dont le Verbe illumine le monde et selon laquelle le chrétien est à son tour porteur de lumière, Alcuin construit à l’imitation du Christ les figures saintes et en même temps manifeste la Présence permanente du Christ en chacune d’elles. Or la lumière nourrit aussi chez lui une réflexion idéologique sur la spécificité de l’auctoritas et de la potestas. C’est au vocabulaire de la lumière que recourt Alcuin pour définir dans sa correspondance les devoirs des religieux, en particulier la tâche de l’évêque17.
19Or ce champ sémantique réservé à la qualification qualitative et fonctionnelle des saints et des ecclésiastiques est également repérable dans la présentation des Francs et de leurs chefs, qu’il s’agisse des Pippinides promoteurs de l’évangélisation dans l’œuvre hagiographique ou de Charlemagne dans la correspondance. La célébration de Charlemagne permet donc de noter une récurrence de termes appartenant au même vocabulaire :
LUMIÈRE ET ÉLOGE
Verbe | Noms | Adjectifs |
claritas | clarissimus | |
flammiuomus | ||
gloria | gloriosus | |
lumen | lucidissimus | |
nitor | praefulgidus | |
splendescere | scintilla | splendidus |
20Dans un univers où, si l’Eglise et l’État ne sauraient être séparés l’un de l’autre, la dualité de la potestas est cependant une donnée acceptée par Alcuin18, Charlemagne, détenteur de la potestas royale, est donc célébré grâce au vocabulaire de la lumière. Comme le montre la lettre 143, associant lumière sapientielle et fonction de rector et defensor ecclesiae, la rhétorique épidictique se fait ici véhicule d’une conception de la potestas regalis et sacerdotalis19. Dans l’éloge, rois et évêques se rejoignent : à vertus identiques, devoirs identiques.
UNE CÉLÉBRATION MANIFESTÉE PAR UNE INTITULATIO PROGRESSIVEMENT IMPÉRIALE
21On peut cependant s’interroger sur l’intitulatio que recouvrent les en-têtes des lettres et son évolution au fil du parcours historique de Charlemagne, en marche vers la dignité impériale : à lire l’ouverture de la lettre 249 de 801/802, simple exemple pris parmi bien d’autres, on est en droit de se demander si l’intitulatio, progressivement impériale, et, par conséquent, l’éloge progressivement impérial, ne cherchent pas à rivaliser avec l’éloge de l’empereur byzantin :
Au seigneur très excellent, digne de tout honneur, Charles, roi, empereur, Auguste, victorieux, très grand, très bon et sérénissime, l’humble Alcuin donne, dans le Seigneur Jésus-Christ, son salut de prospérité pour l’heure présente et de béatitude pour le monde à venir.20
22Or les circonstances d’apparition du prédicat David semblent aller en ce sens : l’appellation donnée à Constantin IV par le pape Léon II de « nouveau David » l’avait été à un basileus promoteur du VIe concile œcuménique. Au moment de la crise iconoclaste, le pape confère le prédicat à Pépin. Et si le pape Hadrien ne l’emploie plus pour qualifier Charlemagne, l’entourage royal, en revanche, l’applique à Charles. Le tournant semble bien être le Concile de Francfort de 794 qui crée les conditions historiques de l’identification DavidCharlemagne, comme le montre la lettre 44 d’Alcuin écrite au souverain au lendemain du concile, et, bien sûr, le couronnement impérial.
23Toutefois, si l’éloge renvoie sur ce plan aux prédicats impériaux byzantins et sert alors à renforcer une légitimité du souverain franc, l’appellation David fait plus que répondre à l’éloge byzantin et contribue à un élargissement de l’éloge et de la personne en conférant à la célébration une tonalité typologique.
VERS UNE CÉLÉBRATION TYPOLOGIQUE : POUR UN ÉLARGISSEMENT DE LA PERSONNE ROYALE
24Si l’on excepte la typologie qui met en relation dans la lettre 145 Alcuin et Virgile, Charles et Auguste21 on note qu’Alcuin use abondamment du surnom porté par le souverain dans le cercle des lettrés de l’Académie palatine. Charles est David22.
25L’appellation n’a de prime abord rien d’original, ni pour le versant byzantin, ni pour l’Occident où, depuis les Mérovingiens, les penseurs associent volontiers David à la personne du roi. Il en est ainsi de Charibert, nommé David dans un poème de Venance Fortunat23, de Clotaire II, comparé à David lors du concile de Clichy (626-627). Les Pippinides, eux-aussi, se voient attribuer l’appellation de nouveau David ; en témoignent par exemple les propos du pape Etienne II qui voit en Pépin un nouveau David et un nouveau Moïse24.
26Il est toutefois remarquable que la célébration de Charlemagne David repose chez Alcuin sur un double élargissement : l’appellation David englobe d’abord manifestement ce que recouvrait pour les Mérovingiens celle de Salomon, associé à Charibert par Venance Fortunat pour sa justice et sa sagesse, alors que de David, il ne mettait en évidence que la douceur et la patientia25. Salomon n’intervient, en effet, que dans quelques lettres, comme la lettre 309 de 801-804, adressée à une jeune noble, et la lettre 143. Si Charles y est appelé Salomon, c’est moins pour donner à l’auteur un support à la laudatio impériale que pour faire de la reine d’Éthiopie venue le rencontrer une préfigure de la destinatrice de la lettre :
L’explication de ce nombre, et d’autres encore, notre très sage empereur saurait aisément l’exposer à ta sagacité. Il faut admirer la noblesse de son esprit. Au beau milieu des soucis du palais, des occupations du règne, il a à cœur de connaître les mystères et les arcanes de la philosophie, chose qu’un autre, qui n’a que cela à faire, a toutes les peines à apprendre. Quel besoin as-tu de nous interroger sur la marche du monde ou sur les lois cachées de la nature, quand chaque jour tu as accès à son illustre sagesse et quand tu vois chaque jour sa vénérable personne. Tu n’as pas à venir d’Éthiopie, au prix d’un long et fastidieux voyage, pour te rendre à Jérusalem et voir Salomon débattre de la nature des choses. Voici qu’il est tout à côté de toi, celui que la reine alla trouver en surmontant de si grandes difficultés. À toi d’entonner plutôt avec elle l’éloge célèbre : « Bienheureux tes hommes et bienheureux tes serviteurs, eux qui se tiennent constamment devant toi et écoutent ta sagesse. Béni soit le Seigneur ton Dieu auquel tu as plu, et qui t’a placé sur le trône de son peuple, et cela parce que le Seigneur aime son peuple à jamais. »
Filles de Jérusalem, voyez notre Salomon, dans l’éclat du diadème de sa sagesse, imitez la grande noblesse de ses mœurs, détournez-vous des vices, cultivez les vertus. De grandes tâches vous attendent si vous refusez de mentir : la nécessité de vivre du mieux possible, vivant chaque jour auprès de lui qui vous sert d’exemple d’honnêteté parfaite, afin de mériter, grâce à la grande sainteté des moeurs de cet homme aujourd’hui, de parvenir avec lui en présence de Celui à propos duquel la Sagesse elle-même livre cette prophétie : « Le roi Salomon s’est fait un pavillon avec des bois du Liban ; ses colonnes, il les a faites d’argent, son plafond d’or. »26
27Ensuite, le traitement que réserve Alcuin à la figure de David est fondamentalement typologique, c’est-à-dire d’ordre exégétique, par un mouvement qui le porte à transformer en mode d’écriture ce qui est à l’origine un mode de pensée biblique : l’éloge de Charles-David fait donc en termes exégétiques techniques de David le type dont Charles devient l’antitype. Le souverain est donc moins un nouveau David qu’une récapitulation et un accomplissement de la figure davidique.
28Car si, stylistiquement, nous trouvons bien l’énoncé d’une comparaison, dans la lettre 249 de 801/802 par exemple, sous la forme du parallélisme synthétique sicut... ita :
Nous lisons que David, l’ancêtre du Christ, a été loué pour la grandeur de sa miséricorde et l’équité de ses jugements ; de même, nous savons que votre béatitude est toujours à ces titres-là, grâce au Christ, digne d’éloges et de félicitations27,
29ou encore dans la lettre 177 envoyée à Charles pour lui rappeler de bien traiter le pape Léon III :
De même, c’est grâce à la sainteté du règne de ton homonyme, David, roi très cher à Dieu, que, d’après ce que nous lisons, ses descendants ont conservé le pouvoir royal28,
30on trouve aussi, lors de l’évocation de l’adoptianisme repoussé par Charlemagne, la lettre 41 de 794-795 qui célèbre le souverain auquel elle s’adresse en opérant une réinterprétation de l’Économie du salut, puisqu’elle insère le Dieu incarné entre le règne du David de la Bible et celui de l’histoire franque : usant des accents du Psalmiste, Alcuin métamorphose la valeur épique du rapprochement mettant en relation roi guerrier et souverain franc terribilis undique gentibus [..] paganis – rapprochement auquel se prêtaient bien l’époque et le parcours de Charlemagne, ainsi que l’histoire de son peuple – et fait de Charles un rector et doctor.
Il nous apprit la pureté et la sainteté des interrogations qui étaient les vôtres dans l’étude de la vérité de la foi catholique et affirma, en proférant des paroles toutes de vérité, que votre prudence suivait toujours la voie royale. Heureuse la nation qui a pour Dieu le Seigneur. Et heureux le peuple qui trouve son exaltation dans un tel chef et son rempart dans un tel prédicateur. Car et le glaive du pouvoir triomphal, sa main le brandit, et la trompette de la prédication adressée à tous les hommes, sa bouche la fait retentir. C’est ainsi que jadis le roi David du peuple d’Israël qui nous a précédé, roi élu de Dieu et cher à Dieu, psalmiste de renom, soumit à son glaive victorieux en tout lieu les nations et s’illustra parmi les siens comme un excellent prédicateur de la loi divine. C’est de ses fils à la noblesse choisie que pour le salut du monde, naquit de la branche une fleur, lis de la plaine et des vallées, le Christ, qui tout récemment accorda à son peuple, pour chef et Docteur, un roi David au pouvoir, à la vertu et à la foi identiques. C est a l’ombre de ce roi que le peuple chrétien se repose en même temps qu’il se dresse, terrible pour toutes les nations païennes. C est la dévotion de ce roi qui ne cesse de protéger, en recourant au rempart solide de l’évangile, la foi catholique de l’hérésie de croyances dévoyées, portée par la crainte de voir quelque croyance nouvelle, non conforme à l’enseignement des apôtres, venir subrepticement et secrètement au jour quelque part, et la volonté de voir partout briller de la lumière de la grâce céleste la foi catholique.29
31Qui plus est, la formulation de l’éloge donne parfois au souverain une dimension christique : dans cette lettre III, envoyée au trésorier Megenfrid, conseiller du souverain, Alcuin identifie le Maître de la moisson, figure évangélique du Christ, avec Charles :
Je t ai écrit cher et venerable ami, afin que ceux qui désirent recevoir de ta personne un conseil profitent de tes admonitions. Tout cela, mon cher David le sait à merveille, lui qui a reçu de Dieu sagesse et disposition bonne, pour convertir les foules à l’amour de Dieu et à sa louange. Lui qui peut compter sur la vertu et la puissance pour bien agir, à une exception près, par suite des périls que connaissent les temps qui sont les nôtres : le nombre d’aides dont il dispose pour l’œuvre du Seigneur, trop faible par rapport aux besoins. Et pourtant nul au monde n’a de meilleurs aides que lui, c’est du moins mon avis. À lui de leur donner un enseignement, de les admonester, les instruire conformément à la sagesse que Dieu lui donna. Et toi, très fidèle gardien de ses richesses, confident de ses projets, aide dévoué, exécute vaillamment ses volontés. Sois doux dans tes avis, plein de zèle à la tâche. Artisan de paix au palais, prudent dans les ambasambassades; pieux envers les pauvres et les malheureux, juste dans tes jugements, généreux dans tes aumônes, afin de mériter, après les richesses que tu auras connues ici-bas, les richesses éternelles que le Christ te donnera au ciel.
L’amour que je porte à mon cher David et la sollicitude que j’ai pour le salut du plus grand nombre me pousse à te donner encore des conseils que je sais utiles devant Dieu et honnêtes devant les hommes. Et je te le dis, mon très cher ami : la moisson est abondante parmi le peuple chrétien mais on manque en certains endroits de moissonneurs. Toi, demande au maître de la moisson, je veux dire à mon cher David, d’envoyer des ouvriers pour sa moisson, afin qu’il leur dise, comme son protecteur, le Christ Dieu qu’il aime d’un amour exclusif, le déclara à ses disciples : « Allez, voici que je vous envoie. » Il est le Maître de la Vigne, qu’il envoie des ouvriers pour sa vigne et dise : « Allez, vous aussi, dans ma vigne, et vous recevrez pour le travail fourni dans ma vigne un juste salaire. »30
32Mais c’est surtout en déplaçant du Christ à Charlemagne le titre de Sponsus ecclesiae qu’Alcuin célèbre en la personne du souverain la fusion du rex et du sacerdos : dans la lettre 148 de 798 qu’il lui adresse, Alcuin revient sur l’hérésie adoptianiste et enjoint à Charlemagne de veiller a l’orthodoxie de la foi. Ce souverain en qui il releve un souci constant de la loi divine et de la science des hommes :
Béni soit le Seigneur Dieu pour Ses dons, lui qui t’a accordé une science très sûre de la loi divine et une connaissance fort appréciable du monde. C’est à l’amour ineffable de Dieu que tous nous devons, de tout notre être, rendre sans cesse grâces, pour nous avoir fait don d’un tel maître et d’un tel chef. Et nos prières doivent sans cesse demander à Sa très sainte puissance de daigner longtemps te conserver à nous, dans la prospérité et le salut, David très aimé31
33devient le nouvel Époux d’une Église que les Commentaires exégétiques carolingiens du Cantique des cantiques, au premier rang desquels celui d’Alcuin lui-même, définissaient jusque-là comme Sponsa du Christ32. Alcuin s’exclame en effet :
Moi seul ne puis suffire à répondre. À ta sainte piété de trouver pour cette tâche si difficile et nécessaire des aides de taille, afin que cette hérésie impie soit totalement éteinte, avant qu’elle ne se répande plus largement dans le monde de l’Empire chrétien dont l’amour divin a confié à tes fils et à toi-même la direction et le gouvernement. Lève-toi, homme élu de Dieu, lève-toi, fils de Dieu, lève-toi, soldat du Christ, défends l’épouse du Seigneur ton Dieu. Songe à ton épouse. Tiens vaillamment pour celle dont tu as reçue de ton Dieu la direction et la sauvegarde, afin que le pouvoir séculier te serve à gagner les richesses de la gloire spirituelle.33
34Cette lettre offre un indice supplémentaire d’une lecture typologique christique en présentant le souverain comme le gubernator de l’empire chrétien. Or le terme, à l’époque d’Alcuin, désigne généralement le Christ avant que les évêques ne prennent au cours du ixe siècle le titre de gubernatores. C’est dire qu’il y a là deux déplacements, l’un donnant une dimension christique au souverain, l’autre identifiant Empire et Eglise, puisque c’est l’Empire qui est mentionné comme nauis que l’on confie à Charles34. Il convient de noter que la célébration christique intervient notamment en période de remise en cause du dogme trinitaire, lors de la crise adoptianiste, ce qui n’est pas fortuit35.
CHARLEMAGNE SOUVERAIN CHRÉTIEN IDÉAL
UNE CORRESPONDANCE-MIROIR
35Dans une grande partie des lettres adressées à des potentes figure la mention de la valeur de ces missives : elles sont autant de traités d’exhortation et doivent être lues et relues par leurs destinataires. Si la plupart d’entre elles ne concernent que les correspondants, comme cette lettre 108 de 796 adressée à Earduulf, nouveau roi de Northumbrie :
En souvenir de l’amitié qui nous unit de longue date, dans la grande joie que me procure votre vénérable salutation, c’est dans une humble lettre que j’ai tâché d’admonester votre personne digne d’éloges à propos de la prospérité du royaume qui t’a été conféré par Dieu, du salut de ton âme, sur la façon de garder stable la charge qui t’a été confiée par la grâce de Dieu. Tu sais parfaitement de quels dangers la divine miséricorde t’a délivré et la facilité avec laquelle elle a voulu te mener au trône. Garde toujours le souvenir et la reconnaissance des dons si grands que Dieu te fit ; notamment, en faisant de ton mieux sa volonté de tout ton coeur et en obéissant aux serviteurs de Dieu chargés de t’admonester à propos de ses commandements ; tiens-le pour sûr et certain, nul autre ne saurait préserver ton existence, à l’exception de Celui qui t’a délivré de la mort ici-bas, ni te protéger et te garder, à l’exception de Celui qui t’a concédé cette dignité dans Son amour qui est sans contrepartie. Aie soin de garder en ton esprit la miséricorde et la justice, car, comme le dit Salomon, comme, surtout, Dieu le veut bien, ce sont la miséricorde et la justice qui consolideront le trône royal. Éduque-toi pour commencer à la bonté et à la tempérance parfaites puis éduque le peuple à la tête duquel tu es placé à la modération parfaite, sur le plan du mode de vie et de l’habillement, à la vérité parfaite, dans la foi et les jugements, à l’observance des commandements de Dieu et à l’honnêteté de mœurs. Car c’est ainsi que tu conforteras ton royaume, sauveras ton peuple et le délivreras de la colère de Dieu, qui longtemps pesa sur lui comme en témoignent des signes manifestes. Toi, qui, à ce que je crois, as été préservé pour des temps meilleurs et as été gardé pour corriger ta patrie, travaille de toutes tes forces, avec l’appui de la Grâce Divine, dans la volonté de Dieu, au salut de ton âme et à la prospérité de la patrie et du peuple qui t’ont été confiés, afin que la correction des sujets permette au règne présent, celui de ta personne, celui de tes enfants, d’être heureusement consolidé et te permette de recevoir pour l’éternité la gloire du royaume à venir. Puissiez-vous, de grâce, conserver par-devers vous cette humble missive et la lire très souvent en souvenir de votre salut et de notre affection, afin que Dieu tout-puissant daigne te conserver longtemps dans la gloire de ton règne et dans la maîtrise progressive de toute vertu, pour le profit de sa sainte Église et pour la prospérité de notre nation36,
36il est, en revanche, une lettre, adressée au roi Ethelred et à ses grands qui s’interrompt brusquement pour laisser place à ce commentaire de l’auteur :
Ce n’est pas vous seulement, gens illustres, fils très chers, que j’admoneste par mon humble lettre. Tous les Princes aussi de cette nation choisie, les dignitaires quels qu’ils soient, dignitaires de rang ecclésiastique, dirigeants du pouvoir séculier, dans un élan commun de charité, en disciple dévoué à votre affection, je les prie d’obéir avec le plus grand soin aux préceptes de Dieu, d’être soumis aux gens qui prêchent votre salut. À eux, aux prêtres j’entends, de ne point passer sous silence la parole de Dieu. À vous, Princes, de lui obéir avec humilité et de l’accomplir avec soin. C’est le propre du roi d’écraser toutes les injustices par la puissance de sa piété, d’être juste dans ses jugements, enclin à la miséricorde, en vertu du principe qui veut qu’à celui qui aura fait grâce à ses sujets, Dieu fera grâce, sobre dans ses moeurs, sincère dans ses propos, généreux dans ses dons, prévoyant dans ses avis, d’avoir pour conseillers des gens prudents, craignant Dieu, ayant l’honnêteté de leurs moeurs pour toute parure. Il lui faut ne pas être avide du bien d’autrui, ne pas être avare, ne pas s’emporter violemment comme le dit l’Apôtre : « Ni les voleurs, ni les avares, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu. » Or, nombreux sont ceux qui brûlent d’amasser des biens à la faveur de rapines ou d’injustices. Et ils ignorent que leur avarice impie leur vaut tout à la fois de perdre sur-le-champ leurs biens terrestres et de ne jamais pouvoir posséder les biens célestes. Et souvent les rapines leur font perdre leurs propres biens, car Dieu entend la plainte des opprimés. Nous lisons aussi que la bonté des rois est la prospérité du peuple tout entier, la victoire de l’armée, la tiédeur de l’air, la fécondité de la terre, la bénédiction des fils, la santé du peuple. C’est une grande chose de diriger une nation tout entière. Car c’est de diriger que vient le mot roi ; qui dirige bien le peuple de sujets qui lui a été donné reçoit de Dieu une rétribution de taille, le royaume des cieux. Oui, il règne heureusement sur terre, celui qui gagnera, par le royaume terrestre, le royaume céleste. Il doit d’autant plus s’adonner aux prières, aux veilles de prières pour Dieu qu’il ne doit point supplier Dieu seulement pour lui-même mais aussi pour la prospérité de son peuple tout entier. De même, que les Princes et les juges du peuple montrent, en étant à la tête du peuple, justice et piété. Pour les veuves, les orphelins, les malheureux, qu’ils soient comme des pères car l’équité des Princes est l’exaltation du peuple. Qu’ils soient des défenseurs et des protecteurs des Eglises du Christ. Car sur celui qui met tous ses efforts à la violer ou à voler les biens qui lui appartiennent en propre, le Christ Dieu exerce sa vengeance, lui qui est l’Époux de sa sainte Eglise.37
37Ainsi l’éloge de Charlemagne vient-il s’inscrire en des lettres qui se présentent comme autant de traités sur la royauté et les rôles respectifs du roi et de l’évêque ; l’éloge produit alors un écrit qui se situe à la croisée d’une biographie minimale et d’un portrait à valeur exemplaire.
ÉLOGE ET PORTRAIT DU SOUVERAIN CHRÉTIEN IDÉAL
38Alcuin puise aux sources patristiques des données qu’il exploite dans la présentation du souverain franc, en particulier au programme que renferme le chapitre 24 du livre V de la Cité de Dieu d’Augustin qu’il voit actualisé en Charles et qu’il propose de nouveau à titre d’idéal.
39De cet empereur portant le Christ en lui « plus intérieur encore que son for intérieur », comme le signale la lettre 306 envoyée à Charles pour accompagner le texte de la Vita Richarii (801-804)38 il fait un homme de savoir et un prédicateur ; la lettre 257 de 802 qui accompagne le traité de la Trinité porte cette remarque :
J’ai adressé à votre très sainte autorité un traité sur la foi en la trinité sainte et indivisible qui a pris la forme d’un manuel, pour que la louange et la foi en la sagesse divine soient approuvées par le jugement du plus sage des hommes. C’est que je jugeais la sagesse de votre majesté impériale plus digne que quiconque d’un tel présent. Nul autre, à mon sens, n’était plus digne de recevoir un don si excellent, puisqu’il est bien connu qu’il est nécessaire pour le Prince d’un peuple chrétien de tout savoir et de prêcher ce qui plaît à Dieu. Et qu’il ne convient à personne d’autre qu’à l’empereur de connaître de savoirs meilleurs ou plus importants, lui qui par son enseignement peut être utile à tous ses sujets. Non que je pense, empereur invaincu, très sage chef, qu’une parcelle de votre savoir soit étrangère à la foi catholique ou moins complète, mais c’est que je veux remplir le devoir de ma charge, moi que certains appelaient, bien à tort, « maître ».39
40La lettre 110 de 796, quant à elle, considère la dilatatio de la chrétienté comme motif fondamental de gloire (le passage cité ici en traduction ne donne que les extraits absents du texte vu plus haut et dans la note 8) :
Au seigneur très excellent et en tout très dévoué au Christ, Charles, roi de Germanie, de Gaule et d’Italie, et aux saints prédicateurs de la Parole de Dieu, l’humble, très humble fils de la sainte mère Eglise, Alcuin, adresse en Christ son salut de gloire éternelle [...].
Que votre très sage dévotion, chère à Dieu, prévoie de pieux prédicateurs pour ce peuple tout jeune encore, de moeurs honnêtes, formés à la connaissance de la foi sacrée, imprégnés des préceptes de l’Evangile et attentifs aux exemples donnés par les saints apôtres sur la prédication de la Parole de Dieu.40
41C’est en d’autres termes faire de Charlemagne l’incarnation des vertus attendues du felix imperator d’Augustin :
Heureux sont, d’après nous, les Princes s’ils règnent avec justice, si les propos de ceux qui les honorent en les portant aux nues, si les hommages de ceux qui montrent dans leurs salutations une humilité excessive ne les gonflent point d’orgueil et s’ils se souviennent qu’ils sont de simples hommes. S’ils mettent leur puissance au service de la majesté divine pour étendre le plus possible le culte de Dieu. S’ils craignent, aiment et honorent Dieu. Si leur amour va de préférence à ce royaume où ils ne redoutent point d’avoir des pareils. S’ils sont lents à sévir, s’ils ont le pardon facile. S’ils exercent ce même châtiment pour répondre aux nécessités du gouvernement et de la protection de leur état, et non pour satisfaire la haine qu’alimentent les iniinimitiés ; s’ils accordent leur pardon, non pour offrir au crime une impunité mais dans l’espérance de voir le coupable s’amender. S’ils compensent par la douceur de la miséricorde et la générosité des bienfaits octroyés les mesures qu’ils sont contraints de prendre. S’ils montrent d’autant plus de force à freiner la luxure qu’ils pourraient aisément y céder. S’ils préfèrent commander aux plaisirs dépravés qu’à des peuples quels qu’ils soient et s’ils agissent en tout cela non par désir brûlant d’une vaine gloire mais par amour du bonheur éternel. Si, pour leurs péchés, ils n’omettent point d’offrir au vrai Dieu qui est le leur le sacrifice de leur humilité, de leur commisération et de leur prière. Ce sont là les empereurs chrétiens que nous appelons heureux, pour l’heure en espérance, plus tard en réalité, quand sera advenu le Jour que nous attendons.41
42Toutefois, la célébration du souverain chrétien idéal ne va pas sans poser la question des rapports qu’entretiennent célébration et admonition.
DE LA CÉLÉBRATION À L’ADMONITION
DU SOUVERAIN FRANC AU ROI DES ROIS : ÉLOGE DE L’ASSISE DIVINE DE LA POTESTAS
43L’éloge de Charles est à lire en regard de celui que l’épistolier fait de Dieu dispensateur de toute chose, notamment du pouvoir. La lettre 123, de 797, écrite au roi Coenulf, roi de Mercie, recommande à ce dernier d’avoir toujours en mémoire l’assise divine de sa puissance :
La bonté, la modestie et la noblesse morale qui sont les vôtres me sont une grande joie ; c’est ainsi que doit être la dignité de roi : plus l’on surpasse en honneur le reste des hommes, plus l’on se doit de montrer de noblesse par la perfection morale, la justice qui est parure, la sainteté de la piété. Car la clémence du roi doit, comme on le lit dans l’histoire sainte, surpasser le mode de vie des autres hommes ; et l’écriture sainte le dit aussi : « La miséricorde et la vérité exaltent le trône. » Et dans les Psaumes, on dit du Dieu tout-puissant : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité. » Chacun brille d’autant plus par les œuvres de vérité et de miséricorde qu’il a en lui une image plus forte de la divinité. Aie toujours à l’esprit Celui qui t’a relevé de ton dénuement et t’a placé au-dessus des Princes comme chef de son peuple. Reconnais-toi plutôt comme pasteur et dispensateur des dons de Dieu que comme seigneur et exacteur. Aie toujours à l’esprit les excellentes mœurs de ton très noble prédécesseur, la mesure de ses propos, le soin apporté à corriger la vie du peuple chrétien. Tout ce qu’il a mis en place dans le royaume qui t’a été donné par Dieu, que cela ta dévotion le mène à terme avec le plus grand soin ; mais s’il a commis un acte cupide ou cruel, reconnais qu’il te faut absolument te garder d’agir de la sorte. Aie pour conseillers des gens prudents, craignant Dieu, aimant la justice, désireux de la paix entre amis, montrant leur foi et leur sainteté par la piété de leur vie. La nation des Angles, à cause de ses péchés, est épuisée par des tribulations sans nombre. Or, par la vertu des rois, la prédication des prêtres du Christ, la religion du peuple, elle doit être élevée au faîte de l’honneur d’autrefois afin que la descendance bénie de nos pères mérite de posséder la félicité perpétuelle, la stabilité du royaume ici-bas, la force de résister aux ennemis, afin que l’Église du Christ croisse et profite comme prévu par les saints pères. Traite toujours, illustre chef, les prêtres du Christ avec honneur, car plus tu montres de révérence pour les serviteurs du Christ et les prédicateurs de la parole de Dieu, plus le Christ, roi véritable et saint, exalte et renforce ta charge grâce à l’intercession de ses saints. Que l’amour très grand du roi éternel vous donne de régner longtemps dans la prospérité et daigne vous accorder le bonheur du royaume perpétuel, seigneur très aimé.42
44Du Christ, seul vrai Roi, Alcuin fait un éloge indirect dans ce passage de la lettre 18 de 793, qu’il destine au roi Ethelred de Northumbrie et à ses grands :
Songez à Celui qui vous a délivrés de multiples tribulations, au nombre de fois où Sa miséricorde vous évita la mort ici-bas, au nombre de fois où vous avez été arrachés aux mains de l’ennemi. Souvenez-vous de Celui qui vous a octroyé tous les honneurs que vous possédez, vous apporta la prospérité, vous fit don de la guérison, vous mit au-dessus de tous vos ennemis. Pour tous ces bienfaits, ne vous montrez point ingrats, mais, comme ni la grâce de ces bienfaits ne vous vaudra la vie éternelle, ni le bonheur en ce monde ne pourra être éternel pour vous, apprenez avec le plus grand soin à mériter la possession des honneurs célestes, après avoir connu les honneurs terrestres. Tous les charmes de ce monde s’enfuient comme l’ombre volage ; et ne reste plus que la récompense du bien que vous avez fait pour l’amour de Dieu.43
45Les lettres adressées à Charles insistent de même sur l’exercice du pouvoir gratia Dei et mentionnent, en un rappel lancinant, que la dignitas imperialis est a Deo ordinata.
Au glorieux seigneur Charles empereur très auguste et très chrétien, l’humble lévite Alcuin, dans le Seigneur Dieu, adresse son salut de prospérité ici-bas et de béatitude éternelle dans l’au-delà. Étant donné que la dignité impériale établie par Dieu n’a été exaltée que pour être à la tête du peuple et lui être utile, la puissance et la sagesse ont été données par Dieu à ses élus : la puissance pour écraser les superbes et défendre des malhonnêtes les humbles ; la sagesse pour diriger et instruire avec une pieuse sollicitude les sujets. C’est par ces deux dons, saint empereur, que la Grâce divine a puissamment exalté et honoré votre grandeur de manière incomparable, dans les prédécesseurs du même nom et de la même puissance, jetant sur tous les peuples du monde entier la crainte de votre pouvoir, pour qu’ils viennent à vous en sujétion volontaire, eux qu’auparavant une guerre pénible n’avait pu lui soumettre. Que faut-il donc que votre sollicitude, toute dévouée à Dieu, fasse, en temps de sérénité et de paix, où, une fois détaché le ceinturon de la guerre, le peuple tout entier accourt dans la paix à l’énoncé de votre ordre, pour se mettre, attentif, devant le trône de votre gloire ? Que doivent faire tous ceux que votre autorité commande, si ce n’est, s’ils sont dignitaires, discerner ce qui est juste, ordonner ce qui a été pensé, donner de saintes admonestations, afin que chacun s’en retourne joyeux chez lui avec les préceptes du salut perpétuel ?44
46Dans ces textes, Alcuin reprend les propos d’Isidore qui dans les Sententiae (III, 49, 3) mentionnait Deus largitor.
Dieu a donné aux Princes d’être au sommet dans la conduite des peuples, il a voulu les voir à la tête de ces personnes avec lesquelles ils partagent une même condition – la naissance et la mort. Le pouvoir du Prince doit donc être utile aux peuples, et non leur nuire ; Il ne doit pas les opprimer par la domination mais les conseiller avec bienveillance, pour que cette puissance insigne soit vraiment utile et que les Princes emploient le don de Dieu pour protéger les membres du Christ. Les membres du Christ, ce sont les peuples chrétiens que les Princes restituent, en une réciprocité bien comprise, au Dieu qui les leur donna, en les dirigeant au mieux grâce à la puissance qu’ils reçoivent.45
47L’éloge du souverain, en mettant l’accent sur l’institution divine du dirigeant, s’inscrit donc dans une perspective téléologique très nette, en signalant trois caractéristiques du pouvoir : la responsabilité, la finalité qui est le salut du peuple, la nécessité de n’être redevable qu’à Dieu seul.
VALEUR ESCHATOLOGIQUE DE LA CÉLÉBRATION : LE RATIONEM REDDERE
48C’est dire que l’éloge de Charlemagne ne se conçoit que porté par la conviction d’Alcuin d’avoir pour souverain un homme dont la fonction est une charge ou un ministère, exercés au nom de Dieu : la célébration de Charlemagne s’accompagne du rappel obsessionnel de la nécessité du rationem reddere qui confère à la célébration une dimension eschatologique, signalée déjà par le thème de la lumière dont nous avons parlé.
49On doit encore à Isidore de Séville d’avoir insisté en Sententiae III, 51, 6 sur le thème du rationem reddere dont on relève tant d’occurrences dans les lettres d’Alcuin :
Les Princes du monde ici-bas doivent savoir qu’ils ont à rendre compte à Dieu pour l’Église dont Dieu leur confia la protection. Car que la paix et la vie de l’Église soient renforcées ou délitées par les Princes, Dieu exige d’eux des comptes, lui qui a confié son Église à leur puissance.46
50Dans la lettre 136 de 798, après avoir rappelé à Charles d’admonester les prédicateurs, Alcuin ajoute :
... afin qu’au Grand Jour, tu mérites toi aussi d’entendre la parole aimable de Notre Seigneur Jésus-Christ : « C’est bien, serviteur bon et fidèle, sur peu tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie du seigneur ton Dieu. » Et ne pense pas que cela ne doive être entendu là que des seuls prêtres ou clercs. Pense plutôt que cela doit aussi être entendu des laïcs vertueux, et de ceux qui travaillent bien à l’œuvre de Dieu, et surtout de ceux qui ont été placés aux plus hautes dignités du siècle, dont la vie vertueuse, la sainteté de vie, les paroles d’admonestation de salut éternel pourront être prédication pour les sujets. Car chacun devra rendre compte, au Jour du Jugement, de l’argent qu’il a reçu de son Seigneur. Et qui travaille plus, recevra plus de récompense. Voilà pourquoi, très aimé et honorable défenseur et chef des églises du Christ, que le zèle vénérable de ta très sainte sagesse exhorte les uns en les admonestant, corrige les autres en les châtiant, instruise les autres enfin par la discipline de vie. Afin que te faisant tout à tous, tu mérites de recevoir pour tout la récompense perpétuelle, et que tu apparaisses avec une grande foule de peuples, digne de louange, dans la gloire, devant le Seigneur ton Dieu.47
51À Charles, Alcuin écrit ainsi :
Ce n’est pas seulement moi, le dernier des humbles serviteurs de notre Sauveur, qui dois me réjouir de la prospérité et de l’exaltation de votre très illustre puissance. Mais toute la sainte église de Dieu qui devra dans un mouvement unanime de charité rendre grâce au seigneur Dieu tout-puissant. Qui a fait don, en ces derniers temps périlleux que le monde connaît, par un don très clément, au peuple chrétien d’un chef et d’un défenseur si pieux, si prévoyant et si juste. Puisse ce dernier tâcher de toutes ses forces de corriger ses erreurs, de conforter ce qui est droit, de sublimer ce qui est saint. Puisse-t-il se réjouir de répandre le nom du Seigneur Dieu très-haut sur la surface de la terre et s’efforcer d’allumer la lampe de la foi catholique jusqu’aux dernières extrémités du monde. Ce sont là, très doux David, ta gloire, ta louange et ta récompense au jour du jugement du Grand Juge, dans la compagnie perpétuelle des saints : t’efforcer avec le plus grand soin de corriger le peuple que Dieu a confié à votre excellence, tâcher de ramener à la lumière de la vraie foi les âmes longtemps aveuglées par les ténèbres de l’ignorance. Jamais la récompense divine ne fera défaut aux meilleures volontés ou aux bons efforts. Mais plus l’on travaille selon la volonté de Dieu, plus l’on recevra de récompense dans le royaume de Dieu. Les moments de la vie ici-bas s’écoulent rapidement, s’enfuient et ne reviennent point. Mais l’amour ineffable de Dieu a prévu pour le genre humain une peine brève et une récompense éternelle. Voilà pourquoi nous devons accorder du prix aux instants, de peur de perdre par négligence ce que nous pourrons posséder pour toute l’éternité grâce à l’exercice d’une bonne vie. Et nous ne pourrons pas aimer sur terre autant que nous aimons le repos bienheureux au ciel. Qui aspire à l’avoir doit s’efforcer de le mériter par ses bonnes œuvres maintenant. Voilà pourquoi la porte du royaume des deux est ouverte à tous de la même façon, mais l’accès est permis à ceux qui viennent vers elle en toute hâte, avec le fruit au centuple de leur vertu. Il est des points que votre très noble intention n’ignore pas : ce sont ceux par lesquels toutes les pages de l’écriture sainte nous exhortent à l’apprentissage de la sagesse : qu’il n’y a rien de plus élevé pour obtenir la vie bienheureuse, rien de plus agréable pour l’entraînement à une vie meilleure, rien de plus fort contre les vices, rien de plus louable pour toute dignité. Et même si l’on en croit les philosophes, rien n’est plus nécessaire pour diriger le peuple, rien n’est meilleur pour organiser sa vie selon les bonnes moeurs que l’honneur de la sagesse, l’éloge de la discipline, l’efficacité de l’instruction. D’où l’exclamation du très sage Salomon à propos de la louange de ce dernier « la sagesse est meilleure que les biens les plus précieux et rien de ce qui est désirable ne peut lui être comparé ». Voilà ce qui exalte les humbles et honore les puissants. C’est par elle que les rois règnent, que les législateurs décrètent ce qui est juste ; c’est par elle que les Princes commandent, que les puissants décrètent la justice. Bienheureux ceux qui gardent ses chemins, et bienheureux ceux qui montent la garde chaque jour à ses portes.48
52L’élargissement de l’encomiographe – on passe de ego à tota sancta Dei ecclesia – au début de la lettre et l’insistance apportée au rôle du peuple sont le signe que l’éloge véhicule une conception de la potestas d’un genre nouveau.
ÉLOGE D’UN POUVOIR MINISTÉRIEL
53Le pouvoir donné à Charles l’est dans un but bien précis, comme le signale l’emploi de l’accusatif final de la formule in salutem populi dans cet extrait :
Que Dieu le Père tout-puissant illumine par son fils unique Notre Seigneur Jésus-Christ dans l’esprit Paraclet, de toute Sa bénédiction et de toute la sagesse, le cœur de votre béatitude, le comble et le réj ouisse et daigne accorder à votre très noble descendance la prospérité à jamais, pour le salut du peuple chrétien, seigneur très aimé, très grand et très auguste Père de la Patrie.
Puisse fleurir et prospérer en sagesse, vertu et triomphe Le roi David, grand sur terre et de grand honneur.49
54Cette finalité exprimée syntaxiquement par quatenus est bien explicitée par Alcuin dans la lettre 257 de 802, lettre de dédicace du traité sur la Trinité que l’auteur vient de composer :
Tous les fidèles peuvent tirer gloire de votre piété quand la sollicitude de votre clémence a, comme il convient, une force sacerdotale dans la prédication de la parole de Dieu, une connaissance parfaite de la foi catholique, une dévotion très sainte pour le salut de tous. Voilà pourquoi tous les fidèles par leurs prières doivent souhaiter que votre Empire s’étende pour la gloire totale, afin que la foi catholique qui, seule, vivifie le genre humain, qui, seule, sanctifie, soit vraiment fichée dans le coeur de tous par une seule profession de foi, afin que, grâce à l’amour du Roi très-haut, une seule paix sainte et une seule charité parfaite dirigent partout tous les hommes et les gardent tous. Aucun autre présent n’est manifestement plus agréable au Dieu toutpuissant que la concorde de l’amour pour Dieu dans la foi catholique ; que tous soient un dans le Christ, qui est mort pour tous. Tous ceux qui croient en lui sont faits par Lui fils de la béatitude éternelle.
Roi illustre, digne d’un honneur auguste,
Chef, Docteur, honneur de l’Empire.50
55La particularité de ce texte tient à la conception de la royauté qu’il avance : le pouvoir du souverain, don de Dieu, se dit ici en termes presque isidoriens, car l’accent mis sur l’unité de tous dans le Christ, la récurrence d’expressions qui mettent en exergue les adjectifs de totalité (omnis, cuncti, uniuersus) introduisent le thème du corps mystique du Christ et signifient, nous semble-t-il, que le pouvoir de Charlemagne a deux sources, Dieu et le peuple chrétien. Élu de Dieu, le souverain est aussi appelé par la communauté des fidèles ; la cause finale du pouvoir devient le corps mystique des fidèles unis dans le Christ et par Lui. De même que le Christ, dans l’orthodoxie de la foi chrétienne, fermement défendue par Alcuin et Charles en face des attaques adoptianistes, est défini par sa double nature divine et humaine, de même le Prince célébré par Alcuin est délégation divine et participation à l’humanité, et son pouvoir don de Dieu et service fraternel. Dès lors, on peut comprendre que la sanctification du détenteur du pouvoir ne résulte pas uniquement de ses rapports de choix avec Dieu, elle passe par la médiation de la communauté des fidèles. C’est en faisant fructifier le don divin que le souverain exprime essentiellement la nature de son ministère.
56La lettre 261 de 798-803 accompagnant l’envoi d’un codex du Nouveau Testament rappelle :
Voilà pourquoi la très sainte sollicitude de votre piété manifeste sans doute aucun ce que par vous, pour le salut de toute l’église, le Saint Esprit opère ; souhaitons que tous les fidèles fassent de nombreuses prières pour que l’Empire s’étende pour votre gloire pleine et entière et pour qu’il soit, à l’intérieur, cher à tous les fidèles de Dieu et, à l’extérieur, terrible pour tous les adversaires de Son nom très saint.51
57La lettre 136 de 798, quant à elle, insiste sur l’exaltation de l’Église qui ne peut que découler de l’exercice du pouvoir par Charles :
... les sentiments de mon cœur, je les ai offerts en action de grâces au Christ, ppur le roi très clément, afin qu’il daigne conserver, diriger et faire grandir, dans une prospérité durable, votre puissance pacifique et aimable ainsi que le gouvernement d’un empire des plus sacré, pour l’exaltation de Sa sainte Église.52
58C’est là sans doute ce qu’expriment les exclamations de louange où l’auteur se fait psalmiste pour célébrer, non plus le souverain seul53, mais le peuple chrétien tout entier, Église-communauté des fidèles, où l’éloge célèbre dans un Empire unifié politiquement et religieusement la fax, concept essentiel d’un augustinisme politique, en connexion avec les termes de caritas, mitas et concordia. La lettre 171 en est un bon exemple :
Heureux le peuple dont un tel Prince fait la joie, de la prospérité duquel le salut de tous tire son existence, du bonheur duquel le coeur de tous tirera sa joie, comme il est dit : « dans le bonheur du roi est la vie » ; dont le trône chasse l’iniquité, dont le regard redoutable préserve l’équité.54
59La lettre 143 que nous avons déjà citée peut être lue comme l’expression parfaite de ce phénomène : la célébration fonctionne en abîme, le clerc épistolier se place au même niveau que la reine de Saba et contemple le souverain en faisant l’éloge de son Dieu, de ce roi et des serui qui forment l’Église.
Il me reste pour terminer ma lettre à dire en compagnie de la reine de Saba : bienheureux tes hommes et bienheureux tes serviteurs, eux qui se tiennent toujours devant toi et écoutent ta sagesse. Béni soit le Seigneur ton Dieu auquel tu as plu, et qui t’a placé sur le trône d’Israël ; le Seigneur d’Israël t’a choisi à jamais et t’a fait roi, pour rendre jugements et justice.55
60L’image de Charlemagne que l’éloge d’Alcuin contribue à mettre en place dans sa correspondance confère donc à ces lettres de célébration et d’admonition une allure de Miroir des Princes, même si le genre proprement dit n’apparaît que dix ans plus tard. – On peut d’ailleurs voir en l’émergence du genre la raison pour laquelle seules les lettres datant de la venue d’Alcuin auprès du souverain nous ont été conservées et transmises. – Mais il nous semble plutôt que l’obsession grandissante de célébrer la grandeur, non de l’œuvre du souverain mais de sa charge, le souci de célébrer le Christ Roi des rois, et le Père dispensateur du pouvoir dans des propos téléologiques témoignent de la mise en écriture d’un Miroir et d’un éloge qui sont plutôt ceux du clergé : c’est l’Eglise qui se profile au travers de ces lettres et l’image du clerc, qui, peu à peu, prend forme.
Notes de bas de page
1 Voir le vers de Muaduuinus (Modoin, surnommé Nason) : Aurea Roma iterum renouata renascitur orbi.
2 Les lettres d’Alcuin se trouvent dans Monumenta Germaniae Historica, Epistolae IV, Epistolae Karolini Aeui, tomus II, éd. E. Duemmler, Berlin, 1895.
3 Voir la présentation que l’épistolier fait de sa personne en employant des formules comme mea paruitas, humilis matricularius.
4 Voir la présentation de L. Pernot dans Éloges grecs de Rome, La Roue à livres, Les Belles Lettres, 1997, p. 127.
5 Disticon hoc cantet, semper in ore suo :
Augeat, exaltet uestram benedictio uitam
Aeterni regis, Dauid amate Deo. (Voir ep. 171, p. 283, de 799, adressée à Charles.)
6 Voir ep. 136 de 798, p. 208-209 : (Praedicatores ecclesiae Christi) tua excellentissima dignitas et sanctissima in Christi caritate uoluntas semper admoneat, immo suauissimis exhortationibus ad praedicationis inpellat officia.
7 Voir ep. 41, p. 84 de 794-795 : (parlant de Candide) Insuper mentis probamentis uestrae auctoritatis pro nobis explicauit deuotionem, quam pura et sancta inquisitione catholicae fidei ueritatem examinare studuistis, et semper uiam regiam, apostolica confortatus praedicatione, piano ueritatis sermone uestram adseruit prudentiam tenere.
8 Voir p. 157. Nous avons choisi de contraster en souligné ou en romain les passages sur lesquels portent tout particulièrement nos analyses. Gloria et laus deo Patri et domino nostro Iesu Christo, quia in gratia sancti Spiritus – per deuotionem et ministerium sanctae fidei et bonae uoluntatis uestrae – christianitatis regnum atque agnitionem ueri Dei dilatauit, et plurtmos longe lateque populos ab erroribus impietatis in uiam ueritatis deduxit. Qualis erit tibi gloria, o beatissime rex, in die aeternae retributionis, quando hi omnes, qui per tuam bonam sollicitudinem ab idolatriae cultura ad cognoscendum uerum Deum conuersi sunt, te ante tribunal domini nostri Iesu Christi in beata sorte stantem sequentur et ex bis omnibus perpetuae beatitudinis merces augetur. Ecce quanta deuotione et benignitate pro dilatatione nominis Christi duritiam infelicis populi Saxonum per uerae salutis consilium emollire laborasti. [...]
Tuam tamen, o ueritatis et salutis multorum amator, optimam uoluntatem maiore gloria et laude Cbristo remunerare placuit. Gentes populosque Hunorum, antiqua feritate et fortitudine formidabiles, tuis suo honori militantibus subdidit sceptris ; praeuenienteque gratia colla diu superbissima sacrae fidei iugo deuinxit et caecis ab antiquo tempore mentibus lumen ueritatis infudit.
9 Voir p. 281-282 :
BENEDICTO AT QUE OMNI SAPIENTIAE DECORE PRAEFULGIDO DAUID REGI FLACC US ALBINUS IN CHRISTO SALUTEM.
Licet proxime ad clementiam uestram gemina scripta direxerim – quorum unum debitum salutationis impleret officium, aliud cuiusdam responsionis iura teneret – tamen, occasione uestrae beatitudinis lillerarum accepta, respondere utique conuenit. Quas lumine et scientiae et ueritatis indagatione plenas ueneranter accepi. Et magno gratiarum actionis studio Deum benedixi, qui uirtute fidei et rationis experientia uestrae pietatis pectus abundanter implet, ita ut in eo praerogativa sacerdotalis doctrinae uoluntas et regalis pietatis potentia splendescere probetur, maxime quia jides catholica, quae ubique debet esse una et in nullo dissimilis, per uestram sanctissimam sollicitudinem, sopitis scismatum erroribus, praedicari et pollere dinoscitur. Et quantum regni potentia praelatus, tantum sapientiae decore et sanctae religionis feruore omnibus praecellis. Felix populus, qui tali principe gaudet : in cuius prosperitate salus cunctorum consistit, in cuius bilaritate omnium animusgaudebit, ut dictum est : « In bilaritate regis, uita ». Cuius solium dissipat iniquitatem [...] Nam, quod olim apostolici patres suis scriptis in conjirmationem fidei catholicae diuersis mundi partibus peregerunt, hoc uestra sanctissima sollicitudo implere non cessat.
Hoc mirabile et speciale in te pietatis Dei donum praedicamus, quod tanta deuotione ecclesias Christi a perfidorum doctrinis intrinsecus purgare tuerique niteris, quanta forinsecus a uastatione paganorum defendere uelpropagare conaris. His duobusgladiis uestram uenerandam excellentiam dextra leuaque diuina armauit potestas ; in quibus uictor laudabilis et triumphator gloriosus existis. Unde et ad interioris pugnae genus meae paruitatis deuotionem prouocare uoluistis. Cuius certaminis sudori libenter succubui ; ut in libello, quem uestrae nuper direxeram pietati, agnosci poterit.
10 Voir p. 471 :
REGE REGUM DEO CHRISTO DONANTE, KAROLO REGI, IMPERATORI AUGUSTO OPTIMO MAXIMO PERPETUO, HUM1LIS MATRICULARIUS ALBINUS SEMPITERNAM CAELESTIS GLORIAE SALUTEM
Mirabilis sapientiae uestrae litterarum serie perlecta, inuenimus eas eloquentiae nitore splendidas et profunditate sensuum subtilissimas et inquisitionis gratia iocundissimas. Unde patenter agnosci poterit non tantum imperatoriam uestrae prudentiae potestatem a Deo ad solum mundi regimen, sed maxime ad ecclesiae praesidium et sapientiae decorem conlatam ; et iuuenum mentes quadam inertiae rubigine obductas ad acumen ingenii per uestram sanctissimam sollertiam elimandas. Siquidem praeter imperiales et publicas curas euangelicas quaestiones [...] a nobisenucleandas inquiritis.
[...] Unde etiam me magis doceri uestris inquisitionibus intellego, quam uestrae aliquid affluentissimae sapientiae ex mea addi possit responsione. Nam sapienter interrogare, docere est.
11 Voir le c 35, par le biais du subterfuge d’écriture qui consiste à mettre en scène la personne royale et à lui faire confirmer par la reprise des propos du maître le jugement délivré au début de l’œuvre sur l’étendue de sa sagesse : Karlus : nam interrogare sapienter est docere : et si alter sit qui interrogat, alter qui docet, ex uno tamen, hoc est sapientiae fonte, utrisque sensus procedit.
Voir p. 284 : Deus te, domine mi rex Karle, omni sapientiae lumine inluminauit et scientiae claritate ornauit, ut non solum magistrorum ingenia prompte subsequi, sed etiam in multis uelociter praecurrere possis. et licet flammiuomo tuae sapientiae lumini scintilla ingenioli mei nil addere possit, tamen, ne me aliqui inoboedientem notent, tuis promptulus respondeo interrogationibus...
12 DOMINO PIISSIMO ET PRAESTANTISSIMO DAVID REGI...
Gratias agimus uenerandae pietati uestrae, quod libellum. secundum uestrae iussionis praeceptum uobis directum auribus sapientiae uestrae recitari fecistis. et quod notari iussistis errat illius. et remisistis ad corrigendum. Quamuis a uobis melius emendari potuisset, quia alterius iudicium in quolibet opere plus saepissime ualet quam proprii auctoris. Minus tamen quiddam fecistis, quam plenum postulasset caritatis officium : quod sensus non docte prolatos uel catholice exaratos similiter noluistis notare ; dum quaedam suspicio mihi est, ut serie sagacissime cartulae uestrae nobis innotuit non omnia probanda esse, quae ibi lecta fuerunt. Quia defensores eidem operi uestrae excellentiae dirigere iussistis ; dum nullum magis idoneum meae paruitatis dicta habere possunt defensorem uel emendatorem quam uosmetipsos. Nam auctoritas praecipientis oboedientis industriam defendere debet.
13 Voir p. 285 :
Vestra uero auctoritas palatinos erudiat pueros, ut eligantissime proferant quicquid uestri sensus lucidissima dictauerit eloquentia ; ut ubique regalis nominis carta decurrens regalis sapientiae nobilitatem ostendat.
Floreat aeternis tecum sapientia donis,
Ut tibi permaneat laus, honor, imperium.
Quot habeas apices, sanctas, mea carta, salutes
Dicito tot dulci Dauid amore meo.
14 Voir notre article « Le thème de la lumière dans l’œuvre d’Alcuin », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1997, p. 170-175.
15 Matthieu 5, 15-16, Marc 4, 21-22, Luc 11, 33 ou encore, Luc 8, 16-17.
16 Manifestation du divin ; lumière sapientielle (prédication) ; bonnes œuvres ; foi au Christ ; Christ/saint défini comme Lucifer. Voir article dans Bulletin de la SNAF.
17 Voir, par exemple, ep. 225, ep. 301, ep. 184.
18 Voir ep. 17, p. 48 : Diuisa est potestas saecularis et potestas spiritalis.
19 Voir ep. 143 de 798, p. 224 : Benedictus sit Deus pater omnipotens, qui te creauit et honorauit. Et benedictus sit dominus noster Iesus Christusfilius Dei uiui, qui te redemit et elegit. Et benedictus sit Spiritus paraclitus, qui te inluminauit et dilatauit cor tuum in omni sapientiae et scientiae claritate, dilectissime Dauid et dulcissime domne. [...][Christi] sanctissima uoluntas semper uigeat, floreat et crescat in corde tuo, clarissime ecclesiae Christi rector et defensor.
20 Voir p. 401 : Domino excellentissimo atque omni honore dignissimo Carolo regi imperatori atque Augusto uictoriosissimo maximo optimo atque serenissimo Albinus matrtcularius praesentis prosperitatis et future beatitudinis aetenam in domino Deo Christo salutem.
21 Et Virgilius Augusto scribens : « tu sectaris apros, ego retia seruo » ; voir Ecl. III, 75.
22 Voir ep. 304 de 801-804 adressée à Charles, ici explicitement comparé à David (Alcuin vient de mentionner les heures canoniques pour la prière) : Per has itaque horas septies in die et semel in nocte David rex laudem cantabat Domino et non tantum per has, sed etiam cum assiduis precibus Dominum laudare adiungens dicebat : « Ego autem semper in te spectabo. Domine, et adiciam super omnem laudem tuam. » Et si ille, cum in tantis laudibus die noctuque Dominum deprecaretur, puluerem et cinerem se aestimabat cum diceret : « Numquid confitebitur tibi puluis, aut annuntiabit ueritatem tuam », quanto magis et nos, qui pene in omnibus a Domino alieni existimus, saltem per has horas domino Deo cum summa deuotione laudes referre debemus.
23 Voir Carm. VI, 2, 77-84.
24 Voir Codex Carolinus, no 10, dans MGH, Epist. 2, p. 503.
25 Ibid.
26 Voir ep. 309, p. 477-478 (à propos du nombre six) : Cuius numeri rationem, sicut et aliorum, sapientissimus imperator tuae perfacile ostendere potest sagacitati. Cuius mentis miranda est nobilitas : dum inter tantas palatii curas et regni occupationes philosophorum pleniter archana curauit scire mysteria, quod uix otio torpens alius quis modo cognoscere studet. Nec tibi a nobis necesse est causas quaerere rerum uel rationes phisicae occultas scientiae, dum illius clarissima cotidie uteris sapientia ac uenerandam intueris faciem. Nec tibi longo laboriosoque itinere de Aethiopia Hierosolyma uisitanda est, ut uideas Salomonem de rerum disputantem naturis. Ecce iuxta te est, quem per tantas terrarum difficultates regina quaesiuit. Sed cum eadem celebri laude tibi dicendum est : « Beati uiri tui et beati serui tui, hi qui stant coram te semper et audiunt sapientiam tuam. Sit dominus Deus tuus benedictus, cui conplacuisti, et posuit te super thronum populi sui, eo quod dilexerit Dominus populum suum in sempiternum. »
O filiae Hierusalem, cernite Salomonem nostrum in diademate fulgentem sapientiae, imitamini mores illius nobilissimos ; auersamini uitia, colite uirtutes. Magna uobis incumbit, si dissimulare non uultis, optime uiuendi necessitas, dum apud eum cotidie conuersamini, in quo totius honestatis habetis exemplar, quatenus per praesentis illius sacratissimos mores ad eius cum eodem peruenire mereamini praesentiam, de quo ipsa cecinit Sapientia : « Ferculum sibi fecit rex Salomon de lignis Libani ; columnas eius fecit argenteas, reclinatorium aureum, ascensum purpureum. »
27 Voir p. 404 : Et sicut David patrem Christi laudatum legimus in misericordiae magnitudine et aequitate iudiciorum, ita uestram beatitudinem semper in his meritorum titulis laudabilem atque praedicabilem Christo donante cognouimus.
28 Voir ep. 177 de 799, p. 293 :... sicut per solius omonymi tui David Deo dilectissimi regis sanctitatem legitur omnibus nepotibus suis regalis throni potestas conseruata fuisse.
29 Voir p. 84 : (parlant d un ami)... explicauit […], quam pura et sancta inquisitione catholicae fidei ueritatem examinare studuistis, et semper uiam regiam […] plano ueritatis sermone uestram adseruit prudentiam tenere.
Beata gens, cuius est dominus Deus eorum : et beatus populus tali rectore exaltatus et tali praedicatore murtitus ; et utrumque : et gladium triumphalis potentiae uibrat in dextera et catholicae praedicationis tuba resonat in lingua. Ita et David olim praecedentis populi rex a Deo electus et Deo dilectus et egregius psalmista Israheli uictrici gladio undique gentes subiciens, legisque Dei eximius praedicator in populo extitit. Cuius eximia filiorum nobilitate in salute mundi, de uirga flos campi et conuallium floruit Christus, qui istis modo temporibus ac eiusdem nominis, uirtutis et fidei Dauid regem populo suo concessit rectorem et doctorem. Sub cuius umbra [...] populus requiescit christianus et terribilis undique gentibus extat paganis. Cuius deuotio a sectis peruersi dogmatis fidem catholicam euangelica soliditate munire non cessat, ne quid noui et apostolicis inconueniens doctrinis per clandestinas subreptiones alicubi oboriri ualeat, sed caelestis gratiae lumine fides ubique fulgeat catholica.
30 Voir ep. 111 de 796, envoyée à Megendfrid, p. 161-162 : Haec tuae, uenerande amice, scripsi dilectioni, quatenus tuis proficiant ammonitionibus qui a te consilium audire desiderant. Scit enim haec omnia optime dilectus meus Dauid, cui Teus et sapientiam dedit et bonam uoluntatem ; ut plurimos conuertit populos ad caritatem Christi et laudem. Cui omnis bonitas et potentia ad benefaciendum sufficit, nisi unum tantum modo propter tempora periculosa huius saeculi : quod rariores habet adiutores in opere Domini, quam necesse sit. Nullus tamen in mundo meliores, ut credo, habet quam ille. Hos erudiat, ammoneat, et doceat secundum sapientiam sibi a Deo datam. Et tu, fidelissime dispensator thesaurorum et seruator consiliorum et adiutor deuotus, uiriliter fac uoluntatem illius. Esto in consilio suauis et in opere strenuus ; pacificus in domo, prudens in legationibus ; pius in pauperes et miseros, iustus in iudiciis, largus in elymosinis ; ut ex temporalibus diuitiis tuis aeternas Christi merearis in caelis.
Adhuc me dilectio dilecti mei Dauid et sollicitudo salutis multorum cogit tibi suadere quae utilia scio coram Deo et honesta coram saeculo
[..] Et ego dico tibi, carissime amice : messis quidem multa est in populo christiano. sed non sunt in quibusdam locis messores. Tu uero roga dominum messis, id est Dauid meum dilectum, ut mittat operarios in messem suam : quatenus illis dicat rogatus, sicut suus proprius protector et unicus amator Christus deus dixit discipulis suis : « Ite, ecce ego mitto uos. » Ipse est dominas uineae, mittat operarios in uineam suam et dicat : « Ite et uos in uineam meam et quod iustum fuerit, accipietis pro labore uineae meae. ».
31 Voir p. 241 : Benedictus dominus Deus in donis suis, qui tibi clarissimam diuinae legis scientiam et iocundissimam naturalium rerum concessit cognitionem. Cuius ineffabili pietati nobis omnibus continue ex tota uoluntatis intentione agendae sunt gratiae, quod talem nobis perdonauit dominum et rectorem. Et assiduis precibus illius piissima potentia postulanda est, quatenus longeua prosperitate et salute te nobis conseruare dignetur, desiderantissime Dauid.
32 Compendium in Canticum Canticorum, Carmen (prologus), dans PL 100, col. 641-642 :
Hunc cecinit Salomon mira dulcedine librum
Qui tenet egregias Sponsi Sponsaeque camenas
Ecclesiae et Christi laudes hinc inde canentes.
33 P. 241 : Ego solus non sufficio ad responsionem. Praeuideat uero tua sanctapietas huic operi tam arduo et necessario adiutores idoneos ; quatenus haec impia beresis omnimodis extinguatur, antequam latius spargatur per orbem christiani imperii, quod diuina pietas tibi tuisque filiis commisit regendum atque gubernandum. Surge, uir a Deo electe, surge fili Dei, surge miles Christi, et defende sponsam domini Dei tui. Cogita de sponsa tua [..] ; Sta uiriliter pro ea, quam accepisti a Deo tuo regendam et conseruandam ; quatenus potentia saecularis tibi proficiat in spiritalis gloriae diuitias.
34 Ce qui est d’ailleurs le cas dans la préface des Libricarolini. Voir sur ce point et sur l’image de l’Église-nauis, J.H. Burns, Histoire de la pensée politique médiévale, PUF, 1988, p. 244-245.
35 À Charles, à propos des livres composés contre Felix ; voir aussi ep. 257 de 802, p. 414 ; et lettre 41 sur le rôle de rempart contre l’hérésie que joue le roi. (Regis) deuotio a sectis peruersi dogmatis fidem catholicam euangelica soliditate munire non cessat, ne quid noui et apostolicis inconueniens doctrinis per clandestinas subreptiones alicubi oboriri ualeat, sed caelestis gratiae lumine fides ubique fulgeat catholica. Cuius luminis, heu pro dolor ! quidam extorres, Christum ex uirgine sancta natum, impia temeritate Deum uerum, et filium Dei proprium negare non timent. Nous retrouvons un écho dans l’ep. 93 de 796, p. 137-138, adressée par Charles au pape Léon III après son élection, qui distribue les rôles : Nostrum est : secundum auxilium diuinae pietatis sanctam undique Christi ecclesiam ab incursu paganorum et ab infidelium deuastatione armis defendere foris, et intus catholicae fidei agnitione munire. Vestrum est, sanctissime pater : eleuatis ad Deum cum Moyse manibus nostram adiuuare militiam, quatenus uobis intercedentibus Deo ductore et datore populus christianus super inimicos sui sancti nominis ubique semper habeat uictoriam, et nomen domini nostri Iesu Christi toto clarificetur in orbe.
Cet écho sera répercuté par la teneur des Capitulaires dont le célèbre capitulaire intitulé Missi cuiusdam admonitio.
36 Voir p. 155 : Memor antiquae inter nos condictae amicitiae, etiam et uenerandae salutationis uestrae ualde congaudens, paucis litterarum apicibus uestram laudabilem personam de prosperitate regni tibi a Deo conlati et de salute animae tuae ammonere curaui, et quo modo stabilis tibi traditus honor Deo donante permaneat.
Scis optime, de quibus te diuina misericordia liberauit periculis et quam facile te, dum uoluit, prouexit in regnum. Esto semper memor et gratus tam maximorum in te Dei donorum ; in eo maxime, ut, quantum intellegere ualeas, illius in toto corde facias uoluntatem et sis oboediens seruis Dei, qui te de mandatis eius ammoneant. Scito certissime, quod nullus alius tuam uitam conseruare potest nisi ille, qui te de morte liberauit praesenti, nec isto protegere et custodire honore nisi ille, qui gratuita pietate istam concessit dignitatem. Serua diligenter in animo tuo misericordiam et iustitiam ; quia, Salomone dicente ac magis Deo concedente, misericordia et iustitia firmabitur solium regni [..] Erudi te ipsum primo in omni bonitate et sobrietate ; postea gentem, cui praeesse uideris, in omni modestia uitae et uestitus, in omni ueritate fidei et iudiciorum, in obseruatione mandatorum Dei et honestate morum. Sic itaque et regnum tibi firmabis et gentem saluabis et ab ira Dei liberabis illam, quae certis signis diu inminebat illi.
[..] Tu uero, ad meliora ut credo seruatus tempora et ad correctionem custoditus patriae, Dei te auxiliante gratia, operare omni intentione in Dei uoluntate salutem animae tuae et prosperitatem patriae et populi tibi commissi ; quatenus ex correctione subiectorum dicioni tuae tibi tuisque nepotibus praesens feliciter firmetur regnum et futuri regni gloria aeternaliter concedatur.
Haec cartula, obsecro, uobiscum seruetur et saepius legatur ob memoriam salutis uestrae et dilectionis nostrae ; ut Deus omnipotens in profectu sanctae suae aecclesiae ad prosperitatem nostrae gentis te multo tempore in regno florentem et in omni bono proficientem conseruare dignetur.
37 Voir ep. 18 de 793, p. 51-52, adressée au roi Ethelred de Northumbrie et à ses grands : Non solum uos, uiri clarissimi et filii carissimi, his meis ammoneo litterulis. Sed et omnes dilectae gentis principes et diuersarum dignitatum nomina, seu ecclesiasticae pietatis ordines seu saecularis potentiae sublimitates, communi caritatis intuitu, quasi alumnus uestrae dilectioni deuotus, deprecor Dei diligentissime oboedire praeceptis, praedicatoribus salutis uestrae subditos esse. Illorum est, id est sacerdotum, uerba Dei non tacere. Vestrum est, o principes, humiliter oboedire, diligenter implere. Regis est omnes iniquitates pietatis suae potentia obprimere ; iustum esse in iudiciis, pronum in misericordia – secundum quod ille miseretur subiectis, miserebitur ei Deus – sobrium in moribus, ueridicum in uerbis, largum in donis, prouidum in consiliis ; consiliarios habere prudentes ; Deum timentes, honestis moribus ornatos. Oportet eum non cupidum esse alienae hereditatis, non auarum, non uiolenter rapientem ; dicente apostolo : « Neque fures, neque auari, neque rapaces regnum Dei possidebunt. » Multi uero per rapinas et iniquitates colligere gestiunt ; et nesciunt, quod utrumque propter auaritiam iniquam et terrena cito perdunt bona et caelestia numquam adquirunt. Et saepe per rapinas propria amittunt ; quia Deus gemitum exaudit oppressorum.
Legimus quoque, quod regis bonitas totius est gentis prosperitas, uictoria exercitus, aeris temperies, terrae habundantia, filiorum benedictio, sanitas plebis. Magnum est totam regere gentem. A regendo uero rex dicitur ; et qui bene regit subiectum sibi populum, bonam habet a Deo retributionem : regnum scilicet caeleste. Valde feliciter regnat in terra, qui de terreno regno merebitur caeleste. Orationibus uero et uigiliis eo instantius ad Deum insistere debet, quo non pro se solummodo, sed pro totius gentis prosperitate Deum deprecari debet.
Similiter principes et iudices populi in iustitia et pietate populo praesint. Viduis, pupillis, et miseris sint quasi patres ; quia aequitas principum populi est exaltatio.
Ecclesiarum Christi sint defensores et tutores ; ut seruorum Dei orationibus longa uiuant prosperitate. Ecclesia enim sponsa est Christi ; et qui eam uiolare nititur uel rapere, quae sua sunt, uindicat in eum deus Christus, sponsus sanctae suae ecclesiae.
38 Voir p. 465-466 : DOMINO SEMPER VENERABILI SEMPERQUE DESIDERABILI, PIISSIMO SANCTAE ECCLESIAE TUTORI, GRATIA DEI SEMPER AUGUSTO KAROLO, VESTRAE SALUTIS PERPES AMICUS ALBINUS [..] ueluti preciosum obrizum uestrae prudentissimae sapientiae, ad ornandum diadema christianae philosophiae, fide humili deuotissime commendamus. Et quia in uestri pectoris cubili gloriam Christi, et sanctorum eius honorem regnare cognoscimus, hanc nostri tam beati opusculi praefationem uestrae in Domino beatae honorificentiae dedicamus.
39 Voir p. 414-415 :... direxi sanctissimae auctoritati uestrae de fide sanctae et indiuiduae Trinitatis, sub specie manualis libelli, sermonem, ut diuinae laus et fides sapientiae sapientissimi hominum probaretur iudicio. Nec uidelicet alio quolibet uestrae imperialis maiestatis munere digniorem aestimabam sapientiam : nec alium quemlibet tam excellenti dono in accipiendo aeque dignum putabam, dum principem populi christiani cuncta scire et praedicare quae Deo placeant necesse esse notissimum est. Neque enim quemquam magis decet uel meliora nosse uel plura, quant imperatorem. cuius doctrina omnibus potest prodesse subiectis. Non quo, imperator inuicte et sapientissime rector, aliquid scientiae uestrae fidei catholicae incognitum esse, uel minus exploratum cogitarem, sed ut mei nominis, quo a quibusdam magister licet non merito uocabar, officium ostenderem.
40 Voir p. 157 :
DOMINO EXCELLENTISSIMO ET IN OMNI CHRISTI HONORE DEVOTISSIMO CAROLO, REGI GERMANIAE GALLIAE ATQUE ITALIAE, ET SANCTIS VERBIDEI PRAEDICATORIBUS HUMILIS SANCTAE MATRIS ECCLESIAE FILIOLUS ALBINUS AETERNAE GLORIAE IN CHRISTO SALUTEM
Gloria et laus deo Patri et domino nostro Iesu Christo, quia in gratia sancti Spiritus – per deuotionem et ministerium sanctae fidei et bonae uoluntatis uestrae – christianitatis regnum atque agnitionem ueri Dei dilatauit, et plurimos longe lateque populos ab erroribus impietatis in uiam ueritatis deduxit. Qualis erit tibi gloria, o beatissime rex, in die aeternae retributionis, quando hi omnes, qui per tuam bonam sollicitudinem ab idolatriae cultura ad cognoscendum uerum Deum conuersi sunt, te ante tribunal domini nostri Iesu Christi in beata sorte stantem sequentur et ex his omnibus perpetuae beatitudinis merces augetur.
Ecce quanta deuotione et benignitate pro dilatatione nominis Christi duritiam infelicis populi Saxonum per uerae salutis consilium emollire laborasti. [..]
Tuam tamen, o ueritatis et salutis multorum amator, optimam uoluntatem maiore gloria et laude Christo remunerare placuit. Gentes populosque Hunorum, antiqua feritate et fortitudine formidabiles, tuis suo honori militantibus subdidit sceptris ; praeueniente que gratia colla diu superbissima sacrae fidei iugo deuinxit et caecis ab antiquo tempore mentibus lumen ueritatis infudit.
Sed nunc praeuideat sapientissima et Deo placabilis deuotio uestrapios populo nouello praedicatores ; moribus honestos, scientia sacrae fidei edoctos et euangelicis praeceptis inbutos ; sanctorum quoque apostolorum in praedicatione uerbi Dei exemplis intentos.
41 Voir De Ciuitate Dei, V, 24 :... felices eos dicimus, si iuste imperant, si inter linguas sublimiter honorantium et obsequia nimis humiliter salutantium non extolluntur, et se homines esse meminerunt ; si suam potestatem ad Dei cultum maxime dilatandum maiestati eius famulam faciunt ; si Deum timent diligunt colunt ; si plus amant illud regnum, ubi non timent habere consortes ; si tardius uindicant,facile ignoscunt ; si eandem uindictam pro necessitate regendae tuendaeque reipublicae, non pro saturandis inimicitiarum odiis exerunt ; si eandem ueniam non ad inpunitatem iniquitatis, sed ad spem correctionis indulgent ; si, quod aspere coguntur plerumque decernere, misericordiae lenitate et beneficiorum largitate compensant ; si luxuria tanto eis est castigatior, quanto posset esse liberior ; si malunt cupiditatibus prauis quam quibus libet gentibus imperare et si haec omnia faciunt non propter ardorem inanis gloriae, sed propter caritatem felicitatis aeternae ; si pro suis peccatis humilitatis et miserationis et orationis sacrificium Deo suo uero immolare non neglegunt.
Tales christianos imperatores dicimus esse felices interim spe, postea re ipsa futuros, cum id quod expectamus aduenerit.
42 Voir p. 180-181 : Multa mihi laetitia est de uestra bonitate modestia et nobilitate morum ; sicut regiam dignitatem decet omnino, ut, quarto sublimior est honore ceteris, tanto nobilior sit omni morum perfectione, iustitiae decore, pietatis sanctitate. Quia clementia regis omnium hominum, ut in antiquis legitur historiis, excellere decet consuetudines ; etiam et sancta scriptura dicente : « Misericordia et ueritas exaltat solium. » Et in psalmis de Deo omnipotente dicitur : « Uniuersae uiae Domini misericordia et ueritas. » Quanto quisque plus ueritatis et misericordiae operibus fulget, tanto maiorem habet in se diuinitatis imaginem.
Illum semper habeas in mente, qui te egenum exaltauit et posuit super principes populi sui rectorem. Te magis agnosce pastorem et dispensatorem donorum Dei quam dominum uel exactorem.
Semper in mente habeas optimos nobilissimi antecessoris tui mores, modestiam in conuersatione, et studium in corrigendo uitam populi christiani. Quidquid uero ille in regno tibi a Deo dato bene disposuit, hoc tua diligentissime prosequatur deuotio ; si quid uero auare uel crudeliter gessit, hoc omnino tibi cauere necessarium esse agnosce.
[..] Habeas consiliarios prudentes, Deum timentes, iustitiam amantes, pacem cum amicis desiderantes, fidem et sanctitatem in conuersatione pia ostendentes.
Gens enim Anglorum multis propter peccata fatigatur tribulationibus. Quae regum bonitate et sacerdotum Christi praedicatione et populi relegione erigenda est ad antiqui culmen honoris ; quatenus benedicta patrum nostrorum progenies perpetuam mereatur possidere felicitatem, et praesentis regni stabilitatem et contra inimicos fortitudinem, ut ecclesia Christi crescat et proficiat, sicut a sanctis patribus ordinata erat. Sacerdotes Christi semper, clarissime rector, honorifice habeas ; quia, quanto plus Christi seruos et uerbi Dei praedicatores uenerabiliter obseruas, tanto magis Christus, rex uerus et pius, tuum honorem exaltat et confirmat, sanctis suis intercedentibus.
Summa eterni regis pietas uos longeua prosperitate regnare concedat, et perpetui regni beatitudinem uobis tribuere dignetur, domine desiderantissime.
43 Voir p. 49-50 : Cogitate, quis uos de multiplici liberauit tribulatione ; quoties praesentem eius misericordia euasistis mortem ; quoties de manibus inimicorum erepti fuistis. Recordamini, quis uobis omnes perdonauit honores quos habetis, prosperitates contulit, sanitates largitus est, omnibus uos uestris fecit inimicis sublimiores. His omnibus bonis nolite ingrati esse, sed quia nec horum gratia honorum uitam merebitur sempiternam, nec haec felicitas huius saeculi uobis aeterna esse poterit, studete diligentissime, ut post hos honores terrenos, caelestes habere mereamini. Omnia huius saeculi delectamenta uelut uolatilis fugit umbra ; et solummodo manet in remuneratione bonum, quod pro Dei amore egistis.
44 Voir en-tête de l’ep. 306 et, ici, l’ep. 257, p. 414 :
DOMINO GLORIOSO KAROLO IMPERATORI AUGUSTISSIMO ATQUE CHRISTIANISSIMO HUMILIS LEVITA ALCHVINUS IN DOMINO DEO PRAESENTIS PROSPERITATIS ET PERPETUAE BEATITUDINIS SALUTEM. Dum limitas imperialis a Deo ordinata, ad nil aliud exaltata esse uidetur, nisi populo praeesse et prodesse : proinde datur a Deo electis potestas et sapientia : potest as, ut superbos opprimat, et defendat ab inprobis humiles ; sapientia, ut regat et doceat pia sollicitudine subiectos. His duobus, sancte imperator, muneribus diuina uestram inconparabiliter sublimitatem, eiusdem nominis et numinis antecessoribus gratia superexaltauit et bonorauit, terrorempotentiae uestrae super omnes undiquegentes inmittens, ut uoluntaria subiectione ad uos ueniant, quos prioribus bellicus labor temporibus sibi subdere non potuit. Quid igitur, quid agendum est uestrae Deo deuotissimae sollicitudini, tempore serenitatis et pacis, quo, militaris laboris cingulo soluto, totus pacifica quiete populus concurrere festinat ad uestrae iussionis edictum, intentusque ante thronum gloriae uestrae consistent, quid cui personae uestra auctoritas praecipere uelit, nisi etiam omni dignitati iusta decemere, rata praecipere, sancta admonere, ut quisque laetus cum perpetuae salutis praeceptis domum redeat ?
Voir aussi l’ep. 118 de 796, p. 173, à Charles, malade : Vos enim ipsi optime scitis quod utile est regno uobis a Deo dato et paci sanctae Dei ecclesiae.
45 Voir PL 83, col. 721 : Dedit Deus principibus praesulatum pro regimine populorum, illis eos praeesse uoluit, cum quibus una est eis nascendi moriendique conditio. Prodesse ergo debet populis principatus, non nocere ; nec dominando premere, sed condescendendo consulere, ut uere sit utile hoc potestatis insigne, et dono Dei pro tutione utantur membrorum Christi. Membra quippe Christi fideles sunt populi, quos dum ea potestate, quam accipiunt, optime regunt, bonam utique uicissitudinem Deo largitori restituunt.
46 Voir PL 83, col. 723-724 : Cognoscant principes saeculi Deo debere se rationem reddere propter Ecclesiam, quam a Christo tuendam suscipiunt. Nam siue augeatur pax et disciplina Ecclesiae per fideles principes, siue soluatur, ille ab eis rationem exiget, qui eorum potestati suam Ecclesiam credidit.
47 Voir p. 208-209 :... quatenus in die magno domini nostri Iesu Christi tu quoque amabilem merearis audire sententiam : « Euge serue bone et fidelis, quia super pauca fuisti fidelis, supra multa te constituant, intra in gaudium domini Dei lui. » Nec enim hoc solis sacerdotibus uel clericis audiendum ibi arbitreris, sed etiam bonis laids, et bene in opere Dei laborantibus dicendum esse credas : et maxime his, qui in sublimioribus positi sunt saeculi dignitatibus, quorum conuersatio bona et uitae sanctitas et ammonitoria aeternae salutis uerba suis subiectis praedicatio poterit esse. Nam unusquisque de pecunia domini sui, quam accepit, rationem redditurus erit in die iudicii ; et qui plus laborat, plus mercedis accipiet. Quapropter, dilectissime et honorande ecclesiarum Christi defensor et rector, tuae sanctissimae sapientiae uenerabile studium alios ammonendo exhortetur, alios castigando corrigat, alios uitae disciplinis erudiat ; ut omnibus omniafactus, ex omnibus mercedem habere merearis perpetuam ; ut cum magna et laudabili populorum multitudine gloriosus in conspectu domini Dei tui appareas.
48 Voir ep. 121 de 796-797 : Non solum ego ultimus seruulus Saluatoris nostri congaudere debeo prosperitati et exaltationi clarissimae potestatis uestrae. Sed tota sancta Dei ecclesia unanimo caritatis concentu gratias agere domino Deo omnipotenti debebit ; qui tam pium prudentem et iustum his nouissimis mundi et periculosis temporibus populo christiano perdonauit clementissimo munere rectorem atque defensorem ; qui praua corrigere et recta conroborare et sancta sublimare omni intentione studeat, et nomen domini Dei excelsi per multa terrarum spatia dilatare gaudeat, et catholicae fidei lumen in extremis partibus incendere conetur. Haec est, o dulcissime Dauid, gloria laus et merces tua in iudicio diei magni et in perpetuo sanctorum consortio, ut diligentissime populum. excellentiae uestrae a Deo commissum, corrigere studeas, et ignorantiae tenebris diu animas obcaecatas ad lumen uerae fidei deducere coneris. Numquam optimis uoluntatibus uel bonis conatibus remuneratio diuina deerit ; sed qui plus laborat in uoluntate Dei, plus mercedis recipiet in regno Dei. Tempus huius uitae uelociter currit fugit et non reuerreuer-titur ; ineffabilis uero Deipietas humano praeui debat generi breuiter laborare et aetemaliter coronari. Ideo pretiosa nobis debent esse tempora, ne perdamus per neglegentiam, quod per bonae uitae exercitium habere poterimus aeternum. Nec tantum diligere aliquid poterimus in terra, quantum beata amabitur requies in caelo. Quam qui tunc habere concupiscat, bonis nunc operibus promereri contendat. Omnibus itaque communiter regni caelestis ianua patescit, sed illis intrare conceditur, qui cum multiplici bonitatis fructu ad eam uenire festinant.
[..] Haec sunt, quae uestra nobilissima intentio non ignorat – quomodo per omnes sanctae scripturae paginas exhortamur ad sapientiam discendam – : nil esse ad beatam uitam sublimius adipiscendam, nil ad exercitium iocundius, nil contra uitia fortius, nil in omni dignitate laudabilius. Etiam et secundum philosophorum dicta nil ad regendum populum necessarius, nil ad componendam uitam in optimos mores melius, quam sapientiae decus, et disciplinae laus et eruditionis efficatia. Vnde et de laude illius sapientissimus exclamat Salomon : « Melior est sapientia cunctis praeciosissimis, et omne desiderabile ei non potest comparari. » Haec est, quae humiles exaltat, quae sublimes honorat. « Per illam reges regnant, et legum conditores iusta decernunt ; per illam principes imperant, et potentes decernunt iustitiam. Beati qui custodiunt uias eius, et beati qui uigilant ad fores illius cotidie. »
49 Voir ep. 249 de 801/802, p. 404 : Omnipotens Deus pater per unicum filium suum dominum nostrum Iesum Christum in spiritu paraclyto omni benedictione et sapientia cor beatitudinis uestrae inluminet, repleat atque laetificet nobilissime que proli uestrae perpetuam, in salutem populi christiani, prosperitatem perdonare dignetur domine desiderantissime optime atque augustissime pater patriae.
Floreat et uigeat sophia uirtute triumphis
Rex Dauid, magnum magnus in orbe decus.
50 Voir lettre adressée à Charles, p. 415 : Multa est omnibus fidelibus in uestra pietate gloriandi facultas, dum clementiae uestrae sollicitudo sacerdotalem, ut decet, habet in praedicatione uerbi Dei uigorem et perfectam in catholica fide scientiam et sanctissimam pro omnium salute deuotionem. Quapropter uniuersorum precibus fidelium optandum est, ut in omnem gloriam uestrum extendatur imperium ; ut scilicet catholica fides, quae humanum genus sola uiuificat, sola sanctificat, ueraciter in una confessione cunctorum cordibus infigatur : quatenus summi regis donante pietate, eadem sanctae pacis et perfectae caritatis omnes ubique regat et custodiat unitas. Nec aliud omni potenti Deo munus amabilius esse probatur, quam in catholica fide diuinae concordia caritatis, ut omnes unum sint in Christo, qui pro omnibus mortuus est : per quem cuncti credentes in eum efficiuntur filii aeternae beatitudinis.
O rex augusto clarissime dignus honore,
Et dux, et doctor, et decus imperii.
Nous suivons, dans l’analyse de la conception de la royauté, les apports de M. Reydellet, dans La Royauté dans la littérature latine de Sidoine Apollinaire à Isidore de Séville, École française de Rome, 1981, en particulier p. 590-597.
51 Voir p. 419 : Ergo in uestrae pietatis sacratissima sollicitudine non dubie patet, quidper uos in totius ecclesiae salutem Spiritus sanctus operetur ; et quantis uniuersorum fidelium precibus sit optandum, ut in omnemgloriam uestram extendatur imperium ; et ut intus sit omnibus Deo fidelibus amabile et foris sanctissimo nomini illius aduersariis terribile.
52 Voir p. 205 :... totum cordis mei affectum in gratiarum actiones Christo, clementissimo regi, effudi ; [...] quatenus uestram pacificam et amabilem potentiam ad exaltationem sanctae suae aecdesiae et sacratissimi gubernacula imperii longaeua prosperitate custodire, regere, et dilatare dignetur.
53 Voir ep. 143 de 798, p. 224 : Et benedieta sit potestas et regnum tuum et filii tui et filii filiorum tuorum usque in generationes saeculi sempiternas ; et ueniat super te et super tuam generationem benedictio sanctorum in die domini nostri Iesu Christi. Cuius sanctissima uoluntas semper uigeat floreat et crescat in corde tuo, clarissime ecclesiae Christi rector et defensor.
54 Voir lettre de 799, p. 281 (passage également cité en note 9) : Felix populus, qui tali principe gaudet ; in cuius prosperitate salus cunctorum consistit ; in cuius hilaritate omnium animas gaudebit, ut dictum est : « In hilaritate regis uita » ; cuius solium dissipat iniquitatem, cuius uultus reuerentia conseruat usque ad aequitatem.
55 Voir lettre de 798, adressée à Charles, p. 227 : Mihi itaque in fine epistolae cum regina Saba dicendum est : « Beati uiri lui et beati serui tui, hi qui stant coram te semper et audiunt sapientiam tuam. Sit dominus Deus tuus benedictus, cui conplacuisti, et posuit te super thronum Israel ; eo quod dilexerit te dominus Israel in sempiternum, et constituit te regem, ut faceres iudicium et iustitiam. »
Auteur
Maître de conférences de latin, Paris I
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