Introduction
p. 7-41
Texte intégral
1L’Oiseau vert est la neuvième des dix fiabe teatrali1 que le comte vénitien Carlo Gozzi écrit pour la compagnie d’acteurs dirigée par Antonio Sacchi, en art Truffaldin2, celui-là même qui, en 1745, de retour d’une tournée triomphale en Russie, avait demandé au jeune Carlo Goldoni d’adapter un ancien canevas de Luigi Riccoboni, Le Valet de deux maîtres, écrit initialement pour la Comédie-Italienne de Paris.
2La fiaba fut créée le 19 janvier 1765 à Venise, au théâtre de Sant’Angelo où Sacchi et sa compagnie étaient passés depuis octobre 1762. Le lieu est emblématique : Goldoni y avait expérimenté entre 1748 et 1753, avec la compagnie Medebach, sa réforme du théâtre italien, imposant un théâtre entièrement écrit fondé sur l’observation des caractères et des mœurs de ses contemporains, et sur un jeu d’après nature d’où étaient bannis l’improvisation et les masques3.
3Dans L’Oiseau vert, les spectateurs retrouvaient, vieillis de dix-huit années, les principaux personnages de la première fiaba, L’Amour des trois oranges4 : la gentille princesse Ninette devenue orange à cause des maléfices de Creonta la géante ; Tartaglia5, le prince hypocondriaque qui l’avait, au terme d’une difficile quête amoureuse imposée par la méchante fée Morgane, libérée de son écorce d’orange et épousée ; le brave Pantalon6, conseiller du roi Silvio, père de Tartaglia ; Truffaldin, cuisinier farceur, dont les lazzis avaient sorti le prince de sa mélancolie et déchaîné les foudres de Morgane, et sa femme Sméraldine7, « Turque italianisée », qui secondait les desseins assassins de la fée, transformait Ninette en colombe pour empêcher son mariage et finissait dans les flammes ; enfin Brighella8, le mauvais conseiller, condamné à l’exil à la fin de la pièce.
4Gozzi relance les aventures de cinq d’entre eux, en transformant leur statut. Quand commence L’Oiseau vert, Tartaglia est monté avec Ninette sur le trône de son père ; Pantalon est devenu ministre ; Brighella, revenu de son exil, occupe désormais la fonction de poète-devin de la cour ; Sméraldine, ressuscitée comme un phénix, est devenue une mère dévouée et aimante ; Truffaldin s’est hissé au statut d’artisan charcutier. Leurs aventures se compliquent avec la création de nouveaux personnages : la cruelle et jalouse reine-mère, Tartagliona, qui, dix-huit ans plus tôt, a ordonné à Pantalon de noyer les jumeaux nouveau-nés de Tartaglia et Ninette – ordre qu’il n’a pas exécuté –, et a fait jeter Ninette dans un trou à ordures, au grand désespoir de son royal fils, parti guerroyer ; Renzo et Barbarina, les jumeaux sauvés de la noyade, élevés par Sméraldine et Truffaldin ; l’Oiseau vert, roi ensorcelé et généreux qui maintient en vie la pauvre Ninette et aime Barbarina ; Pompea, merveilleuse « femme de marbre » dont Renzo est amoureux, et le puissant Calmon, vieux sage statufié, qui veille sur les jumeaux.
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5En donnant aux personnages de sa première fiaba une descendance et un devenir scénique, tragique, pathétique ou comique selon les cas, Gozzi misait sur la mémoire et la curiosité de son public : une version remaniée de L’Amour des trois oranges fut d’ailleurs représentée au théâtre de Sant’Angelo, le 14 janvier 1765, juste avant la création de L’Oiseau vert9. Ce recours au procédé du retour des personnages ou de la « suite »10 peut expliquer le succès sans précédent de la pièce : dix-neuf représentations qui, selon l’auteur, ne suffirent pas à satisfaire tous ceux qui voulaient assister à ce spectacle. Ce chiffre est remarquable étant donné l’organisation des saisons théâtrales à Venise11. Dans les mêmes années 1758-1770, les livres comptables du théâtre concurrent de San Luca12, dont Carlo Goldoni avait assuré le succès en 1759-1762 avant de s’expatrier à Paris13, nous apprennent qu’une pièce ne restait guère à l’affiche plus de six ou sept soirées, qu’il s’agisse des traductions du théâtre français, alors fort prisées, ou des comédies goldoniennes qui continuent à être jouées régulièrement même après son départ. Au carnaval 1765, lorsqu’est créé L’Oiseau vert, la traduction de Zelmira, tragédie de Pierre Laurent du Belloy, et la comédie L’Éventail de Goldoni, atteignent chacune sept représentations. Les dix-neuf représentations consécutives de L’Oiseau vert constituent donc un triomphe, supérieur à celui des précédentes fiabe : L’Amour des trois oranges et Turandot n’avaient tenu que sept soirées, les autres oscillent entre dix et dix-huit représentations14. Ce succès n’est dépassé, pendant la saison de carnaval 1767, que par la comédie à « transformations », Le Bon Génie et le Mauvais Génie, avec laquelle Goldoni répond, depuis Paris, aux fiabe de celui qui l’avait supplanté auprès du public vénitien : ce dernier montra que l’expatrié n’était pas oublié puisque la comédie fut représentée vingt-sept soirs de suite au théâtre de San Giovanni Grisostomo15.
6Comment expliquer que ce succès fracassant des fiabe à leur création n’ait pas accompagné ensuite leur carrière éditoriale et scénique, en France notamment ? En Allemagne, la reconnaissance fut assez rapide : dès 1802, du vivant de l’auteur, Friedrich Schiller propose une traduction-adaptation de Turandot, pour une représentation dont le metteur en scène n’est autre que Goethe, et le compositeur des musiques d’accompagnement, Karl Maria von Weber16. À leur suite, E.T.A. Hoffmann s’enthousiasme pour Gozzi et affirme dans Le Poète et le Compositeur (1819) que les fiabe sont une mine d’excellents sujets d’opéra, à exploiter sans réserve. Ce conseil est suivi par de nombreux compositeurs qui assurent la circulation mondiale des fiabe à travers le genre lyrique : Richard Wagner s’inspire de La Femme serpent pour son opéra de jeunesse, Les Fées (1833), Ferruccio Busoni et Giacomo Puccini proposent des versions lyriques de Turandot (1917 et 1924)17, aussi décisives pour la postérité de cette fiaba que l’est, pour L’Amour des trois oranges, l’opéra écrit par Sergueï Prokofiev en 192118.
7La France est un peu en reste, malgré la traduction « à lire » de cinq fiabe proposée en 1865 par le dramaturge, librettiste et directeur de théâtre, Alphonse Royer pour qui les pièces de Gozzi sont remplies d’une « invention enfantine souvent, mais vive, forte et inépuisable19 ». Et malgré l’intérêt manifesté par Jacques Copeau, Gaston Baty et André Barsacq au début du xxe siècle20, le lecteur-spectateur français contemporain ne connaît de l’œuvre théâtrale de Carlo Gozzi que quelques titres, L’Amour des trois oranges, Le Roi-cerf, Le Monstre turquin, Turandot et surtout L’Oiseau vert, alors que les cinq autres fiabe demeurent presque inconnues, non traduites ou retraduites, et donc délaissées par les metteurs en scène.
8Peut-être faut-il imputer à l’auteur lui-même la méconnaissance dont souffrent ses œuvres. Bien qu’affirmant qu’il n’avait pas encore exploré toutes les possibilités du genre qu’il avait lui-même créé21, il renonce à poursuivre l’expérimentation de la fiaba teatrale après 1765 pour se tourner vers la tragi-comédie et vers ce qu’il appelle les « drames à l’espagnole », adaptations libres, et aujourd’hui oubliées, de pièces de Calderon de la Barca, Cervantès, Tirso de Molina, offerts à la compagnie Sacchi, puis à la compagnie Perelli, entre 1771 et 1786, année où il cesse d’écrire pour le théâtre. Par ailleurs, Carlo Gozzi pratique, dans ses textes de poétique théâtrale22 comme dans les Mémoires inutiles qu’il publie en 179723, ce que Anna Scannapieco a appelé une « noluntas auctoris »24, la négation, réitérée avec une constance hypocrite, de son intention d’auteur. Ainsi, dans la première édition de ses œuvres complètes lancée en 1772 chez l’éditeur vénitien Colombani sous la pression, prétend-il, de ses amis, il se complaît à minimiser l’originalité de ses œuvres en les qualifiant, faussement modeste, de « choses théâtrales », « boutades, plaisanteries, fariboles », « bizarreries poétiques », « extravagances dramatiques », « caprices poétiques théâtraux », voire, comme dans la préface de L’Oiseau vert, de « monstres scéniques ». Quant aux Mémoires, dits inutiles par une sorte d’autodérision hypocrite, ils ne se veulent pas écrits, comme ceux de Carlo Goldoni, pour « servir à l’histoire de sa vie et de son théâtre25 », ils ne visent pas l’analyse d’une vocation qui s’affirme et d’une écriture théâtrale qui s’élabore progressivement. Sans doute l’auteur y fait-il état, comme Goldoni, d’une prédisposition naturelle à l’art de l’improvisation théâtrale : « un bon improvisateur ne doit pas se troubler ni manquer de ressources verbales », écrit-il après avoir raconté comment, lors de son service militaire en Dalmatie, au cours d’une soirée de théâtre amateur, le public ovationna sa performance d’improvisateur dans le rôle d’une jeune femme mal mariée, chargée d’enfant26. Mais les Mémoires inutiles sont avant tout le récit minutieux des combats que le comte affronte, à Venise, durant sa longue carrière. Ce sont d’abord les querelles littéraires menées avec l’académie « mi-sérieuse, mi-facétieuse » mais très conservatrice, des Granelleschi27, qui ébranlent la vie théâtrale vénitienne entre 1747 et 1762 et le conduisent, dit-il, à écrire pour la scène en réaction contre la mode ambiante favorable à Carlo Goldoni et à l’abbé Pietro Chiari28. C’est ensuite l’étrange affaire érotico-artistico-politique qui l’oppose, dans les années 1776-1780, au vieux capocomico Antonio Sacchi et au fringant sénateur Pietro Antonio Gratarol dans la conquête et la « protection » de l’actrice Teodora Ricci29. Dans ce qui tient plus du réquisitoire que de l’autobiographie, les œuvres – notamment les fiabe qui assurent son succès de dramaturge –, bien loin d’être résumées et analysées comme fait Goldoni pour ses comédies dans la deuxième partie de ses Mémoires français, sont brandies comme des « armes » stratégiques offertes à des acteurs qui forment les « bataillons » lancés par le comte contre ses adversaires, en tête Goldoni et Chiari30. La personnalité qui se dessine derrière la figure taciturne, affichée avec ostentation, de l’académicien Solitaire, vétilleux mais curieux des comportements de ses contemporains, est celle d’un polémiste virulent, farouche contempteur, en matière de littérature et de théâtre, des modes modernes, destructrices, selon lui, de la pureté de la « belle langue italienne », du « beau style comique » des auteurs du xvie siècle et surtout dangereusement porteuses des idées nouvelles propagées par la philosophie des Lumières31. Les comédies de caractère de Goldoni, écrites pour certaines en langue vénitienne, sont, pour l’aristocrate qu’est Gozzi, vulgaires et plébéiennes, trop ancrées dans la réalité de la société lagunaire, et les comédies en vers martelliens de Chiari, insupportables à l’oreille de Gozzi, sont jugées trop ouvertes aux influences étrangères. L’arme de la satire et des pamphlets se révélant insuffisante, il porte sa lutte sur le même terrain que ses adversaires, inventant un remède théâtral contre la « vogue » qu’il veut combattre, les fiabe : remède radical et efficace qui aurait décidé Goldoni, alors en pleine gloire, à répondre favorablement, au printemps 1762, à l’invitation de la Comédie-Italienne de Paris, et l’abbé Chiari à se retirer peu après dans sa ville natale, Brescia :
[…] Je déclarai un jour, et sans au cœur le moindre remords, que l’affluence au théâtre ne décidait pas de la valeur de ses ouvrages dramatiques et que je m’engageais à provoquer une affluence plus grande que celle dont jouissaient ses compositions avec la fable L’Amour des trois oranges que les grand-mères racontent à leurs petits-enfants, si j’en faisais un spectacle théâtral.
Certains rires incrédules et moqueurs me piquèrent au vif et me décidèrent à soutenir cette gageure bizarre.
Mon étrange assemblage une fois mis au point et lu à haute voix à nos doctes académiciens Granelleschi, et bien que leurs rires pendant la lecture m’aient paru de bon augure, ils me déconseillèrent pourtant à la fin de le faire connaître, ou plutôt, ils me prièrent de ne pas exposer à la scène cet enfantillage prétextant qu’il serait sifflé et pourrait porter préjudice à la dignité de notre académie jusque-là soutenue avec tant d’honneur.
Je répondis qu’il fallait assaillir le public entier dans le théâtre pour l’ébranler par une manœuvre de diversion. Que je donnais et ne vendais pas cette tentative que je faisais pour venger noblement notre académie vilipendée à tort, et que leurs Seigneuries, qui entendaient parfaitement la culture, la justesse et les bons livres, connaissaient bien mal le genre humain et nos semblables.
Je donnai à la compagnie théâtrale de Sacchi mon originale extravagance dramatique, et celle-ci fut représentée au Théâtre de San Samuele à Venise pendant le carnaval 176132.
La nouveauté d’une telle fable, transformée d’une manière inattendue en action théâtrale et qui se permettait, par les allégories dont elle abondait, de parodier avec infiniment d’audace les ouvrages de Goldoni et de Chiari, provoqua dans le public une joyeuse, une éclatante révolution et opéra une diversion si puissante que les deux poètes y virent, comme dans un miroir, leur déclin.
Qui aurait prédit que l’étincelle d’une fable allait ôter toute vigueur à la vogue d’ouvrages dramatiques jusque-là si admirés et lui faire succéder la vogue de mes fables puériles, acclamées l’une après l’autre pendant tant d’années. Ainsi va le monde.33
9Les motivations polémiques et l’histoire pour le moins contrariée et sinueuse du texte des Mémoires, ainsi que les récentes mises au point sur la carrière et les écrits théâtraux gozziens qui font remonter à 1751, première année de la réforme goldonienne, un essai de comédie polémique contre Goldoni et Chiari resté inédit34, ébranlent, aux yeux du chercheur, la vérité revendiquée par l’auteur dans ce réquisitoire guerrier. Où donc chercher cette vérité sinon dans les textes eux-mêmes, en analysant le fonctionnement dramaturgique particulier de ces « armes » que sont les fiabe teatrali ?
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10Le terme en soi est une énigme. Fiaba teatrale, forgé par l’auteur, est affecté tel quel à la première d’entre elles, L’Amour des trois oranges. Gozzi propose ensuite une série de variations : fiaba teatrale « tragi-comique » (Le Corbeau, Le Roi-cerf, La Femme serpent, Le Monstre turquin, Les Pouilleux fortunés), fiaba teatrale « chinoise tragi-comique » (Turandot), « tragédie fiabesque » (Zobéide), « fable philosophique » (L’Oiseau vert), et enfin le très étrange et très ‘granelleschien’ fiaba seriofaceta, « sérieuse et facétieuse » (Le Roi des Génies). Il ne fixe le qualificatif qu’en 1772, dans son Discours ingénu, « histoire sincère » de ses fiabe teatrali35, puis le reprend dans ses Mémoires inutiles. En France, le calque « fable théâtrale » est dû à Paul de Musset dans sa traduction « libre » et très incomplète, des Mémoires36. Alphonse Royer le décline ensuite dans l’expression « comédies fiabesques ou fabuleuses », néologisme que Claude Duneton transforme en « théâtre fabulesque » dans son adaptation du Roi-cerf37. « Fable philosophique » est conservé par Xavier de Courville pour L’Oiseau vert, mais à l’intérieur d’une catégorie générique dite « comédies italiennes » où voisinent La Mandragore de Machiavel, les Tapis d’Alexandrie, canevas de Flaminio Scala et l’Arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni. Certains traducteurs, par précaution, conservent le terme en italien, d’autres préfèrent « contes » à « fables », comme Jean-Jacques Olivier pour son adaptation de Turandot, nommée « conte tragi-comique », ou Eurydice El-Etr, qui opte aussi pour « conte » dans sa récente traduction de L’Amour des trois oranges. D’autres encore, comme Benno Besson dans son adaptation très libre de L’Oiseau vert, adoptent le terme « comédie fabuleuse », voire « féerie », un terme que Paul de Musset employait déjà, en assimilant, peut-être précipitamment, les fiabe gozziennes aux féeries romantiques françaises38.
11L’hésitation est lourde de sens, elle souligne la polysémie du terme fiaba appliqué au théâtre, et la complexité des motivations de l’auteur. Une fiaba en italien, dérivé de fabula ou favola, désigne un petit récit d’origine populaire où le merveilleux, le comique et le dramatique se mêlent dans un temps et un espace imaginaires. Il s’agirait donc de contes de fées théâtraux. Gozzi y insiste d’ailleurs en jouant avec humour sur la mise en abîme orale de ses sources, comme lorsqu’il précise, dans L’Amour des trois oranges, « c’étaient ceux qu’on narre aux enfants », ou, de façon moins directe dans L’Oiseau vert, lorsque Pantalon déclare avoir sauvé les deux poupons condamnés par leur marâtre « comme font tous les bons ministres dans les contes de fées39 ». Dans la préface à la fiaba Le Corbeau40, puis dans ses Mémoires inutiles, Gozzi cite l’une de ces sources, Le Conte des contes de Giambattista Basile, recueil de contes pour enfants écrit en langue napolitaine, publié à Naples en 1634, qui circulait en Italie dans diverses éditions du xviie siècle et dans une traduction en italien de 175441. Il y puise l’essentiel de la trame de L’Amour des trois oranges, en mêlant des éléments tirés du conte-cadre – l’histoire de la princesse neurasthénique Zoza, maudite par une vieille sorcière qui a déclenché son rire en tombant sur son derrière, puis dépossédée de celui qu’elle aime par la traîtrise d’une esclave mauresque –, et de l’avant-dernier conte, Les Trois cédrats, qui reprenait en miroir le conte-cadre pour le conclure42. Il s’en inspire encore très largement pour Le Corbeau43, en conservant le même titre et en dramatisant habilement la trame originelle. Il s’en inspire enfin pour un projet non réalisé récemment mis au jour, intitulé, comme le conte original, La Puce44, où l’on retrouve le roi Tartaglia pris dans d’autres aventures.
12À ce recueil revendiqué, il faut en ajouter d’autres, non déclarés, comme la Posilicheata (1694) du napolitain Pompeo Sarnelli, qui, éditeur lui-même du recueil basilien en 1674, s’en inspire ouvertement45. Son troisième conte notamment, « La trompeuse trompée » (La ‘ngannatrice ‘ngannata), semble avoir suggéré à Gozzi, pour L’Oiseau vert, le nom du royaume imaginaire de Montagne Ronde, l’échange de deux jumeaux nouveau-nés contre des chiots, le défilé des humains pétrifiés pour avoir cédé au vice, le vieux sage changé, par une fée dont il s’était moqué, en statue sur laquelle tout le monde vient se soulager, de même que la résidence alpestre de l’oiseau magique, son pouvoir de pétrifier ceux qui l’écoutent, et jusqu’à sa couleur verte46. On y trouve aussi la belle statufiée, la grotte effrayante, encombrée de cadavres, où le frère jumeau doit aller chercher l’eau qui danse, et les vers qui excitent la vanité de Barbarina. Gozzi toutefois prend ses distances avec cette source intermédiaire47 qui elle-même assemblait des éléments épars chez Basile : l’oiseau du conte « Le Dragon »48, fée ensorcelée qui vient en aide à la jeune Porziella, violée dans une forêt par un roi cruel puis emmurée par lui et lui permet de s’alimenter et d’accoucher d’un fils ; ou encore les jumeaux, fille et garçon, persécutés par leur marâtre et soumis à de dures épreuves sur terre et sur mer, que l’on trouve dans « Nenillo et Nenella49 », version napolitaine du Petit Poucet. Dans « La Biche enchantée »50, également, les deux héros, Fonzo et Caneloro, semblables en tous points, sont engendrés magiquement le même jour par une princesse et sa chambrière ; devant s’exiler, Caneloro fait, d’un coup de poignard, jaillir une fontaine dont l’eau, selon qu’elle reste claire ou s’ensanglante, tient Fonzo informé du sort de son jumeau.
13On ne saurait oublier toutefois que Gozzi est vénitien, et que fiaba, ou fola, autre terme souvent utilisé par l’auteur dans les préfaces, désigne, à Venise, des petits récits courts, spirituels et extravagants, qui s’échangent plaisamment dans la ville51 : ceux, par exemple, racontés par les bateleurs et autres conteurs de tréteaux mis en scène dans L’Oiseau vert et dans le prologue du Roi-cerf. Le merveilleux des fiabe ne peut donc être réduit au merveilleux magique, d’autant que l’inspiration gozzienne se révèle être très éclectique. À côté de Basile et Sarnelli, Gozzi puise au Cabinet des fées et aux recueils de contes orientaux arabes, persans, chinois, revisités par les adaptateurs d’outre-monts du xviiie siècle, qu’il mentionne dans la préface de La Zobéide52 puis de façon détournée dans un curieux écrit tardif, La plus longue lettre de réponse jamais écrite envoyée à un poète théâtral de notre temps53, ainsi qu’à d’autres sources françaises révélées aujourd’hui par les manuscrits préparatoires des fiabe54. Il accorde aussi une large place aux poèmes chevaleresques italiens de Boiardo, de l’Arioste et du Tasse55, où abondent mages, magiciennes, démons, diables et autres apparitions surnaturelles, fréquemment citées, et dont Gozzi vante, dans la préface du Corbeau, la force qu’ils exerçaient « sur les cœurs humains par les narrations, teintées de vérité, d’événements impossibles et étonnants ». Mais son mentor est peut-être Shakespeare. Des ébauches manuscrites laissent penser qu’il avait à l’esprit le personnage de Juliette lorsqu’il rédige l’ossature de L’Oiseau vert, et la tragi-comédie intitulée Les Pouilleux fortunés, incluse dans le genre fiabesque mais « dépouillée du merveilleux magique », comme l’est aussi la fiaba chinoise, Turandot, n’est pas sans évoquer Mesure pour mesure56. L’hypothèse n’est pas si hasardeuse qu’elle paraît l’être. Shakespeare est connu en Italie dès 1750 par la traduction française, très partielle, de La Place (1745-1749). Goldoni évoque Shakespeare dans Les Mécontents, comédie de 1755, où un mauvais poète, caricature de Chiari, prétend imiter Shakespeare sans le connaître à fond, et dans la dédicace de cette comédie, l’auteur admire la « liberté » de l’Anglais face aux règles contraignantes de l’unité de temps et de lieu. Gozzi pourrait aussi avoir lu la traduction d’Othello, Macbeth, et Coriolan due, en 1776, à la vénitienne Giustina Reinier Michiel, d’après la traduction française de Letourneur (1772), comme il pourrait avoir lu l’adaptation libre d’Hamlet par Ducis, puisqu’il la cite dans une lettre à son ami Giuseppe Baretti, en septembre 177757, après s’être vanté, en avril, en reprenant une idée goldonienne, de « soutenir les théâtres vénitiens avec la liberté de Shakespeare58 ». Le même Baretti, fort critique envers Goldoni dans son journal Le Fouet littéraire59, avait par ailleurs prétendu en 1768, alors qu’il résidait à Londres, que Gozzi était le « plus surprenant génie qui soit apparu dans le pays après Shakespeare60 », et avait proposé de traduire quelques fiabe gozziennes en anglais, causant à Venise une vive polémique qui peut avoir conduit le vétilleux comte à la publication de ses œuvres chez Colombani, en 177261.
14À ces modèles littéraires, il faut ajouter la pratique théâtrale, très éclectique elle aussi, des comédiens italiens dits dell’arte, qui, depuis le xviie siècle, avaient à leur répertoire aussi bien des comédies à l’impromptu que des tragédies, des pastorales et des tragi-comédies premeditate, entièrement écrites, et utilisaient dans leurs canevas toutes les ressources du merveilleux scénique. Dans les favole rappresentative de Flaminio Scala, par exemple, ces « sujets » ou « histoires à jouer » mêlant la comédie, la pastorale, la tragédie que l’acteur-auteur fait publier en 1611 dans un recueil organisé en cinquante « journées », sur le modèle du Décaméron de Boccace, on trouve, entre autres, un canevas intitulé L’arbre enchanté, pastorale peuplée de magiciens, d’esprits danseurs, d’arbres magiques portant des fruits maléfiques, et de grottes effrayantes62. Au xviiie siècle, les comédiens italiens perpétuent cette pratique baroque toujours très appréciée par le public, elle alimente la dramaturgie des pièces dites « à transformations » jouées à Paris par les Italiens, à l’Hôtel de Bourgogne d’abord, puis sur les théâtres de la Foire et de l’Opéra-Comique63 et, plus proches encore de Gozzi, des canevas « de magie » de Carlo Antonio Veronese représentés à la Comédie-Italienne entre 1744 et 175964.
15Gozzi prétend dans ses Mémoires s’être lancé dans l’écriture des fiabe dans un café de Venise, sur la Riva degli Schiavoni près de la place Saint-Marc, pour s’évader des tracas domestiques et des innombrables procès financiers dans lesquels il s’engage au nom de ses frères et sœurs pour assurer la survie de sa trop grouillante et trop dépensière famille65. Il insiste surtout, à plusieurs reprises, sur le fait qu’il « offre » et non « vend » ses œuvres à la troupe qu’il « protège », revendiquant ainsi la qualité de lettré noble dilettante, détaché des contingences matérielles, défenseur d’une écriture sublime, non triviale et vénale, comme celle de Goldoni. Se divertir et divertir le public : point d’autre ambition, semble-t-il, dans son activité de poète dramatique, ni celle du gain, ni celle de la gloire ou de la reconnaissance auctoriale. C’est ce qui le mène à afficher une posture ambiguë de mépris, presque de dénégation, vis-à-vis de la valeur littéraire de ses fiabe, habilement contredite, dans la publication de ses œuvres complètes par la rédaction argumentée de vastes préfaces, où il développe sa poétique théâtrale.
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16Au cœur de cette poétique, une revendication domine, celle de la liberté d’invention et d’écriture, placée, comme nous l’avons vu, sous la triple tutelle de la littérature orale des conteurs, de Shakespeare et de la tradition du théâtre des Italiens. Cela justifie la haine qu’il voue aux « modes » actives de son temps, qu’elles soient vestimentaires, littéraires, théâtrales, philosophiques, et rend crédible sa prétention à être un observateur « philosophique » du genre humain, capable de rire de tout et d’échapper par ce rire à la bêtise de ses contemporains. Tel est le fondement de sa veine théâtrale. Tout ce qui est érigé en système lui semble attenter à sa liberté d’écrivain. Sans aller jusqu’à parler, comme certains le font, d’« attitude anarchique66 », on note que son credo littéraire, souvent répété, est « changer sans cesse de genre pour revigorer la curiosité et la surprise67 » et « oser dépasser sans haut-le-cœur la modération et la constipation littéraire68 ». Cette dernière expression imagée, provocatrice comme toujours chez lui, suggère une hantise de la répétition – l’un des reproches majeurs qu’il adresse, dans le Discours ingénu, à Goldoni, en le qualifiant « d’imitateur de lui-même69 » – et une obsession du renouvellement qui expliquent les variations successives dans la qualification du genre qu’il a inventé, qu’il veut avant tout « nouveau, libre, audacieux, sans modération70 ». « J’affirme que j’ai mis toute mon attention à rendre différentes l’une de l’autre mes dix fiabe, dans leur organisation et dans leurs intrigues », écrit-il dans la préface de La Femme serpent71, et quand il abandonne les fiabe pour expérimenter, soutenu par Sacchi dit-il, le drame « à l’espagnole », il s’agit encore de trouver « une nouvelle structure dramatique » apte à attirer le public72.
17Le retour à une dramaturgie dite « de l’acteur », fondée sur les masques et l’improvisation, ne saurait donc être considéré comme une simple posture conservatrice destinée à contrer le théâtre naturaliste réformé de Goldoni, dont nous parlions plus haut, et à rejeter frileusement la nouvelle mode, dangereuse selon lui pour le théâtre et la société, que constitue l’affirmation, sur les scènes vénitiennes, dans les années 1750-1760, du drame bourgeois et des pièces « larmoyantes73 ». L’Amour des trois oranges avait certes été pour Gozzi l’occasion de fustiger ses adversaires, Pietro Chiari et Carlo Goldoni, par la parodie et la caricature scénique : on y voyait un magicien, Celio, personnification ouverte de Goldoni, qui affrontait la terrible fée Morgane, double scénique grotesque de Chiari. L’intention pamphlétaire déclarée reste toutefois circonscrite à cette seule fiaba, ce que montre d’ailleurs la forme particulière, unique, que Gozzi lui donne dans la publication : non celle d’une pièce dialoguée comme pour les neuf autres, mais une simple Analyse réflexive du spectacle, rédigée au passé et ponctuée par quelques passages en vers entièrement écrits formant les répliques des deux belligérants. Ainsi, on peut affirmer que la contre-réforme gozzienne est en fait une réforme « autre », non une régression conservatrice. Gozzi prend en compte de façon pragmatique, comme Goldoni lui-même le fait pour fonder sa réforme, le contexte artistique, théâtral et politique vénitien. Les deux antagonistes partagent donc une constatation initiale essentielle : l’état déplorable dans lequel se trouve le théâtre italien. Aussi bien dans le Discours ingénu que dans les Mémoires, Carlo Gozzi n’a pas de mots assez durs pour dénoncer le médiocre niveau intellectuel des auteurs, l’inculture et la vanité des comédiens (et surtout des comédiennes), la misère financière des théâtres et des compagnies. Il veut donc, comme Goldoni, redonner au théâtre italien son ancienne splendeur, mais son état – il est, rappelons-le, noble, de petite noblesse provinciale, mais noble tout de même –, et son caractère, lui imposent de prendre d’autres voies. Au cœur de la rénovation du théâtre, il ne place pas, comme Goldoni pour qui le théâtre est un moyen de subsistance, les auteurs, qu’il considère avec dédain comme « une espèce d’hommes animés par le désir cupide de succès et de gains74 », mais les acteurs. Pour assurer la liberté du comédien vis-à-vis de l’auteur, il revendique d’ailleurs un système de mécénat aristocratique – qu’il tente lui-même de mettre en pratique en acceptant, comme il précise dans la préface de L’Oiseau vert, de ne tirer aucun bénéfice de son travail – et une répartition différente des recettes entre acteurs et auteurs. Pour lui, le théâtre dit dell’arte, pour dégradé qu’il soit, reste le symbole par excellence du théâtre italien. Il le considère comme un « patrimoine à défendre », et il est convaincu qu’en s’appuyant sur les plus excellents représentants de cette tradition théâtrale, comme la compagnie de Sacchi, dont, en 1761, la renommée s’étendait de Saint-Pétersbourg à Lisbonne75, et en régénérant leur répertoire, il pourra réaffirmer la grandeur du théâtre de sa nation et assurer sa pérennité contre les modes étrangères.
18Régénérer, non pas exploiter passivement et enregistrer des pratiques actoriales devenues trop mécaniques, voilà sa vraie mission. Il le fait en s’appuyant sur les compétences avérées de la compagnie Sacchi, son intelligence de la scène, et surtout sa polyvalence. Sacchi, écrit-il dans son Discours ingénu,
est le seul qui comprenne la situation du théâtre de notre temps […] il tient sa compagnie bien exercée dans la comédie à l’impromptu, et bien pourvue de personnes aptes à de telles représentations, mais également de personnes très habiles à jouer n’importe quelle bonne tragédie, tragi-comédie, ou comédie écrite ou traduite, qui lui serait proposée par un esprit intelligent. De sorte qu’il donne de la respiration, qu’il renforce la nouveauté de la comédie improvisée76.
19On le voit, l’auteur, malgré tout, refait surface, pour s’approprier, plus que pour servir passivement, une polyvalence actoriale qui conforte sa liberté d’invention, son désir de nouveauté et lui permet aussi d’infléchir vers la réflexion morale et philosophique ce que les trames bouffonnes mêlées de merveilleux offertes aux comédiens pouvaient avoir de trop spectaculaire ou simplement divertissant. Il travaille donc, fiaba après fiaba, à montrer qu’il est cet « esprit intelligent » qui « redonne de la respiration » aux acteurs, et il affirme que les intrigues merveilleuses, « fondées sur le faux », ne sont pas « infantiles », ni « stériles », que non seulement elles remplissent les salles de spectacle et les caisses des comédiens, mais qu’elles permettent, tout autant que l’observation du monde préconisée par Goldoni, de produire une « claire allégorie sur les mœurs des hommes, et sur les fausses idées des époques, avec vérité, modestie et grâce77 ». Il le fait en élaborant une écriture hybride ou ‘centaure’, à mi-chemin entre l’improvisation et le premeditato, où se mêlent les moments laissés à l’initiative de l’acteur et les moments où celui-ci doit assumer l’autorité des mots écrits par l’auteur. Contrairement à ce que fait Goldoni lorsqu’il rédige et publie, en 1753, Le Serviteur de deux maîtres à partir du canevas de 1745, ou plus tard lorsqu’il réécrit le canevas de Momolo sulla Brenta (1739) sous la forme du Prodigo (1755), Gozzi conserve scrupuleusement dans la publication, l’alternance entre les scènes improvisées et les scènes entièrement dialoguées et écrites, veillant patiemment à obtenir un équilibre parfait entre les deux écritures dramatiques : pour les premières, sur le modèle des canevas des improvisateurs, comme Flaminio Scala, il ne donne que « les arguments et les intentions78 », les secondes sont entièrement rédigées, en prose et/ou en vers, en italien et/ou en vénitien.
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20L’Oiseau vert est, de ce point de vue, l’œuvre la plus ambitieuse et la plus achevée, et constitue une synthèse réfléchie de l’ensemble de la production.
21L’allégorie des mœurs y prend comme cible la mauvaise digestion des théories philosophiques modernes par ceux qui se déclarent philosophes selon la « mode » et non selon l’intelligence ou la raison. Gozzi met en discussion les toutes nouvelles réflexions d’Helvétius, de Voltaire et de Rousseau – tous trois cités dans la préface – sur le caractère naturel et nécessaire de l’amour-propre79, réflexions auxquelles, fondant peut-être son argumentation sur les condamnations antérieures de La Rochefoucauld80, il oppose au final, à travers les sermons de Calmon et la conduite héroïque de Sméraldine, une vision personnelle, chrétienne, où l’amour-propre rejoint la charité et le don de soi. Morigénant Renzo sur l’amour-propre (I, 10), Calmon affirme qu’il est « principe de toute action », et établit un lien entre amour-propre et raison, mais il conclut que l’homme doit s’aimer pour aimer les autres, car en s’aimant il aime les autres créatures, forgées à l’image de la divinité, ce qu’illustre concrètement l’acharnement têtu de Sméraldine à sauver les enfants qu’elle a charitablement accueillis et élevés. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de la fiaba, les protagonistes de cette allégorie sont donc les jumeaux, Renzo et Barbarina, « esprits forts » livrés sans maître à penser à la lecture sauvage – dans la forêt, lorsqu’ils ramassent leurs fagots – de livres achetés par leur père « au poids, pour la boutique » (I, 4), qui leur font oublier les principes les plus élémentaires de l’amour filial et de la reconnaissance, et les conduisent à l’ataraxie (I, 9), sans pour autant les protéger des dérives où la vanité et la passion aveugle les entraînent.
22Le pivot dramatique autour duquel s’organise le devenir scénique des personnages issus de la première fable est donc l’errance des jumeaux partis en quête de leur identité familiale, errance qui les amène, à travers rencontres et épreuves, à renoncer leur ataraxie initiale et à se redéfinir par eux-mêmes à travers la souffrance. L’errance initiatique est un des topoï des contes de magie, mais ici les épreuves successives que Renzo et Barbarina doivent affronter, ensemble ou séparément, ne sont pas imposées par des forces surnaturelles. Elles le sont par les sentiments de leurs proches – la jalousie possessive et meurtrière de Tartagliona, l’égoïsme cupide de Truffaldin, la versatilité incestueuse de Tartaglia –, sentiments monstrueux sans doute, mais humains, et par leur propre aveuglement philosophique, ce qui rapproche plutôt L’Oiseau vert des contes philosophiques ou des contes moraux chers au xviiie siècle81.
23L’inflation baroque des lieux topiques du merveilleux – forêt, plage déserte, montagne abrupte, jardins, grottes, palais –, ou des êtres et objets « magiques » – l’oiseau qui parle, la pomme qui chante, l’eau qui danse, les statues animées, parlantes et sensibles –, participe aussi à cette mise à distance du merveilleux82. L’auteur ironise sur sa propre création à travers l’étonnement dubitatif ou l’incrédulité effarouchée de certains personnages (Pantalon, Truffaldin, Sméraldine) face aux manifestations surnaturelles, à travers les gags farcesques que la magie provoque (lorsque Pantalon déclare s’être cogné dans le palais surgi en une nuit sur la place), ou les didascalies récurrentes, ponctuées d’et cætera, qui accompagnent les apparitions de Calmon, et surtout par un glissement permanent du magique vers le grotesque (les deux mamelles géantes de la fontaine de Trévise, les dégradations des statues – le nez, les oreilles, mais aussi les fesses –, le trou à ordures où croupit Ninette, l’étymologie agricole du nom de Calmon83) et vers la réalité urbaine du spectateur (les statues, les bateleurs, adaptables selon les publics et les lieux de la représentation).
24Gozzi affirme plus tard dans ses Mémoires inutiles que la morale solide de ses fiabe « s’appuyait sur les rôles sérieux […] vraie raison de leur durable succès84 » et que les « masques » n’étaient qu’accessoires. Si cette affirmation se vérifie pour certaines fables, elle ne s’applique pas à L’Oiseau vert. Là, tous les personnages alimentent l’allégorie philosophique sur l’amour-propre, par leur histoire passée, par leurs aventures et par leurs comportements, ce qui les rend tour à tour tragiques, pathétiques, farcesques, qu’il s’agisse des jumeaux, de Calmon, de Pompea, de l’Oiseau, mais aussi, et au premier chef, de Sméraldine, championne de l’amour maternel désintéressé, presque sacrificiel, du glouton, cupide et opportuniste Truffaldin, de l’hypocrite et tout aussi cupide Brighella, de Tartagliona, reine tyrannique et mère castratrice s’il en est. Seul Pantalon, le bon Vénitien, sauveur des jumeaux nouveau-nés et moteur historique du drame qui se joue sur la scène, échappe au tragique comme au grotesque, assumant plutôt la fonction de commentateur joyeusement émerveillé, mais sceptique et prudent (I, 1), sachant donner de bons conseils sans trop s’engager (III, 6-7) et se retirer à temps quand la tragédie menace (IV, 5) : presqu’un double de Gozzi.
25La maîtrise de l’écriture-centaure telle que Gozzi la propose dans L’Oiseau vert reflète cette union des rôles sérieux et des rôles bouffes dans l’action scénique. Les passages improvisés – beaucoup plus écrits en réalité que ne l’étaient les anciens canevas des comédiens professionnels – ne sont plus réservés aux seuls masques comiques, Truffaldin, Brighella, Pantalon, Sméraldine, Tartaglia. Renzo, le philosophe que l’amour fait vaciller dans ses principes, les rejoint, comme dans la longue scène brillante qui l’oppose à Truffaldin (III, 5), véritable leçon d’improvisation théâtrale. Les personnages bouffes, par ailleurs, ne sont pas cantonnés dans l’improvisation et le farcesque, ils peuvent frôler le sublime et s’expriment alors en vers : c’est le cas du roi Tartaglia, qui alterne la prose, les vers et l’improvisation selon ses interlocuteurs, c’est le cas de Sméraldine bien sûr, mais aussi de Truffaldin qui parle en vers lorsqu’il est pétrifié. Inversement, les personnages sérieux – les anciens Innamorati –, soumis à un tragique destin, ont tous leur part de grotesque : voyez Ninette, figée dans son trou à ordures, mais aussi Barbarina qui, depuis son balcon, fait la coquette et séduit étourdiment son propre père ; voyez Tartaglia, qui oublie un peu facilement son désespoir matrimonial et apprécie de façon cynique la beauté écornée de son épouse retrouvée (V, 1). Grotesque aussi le nez cassé du sage Calmon et le délabrement de son armée de statues ; et même l’Oiseau, symbole de ce que peuvent la générosité et l’amour, est l’objet d’une dérision discrète par l’évocation de son croupion (I, 7), et surtout par l’usage qu’il fait du vers martellien85, ce vers favori de l’abbé Chiari que Gozzi vitupérait dans L’Amour des trois oranges.
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26Dans la préface au Corbeau, Gozzi affirme qu’il ne destinait pas ses œuvres à des publics étrangers86. Il émet à plusieurs reprises des doutes sur la communauté des goûts entre nations même voisines87 et, parlant des traductions, qu’il pratique lui-même parfois88, il insiste sur la nécessité d’adapter les œuvres aux nouveaux publics. Son écriture-centaure, il est vrai, est un écueil pour la réalisation scénique hors des frontières italiennes et contraint le traducteur, plus encore que pour tout autre texte performatif, à la réécriture. Hormis les premières traductions d’Alphonse Royer, celle du Monstre turquin par Michel Arnaud89, et celle de L’Amour des trois oranges par Eurydice El-Etr, les versions françaises des fiabe, publiées ou non, sont des adaptations destinées aux metteurs en scène, parfois réalisées par eux-mêmes – comme celle, inédite, de L’Oiseau vert par Carlo Boso et Guy Pion –, et ne rendent que partiellement compte de cette écriture-centaure virtuose à travers laquelle Gozzi affirme sa qualité d’auteur. Les « arguments et intentions » sont toujours supprimés, abrégés et restitués en dialogues directs, les parties écrites en vers sont presque systématiquement transposées en prose – ce que Gozzi récuse dans ses préfaces –, et, pour L’Oiseau vert, les rôles, pourtant centraux, de Calmon et des jumeaux sont le plus souvent abrégés, simplifiés et fortement actualisés, comme chez Benno Besson où le débat sur l’amour-propre est transposé de façon caricaturale en jargon psychanalytique90.
27Il est donc utile de revenir au texte de la fiaba tel que Gozzi l’a élaboré pour la représentation et l’a conservé, fidèlement affirme-t-il91, pour la publication. La présente traduction, établie à partir du texte imprimé sous l’autorité de l’auteur dans la première édition des fiabe dite Colombani92, suit le texte original sans aucune coupure. L’alternance des parties premeditate, rédigées en vers et en prose, et des ‘arguments et intentions’ qui exploitent le savoir-faire de l’acteur, est strictement respectée. Est aussi conservée l’extrême diversité d’écriture des « arguments et intentions », où la connivence entre l’auteur, l’acteur et le spectateur est marquée par les et cætera répétitifs, et où la transcription du jeu à l’impromptu alterne les didascalies de mouvements, les passages en dialogue rapporté et même quelques répliques au style direct.
28Dans les passages versifiés, Gozzi utilise divers mètres, rimés ou non. Le mètre dominant est l’hendécasyllabe libre, non rimé, alternant avec quelques heptasyllabes, tous morcelés par de nombreux enjambements. Ce sont les mètres utilisés notamment par les jumeaux, Pompea, Tartagliona, Tartaglia, Calmon, Smeraldina. La souplesse extrême de la versification italienne qui joue avec les accents toniques, les diphtongues, les hiatus, les diérèses, synérèses, dialèphes, synalèphes rend illusoire la correspondance exacte de l’hendécasyllabe avec le décasyllabe ou l’alexandrin français. J’ai donc cherché, dans la mesure du possible mais sans systématisme, en veillant à la cohérence sémantique, à suggérer un rythme plus qu’un mètre précis, et j’ai conservé la présentation versifiée pour distinguer ces passages des scènes en prose. Pour les vers courts rimés des vaticinations de Brighella, des statues, des pommes, de la fontaine de Trévise et parfois de Ninette, les interventions ont été en revanche plus systématiques, au détriment du mot à mot, afin de rendre perceptible, par un rythme chantant et des vers régulièrement rimés, la composante musicale que ces passages suggèrent. De la même façon, j’ai essayé de rendre la pompe parfois ampoulée des vers martelliens rimés attribués à l’Oiseau vert et à la fée Serpentine, par des alexandrins français rimés, ce qui m’a là aussi contrainte à prendre quelque distance avec l’original.
29En ce qui concerne la traduction de la langue vénitienne chantante et imagée de Pantalon, des bateleurs, et ça et là de Brighella lorsqu’il parle en prose, j’ai renoncé à la transposer dans un quelconque parler patoisant ou jargonnant français. J’ai conservé néanmoins, éclairées par une note, les allusions à la réalité vénitienne dont les personnages émaillent leurs interventions, que Gozzi d’ailleurs prend soin lui-même d’expliquer quelquefois.
30Cette traduction a pour destinataire privilégié le lecteur francophone soucieux de retrouver sur la page l’intégralité du texte et la richesse de l’écriture-centaure de Gozzi. Elle n’en est pas moins destinée aux metteurs en scène et aux acteurs qui souhaitent construire leur travail d’adaptation scénique sur une version du texte qui ne soit pas déjà marquée par une interprétation ou une mise en scène préexistante. J’ai donc cherché aussi dans les passages premeditati à faire entendre ce que la langue théâtrale de Gozzi, comme celle de tout auteur dramatique, contient d’oralité : dans la traduction d’un texte de théâtre, la fidélité est à ce prix, elle doit se soumettre à la double destination de l’œuvre, la lecture et la représentation. C’est pourquoi, pour la traduction du titre original qui associe un archaïsme et un néologisme dans un heptasyllabe difficilement traduisible, L’augellino belverde, j’ai préféré la forme désormais passée dans l’usage courant des metteurs en scène et des spectateurs francophones93 à des calques plus philologiques, comme L’Oiselet vert et L’Oiselet beau-vert forgés antérieurement par Alphonse Royer et par Gérard Luciani94 pour tenter de rendre la musicalité et l’inventivité lexicale de l’original.
Notes de bas de page
1 Voir infra, chronologie gozzienne, 1762-1765.
2 Truffaldin est une variante d’Arlequin, serviteur à la fois débrouillard et couard, toujours affamé et sans le sou. Le nom vient de l’italien truffa, tromperie. Sacchi était le plus célèbre Truffaldin de son époque. Dirigeant une compagnie, il est appelé capocomico.
3 Voir Ginette Herry, Le Théâtre comique. La querelle du théâtre, Paris, Imprimerie nationale, 1990. La « réforme » goldonienne est achevée avec La Serva amorosa et La Locandiera, deux succès de 1753.
4 Carlo Gozzi, Analisi riflessiva della fiaba L’amore delle tre melarancie, rappresentazione divisa in tre atti, Venise, Colombani, 1772, vol. I.
5 Dans les canevas du xviiie siècle, Tartaglia appartient à la catégorie des serviteurs, il est niais, couard et bègue. Cette référence renforçait, dans la fiaba, le caractère faible du prince, dominé par sa mère dont le nom est calqué sur le sien avec un suffixe caricatural.
6 Pantalon est l’un des types fixes de la commedia dell’arte, d’origine vénitienne. Marchand avare, père despotique et souvent rival de son fils dans les premiers canevas des xvie et xviie siècles, il s’humanise au xviiie siècle et s’élève dans la hiérarchie sociale en devenant parfois conseiller ou ministre.
7 Sméraldine est le type de la servetta dégourdie et inventive qui s’affirme à la fin du XVIIe siècle et que Goldoni élève en 1753 au rang de protagoniste avec la Corallina de La Serva amorosa et la Mirandolina de La Locandiera.
8 Brighella est, comme Arlequin/Truffaldin, un serviteur, mais, plus intelligent et rusé que ce dernier, il est devenu son propre maître. Il est aubergiste chez Goldoni dans le célèbre Servo di due padroni créé par Sacchi.
9 Gérard Luciani, Carlo Gozzi (1720-1806). L’homme et l’œuvre, Paris, Honoré Champion, 1977, p. 642.
10 Goldoni l’utilise en créant de véritables « romans scéniques » en deux ou trois volets, Bettina, La Trilogie persane, La Trilogie de la villégiature, Zelinda et Lindoro.
11 La saison théâtrale d’automne commençait la première semaine d’octobre, à la Saint-Justine et se terminait le 15 décembre ; celle de carnaval commençait le 26 décembre et se terminait le mardi précédant le carême. Quelques représentations avaient lieu pendant les fêtes de l’Ascension.
12 Squarzo degli utili del Teatro per le recite relative degli autunni e carnevali, Venise, Casa Goldoni, Arch. Vendramin, 42.F 4/19. Y sont notés les titres des spectacles et les recettes pour les saisons d’automne et de carnaval.
13 Goldoni est sous contrat au théâtre de San Luca de 1753 à 1762. Entre 1759 et 1762, il fait jouer successivement : Les Amoureux, Les Rustres, Baroufe à Chioggia, La Trilogie de la Villégiature, Une des dernières soirées de carnaval, comédie des « adieux ».
14 Voir infra, chronologie gozzienne.
15 La précision est dans les Notatorj Gradenigo, chronique manuscrite du noble Pietro Gradenigo pour la période 1748-1770, conservée au Musée Correr de Venise. Voir Carlo Goldoni, Les Années françaises, Paris, Imprimerie nationale, 1993, vol. IV, traduction Valeria Tasca.
16 Cette traduction de Schiller revient ensuite en Italie en 1863, dans une retraduction d’Andrea Maffei, publiée à Florence, sur laquelle s’appuient les librettistes de Puccini.
17 Ces compositeurs italiens doivent beaucoup à Max Reinhardt qui met en en scène en 1911 une Turandot adaptée par Karl Vollmoeller, dont Ferruccio Busoni avait déjà composé la musique de scène.
18 Prokofiev bénéficie de l’intérêt dont le metteur en scène russe Vsevolod Meyerhold fait preuve envers les fiabe de Carlo Gozzi dès 1913, en créant un Studio-école où il fait travailler les acteurs à partir d’improvisations, puis une revue intitulée L’Amour des trois oranges (1914).
19 Théâtre fiabesque de Carlo Gozzi, traduit pour la première fois par Alphonse Royer, Paris, Michel Lévy, 1865 (Le Corbeau, Le Roi-cerf, Turandot, La Zobéide, L’Oiselet vert). Royer résume les cinq autres dans l’introduction.
20 Jacques Copeau met en scène une Princesse Turandot au théâtre du Vieux-Colombier, en 1927. André Barsacq monte Le Roi-cerf à la Comédie des Champs-Élysées en 1937, puis Le Monstre turquin, en 1964 au théâtre de l’Atelier. Après guerre, Gaston Baty demande à Alexandre Arnoux d’adapter une fiaba de Gozzi pour son théâtre de marionnettes. Arnoux, à partir des Mémoires inutiles traduits par Paul de Musset en 1848, écrit une biographie théâtrale de Gozzi, L’Amour des trois oranges, jouée en 1947 au Théâtre Montparnasse. Voir Rose-Marie Moudouès, « L’Amour des trois oranges d’Alexandre Arnoux », dans Carlo Gozzi, scrittore di teatro, Carmelo Alberti (dir.), Rome, Bulzoni, 1996, p. 289-290.
21 Dans la préface à Zeim roi des Génies, il affirme que L’Oiseau vert devait être sa dernière fiaba. L’ébauche d’un canevas non exploité où apparaît encore le roi Tartaglia, montre aussi l’épuisement de l’inspiration. Voir La Puce, infra, n. 44, et la traduction du canevas en annexe.
22 Il Ragionamento ingenuo e storia sincera dell’origine delle mie dieci Fiabe teatrali (Discours ingénu), préface aux fiabe, et Appendice al Ragionamento ingenuo (Supplément au Discours ingénu), préface aux « drames à l’espagnole », dans Opere del Conte Carlo Gozzi, Venise, Colombani, 1772, tomes 1 et 4. Nous citons le Discours ingénu et les préfaces aux fiabe à partir de cette édition : dorénavant Opere, suivi du volume et de la page.
23 Memorie inutili della vita di Carlo Gozzi scritte da lui medesimo e pubblicate per umiltà, Venise, Palese, 1797. Nous les citons à partir de la récente traduction intégrale, Mémoires inutiles de la vie de Carlo Gozzi…, Françoise Decroisette (dir.), Paris, Alain Baudry et Cie, 2010.
24 Anna Scannapieco, Carlo Gozzi. La scena del libro, Venise, Marsilio, 2006.
25 Carlo Goldoni, Mémoires de monsieur Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et à celle de son théâtre, Norbert Jonard (éd.), Paris, Aubier, 1992.
26 Mémoires inutiles, I, 13, p. 142-144.
27 L’emblème des Granelleschi était un hibou serrant deux testicules dans ses griffes. « Granello » signifie « grain » et, par dérivation, les organes génitaux masculins. Granelleschi équivaudrait donc à « Couillons ».
28 Ibid, I, 32, p. 238. Sur les « querelles » qui opposent Carlo Gozzi à Goldoni, Ginette Herry, Le Théâtre comique. La querelle du théâtre, ouvr. cité, p. 203-236. Notamment le Théâtre comique à l’Hôtellerie du Pélerin tombé aux mains des Granelleschi, réponse gozzienne à la pièce-manifeste de Goldoni, Le Théâtre comique (1751).
29 Mémoires inutiles, introduction, p. 26-38. Voir infra, chronologie gozzienne.
30 Ibid., II, 1, p. 303 et suiv.
31 « Le dessein et la maxime [des Granelleschi] étaient de ramener avec fermeté l’étude aux maîtres du passé », Ibid, I, 33, p. 247.
32 Soit le 21 janvier 1762, l’année vénitienne commençant le premier mars.
33 Mémoires inutiles, I, 34, p. 288-289.
34 Le Gare teatrali, comédie en prose. Goldoni et Chiari y sont représentés en ridicules poètes antagonistes de deux théâtres concurrents, le Théâtre Vieux et le Théâtre Neuf, sous les noms grotesques de monsieur Pâté (Goldoni) et de monsieur Girandole (Chiari). Publié dans Commedie in commedia, Fabio Soldini et Pier Mario Vescovo (éd.), Venise, Marsilio, 2012, p. 120-240. Le manuscrit des Gare teatrali se trouve dans le fonds de la famille Gozzi récemment retrouvé par Fabio Soldini, acquis en 2003 par la Biblioteca Marciana de Venise. Voir Carlo Gozzi 1720-1806, Stravaganze sceniche, letterarie battaglie. Catalogo del fondo Gozzi della Biblioteca Marciana, Fabio Soldini (dir.), Venise, Marsilio, 2006, p. 137.
35 Voir supra n. 22. Dans ce texte, Gozzi emploie alternativement fiaba teatrale, fiaba scenica et fola teatrale.
36 Mémoires de Charles Gozzi, écrits par lui-même, traduction libre par Paul de Musset, Paris, Charpentier, 1848.
37 Pour les références de cette traduction et des suivantes, voir infra, bibliographie essentielle.
38 Roxane Martin, « Des “Fiabe teatrali” aux fééries théâtrales : quelle continuité ? », Problemi di critica goldoniana, XIII, Carlo Gozzi entre dramaturgie de l’auteur et dramaturgie de l’acteur : un carrefour artistique européen, 2007, p. 292-301.
39 L’Oiseau vert, I, 1.
40 Carlo Gozzi, préface au Corbeau, Opere, I, p. 119 : « On raconte cette histoire aux enfants, et j’ai tiré l’argument de celle-ci d’un livre napolitain intitulé : Lo cunto delle cunte : trattenemiento per le piccierille ».
41 Giambattista Basile, Lo cunto de li cunti, ovvero Lo trattenemiento de peccerille, Naples, O. Beltrano, 1634. La traduction en italien du xviiie siècle est intitulée Il Conto de’ Conti, trattenimento a’ fanciulli, trasportato dalla napoletana all’italiana favella, à Naples, Cristoforo Migliaccio, 1754, rééditée en 1769 et 1784. En français : Le Contes des contes ou le divertissement des petits enfants, traduction de Françoise Decroisette, Strasbourg, Circé, 20022.
42 Ibid., « Le tre cetra », V, 9. Ciommetiello, prince neurasthénique, part à la recherche de son idéal de beauté. Grâce aux conseils d’une fée, il trouve trois cédrats magiques. Du troisième cédrat sort une fée merveilleuse que le prince veut épouser. Mais elle excite la jalousie d’une esclave mauresque, qui, grâce à une épingle ensorcelée plantée dans les cheveux de la jolie fée, la transforme en colombe. Un cuisinier attrape cette colombe, et, sur ordre de la mauresque, en fait un pâté. De ses plumes jetées dans un vase naît un arbre de cédrats qui donne trois nouveaux fruits. Le prince retrouve sa fée. La traîtresse doit avouer son forfait et elle se jette dans les flammes.
43 Ibid., «Lo cuorvo», IV, 9.
44 Ibid., « Lo polece », I, 5. Alberto Beniscelli, « Nel laboratorio delle fiabe, tra vecchie e nuove carte », Problemi di critica goldoniana, XIII, ouvr. cité, p. 86-88. Pier Mario Vescovo a le premier publié le texte dans Il Sole 24 ore, 22 juillet 2006. Voir traduction, infra, p. 187-190.
45 En français, Pompeo Sarnelli, Contes napolitains, traduction de Claude Perrus, Strasbourg, Circé, 2000. Dans la conclusion de « La trompeuse trompée », Sarnelli rend explicitement hommage au Conte des contes.
46 L’oiseau de Sarnelli a « la tête toute d’or, le cou et les ailes incarnat, la queue jaune, la gorge et les épaules vertes ».
47 Chez Sarnelli, c’est le roi qui fait enfermer sa femme dans un réduit cadenassé, le meunier et la meunière qui recueillent les enfants sont unis, tendres et compatissants, et c’est leur fils, Renzullo, évoqué par Gozzi mais déclaré mort, qui, jaloux, oblige les jumeaux à partir du foyer paternel. Enfin, l’oiseau magique n’est pas un prince ensorcelé.
48 Giambattista Basile, « Lo dragone », IV, 5.
49 Ibid., « Ninillo e Nennella », V, 7.
50 Ibid., « La cerva fatata », I, 9.
51 Boerio, Dizionario del dialetto veneziano, Venise, Giunti, 1856, p. 268.
52 Préface à La Zobéide, Opere, II, p. 99.
53 La più lunga lettera di risposta che sia stata scritta inviata a unn poeta teatrale dei nostri giorni, dans Opere edite e inedite del Co: Carlo Gozzi, Venise, Zanardi 1801-1802, vol. XIV, p. 3-72. Voir Gérard Luciani « Carlo Gozzi et le Théâtre de la Foire », Problemi di critica goldoniana, XIII, ouvr. cité, p. 245, et Giulietta Bazzoli, « Esplorazione nella fucina delle fiabe gozziane », dans Parola, musica, scena, lettura, Percorsi nel teatro di C. Goldoni e C. Gozzi, G. Bazzoli et M. Guelfi (dir.), Venise, Marsilio, 2009, p. 473-510.
54 Ainsi pour L’Oiseau vert, le conte de Louise Cavelier de Levêque, Le Prince des aigues marines. Voir A. Beniscelli, « Nel laboratorio delle Fiabe », Problemi di critica goldoniana, XIII, ouvr. cité, p. 90-91.
55 Il les cite expressément dans la préface au Corbeau, Opere, I, p. 120.
56 Ginette Herry, « I pitocchi fortunati, les contes persans et Mesure pour mesure », Problemi di critica goldoniana, XIII, ouvr. cité, p. 267-277.
57 Carlo Gozzi, Lettere, Fabio Soldini (éd.), Venise, Marsilio, 2004, p. 117.
58 Ibid., p. 101.
59 Carlo Goldoni, Le Théâtre comique. La querelle du théâtre, ouvr. cité, p. 237-253.
60 Giuseppe Baretti, An account of the manners and customs of Italy with observations on the mistakes of somes travellers, with regard to that country, London, T. Davies, 1768.
61 Gozzi lui-même fait allusion à ce projet dans sa lettre du 12 avril 1777, dans Lettere, ouvr. cité, p. 99.
62 Flaminio Scala, Il teatro delle favole rappresentative, Ferruccio Marotti (éd.), Milan, Il Polifilo, 1976. L’arbre enchanté (Journée XLIX) est dans le volume 2.
63 Gérard Luciani, « Carlo Gozzi et le théâtre de la Foire », Problemi di critica goldoniana, XIII, ouvr. cité, p. 244.
64 Giovanna Sparacello, « Aux origines du magique chez Gozzi : les canevas de magie de Carlo Antonio Veronese », ibid., p. 256-265.
65 Mémoires inutiles, ouvr. cité, II, 5, p. 330. Pour les procès, I, 21-30, p. 188-230, et III, 6, p. 738-743.
66 Gabriele Muresu, « L’Augellino belverde », dans Letteratura italiana, Le opere, II, Dal Cinquecento al Settecento, A. Asor Rosa (éd.), Turin, Einaudi, 1993, p. 1150.
67 Lettre à Baretti, 25 septembre 1777. Dans Lettere, ouvr. cité, p. 113.
68 Préface au Corbeau, Opere, I, p. 125.
69 Discours ingénu, ibid., I, p. 58.
70 Préface au Corbeau, ibid., I, p. 119.
71 Préface à La Femme serpent, ibid., II, p. 12.
72 Mémoires inutiles, ouvr. cité, II, 20, p. 419.
73 Les drames de Bacular d’Arnaud ou de Mercier, qu’il appelle drammi flebili, contre lesquels il se déchaîne dans une retentissante querelle avec Elisabetta Caminer Turra, traductrice, en 1771, du Jenneval de Mercier (1755), cité dans la préface de L’Oiseau vert. Gozzi rivalise avec Elisabetta en proposant en 1772 sa propre traduction de la tragédie Fajel de Bacular d’Arnaud, dont la préface dénonce le « sublime insidieux ». Carlo Gozzi, Il Fajel, tragedia del signor Arnaud, tradotta in versi sciolti, Venise, Colombani, 1772. Il revient longuement sur ces drammi flebili dans le Discours ingénu.
74 Discours ingénu, Opere, I, p. 37.
75 Sacchi et sa troupe sont à Lisbonne au moment du tremblement de terre en 1755.
76 Opere, I, p. 22-23.
77 Préface à La Femme serpent, ibid., II, p. 12.
78 Préface au Corbeau, ibid., I, p. 121-123.
79 Pour Helvétius, l’amour-propre est un « sentiment gravé en nous par la nature [et] se transforme dans chaque homme en vice ou en vertu selon les goûts et les passions » (De l’Esprit, 1758). Pour Voltaire, l’amour-propre est l’« instrument de notre conservation ; […] il est nécessaire, il nous est cher, il nous fait plaisir, et il faut le cacher » (Dictionnaire philosophique, 1764). Rousseau oppose amour-propre (moteur des passions haineuses et irascibles) et amour de soi (moteur des passions douces et affectueuses), mais voit aussi dans l’amour-propre une source de la connaissance de soi et de la liberté (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755, et Émile, ou de l’éducation, 1762).
80 La Rochefoucauld (Réflexions ou sentences et maximes morales, 1669) considère l’amour-propre ou amour de soi-même (Réflexions 2), comme « le plus grand des flatteurs » (Réflexions 3), « corrupteur de la raison » (Avertissement au lecteur).
81 On pense aux Contes moraux de Marmontel (1764), particulièrement Le Philosophe soi-disant.
82 Pier Mario Vescovo, « Per una lettura non evasiva delle “Fiabe”. Preliminari », dans Carlo Gozzi scrittore di teatro, ouvr. cité, p. 171-213.
83 En vénitien, un « calmon » est un terme d’agriculture qui désigne une pousse « gourmande » (Boerio, ouvr. cité, p. 119). Parler « per calmon » signifierait aussi parler de façon obscure, à la manière des vagabonds ou mendiants. Carlo Gozzi, Fiabe teatrali, A. Beniscelli (éd.), Milan, Garzanti, 1994, p. 318.
84 Mémoires inutiles, ouvr. cité, II, 2, p. 309.
85 Double septénaire, créé au début du xviiie siècle par Pier Jacopo Martello, sur le modèle de l’alexandrin français, que Goldoni et Chiari utilisent abondamment dans leurs comédies en vers.
86 « Je ne prétends pas que mes œuvres, avec leur titre fiabesque, soient dignes d’être rendues entièrement intelligibles aux étrangers […] Il me suffit que la critique des mœurs et la morale que je me suis ingénié à mettre dans les deux personnages soit comprise par les Italiens », dans Opere, I, p. 124.
87 Préface à la traduction du Fajel de Bacular d’Arnaud, ouvr. cité, p. 28-29.
88 Outre le Fajel, il adapte en 1777 La Veuve du Malabar, tragédie de Le Mierre sous le titre La vedova indiana, et fait ensuite publier la traduction dans l’édition Zanardi.
89 Les Écrivains célèbres. Le siècle des Lumières, Goldoni, Gozzi, Paris, Éditions d’art Lucien Mazenod, 1959, p. 193-255.
90 « Barbarina : […] Une perspective perturbatoire qui engendre naturellement en toi l’humeur particulière aux esprits portés à ne rechercher que leur propre bien. Smeraldina : Moi, je recherche mon propre bien ? Renzo : Absolument. Nous décodons aisément le débordement de ton ego dévastateur. Le mal qui te touche atteint aujourd’hui sa signifiance maximale. Souhaitons qu’il ne soit pas irréversible, et que la raison induise en toi rapidement les prémices d’un renversement salutaire. Smeraldina : Saints du paradis, quelle langue est-ce qu’ils parlent ? », Benno Besson, L’Oiseau vert, d’après Carlo Gozzi, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982, p. 16-17.
91 « Je n’aurais pas de mal à écrire entièrement en prose ou entièrement en vers toutes les œuvres théâtrales que j’ai écrites. Mais j’ai promis de les mettre sous presse telles qu’elles furent représentées, et je tiens toujours mes promesses », préface au Corbeau, Opere, I, p. 122.
92 Pour les éditions italiennes modernes du texte de L’Oiseau vert, voir infra bibliographie gozzienne.
93 Voir infra, mises en scène françaises de L’augellino belverde. L’Oiseau vert est également mis en scène au Québec, en particulier dans la version de Benno Besson.
94 Gérard Luciani, Carlo Gozzi ou l’enchanteur désenchanté, Presses universitaires de Grenoble, 2001, passim.
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